Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires économiques > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mercredi 13 octobre 2010

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Patrick Ollier Président puis de de M. Serge Poignant Vice-président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Estrosi, ministre auprès de la ministre de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie, sur le « Fabriqué en France »..

– Information relative à la commission

Commission
des affaires économiques

La commission des affaires économiques a entendu M. Christian Estrosi, ministre auprès de la ministre de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie, sur le « Fabriqué en France ».

M. le président Patrick Ollier. Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir répondu, une fois encore, à l’invitation de notre commission, pour nous parler du « Fabriqué en France ».

À l’origine, il y a une mission confiée par le Président de la République à Yves Jego sur la définition des contours d’une nouvelle marque France. Le 31 août dernier, vous mettiez en place l’Observatoire du Made in France, ce qui augurait bien de votre volonté de suivre avec soin les produits fabriqués dans notre pays.

Qu’il me soit permis de rappeler que c’est moi qui ai parlé en premier du concept de « patriotisme économique », il y a cinq ans, lorsque Danone était menacé par PepsiCo, avant que M. de Villepin ne reprenne peu après l’expression. Une telle attitude n’est pas du protectionnisme : on peut défendre ce qui est fabriqué en France sans pour autant prendre des mesures protectionnistes.

Je crois que nous sommes tous, ici, attachés à la défense du « Fabriqué en France ». Même si nous sommes favorables aux échanges extérieurs, il n’en reste pas moins que nous sommes responsables de la protection de l’industrie et de l’emploi en France. C’est pourquoi je vous ai invité à venir présenter votre démarche devant la commission.

Avant de vous laisser la parole, je voudrais vous exposer quelques-unes de nos préoccupations, en vous interrogeant sur :

– les différences d’appréciation de l’origine d’un produit entre l’administration des douanes et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) nous surprennent. Quelles en sont les raisons ? Est-il possible de régler ce problème ?

– le marquage de l’origine semble nécessaire. Mais jusqu’où peut-on aller tout en respectant les règles de l’OMC et de l’Union européenne ?

– parmi les dix propositions du rapport Jego figurent des mesures d’urgence, soit législatives, soit réglementaires. Sachez que nous sommes à votre disposition pour faire, en cas de besoin, de la coproduction législative. Notre commission étudie en effet la question depuis de longues années. Je suis donc particulièrement heureux de vous voir prendre une si bonne initiative, car vos prédécesseurs, que nous avions souvent interrogés, ne nous avaient guère proposé de solutions.

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie. Il y a presque un an, le 14 octobre 2009, je présentais devant votre commission les grands enjeux des États généraux de l’industrie voulus par le Président de la République. Durant ces douze mois, nous avons débattu et imaginé des solutions afin de permettre à la France de renouer avec sa vocation industrielle.

J’avais tenu à ce que les parlementaires soient étroitement associés à la démarche, tant en région qu’au sein du Comité national. En vous impliquant fortement dans les débats, en faisant remonter les attentes, les inquiétudes et les espoirs des habitants et des acteurs industriels de vos circonscriptions, vous avez contribué à la réussite de ces États généraux, et préservé ainsi l’avenir de notre industrie. J’en remercie le président Ollier, ainsi que Bernard Carayon, désigné par le Président Accoyer pour représenter l’Assemblée nationale à la Conférence nationale de l’industrie.

À ces États généraux ont également été associés les fédérations industrielles, les partenaires sociaux, les élus locaux et l’ensemble des acteurs des filières. Au total, ils auront réuni 5 000 participants. Près de 800 propositions issues de 270 ateliers ont ainsi permis de déboucher sur 23 mesures concrètes.

À travers celles-ci, la France se fixe un objectif majeur, en partant du constat que, entre 1999 et 2009, nous avons perdu près de 600 000 emplois industriels. Il faut dire que, durant les trente dernières années, on n’a plus cru à l’industrie et on a privilégié les services. L’écart de compétitivité n’a cessé de s’accroître avec l’Allemagne, qui a su engager des réformes importantes à la fin des années 90. En 1999, le coût du travail était de 10 % inférieur en France ; il est aujourd’hui au même niveau dans les deux pays.

M. Louis Cosyns. C’est la conséquence des 35 heures !

M. le ministre. Certainement, mais là n’est plus le problème. Comment se fait-il qu’à coût du travail identique, l’Allemagne soit plus compétitive que nous ? Cela s’explique aussi par la différence de taille des entreprises entre les deux pays : 3 % des entreprises françaises ont plus de 50 salariés, contre 47 % en Allemagne ! L’Allemagne bénéficie de ce fait d’une puissance de frappe, d’une organisation des filières, d’une solidarité entre donneurs d’ordres et sous-traitants, que la France ignore.

J’ai donc créé un Observatoire du « Fabriqué en France ». Il suffisait de publier des données qui existent, mais jamais personne ne l’avait fait. Ce document sera désormais actualisé tous les six mois, de manière à promouvoir une culture du résultat.

Les chiffres sont instructifs. Globalement, entre 1999 et 2009, la proportion de composants français dans les produits industriels français est passée de 75 % à 69 %. Cette diminution correspond à des délocalisations d’entreprises, à des emplois supprimés et, par voie de conséquence, à une perte de performance de notre industrie.

Certes, tous les secteurs ne sont pas touchés de la même manière. La proportion de composants français a augmenté dans la construction et la réparation navale, dans les technologies et services de l’information et de la communication, et, à la faveur d’un spectaculaire retournement de tendance, dans la mode et luxe. Mais dans tous les autres domaines, elle est en baisse, parfois très forte, comme dans l’aéronautique et l’industrie ferroviaire.

Je ne cherche pas à désigner des coupables. Globalement, durant ces trente dernières années, nos gouvernements successifs, quelle que soit leur couleur politique, se sont laissés enfermés dans une pensée unique, consistant à dire que l’avenir, ce sont les services, la finance, l’économie virtuelle. On a vu ce que cela a donné ! Tout a failli être balayé en deux heures la nuit du krach boursier de 2008. Si nous n’avions pas mis à profit l’année et demie qui vient de s’écouler pour essayer de retrouver nos fondamentaux et concentrer l’investissement sur l’innovation industrielle, nous n’arriverions pas à la sortie de la crise avec de nouveau quelques atouts entre les mains.

