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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mercredi 19 octobre 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 3

Présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, Présidente

– Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale sur les enseignements des tables rondes sur la dépendance

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale sur les enseignements des tables rondes sur la dépendance.

La séance est ouverte à 16 heures 15.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, madame la ministre, d’avoir accepté d’être auditionnée par la Délégation. Nous vous entendons aujourd’hui sur la problématique de la dépendance, les enseignements des tables rondes que vous avez organisées sur ce sujet, et enfin votre programme en matière d’aide à domicile. Comment appréhendez-vous cette question primordiale, dont l’allongement de la vie fait désormais une réalité ?

Quelles conclusions tirez-vous des tables rondes ? Quelles orientations souhaitez-vous privilégier, tant en ce qui concerne les personnes aidées que les types de prise en charge ou le financement de la dépendance ? Quels sont les obstacles financiers qui ont conduit non à reporter la réforme de la dépendance, mais à l’aborder sous un angle nouveau ?

Vous l’avez dit à plusieurs reprises, la dépendance est une question féminine – d’abord parce qu’elle touche de nombreuses femmes, et ensuite parce que les aidants sont en majorité des femmes. Nous sommes donc impatients de vous entendre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Si j’ai souhaité que la Délégation aux droits des femmes se saisisse de la problématique de la dépendance, c’est parce qu’il me semblait que la question du genre était consubstantielle au sujet, qu’il s’agisse du public concerné, des professionnels qui assurent la prise en charge de la dépendance, ou bien sûr des aidants. La féminisation des titres est à l’ordre du jour : « aidante » pourrait être le terme générique pour désigner ces 4 millions de personnes qui se dévouent chaque jour, à domicile ou en tant que bénévole dans un établissement, au chevet des personnes en perte d’autonomie.

Vous avez parlé de report de la réforme de la dépendance. La réforme continue. Ses mesures financières les plus lourdes ont certes été reportées, mais le travail qui a été conduit reste très utile, et la réforme se fera. Nous poursuivons d’ailleurs notre politique en direction des personnes âgées. Notre pays est l’un de ceux où l’effort de solidarité nationale en leur faveur est le plus élevé : il est estimé entre 25 et 27 milliards d’euros. Le plan Alzheimer, qui mobilise 1,6 milliard, n’est pas remis en cause. Nous poursuivons notre programme de création de places : nous aurons à nouveau 7 500 nouvelles places en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Je rappelle enfin que le sous objectif national des dépenses de l’assurance maladie (sous-ONDAM) personnes âgées prévu par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est particulièrement ambitieux : notre effort va augmenter de 6,3 %, chiffre à comparer avec les prévisions de croissance que vous connaissez. Nous investirons ainsi 400 millions d’euros d’argent frais pour améliorer la prise en charge.

Celle-ci n’est pas seulement financière. La qualité de la prise en charge des personnes en perte d’autonomie peut être améliorée à moyens constants, grâce à une meilleure organisation de notre système. Par exemple, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a chiffré à 2 milliards le coût des hospitalisations indues de personnes âgées. Nous pourrions donc réaliser des économies, mais aussi éviter des traumatismes aux familles et aux personnes âgées. C’est dans cette voie que nous devons avancer, d’autant que les phénomènes de glissement sont importants : on enregistre des dégradations brutales et irréversibles de l’autonomie chez ces personnes indument hospitalisées.

Nous lançons donc ce chantier de l’efficience, puisqu’il y a des besoins dont la satisfaction n’exige ni dépenses nouvelles, ni texte de loi. Je pense par exemple à une meilleure information de nos compatriotes lorsqu’ils choisissent une maison de retraite. J’ai appelé de mes vœux la mise en place d’indicateurs de qualité dans les EHPAD et d’un site internet dédié. Ce sera chose faite en 2012.

Nous allons également prendre des mesures d’effet immédiat, dont un plan d’investissement de 50 millions d’euros pour soutenir les travaux de rénovation des établissements ou des services accueillant des personnes âgées. J’ai souhaité qu’une attention particulière soit portée aux structures intermédiaires – accueil de jour ou de nuit, accueil temporaire – afin de soulager les aidants.

