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Mercredi 12 mai 2010

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 51

Présidence de M. Christian Jacob Président puis de Mme Françoise Branget

– Audition, ouverte à la presse, de M. James E. Hansen, membre de l’Académie des sciences des États-Unis, professeur au département Planète et Sciences de l’environnement de l’université de Columbia

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. James E. Hansen, membre de l’Académie des sciences des États-Unis, professeur au département Planète et Sciences de l’environnement de l’université de Columbia.

M. le président Christian Jacob. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir M. James H. Hansen, membre de l’Académie des sciences des États-Unis, professeur à l’Université de Columbia, directeur de l’Institut Goddard de la NASA.

Monsieur Hansen, vous êtes l’une des toutes premières personnalités ayant attiré l’attention du monde politique sur le risque du réchauffement climatique, l’élévation des températures et leur lien avec la consommation des énergies fossiles. Après les attaques formulées contre le GIEC et certaines remises en cause, il était intéressant de disposer d’autres éclairages sur la question, surtout de la part d’interlocuteurs que nous n’avons pas l’habitude de recevoir ici.

Je souhaiterais que vous nous présentiez votre bilan du sommet de Copenhague et les négociations climatiques de l’après-Copenhague, que vous nous donniez votre avis et la position du gouvernement américain sur la taxe carbone qui fait l’objet de débat en France et en Europe, et votre sentiment sur les critiques adressées au GIEC, lesquelles ont choqué beaucoup d’entre nous.

M. James Hansen. Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je précise que je suis ici à titre personnel, et non en tant que représentant du gouvernement américain. J’aborderai les trois points que vous avez soulevés, mais, auparavant, je ferai quelques commentaires d’ordre général.

Il y a toujours un écart important entre ce que la communauté scientifique comprend et ce que le grand public connaît en matière de réchauffement climatique. Cet écart s’est encore creusé au cours de l’année dernière, en raison de divers événements : un hiver très froid aux États-Unis et en Europe ; des erreurs de la part du GIEC, qui, bien que minimes, ont été très médiatisées ; enfin, la présence de controverses sur les courriels de l’Université d’East Anglia.

Une pression élevée en Arctique provoque des hivers froids dans les latitudes moyennes ; cet hiver, elle a été la plus élevée depuis les soixante dernières années. Quant à la température moyenne, elle a été cet hiver la deuxième plus élevée de ces 130 dernières années. Ce froid hivernal est un phénomène qui ne fait pas partie du changement climatique dans son ensemble et ne risque pas de se répéter. D’après les statistiques, sur les dix derniers hivers aux États-Unis, sept ont été plus chauds que d’habitude et huit ont été les plus chauds de l’histoire. S’agissant de l’été, les dix derniers étés en Europe et les huit derniers aux États -Unis ont été plus chauds que la moyenne historique. Ces phénomènes correspondent aux prévisions de ces dernières années, selon lesquelles la Terre se réchauffe. La tendance se confirme et risque de se poursuivre.

La principale erreur du GIEC tient dans une phrase de son dernier rapport, selon laquelle les glaciers himalayens devraient disparaître au cours des vingt-cinq prochaines années. Cela est faux. Toujours est-il que les glaciers fondent très rapidement partout dans le monde : dans les Montagnes rocheuses, les Andes, les Alpes, l’Himalaya. Or les glaciers nous fournissent en eau douce à la fin des saisons sèches. S’ils disparaissent, les rivières qu’ils alimentent risquent elles aussi de disparaître, ce qui ne manquera pas d’avoir un impact considérable sur des milliards de personnes.

Des courriels de l’Université d’East Anglia ont montré que des chercheurs rechignaient à faire état de certaines données. Néanmoins, sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire les changements des températures globales au cours des cent dernières années, les données scientifiques, tout comme les programmes informatiques utilisés pour analyser ces données, sont publics et disponibles pour tous.

Personne n’a su ou pu remettre en cause l’analyse globale : le réchauffement de la planète est réel, la température ayant augmenté de 0,8 degré au cours des dernières décennies.

