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Jeudi 23 juillet 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 6

Présidence de
M. Patrick Ollier Président de la commission des affaires économiques et de M. Michel Diefenbacher Secrétaire de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

– Réunion commune avec la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Examen du rapport d’information de la mission d’information commune sur le prix des carburants dans les départements d’outre-mer (MM. Jérôme Cahuzac et Jacques Le Guen, rapporteurs)

Commission
des affaires économiques

La commission des affaires économiques a examiné, conjointement avec la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, le rapport d’information de la mission d’information commune sur le prix des carburants dans les départements d’outre-mer (DOM) (MM. Jérôme Cahuzac et Jacques Le Guen, rapporteurs).

M. le président Patrick Ollier. La commission des finances et la commission des affaires économiques ont décidé conjointement de se réunir aujourd’hui pour se prononcer sur la publication du rapport de leur mission d’information commune sur le prix des carburants dans les DOM. Le choix de cette date vise à respecter l’engagement pris au début des travaux de cette mission, que soient formulées avant la fin de la session, des propositions susceptibles de remédier à un problème dont les conséquences économiques et sociales ont été particulièrement graves dans l’ensemble des départements d’outre-mer. Ces propositions sont attendues par le Gouvernement qui doit prendre plusieurs décisions d’ici la fin de l’été.

C’est à La Réunion que ce problème a donné lieu aux premiers mouvements revendicatifs, en septembre 2008 ; ils se sont ensuite étendus à l’ensemble des DOM à la fin de 2008 et au début de 2009. Ces mouvements ont trouvé leur origine dans les répercussions très tardives sur les prix des carburants à la pompe de l’effondrement des cours mondiaux du pétrole après la flambée du début de l’année 2008.

Au début de cette année, j’ai décidé de répondre favorablement aux demandes de Mme Christiane Taubira et de M. Alfred Almont tendant à créer une mission d’information de la commission des affaires économiques sur cette question. C’est bien volontiers que j’ai accepté la demande de Mme Taubira que cette mission d’information soit commune avec la commission des finances.

Dans des délais relativement brefs, cette mission a accompli un travail important comportant en particulier une soixantaine d’auditions dont la majorité a eu lieu dans les départements concernés. Ce travail débouche sur des propositions qui vont être présentées par les deux co-rapporteurs et qui revêtent un caractère définitif. Nos deux commissions se prononceront aujourd’hui sur l’autorisation de publier le rapport d’information qui présentera ces propositions de manière détaillée. Je précise toutefois que cette publication, si elle est autorisée, n’interviendra qu’au cours de la première quinzaine du mois de septembre. Pour répondre à une préoccupation exprimée par Mme Christiane Taubira dans un courrier qu’elle vient de m’adresser, j’indique enfin que si des membres de la mission d’information souhaitent présenter des contributions, celles-ci seront bien entendu annexées à ce rapport.

M.  Michel Diefenbacher, président. Comme vient de le rappeler le président Patrick Ollier, les récents mouvements sociaux liés au problème du prix des carburants dans les DOM trouvent leur origine dans une flambée du cours du pétrole sur le Brent puis dans le retard de la répercussion de l’effondrement de ce cours sur le prix de l’essence à la pompe.

Le problème du prix des carburants revêt une particulière acuité dans l’ensemble de ces départements même si les mouvements sociaux auxquels on vient d’assister n’ont pas tous eu la même ampleur qu’en Guadeloupe. Cette sensibilité spécifique tient à l’infériorité du niveau de vie des habitants de ces départements par rapport à ceux de la métropole, avec pour conséquence des dépenses de carburant y représentant une part plus importante du budget des ménages.

Le système qui prévaut pour la fixation du prix des carburants est celui du contrôle administratif qui devrait théoriquement permettre une maîtrise de la situation. Or ce n’est pas le cas comme le montre en particulier le récent rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’administration et du Conseil général des Mines. Ce rapport fait notamment ressortir, sur une longue période, un coût plus élevé des carburants dans les départements d’outre-mer qu’en métropole alors que la fiscalité qui les frappe y est moins lourde. Tout en indiquant que cette situation s’explique en partie par des contraintes structurelles telles que l’étroitesse des marchés, le même rapport met en évidence d’autres motifs notamment liés à l’organisation défectueuse du système de distribution.

Sur le plan des principes, on peut y voir la preuve des défaillances de la réglementation administrative par rapport au jeu de la libre concurrence. Pour autant, il paraît difficilement envisageable que celle-ci soit mise en œuvre du jour au lendemain et il paraît préférable, au moins dans l’immédiat, de maintenir le système actuel de réglementation en lui apportant de sensibles améliorations.

J’indique enfin que je donne mon assentiment à la procédure de publication du rapport d’information proposée par le président Patrick Ollier.

M. le président Patrick Ollier. Je donne maintenant la parole à MM. Le Guen et Cahuzac, leur laissant le soin d’organiser la présentation de leurs propositions.

M. Jacques Le Guen, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. Je rappelle qu’à la suite des événements survenus à l’automne et en hiver derniers, vous avez, Monsieur le Président Ollier, en réponse à la demande de plusieurs députés ultramarins, pris l’initiative de la création de la mission d’information sur les prix des carburants dans les départements d’outre-mer en y associant les deux commissions des affaires économiques et des finances.

Il paraissait indispensable que le Parlement tente de cerner non seulement les mécanismes de formation des prix, mais aussi les causes plus profondes qui font l’originalité de la chaîne du pétrole dans les DOM, en raison notamment des particularismes locaux.

Alors que le Gouvernement chargeait en décembre un groupe de hauts fonctionnaires appartenant à l’inspection des finances, à l’inspection générale de l’administration et au conseil général des Mines d’une mission d’expertise et commandait à l’Autorité de la concurrence un avis sur les pratiques concurrentielles dans ce secteur particulier, il nous appartenait de jeter sur cette délicate question un regard moins administratif, mais tout à la fois plus prospectif et plus politique.