Autre point important, la création d’un fonds en faveur des services à domicile, hébergé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), d’un montant de 50 millions d’euros. Comme je l’ai dit devant la Commission des affaires sociales, cette mesure n’est pas financée par le PLFSS mais par le projet de loi de finances (PLF). Je la conçois comme une démarche proactive, qui aide à la restructuration de ces services, car plusieurs rapports ont fait état de difficultés. Nous devons avoir une démarche d’efficience : si nous nous contentons d’une politique de guichet, nous nous retrouverons tôt ou tard aux prises avec les mêmes difficultés. Je rappelle d’autre part que l’autorité de tarification est bien le conseil général. Les difficultés de tarification ont par ailleurs entraîné une démarche d’expérimentation, que je mène avec l’aide de Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France (ADF), afin d’envisager une modulation de la tarification pour tenir compte de la spécialisation de plus en plus lourde des intervenants à domicile.

Permettre à la personne âgée de rester chez elle le plus longtemps possible, c’est garantir sa qualité de vie et celle de son entourage. L’aidant doit conserver sa place – celle d’époux, d’épouse, de fils, de fille, de proche. Il ne s’agit pas de faire de lui un soignant. Nous avons été très touchés, tout au long du débat, par les témoignages particulièrement poignants de femmes qui se retrouvent tiraillées entre la nécessité d’aider leurs parents, parfois leurs beaux-parents, et celle de prendre en charge qui le fils au chômage, qui le petit-fils en échec scolaire… C’est à elles que nous devons penser : il importe de préserver leur santé, leur vie familiale et leur activité professionnelle. La loi offre déjà un certain nombre de possibilités. Je pense au congé de solidarité familiale, que j’ai soutenu, qui permet d’aider un proche en fin de vie et est assorti d’une allocation. J’ai lancé des rencontres avec les partenaires sociaux sur la question du partage des responsabilités professionnelles et familiales – sujet auquel je vous sais très attachée, madame la présidente. Je poursuis demain une série de rencontres sur l’amélioration du parcours hiérarchique des femmes dans l’entreprise. J’interpelle également les organisations syndicales sur leur propre gestion de la parité. Je ne parle pas seulement des congés de maternité et de paternité, mais de tous les types de congés familiaux.

L’épuisement des aidants est très lié à l’absence de structures de répit. J’ai donc tenu à en faire une priorité. Nous avons créé cette année 1 260 nouvelles places d’accueil de jour et plus de 800 places d’hébergement temporaire, qui ont été notifiées aux agences régionales de santé (ARS) par la CNSA. Nous avons mis l’accent sur l’aspect qualitatif de ces structures, en fixant par exemple des règles de fonctionnement pour les accueils de jour. Par ailleurs, les plateformes de répit expérimentées depuis 2010 sont en phase de généralisation. Notre objectif est d’en créer 150 d’ici 2012. Elles rendront lisibles et plus accessibles les différentes prestations disponibles.

Pour être préservés, les aidants doivent avoir un rôle bien distinct de celui des professionnels. Nous mettons donc en place des services professionnels d’aide à la personne de qualité. C’est notamment le cas des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), à distinguer des services à domicile (SAD). Nous avons autorisé depuis 2007 la création de 18 500  places nouvelles. Le dispositif des maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (MAIA) va s’élargir à toutes les personnes dépendantes pour mieux épauler les aidants. Le gestionnaire de cas qui exerce dans ce type de structure assure la coordination de toutes les aides – une tâche souvent chronophage pour les aidants.