La banquise de l’Arctique fond : à la fin de l’été, sa superficie avait diminué de 30 % par rapport à ce qui se passait précédemment. Il en est de même de la calotte glaciaire du Groenland et de celle de l’Antarctique, qui, depuis 2002, ont fait l’objet de mesures précises : la perte en masse de la première, qui était de 150 kilomètres cube par an, est désormais de 250 kilomètres cube ; la perte de la seconde est passée de 75 à 150 kilomètres cube par an.

L’élargissement des zones de climat sub-tropical est une autre des conséquences du réchauffement de la planète. En effet, un changement de la circulation de l’air est à l’origine de l’assèchement de ces zones, lesquelles se déplacent au fur et à mesure que la planète se réchauffe : elles ont bougé de 4 degrés de latitude. Cela a un impact direct sur la région méditerranéenne, sur le Sud et l’Ouest des États-Unis et sur l’Australie, où les périodes de sécheresse et par conséquent les feux de forêts sont devenus plus graves et plus fréquents.

Au fur et à mesure que les océans se réchauffent, ils deviennent de plus en plus acides car ils contiennent davantage de CO2. De ce fait, les récifs coralliens subissent un stress environnemental de plus en plus important.

Nous disposons de données de plus en plus précises attestant du déséquilibre énergétique de la planète. En observant les océans et en utilisant les 2 000 balises Argos déployées, nous constatons que ceux-ci se réchauffent : un demi-watt d’augmentation d’énergie par mètre carré.

Pour stabiliser le climat de la Terre, il nous faudra limiter les quantités de CO2 dans l’atmosphère à 350 parties par million – ppm. Peut-être faudra-t-il même faire mieux, si nous voulons stopper la fonte des glaciers et les autres phénomènes dangereux que je viens d’évoquer.

Ces phénomènes entraînent des conséquences inévitables pour notre politique énergétique, en particulier pour ce qui concerne notre utilisation des combustibles fossiles et nos émissions de CO2. Nous ne pouvons plus brûler tout notre charbon et continuer d’émettre dans l’atmosphère : il est impératif d’arrêter d’utiliser du charbon au cours des prochaines décennies. Il ne faut plus utiliser de combustibles fossiles non conventionnels comme les sables bitumineux. Enfin, il n’y a plus lieu de traquer la plus petite goutte de pétrole dans les eaux profondes des océans et dans les zones vierges comme l’Arctique et les Parcs nationaux.

Las, les gouvernements, de par le monde, préfèrent la « politique de l’autruche » et prétendent ne pas voir ou ne pas savoir ce qui se passe. On construit sans cesse des centrales au charbon, dont la durée de vie dépasse cinquante ans. On commence à exploiter des sources de combustibles fossiles non conventionnels comme les sables bitumineux. On tente d’exploiter les dernières gouttes de pétrole, en eaux profondes ou ailleurs. Tant que les combustibles fossiles resteront la source d’énergie la moins chère, les gouvernements continueront à vouloir les utiliser.

Je ne suis pas un politique et mon rôle n’est pas d’émettre des recommandations d’ordre politique. Je ne souhaite pas non plus intervenir dans le débat politique français. Toutefois, je tiens à dire que le monde a besoin de pays clamant la vérité.

Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes énergétiques et climatiques sans fixer un prix au carbone, c’est-à-dire sans instaurer une taxe sur les émissions de carbone. Les mécanismes de cap and trade, tels qu’ils ont été envisagés, ne fonctionneront pas ; nous en avons la preuve : la Chine et l’Inde n’accepteront jamais de plafonds car ces pays ne voient pas pourquoi ils le feraient alors que leurs émissions, rapportées à la taille de leur population respective, sont bien inférieures à celles des pays industrialisés. Nous aurons donc besoin d’augmenter régulièrement le prix du carbone et, selon moi, l’argent ainsi récolté devrait revenir au public.

