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Commission des affaires économiques

Mardi 15 septembre 2009

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Patrick Ollier Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. René Ricol, Médiateur du crédit, Président du Comité exécutif de la médiation

– Informations relatives à la commission

La commission a entendu M. René Ricol, Médiateur du crédit, Président du Comité exécutif de la médiation.

M. le président Patrick Ollier. Monsieur le médiateur du crédit, je suis heureux de vous recevoir avant que vous ne quittiez vos fonctions, bien sûr pour vous entendre sur la situation du crédit aux entreprises, mais aussi pour vous dire le plaisir que nous avons eu à travailler avec vous. Il n’est pas courant qu’une personnalité choisie pour exercer une fonction aussi importante décide de partir ! Vous avez respecté votre plan d’action, et chacun parmi nous a reconnu votre pugnacité et votre indépendance d’esprit. Avec le dispositif ad hoc qui a été créé, vous avez fait face aux demandes de 15 174 entreprises et permis ainsi de sauver 141 546 emplois.

Au-delà de ces éléments chiffrés, j’aimerais que vous nous dressiez un bilan qualitatif de votre action. Avez-vous rencontré des obstacles ? Au cas où ceux-ci demeureraient, pouvons-nous contribuer à les lever ? L’idée de légiférer pour modifier les règles relatives au soutien abusif, dont on avait parlé en début d’année, semble abandonnée et personnellement, je le regrette ; avez-vous d’autres suggestions à nous faire ?

A vos yeux, les banques ont-elles joué le jeu ? L’augmentation des encours de crédits ne devrait pas dépasser 2 % sur l’ensemble de l’année, alors qu’elles s’étaient engagées à les faire progresser de 3 à 4 %. Elles expliquent cette situation par la contraction de la demande de crédit, mais en même temps, à l’exception du Crédit Mutuel, elles affichent individuellement une progression nettement supérieure de leurs encours. Ce constat suscite parmi les membres de notre commission quelques doutes que, j’espère, vous pourrez contribuer à lever.

M. René Ricol, médiateur national du crédit, président du comité exécutif de la médiation. Monsieur le président, je tiens d’abord à vous remercier car le soutien de votre commission, comme celui de son homologue du Sénat, nous a été essentiel. Quelle que soit la couleur politique des parlementaires, nous avons réglé ensemble des dossiers sur le terrain. Nous avons même évité un suicide. Mon départ correspond à l’engagement que j’avais pris de consacrer un an à ces fonctions, après avoir déjà travaillé pendant neuf mois sur la crise financière ; il est temps que je revienne à mon métier.

Dans le rapport que j’avais remis au Président de la République, résultat d’un travail accompli en collaboration avec 150 personnes dans le monde, avaient été dégagées quatre problématiques jusque-là complètement ignorées.

Tout d’abord, nous avions souligné la nécessité, au niveau européen, de recréer du dialogue autour de l’ECOFIN : c’est fait. Il fallait faire en sorte que les ministres ne soient pas informés uniquement par les régulateurs, et que l’on débatte de la qualité de cette régulation. A cet égard, les débats qui s’ouvrent sur Solvency II seront très utiles pour éviter que se produise demain dans le secteur de l’assurance une crise financière bien plus grave encore que celle qui s’est produite dans le secteur bancaire.

Ensuite, nous avions évoqué les systèmes de rémunération. Nous avons été les premiers à dire qu’une telle crise financière venait du fait que des individus avaient un intérêt personnel, lié au système de rémunération, à tomber dans des excès : quand les taux d’intérêt sont bas et que l’on veut faire en trading de gros profits, il faut jouer des masses colossales. S’ajoute à cela le concept fou, qui s’est développé dans le monde entier et que je dénonce depuis des années, d’« administrateur indépendant » : nous avons avant tout besoin d’administrateurs compétents. Dans le rapport, nous avons ainsi cité le cas d’une grande banque internationale dans laquelle un homme, mondialement connu pour les fonctions de régulation qu’il a exercées, m’a avoué avoir cru qu’on lui fournissait des chiffres de trading en valeur brute ; ils présentaient déjà des risques à ses yeux et pourtant, il s’agissait de chiffres en valeur nette : autrement dit, au lieu de jouer dix fois le bilan de la banque, on le jouait mille fois !

En troisième lieu, nous avions appelé de nos voeux la transparence. Si on ne règle pas à la fois le problème des places dites off-shore et celui de la transparence des opérations hors bilan, on régulera à l’aveugle.