On ne saurait dire à quel point le rôle des aidants peut être amélioré par des formations. Celles-ci constituent d’ailleurs l’une des mesures phares du plan Alzheimer. Il y a quelques jours, je passais mon après-midi dans un Café des aidants. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que personne n’avait dit à mes interlocutrices qu’on ne commence jamais la toilette d’un malade atteint d’Alzheimer par le visage, pour ne pas susciter de réaction d’agressivité ! Il y a tout un travail de formation à l’aide à faire avec l’appui des associations – France Alzheimer est l’un de nos correspondants. Ne craignons pas de dire aux aidants qu’ils ont besoin d’être formés : selon Mme Desana, présidente de France Alzheimer, ils répugnent souvent à l’être – soit qu’ils n’en ressentent pas le besoin, soit qu’ils redoutent de voir leur rôle mis en cause.

Enfin, il faut valoriser les métiers de l’aide aux personnes âgées dépendantes, que ce soit à domicile ou en établissement. Je salue à cet égard l’agrément de la convention collective de branche de l’aide à domicile, qui comporte un certain nombre d’avancées concrètes pour les salariés : bénéfice d’une complémentaire santé, meilleure prise en compte de l’ancienneté…

Nous avons encore un long chemin à parcourir. Il nous faudra pour cela agir sur toutes les données que nous avons énumérées.

Mme Pascale Crozon. Je suis pleinement d’accord avec vous sur la nécessité de séparer les soignants des aidants, comme sur celle de former ces derniers : l’amour ou l’affection sont irremplaçables, mais ils ne suffisent pas toujours.

Députée du Rhône, je tenais à vous parler de la Maison des répits qui ouvrira au mois de novembre à Villeurbanne, sur la base d’une partie des propositions que nous avions faites en matière d’accueil et de formation. Je me permets de solliciter votre aide, car l’ARS ne nous a toujours pas donné l’autorisation d’ouvrir des lits la nuit, ce qui permettrait aux aidants de prendre un recul salutaire.

Mme la ministre. Mon cabinet va se rapprocher de vous afin de regarder le dossier de plus près. Si je peux contribuer à débloquer la situation, je le ferai bien volontiers.

Mme Pascale Crozon. Je vous en remercie, car j’avais déjà posé une question orale à ce sujet avant l’été. Or je pense comme vous qu’il est important de développer ce type de structures pour pouvoir apporter le maximum d’attention aux malades comme aux soignants.

Un autre problème préoccupe le groupe SRC : la précarité professionnelle des femmes. 80 % des intervenants dans ce domaine sont des femmes, qui vivent souvent dans des conditions très difficiles. Nous défendrons le 17 novembre prochain une proposition de loi tendant à lutter contre la précarité professionnelle des femmes, notamment dans ce secteur. Sachant l’attention que vous portez à ce problème, j’espère de tout cœur que vous serez présente.

Mme la ministre. Je vous ai parlé de la convention collective de branche de l’aide à domicile, qui uniformise les conventions collectives précédentes et opère un certain nombre d’avancées qui vont dans le sens d’une déprécarisation de ces professions. Je pense au bénéfice d’une complémentaire santé, à la meilleure prise en compte de l’ancienneté, à l’augmentation de la rémunération des heures en soirée ou le week-end, ou encore à la prise en compte des temps de concertation ou de synthèse dans le temps de travail effectif. Cela va permettre de rendre ces emplois plus attractifs, de faciliter la mobilité professionnelle, de mieux protéger les salariés. Le coût de la convention a été estimé à 85,9 millions d’euros – c’est peut-être un peu excessif. Les questions qui n’ont pas été résolues – rémunérations, pouvoir d’achat, augmentation du prix de l’essence – sont en négociation.

Au-delà du dialogue social, nous privilégions aussi une approche qualitative. Je pense par exemple à l’accroissement du niveau de qualification des salariés. En 2008, 40 % des intervenants avaient un diplôme d’études sanitaires et sociales. La validation des acquis de l’expérience (VAE) s’est considérablement développée : 80 % des candidats à la VAE pour un diplôme de niveau 5 se présentent pour des certifications dans le champ sanitaire et social, le diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale étant celui qui est le plus souvent présenté. Les conventions que la CNSA signe avec différents acteurs du champ, notamment les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), contribuent à accroître le niveau de qualification.