Malgré l’urgence de la situation, il est apparu judicieux aux rapporteurs, en accord avec le président Patrick Ollier, de prendre le temps de la réflexion, de travailler sur le long terme et de tenter de faire coïncider la publication des propositions en cohérence avec l’avancement des travaux des états généraux sur l’outre-mer, de façon à compléter leur information et à éclairer les décisions politiques à venir.

Notre rapport s’articule autour de quatre parties principales :

– la première décrivant les spécificités des marchés des carburants dans les DOM,

– la deuxième, plus analytique, s’efforçant de mettre à jour les dysfonctionnements des marchés des carburants,

– la troisième traitant les particularités propres à chaque département ; partie dans laquelle sont abordés les cas de la Société réunionnaise des produits pétroliers (SRPP) à La Réunion et de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) en Martinique,

– enfin une quatrième partie qui recense et argumente les propositions de la mission.

Il nous est apparu nécessaire de rappeler en tout premier lieu que les marchés ultramarins sont des marchés de petite taille, mais où depuis peu, notamment pour la Guyane, s’appliquent les spécifications réglementaires prévues par les normes européennes en matière de carburants ; normes particulièrement contraignantes au regard de leur composition, de manière à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à lutter ainsi contre le réchauffement climatique de la planète.

Autre caractéristique commune aux quatre départements : l’absence de concurrence réelle conférant au système de distribution de détail un rôle social particulier ; il n’est pas rare que les stations-service, qui assurent un véritable service à la pompe, emploient, de ce fait, une dizaine voire plus de salariés.

L’éloignement, les normes à respecter pour les carburants et le mode d’approvisionnement par voie maritime expliquent notamment que les prix des carburants soient fixés administrativement. Ce sont en effet des arrêtés préfectoraux qui fixent un prix maximum des carburants sur lequel s’alignent immanquablement les distributeurs de détail.

Les variations brutales des prix du baril, notamment la baisse enregistrée l’année dernière, ont révélé les dysfonctionnements des marchés pétroliers ultramarins. En effet, le système de fixation des prix lié aux approvisionnements ne répercute qu’avec retard les fluctuations des cours du brut.

Face à une crise sociale dont le prix des carburants a été le catalyseur et qui s’est propagée d’un département à un autre (La Réunion dès septembre 2008, puis la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique) les préfets ont procédé à une baisse unilatérale des prix des carburants, retenant d’ailleurs un prix proche de celui du prix moyen en métropole, sans que celui-ci réponde à la moindre logique économique.

Une étude approfondie des deux entreprises ultramarines, la SRPP pour La Réunion et la SARA pour les départements français d’Amérique, fait apparaître une organisation complexe de structures d’entreprise intégrées, dans lesquelles les compagnies pétrolières occupent une position dominante, dans une certaine opacité. La décomposition de la chaîne pétrolière met en évidence des relations complexes où les filiales des compagnies pétrolières se cèdent les unes aux autres les produits exploités, puis transportés, puis raffinés pour enfin qu’une nouvelle filiale veille à sa distribution dans un réseau de stations-service à son enseigne données en location gérance selon des contrats aux clauses parfois sibyllines.

À la suite des déplacements réalisés par la mission d’information, il est apparu que chaque département avait ses spécificités propres.

À La Réunion, la SRPP importe de Singapour des produits raffinés qu’elle stocke pour le compte de ses actionnaires, qui sont également les grossistes distributeurs. Un examen des comptes de la société fait clairement apparaître que les bénéfices tirés de cette activité de stockage sont très élevés ; les marges des grossistes et des distributeurs de détail apparaissant elles aussi confortables. Enfin, il faut souligner que le coût du transport, du fait de la taille réduite des navires, dimensionnés aux accès du port, est relativement élevé. Toutefois, des travaux d’aménagement du quai ont été entrepris afin d’accroître le tonnage des approvisionnements sans que la SRPP ait réalisé les travaux nécessaires à sa mise en service.

Les trois départements français d’Amérique (DFA) partagent un même problème, celui de ne pas respecter les obligations découlant de la réglementation européenne sur les volumes des stocks stratégiques pétroliers, les capacités de stockage étant insuffisantes. Cette situation est d’autant plus préoccupante que cette réglementation va être prochainement rendue plus rigoureuse.

En Martinique, la SARA, qui a été créée à l’initiative du général de Gaulle en 1969 afin de garantir l’approvisionnement des Antilles, constitue le pivot de la chaîne du pétrole. Comme pour la SRPP, ses actionnaires sont également les compagnies pétrolières qui organisent la distribution de gros et de détail dans leurs réseaux de stations-service. Rien d’étonnant donc que cette société ait focalisé les critiques et les accusations de « profitation » lors des événements qui ont paralysé les départements français d’Amérique. Il faut bien reconnaître que, s’agissant de ses activités, notamment l’importation de produits raffinés, la SARA n’a pas été d’une transparence totale, alimentant ainsi les rumeurs à son encontre.

