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Commission des affaires économiques

Mercredi 22 décembre 2010

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Réunion, ouverte à la presse, commune avec la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, sur le thème « Quel Avenir pour l’industrie photovoltaïque française ? », avec la participation de représentants des sociétés Fonroche, Photowatt, Saint-Gobain Solar et Total

La Commission des affaires économiques a entendu, conjointement avec la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, des représentants des sociétés Fonroche, Photowatt, Saint-Gobain Solar et Total, sur le thème : « Quel avenir pour l’industrie photovoltaïque française ? ».

M. Serge Poignant, président de la Commission des affaires économiques. Nos deux commissions sont réunies pour étudier l’évolution de la filière photovoltaïque française : celle des affaires économiques, qui est concernée par le problème de l’énergie, et celle du développement durable et de l’aménagement du territoire, qu’intéressent l’évolution du climat et l’influence des émissions de gaz carbonique sur l’environnement.

Auteur en 2009 d’un rapport sur le photovoltaïque, je me suis rendu dans plusieurs entreprises, dont j’ai rencontré les dirigeants. Compte tenu de l’effet de file d’attente, qui a amené par deux fois le Gouvernement à redéfinir les tarifs – avant de décider, le 9 décembre, un moratoire de trois mois sur les nouvelles installations –, un groupe de travail a été créé, sous la présidence de MM. Jean-Michel Charpin et Claude Trink. Nos invités y participeront, au même titre que les membres de nos commissions. Ses conclusions seront rendues publiques à la mi-février.

Je demanderai aux intervenants de dresser un état des lieux de la filière française et de préciser leur stratégie. Quelle est leur production en mégawatts ? À combien se montent leurs investissements ? Combien d’emplois sont concernés ? Quel est l’état de leur carnet de commandes et quelles sont leurs perspectives ? Quelle part de leur production alimente le marché national ? Quel est le montant global des aides publiques qu’ils reçoivent ?

Par ailleurs, comment faire émerger une filière compétitive au niveau mondial ? Faut-il choisir d’investir dans toutes les technologies ? Pour le silicium monocristallin, le retard de la France sur les entreprises chinoises et allemandes est-il irrémédiable, comme l’indique le rapport Charpin ? Quels sont les filières d’avenir et les progrès envisageables ? A-t-on idée de la courbe des coûts de production des panneaux photovoltaïques dans les années futures ? Les synergies entre recherche et développement (R&D) et industrie sont-elles suffisantes ? La filière est-elle plus prometteuse pour les entreprises que pour l’emploi industriel, comme l’affirme le rapport Charpin ? Quel serait le bon degré d’intégration de la filière ? Quelle doit être la part respective des grands groupes et des PME ?

M. Serge Grouard, président de la Commission du développement durable. Je remercie les intervenants qui ont accepté de participer à cette réunion capitale. Étant à la croisée des chemins, nous devons disposer d’informations précises. Quelles sont les filières porteuses ? Quel est l’état des projets, compte tenu des choix stratégiques qui ont été opérés ? Certains sont-ils en attente, reportés ou gelés ? Quelle part de leurs investissements les sociétés représentées consacrent-elles à la filière ? Misent-elles vraiment sur celle-ci ? Investissent-elles en France ou à l’étranger ?

M. Gilles Perrot, directeur photovoltaïque-branche énergies nouvelles chez Total. Notre société, qui produit principalement du pétrole et du gaz, a adopté une position d’énergéticien, considérant qu’au cours des prochaines années il faudra mobiliser toutes les énergies pour répondre aux besoins. Dès lors, les sources d’énergie ne sont pas en concurrence : les énergies nouvelles et renouvelables compléteront les hydrocarbures et le charbon, secteur dans lequel nous sommes présents grâce aux mines que nous possédons en Afrique du Sud.

Consentant traditionnellement des efforts importants en R&D, Total a choisi de privilégier les énergies nouvelles qui ont une forte composante technologique. Nous en avons sélectionné deux, que nous pensons pouvoir développer sur le long terme : la biomasse, en écartant toute concurrence avec l’agro-alimentaire, et l’énergie solaire, dont le photovoltaïque n’est qu’un aspect. Total est en effet en train de construire à Abou Dabi la plus grande centrale à concentration du monde.