En tant que scientifique, il me revient d’établir de façon objective le lien qui relie tous les maillons de la chaîne, en utilisant toutes les données à notre disposition. Il me revient également, en tant que père et en tant que grand-père, préoccupé par les jeunes et les générations à venir et par les autres espèces avec lesquelles nous partageons la planète, de prévenir que si nous restons sur le chemin emprunté actuellement, nous irons au-delà du supportable. On peut parler d’une « injustice intergénérationnelle » : du fait de l’inertie qui prévaut et de la lenteur de la réponse du système climatique, notre génération brûle l’essentiel des combustibles fossiles et en récolte les bénéfices, tandis que les générations à venir en supporteront le coût. Nous – c’est-à-dire la génération la plus âgée et nos gouvernements — ne pouvons prétendre ne pas comprendre la situation. Nous devons accepter la responsabilité qui est la nôtre.

M. Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Hansen, nous avons écouté vos propos avec une grande attention. Vous n’appartenez pas à la catégorie des climato-sceptiques  et vous nous avez indiqué que nous devions nous diriger vers une réduction des consommations d’énergies fossiles. Comment y parvenir ? Certains pensent à la mise en place d’un marché mondial du carbone, d’autres à l’instauration d’une taxation progressive afin que les utilisateurs, les industriels et les producteurs soient incités à modifier leurs comportements. D’autres encore pensent que si les technologies futures permettaient sans difficulté, et en toute sécurité, de stocker le carbone, nous pourrions continuer à utiliser les énergies fossiles. Cela dit, je ne pense pas que la science soit à même de tout régler ou que le marché du carbone puisse apporter des réponses totalement satisfaisantes. Peut-être faudra-t-il mettre en œuvre tout un ensemble de mesures.

Mes questions porteront sur le sommet de Copenhague. Pour vous, est-il un échec et comment relancer les négociations climatiques au niveau mondial et onusien ? On parle du sommet de Bonn, puis d’un autre à Cancun, mais nous nourrissons quelque inquiétude quant à la reprise d’un processus de négociations internationales.

M. Bertrand Pancher. Nous sommes des parlementaires français engagés dans les questions environnementales, et vos propos, monsieur Hansen, nous ont beaucoup intéressés. Nous avons suivi les négociations nationales, européennes, internationales, concernant la régulation environnementale ; or nous sommes frappés par la lenteur de ces régulations, que ce soit pour des raisons économiques ou pour des raisons culturelles. En Europe, on a l’habitude de se projeter dans l’avenir et d’entraîner nos pays à travers des modèles de société. Aux États-Unis, on fait beaucoup plus confiance au marché. Quoi qu’il en soit, nous devons poursuivre inlassablement nos efforts pour mettre au point une régulation économique, voire une régulation aux frontières.

Certains s’interrogent sur l’intérêt que pourrait représenter le captage du carbone, sachant qu’il s’agit encore d’une technologie en devenir. Peut-on parier sur un captage naturel beaucoup plus important du carbone, en gérant mieux nos forêts et nos politiques agricoles ? Cette meilleure gestion contribuerait-elle, selon vous, à atténuer le phénomène inéluctable que représente le réchauffement climatique ?

M. Yves Cochet. Monsieur le professeur, dans votre exposé initial, vous avez abordé des aspects scientifiques et climatologiques mais aussi, bien que vous vous en défendiez, quelques points de politique énergétique ou fiscale. Vous êtes plutôt défavorable au cap and trade, c’est-à-dire au marché du carbone comme il existe en Europe avec l’ETS, l’Emissions Trading Scheme – système fondé sur un échange de quotas de pollution carbonée – et favorable à une taxe carbone. En France et en Europe, il y a des partisans de l’un et de l’autre, voire des partisans des deux à la fois. Pour ma part, je considère que le prix du carbone sur le marché européen n’est pas suffisamment élevé pour avoir de l’influence sur les émissions des entreprises, et qu’une taxe carbone, dont il conviendrait de préciser les contours, serait sans doute plus efficace. En outre, cette taxe toucherait tout le monde, et pas seulement les entreprises les plus émettrices de CO2.