La Guadeloupe, comme la Guyane, est approvisionnée en produits raffinés par la SARA. Contrairement à la Martinique, des distributeurs indépendants tentent de s’implanter sans pour autant disposer de capacités de stockage, l’ensemble des réservoirs implantés en Guadeloupe appartenant à la SARA, et le développement de nouvelles capacités se heurte à des difficultés liées à l’insularité. Comme pour la Martinique, le réseau de stations-service présente une forte densité, à tel point que le secrétaire d’État à l’outre-mer a signé un protocole d’accord avec les gérants visant à geler temporairement l’ouverture de toute nouvelle station-service. Par ailleurs, les salariés des stations-service bénéficient d’une convention collective départementale particulièrement favorable. Enfin, il convient de souligner qu’en application du protocole d’accord signé le 4 mars dernier entre le préfet, les élus territoriaux et les associations de consommateurs dont le LKP, l’État s’engage à mettre en place un nouveau dispositif de gestion des carburants assurant plus de transparence et tenant compte de la problématique des emplois dans les stations-service. De même, il entend suspendre dans la structure des prix des carburants la taxe sur les huiles usagées et « dans l’hypothèse où la mission d’inspection aura mis à jour la perception de sommes indues par l’un ou l’autre des acteurs de la filière pétrolière, ces sommes, susceptibles in fine d’être reversées par ce ou ces acteurs, serviront à alimenter un fonds de formation professionnelle par la Région ».

Ce n’est que récemment, en 2007, à la suite d’une action en justice des concessionnaires automobiles, que les distributeurs guyanais qui s’approvisionnaient précédemment à Trinidad et Tobago sont tenus de livrer des carburants aux normes européennes plus onéreux et donc de s’approvisionner auprès de la SARA. Autre élément intervenant dans la cherté des prix des carburants, le poids d’une fiscalité (la taxe spéciale sur les carburants) au taux maximum. Il faut toutefois convenir que les besoins en investissements publics sont considérables, en particulier en matière d’infrastructures routières. La SARA n’assure en Guyane qu’une prestation de stockage dont elle a le monopole et qui est largement bénéficiaire.

La mission d’information a pu constater combien l’incompréhension d’un système de fixation des prix, au demeurant complexe, était à l’origine du malaise exprimé tant par les élus et les acteurs économiques que par les consommateurs. Il lui est alors apparu que les mesures prioritaires à mettre en œuvre consistaient à établir les conditions d’une transparence totale sur le régime des prix administrés afin de lever à l’avenir toute forme d’ambiguïté. C’est dans cet esprit que la mission propose 21 mesures que mon collègue Jérôme Cahuzac et moi-même allons détailler.

La première proposition tend à créer un comité de suivi des prix des carburants permettant de consulter l’ensemble des parties prenantes, préalablement à la publication de l’arrêté de fixation des prix des carburants. En effet, il importe de mettre en place, dans chaque département une structure, associant toutes les parties prenantes : représentants des consommateurs, représentants de l’État et des collectivités territoriales (régions et départements), et représentants des acteurs de la chaîne du carburant (compagnies pétrolières, gérants de stations-service, transporteurs). Il convient en effet de disposer d’une instance multipartite, indépendante du préfet (contrairement aux observatoires des prix), dédiée spécialement à la question cruciale des prix des carburants, dont les membres auront pour mission de lever l’opacité actuelle et de créer les conditions d’une transparence totale sur l’ensemble des procédures de fixation des prix. Ce comité de suivi donnera son avis préalablement à toute décision (nationale ou locale) touchant à la formation des prix des carburants, excepté la fiscalité qui restera de la responsabilité des collectivités territoriales. Ses avis seront rendus publics et annexés aux arrêtés préfectoraux de fixation des prix. Sa présidence sera confiée à une personne dont l’indépendance ne saurait être mise en doute, par exemple un membre de l’Autorité de la concurrence, appelé à présider les quatre comités de suivi.

La deuxième proposition a pour objet d’imposer aux stations-service l’affichage visible des prix administrés, avec la précision du «prix maximum ». Le prix des carburants n’est pas affiché dans les DOM. Le consommateur ignore donc qu’il acquitte systématiquement le prix maximum autorisé. Rendre cet affichage obligatoire ainsi que celui du prix maximum autorisé pourrait se révéler susceptible de faire jouer un minimum de concurrence. Des différences de quelques centimes entre distributeurs concurrents ne devraient pas mettre en péril le modèle social protecteur que constitue le mode de commercialisation des carburants.

La troisième proposition vise à recenser les cuves privées et à soumettre leur installation, à partir d’une certaine capacité, à une autorisation administrative. Le stockage de produits pétroliers dans des « cuves privées » constitue actuellement dans les DOM une solution adoptée par les particuliers et les entreprises, largement facilitée non seulement par les grossistes indépendants, mais également par les compagnies pétrolières. Le développement rapide de cette forme de stockage est mal perçu par les distributeurs de détail qui y voient une forme de concurrence déloyale. Cette forme de stockage est d’ores et déjà réglementée et le stockage dans des cuves particulières doit répondre à des spécifications précises. Si les citernes particulières d’un volume inférieur à 1 500 litres ne font pas l’objet de règles précises, tout stockage supérieur à ce volume doit obligatoirement répondre, en raison de sa dangerosité, à des normes de sécurité particulières et faire l’objet d’une déclaration en préfecture. Or, d’après les informations recueillies, il semblerait qu’il n’existe, dans les DOM, aucun recensement officiel du nombre et de l’emplacement de ce type de stockage. Compte tenu des risques élevés, il apparaît souhaitable que toute installation de cuve supérieure à 1 500 litres soit à l’avenir soumise à une autorisation préalable délivrée après vérification de la prise en compte dans ses conditions d’installation, des risques sismiques et climatiques.

La quatrième proposition tend à obliger les compagnies pétrolières à transmettre aux directions régionales de la concurrence et de la répression des fraudes, les contrats signés avec les détaillants, permettant ainsi à l’administration de vérifier qu’ils ne comportent pas de clauses abusives. La mission a pu avoir accès à plusieurs contrats de location-gérance liant les gérants de stations-service aux compagnies pétrolières propriétaires. Ceux-ci présentent un diverses clauses dont la portée est particulièrement contraignante pour les locataires-gérants. Les compagnies ont, en effet, une forte propension à transférer aux gérants, une part importante des charges de maintenance des installations. Par ailleurs, les tournures juridiquement sibyllines de certaines clauses des contrats pourraient laisser entendre que le montant du loyer réclamé tiendrait compte d’activités annexes (boutique notamment) non liées directement à la distribution de carburants. Il apparaît donc important que les contrats et leurs éventuels avenants, soient transmis aux directions régionales de la concurrence et de la répression des fraudes afin de s’assurer qu’ils ne comportent pas de clauses exorbitantes.

