Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires économiques > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires économiques

Jeudi 16 décembre 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition de M. Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, sur le texte du projet d’ordonnance transposant les directives 2009/72/CE et 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et du gaz.

La commission a auditionné M. Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, sur le texte du projet d’ordonnance transposant les directives 2009/72/CE et 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et du gaz.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie, monsieur le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, de votre présence.

Nous étions convenus de l’organisation de cette audition à la fin du mois de novembre, lors de l’examen en deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), et alors que la commission du développement durable examinait une proposition de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne reprenant l’article 10 dudit projet habilitant le Gouvernement à transposer par ordonnance le troisième paquet de libéralisation du marché de l’énergie, article qui avait été supprimé à l’unanimité et qui sera sans doute adopté en séance publique le 20 décembre. Datant de la fin du mois de juillet 2009, ce troisième paquet doit être transposé avant le mois de mars 2011. La proposition de loi prévoit quant à elle un délai de six mois pour la publication de l’ordonnance, laquelle devra être ratifiée trois mois plus tard.

Si nous n’examinerons pas ce matin en détail l’important document que vous nous avez remis, nous vous poserons néanmoins d’ores et déjà un certain nombre de questions.

Quel calendrier envisagez-vous donc pour publier l’ordonnance et êtes-vous toujours d’accord pour que soit constitué un groupe de travail avec des membres de notre Commission ?

Par ailleurs, le principal enjeu politique, lors des débats préalables à l’adoption du troisième paquet, résidait dans la reconnaissance d’une troisième voie – laquelle était préconisée par la France et l’Allemagne – entre la séparation patrimoniale, dite unbundling, des réseaux de transport d’électricité et de gaz et la mise en place d’un opérateur indépendant de système (ISO). La solution que nous préconisons, celle d’opérateurs de transport indépendants (ITO), a finalement été retenue. Quelles sont les mesures concrètes qui permettront de rendre encore plus effective l’indépendance des gestionnaires de réseau de transport ?

Lorsque notre Assemblée s’était exprimée sur les projets de textes européens en 2008, nous avions eu l’occasion, avec MM. André Schneider, Jean-Claude Lenoir, François Brottes, Daniel Paul et Philippe Tourtelier, d’insister sur la nécessité de préserver la frontière séparant les compétences des régulateurs et ce qui relève du domaine régalien.

Dans quelle mesure le texte de l’ordonnance modifie-t-il l’équilibre actuel ? De plus, quels choix avez-vous faits compte tenu de la marge de manœuvre laissée par les directives s’agissant des points visés par l’article d’habilitation – certification des GRT, sanctions, contrôle des investissements de réseau et fixation du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE) ?

Enfin, alors que l’Agence des régulateurs européens de l’énergie a défini son programme de travail pour 2011, qu’en est-il de la transposition de ce paquet au sein des autres États membres ?

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. C’est avec joie que je viens à nouveau devant vous aujourd’hui, afin de participer à une séance de travail sur un thème qui, s’il est extrêmement technique, n’en demeure pas moins fondamental pour notre système énergétique : la transposition en droit français de deux directives concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et du gaz – respectivement 2009/72 et 2009/73 – du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 désignées comme le troisième paquet électrique, énergétique et gazier, ou, « troisième paquet MIEG ». Elles contiennent en l’occurrence une série de dispositions souvent identiques et très précises portant essentiellement sur deux sujets.

Le premier concerne la protection accrue des consommateurs et le renforcement de leurs droits, lequel a trouvé une issue législative à l’occasion de la loi NOME : extension du droit de la consommation aux « non professionnels » – copropriétés, collectivités locales, par exemple – et non aux seuls particuliers en ce qui concerne les contrats de fourniture d’énergie ; mesures pour améliorer la facturation des consommateurs sur la base d’éléments objectifs ainsi que le règlement des éventuels litiges ; règles permettant de faciliter la résiliation des contrats de fourniture d’énergie et le changement de fournisseur dans des délais plus stricts ; enfin, gratuité de l’accès du consommateur à ses données de consommation. Notre droit, dans ce domaine et dans l’intérêt de l’ensemble des consommateurs, me semble satisfaisant.