Enfin, nous avions insisté sur le caractère contracyclique que doit avoir la régulation. Quand une institution financière voit ses résultats s’envoler, il faut lui demander plus de capitaux ; cela évite à l’inverse qu’apparaisse en période de crise un besoin de recapitalisation.

Je constate que ces quatre idées ont été reprises partout, chacun ayant pu se les approprier.

La médiation de crédit a été pour moi une expérience formidable mais, je le répète, son succès est collectif. De la réunion que vous aviez organisée, monsieur le président, nous sommes sortis plus forts, les banquiers ayant constaté le soutien que vous nous apportiez.

Les banquiers ont-ils joué le jeu ? La réponse est oui. Nous avons pu faire aboutir deux dossiers sur trois. Mais bien sûr, notre rôle ne s’est pas limité à la médiation de crédit : nous avons constitué des réseaux de compétences, apportant du conseil, de la stratégie, de l’argent, et parfois des capitaux propres. La réussite des opérations tient à ce que j’appelle une chaîne de solidarité intelligente.

Hier dans Les Echos, je me suis opposé à Laurence Parisot, qui m’a d’ailleurs appelé ensuite pour me dire que la presse avait mal compris ses déclarations. On ne peut pas laisser dire en effet que le crédit aux entreprises a violemment chuté : la chute constatée entre mai et juillet est liée à celle du financement des institutions financières ; mais pour les entreprises non financières, l’augmentation a été de 2,6 %, et sans doute un peu supérieure pour les PME car les grandes entreprises ont recommencé à aller directement sur les marchés financiers. Telle est la réalité, il faut savoir la reconnaître : les banques jouent le jeu, même s’il faut continuer à les surveiller.

Désormais, la question est de savoir ce que les entreprises vont faire de l’argent obtenu. Je crois à la médiation, qu’il me paraît nécessaire de poursuivre, mais le sujet essentiel est maintenant celui des stratégies d’entreprise. Il va bien falloir, comme je l’ai déjà dit à de nombreuses reprises, se préoccuper des filières. Cela suppose de faire entrer les syndicats dans le jeu. Dans certains dossiers de médiation, on voit bien qu’en mettant de l’argent dans une entreprise, on risque d’affaiblir un concurrent qui est en meilleure position pour être un champion demain ; il peut être alors plus intelligent de fermer cette entreprise et de procéder à un regroupement avec une autre, mais souvent, l’attitude du chef d’entreprise s’explique par la caution bancaire. Le système la médiation peut ainsi devenir pervers s’il aboutit à sauver toutes les entreprises. C’est pourquoi, nous avons dans certains cas convoqué plusieurs chefs d’entreprise pour leur proposer une solution globale, et nous avons fait de la restructuration sans le dire. Le moment est venu que le patronat s’occupe de cette restructuration. Si nous voulons passer d’une reprise technique à une reprise durable, le sujet prioritaire pour les douze mois qui viennent n’est pas tant celui des crédits bancaires ou celui des capitaux propres que celui de la stratégie industrielle.

Le deuxième sujet que la médiation a eu à traiter était celui, dramatique, de l’assurance crédit, dont, sur le terrain, on entendait parler davantage encore que des banques. Nous avons réussi à obtenir une révolution culturelle, à savoir la transparence à l’égard des notés, et par ailleurs l’accord d’un délai d’un mois non seulement aux vendeurs, mais aussi aux acheteurs, avant de supprimer les lignes, pour que l’on ait le temps de mettre en place un dispositif de substitution. Nous souhaitions que ce soit Cap +, dont on peut aujourd’hui constater l’efficacité. Il faut maintenant mettre en place Cap Export.

Mais il faut maintenant pousser les assureurs crédit à repenser leur modèle, partout dans le monde. Le modèle actuel ne leur laisse en effet que peu de marge de manœuvre. En 2008, deux des trois assureurs crédit que compte la France ont perdu de l’argent, le troisième étant juste à l’équilibre ; si l’Etat n’avait pas été là pour intervenir puissamment à leurs côtés, nous aurions connu une catastrophe économique. Je vous invite donc à susciter la réflexion sur ce sujet car il faut éviter ces effets pervers procycliques : l’assurance crédit, avec peu de capitaux propres et beaucoup d’encours assurés, est très efficace quand la conjoncture est bonne ; mais quand celle-ci se retourne, la faiblesse des capitaux propres et de la réassurance peut entraîner un effet boule de neige. La question qu’il faut se poser est la suivante : est-ce que c’est au vendeur de s’assurer et de payer les risques pris avec des acheteurs, ou est-ce qu’il revient aux acheteurs de proposer des garanties au fournisseur ? Je suis en tout cas un chaud partisan d’une intervention de la médiation dans le champ du crédit interentreprises.