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Les travaux de la mission d’information se sont déroulés dans un laps de temps très réduit et ont été fort denses. De fait, sa création remonte au 18 février dernier, après les violents mouvements qui ont agité les DOM. Je rappelle que notre collègue Christiane Taubira avait demandé cette création dès le 5 décembre 2008. Si elle avait été entendue à l’époque, nous n’aurions pas été conduits à travailler dans des conditions aussi difficiles.

Sur le fond, on constate que les responsabilités sont diluées entre tous les acteurs : tous se déclarent irresponsables, ce qui n’empêche pas la concentration des profits.

La cinquième proposition consiste à maintenir dans les DOM, un système d’administration des prix des carburants et du gaz par le préfet. Il s’agit, je le reconnais, d’un système de prix administré et, sur ce point, mon avis diverge de celui du président Michel Diefenbacher. Cependant, je rappelle qu’une amende de quarante millions d’euros a été infligée par la justice à des compagnies qui s’étaient livrées à des ententes sur les tarifs, cela démontre à l’envi la nécessité d’une maîtrise du système.

La sixième proposition vise à simplifier la formule de prix afin d’en éliminer les composants contestables, obsolètes ou redondants, par exemple la prise en compte du « coulage » lors du transport en mer. Ce critère est d’autant moins pertinent que ce coulage survient, en fait, lors du transbordement au port.

La septième proposition consiste à lier le prix à la pompe des carburants à l’évolution (à la hausse et à la baisse) du brut. À cet égard, je rappelle que le facteur déclenchant des mouvements de mécontentement a été le fait que les prix ont continué d’augmenter à la pompe au moment même où celui du brut était à la baisse. Ce retard à la baisse a pour corollaire un retard à la hausse notamment dû à une instruction du ministre de l’intérieur de l’époque. Il faut donc vérifier le tarif à chaque livraison, il s’agit là d’un indispensable élément de transparence.

M. Jacques Le Guen, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. La huitième proposition consiste à engager une réflexion sur une éventuelle mutualisation des coûts du fret entre Antilles et Guyane. Le transport entre les deux départements antillais, très proches, fait déjà l’objet d’une mutualisation. Les consommateurs, la chambre de commerce et d’industrie et les élus guyanais, partant du principe que l’approvisionnement en carburants auprès de la SARA leur a été imposé et que l’essentiel de l’activité de raffinage profite principalement au développement économique de la Martinique, considèrent qu’il y a lieu de mutualiser sur l’ensemble des trois DFA le surcoût lié au transport, au titre de la solidarité entre les trois départements. Les populations antillaises voient dans cette solution une augmentation plus que probable du coût des carburants. En raisonnant par homothétie avec la situation en métropole, où les prix varient en fonction du coût du transport, il n’y aurait pas lieu de donner suite aux demandes formulées par la Guyane. Par ailleurs, toute modification de la structure des prix des carburants ne manquera pas d’avoir un impact réel sur les ressources financières des collectivités territoriales, leurs recettes fiscales étant étroitement liée aux prix de gros des produits pétroliers. Or certaines de ces collectivités doivent faire face à de lourds investissements liés à la réalisation d’infrastructures éducatives, sociales et économiques. Une telle mutualisation entraînerait un surcoût de l’ordre du centime d’euro dans les départements antillais, sans que cette estimation n’ait fait l’objet d’une étude sérieuse. Avant de s’engager éventuellement sur cette voie, il convient que le Gouvernement procède à une étude approfondie et objective des effets réels qu’entraînerait une mutualisation des coûts de transports vers la Guyane et engage une concertation dépassionnée avec et entre les collectivités territoriales concernées.

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Cette mutualisation est légitime car une partie du surcoût résulte de l’existence de la SARA, notamment à cause de la rémunération des quelques centaines d’emplois qui y sont rattachés et qu’il serait, au demeurant, bon de préserver. Demander aux Guyanais de payer pour la Martinique semble pour le moins délicat. En revanche, une mutualisation impliquerait un effort de la part des Antilles en faveur de la Guyane : il s’agirait d’une hausse de 17 centimes pour les Antilles et d’une baisse de 40 centimes pour la Guyane. En tout état de cause, il est souhaitable de recourir à une politique volontariste afin de palier les difficultés rencontrées. À titre personnel, j’y serais donc favorable.

M. le président Patrick Ollier. Les préoccupations exposées par M. Cahuzac sont parfaitement légitimes, cependant, je rappelle que le choix de la mission d’information commune a été de ne pas supprimer la SARA, pour des raisons de maintien des emplois notamment. En revanche, et si cela peut vous agréer, le terme « éventuelle » pourrait être retiré de la proposition dans la mesure où, la semaine dernière, nous avons recueilli l’assentiment de nos collègues ultramarins à ce sujet.

M. Jacques Le Guen, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. Je tiens à préciser qu’il s’agit de mutualiser les coûts du fret et non pas de la SARA. Nous avons toute latitude de conserver ou de retirer le terme « éventuelle ».

En ce qui concerne la neuvième proposition, il s’agit de ne pas sacrifier l’emploi et l’outil industriel que représente la SARA à une baisse de prix immédiate. De fait, le rapport montre que le prix « sortie SARA » des carburants dans les DFA est plus élevé que celui d’une raffinerie européenne standard. Cependant, supprimer cette structure reviendrait à rompre avec la politique d’indépendance énergétique de ces parties du territoire national voulue par la France depuis le général de Gaulle. Il est vrai que le maintien de la SARA n’est pas sans problème mais il constitue un élément stratégique en termes d’emploi comme d’indépendance.