Après analyse du secteur, nous nous sommes convaincus de l’importance d’être intégrés sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Le photovoltaïque se caractérise, comme beaucoup d’industries nouvelles, par des déplacements de marges très brutaux. Depuis quatre ou cinq ans, ce sont surtout les producteurs de silicium et les développeurs de parcs au sol qui ont gagné de l’argent, ce qui, auparavant, était surtout le cas des fabricants de cellules et de modules. Le fait d’être intégré n’implique cependant pas de couvrir toutes les technologies. Face à la concurrence des pays asiatiques à bas coût, Total peut apporter beaucoup. Le groupe poursuivra l’important effort de R&D déjà consenti en collaboration avec les pouvoirs publics.

Notre société, présente en France et dans le reste du monde sur plusieurs maillons de la chaîne du silicium cristallin, entend l’être sur l’ensemble du processus. Mais, pour être rentables sur le long terme, nous devons être plus compétitifs, ce qui suppose de jouer sur les coûts, la technologie et l’accès aux marchés.

La première phase de production est la purification du silicium. Actionnaires d’un projet innovant fondé sur une nouvelle technologie, nous avons construit un pilote de 200 millions de dollars en Pennsylvanie, aux États-Unis, et nous collaborons avec l’un des plus gros fabricants mondiaux de cellules, le Taïwanais Moteck. En cas de succès, le procédé divisera par quatre ou cinq la quantité d’énergie nécessaire à la purification du silicium, ce qui représente un intérêt majeur sur les plans économique et environnemental. Nous sommes en phase de démarrage. Comme dans tout projet fortement innovant, la réussite n’est pas assurée, mais tout laisse penser qu’avant dix-huit mois nous serons en mesure de décider de la construction d’une usine de taille mondiale.

Une fois produit, le silicium purifié doit être fondu en lingots et découpé en plaquettes (wafers). Sur ce deuxième maillon de la chaîne, nous avons examiné un certain nombre de possibilités sans prendre de décision en termes de technologie et de localisation. Nous fabriquons d’ores et déjà des cellules multicristallines, mais nous passerons sans difficulté au monocristallin, par le biais de la société Photovoltech, basée en Belgique, que nous détenons à parts égales avec GDF-Suez. Cet été, nous avons décidé de doubler notre production pour atteindre 150 mégawatts, contre 80 il y a un an. Cette société à fort contenu technologique est adossée à l’Institut de micro-électronique et composants (IMEC) de Louvain, un des plus gros d’Europe. À l’origine, Photovoltech était une émanation du laboratoire de l’IMEC, qui a trouvé lui-même ses actionnaires. Même en période difficile, nous avons accepté de la supporter, ce qui nous a permis de doubler nos capacités. Nous espérons réaliser, après investissement, des productions bien supérieures. Mais, face à la forte concurrence des pays asiatiques, nous ne nous en sortirons pas si nous faisons du tout-venant, comme on peut en trouver en Asie, où les coûts sont plus faibles que les nôtres. En outre, dans la région du Brabant flamand, nous n’avons touché aucune subvention, alors même que nous avons déjà créé 300 emplois et que nous recruterons encore si nous poursuivons le projet.

Le troisième maillon de la chaîne concerne la fabrication des modules et des systèmes, ainsi que leur installation sur les toits ou dans des fermes photovoltaïques. Nous possédons la moitié de la société Tenesol, dont l’autre moitié est détenue par EDF. Tenesol emploie 1 200 personnes, dont près d’un millier en France, le secteur de l’installation utilisant beaucoup de main-d’œuvre. Les modules sont fabriqués dans deux usines de taille égale. L’une, produisant 485 mégawatts, est située pour des raisons historiques au Cap, en Afrique du Sud. L’autre, qui a doublé ou triplé sa capacité depuis deux ans, a été créée à Toulouse en 2005-2006. Nous possédons en outre une marque d’onduleurs et nous réalisons des installations, essentiellement en France. Tenesol, qui a commencé à développer son activité en Italie, en Allemagne et en Espagne, envisage à présent de l’étendre à la Grèce. En outre, elle emploie de 300 à 400 personnes dans les DOM-TOM, où elle représente 30 % des parts de marché. Cependant, on peut craindre que les changements législatifs, peut-être justifiés, qui sont intervenus récemment ne compromettent la rentabilité de ce secteur dans les prochaines années, voire qu’ils lui portent un coup d’arrêt.

Actuellement, nous ne sommes pas présents dans le secteur des fermes solaires ni dans les installations solaires sur les toits pour les particuliers ou dans l’industrie. Mais il sera difficile, si nous voulons stabiliser notre production industrielle, de ne pas nous y implanter. Nous étudions la possibilité de le faire seuls ou en partenariat avec d’autres industriels français.