Votre Délégation nous avait demandé de travailler à la refonte de l’offre de certifications. Un chantier de simplification des certifications de niveau V et d’identification de menus communs a été conduit. Le Premier ministre a confié cette mission au président de la Commission nationale de la certification professionnelle. Nous avons quant à nous mené un important travail de réingéniérie des diplômes, qui a posé les bases de la nécessaire fluidification des parcours. Une évaluation de ce travail est en cours.

Nous avons par ailleurs saisi le Conseil supérieur du travail social, que je préside avec l’appui du vice-président Michel Thierry. Ses orientations pour les formations sociales, adoptées en mars dernier, constituent notre feuille de route, mais la rénovation du travail social est un chantier de grande ampleur.

Mme Marianne Dubois. Je suis taraudée par le cas de ces femmes âgées de cinquante à quatre-vingts ans qui n’ont pas une carrière complète, parce qu’elles se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants, et se retrouvent frappées par la dépendance. Lorsqu’elles sont hébergées dans un établissement spécialisé, le coût du reste à charge est considérable – et cela ne va pas aller en s’arrangeant. Certes, les jeunes femmes sont mieux informées et s’arrêtent de moins en moins – ou de moins en moins longtemps – pour élever leurs enfants, mais toute une génération va dans le mur.

Par ailleurs, comment intéresser les hommes aux problèmes – et aux métiers – de la dépendance ?

Mme la ministre. Vous soulevez une vraie question, qui vaut pour un certain nombre de sujets. Est-il besoin, par exemple, de rappeler le différentiel entre le niveau moyen des retraites des femmes et des hommes ?

La question cruciale du reste à charge ne se pose pas pour les plus modestes, la dépendance étant entièrement prise en charge par les mécanismes d’aide sociale pour les personnes à très faible revenu. Le problème touche donc les classes moyennes modestes. Je vous redis que l’amélioration de cette prise en charge est le point central de la réforme que nous avons dû reporter en raison de son coût. C’est sur cette catégorie de la population – dont les revenus sont trop faibles pour subvenir à tous les besoins, mais trop élevés pour pouvoir prétendre à des aides – qu’il faudra cibler l’aide.

La réponse à la seconde question est plus délicate. Pour que les hommes prennent davantage leur part, sans doute faut-il rendre la charge supportable, en agissant – comme nous le faisons – sur la formation, les prises en charge intermédiaires, la compétence des services professionnels, bref tout ce qui peut aider à ce qu’on soit moins désarmé devant la dépendance d’un proche. Cela ne dispense pas de conduire une politique de fond sur le partage des tâches familiales et professionnelles : avoir pris un congé de paternité ou un congé de présence parentale pour s’occuper d’un enfant malade prédispose plus volontiers à prendre en charge un parent dépendant. Mais nous n’en sommes pas encore là…

Mme Pascale Crozon. Ma collègue ne pensait pas seulement aux aidants, mais aussi – et surtout – aux soignants. Je pense que cette mixité ne pourra devenir une réalité sans la mise en place d’un véritable statut du soignant. Les hommes n’accepteront jamais de vivre dans la précarité comme ces femmes qui cumulent quelques heures d’un côté, quelques heures de l’autre. Nous rencontrons tous dans nos permanences des femmes qui ne touchent que 600 ou 800 euros de retraite, et nous nous demandons comment elles font pour vivre. La réforme des retraites aurait pu être mise à profit pour conduire une vraie réflexion sur ce problème. Nous y avions beaucoup réfléchi au sein de la Délégation. Il est dommage qu’on ne nous ait pas entendues : il y a des solutions qui ne coûteraient guère plus cher et permettraient de stabiliser les femmes à la fin de leur vie. Elles ont élevé des enfants ; elles méritent d’être traitées autrement.