La dixième proposition vise à créer en Martinique, en s'appuyant sur les structures et les compétences acquises par la SARA, un pôle de compétitivité européen sur la recherche de normes applicables aux hydrocarbures, compatibles avec les exigences de la réduction des gaz à effets de serre. La SARA et la Martinique ont su développer un véritable savoir-faire dans le domaine du traitement des hydrocarbures, notamment pour parvenir à produire des carburants répondant aux spécifications des normes environnementales européennes. Les ingénieurs et techniciens de la SARA ont acquis de véritables compétences dans les adaptations technologiques indispensables à la compatibilité des carburants et la réduction des gaz à effet de serre. Le laboratoire de la SARA est intervenu dans l’expertise de carburéacteur « non-conforme » livré en Guyane et la raffinerie a su trouver les solutions appropriées à son retraitement. Dans la zone géographique, au sens large, la SARA est le seul raffineur disposant d’un savoir faire technologique en matière d’adaptation de la production de carburants à la lutte contre le réchauffement climatique. Il importe donc de valoriser cette expérience et ce savoir. La création d’un pôle de compétitivité de dimension européenne, centré sur la recherche et la mise au point de carburants d’origine minérale susceptibles d’atteindre les objectifs futurs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, constituerait une véritable vitrine des engagements européens en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique pour l’ensemble du continent Nord et Sud américain.

La onzième proposition tend à abaisser les droits de passage de la SRPP pour qu’ils correspondent à une rentabilité maximale sur capitaux investis de 12 %. La mission s’est fait communiquer les comptes de la SRPP. Ceux-ci font apparaître que cette société a dégagé une rentabilité financière de l’ordre de 28 %, largement supérieure à celle pratiquée en Europe qui avoisine les 12 %.

La douzième proposition consiste à créer une filiale dédiée au stockage avec prise de participation de l’État, distincte de l’activité raffinage de la SARA. Dans les DFA, les obligations relatives aux stocks stratégiques ne sont pas respectées et l’accès au stockage pour les distributeurs indépendants n’est pas garanti. La situation monopolistique de la SARA et l’absence de la SAGESS (société anonyme chargée de mettre en œuvre les obligations à la charge du Comité Professionnel des Stocks Stratégiques Pétroliers) en constituent les principaux motifs. Il importe donc de remédier à cette situation, d’autant que la réglementation européenne sur les stocks stratégiques a évolué à la hausse. Le rapport des Inspections recommande la filialisation de l’activité stockage de la SARA. Celle-ci peut être envisagée sous réserve de l’ouverture du capital de la future société à de nouveaux actionnaires. Il conviendrait que cette nouvelle société dispose d’un panel d’actionnaires important et diversifié, d’autant que cette activité correspond par ailleurs à une mission d’intérêt public. Ainsi, outre la SARA, l’État et les collectivités territoriales, mais aussi les distributeurs indépendants et la SAGESS pourraient en constituer les principaux actionnaires.

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. La treizième proposition envisage le maintien, autant que possible, des emplois dans les stations-service en refusant l’automatisation complète des pompes. Il existe, en effet, un modèle social qui fait des stations-service des lieux de vie au sein desquels la population a pris l’habitude de se retrouver. Les élus sont attachés à ce modèle social qui mobilise un personnel important. Dans ces conditions, l’automatisation des pompes n’est envisageable seulement que dans les points de vente excentrés ou la nuit.

La quatorzième proposition devrait permettre aux préfets d’autoriser certaines stations-service limitativement énumérées à déroger au prix maximum afin d’assurer la continuité de l’approvisionnement dans certaines régions isolées. Les conditions économiques de certaines stations justifient une marge pour le détaillant plus élevée qu’ailleurs, en raison de frais de fonctionnement plus importants. Mais objectivement, cela n’est pas valable pour toutes les stations et il devrait appartenir aux préfets de distinguer les points de vente autorisés à pratiquer des prix plus élevés et ceux ressortissant au droit commun.

La quinzième proposition consiste à calculer la marge de gros de manière à ce qu’elle garantisse une juste rentabilité aux compagnies pétrolières, à même de garantir la continuité de l’approvisionnement des DOM. Cette marge est celle de l’agent économique chargé d’approvisionner les stations-service. Nous avons constaté des marges trop élevées, parfois supérieures à 20 %. Il s’agit alors d’une véritable rente et il n’est pas normal qu’elle soit prise en charge par le consommateur.

La seizième proposition entend limiter la durée des contrats d’exclusivité entre les fournisseurs et les propriétaires de stations-service indépendantes et supprimer la clause donnant priorité au fournisseur pour le rachat du fond de commerce en cas de retrait du propriétaire. Il s’agit d’établir les conditions d’un dialogue plus équitable.

La dix-septième proposition vise à faciliter l’accession à la propriété des locataires-gérants. Cette proposition est cohérente avec celle qui précède : elle est destinée à équilibrer le dialogue entre les détaillants et les grossistes, ces derniers possédant 80 % des stations.

La dix-huitième proposition tend, si le prix le permet, à utiliser une partie des ressources finançant l’aide à la cuve pour apurer le passif de l’État vis-à-vis des compagnies pétrolières. Il y a une quinzaine de jours, la commission des finances a examiné un décret d’avance qui avait notamment pour objet de verser 44 millions d’euros aux compagnies pétrolières – Total pour l’essentiel. Si chacun s’accorde sur la dilution des responsabilités, nous constatons en revanche une concentration des revenus. Il serait pour le moins curieux que ce système continue de fonctionner, d’autant plus qu’il contribue à creuser l’endettement de notre pays. Nous proposons donc que la prime à la cuve soit destinée à apurer le passif de l’État à l’égard des compagnies pétrolières dont les revendications sont légitimes dans la mesure où la baisse des prix décidée autoritairement par les préfets n’a pas respecté la loi. Au lieu de supprimer ce prélèvement, nous proposons donc de le maintenir au profit de l’apurement des dettes publiques à l’égard des compagnies pétrolières. Toutefois, si le prix du baril de brut devait augmenter, il appartiendrait à l’État de trouver un autre système.