Je terminerai par deux observations.

Nous avons créé une chaîne de solidarité intelligente, nous avons demandé des prises de risque, mais nous n’avons jamais demandé l’impossible. Nous avons demandé aux institutions de désigner, pour être nos interlocuteurs, des tiers de confiance ; nous en avons aujourd’hui 800, il y en aura bientôt 1200. Ils font du conseil au quotidien, en aidant les entreprises à bien diagnostiquer leurs problèmes et à les résoudre. Pour que l’argent obtenu des banques soit efficace, ce conseil est indispensable. C’est vrai non seulement pour les petits dossiers, mais aussi pour les grands groupes. L’accord avec les TPG et les préfets a extrêmement bien fonctionné.

Cette chaîne de solidarité compte cependant un absent : les grands donneurs d’ordre, c’est-à-dire les grands acheteurs, qu’il faudrait y faire entrer. Certains sont exemplaires, d’autres le sont moins. Nous avons vu par exemple des groupes, pour respecter la LME et réduire de 30 jours leurs délais, prendre un escompte de 2, 3 ou 4 % – alors que si une banque prend 5 % pour un projet d’investissement, la médiation le lui reproche. Nous avons également vu apparaître la « retenue sur facture »… Plus grave encore, s’est développée une modélisation du système d’achat, qui produit les mêmes effets que la modélisation du produit financier. Nous avons donc ouvert une discussion avec les grands acheteurs, qui se sont dits prêts à revoir leur mode de fonctionnement. Il serait essentiel que vous puissiez accompagner ce mouvement.

Après les banques et les assureurs crédit, ce sont donc les entreprises elles-mêmes qui doivent faire l’objet de nos réflexions, sur le thème des filières et sur celui des grands donneurs d’ordre. Là encore, il n’y a pas à demander l’impossible, mais on pourrait poser comme principe que, en respectant les contraintes de la globalisation, les contraintes d’implantation des grands groupes et les contraintes financières, on recherche à chaque fois ce qui est le plus intelligent pour aider les PME sous-traitantes.

Un mot encore pour illustrer l’aide que vous nous avez apportée : deux jours après la réunion que vous aviez présidée, monsieur le président, à l’occasion de laquelle les banquiers ont senti votre commission déterminée à avancer sur le « soutien abusif », nous avons signé avec eux un papier disant que plus jamais, le soutien abusif ne serait évoqué dans nos discussions – et tel a bien été le cas. De telles réunions peuvent être très efficaces et éviter de passer par une loi. Je vous renouvelle donc mes remerciements.

M. le président Patrick Ollier. Je me réjouis que nous soyons arrivés à ce résultat.

M. René Ricol. Il a été immédiat et spectaculaire !

M. le président Patrick Ollier. Pour l’avenir, j’ai bien noté que vous nous invitez à réfléchir aux nouveaux modèles d’assurance crédit – et nous aurons peut-être besoin de vos conseils.

Nous en venons aux questions, en commençant par les représentants des groupes.

M. François Brottes. La belle leçon d’économie régulée que vient de nous donner M. Ricol n’est pas pour déplaire au groupe socialiste. Pour notre part, nous tenons ce type de propos même hors période de crise. Nous considérons que la crise n’a fait que révéler des dysfonctionnements anciens, qu’elle a mis à jour des pratiques de voyous et des inconséquences qui mettent à mal la vraie économie.

Vous partez, monsieur Ricol, et c’est bien dommage ; il faut maintenant se demander si la fonction de médiateur du crédit doit être pérennisée. Pour ma part, je vous ai « utilisé » à trois reprises simplement en menaçant de vous saisir, ce qui a permis à chaque fois de débloquer la situation. Je vous remercie d’avoir reconnu que les politiques que nous sommes ne sont pas des inconscients, que nous ne nous attachons pas à des causes indéfendables, mais que nous soutenons des dossiers qui ont été victimes d’un traitement injuste. Le dispositif de la médiation a permis de mettre autour de la table des gens qui refusaient de se parler, et je pense qu’il faut persévérer en ce sens. La question est maintenant de savoir comment faire pour que, filière par filière, on trouve les fonds propres nécessaires pour dépasser la recherche de la rentabilité à court terme et prendre des risques sur plusieurs années.