Cela étant, il reste encore du chemin à parcourir avant d’inverser la tendance et reconstruire la stratégie de filières qui s’est effritée ces dernières années. Nous devons nous armer dans le cadre de la mondialisation et corriger les faiblesses structurelles qui affectent la résistance de notre tissu industriel aux effets de la conjoncture. Si nous ne gagnons pas 25 % de part de production industrielle dans notre produit intérieur brut d’ici à 2015, nous ne pourrons pas rétablir la situation : aujourd’hui, en effet, la production industrielle représente 14 % du PIB français, contre 23 % pour l’Italie et 31 % pour l’Allemagne.

Nous devons fonder cette démarche sur la structuration des filières et sur une grande politique d’innovation. Cela suppose que nous soyons en mesure de suivre régulièrement, précisément et attentivement les évolutions de la production fabriquée en France. Voilà pourquoi j’ai mis en place cet Observatoire. Parallèlement, je souhaite que soit mesurée régulièrement la part qu’occupent les biens fabriqués sur notre territoire dans les consommations intermédiaires, dans la consommation finale et dans les exportations françaises.

L’Observatoire a confirmé nos faiblesses. Mais nous savons désormais ce qu’il faut penser du comportement de certains acteurs qui choisissent volontairement de renoncer au « Fabriqué en France ». J’ai lancé des piques à certains constructeurs français, notamment dans le secteur automobile, et plus particulièrement à l’entreprise dont l’État est le premier actionnaire. Il faut savoir que sur les onze grands constructeurs automobiles mondiaux, deux sont français. Nous devons les garder ! C’est pourquoi nous leur avons attribué pour 6 milliards d’euros de prêts et nous avons installé la plateforme de la filière automobile.

En retour, je tiens à souligner que nous avons déjà obtenu, à la suite du remboursement par anticipation de 2 milliards d’euros, représentant 320 millions d’euros d’intérêts pour l’État. Surtout, nous avons exigé que nos deux constructeurs fassent un effort considérable d’innovation et de diversification des gammes pour le Mondial de l’automobile 2010. Résultat : pour la première fois depuis longtemps, on peut être fier de voir des produits français aussi, voire plus performants que les meilleurs produits japonais et allemands. Notre volontarisme commence à porter ses fruits.

Nous sommes les premiers au monde à avoir un hybride diesel, nos deux constructeurs ont adopté un calendrier serré sur les véhicules décarbonés, les formes des véhicules sont plus attractives, les matériaux plus compétitifs, l’électronique embarquée s’améliore. Mais encore faut-il savoir d’où viennent les composants ! Pour sauver l’emploi à Flins, nous avons déboursé respectivement 100 et 150 millions d’euros pour que la Zoé et la batterie au lithium-ion qui l’équipera y soient fabriquées. Mais si la Zoé électrique ne contenait que 35 à 37 % de composants français, pourrait-on encore considérer qu’il s’agit d’une voiture française ?

C’est pourquoi le Président de la République et moi-même avons déclaré à Carlos Ghosn qu’à la suite de la création des comités stratégiques de filières, les règles du jeu allaient changer, et que la relation nouvelle entre le donneur d’ordres, les équipementiers et les sous-traitants de rang 2 et plus devait l’amener à augmenter le pourcentage de composants français dans ses véhicules. Il a pris l’engagement que, dans un délai de deux ans après la sortie de la Zoé, la proportion de composants français atteindrait 70 %. Cela signifie que nous enclenchons un cercle vertueux, grâce auquel un produit « Fabriqué en France » ne sera plus un produit simplement « assemblé en France ».

La différenciation de ces deux notions est essentielle. Il faut que nous examinions comment imposer de nouvelles règles du jeu, afin qu’il devienne impossible de déréférencer en vingt-quatre heures, à la suite d’une pression inacceptable sur les prix, la PME innovante qui fabriquait des composants depuis des décennies, au profit d’un industriel implanté à l’étranger.

Au-delà de ce constat, nous devons tout mettre en œuvre pour inscrire le label « Fabriqué en France » dans la durée. Il ne faut pas se contenter d’assembler dans les usines françaises des composants à haute valeur ajoutée produits ailleurs dans le monde. Il ne s’agit pas non plus d’entretenir une ambiguïté sur l’origine de produits fabriqués sur des sites de production implantés en France ou à l’étranger. Pour résumer, « fabriquer en France », c’est faire reposer l’essentiel de la valeur ajoutée d’un produit sur les compétences, le savoir-faire et le travail des salariés français, depuis sa conception jusqu’à sa production. La valeur humaine de nos ouvriers, de nos techniciens, de nos ingénieurs compte autant que la valeur du produit lui-même.

Pour cela, nous devons être plus innovants que les autres, car c’est dans l’innovation que réside la croissance industrielle de demain. Nous devons aussi être plus compétitifs, car notre industrie ne sera forte que si elle retrouve sa capacité à exporter ses produits partout dans le monde. Il faut assurer la structuration des filières en fondant le « Fabriqué en France » sur l’innovation de pointe, ce qui nous permettra d’avoir des produits qui s’exporteront bien. C’est à cette condition que le « Fabriqué en France » sera bénéfique à l’ensemble de notre économie, la qualité de notre écosystème industriel renforçant la confiance des investisseurs.

Aujourd’hui, la politique du « Fabriqué en France » repose sur trois grands leviers.

Premier levier, la mise en place des comités stratégiques, qui doivent rassembler les acteurs industriels d’une même filière. Mon objectif est que l’organisation industrielle française reprenne à son compte le modèle qui a fait le succès de l’industrie allemande. D’ici à la fin du mois, les différentes filières pourront bénéficier des conclusions du rapport de Mme Laure de La Raudière sur les simplifications du droit applicables aux entreprises industrielles françaises.

Deuxième levier, la politique visant à rééquilibrer les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants. J’ai nommé à cette fin un Médiateur de la sous-traitance, M. Jean-Claude Volot, qui est l’ancien adjoint de René Ricol à la médiation du crédit. J’ai déjà retenu plusieurs orientations.

D’abord, la rédaction d’un guide pratique de la sous-traitance pour les PME permettra une meilleure connaissance de la réglementation en vigueur et une meilleure diffusion des bonnes pratiques. Les sous-traitants pourront ainsi faire la part des choses entre ce qui relève du jeu normal des relations commerciales entre un client et son fournisseur et ce qui constitue un abus de position.

Ensuite, je demanderai aux comités de filières de conduire une réflexion suivant trois axes : la définition de contrats-types entre donneurs d’ordres et sous-traitants, afin d’homogénéiser les pratiques au sein d’une même filière ; la rédaction d’une charte nationale, sur le modèle de celle qui a été réalisée dans le secteur de la mode et du luxe ; et la mise en place d’une première médiation au niveau de la filière en cas de désaccord entre un donneur d’ordres et un sous-traitant.