Le deuxième sujet de ce « troisième paquet MIEG » et qui est au cœur de ces directives depuis 2003 concerne les règles d’interaction entre les différentes filiales d’un groupe électrique ou gazier qui serait présent tant dans les secteurs de la production ou de la vente aux clients finals – activité dite « de fourniture » – que dans celui de l’infrastructure – transport ou distribution d’électricité ou de gaz. Ces groupes dits « intégrés » sont au nombre de trois dans notre pays : EDF, GDF-Suez et Total.

Je tiens à évoquer trois points fondamentaux.

Le premier concerne la raison d’être de ces mesures.

Dans un marché ouvert, c’est-à-dire offrant à chaque fournisseur, européen ou non, la possibilité de s’installer, il importe que les infrastructures indispensables au fonctionnement du système – il est souvent question, dans le domaine de la théorie économique, d’« infrastructures essentielles » – puissent être utilisées de façon identique par l’ensemble des fournisseurs. Or, cette règle de bon sens peut devenir difficile à appliquer dans l’hypothèse où les infrastructures sont détenues par l’un des fournisseurs : en effet, pourquoi ce dernier laisserait-il ses compétiteurs les utiliser ? C’est précisément pour répondre à cette question que le principe d’indépendance des gestionnaires de réseaux a été posé et que son inscription dans le droit s’impose pour qu’il soit effectif. En outre, il doit être complété par son corollaire, qui est l’accès transparent et non discriminatoire des tiers à ces infrastructures sous le contrôle d’un régulateur indépendant. Trois lois successives ont permis de mettre en place ces dispositifs : la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité ; la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité ainsi qu’au service public de l’énergie ; enfin, la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz ainsi qu’aux entreprises électriques et gazières. C’est à l’occasion de cette dernière que les filiales en charge des infrastructures ont bénéficié de l’indépendance juridique et sont donc devenues, comme RTE, GRT-gaz (groupe GDF-Suez) ou TIGF (groupe Total), des sociétés à part entière dotées d’actifs propres et de règles de gouvernance modernes. Toutefois, en 2007, la Commission européenne a souhaité renforcer ces règles, non pas tant vis-à-vis de la France, puisque nous respections déjà largement l’esprit des directives précédentes, qu’à l’égard d’autres États moins outillés que nous. C’est ainsi que de nouvelles discussions ont eu lieu, de septembre 2007 à juillet 2009.

Deuxième point fondamental : la rudesse de la discussion et, finalement, la prévalence de la position française grâce à une unité et une cohésion absolues entre les pouvoirs exécutif et législatif. En effet, le projet originel de la Commission européenne visait à imposer le démantèlement des groupes intégrés en n’offrant en guise d’alternative qu’un modèle de gestion si complexe qu’il en devenait rédhibitoire. C’est donc grâce à notre pays qu’une troisième voie a été ouverte, laquelle repose substantiellement sur le système qui est en vigueur chez nous et qui a fait ses preuves. Certes, quelques ajustements sont nécessaires, mais l’essentiel est acquis : un dispositif à venir, largement fondé sur le précédent puisque la directive européenne offre comme option une modélisation inspirée de notre exemple.

Troisième point : les raisons pour lesquelles le Gouvernement a proposé de procéder par ordonnance à l’occasion de la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne présentée par Jean Bizet et Gérard Longuet qui sera discutée lundi prochain à l'Assemblée nationale. Ce choix a donc semblé le plus pertinent compte tenu des contraintes de calendrier – échéance du mois de mars 2011 –, du parti pris conforme aux conceptions de la majorité et de l’opposition – mise en place de la troisième voie –, du fait que les dispositions relatives aux consommateurs aient pu être intégrées au sein de la loi NOME et, enfin, en raison de la très haute technicité de la plupart des dispositions.

Toutefois, connaissant l’importance que ce texte revêt pour vous, j’ai non seulement accepté, ce qui va de soi, l’invitation du président Poignant à venir en discuter, mais je me tiens à votre disposition pour prolonger ces échanges ultérieurement et que je suis favorable à la création d’un groupe de travail avec les parlementaires qui le souhaitent. Je tiens également à préciser que le texte est discuté par l’ensemble des opérateurs concernés dans un climat bienveillant et qu’il évolue dans un sens consensuel.

Enfin, je vous informe que l’ordonnance sera soumise pour avis au Conseil supérieur de l’énergie, présidé par Jean-Claude Lenoir.

J’en viens aux dispositions les plus structurantes de ce document.