J’ai toujours eu l’impression, en allant dans les COP (Conferences of the Parties), que le monde climatique était en quelque sorte « hémiplégique ». On s’y intéresse à ce que l’on peut appeler l’aval du carbone, c’est-à-dire les émissions de carbone et les éventuels puits de carbone dans les océans, dans les forêts et dans l’atmosphère – ce dernier endroit étant le seul à ne pas être saturé –, mais on s’interroge rarement sur l’amont du carbone, sur sa source et sur la quantité qu’il peut y en avoir sous terre.

Je ne suis pas un négateur du changement climatique, comme on en a quelques- uns en France. Depuis maintenant trente-cinq ans, je pense en effet qu’il s’agit d’un phénomène important qui va bouleverser nos vies pendant ce XXIe siècle. Toutefois, je m’étonne de certains chiffres.

Le quatrième rapport du GIEC évoque une quarantaine de scénarios. Entre le plus extrême et le plus modéré, le volume des gaz à effet de serre va de quatre à un.

En examinant, non plus l’aval, mais l’amont du carbone, c’est-à-dire les quantités d’énergie fossile que l’on peut estimer dans le sous-sol, on se rend compte que, selon les organismes, les chiffres diffèrent. S’agissant de la quantité de pétrole et de gaz, c’est-à-dire d’hydrocarbures, le quatrième rapport du GIEC l’estime entre 11 000 et 14 000 milliards de barils équivalent pétrole, alors que le Conseil mondial de l’énergie, qui représente plutôt les producteurs, l’évalue à 2 600 voire à 2 800 milliards de barils équivalent pétrole. En ce qui concerne la quantité de charbon, le GIEC l’évalue, dans des scénarios allant jusqu’à l’an 2 100, à 18 000 milliards de barils équivalent pétrole, alors que d’autres groupes l’estiment à 1 600 ou 1 800 milliards de barils équivalent pétrole.

Pourquoi le GIEC et les climatologues qui étudient l’aval du carbone ne se réunissent-ils pas avec les pétroliers et les géologues pour étudier ensemble l’aval et l’amont du carbone, et tenter de se mettre d’accord sur les stocks de fossiles ?

Par ailleurs, le troisième rapport du GIEC, qui remonte à presque dix ans, concluait que les pays industrialisés – ceux de l’annexe 2 – devraient, d’ici à 2050, diviser par quatre leurs émissions de gaz à effet de serre – ce que nous appelons en France le « facteur 4 ». Mais le quatrième rapport du GIEC a indiqué en 2007 que ces mêmes pays devraient les diviser au moins par dix. Ainsi, grâce aux progrès de la science, on se rend compte que le nécessaire effort de réduction des émissions demandé aux pays industrialisés doit être bien plus considérable qu’on ne l’imaginait il y a dix ans. Les pays industrialisés doivent-ils en tirer des conséquences dans la mise en œuvre de leurs politiques énergétiques?

M. James Jansen. S’agissant du marché du carbone, le système de cap and trade  présente l’inconvénient d’être difficile à étendre au niveau mondial, puisque l’Inde et la Chine n’accepteront jamais de plafonnement. En revanche, ces pays ont toutes les raisons d’imposer un prix sur les émissions de carbone.

La Chine, par exemple, a énormément investi dans le nucléaire et elle est assez en avance dans le solaire et l’éolien. Pour disposer d’une énergie plus propre, la Chine a besoin que l’on impose un prix au carbone, sachant que cela lui permettra de réduire la pollution de ses eaux et de son environnement atmosphérique, lesquelles résultent des émissions de carbone. Si le combustible fossile reste le moins cher, il continuera d’être utilisé. Nombre d’indices laissent à penser que la Chine est prête à débattre de l’instauration d’une taxe carbone.

J’ai le sentiment que le système d’échange de droits, dont on parle beaucoup au sein du gouvernement américain, ne permettra pas d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de CO2 nécessaire pour stabiliser le climat.