Nous sommes très attachés à l’approche par filière, qui commence avec la recherche. Quand un maillon est défaillant, c’est l’ensemble de la filière qui est touchée, et c’est pourquoi il est souhaitable de faire en sorte qu’une entreprise fragile s’adosse à une autre afin que la filière demeure ; mais à qui doit revenir ce rôle ? Selon vous, cela relève-t-il des pouvoirs publics, de l’action interprofessionnelle, d’une agence ?

Bref, qui doit, d’une part, structurer les filières, et d’autre part, faire en sorte que les gens se parlent ?

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le médiateur, je ne doute pas un instant que vous ayez été efficace mais localement, sur des petits dossiers, je n’ai pas senti la bonne volonté des banquiers, au moins pendant plusieurs mois. Je n’oublie pas ces PME de Seine-Maritime qui avaient une ligne de découvert à court terme et qui, dès le début de la crise, ont reçu un coup de fil de leur banquier leur intimant de la ramener à zéro avant le 31 décembre.

Je n’ai pas été davantage impressionné par la réactivité, la coopération et l’efficacité des services régionaux qui devaient gérer les dossiers difficiles, qu’il s’agisse de la préfecture, de la trésorerie générale, de la direction du travail et de l’emploi, de la Banque de France ou d’OSEO. Leurs interventions étaient marquées par la lourdeur et le formalisme. Comme mon collègue Brottes, j’ai été amené à menacer de vous saisir et j’ai constaté que c’était efficace. J’ai aussi menacé de transmettre certains dossiers à l’Elysée, ce qui marche également très bien, mais il est un peu dommage d’en arriver là… J’aimerais donc avoir votre sentiment sur ce sujet des dossiers locaux.

S’agissant de la stratégie et de la structuration des filières, comment, dans le cas d’une pérennisation de la médiation de crédit, voyez-vous l’articulation de celle-ci avec les commissaires à l’industrialisation ?

M. Daniel Paul. Monsieur le médiateur du crédit, je me joins à mes deux collègues pour souligner la qualité du travail que vous avez accompli. Selon vous, la médiation du crédit doit-elle se poursuivre, bien que les banques se soient, dites-vous, remises à travailler comme il convient ? Si oui, comment ?

Force est de constater que les activités spéculatives, qui ont largement été à l’origine des difficultés, se développent à nouveau, comme en témoigne le marché des matières premières.

Le communiste que je suis, qui s’est fait souvent rabrouer parce qu’il osait de parler de politique industrielle,…

M. le président Patrick Ollier. Jamais par moi !

M.  Daniel Paul. …a été heureux de vous entendre parler, au niveau national, de raisonnement par filière. Mais il faut aussi s’interroger sur les articulations à assurer au niveau européen. Dans le secteur automobile, par exemple, il paraît clair que les restructurations vont avoir lieu maintenant. Pour préserver certaines filières, y compris dans la sous-traitance, n’est-ce pas à la puissance publique d’intervenir ? Les banques sont-elles prêtes à financer les opérations nécessaires ?

Enfin, à côté de la responsabilité des banques et de celle des donneurs d’ordre, il y a aussi, comme vous l’avez dit, la responsabilité des groupes. N’est-elle pas engagée bien au-delà des sous-traitants de premier rang ? Ne faut-il pas préserver le tissu de petites entreprises essaimées par ces groupes et aujourd’hui menacées de disparition ?

M. René Ricol. Monsieur Trassy-Paillogues, je ne méconnais pas les difficultés auxquelles vous avez été confronté dans votre région mais au niveau de la France, j’ai été très impressionné par l’efficacité du dispositif d’État – préfets, TPG, directeurs de la Banque de France. La médiation du crédit a joué un rôle d’intégrateur de services ; le nombre de dossiers sur lesquels, en moins de trois jours, on a réuni autour de l’entreprise une équipe compétente est impressionnant.