Tout d’abord, l’ordonnance prévoit la modification de l’article 6-1 de la loi de 2004 pour imposer des règles spécifiques de déontologie à quelques personnalités de l’entreprise, tels que les dirigeants et adjoints en charge de la gestion du réseau ainsi que certains administrateurs. Ces dernières préserveront toutefois autant que possible la mobilité et les compétences au sein de ces groupes, notamment entre filiales régulées.

Ensuite, l’indépendance des filiales de transport supposera désormais la détention en propre des moyens humains, techniques et financiers afin d’éviter des interactions trop profondes entre les filiales et la maison-mère. Le projet d’ordonnance a ainsi visé à concilier un certain pragmatisme avec les principes d’interdiction de services partagés avec la maison-mère. En matière informatique, les prestataires pourront être les mêmes compte tenu du petit nombre de sociétés, mais des règles strictes de confidentialité devront être respectées. Par ailleurs, cette règle souffrira des exceptions puisqu’un régime d’accords commerciaux et financiers sera possible entre filiales et maison-mère dès lors que les prestations sont étroitement contrôlées par le régulateur et ne portent pas atteinte à l’indépendance ou au bon fonctionnement du système. La formation ou la R&D, par exemple, pourraient compter au nombre des domaines concernés.

De plus, parce que l’indépendance réside essentiellement dans le choix des investissements, il sera désormais demandé aux opérateurs d’infrastructures d’élaborer des plans ou des schémas décennaux de développement de leurs réseaux, outils largement inspirés des exercices français de planification des investissements électriques et gaziers mis en œuvre à la demande du Parlement. Si ces derniers viennent à manquer, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pourra y remédier.

En outre, l’ordonnance instituera une procédure nouvelle dite de certification, laquelle sera confiée à la CRE. La certification ne sera délivrée qu’après vérification du bon respect de l’ensemble des règles d’indépendance par les sociétés de réseaux de transport.

J’ajoute que l’ordonnance a un impact limité s’agissant de la détermination des tarifs d’utilisation des infrastructures, mission dont les directives imposent qu’elle soit confiée au régulateur. Quoi qu’il en soit, la transposition autorise le Gouvernement à continuer de jouer un rôle important puisqu’il sera non seulement consulté en amont et tout au long du processus d’élaboration des tarifs, mais qu’il donnera aussi des orientations politiques quant aux principes à respecter et pourra, in fine, demander au régulateur une nouvelle délibération s’il considère que ces orientations ont été insuffisamment prises en compte. En définitive, le partage des rôles ne différera guère de la pratique actuelle.

Enfin, ponctuellement, de nouvelles compétences seront confiées à la CRE via la surveillance des marchés de détail de l’énergie – qui existe déjà en droit français –, mais également de nouvelles prérogatives quant aux refus d’accès ou de raccordement aux infrastructures. Ses prérogatives concernant les sanctions seront renforcées, d’où le travail de précision des textes actuels.

Vous le constatez, les principes définis ne remettent nullement en cause les groupes énergétiques intégrés auxquels nous sommes très attachés, non plus que les équilibres actuels du droit de l’énergie.

S’agissant du calendrier, monsieur le président, je propose que le groupe de travail dont vous avez suggéré la constitution se réunisse tout au long du mois de janvier de manière que le Conseil d’État soit saisi au mois de février, le vote ayant dès lors lieu le mois suivant.

La transposition du 3ème paquet est diversement avancée selon les États membres. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont choisi la voie de la séparation patrimoniale, soit celle du démantèlement des groupes intégrés. L’Allemagne et le Luxembourg finalisent quant à eux la rédaction du texte, lequel est examiné en ce moment même par le parlement autrichien. Je me propose, à ce propos, de vous communiquer un panorama plus complet des différentes situations en Europe.

La Commission européenne organisera dès le mois de janvier des entretiens avec chaque État membre pour faire le point sur l’état d’avancement de ce dossier. Elle a d’ores et déjà rempli sa mission en installant l’Association européenne des régulateurs.

M. François Brottes. Le groupe SRC prend acte de la création d’un groupe de travail, en espérant que celui-ci permettra vraiment d’améliorer le texte initial.

Mes questions, monsieur le ministre, concernent à la fois le rôle des pouvoirs publics, le service public, les investissements, la régulation et les rapports entre RTE et EDF.