Contrairement à la taxe carbone, qui présente l’avantage de la stabilité, le système d’échange de droits est, par essence, irrégulier. De plus, le prix actuellement pratiqué est trop bas pour avoir un impact réel sur le mode de vie. Toutefois, comme je l’ai dit dans mon introduction, pour que le public accepte une augmentation du prix du carbone, il faudra réinjecter tout ou l’essentiel des sommes recueillies. Il revient à ceux qui réduiront leur empreinte carbone de bénéficier du dispositif, en vue d’adapter leur mode de vie, par exemple en investissant dans des véhicules ou des maisons propres.

D’un point de vue théorique et sur la base des éléments empiriques dont nous disposons, le système de Kyoto est un système de plafonnement. Mais si vous instituez un plafond d’un côté et que, de l’autre, les combustibles fossiles restent moins chers, ils continueront d’être utilisés. De plus, le système ne peut réussir que si l’on institue un plafond mondial ; or c’est impossible.

En revanche, si l’Europe, les États-Unis et la Chine se mettaient d’accord sur le prix du carbone, un mécanisme mondial pourrait se mettre en place. Il serait alors possible de soumettre à des taxes à l’importation les produits fabriqués dans les pays dont la fiscalité serait dépourvue de taxe carbone, sachant que les règles de l’Organisation mondiale du commerce permettent déjà, sous certaines conditions, de procéder à ce type d’ajustement. Grâce à de telles taxes, les prix des produits en provenance de ces pays seraient équivalents à ceux des mêmes produits fabriqués aux États-Unis, en Europe ou en Chine. Je pense que la plupart des pays seraient d’accord avec la mise en œuvre d’un tel dispositif.

Avec une taxe carbone qui augmente, les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire peuvent entrer en concurrence, de même que les technologies de capture et de stockage de carbone qui, à mon avis, n’ont pas un grand avenir. Par définition, la capture de CO2 nécessite une quantité substantielle d’énergie. Le prix de l’énergie électrique produite à base de charbon augmentera s’il faut capturer le carbone. S’ajouteront en outre les prix du transport et de stockage. Il restera aussi les autres problèmes liés aux mines. Nous devons plutôt aller vers d’autres sources d’énergie que le charbon si le prix des émissions de carbone augmente. Le charbon « propre » est, à mes yeux, un mirage. Néanmoins, on peut tout à fait le mettre en concurrence avec les autres systèmes. Le marché tranchera.

En ce qui concerne le sommet de Copenhague, ce n’est finalement pas plus mal qu’il n’y ait pas eu d’accord car la discussion portait sur un système d’échange de droits, de cap and trade, tout comme à Kyoto. Même si un accord avait été conclu, il aurait encore fallu dix ou quinze ans pour qu’il trouve à s’appliquer. De toute façon, certains pays ne l’auraient jamais accepté, comme l’Inde ou la Chine. Il vaut donc mieux prendre le temps de la réflexion pour envisager ce qui marche vraiment pour réduire les émissions au rythme nécessaire.

Les scientifiques peuvent aider à la fixation des objectifs et des échéances. Selon les évaluations, les gisements de charbon, de pétrole et de gaz contiennent des quantités considérables de carbone, de même que les combustibles fossiles non conventionnels. Leur combustion aurait des conséquences dramatiques, notamment la disparition de la glace, synonyme d’une élévation du niveau des eaux. Des incertitudes entourent le montant des réserves mais les conséquences de leur exploitation sont connues.