Par ailleurs, je veux saluer le travail précieux accompli par votre collègue Marcel Bonnot sur le fonds destiné aux sous-traitants automobiles de rang 2, qui a permis d’aider de nombreuses entreprises industrielles confrontées à des choix stratégiques.

Le troisième levier est le dispositif d’aide à la réindustrialisation, opérationnel depuis cet été. Il s’adresse aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire qui réinvestissent en France. Il consiste en un prêt bonifié d’un montant pouvant aller jusqu’à 60 % du montant de l’investissement, sous réserve que celui-ci dépasse les 5 millions d’euros et crée au moins vingt-cinq emplois. Je précise que l’aide ne porte que sur l’investissement, non sur le coût de l’emploi.

Lors des États généraux de l’industrie, les partenaires industriels nous ont déclaré qu’ils étaient prêts à revenir en France. On note d’ailleurs une accélération des retours en France d’entreprises françaises qui s’étaient délocalisées il y a quelques années : ainsi les skis Rossignol à Sallanches pour y fabriquer 80 000 paires de ski par année, le Coq sportif, la fonderie Loiselet dans l’Eure-et-Loir, ou 3S Photonics, qui rapatrie 200 emplois depuis la Thaïlande vers l’Essonne.

Pourquoi un tel mouvement ? Parce que si le coût de la production est moindre à l’étranger, les industriels constatent que la main-d’œuvre y est également moins qualifiée, l’outil de production moins performant, la relation commerciale moins satisfaisante qu’en France. En revanche, il leur manque les investissements nécessaires pour relocaliser en France : postes de travail, ordinateurs, ateliers, etc. Voilà pourquoi, à la demande des partenaires sociaux et des fédérations industrielles, le Gouvernement a dégagé une enveloppe de 200 millions d’euros en faveur des investissements d’avenir.

Dans les prochaines semaines, nous recevrons par ailleurs les conclusions de la mission administrative pour la mise en œuvre des conclusions du rapport d’Yves Jego sur la marque France. Conformément à la demande du Président de la République, c’est au sein du ministère de l’Industrie que cette mission a été installée.

Créer les conditions du « Fabriqué en France » n’est en effet pas suffisant : il faut aussi lui donner une reconnaissance et une existence juridique. Bien entendu, je transmettrai, dès qu’elles seront connues, ces conclusions à votre commission. Les travaux de la mission permettront notamment de répondre à vos interrogations sur les différences de définition entre l’administration des douanes et la DGCCRF, sur les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour sécuriser la mise en place du label, et sur leur compatibilité avec les règles de l’OMC et de l’Union européenne.

À ce propos, le Parlement européen s’apprête à examiner un projet de Règlement visant à rendre obligatoire le marquage d’origine. Je me suis entretenu, il y a quinze jours, avec le vice-président de la Commission européenne chargé de l’industrie, M. Antonio Tajani, qui est sur la même ligne que moi. Nous réfléchissons même à un éventuel marquage « Fabriqué hors d’Europe ».

Il y a un peu plus d’un mois, j’avais fait part de mon intention de transmettre systématiquement les observations de l’Observatoire du « Fabriqué en France » aux commissions des affaires économiques des deux chambres, afin de nourrir les réflexions et les débats des parlementaires. Aujourd’hui, je veux vous convaincre que cet observatoire ne sert pas qu’à observer, mais aussi à comprendre et à agir. C’est ce que je me propose de faire, en liaison non seulement avec les industriels, les économistes et les partenaires sociaux, qui sont associés aux comités stratégiques de filières, mais aussi avec les représentants de la nation.

M. le président Patrick Ollier. Monsieur le ministre, je vous remercie. À titre personnel, je suis très heureux de vous entendre tenir ces propos ; j’ai d’ailleurs vu de nombreux collègues manifester une satisfaction en vous écoutant annoncer d’aussi bonnes décisions.

M. Alfred Trassy-Paillogues. Monsieur le ministre, nous vous remercions pour cette belle initiative. Après avoir apporté un soutien efficace à l’industrie automobile, vous vous attaquez maintenant, avec pragmatisme, à la défense d’une dizaine de filières chères à l’industrie française. Je vous félicite pour la publication de ces indicateurs et pour votre volonté de les actualiser régulièrement.

Je vous souhaite également vous poser quelques questions.

Les constructeurs automobiles nous affirment qu’il subsiste un écart de coût de production en la France et d’autres pays, y compris européens, de l’ordre de 500 à 900 euros par véhicule. Est-ce vrai ?

Par ailleurs, le dogme de la concurrence, qui avait été promu parfois de façon outrancière par certaines instances européennes – notamment dans le secteur aéronautique –, paraît aujourd’hui fragilisé. Que pensez-vous du choix comme fournisseur par Eurostar de Siemens au détriment d’Alstom, alors qu’il semble que le matériel du premier ne soit pas conforme ? De même, j’ai toujours été étonné que des gendarmes et des policiers français roulent en Ford Mondeo ; je n’ai jamais vu cela en Allemagne !

Enfin, dans les secteurs de l’éolien et du photovoltaïque, ce sont souvent des fonds de pension étrangers qui bénéficient d’opérations spéculatives très rentables, tandis que la quasi-totalité des équipements viennent de l’étranger. Or le budget de l’État est mis à contribution pour développer ces filières, qui ne semblent pas très profitables pour notre industrie et pour l’emploi. Envisagez-vous d’étudier ce qui se passe ?

M. François Brottes. Nous considérons nous aussi qu’il n’y a pas d’économie ni de croissance sans industrie. Même si elle ne représente plus une part considérable du chiffre d’affaires de la France, l’industrie est un moteur indispensable. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la création d’un Observatoire de ce type, de même que nous nous étions félicités de la création du Médiateur de la sous-traitance et du Médiateur du crédit. Ces deux institutions ont prouvé leur efficacité et nous souhaitons leur maintien, quoi qu’en pensent les banques.

En ce qui concerne le coût du travail, il convient de relativiser le problème. Dans l’industrie, les salaires ne représentent plus la part dominante des charges fixes des entreprises. Par ailleurs, le dialogue social se déroule peut-être différemment en Allemagne, où les syndicats occupent une tout autre place. On peut d’autant plus regretter que l’on entrave la création de syndicats dans nos PME. Mais je ne veux pas relancer la polémique…

M. Louis Cosyns. Certains syndicats français sont irresponsables !

M. François Brottes. Il serait par ailleurs souhaitable qu’un certain nombre de questions soient traitées dans le cadre de cet Observatoire.