Il semble bien que les ministres perdront un peu la main dans un certain nombre de domaines. Par exemple, s’agissant des conditions, des méthodes de calcul et des demandes en matière de raccordement, la CRE est seule compétente sans que le ministre ait son mot à dire alors que cette question est loin d’être neutre. De plus, vous prétendez que l’État pourra intervenir dans la fixation des tarifs, mais ce ne sera pas du tout le cas en ce qui concerne le TURPE, la clause de révision intervenant par définition a posteriori et à condition qu’il y ait eu contestation. Le travail effectué par M. Jean Gaubert à propos des réseaux témoigne pourtant du caractère extrêmement sensible du sujet.

Par ailleurs, les textes ne mentionnent jamais un autre ministre que celui de l’énergie. Or, une de vos collègues du Gouvernement a fait savoir en séance publique qu’elle aurait son mot à dire s’agissant par exemple de l’agrément des tarifs. Il semble que ni la loi actuelle ni l’ordonnance ne lui laissent pareille latitude.

De surcroît, outre que la mention de « conditions économiques raisonnables » me semble particulièrement inquiétante pour un pays qui demeure très attaché à ses services publics, elle ne manquera pas d’impacter la situation sur plusieurs plans – je songe, notamment, à l’accès non discriminatoire et à la péréquation du coût de raccordement. Des conditions économiques considérées comme déraisonnables ne pourraient-elles pas entraîner un refus d’accès au service ? De la même manière, qu’en sera-t-il des contrats de service public passés entre les opérateurs historiques et l’État ?

S’agissant des investissements, vous avez élaboré un dispositif devant se substituer à la programmation pluriannuelle des investissements de production (PPI) qui, si elle ne permettait pas de tirer des plans sur la comète, avait le mérite de clarifier la nature des besoins financiers, notamment pour les réseaux de transport et les structures de production. Comment, de surcroît, s’articuleront les deux curseurs, respectivement à quatre et trois ans, d’un schéma décennal dont il est notable qu’à la différence d’un programme stricto sensu il n’engage guère ? Plus directement : assistons-nous donc aux derniers instants de la PPI ?

Je note également que, si des associations agréées sont censées s’intéresser à la gestion des différends, le texte ne mentionne nulle part le Médiateur de l’énergie. Est-il lui aussi en train de vivre ses derniers instants après que notre collègue Jean-Claude Lenoir l’avait porté sur les fonts baptismaux ?

Par ailleurs, qu’en est-il de ce « salarié magique », cadre chargé de veiller au respect des règles d’indépendance entre les transporteurs et les opérateurs de production et de distribution ? Quel sera son employeur ? Qui le choisira ? Quel sera son lien de subordination ? J’ai cru comprendre que le régulateur était impliqué mais qu’il serait également salarié du transporteur !

Il me semble nécessaire de préciser l’ensemble de ces points.

Les textes européens obligent de choisir le ou les distributeurs mais, également, la durée des contrats. Si notre loi intègre le premier point, il n’en est pas de même du second. Or, faute d’une modification, les opérateurs désignés seront considérablement fragilisés.

Qu’en est-il de l’avenir des concessions ?

Je remarque que, non seulement les collectivités territoriales, auxquelles appartiennent les réseaux de distribution en électricité, perdent un certain nombre de prérogatives puisque les prix leur sont imposés, mais qu’elles seront sujettes à « une remise à plat » des modalités de financement.

Enfin, des clarifications s’imposent s’agissant des relations entre RTE et EDF : l’exigence d’indépendance des agents des réseaux de transport vis-à-vis de l’opérateur EDF étant très forte – qu’ils siègent au conseil d’administration ou qu’ils y travaillent – qu’en sera-t-il des actions qu’ils possèdent ? S’il n’est pas question de remettre en cause leur propriété, dans quelles conditions pourront-ils les vendre ou en acheter d’autres ? J’ajoute qu’il ne me paraît pas vraiment compatible avec le texte proposé que les actifs non liquides de RTE – du transporteur, donc, qui demeure propriété de l’État, servent à financer le fonds de démantèlement des centrales nucléaires de l’exploitant comme le prévoit, semble-t-il, un décret en cours d’élaboration. Si tel devait être le cas, à quoi bon avoir modifié le statut d’EDF ?

M. Jean-Claude Lenoir. C’est un amendement visant à supprimer l’article 10 du projet de loi NOME que j’avais proposé à la Commission et qui avait été adopté en séance publique qui explique notre réunion de ce jour. Fort heureusement, chacun avait alors considéré que nous devions prendre le temps d’examiner une ordonnance extrêmement dense.