Sans nul doute, au départ, les banques ne jouaient pas le jeu – et c’est un euphémisme. Après avoir été désigné par le Président de la République, j’ai commencé, avec mes collaborateurs, par lire tous les courriers qui nous arrivaient de partout et qui, tous, faisaient état d’un retrait de crédit. Les banquiers, en France comme ailleurs, en voyant qu’ils allaient subir les conséquences de la crise financière, s’étaient en effet mis à faire de la « bonne gestion » d’exploitation, en retirant tous les petits risques – d’où, d’ailleurs, le mécontentement qu’ont suscité partout dans le monde les plans de soutien. A la première réunion que j’ai eue avec eux, je leur ai donc demandé que nous passions un accord. Celui-ci, qui a ensuite été réitéré, a été de maintenir l’enveloppe globale des concours bancaires sans demander d’augmentation des garanties personnelles. Cet accord n’a pas été respecté partout, mais globalement le résultat a été spectaculaire.

J’ai voulu la signature d’un accord de place, qui maintient le dispositif de la médiation jusqu’à fin 2010 et permet au Gouvernement de le proroger au-delà. Il prévoit, ce qui me paraissait très important, que lorsque nous serons sortis de la période de crise, on allègera le dispositif national, mais on maintiendra le dispositif local, qui constitue l’essentiel ; maintenant que nous avons perdu le CIRI, qui était un outil formidable, il faut conserver l’outil de la médiation, lequel ne sert pas seulement à pousser les banquiers à financer, mais joue un rôle d’intégrateur des dispositifs publics et privés.

Concernant les filières, il faut évidemment utiliser les commissaires à la réindustrialisation, en pratiquant le croisement local/national. Je crois au microentrepreneur, je crois à la toute petite entreprise, mais il faut avoir le courage de dire aux entrepreneurs que le moment est venu de se rassembler. Cela étant, le déficit de restructurations que nous connaissons s’explique largement par une maladie qui s’appelle la société civile immobilière, sujet sur lequel je vous invite également à vous pencher. Il faudrait au moins assurer la neutralité fiscale du dispositif.

Autre point : vous m’avez souvent entendu protester contre les fonds de LBO ( leverage buy-out ). Certes dans 20 % des cas, ils ont accompli un travail formidable, mais dans 80 % des cas, l’idée a été de « faire cracher la bête » puis de la revendre rapidement à un autre fonds de LBO. La préconisation de mon rapport, qui devrait être retenue par les régulateurs, est de demander aux fonds de LBO, lorsqu’ils achètent, de financer 50 % avec leur argent : cela réduit l’effet de levier. Mais si beaucoup d’entreprises peuvent être des proies, c’est que le marché financier n’a pas su les attirer. Il faut mettre en place un dispositif qui permette de montrer nos belles entreprises à ceux qui veulent investir ; c’est une question de volonté.

S’agissant enfin des matières premières, nous sommes d’accord. La spéculation sur ce marché est à l’origine de la crise financière. J’en parlais depuis longtemps, mais c’est après coup qu’on a eu la preuve du phénomène : l’effondrement a montré l’importance de la spéculation – car on n’a guère vendu en dessous du prix de revient. Là encore, il y a sujet à réflexion.

A la différence d’autres pays, le nôtre connaît sur ces questions, comme en témoigne votre commission, un certain consensus. Au-delà des divergences politiques, j’ai le sentiment d’une vision partagée, sur la lutte contre la spéculation comme sur la priorité à donner à l’économie réelle. C’est un atout qu’il nous faut exploiter pour faire avancer les choses, chez nous et dans le débat avec nos partenaires.

M. Serge Poignant. Merci, monsieur le médiateur, pour tout le travail que vous avez accompli. Me tournant vers l’avenir, et devant le constat que nos entreprises peinent à se développer à l’export, j’appelle de mes vœux la création très rapide, après Cap +, de Cap Export. Mais pour se développer, les PME-PMI ont aussi besoin de fonds propres. Les banques vont-elles avoir moins de réticences à leur accorder des prêts de ce type ?

M. Jean Gaubert. Monsieur le médiateur, vous avez évoqué les relations avec les grands acheteurs, dossier sur lequel je travaille avec Jean-Paul Charié. Mais je crains que ceux qui se sont confessés à vous considèrent que, puisqu’ils ont reçu l’absolution, ils peuvent recommencer à pécher… Quant aux SCI, j’ai compris depuis longtemps que c’était pour certains entrepreneurs un moyen de tricher.

Ma question est la suivante : d’après vous, les évolutions nécessaires relèvent-elles du contrat de confiance ou de la législation ? Autrement dit, devons-nous légiférer ?