D’abord, l’industrie est un enjeu mondial, et pas seulement européen. Or il existe des subventions publiques dans de nombreux pays. Il serait bon d’avoir des informations sur ce sujet.

Il faudrait également prendre en considération le coût de l’énergie, qui représente une part importante des charges fixes de la production industrielle française, pouvant aller jusqu’à 20 %. L’électricité est bien moins chère sur d’autres continents, et certaines entreprises en profitent pour délocaliser.

S’agissant des sous-traitants, j’apprécie votre initiative, mais sait-on mesurer les effets de la suppression des conditions de vente pour la grande distribution, qui vont affecter un certain nombre de petits industriels, lesquels n’ont pas été très bien traités au cours des dernières négociations ?

Quel rôle jouent les pôles des compétitivités dans le développement des filières ? Il serait utile d’associer approche verticale et approche horizontale.

Quel est le poids de la recherche publique par filière ? Il existe un lien étroit entre la recherche publique en amont et la R&D. Quand on baisse la garde dans le domaine de la recherche, la filière rencontre ensuite des difficultés ; inversement, une politique de recherche offensive se traduit souvent par de bons résultats industriels.

Quelles sont les conséquences de la réglementation sur la sécurité et sur l’environnement ? Elle est beaucoup plus lourde en France que dans d’autres pays – pour le coup, ce n’est pas la faute de votre seul gouvernement ! De surcroît, la suppression des services départementaux des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) s’est traduite par la disparition des interlocuteurs de proximité qui aidaient les chefs d’entreprise à monter des dossiers concernant des projets soumis à déclaration ou à autorisation. Pour les industriels, la réglementation est devenue un carcan dont ils ont du mal à se dépêtrer.

C’est très bien de réfléchir à des règles d’affichage, mais essayons de faire mieux que pour les OGM ! Comment indiquera-t-on le pourcentage de « Fabriqué français » ? Le sujet n’est pas facile, mais nous sommes prêts à y réfléchir.

Notre réunion d’hier sur les effets de la réforme de la taxe professionnelle a démontré, chiffres à l’appui, que la nouvelle taxation avait comme effet collatéral qu’il était désormais plus intéressant pour une collectivité locale d’accueillir des commerces et des services que des industries. Les territoires rechigneront désormais à accueillir une entreprise à risques, voire à accepter les nuisances générées par l’activité industrielle.

Il serait également utile de s’interroger sur la mort du capitalisme familial ; les héritiers, à la recherche de profits à très court terme, ont souvent rompu avec la culture d’une industrie s’inscrivant dans le long terme. Sur ces questions, il me semble que vous avez porté un regard qui pénalise notre industrie, compte tenu de son histoire.

Enfin, quelle est, dans chaque filière, la part de la formation continue initiale et de la formation en alternance, sachant que beaucoup d’entreprises ne proposent plus aujourd’hui d’emplois en alternance ? Cela a-t-il un impact sur la productivité ?

(M. Serge Poignant, vice-président de la Commission, remplace M. Patrick Ollier au fauteuil de la présidence.)

M. Jean Dionis du Séjour. Merci, monsieur le ministre, pour toutes ces informations. J’ignorais que la part de l’industrie dans le PIB français était si faible ; on se demande où est le reste ! La comparaison avec l’Italie et l’Allemagne est instructive.

L’Observatoire privilégie une approche par filière, ce qui est pertinent eu égard aux problèmes spécifiques à chacune. Mais, au-delà de la mise en place des comités stratégiques de filières, quel système de gouvernance allez-vous adopter ?

Ce qu’a dit François Brottes sur les territoires est très important. Quel intérêt a aujourd’hui une collectivité locale à accueillir une entreprise industrielle ? Il reste certes le levier de l’emploi, mais le levier fiscal, qui était si fort, a disparu. Attention aux conséquences !

Au plan fiscal, le débat sur la TVA sociale est-il définitivement clos ? Serait-il possible de faire une comparaison avec les pays européens où la TVA est à 25 % ?

Dans ma circonscription, je constate une désaffection des jeunes pour les filières technologiques, que ce soit dans les lycées ou dans les DUT. Les conséquences risquent d’être graves pour les PME. Votre ministère essaie-t-il de remédier à cette situation, en liaison avec celui de Valérie Pécresse ?

Mme Anny Poursinoff. Le président Ollier a parlé tout à l’heure de « patriotisme économique ». Je placerai quant à moi mon intervention sous le signe du pragmatisme écologique, qui promeut une approche globale sur le long terme. L’ère postcarbone imposera en effet un mouvement de relocalisation industrielle.

De plus en plus de consommateurs souhaitent participer, par leurs actes de consommation, à l’émergence d’une société plus sobre. L’étiquetage « Fabriqué en France » ne sera pas facile à mettre en place ; comme vous l’avez souligné, certains composants viennent d’ailleurs et il ne faudrait pas que le « Fabriqué en France » se confonde avec l’« Assemblé en France ». Dans cette optique, l’affichage du bilan carbone du produit pourrait être une solution. Il ne sera certes pas facile de l’expliquer aux consommateurs, mais on pourra s’inspirer du précédent de l’affichage de l’efficacité énergétique des appareils électroménagers.

On voit bien que la qualité des produits français est un atout commercial – même s’il ne faut pas négliger la question du prix. Dans la perspective prochaine d’une société où l’on jettera moins, son importance est appelée à grandir.

Enfin, lorsque vous avez évoqué la structuration des filières, vous avez dit vouloir aller de la conception à la production. N’oubliez pas le recyclage ! C’est un élément important, qui influe sur le bilan carbone.

M. le ministre. Monsieur Trassy-Paillogues, je suis convaincu qu’il ne faut pas avoir de complexe sur le coût de la production en France. Certains industriels ont cru que, comme cela coûtait moins cher ailleurs dans le monde, il fallait fabriquer à l’étranger. Ce fut une grave erreur. Résultat, en 2009 et 2010, une quarantaine d’entreprises significatives ont relocalisé en France – et le mouvement s’accélère. Les industriels se rendent compte que, si le coût de production est inférieur à l’étranger, le produit est plus difficilement commercialisable que s’il avait été fabriqué en France avec un niveau d’innovation plus élevé.

Qui plus est, la mondialisation n’a pas que des inconvénients. Les pays émergents se rapprochent des pays développés ; s’ils conservent des taux de croissance bien supérieurs aux nôtres, leurs systèmes sociaux, environnementaux et fiscaux ne pourront pas rester éternellement figés. Progressivement, leurs coûts de production vont augmenter et l’écart avec nos pays va se réduire. Ceux qui auront misé à fond sur les délocalisations regretteront de ne pas avoir su faire machine arrière à temps.