Je note, tout d’abord, que les directives que le Gouvernement propose de transposer se situent dans la suite logique de l’ensemble des lois de 2000, 2003, 2004 et 2006.

Souvenons-nous du débat initié voilà trois ans par la Commission européenne sur l’ensemble de ces questions, des prises de position très fermes qui avaient été formulées ici même ainsi qu’à l’occasion d’un colloque organisé à la Maison de la Chimie au début de 2008, le commissaire Piebalgs ayant péremptoirement affirmé que la séparation patrimoniale était actée. La situation était invraisemblable ! Il convient donc de rendre hommage au Gouvernement et à notre Commission pour le travail qui a notamment été mené à la suite de la proposition de résolution de M. André Schneider et de la résolution adoptée au mois de juin 2008 sur le troisième paquet posant très clairement notre refus d’obtempérer aux injonctions de la Commission européenne et notre volonté de nous engager dans cette troisième voie.

Par ailleurs, je serais tenté de dire que les directives concernent moins la France et d’autres grands États membres de l’Union européenne que d’autres pays dont les systèmes énergétiques doivent d’évoluer. En effet, si nous avons toujours le sentiment d’être spécifiquement visés par les directives européennes, je crois d’autant moins que ce soit en l’occurrence le cas qu’un certain nombre de points peuvent être vérifiés ou même amendés dans le cadre du groupe de travail notamment et lors de la ratification.

S’agissant du TURPE, nous tenons à examiner de près les marges de manœuvre dont dispose le Gouvernement – lequel doit rester maître de la détermination des tarifs – face aux décisions de la CRE.

Quid de l’ajout concernant les « conditions économiques raisonnables » ?

Enfin, qu’en sera-t-il de la R&D au sein de RTE si la maison-mère et la filiale ne peuvent effectuer des prestations ?

M. Jean Gaubert. Nous ne sommes pas dupes des faux-semblants dès lors que les gestionnaires de réseaux dépendront en théorie des maisons-mères sur un plan financier alors que ces dernières n’auront en pratique aucune autorité, la CRE étant le véritable décisionnaire, y compris quant aux accords qui pourraient être passés au sein de l’entreprise elle-même. Administrateur d’EDF dans les années 2000, lorsque RTE a été créé, j’ai été choqué de voir le responsable de ce dernier associer ses comptes à ceux de la maison-mère sans que personne soit à même de lui faire des remarques ou de lui poser des questions.

Dans ces conditions, quid de la nomination des administrateurs de la filiale dès lors qu’ils ne doivent pas être issus de la maison-mère ou y retourner ? Où donc ira-t-on les chercher ? Je note, une fois de plus, qu’au lieu de prendre les décisions qui s’imposent nous préférons bâtir une usine à gaz alors que le statut du personnel des industries électriques et gazières permettrait de résoudre facilement ce problème. Pourquoi donc conserver ce système de « faux nez » ?

J’ajoute, s’agissant des possibilités de dérogation en matière de R&D et de formation, que nous savons fort bien que ces départements sont déjà isolés au sein des gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution.

En outre, je suis stupéfait de constater combien le libéralisme peut parfois se modeler sur les systèmes les plus autoritaires qui soient, en l’occurrence en ressuscitant un « commissaire du peuple » : comment un seul individu pourra-t-il exercer un contrôle omnipotent et omniscient ? Je ne doute pas qu’il devra bientôt constituer un Comité central et un Politburo !

La notion de « conditions économiques raisonnables », quant à elle, ne laisse pas de m’inquiéter alors qu’elle est extrêmement présente dans un récent rapport de la CRE consacré à la qualité des réseaux électriques de distribution. Que recouvre-t-elle précisément ?

Enfin, en cas de désaccord sur la fixation du TURPE, je note que, s’il est toujours possible de demander à la CRE une nouvelle délibération, celle-ci sera sans doute définitive faute d’un possible recours en cas de maintien de la position initiale.

M. Jean-Pierre Nicolas. L’électricité est un sujet difficile et l’un des défis auxquels nous sommes confrontés pour les vingt-cinq prochaines années. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vous être engagé à continuer à nous fournir des éléments de comparaison avec d’autres pays, qui nous permettront de voir si nous ne sommes pas un peu trop vertueux.

Les « conditions économiques raisonnables » évoquées dans le texte sont-elles entendues comme favorables à l’intérêt général ?