Mme Frédérique Massat. Monsieur le médiateur, vous avez déclaré le 19 novembre 2008 : « Il y a eu des abus de certains banquiers, notamment des prises de marge, et une volonté délibérée de réduire les risques qui a pu mettre en péril les entreprises. Ceci ne doit plus exister ». Est-ce que cela existe encore ? Le cas échéant, que faut-il faire pour que cela n’existe plus ?

Par ailleurs, Madame la ministre de l’économie a adressé début septembre aux banques un courrier leur demandant d’amplifier leur effort en matière de crédits aux PME, l’objectif de faire croître les encours de crédit de 3 à 4 % n’étant pas atteint. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu’il faudrait créer un médiateur du crédit aux particuliers ? Et que pensez-vous des frais bancaires, qui font l’objet d’un nombre croissant de plaintes ? Ne faudrait-il pas adopter des dispositions législatives à ce sujet ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Félicitations pour le travail accompli, monsieur le médiateur : venir au chevet de plus de 15 000 entreprises est une performance. Vous dites que les banques ont joué le jeu et je vous crois, mais j’ai constaté à plusieurs reprises la nécessité d’intervenir – et la « menace » a porté ses fruits. Malheureusement, actuellement encore, des PME-PMI viennent me demander de les aider dans leurs négociations avec les banques, alors qu’elles sont sur des créneaux porteurs. Cela ne me paraît pas normal.

M. Jean-Louis Gagnaire. Elu en Rhône-Alpes, je me réjouis moi aussi des résultats obtenus en région par la médiation de crédit, ainsi que du rôle joué par OSEO. En matière industrielle, force est de constater que les grands donneurs d’ordres sont dans une logique de cost killer et que la rémunération des acheteurs se fait sur ce critère. Des sous-traitants connaissent de réelles difficultés parce que tel grand donneur d’ordres préfère, à coût équivalent, une entreprise délocalisée à une entreprise installée sur notre territoire ; un problème de « patriotisme économique » se pose. Si nous ne voulons pas être exsangues au moment de la reprise, une réorganisation s’impose. A cet égard, ne pensez-vous pas que l’approche en termes de pôle de compétitivité est préférable à l’approche traditionnelle par filière, les organisations professionnelles n’ayant pas jusqu’à présent fait preuve de beaucoup de dynamisme en termes de stratégie industrielle ?

M. Lionel Tardy. Je constate moi aussi en Haute-Savoie que le système mis en place a bien fonctionné. Au-delà du traitement des 15 174 dossiers, l’intervention de tiers de confiance a permis d’éviter le dépôt de nombreux autres. Je me réjouis du maintien en l’état du dispositif de médiation jusqu’au 31 décembre 2010.

446 nouveaux dossiers ont été déposés pendant la deuxième quinzaine d’août, et les demandes en provenance des TPE semblent connaître une augmentation. Vous avez dit que celle-ci ne devrait pas se poursuivre, mais je crains que ce ne soit pas le cas : les chefs d’entreprise essaient en général de tenir jusqu’au dernier moment, mais risquent d’avoir des trésoreries exsangues après les congés payés et la chute traditionnelle du chiffre d’affaires au mois d’août. Selon vous, comment la situation va-t-elle évoluer d’ici à la fin de l’année ?

Ma deuxième question rejoint celle de Serge Poignant sur les capitaux propres. Le Président de la République semble souhaiter la mise en place de prêts spécifiques pour renforcer les capitaux propres des entreprises, mais à capital constant, conformément au vœu de la plupart des chefs d’entreprise. Considérez-vous que c’est la bonne voie ou pensez-vous qu’il faut faire évoluer les mentalités, notamment chez les patrons de TPE, pour leur faire accepter d’ouvrir leur capital ?

Mme Geneviève Fioraso. J’adresse moi aussi mes félicitations au chef de file de la médiation, dispositif dont j’ai pu constater qu’il a bien fonctionné dans l’agglomération grenobloise et dans l’ensemble de la région Rhône-Alpes. Sans doute les préfets étaient-ils heureux de se voir confier, dans ce domaine particulier, un rôle actif – que je souhaite voir pérenniser, en lien avec les collectivités territoriales et les organismes consulaires.