À terme, nous ne demeurerons dans cette industrie que si nous y sommes compétitifs, ce qui suppose de gagner tant sur les coûts que sur la technologie. À cet égard, nous collaborons activement avec le CNRS, le laboratoire de l’École nationale polytechnique et le futur centre de recherches d’EDF à Saclay. Par ailleurs, nous avons des accords ponctuels avec l’Institut national de l’énergie solaire (INES), l’IMEC, et d’autres instituts situés hors de France. C’est pour nous un axe de développement essentiel, puisque nos coûts ne seront jamais aussi compétitifs que ceux que pratiquent les Chinois. Nous aurons d’autant plus de mal à gagner la bataille que nous ne percevons aucune subvention et que la concurrence n’est pas égale.

Sur les technologies de la deuxième génération, les couches minces auxquelles le centre de recherche de Saclay consacrera des efforts importants, rien n’est décidé de notre part.

Pour la troisième génération, qui concernera les années 2015-2020, Total a réalisé un investissement à hauteur de 50 millions de dollars. Le groupe est le principal actionnaire de la société Konarka, fondée par Alan Heeger, prix Nobel de chimie 2000, qui développe du photovoltaïque organique. Les problèmes industriels et technologiques ne sont pas encore résolus, mais cette solution nous offrira peut-être une production extrêmement compétitive ouvrant sur de nouveaux métiers et de nouvelles applications.

M. Fabrice Didier, directeur général de Saint-Gobain Solar. Saint-Gobain Solar, entité créée en 2009, travaille sur la chaîne de valeur du photovoltaïque. La présence de Saint-Gobain dans l’énergie solaire répond à une logique de métier, puisque ce secteur utilise des matériaux technologiques dans lesquels nous sommes spécialisés. Elle répond aussi à une logique de marché. Nous considérons qu’à terme le photovoltaïque deviendra un élément de construction qui participera à l’efficacité énergétique des bâtiments. Or nous sommes le leader mondial des matériaux de construction.

Notre activité se compose de trois métiers.

Le premier nous a fait entrer dans le solaire à notre insu. Pendant des années, nous avons fait du photovoltaïque comme M. Jourdain de la prose, sans le savoir. Nous fournissions à cette industrie des matériaux : du verre, dont l’avant des panneaux est constitué à plus de 98 %, des plastiques d’encapsulation et d’étanchéification, et des matériaux consommables qui entrent dans la chaîne de fabrication du silicium. Ainsi, pour couper les lingots en plaquettes, on utilise un matériau de sciage spécial qui comprend des grains en carbure de silicium. Dans ce domaine, nous représentons 30 % du marché mondial. C’est un exemple parmi d’autres de l’activité de Saint-Gobain Solar Components.

Notre deuxième métier consiste à fabriquer des modules, domaine dans lequel nous avons décidé d’entrer en 2005. Constatant que la chaîne de valeur du silicium cristallin était majoritairement dans le domaine public et que les capacités de différenciation seraient réduites pour une industrie ouest-européenne, nous avons investi dans une technologie de couches minces, où l’on distingue trois activités. La première, à laquelle se consacre First Solar, concerne le tellurure de cadmium ; la deuxième, le silicium en couche mince ; la troisième, plus futuriste, le cuivre indium gallium et sélénium (CIGS). Si celle-ci constitue une part plus faible de la production mondiale, elle offre le meilleur potentiel de réduction des coûts. Nous avons investi dans cette technologie après avoir constaté que la courbe des coûts de production converge dans un horizon très proche vers 0,5 euro par watt en sortie d’usine. Des trois technologies, elle a le plus haut rendement, du fait qu’elle combine les bas coûts des couches minces et la haute efficacité du silicium cristallin.

J’en viens à notre troisième métier. Compte tenu de l’importance d’être présent sur la totalité d’une chaîne de valeur non consolidée et très fluctuante, nous avons créé une entité intitulée Saint-Gobain Solar Systems, dont le but est de vendre clé en main des systèmes photovoltaïques complets. Celle-ci s’adresse non aux utilisateurs, mais aux couvreurs ou à des réseaux de distribution spécialisés, que nous fournissons tant en modules qu’en matériels électriques, en câbles et en matériel de montage. Si nous ne vendons pas de matériels pour les fermes au sol, nous commercialisons des matériels en liaison avec des bâtiments, et nous déployons une activité de R&D intense pour développer des solutions intégrées au bâti qui répondent à des critères de prix, d’efficacité énergétique et d’esthétique.