Par ailleurs, le fait que la dépendance des filiales soit affirmée, mais que le choix de leurs investissements soit pleinement indépendant, assure-t-il au consommateur les trois éléments indispensables que sont la quantité, le meilleur prix et la qualité de la fourniture ?

Cette dernière question renvoie à celle des tarifs. Comment s’articuleront les pouvoirs substantiels dévolus en la matière à la CRE avec ceux des pouvoirs publics ? Cette interrogation s’applique en particulier au TURPE, car il faut que les réseaux de distribution assurent une qualité de distribution comparable à celle que nous connaissions voilà encore quelques années.

Mme Frédérique Massat. Dans mon département de l’Ariège, compte tenu des contraintes spécifiques liées à la montagne, le coût des travaux est de quatre à cinq fois supérieur à la normale et risque donc d’excéder les « conditions économiques raisonnables » entendues en moyenne nationale. Est-ce à dire qu’on ne raccordera plus personne au réseau d’électricité ?

De quels moyens financiers supplémentaires la CRE sera-t-elle dotée pour les différentes missions nouvelles qui lui incomberont désormais ? Il est en effet peu probable que les cent vingt-cinq agents dont elle dispose aujourd’hui suffiront.

Plusieurs éléments, dont la perception des participations d’urbanisme, ne figurent pas aujourd’hui dans les cahiers des charges des concessions, dans lesquels ils devraient pourtant être intégrés. Les concessionnaires devront-ils réviser leurs cahiers des charges, ce qui serait une opération lourde ?

M. Apparu a par ailleurs annoncé, lors du débat sur la loi NOME, une refonte la fiscalité de l’urbanisme, partiellement effectuée du reste dans le cadre de la dernière loi de finances rectificative. La participation pour voies et réseaux, qui devrait disparaître pour être refondue dans la taxe locale sur l’électricité, subsistera-t-elle avec le texte que vous nous proposez ?

Pour ce qui concerne le coût de la participation, il est dit que « lorsque l'extension de ces réseaux est destinée au raccordement d'un consommateur d'électricité en dehors d'une opération de construction » – ce qui est fréquemment le cas dans nos territoires –, « ou lorsque cette extension est destinée au raccordement d'un producteur d'électricité, le demandeur du raccordement est le débiteur de la part relative à l'extension de cette contribution ». Aujourd’hui, c’est à la collectivité, et non au débiteur, qu’il revient de payer cette part. La réglementation existante sera-t-elle maintenue ? À cet égard, des éclaircissements de votre part seraient les bienvenus.

La tutelle de la CRE sur les concessions pose également question. Le texte qui nous est soumis introduit en effet un bouleversement important en prévoyant que les concessionnaires devront dorénavant notifier les barèmes de raccordement à la CRE, qui pourra s’y opposer : « Lorsque la maîtrise d'ouvrage du raccordement est assurée par l'autorité organisatrice de distribution publique d'électricité, les barèmes de raccordement sont notifiés à la CRE. Ils entrent en vigueur dans un délai de trois mois à compter de leur notification, sauf opposition motivée de la CRE. » Celle-ci aura besoin de nombreux agents pour vérifier tous ces éléments et, le cas échéant, formuler des oppositions motivées.

Par ailleurs, les agents de la CRE, dont 86 % sont aujourd'hui contractuels – pour 14 % de fonctionnaires –, se verront confier des pouvoirs d'investigation importants sur les entreprises assurant la gestion du réseau de transport et de distribution. Au-delà du devoir de réserve et de confidentialité auquel ils sont tenus dans l'exercice de leurs fonctions, qu'adviendra-t-il des informations en leur possession si, au terme de leur contrat, leur compétence les amène à travailler dans une entreprise d'électricité ?

Enfin, la disposition de la loi d’avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz prévoyant qu’« il est créé, entre les organismes de distribution d'énergie électrique visés aux articles 2 et 23, un fonds de péréquation de l'électricité, dont la gestion est assurée par l’Électricité de France », est-elle conservée ? Comment fonctionnera ce fonds de péréquation ?

M. le président Serge Poignant. Je propose que ces questions soient examinées dans le cadre du groupe de travail qui sera prochainement créé.