Néanmoins deux types d’entreprise n’ont sans doute pas suffisamment bénéficié du système. Ce sont d’une part les TPE, qui ont pourtant un grand rôle à jouer en matière d’insertion puisqu’elles comptent nombre de maîtres d’apprentissage, et que souvent les banques ne traitent pas très bien. Ce sont d’autre part les entreprises innovantes, fortement capitalistiques, dont les banques n’ont pas les compétences pour évaluer les performances et qui malheureusement, après une phase d’effort public très important, se font racheter par des capitaux étrangers. Les banques se sont tellement éloignées de leur cœur de métier que je suis beaucoup moins optimiste que vous. Que préconisez-vous ?

Enfin, à propos des filières, je déplore que dans une région industrielle comme la nôtre, nous n’ayons jamais rencontré les commissaires du Gouvernement…

M. Jean-Charles Taugourdeau. Malheureusement, beaucoup de petites entreprises n’ont pas fait appel à la médiation. Cela étant, pour avoir suivi une affaire de près, je voudrais témoigner, monsieur le médiateur, du travail remarquable que vous avez fait ainsi que de la grande disponibilité des personnes qui y ont collaboré, y compris dans les services régionaux. Cette présence humaine est extrêmement réconfortante pour le chef d’entreprise.

Je souligne cependant que les entreprises ont besoin non seulement de fonds, mais aussi de délais – que les banques ont souvent du mal à accorder.

Ma question est presque d’ordre philosophique : selon vous, faudra-t-il demain considérer la petite entreprise comme un patrimoine familial ou comme un outil de travail ?

Mme Marie-Lou Marcel. Début septembre, Madame Parisot appelait de ses vœux un réseau bancaire plus actif en matière de crédit, notamment aux PME, fortement menacées par la conjoncture actuelle. J’aimerais donc, monsieur le médiateur, être éclairée sur la feuille de route qui a été fixée aux banques depuis la réunion de l’Élysée et sur les outils de contrôle que vous avez mis en place.

Par ailleurs, puisque vous déploriez il y a quelque temps le manque de réactivité des organismes bancaires, quelles sont d’après vous les priorités pour les prochains mois dans ce domaine, bien sûr sans préjuger de l’action de votre successeur ?

M. René Ricol. La médiation ne peut être efficace que si l’on dit la vérité. En novembre, nous avions donc dit que les banques ne jouaient pas le jeu. Ensuite, les choses ont changé, les journalistes qui nous ont accompagnés sur le terrain ont pu le constater : d’une situation conflictuelle, on est passé à la coopération.

Je crois nécessaire de maintenir la médiation parce que, dans toute organisation humaine, il y a des risques de dérapage – dans la banque comme ailleurs. Il y a en France six grandes banques, quand aux Etats-Unis il y en a 4000 ; ce sont des grands groupes très structurés, avec le risque que le dialogue n’existe plus. C’est donc ce dialogue qu’il faut préserver, et les banquiers en sont conscients. Fin juin, début juillet, j’étais très satisfait ; au 15 août, je ne l’étais plus, en voyant revenir de très petits dossiers : on ne met pas une famille en danger pour 3000 ou 4000 euros ! C’est la preuve en tout cas qu’une surveillance est nécessaire. C’est pourquoi je me réjouis de l’accord de place qui a été signé car il va permettre de faire perdurer le système de manière consensuelle.

Les banques vont-elles apporter des fonds propres ? Je crois au partenariat public-privé, comme au mutualisme. A l’occasion de cet accord, on a retenu l’idée d’un fonds de 200 millions d’euros, hébergé par France Investissement dont je vais garder la présidence, et réservé à la médiation ; pour la première fois, 100 millions viendront du Fonds stratégique d’investissement (FSI) mais le reste viendra des banquiers et des assureurs. Si cela marche, il sera très difficile de ne pas renouveler le dispositif.

Faut-il légiférer ? L’expérience que j’ai partagée avec vous cette année montre que vous, parlementaires, avez d’autres moyens d’agir. Ce qui s’est passé sur le soutien abusif en est le meilleur exemple. Des solutions consensuelles peuvent être trouvées de la même façon sur bien d’autres sujets, à l’occasion de réunions organisées à votre initiative. Bien entendu, exploiter la voie du contrat de confiance n’empêche pas, dans certains cas, de choisir celle de la loi.

Un mot sur la SCI, qu’on ne peut pas qualifier de moyen de tricherie puisque le système existe depuis cinquante ans. L’idée serait d’aller vers la neutralité fiscale pour que l’immobilier ne soit pas dissocié de l’entreprise.