La dix-neuvième proposition insiste sur la nécessité de mettre en place rapidement un dispositif progressif de retour aux prix réels des carburants. Tant que la formule de fixation des prix des carburants n’est pas rénovée, l’État est dans son tort à l’égard des compagnies pétrolières et sa dette envers elles continue à gonfler. Il importe donc de revenir à plus transparence.

M. Jacques Le Guen, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. Enfin, soucieuse de préserver l’environnement tout en explorant les voies énergétiques du futur susceptibles d’assurer un développement économique harmonieux des DOM, la mission d’information fait des sources d’énergie renouvelables un axe important de la politique énergétique à mettre en œuvre à partir des potentialités existantes. Le président de la région de La Réunion, rencontré il y a peu, est très volontariste sur ce point d’où une vingtième proposition encourageant le développement de l’énergie solaire outre-mer et visant à expertiser les autres énergies renouvelables (biocarburants, géothermie, éolien). Face au développement de la demande énergétique, notamment en électricité, l’énergie solaire représente sans conteste une voie d’avenir dans les départements d’outre-mer. Il convient de faciliter la production d’énergie d’origine photovoltaïque qui aura un effet d’entraînement non négligeable sur l’économie locale, notamment en matière d’emplois. Autre atout des DOM, la présence des alizés qui balayent les territoires d'Est en Ouest. Leur régularité est idéale pour l’implantation de parcs éoliens. Si l’exiguïté des territoires martiniquais, guadeloupéen et réunionnais ne permet pas d’envisager la production de biocarburants, en revanche, la Guyane dispose des réserves foncières suffisantes pour produire, comme son voisin brésilien, de l’éthanol à partir de la canne à sucre, à condition toutefois que soient assouplies les restrictions au défrichage dans ce département.

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. La vingt et unième proposition tend à supprimer l’application dans les départements d’outre-mer, prévue à compter du 1er janvier 2010, de la TGAP relative aux carburants. Cette taxe qui doit inciter à produire des biocarburants, fait l’objet d’une exemption jusqu’à la fin de l’année pour les DOM, dans la mesure où ces collectivités n’en produisent pas. Or, au 1er janvier 2010, elles n’en produiront pas davantage. Nous proposons donc de créer une 487ème niche fiscale qui viendra s’ajouter aux 486 autres.

M. le président Patrick Ollier. Je vous remercie du travail réalisé. Contrairement à ce qui a pu être dit, nous n’avons pas travaillé dans la précipitation. Bien au contraire, nous pourrions même soutenir que nous n’avons pas travaillé assez vite. La demande de création de cette mission est intervenue le 5 décembre 2008. Entre cette date et le mois de février 2009, la suspension des travaux de l’Assemblée nationale n’a pas permis à la mission de se mettre plus tôt à la tâche. Je vous rappelle que le président Jean-Marc Ayrault a fourni sa réponse à la fin du mois de janvier seulement.

J’achève cette mission avec la conviction que s’il y avait eu plus de transparence – ce que nous demandons pour l’avenir – il n’y aurait pas eu les incidents auxquels nous avons assisté.

Si nous proposons la création de comités de suivi, c’est parce que les observatoires des prix ont échoué dans leur mission. Il faut donc les supprimer pour les remplacer par d’autres instances. Les comités de suivi auront notamment pour objet de justifier auprès de la population les hausses ou les baisses des prix.

Par ailleurs, je vous rappelle que l’ensemble des pays d’Amérique du nord et des Caraïbes ont annoncé leur volonté de se rapprocher étroitement des normes européennes, plus contraignantes sur le plan environnemental, d’ici trois ans. Cette décision pose la question du devenir de la raffinerie de la SARA à la Martinique qui est la plus petite du monde. Demander une dérogation pour la Guyane soulève un problème pour notre pays qui est en pointe en matière de lutte contre la pollution et qui a contribué à l’adoption de ces normes. Je suis convaincu que nous ne devons pas demander de dérogation.

M. Jacques Le Guen, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. Il convient, en effet, de souligner les interrogations qui pèsent sur le devenir de la SARA qui sera bientôt concurrencée notamment par une raffinerie moderne en projet au Suriname. C’est la raison pour laquelle nous demandons que la SARA soit placée au cœur d’un pôle de compétitivité lié au traitement des carburants qui pourrait être créé à la Martinique.

M. Jean-Claude Lenoir. Je ferai plusieurs observations. Tout d’abord, les propositions me semblent en adéquation avec la situation actuelle, notamment avec les prix à la pompe dans les DOM. Mais ce qui m’a frappé, c’est que le problème est avant tout guyanais car en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion, les prix ne m’ont pas semblé exorbitants. D’autre part, personne ne contrôle vraiment la formule des prix réglementés ; or celle-ci comprend des éléments obsolètes. Par ailleurs, le prix est le résultat d’une agrégation de calculs émanant de diverses administrations qui ne se coordonnent pas.

S’agissant des dérogations, je suis frappé par le décalage avec ce que nous ont dit nos interlocuteurs. Sur la mutualisation, il faut absolument la demander car les profits de certains ne doivent pas être payés par ceux qui payent plus cher en Guyane. Sur le fret, en Guyane, il existe un seul bateau dédié à ce transport, j’estime qu’il en faudrait d’avantage. Enfin, les prix de l’électricité dans les DOM sont les mêmes qu’en Métropole. La compensation est assurée par la CSPE. Le prix de l’électricité augmentant avec le prix du fioul à la sortie de la raffinerie, il y a un risque que le coût de la baisse du carburant dans les DOM soit supporté par les consommateurs d’électricité en métropole.