Mme la ministre. On sent tout de même poindre une évolution. Les services à domicile, qui tenaient plus à l’origine du bénévolat amélioré, sont en train de se structurer. Ces métiers offriront bientôt des perspectives de carrière, ce qui n’existait pas auparavant et contribuait à décourager les hommes. Nous allons avoir des métiers de coordonnateur, des métiers intermédiaires, des métiers qui se situeront à l’interface entre la structure collective et le domicile. Les jeunes et les hommes seront davantage attirés par ces métiers qui ne se cantonnent plus à l’aide ménagère ou au nursing et offrent de plus en plus de possibilités d’évolution. Tout le travail de la décennie qui vient sera de structurer ce secteur et de développer non seulement des métiers intermédiaires, mais aussi des métiers de management – organisation des temps, accompagnement des personnels…

M. Patrick Lebreton. J’aimerais vous interroger sur un sujet périphérique qui concerne les conditions de vie de nos aînés dans le contexte de l’allongement de la durée de la vie. Les règles qui régissent l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) prévoient la récupération sur succession de cette allocation perçue par les personnes n’ayant pas suffisamment cotisé. À la Réunion, les conditions sociales, alliées à la spéculation et à l’explosion du coût du foncier, conduisent de nombreuses personnes âgées qui pourraient toucher cette allocation à ne pas le faire de peur de ne pouvoir transmettre de succession à leurs enfants. Bref, elles sont contraintes d’arbitrer entre leurs conditions de vie et l’émancipation sociale de leur descendance. J’avais déposé il y a deux ans une proposition de loi visant à exclure la résidence principale à usage d’habitation de l’actif net successoral. Je comprends que les contraintes budgétaires ne nous permettent pas de prendre une telle mesure aujourd’hui, mais je souhaitais avoir votre avis, car c’est un vrai sujet au regard du nombre des personnes concernées comme de la misère à laquelle elles se condamnent. Tôt ou tard, il faudra bien le traiter.

Mme la ministre. Vous soulevez là un problème global. La question du recours sur succession a été évoquée à travers celle de la réforme de la prestation dépendance. J’ai indiqué très clairement qu’il n’était pas question que cette dernière donne droit à recours sur succession, car il y aurait alors rupture d’égalité selon les conditions dont chacun finirait sa vie : si votre père meurt d’un cancer à l’hôpital, il n’y a pas de récupération sur votre succession, mais il en va différemment s’il meurt de la maladie d’Alzheimer dans un EHPAD. Il reste qu’un certain nombre de prestations, comme l’allocation aux enfants handicapés (ASH) donnent lieu à récupération.

M. Fabrice Saad, conseiller chargé du financement de la dépendance et du secteur médico-social au cabinet de la ministre. Il y a en effet récupération sur succession pour les minima sociaux – minimum vieillesse, ASH. Lors de la réforme des retraites, une souplesse a cependant été introduite : nous avons exclu le capital d’exploitation des agriculteurs de la récupération, car nous avions observé dans cette population un refus massif du minimum vieillesse, pour la raison précise que vous venez d’évoquer.

Mme la ministre. L’ASH donne lieu à la fois à obligation alimentaire et à récupération sur succession.

M. Patrick Lebreton. Cette souplesse aurait dû être de bon augure, madame la ministre…

Mme la ministre. Je ne suis hélas pas seule à trancher, et je crains que Bercy ne nous suive pas. Sur le fond, vous avez parfaitement raison, et il est naturel de vouloir transmettre son patrimoine à ses enfants, encore que cela n’existe pas dans tous les pays. Dans les pays anglo-saxons, on lègue ses biens à qui l’on veut.

M. Patrick Lebreton. Cette allocation ne devrait donc pas s’appeler allocation de solidarité : elle est plus proche d’une avance sur succession.

Mme la ministre. Sans doute, mais il n’est pas non plus indécent que celui qui s’est constitué un patrimoine participe à sa propre prise en charge. S’il avait un compte bancaire, on prélèverait d’ailleurs dessus !

M. Patrick Lebreton. Une personne qui dispose de quelques moyens ne peut en effet prétendre à cette solidarité.

Mme la ministre. Je conviens qu’il faut sans doute imaginer – comme vous le proposez – un système de plancher.