Le chiffre d’affaires de Saint-Gobain Solar, qui a doublé en douze mois, atteint environ 300 millions d’euros, pour un objectif annoncé de 2 milliards d’euros avant 2015. La société représente 1 % du chiffre d’affaires du groupe Saint-Gobain, mais nettement plus de 10 % des investissements prévus l’an prochain. Sur un total de 1 000 personnes, 150 sont employées en France, dont une centaine en R&D et une cinquantaine dans les réseaux de distribution. À ce jour, nous avons encore trop peu d’activité industrielle dans notre pays.

Nous considérons le photovoltaïque comme un élément d’efficacité énergétique des bâtiments, sans le réduire pour autant à cette dimension. Nous croyons à la parité réseau, convaincus que les prix des systèmes photovoltaïques continueront à baisser pour produire, sous nos latitudes et à un horizon relativement proche, un courant d’un coût comparable à celui issu d’énergie fossile ou nucléaire. Pour ce faire, il faut être capable de produire un module aux alentours de 0,5 euro par watt en sortie d’usine, ce que notre technologie devrait permettre. C’est pourquoi nous avons investi massivement. Une première usine fonctionne déjà en Allemagne. Une autre ouvrira en 2011. Une troisième, située en Corée, sera opérationnelle courant 2012. Chaque usine, qui représente un investissement de 120 millions, emploie 200 personnes. Notre dossier France est prêt. Nous aimerions investir dans notre pays.

Nous cherchons depuis longtemps le moyen de sortir de la subvention, car nous croyons à la parité réseau. Celle-ci atteinte, il semble vertueux de passer à la norme, c’est-à-dire d’imposer que tout bâtiment neuf ait un toit photovoltaïque. En France, 500 000 bâtiments à 3 kilowatts par toit représenteraient un marché national de 1,5 gigawatt. Le passage progressif du tarif de rachat à la norme devra être suivi d’une évolution vers la notion de bâtiment à énergie positive. Nous imaginons volontiers qu’il faille ensuite consommer ou stocker l’énergie sur place, de façon à ne pas surcharger le réseau. In fine, le bâtiment autonome en électricité nous semble l’objectif le plus intéressant du travail sur la chaîne de valeur du photovoltaïque.

M. Vincent Bes, directeur administratif et financier de la société Photowatt. La société Photowatt est présente depuis plus de trente ans dans la filière photovoltaïque, expérience dont bénéficient une ou deux sociétés au monde. À l’origine, en 1979, c’était un laboratoire basé à Caen, qui s’est ensuite déplacé à Bourgoin-Jallieu pour se rapprocher des centres de recherche. Total a effectué la même démarche en Belgique. Nous développons depuis des années une parfaite collaboration avec le CNRS et le Commissariat à l’énergie atomique, devenu Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEAEA). Nous avons également noué une relation particulière avec l’Institut national de l’énergie solaire, ainsi qu’un partenariat avec EDF-Énergies Nouvelles Réparties, dans le cadre de PV Alliance.

Photowatt, qui dispose désormais de deux sites de production à Bourgoin-Jallieu, a intégré depuis l’origine tous les métiers de la chaîne de production d’un module photovoltaïque poly ou monocristallin. Nous sommes compétents en matière de fusion de silicium et de production de lingots. Ceux-ci, d’environ 400 kilogrammes, doivent être coupés en briques, elles-mêmes découpées en plaquettes. Les deux métiers, qui requièrent des compétences importantes en métallurgie, sont un facteur essentiel du rendement photovoltaïque, qui est le nerf de la guerre pour délivrer une puissance électrique sur un module. Interviennent ensuite différents métiers de semi-conducteurs et de micro-électronique, orientés vers la production de cellules. Ils donnent, pour ainsi dire, vie aux plaquettes, qu’ils dotent des propriétés électriques. Depuis dix-huit mois, nous sommes redevenus une référence mondiale pour le rendement photovoltaïque des cellules en polycristallin, rang que nous avions perdu un temps pour avoir changé de substrat et utilisé un silicium un peu moins pur. Aujourd’hui, nos meilleures cellules approchent les records mondiaux de rendement électrique polycristallin, puisque notre production – de 65 à 70 mégawatts au total – se situe en moyenne entre 16 et 17 %. Nous gagnerions encore quelques points en passant au monocristallin. Nous employons 750 personnes sur l’ensemble de nos activités.