Le stockage naturel du CO2, c'est-à-dire dans les sols et la biosphère, participera à la solution globale. On peut s’appuyer sur deux chiffres fiables en ce qui concerne le cycle de carbone : les émissions de CO2 et l’augmentation des quantités contenues dans l’atmosphère. Or leur augmentation ne correspond qu’à 55 % des émissions de combustible fossile. Autrement dit, 45 % sont absorbés par les milieux naturels : les océans pour 25 %, et la biosphère – les forêts ou les sols – pour les 20 % restants. Les mécanismes ne sont pas très bien connus, mais les résultats sont encourageants. Si on arrive à réduire les émissions de carbone, le niveau de carbone dans l’atmosphère pourra tomber en dessous de 389 ppm, niveau actuel auquel on ne peut pas rester sans que la banquise disparaisse. Il s’agit d’un point de non-retour. Le changement climatique pèse sur des espèces naturelles déjà menacées par la disparition de leur habitat. Toutefois, il ne faut pas compter sur l’environnement naturel pour absorber tout le CO2 qui résulterait de la combustion des réserves d’énergies fossiles. Et c’est précisément pour cette raison qu’il ne faut pas les exploiter jusqu’à épuisement.

Vous m’avez interrogé sur le système d’échange de droits à polluer européen, l’Emissions Trading Scheme – l’ETS –, qui fait ressortir un prix peu élevé, et, corrélativement, sur la plus grande efficacité d’une éventuelle taxe. Je partage entièrement cet avis.

Si les évaluations des réserves de combustibles fossiles font apparaître des écarts très importants, c’est que la quantité restante dépend du prix. Si nous continuons à consommer les combustibles fossiles auxquels on accède facilement et si nous ne changeons pas le système énergétique, l’accroissement des prix poussera à trouver de nouvelles sources d’énergie. Ainsi, aux États-Unis, on obtient du gaz naturel par fracture de certains sédiments rocheux. Des recherches sont menées pour forer encore plus profond, dans des conditions extrêmes, et traquer le pétrole jusqu’à sa dernière goutte. À mon sens, c’est une impasse ! Les estimations divergent parce qu’elles reposent sur des approches économiques différentes, en fonction de la rentabilité de telle ou telle technique, et de l’évolution supposée des prix. On peut toujours trouver une technique pour produire toujours plus de charbon, quitte à détruire des montagnes entières, mais avec l’assurance que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants un climat complètement déréglé.

Pourquoi ne pas réunir les pétroliers et les climatologues pour qu’ils s’entendent sur les réserves ? De toute façon, il en reste largement assez pour détruire entièrement le climat actuel et nous ramener à l’ère holocène où la glace avait disparu de la surface de la Terre !

M. Christophe Caresche. Je retiens de votre réponse que, selon vous, les négociations sur le climat ont fait fausse route en se focalisant sur la question du contingentement des émissions, au lieu de chercher à réduire les émissions en donnant un prix au carbone. Est-ce à dire que les négociations en cours se réorientent dans le sens d’une taxation du carbone aux frontières et de la fixation d’un cours mondial du carbone ?

Autre question, plus provocatrice : que pensez-vous du nucléaire que vous avez cité parmi les énergies « propres », malgré les difficultés à traiter les déchets ? Considérez-vous l’atome comme une énergie soutenable ?

M. Philippe Plisson. Je fais partie de ceux qui partagent vos convictions, mais les climato-sceptiques sont encore nombreux. Peut-on encore sérieusement discuter la réalité du réchauffement ? Aux États-Unis, qui sont l’un des plus mauvais élèves de la classe mondiale, la prise de conscience permettra-t-elle une évolution rapide des modes de consommation ? Compte tenu de l’ampleur du problème, des mesures ponctuelles suffiront-elles ou faut-il révolutionner notre mode de développement ?

M. Philippe Tourtelier. Selon la logique de Kyoto et du GIEC, il convient de fixer un plafond de température, en déduire une concentration de CO2 et des plafonnements. C’est ce qui a conduit au développement des marchés de droits, faute d’avoir pu instaurer une taxe. On en revient toujours à la volonté politique.

Sur un plan théorique, je partage votre avis, la taxe carbone serait une meilleure solution. Mais est-elle réaliste après ce qu’on a vu à Copenhague ? L’échec de cette conférence tient-il au mécanisme lui-même ou à un manque de volonté politique ? En attendant, est-il préférable de conserver, faute de mieux, cet embryon de régulation de régulation que sont les marchés cap and trade ou compromettent-ils l’avènement de la taxe carbone ?