M. le ministre. M. Brottes et plusieurs autres députés se sont inquiétés de la diminution des pouvoirs des ministres. Il s'agit là d'une discussion générale, qui dépasse largement le cadre de l'ordonnance dont il est aujourd'hui question. En économie de marché régulée et dans le processus de construction européenne que, par vagues successives, nous avons accepté, voulu ou souhaité – je vous laisse le choix du mot –, des autorités indépendantes de plus en plus nombreuses sont créées et se trouvent dotées d'un pouvoir croissant que certains croient voir s’exercer au détriment de celui des ministres compétents.

À l'inverse, il semblerait, malgré les remarques justifiées de Jean-Claude Lenoir, que la France soit le pays qui cherche à laisser au Gouvernement les marges de manœuvre les plus importantes, en ménageant, y compris avec ce texte, une négociation permanente avec la Commission européenne. Ainsi, la possibilité de demander une seconde délibération tient au fait que la Commission considère que le pré-projet d’ordonnance ne respecte pas la directive. Cette dialectique permanente est indispensable. Dans le même temps, le Gouvernement maintient un contrôle tout au long du processus de détermination des tarifs d’infrastructures.

Pour ce qui concerne le raccordement, la question économique de savoir comment déterminer la part relative du distributeur et du raccordé relève effectivement de la CRE. De fait, les règles actuelles ne sont pas toujours claires, notamment à propos du gaz.

Monsieur Brottes, si l'ordonnance ne cite que le ministre chargé de l'énergie, c’est parce qu’un texte législatif doit être valide quelle que soit l’architecture de l’organisation gouvernementale. Il revient ensuite aux décrets d'application de préciser les responsabilités respectives des différents acteurs – en l’espèce, par exemple, de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, qui aura bien vocation à participer aux décisions dans les domaines prévus par ces décrets d'application.

Le principe de péréquation reste établi et les contrats de service public seront maintenus. Le travail sur ce point est engagé avec RTE, ERDF et EDF et nous travaillons notamment avec EDF sur un contrat de service public pour les cinq prochaines années, lequel prend en compte les questions classiquement envisagées par de tels contrats.

En matière d'investissements, les programmations pluriannuelles des investissements, ou PPI, sont maintenues – nous les avons évoquées lors du débat sur la loi NOME. Le fait que les autres pays européens engagent également des programmes d'investissement est un progrès.

Le Médiateur, même s'il n'est pas directement mentionné dans l'ordonnance – il n’est d’ailleurs pas certain qu’il dût l’être – est maintenu et son rôle reste important. Il doit d’ailleurs me remettre aujourd’hui même, à l’issue de cette réunion, un rapport qui sera rendu public cet après-midi.

Quant au déontologue, ce « salarié magique » qu’évoquait M. Brottes, il est vrai que son statut relève d’une sorte de quadrature du cercle. Il peut être salarié du transporteur, mais il sera protégé par des règles spécifiques, avec l’aide de la CRE. L’entreprise peut également confier ce rôle à un médiateur. Nous expliciterons davantage ce point dans le cadre du groupe de travail.

Le texte n'a pas d'impact sur la distribution : le rapport entre l'autorité concédante et le concessionnaire est maintenu et les prérogatives de chacun ne sont pas modifiées.

Pour ce qui concerne les salariés, vous soulignez à juste titre que les règles de cession des actions détenues dans la maison-mère sont strictement encadrées : les actions acquises sont gardées et il n'y aura pas de nouvelles actions – sauf peut-être, sous réserve des conclusions de l'analyse juridique en cours, pour les tout petits portefeuilles.

Je vous remettrai, monsieur le président, une réponse détaillée relative à la position du Gouvernement sur la volonté d'EDF d'affecter partiellement RTE à ses actifs dédiés. Je précise dès maintenant que les fonds seront utilisés vers 2030-2040 et que cette question est donc sans lien avec les directives dont il est aujourd'hui question.

Monsieur Brottes, je tiens à réaffirmer que le texte qui vous est soumis ne remet nullement en cause un dispositif existant qui fonctionne – par exemple pour ce qui concerne la distribution, le Médiateur de l’énergie ou les PPI. Vous devriez être rassuré rapidement lors des discussions plus approfondies que nous aurons au sein du groupe de travail.

Monsieur Lenoir, je vous remercie de votre contribution et du rappel que vous avez fait d’événements auxquels vous avez été personnellement associé. Comme vous l'avez indiqué, ces textes ne constituent pas pour la France une rupture, mais une continuité. Il est également vrai que, si la France est parfois concernée, voire visée, ce n’est pas ici le cas. Comme vous l’avez rappelé, les débats ont été très passionnés et, n’y ayant pas personnellement participé, je puis rendre hommage à ceux qui l’ont fait.