M.  Michel Diefenbacher, président. Je souhaiterais réagir aux propos de M. Lenoir. Tout d’abord, le problème n’est pas uniquement guyanais, car aux Antilles la fiscalité est de 40 à 50 % inférieure à celle de métropole, ce qui devrait avoir pour effet des prix largement inférieurs. Or, il y a des coûts structurels : rentabilité, éloignement, mais surtout marges indues qu’il faudrait combattre. Il faut être en état de mesurer tous les coûts entre la livraison du bateau et la livraison au consommateur.

Je voudrais dire un mot de la mutualisation particulièrement en Guadeloupe et en Martinique. Le consommateur martiniquais paye une part du coût du fret vers la Guadeloupe. Il serait souhaitable d’étendre cette mutualisation vers la Guyane dans le cadre d’un accord sur la mutualisation du fret entre Guadeloupe, Martinique et Guyane mais les élus guyanais freinent, soucieux de protéger leur département contre les importations antillaises. Il faudrait leur lancer un appel à la cohérence.

M. le président Patrick Ollier. La taxe spéciale sur les carburants en Guyane est plus élevée qu’aux Antilles. Il s’agit d’un choix des autorités locales pour dégager des marges de manœuvre, afin d’accorder des subventions aux communes et pallier les insuffisances d’une DGF défavorable.

Le rapport doit être publié d’ici le mois de septembre, si la commission donne son autorisation, je vous suggère d’ici là de vous rapprocher des rapporteurs afin d’approfondir cette question avec eux.

M. Louis-Joseph Manscour. Je félicite les membres de la mission pour la qualité du travail accompli. Je suis aujourd’hui le seul représentant des DOM présent en commission ; toute mission d’information qui contribue à informer mes collègues de l’hexagone des problématiques ultramarines me paraît positive.

Les rapporteurs de la mission ont rappelé d’importants éléments de chronologie : leurs travaux ont débuté au début du mois de février, tandis qu’une mission d’inspection diligentée par le Gouvernement avait commencé à travailler dès la fin du mois de décembre. La grève avait quant à elle commencé au début du mois de février. Dans le cadre du pré-rapport des inspections, le secrétaire d’État d’alors, M. Yves Jégo, avait évoqué « l’enrichissement sans cause des compagnies pétrolières », n’excluant pas « des actions judiciaires de l’État contre elles ».

La nouvelle secrétaire d’État à l’outre-mer, Mme Marie-Luce Penchard, a déclaré fort imprudemment, de mon point de vue, envisager une hausse des prix de l’essence, hausse qui pourrait avoisiner les vingt centimes d’euros par litre en Guyane. Pourtant le rapport de la mission des inspections soulignait que « les services de l’État sont incapables de justifier la base de calcul sur laquelle repose l’évaluation des prix ». Cinq mois après, ce constat est toujours valable, et on nous annonce une nouvelle hausse des prix ! La Secrétaire d’État nous informe du lancement d’une campagne d’explication qui suivra cette augmentation des prix. C’est dans l’ordre inverse qu’il faudrait procéder ! Je crains que cela ne nous expose à de nouvelles manifestations de mécontentement.

Pour rétablir la confiance, il est indispensable d’établir la transparence des prix, tout le reste n’est que balivernes.

L’État prévoit d’affecter quarante-quatre millions d’euros pour combler le manque à gagner de la SARA, et ce alors même que règne l’opacité sur le mode de formation des prix. Cette contradiction, nos populations ne la comprennent pas.

M. le président Patrick Ollier. J’ai récemment rencontré Mme Penchard et je lui ai proposé la création d’un comité expérimental de suivi. À l'issue des travaux de ce comité, une décision pourrait être prise. Je désapprouve les déclarations qui ont été faites.

M. Hervé Mariton. Je remercie la mission pour son travail, et m’associe à la question posée par Louis-Joseph Manscour, qui est essentielle.

Sur le sujet de la fixation du prix, nous avons bien compris les écueils du mode de calcul actuel, mais quelle serait selon vous la bonne formule ?

S’agissant de la transparence dans la formation des prix, le débat sur le lissage à la hausse et le lissage à la baisse est un débat qui n’est pas propre à l’outre-mer. La question de la transparence des prix et celle de la juste définition du prix ne se confondent d’ailleurs pas.

Les deux rapporteurs ont tenu des propos qui n’étaient pas exactement identiques : M. Le Guen a estimé que le prix affiché doit être le prix maximum, M. Cahuzac a moins insisté sur ce point. Quelle est la position de la mission sur ce sujet ? Estime-t-elle qu’il existe un espace de concurrence à faire prospérer ? Est-il possible d’encourager la concurrence à la baisse, même modeste, ou cela lui paraît-il impossible ?

S’agissant de la question du stockage en cuve privée, il existe un petit espace de concurrence qui a fini par s’introduire. Est-ce cette forme de stockage que le rapport propose de supprimer ? Si oui, une plus grande réglementation du stockage, ne va-t-elle pas réduire cet espace de concurrence ?

Vous employez par ailleurs le terme de « mutualisation », qui ne me paraît pas dépourvu d’ambiguïté, ambiguïté qui concerne le fret et la question des coûts industriels de la SARA. Nous subissons en la matière les conséquences de l’emploi du pluriel « les outre-mer », car si l’on calcule l’impact positif ou négatif dans chaque département, on entretient une méfiance généralisée qui me paraît redoutable pour l’avenir. En fait de mutualisation, c’est davantage de répartition des coûts qu’il s’agit, et je ne suis pas certain que l’on mesure bien ce que cela signifie. Si la République demande à chaque collectivité ultra-marine de s’appliquer un tarif en fonction de ces coûts, où va-t-on ? Cela ne veut toutefois pas dire que je sous-estime le problème spécifique de la Guyane, qui exige une solution appropriée.