Pourquoi la Chine et l’Inde accepteraient-elles plus facilement une taxe mondiale qu’un plafond mondial ? En quoi y gagneraient-elles ? La pollution en Chine est-elle suffisante pour la dissuader d’utiliser son charbon ? Sinon, mieux vaut continuer à travailler le stockage du carbone, pour limiter les dégâts.

Enfin, quel est selon vous l’avenir du transport aérien dans ces conditions ?

M. Philippe Martin. La Commission du développement durable a créé une mission d’information que j’ai l’honneur de présider sur les marchés de quotas de CO2. Les nombreux acteurs de ce marché que nous avons auditionnés nous ont tous dit, à l’exception de l’opposant farouche qu’est M. Michel Rocard, que, telle la démocratie, ce mécanisme d’échange de droits était le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Il permet de fixer des objectifs, y compris de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et, malgré ses défauts – volatilité des prix, manque de lisibilité à long terme, risque de spéculation et même de fraude –, il reste un outil utile. Qu’en pensez-vous ?

(Mme Françoise Branget remplace le président Christian Jacob à la présidence de la séance.)

M. James Hansen. Au plan international, il n’y a pas d’évolution en faveur d’une taxe carbone. Comme je l’ai dit, nous avons besoin de pays qui se lèvent pour dire haut et fort ce qu’il en est réellement. Toutes les expériences montrent que les contingentements sont inefficaces. Avant le protocole de Kyoto, les émissions augmentaient globalement de 1,5 % par an ; après, de 3 %. Le mécanisme n’a pas d’impact sur les émissions mondiales. On a beau imposer un plafond quelque part, tant que les énergies fossiles seront moins chères ailleurs, elles seront utilisées. La plupart des économistes reconnaissent cependant qu’une taxe serait beaucoup plus efficace.

Pourquoi la Chine l’accepterait-elle ? Pour de très bonnes raisons. D’ailleurs, elle s’y prépare : elle investit massivement dans les énergies renouvelables et dans l’énergie nucléaire, afin d’être en mesure, en cas d’augmentation du prix du carbone, d’utiliser des énergies propres et même d’exporter des technologies propres. La pollution atmosphérique et aquatique est considérable, et suscite dans le public des réactions hostiles que les dirigeants politiques chinois ont du mal à endiguer. L’impact du réchauffement climatique sera sensible dans ce pays où 300 millions de personnes vivent dans des zones qui risquent d’être englouties. Je crois raisonnablement à un accord entre la Chine, les États-Unis et l’Europe. J’ignore quand les gouvernements en prendront conscience mais je pense que c’est inévitable. La Chine se prépare pour être en bonne position dans les négociations.

La façon dont la question de l’énergie nucléaire a été traitée au plan international est vraiment regrettable. Pour produire de l’électricité, il y a pour le moment deux grandes options : les combustibles fossiles et le nucléaire. L’efficacité énergétique devrait être en tête de la liste, puis viendraient le caractère renouvelable des énergies. Mais ces deux paramètres ne suffiront pas. Il est avéré que, même en subventionnant largement les énergies renouvelables, comme en Allemagne et en Espagne, elles ne produisent qu’une faible part de l’électricité consommée, malgré un prix élevé.

Si vous m’aviez interrogé il y a une dizaine d’années sur le problème des déchets nucléaires, j’aurais été gêné pour vous répondre. Aujourd’hui, je pense que le problème peut être résolu. Des technologies prometteuses sont apparues avec les centrales nucléaires de quatrième génération, et les réacteurs rapides qui permettent aux neutrons de tourner à une vitesse suffisante pour brûler l’essentiel des déchets. Avec les réacteurs à eau légère, les déchets produits conservent un volume important et une durée de vie très longue, mais, avec les réacteurs de la génération suivante, il est envisageable de brûler plus de 90 % du combustible et l’essentiel des déchets. Il existe donc des marges d’amélioration, notamment en trouvant la source d’énergie dans les océans, comme l’ont fait les Japonais. Cela tend à prouver que la ressource nucléaire est quasi inépuisable, à l’instar des énergies renouvelables.