Si le ministre peut aujourd’hui approuver formellement le TURPE, il n’a pas la possibilité de le modifier, mais seulement de demander à la CRE de le réviser. La situation ne sera guère différente demain, car le ministre ne pourra demander qu’une seconde délibération. C’est là qu’intervient la négociation avec la Commission.

Nous pourrons revenir plus précisément dans le cadre du groupe de travail sur la notion de « conditions économiques raisonnables », qui suscite des interrogations de la part de plusieurs d'entre vous. Il s’agit d’une rémunération des actifs normale au regard des risques et des incertitudes de ce genre de chantier – je pense notamment aux infrastructures. Cette rémunération donne lieu à des consultations. Elle peut être adaptée et renforcée si certains investissements sont plus difficiles ou jugés prioritaires, comme le dossier de l’interconnexion. En pratique, elle ne remet en cause ni l'incitation à investir, ni la péréquation.

Monsieur Gaubert, il est vrai que la CRE reçoit davantage de pouvoirs – c’est d’ailleurs précisément pour cela que vous l'avez réformée avec la loi NOME, qui a imposé qu’elle élargisse ses consultations au Conseil supérieur de l’énergie.

Par ailleurs, il y aura toujours des administrateurs salariés, par exemple chez RTE, faute de quoi il faudra plus d’administrateurs indépendants.

Pour ce qui est de la recherche-développement et de la formation, dès lors qu'il existe des conventions strictes entre la maison-mère et le gestionnaire d'infrastructures, la mise en commun est tolérée. C'est probablement là un bon équilibre.

Monsieur Nicolas, il n'est arrivé qu'une seule fois que le Gouvernement refuse le TURPE. Le système qu'il vous sera proposé d'adopter le moment venu l'aurait également permis. Le pouvoir du ministre n'est nullement amputé et il ne me semble pas qu'il y ait en la matière de risque majeur.

Concernant les investissements, les dispositions nouvelles protègent les gestionnaires d'infrastructures de transport en garantissant que les groupes intégrés ne décident pas de diminuer ces investissements pour des raisons opportunistes.

Madame Massat, vous soulignez à juste titre que les moyens de la CRE devront être augmentés. Le Gouvernement a engagé avec celle-ci un dialogue ouvert pour étudier dans quelle proportion cela doit se faire.

Pour ce qui est des « conditions économiques raisonnables », je précise que la péréquation n'est nullement menacée, car les objets existants qui permettent la prise en compte des spécificités locales, comme le fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE) ou le fonds de péréquation de l’électricité (FPE), seront maintenus.

Pour une partie au moins des barèmes de raccordement, la notification à la CRE est déjà en vigueur. Là encore, les nouvelles dispositions s’inscrivent donc dans une stricte continuité. En tout état de cause, la directive nous impose une transparence absolue.

Aujourd’hui, les agents de la CRE ont déjà des pouvoirs d’investigation et la commission de déontologie se prononce sur leur cas lorsqu’ils quittent le régulateur pour d’autres responsabilités.

Monsieur le président, de nombreuses questions portent sur la distribution, alors que la directive, qui concerne plutôt l’activité de transport, ne porte que très marginalement sur ce sujet. Le groupe de travail dont vous avez souhaité la création et qui sera mis en place dès que vous en aurez choisi les membres permettra d’apporter bien des précisions et de répondre aux inquiétudes qui s’expriment.

M. le président Serge Poignant. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos réponses. Je vous remercie également de nous permettre de faire notre travail de législateur en parfaite intelligence avec vous.

Mes chers collègues, je propose que le Bureau de notre commission détermine mardi prochain la composition du groupe de travail et les dates de ses réunions, afin que celui-ci puisse commencer concrètement ses travaux avec les services du ministère.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du jeudi 16 décembre 2010 à 10 heures

Présents. - M. François Brottes, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Jean-Claude Lenoir, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol

Excusés. - M. Gabriel Biancheri, M. Jean-Michel Couve, M. William Dumas, Mme Geneviève Fioraso, Mme Pascale Got, M. Louis Guédon, M. Michel Lefait, M. Michel Lejeune, M. François Loos, M. Philippe Armand Martin, Mme Josette Pons, M. François Pupponi, M. Michel Raison, Mme Chantal Robin-Rodrigo