M. François Goulard. Je dois vous faire part de ma perplexité. Le sujet que nous traitons constitue une démonstration du lien entre économie administrée et rentes scandaleuses. Quand on évoque une rentabilité de l’ordre de 28 %, que l’on se propose de ramener aux alentours de 12 %, tout cela sans risque, on est confronté à un exemple particulièrement éloquent de l’inefficacité de l’économie administrée et de la protection qu’elle confère à la rente. Je me demande si l’outre-mer ne tirerait pas un grand bénéfice d’une libéralisation que nous avons pratiquée avec un certain succès dans l’hexagone, même si celle-ci comporterait sans doute des inconvénients pour un petit nombre de personnes intéressées.

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. En réponse à M. Lenoir, je tiens à préciser que le problème du coût du carburant n’est pas seulement guyanais : il est principalement guyanais et réunionnais, ces deux départements ayant été les plus affectés par la forte hausse des prix enregistrée l’année dernière.

EDF est en position de force car il s’agit du seul client susceptible d’acheter le produit de résidu de raffinage qu’il utilise pour faire fonctionner ses centrales électriques. Par ailleurs, je fais confiance au sens de la stratégie bien connu de son président pour négocier les tarifs à son avantage.

On a pu s’étonner de l’éventualité de suites judiciaires qui pourraient être engagées par des compagnies pétrolières. Mais les acteurs économiques ne font que demander l’application des formules édictées par l’État, même si les services préfectoraux, pour des raisons d’effectifs, sont dans l’incapacité de procéder à une analyse économique des éléments de fixation des prix. Dans certains départements, un seul fonctionnaire (pas toujours à temps plein) gère cette question.

Nous avons constaté que les préfets signent les arrêtés de fixation des prix en appliquant mécaniquement la formule sans aucune analyse, ni esprit critique. La mission propose notamment de simplifier et d’actualiser la formule de prix en supprimant les éléments contestables, obsolètes ou redondants. À titre d’exemple, il s’agit des éléments relatifs au coulage, ou les références au brut acheté à Trinidad et au Suriname. Elle propose également de revoir les modalités de calcul du premium perçu par les acheteurs de brut.

Nous nous sommes posé la question d’une libéralisation des prix qui conduirait incontestablement à une baisse par le jeu de la concurrence. Mais une telle évolution aboutirait à la remise en cause d’un modèle social auquel nos compatriotes d’outre-mer sont profondément attachés. Elle se heurterait à une totale hostilité des élus locaux, tous favorables au maintien de prix administrés.

Nous ne parviendrons pas à obtenir de concurrence en matière de stockage en raison de la lourdeur du coût des investissements.

Enfin le système administré n’est certes pas satisfaisant mais, par analogie à ce que disait Winston Churchill, c’est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres.

M. Jacques Le Guen, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. En réponse à M. Jean-Claude Lenoir, je dirais, s’agissant du fret, que nous avons obtenu du président de la SOCACRA, avec qui nous nous en sommes longuement entretenus, des garanties quant au respect de la procédure des appels d’offre pour la passation des marchés. De même, il paraît sérieusement envisageable que le coût du fret soit appelé à diminuer dans un avenir proche tout en laissant subsister des marges significatives pour les armateurs.

J’approuve, sur le plan des principes, le propos de notre collègue concernant les marges « scandaleuses » des compagnies pétrolières. Pour autant, il convient de mesurer les conséquences catastrophiques d’une cessation d’activité de ces compagnies dans les DOM qui serait motivée par l’absence de rentabilité des marchés en cause.

Le régime d’autorisation que nous proposons d’instaurer pour l’installation des cuves privées d’une capacité supérieure à 1 500 litres répond à des exigences de sécurité indispensables compte tenu des risques cycloniques et sismiques élevés dans les territoires concernés. Notre proposition relative à la filialisation de l’activité de stockage correspond, quant à elle, à la nécessité d’accorder à l’État un nécessaire droit de regard.

L’annonce d’une hausse brutale des prix des carburants, de 20 centimes par exemple, serait à mes yeux tout à fait inadéquate et la progression vers des prix économiquement « réalistes » ne peut être que progressive comme le préconise la mission d’information.

J’évoquerai enfin une exigence d’ordre social en ce qui concerne la question des personnels des stations-service. L’emploi d’un personnel relativement nombreux par certaines d’entre elles évite à ces salariés de connaître le chômage auquel les condamnerait presque inévitablement le passage à un système de « self-service », compte tenu notamment du contexte économique actuel.

M. le président Patrick Ollier. Je souhaiterais conclure nos travaux en insistant sur le fait que les exigences liées à l’aménagement du territoire ont été un élément essentiel de notre démarche et qu’il ne peut, à mon sens, en aller autrement dans des territoires aussi « contraints » sur les plans démographique et géographique que le sont les DOM. Le rôle de l’État est déterminant pour répondre à ces exigences et il l’a par exemple exercé, notamment à mon initiative, pour d’autres territoires « contraints » tels les zones de revitalisations rurales. On ne peut s’en remettre en l’occurrence au jeu de la libre concurrence.

Je vous invite maintenant à autoriser la publication du rapport d’information sur le prix des carburants dans les départements d’outre-mer en vous précisant à nouveau que ce rapport ne sera publié qu’au début du mois de septembre mais que les propositions qu’il contient, et qui vous ont été présentées aujourd’hui, revêtent un caractère définitif.

La commission des affaires économiques et la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ont ensuite autorisé la publication du rapport d’information sur le prix des carburants dans les départements d’outre-mer.

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