Toutefois, on ne peut pas se contenter d’attendre que l’harmonisation se fasse. Nous devons améliorer notre compétitivité. Certains d’entre vous ont évoqué la suppression de la taxe professionnelle. Ce n’est pas le sujet ! Nous ne parlons pas aujourd’hui de l’aménagement du territoire, même si j’ai eu à charge cette question, mais de l’industrie et du « Fabriqué en France ». Or, pour la première fois cette année, les entreprises françaises ne perdront pas 12 milliards d’euros à cause de la taxe professionnelle. Et je suis convaincu que cet argent joue un rôle important dans la vague actuelle de relocalisations et dans le rétablissement par les entreprises de leurs marges de compétitivité.

M. François Brottes. L’économie pour les entreprises est de 7,2 milliards. C’est l’État qui paye le reste !

M. le ministre. Le crédit d’impôt recherche (CIR) fait également débat, certains parlementaires dénonçant un effet d’aubaine. Personnellement, en tant que ministre de l’industrie, je ne suis pas favorable à la modification de ce dispositif, qui représente une enveloppe de 4 milliards d’euros et dont les effets sont extrêmement positifs.

M. Daniel Paul. Il coûte 5,2 milliards d’euros !

M. le ministre. Cela signifie que l’on a beaucoup cherché et beaucoup breveté !

Par ailleurs, il s’agit d’un réel instrument de compétitivité. En dernier ressort, la décision reviendra bien évidemment au Parlement mais, sur le terrain, j’observe que l’usage qui en est fait porte ses fruits. Il ne se passe pas un jour sans que les partenaires industriels ne me supplient de maintenir le crédit d’impôt cherche.

Cela concerne aussi les collectivités locales. MM. Dionis du Séjour et Brottes m’assurent que la réforme de la taxe professionnelle incitera les territoires à accueillir de l’emploi tertiaire plutôt que de l’emploi industriel. Je ne le crois pas. Les mouvements se font naturellement ! Pourquoi ouvre-t-on des écoles, développe-t-on les services publics, améliore-t-on la qualité et la mixité du logement, crée-t-on du tissu urbain ? C’est parce que le territoire de la commune abrite des emplois qualifiés ! Or les emplois qualifiés se trouvent aujourd’hui dans l’industrie.

S’agissant de la formation, je travaille bien entendu en liaison avec mes collègues Valérie Pécresse et Luc Chatel. Il faut savoir qu’au cours de ces dix dernières années, près de 55 % des diplômés de Polytechnique s’orientaient vers les métiers de la finance !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est une catastrophe !

M. Daniel Paul. Il faut dire que ça rapporte davantage !

M. le ministre. Le mois dernier, j’ai assisté, comme chaque année, à la rentrée de l’École des Mines de Paris. On n’y a jamais vu une telle proportion de Polytechniciens ! Cela signifie qu’il existe un renouveau d’intérêt pour ces filières, qui sont les grandes filières d’avenir. Il est de notre devoir d’encourager et de soutenir ce mouvement.

L’un des principaux débats de société actuels porte sur la pénibilité du travail. J’ai défendu lors des États généraux de l’industrie une mesure qui sera au cœur des travaux des comités stratégiques de filières : je souhaite que l’on accorde une place plus importante au tutorat. En plaçant les jeunes recrues sous la protection d’un tuteur qui, arrivé à un certain âge, n’aura plus à pratiquer directement son métier du fait de sa pénibilité, nous apporterons à l’entreprise une dimension humaine et sociale en même temps que nous soutiendrons les métiers de l’industrie.

Enfin, un dispositif fédérateur et un plan d’action locale permettront de décliner la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences – GPEC – au niveau des bassins d’emploi pour anticiper au plus prêt du terrain les mutations et les besoins des entreprises. Mieux vaut une formation la plus adaptée possible à la réalité des bassins d’emploi qu’une formation à des métiers pour lesquels il n’existe pas d’offre. Tous ces travaux doivent être au cœur des comités stratégiques de filière.

S’agissant des énergies renouvelables, il ne faut pas confondre les politiques de services et les politiques des industries de services. Les métiers de services de notre pays s’appuieront-ils sur des industries de services situées à l’extérieur ou des industries de services installées chez nous ? La France n’a pas été au rendez-vous des éoliennes et du photovoltaïque sur le plan de la production industrielle : en effet, leur développement repose sur des productions industrielles venant d’autres pays. Les comités stratégiques de filière doivent donc conduire une réflexion à ce sujet.

Il est important d’accorder des crédits aux investissements d’avenir pour aider certaines PME dans notre pays. Ainsi, nous finançons, pour un laboratoire de recherche installé à La Seyne-sur-Mer – la CNIM –, un démonstrateur qui porte sur des panneaux thermodynamiques solaires, dont le coût de production est faible et qui sont destinés à être exportés dans les pays émergents. Nous sommes les premiers au monde à avoir un brevet dans ce domaine. Pour ce qui est de cette technologie, nous serons donc les premiers au rendez-vous, ce qui n’a pas été le cas pour le photovoltaïque et l’éolien…

Par ailleurs, j’ai été stupéfait d’apprendre qu’Eurostar allait commander des trains à Siemens. Là aussi, il faut mener la bataille. Eurostar est détenu à 55 % par la SNCF, dont l’État français est le seul et unique actionnaire. J’ai donc demandé à son Président, Guillaume Pepy, qu’une grande attention soit portée à ce dossier, afin que la demande de l’État français soit relayée, à savoir qu’Eurostar mette au plus vite son appel d’offres en conformité avec les règles de sécurité du tunnel sous la Manche. Selon nous, en effet, l’attribution du marché à Siemens ne respecte pas ces règles. Il y aura donc une suite dans cette affaire.

À Monsieur Brottes, je réponds que la culture allemande dans l’entreprise n’est effectivement pas celle que nous connaissons en France. Nous aurions de nombreuses raisons de nous inspirer du modèle allemand. En outre, je rappelle que l’électricité française est l’une des moins chère d’Europe.

À la demande du Président de la République, le Conseil « Compétitivité » avance très vite sur l’instauration d’une taxe carbone aux frontières européennes. C’est un combat qui ne peut se mener qu’au plan européen.