Nous avons eu moins de difficultés avec les banques purement capitalistes, où les décisions prises par la direction sont immédiatement appliquées, qu’avec les banques mutualistes, dont je suis néanmoins un grand défenseur. En période de reprise, nous pourrons demander plus d’efforts aux mutualistes – qui, elles, ne pourront pas arguer du risque d’OPA.

Le problème actuel est le déficit de projets d’investissement. L’artisanat, j’y crois, bien sûr, mais les artisans n’ont pas à contester les microentrepreneurs : chacun a le droit d’être là. Je crois aussi à la TPE, mais une TPE ne doit pas nécessairement le rester à vie ; dans certains domaines d’activité, il faut devenir PME, puis grande entreprise. Est-ce un patrimoine ou un outil de travail ? Pour moi, l’entreprise ne doit pas être autre chose qu’un outil de travail, cela ne me paraît pas discutable. Le désir d’être patron chez soi est une maladie qui fait beaucoup de mal à notre pays ; dans bien des cas, il faudrait recourir à la fusion.

OSEO, merci de l’avoir dit, a fait un travail formidable.

Beaucoup de PME-PMI ne sont pas venues nous voir, c’est vrai, mais moins qu’on ne pourrait le penser. Elles ont parfois eu peur que les banquiers leur reprochent ensuite d’être allées voir le médiateur – et c’est la raison pour laquelle nous avons souhaité un accord de place –, ou encore peur que, en mettant les chiffres à plat, nous les jugions – alors que notre préoccupation n’est pas de juger, mais de sauver.

En ce qui concerne les particuliers, nous encourageons les banquiers à développer des systèmes internes. Si vous montrez votre détermination sur ce sujet, sans doute pourrez-vous, sans avoir besoin de légiférer, assurer la diffusion des meilleures pratiques.

Merci d’avoir parlé des pôles de compétitivité, qui constituent eux aussi, bien sûr, un outil d’action.

Les prêts capitaux propres  marchent dans certains cas, dans d’autres une prise de contrôle est nécessaire.

Il faut pousser les TPE à venir nous voir. Le petit entrepreneur doit savoir qu’il sera traité aussi bien qu’une société cotée.

Les entreprises innovantes constituent un vrai thème de réflexion. On pourrait mettre sur pied un FSI bis. Je m’abstiens de parler des business angels, dont je ne pense pas beaucoup de bien et pour lesquels je réclame depuis longtemps une organisation professionnelle sérieuse, permettant de savoir qui ils sont. Sur ce sujet aussi, monsieur le président, vous pourriez nous aider !

Je suis bien d’accord avec vous pour dire que les banques doivent savoir accorder des délais. Je tiens cependant à souligner que nous avons en France obtenu des banquiers plus que nulle part ailleurs.

S’agissant des cost killers, ne nions pas que nous sommes dans un monde de compétition, mais ce que nous avons réussi à faire avec les banques et, bien plus difficile encore, avec les assureurs crédit, faisons-le avec les grands groupes : il faut entrer dans un système de solidarité intelligente ; on ne peut pas demander à un groupe français de ne pas se préoccuper de la compétition internationale, mais on peut s’adresser aux collaborateurs et aux acheteurs. Mon rêve, c’est l’engagement de bon comportement. Cela nous aidera aussi dans la restructuration des filières, qui se fait souvent autour d’un grand acteur.

Monsieur le président, merci encore de l’honneur que vous m’avez fait à plusieurs reprises et de l’aide que vous nous avez apportée !

M. le président Patrick Ollier. Merci à vous et à vos équipes. Merci à notre ami Nicolas Jacquet, qui est vos côtés et que nous connaissons bien. Nous avions pensé que vous seriez encore en fonctions lors de la réunion que nous avons programmée pour le mois d’octobre ; elle aura lieu avec votre successeur. Je retiens en tout cas que votre action a permis de préserver plus de 140 000 emplois. Je n’oublierai pas les pistes de travail que vous nous avez indiquées ; nous aurons certainement besoin de vos conseils et je ne manquerai pas, si vous le voulez bien, de faire appel à vous. Merci encore de tout ce que vous avez fait pour notre pays.

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Informations relatives à la Commission

A été confirmée en tant que rapporteure précédemment nommée par la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire :

Ont été nommés rapporteurs :

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