Il est essentiel de comparer les avantages respectifs des différentes sources d’énergie. Or le charbon a fait beaucoup plus de victimes que l’énergie nucléaire. C’est à chaque pays de décider, mais, à mon avis, il est nécessaire que l’Inde et la Chine réduisent leur consommation de charbon en lui substituant du nucléaire. La Chine construit de nouvelles centrales nucléaires et l’Inde prévoit qu’en 2050, l’essentiel de sa consommation d’énergie sera d’origine nucléaire. Le nucléaire constituera donc dans l’avenir un facteur de l’énergie propre.

Ce que l’on peut appeler l’ignorance du grand public aux États-Unis justifie-t-elle une campagne sur le changement climatique ? Nous ne pourrons pas changer de politique sans que les populations en aient compris la raison. À cet égard, je suis extrêmement déçu du manque d’information claire délivrée au plus haut niveau. Ceux qui préfèrent que rien ne change ont réussi à semer le doute dans l’esprit du public. Mais le problème pourrait être surmonté si, par exemple, le Président des Etats-Unis demandait à l’Académie des sciences de publier un rapport sur l’état des lieux.

Il n’y a aucun doute possible : nous voyons que le climat évolue et nous savons qu’il dépendra à l’avenir des émissions humaines. Il est temps d’ouvrir le débat public et je suis déçu que l’académie fondée par Abraham Lincoln ne contribue pas à informer le public américain. Nous pouvons et nous devons faire mieux.

Quelle est la hausse de température acceptable ? Nous avons réalisé ces dernières années, grâce à une meilleure connaissance de l’histoire du climat et de la composition de l’atmosphère, qu’une hausse de la température de deux ou trois degrés Celsius – hausse qu’il y a dix ans encore, nous pensions possible sans conséquence dramatique – entraînerait une élévation catastrophique du niveau de la mer. Il est certain que cela se produira, même si l’on ne sait pas quand. Le niveau acceptable d’émissions de carbone doit se situer bien en dessous de 350 ppm pour stabiliser le climat à long terme.

Quant à l’intérêt de maintenir un système cap and trade, par réalisme, je n’y crois pas eu égard à son incapacité d’atteindre le niveau requis de réduction des émissions. Encore une fois, l’expérience a montré qu’il n’a pas contribué à réduire les émissions. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que le système d’échange soit maintenu, mais il faut fixer un mécanisme de prix du carbone à l’échelle mondiale, afin de parvenir à réduire les émissions dans des proportions appropriées.

À l’heure actuelle, l’aviation ne représente que quelques pour cent des émissions de carbone. Sa part augmente plus vite que les autres sources, mais il n’y a pas, pour le moment, de carburant alternatif au pétrole. Les avions pourraient sans doute utiliser des biocarburants, même s’ils ne sont pas très pratiques pour les voitures au quotidien.

Mme Françoise Branget, présidente. Il ne me reste plus, monsieur le professeur, qu’à vous remercier de nous avoir fait l’honneur et l’amitié de participer à cette réunion de notre commission.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 12 mai 2010 à 9 h 30

Présents. - M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Jean-Claude Bouchet, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, M. Yves Cochet, Mme Claude Darciaux, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, M. Jean-Claude Fruteau, M. François Grosdidier, M. Jacques Houssin, M. Christian Jacob, M. Armand Jung, M. Jacques Kossowski, M. Pierre Lang, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Nay, M. Gérard Lorgeoux, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Philippe Martin, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Luc Pérat, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Françoise de Salvador, M. Jean-Marie Sermier, M. Philippe Tourtelier, M. André Vézinhet

Excusés. - M. Jérôme Bignon, M. Philippe Duron, M. Joël Giraud, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Martial Saddier

Assistait également à la réunion. - Mme Martine Lignières-Cassou