Certains d’entre vous ont souligné que dynamique française doit se porter aussi à l’international, mais, à cet égard, il faut faire la différence entre délocalisations et localisations. La présence de PSA en Chine s’inscrit dans le cadre d’une localisation, et non d’une délocalisation. Les voitures fabriquées par PSA en Chine n’ont rien à voir avec les modèles français et elles ne reviennent pas en France car la clientèle chinoise souhaite un produit différent de celui qui est demandé sur le marché européen. En revanche, tous les bénéfices réalisés sur place sont réinvestis dans la recherche et le développement dans les laboratoires de PSA en France. J’ajoute que neuf voitures sur dix achetées en Chine sont des premières voitures alors qu’une voiture sur dix achetée en Europe est une première voiture. En 2015, une voiture sur trois produite dans le monde sera vendue en Chine. De même, Michelin, qui a une grande culture du « fabriqué en France » et de la défense du savoir-faire français, détient en Chine 11 % du marché de première monte et réinvestit tous ses bénéfices à Clermont-Ferrand dans la recherche, le développement et l’innovation.

Madame Poursinoff, vous avez entièrement raison sur le recyclage. Flins s’oriente d’ailleurs dans cette direction, avec une activité centrée sur la batterie, la construction et la déconstruction de la voiture.

M. Jean-Pierre Nicolas. Il n’y a pas de développement économique sans politique industrielle forte, ni de politique sociale pérenne sans socle économique fort. C’est pourquoi nous nous réjouissons de la démarche engagée en faveur de la réindustrialisation de notre pays, car perdre 600 000 emplois n’est pas supportable.

La stratégie développée est pragmatique : elle s’appuie sur les atouts de la France que constituent une main-d’œuvre qualifiée, une production de qualité, un réseau de relations commerciales et une politique d’innovation.

Je partage votre sentiment, monsieur le ministre : il faut continuer à être offensifs en matière de recherche et de développement.

En matière de construction automobile, le coût du travail n’est pas tout, il faut du « donnant-donnant » : assembler en France, alors que les divers éléments n’y sont pas produits, ne suffira pas.

Le photovoltaïque et les éoliennes ne profitent ni à l’industrie française ni au consommateur. Doit-on alors continuer à permettre à certains producteurs de se constituer des rentes importantes ? Pour finir, je ne suis pas sûr que le législateur n’ait pas à revenir sur la réforme de la taxe professionnelle.

Mme Frédérique Massat. Comme la législation le permet, un nombre élevé de produits porte la mention « Fabriqué en France », alors que la part de l’activité en France représente seulement 45 % de leur prix de revient. Ainsi, certaines entreprises font fabriquer les composants à l’étranger et réaliser l’assemblage en France, ce que vous avez dénoncé. Quelle législation allez-vous nous proposer afin d’éliminer ces pratiques ?

Si certains industriels, dans l’agroalimentaire par exemple, se réjouissent de l’annonce de ce nouveau label « Fabriqué en France », d’autres – dans le textile, la maroquinerie ou encore les arts de la table – qui font fabriquer à l’étranger semblent plus réticents. Comment allez-vous les convaincre, voire les contraindre ?

Le rapport d’Yves Jego contient dix propositions pour favoriser l’information et la traçabilité des produits. Quelles propositions allez-vous retenir ?

Enfin, en ce qui concerne la relocalisation, l’aide à la réindustrialisation sera-t-elle soumise à des critères relatifs à la durée d’activité, comme le maintien des emplois sur le site ?

M. Daniel Paul. Hier, les communistes ont livré bataille pour défendre le maintien de l’industrie de la machine-outil en France. Aujourd’hui, ils se battent, eux aussi, pour le maintien et le développement de l’industrie dans notre pays. À cet égard, je note que personne n’a évoqué le carcan financier qui enserre notre industrie depuis quelques années : selon certains PDG, la première priorité d’une entreprise est de fournir du cash aux actionnaires !

Les aides aux entreprises, auxquelles nous sommes favorables, y compris les aides à la recherche, doivent s’accompagner d’un contrôle strict. Sachant que le crédit impôt recherche s’élève à 4 voire 5 milliards d’euros, et pourrait atteindre plus en raison de certains effets d’aubaine, il est temps de mettre en place des dispositifs permettant de contrôler réellement les emplois créés et les brevets déposés en France.

Monsieur le ministre, j’observe que les graphiques du document que vous nous avez remis ne font pas état du pétrole et de la pétrochimie, alors que ce secteur pèse très lourdement dans le PIB de notre pays – un des premiers groupes mondiaux se trouve en France.

Par ailleurs, le graphique « vision consommateurs » fait apparaître que la part des industries de biens de consommation fabriqués en France est passée de 58 % à 45 % de 1999 à 2009, et celle des industries de santé – alors que nous possédons également des grands groupes – de 59 % à 34 %. Une telle baisse mériterait une analyse plus fine.

Quant au recyclage, nous souhaiterions qu’il se développe également sur le site de Sandouville.

M. Xavier Breton. Parmi les onze filières stratégiques, quatre concernent des secteurs consacrés à la construction de moyens de transport : l’automobile, l’aéronautique, le ferroviaire, et la construction et la réparation navales. Les véhicules industriels n’y figurent pas alors que cette filière est importante en termes d’emplois, qu’elle épouse rapidement les évolutions technologiques, notamment en matière environnementale, et que, face à la concurrence étrangère, elle doit livrer une bataille incessante en matière d’innovation. Monsieur le ministre, les véhicules industriels ont-ils leur place dans les filières stratégiques ?

M. Jean Grellier. J’ignore s’il faut parler de patriotisme économique pour développer le « Fabriqué en France », mais j’estime qu’il est nécessaire d’évoquer les partenariats et les réseaux permettant de faire valoir le savoir-faire complémentaire de nos entreprises industrielles.

Notre capacité industrielle étant répartie sur l’ensemble de notre territoire, comment allez-vous, monsieur le ministre, compte tenu de la compétence en matière économique des conseils régionaux et des intercommunalités, décliner dans les régions cette organisation en filières stratégiques ?

L’action du médiateur de la sous-traitante doit également pouvoir être décentralisée. De quels moyens disposera-t-il pour cela ?

Quelle est la place des pôles de compétitivité  dans le cadre de cette politique de filières ? Êtes-vous en mesure d’établir un bilan de leur efficacité en termes de développement d’activité industrielle, initialement leur principal objectif ?

Qu’entendez-vous par filière des éco-industries ? Ne s’agit-il pas d’une action transversale à l’ensemble des filières, s’inscrivant dans le cadre de la croissance verte ?

Je fais miennes les questions posées sur la fiscalité et sa capacité à être dynamique et incitative en matière économique.