Mme Pascale Crozon. Ce serait en effet une bonne chose, car les personnes âgées qui ont peu de patrimoine tiennent d’autant plus à le léguer à leurs enfants.

Mme la ministre. J’en prends note. Je rappelle par ailleurs que nous avons augmenté le minimum vieillesse de 25% durant ce quinquennat.

M. Guénhaël Huet. Il y a là une vraie question. Dans ce domaine comme dans d’autres, il importe de trouver une solution équilibrée. Il ne faudrait pas non plus que ces mécanismes aboutissent à ce que la solidarité nationale se substitue complètement à la solidarité familiale. Dans une société équilibrée, l’État intervient, mais les individus ont aussi leur rôle à jouer. Sachant qu’il y a autant de situations que d’individus, il est de toute façon difficile d’imposer une règle générale.

Mme la ministre. J’aime à dire que la solidarité familiale ne doit pas être le paravent de nos égoïsmes. L’indicateur financier a ses limites, mais il a aussi un sens. Sur les 32 à 35 milliards d’euros du coût de la prise en charge des personnes dépendantes, 25 à 27 milliards – soit 80 % – sont assumés par des mécanismes de solidarité. Certes, nous ne valorisons pas de façon monétaire l’effort des familles. Mais il y a aussi un lien qui se crée entre la personne dépendante et l’aidant. Tout n’est donc pas à sens unique – heureusement d’ailleurs, car c’est ce qui fait le sel de la vie.

Rappelons néanmoins que si une telle politique est possible dans notre pays, c’est grâce à un taux de fécondité élevé. J’ai eu l’occasion d’échanger avec un think tank allemand : compte tenu de leur taux de natalité, les Allemands sont obligés de constater qu’il ne pourra plus y avoir que des personnes salariées aux côtés des personnes dépendantes. Toutes les politiques sont liées : c’est grâce à nos politiques familiales que nous pouvons aussi conduire des politiques de solidarité.

Mme Marianne Dubois. Ayant emmené à plusieurs reprises mes parents aux urgences, j’ai constaté qu’on les laissait sortir sans poser la moindre question sur le domicile, la famille ou la présence d’aidants. N’y a-t-il pas une marge de progrès sur ce point ?

Mme la ministre. La question de la coordination est une question centrale. Dans la gouvernance de la dépendance, la coordination doit se faire à plusieurs niveaux. Elle doit d’abord s’opérer entre les acteurs politiques – les conseils généraux, les conseils régionaux, mais aussi les communes, qui gèrent un grand nombre de services tels que les téléalarmes, les animations ou le portage de repas, et enfin l’État et son bras armé, la sécurité sociale. Mais elle se fait aussi au chevet de la personne malade, à son domicile. Lors de la Journée des personnes âgées, il y a une quinzaine de jours, je suis allée offrir une rose à une dame isolée. « Je suis contente de vous voir, me dit-elle, car je ne vois jamais personne. » Elle voyait pourtant une aide-soignante trois fois par jour, un kinésithérapeute trois fois par semaine et son médecin tous les deux jours !

Il faut aussi un décloisonnement entre le sanitaire, le médico-social et le social. La frontière entre le sanitaire et le médico-social est une des questions cruciales de la prise en charge de la personne dépendante. À l’interface, il faut déployer des structures et des personnels de case manager. Je ne prise guère ce terme – une personne n’est pas un cas, mais avant tout une personne, une situation, le membre d’une famille. Mais il a le mérite d’être clair : les Anglo-Saxons ont su déployer à l’interface des deux systèmes ces métiers qui permettent d’assurer une fluidité entre eux. Il y a chez nous un travail considérable de décloisonnement à faire. J’ai mis en place les outils avec les ARS ; reste à s’en servir. Ce sera le travail de la décennie qui s’ouvre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie, madame la ministre. Nous aurons l’occasion de vous recevoir à nouveau d’ici la fin de la législature, notamment pour évoquer le travail à temps partiel.

La séance est levée à 17 heures.