Le quotidien Le Monde publie aujourd’hui, sous la plume de Patrick Artus et Jean-Hervé Lorenzi, un article sur la crise qui touche l’industrie. Parmi les questions posées, figure celle de mobiliser des montants très importants d’épargne – peut-être 150 ou 200 milliards d’euros sur les cinq prochaines années – de manière à reconstituer un socle d’investissements et d’activités porteur de croissance, de création d’emplois raisonnablement qualifiés. Quel est votre avis sur cette constatation ? Quels sont les moyens budgétaires pour conduire l’action nécessaire à ce « Fabriqué en France » et au développement de notre industrie ?

Enfin, pourquoi n’y a-t-il qu’un seul représentant de l’Assemblée nationale – de la majorité – à la Conférence nationale de l’industrie ? Je rappelle que l’opposition était représentée au sein du Comité national des États généraux de l’industrie ?

M. Jean-Louis Léonard. La culture d’entreprise n’est pas suffisamment évoquée. Les situations sont effectivement très différentes selon les filières. Ainsi, dans le secteur de l’automobile prévaut une culture forcenée du low cost : les contrats des sous-traitants ne sont étudiés que s’ils affichent une progression considérable du low cost. Dans le secteur de l’aéronautique, c’est le marché qui commande : depuis 1999, le « fabriqué à l’extérieur » est à peu près proportionnel à la croissance d’Airbus dont les contrats pour les ventes d’avions comportent des conditions offset, avec des transferts de technologie ou de processus industriel. En France, les grandes entreprises ne font pas de coaching des sous-traitants : celui-ci reste une posture plus qu’une réalité.

Votre initiative est formidable, monsieur le ministre, mais les décisions politiques ont-elles encore un poids ? Je pourrais m’enthousiasmer des déclarations de M. Ghosn, à condition qu’elles aient une réelle portée ; or, tout me laisse à penser qu’il y a, là encore, une posture et que les choses évolueront toujours en fonction du marché.

M. Jean-René Marsac. La dizaine de filières ciblées peut-elle se développer dans un cadre strictement national ? Certaines d’entre elles ne sont-elles pas déjà organisées au niveau européen, dans des partenariats binationaux ou trinationaux ? Comment favoriser l’émergence de groupes européens face à des stratégies qui se replieraient sur des espaces nationaux ?

Les volontés nationales peuvent-elles s’inscrire dans une politique industrielle européenne ? Celle-ci serait-elle efficace pour l’ensemble de nos pays dans la compétition mondiale ?

Mme Marie-Lou Marcel. Monsieur le ministre, lors du lancement de l’Observatoire du « Fabriqué en France », vous avez déclaré qu’il avait été conçu comme un outil non de description statistique, mais de dialogue, de débat et de décision. Vous avez également émis le souhait que notre pays se dote d’outils législatifs et réglementaires.

En quoi cet Observatoire sera-t-il un outil de décision ? Quels types de produits pourraient être étiquetés « Fabriqué en France » et sur quels critères pourront-ils être labellisés ? De quels moyens disposera cet observatoire ?

Selon un article de La Tribune du 6 octobre, l’État accompagne les projets portés par Renault dans le cadre du traitement de la filière des batteries. Certaines entreprises vont donc se positionner sur ce secteur ; c’est le cas de la SNAM, entreprise de ma circonscription, qui est spécialisée dans la vente de métaux et le recyclage de batteries, et qui intervient sur trois segments : voitures hybrides électriques, recyclage des déchets et production de batteries, véhicules hors d’usage et batteries en fin de vie. Quels accompagnements l’État assurera-t-il pour ces entreprises spécifiques ?

Mme Annick Le Loch. Dans le secteur de l’agroalimentaire, le marquage de l’origine est un vrai sujet. Le consommateur croit acheter un produit fabriqué en France, alors que l’indication figurant sur la boîte correspond à l’adresse du siège social de l’entreprise et non au lieu de fabrication. Monsieur le ministre, quelles actions comptez-vous mener pour introduire davantage d’informations et de transparence ?

La modification du régime de la taxe professionnelle – pour l’industrie lourde la baisse de taxe est de 14 % – engendre une baisse de recettes de 80 % pour les collectivités. Parallèlement, l’accueil d’un hypermarché rapporte une augmentation 128 % aux collectivités. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre, car s’il est nécessaire d’augmenter la production industrielle, il faut aussi trouver un territoire pour l’accueillir ?

Mme Corinne Erhel. La filière TIC – technologies de l’information et de la communication – est stratégique. Très innovante, créatrice d’emplois, elle s’inscrit néanmoins dans un secteur très concurrentiel au niveau mondial en termes de normes sociales et environnementales, mais aussi de gouvernance d’entreprise. Se situer uniquement sur le plan de la compétition et des coûts mettra les salariés en situation difficile. Dans le cadre de votre réflexion sur cette filière, intégrez-vous la notion de sécurité des réseaux, essentielle pour maintenir des emplois en France, mais aussi en Europe ?

M. William Dumas. Il semblerait que le patron de Renault, entreprise où l’État reste l’actionnaire principal à hauteur de 15 %, veuille délocaliser la production de la Clio en Turquie. Dès lors, monsieur le ministre, comment allez-vous faire pour que restent en France des entreprises dont l’État n’est pas actionnaire ?

Dans ma circonscription, l’entreprise Well, délocalisée en Chine, est passée de 1 200 emplois en 2000 à 270 aujourd’hui. Toutefois, à la suite de déconvenues sur la qualité de la marchandise, il y a eu relocalisation, et l’industriel italien qui a repris cette entreprise devrait créer 40 à 50 emplois supplémentaires. Quant à l’entreprise Jallatte, leader mondial de la chaussure de sécurité, elle a été achetée par un fonds de pension et délocalisée en Tunisie. Dans ces deux cas, il a fallu se battre pour conserver des emplois, et la région comme le département ont dû mettre en place un plan de sauvegarde – pour lequel il est toujours très difficile de demander la participation de l’État.

Mme Colette Langlade. Les entreprises de l’industrie du bois se trouvent confrontées à trois problèmes : l’État attribue de plus en plus tard les marchés ; les entreprises subissent une réduction des commandes, et donc une chute de leur chiffre d’affaires de 50 % ; la SNCF ne commande plus de traverses en bois, mais des traverses en béton provenant d’Italie. Que puis-je répondre aux chefs d’entreprise concernés ?

M. le ministre. Mesdames et messieurs les députés, vous avez posé des questions très pertinentes.

Je remercie Jean-Pierre Nicolas pour ses encouragements.

Madame Massat, nos mesures se déclineront de deux façons : une démarche facultative au niveau national avec des entreprises volontaires ; une démarche obligatoire au niveau européen – avec le projet de Règlement dont j’ai parlé.

S’agissant de l’octroi d’aides à la réindustrialisation, nous n’hésiterons pas à exiger le remboursement si les engagements ne sont pas tenus.

Monsieur Paul, nous avons mis en place une table ronde et des groupes de travail spécifiques sur le raffinage. Et je me suis personnellement opposé au projet Oiltanking Mediaco, visant à créer un simple dépôt de carburant à Marseille et à réaliser le raffinage ailleurs.

Le recyclage concernera aussi Sandouville. Comme nous l’avons dit très clairement à Renault, nous sommes attachés à ce site. La fabrication des véhicules utilitaires, qui se fait aujourd’hui en Angleterre, pourrait être rapatriée en France à partir de 2012. Renault a besoin d’être accompagné s’agissant des investissements de modernisation, et nous y serons très attentifs. Enfin, une chaîne de déconstruction à Sandouville a bien évidemment un sens du point de vue du recyclage total.

Monsieur Breton, les véhicules industriels font partie de la filière automobile. Leurs représentants sont intégrés au comité stratégique de l’automobile.

Monsieur Grellier, la filière des éco-industries constitue un potentiel de croissance majeur. Le dernier CIADT a labellisé six pôles de compétitivité, et nous espérons créer d’ici à 2020 près de 350 000 emplois autour des éco-industries pour près de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. L’industrie n’est pas l’ennemie de l’écologie, au contraire.

Le représentant de l’Assemblée nationale à la Conférence nationale de l’industrie a été désigné par votre président. La participation de députés de tous les bords aux travaux de la Conférence, en fonction des sujets inscrits à l’ordre du jour, me semble intéressante ; je ferai à M. Accoyer des propositions en ce sens.

Monsieur Léonard, comme le montre le rapport Volot – lequel comporte des propositions d’ordre législatif ou réglementaire relatives à la sous-traitance –, les relations dominants-dominés entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants nuisent à la performance. Elles ne sont plus acceptables. Nous ne pouvons plus subir le diktat aveugle de la réduction des coûts. C’est unes des raisons d’être de la Conférence nationale et des comités stratégiques de filière. Mais ces derniers auront aussi comme axe de travail le développement des outils de fabrication utiles à chaque filière : il faut savoir que tous les outils de fabrication des chaînes de Sanofi sont fabriqués en Italie et en Allemagne, car il n’y a plus de grands fabricants de machines-outils en France. J’ajoute que, dans deux ans, 30 % des médicaments achetés en pharmacie seront issus des biotechnologies.

Madame Marcel, s’agissant des batteries, l’enveloppe de 250 millions d’euros – 108 millions ont été dépensés en 2010 et les 142 millions non consommés seront reconduits en 2011 – bénéficiera aux PME françaises et aux constructeurs qui se positionneront sur ce marché ; il n’y aura pas d’exclusivité. Nous venons d’ailleurs de signer avec Heuliez, qui répondait aux critères exigés, un contrat de « prêt vert » d’un montant de 8 millions d’euros pour le véhicule décarboné

Madame Erhel, défendre l’industrie et l’emploi français, c’est aussi défendre une certaine conception de la politique européenne industrielle afin qu’elle pèse face à nos compétiteurs, notamment asiatiques, en particulier dans la filière des TIC. Nous jouerons pleinement le jeu de l’ouverture des marchés et de la compétitivité de notre industrie, tout en exigeant le respect par tous de règles communes. Le 2 septembre dernier, j’ai installé à Bruxelles, l’ambassadeur de l’industrie, M. Yvon Jacob, chargé de porter un nouveau pacte pour une Europe industrielle. Nous avons présenté à des parlementaires européens et au vice-président de la Commission les objectifs de la France en la matière : lutte contre le dumping par l’utilisation des instruments de défense commerciale ; application du principe de réciprocité réglementaire, en particulier en matière d’accès aux marchés publics.

Madame Le Loch, la réforme de la TP ne fait pas fuir l’industrie de nos territoires. Au contraire, 2 milliards d’euros d’économies sur les investissements productifs des industriels ne peuvent que les attirer. Il est dans l’intérêt de toutes les villes et régions d’accueillir les familles des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers. Une région qui ne veut pas vivre uniquement de cafés, de commerces ou de supermarchés a intérêt à s’engager dans cette voie.

Madame Langlade, pour les TGV, les traverses sont en bois. J’ai créé un fonds bois doté de 20 millions d’euros. Au reste, nombre de chefs d’entreprise de l’industrie du bois demandent à relever du ministère de l’industrie, car il s’agit d’une véritable filière. Ce sujet devrait être inscrit à l’ordre du jour des travaux du comité stratégique de la filière ferroviaire, et, s’agissant des traverses de chemin de fer, je relaierai vos légitimes revendications pour défendre les industriels français.

Monsieur Dumas, la Clio 3 est produite sur quatre sites, trois en Europe et un à Bursa en Turquie, pour des marchés correspondant à l’environnement régional. S’agissant de la Clio 4, il n’était pas question qu’elle soit fabriquée à Bursa, comme le projetait Renault : nous avons donc demandé qu’elle soit fabriquée à Flins, dans le prolongement de la Clio 3 – j’ai d’ailleurs annoncé devant le Parlement, voilà plus de neuf mois maintenant, que la Clio 4 serait produite à Flins, pour le marché français et une part du marché européen. Cette affaire est réglée.

J’ai entendu ce que vous avez dit sur la société Well. Les relocalisations sont la démonstration que chacun est en train de mesurer que la qualité des produits et celle des mains-d’œuvre à l’étranger ne sont pas forcément meilleures à l’étranger

Les comités stratégiques de filière, ainsi que le Médiateur à la sous-traitance et les commissaires à la réindustrialisation, tout en veillant à établir une relation vertueuse entre donneurs d’ordres et sous-traitants, sont là pour inverser le cours des choses.

M. Serge Poignant, vice-président de la Commission. Merci, monsieur le ministre.

◊ ◊

Information relative à la commission

M. Michel Raison remplace M. Antoine Herth comme membre du groupe de travail conjoint avec la commission des affaires européennes sur l’avenir de la politique agricole commune.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 13 octobre 2010 à 16 h 30

Présents. - M. Alfred Almont, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Jean Grellier, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Louis Léonard, M. François Loos, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Patrick Ollier, M. Daniel Paul, M. Serge Poignant, Mme Anny Poursinoff, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues

Excusés. - M. Gabriel Biancheri, M. Jean-Michel Couve, Mme Pascale Got, M. Antoine Herth, M. Philippe Armand Martin

Assistaient également à la réunion. - M. Xavier Breton, Mme Colette Langlade