Une fois produites, les cellules sont assemblées en modules sur nos sites de Bourgoin-Jallieu. Sur le marché français, nous intervenons aussi en tant que systémiers intégrateurs, et nous proposons à nos clients des installations clé en main de systèmes photovoltaïques. Nous fournissons les onduleurs, les câblages et l’installation. En tant que maîtres d’ouvrage, nous proposons des toits solaires ou de petites centrales au sol, même si nous n’exploitons pas en propre de parc photovoltaïque.

Depuis trente ans, Photowatt fait travailler 1 000 à 1 200 sous-traitants sur des activités de maintenance, de chimie ou d’autres activités parallèles. Nos sites de Bougoin-Jallieu contribuent donc fortement à l’emploi. Depuis 2006, date de l’ouverture du marché français à une politique de rachat imitée du modèle allemand, nous avons investi la somme considérable de 100 millions d’euros sur des sites français. Malgré la concurrence, notamment asiatique, nous maintenons un rythme d’investissement très élevé. Cette année, notre effort sera d’environ 8 millions d’euros, contre 10 l’an dernier. Notre détermination prouve notre confiance dans le photovoltaïque et son avenir.

Cependant, l’année 2008 a fait apparaître une tendance inexorable : l’émergence de capacités de production en Asie a lourdement déséquilibré l’offre et la demande ; les marchés internationaux ont vu s’exercer une pression colossale sur le prix de vente des modules. La société Photowatt a dû se régénérer. En tant que PME, elle dispose d’une capacité de réaction rapide, mais limitée. Quand les prix de vente ont chuté de 40 %, elle a engagé un plan considérable d’amélioration et de transformation de ses méthodes de fabrication, tout en maintenant son modèle économique et en évitant de détruire des emplois sur le site français. Parce qu’elle est intégrée sur l’ensemble de la chaîne de valeur, elle a pu baisser de 30 % ses coûts de production, même si, confrontée au problème structurel des producteurs européens de cellules et de modules, elle est toujours en retard sur l’évolution des prix mondiaux.

Le décalage de 15 à 20 % entre le prix de revient des modules produits en Europe et en Asie vient en partie du fait que nos concurrents asiatiques produisent dans une zone dollar. Quand le dollar est à 1,2 euro, l’écart de prix se situe entre 5 et 7 %, ce qui le situe dans une marge de négociation possible avec un acheteur international. Quand le dollar est à 1,4 euro, l’écart est de 30 %. La parité euro-dollar est donc un élément essentiel de la compétitivité des producteurs européens.

Cela étant, Photowatt n’a pas à rougir de sa compétitivité face aux meilleurs opérateurs allemands ou aux quelques sociétés espagnoles. Nous sommes parmi les rares Européens à être intégrés sur l’ensemble de la chaîne et, à chaque étape de fabrication, nous savons précisément situer notre compétitivité. Aujourd’hui, l’activité la plus éloignée des standards mondiaux est l’assemblage de modules, fortement consommatrice de main-d’œuvre. En revanche, pour les activités concernant les lingots, les plaquettes et les cellules, la différence avec les meilleurs acteurs taïwanais reste raisonnable, surtout par rapport à la concurrence allemande.

Dans ce contexte, l’annonce du moratoire pèse lourdement sur le carnet de commandes que nous avons constitué patiemment à la suite du retournement du marché, en 2008. Selon une première évaluation, nous perdons près de 35 % de notre plan de charge pour 2011, ce qui nous oblige à revoir complètement notre stratégie de production et à accélérer les réorganisations structurelles que nous avions planifiées. Nous avons, certes, le devoir de nous adapter à la situation, mais cet élément conjoncturel crée une complexité supplémentaire.

Nous restons toutefois convaincus qu’il existe un modèle économique pour une filière industrielle française basée sur la technologie. Dès lors que nous vendons des modules et des cellules en euros par watt, nous pouvons jouer, pour améliorer notre compétitivité, soit sur les euros, en diminuant les coûts engagés pour produire un module, soit sur les watts, en augmentant la performance énergétique des modules. Notre intégration nous permet de travailler sur les deux schémas.

Le coût du silicium considérablement réduit (le kilogramme est tombé de 400 à 45 dollars), nous nous sommes positionnés sur des contrats de long terme qui nous permettent de sécuriser nos approvisionnements sur des cours très favorables. En outre, depuis 2006, nous menons une politique active pour augmenter notre rendement électrique. Nous nous sommes associés tant avec le CEAEA qu’avec EDF-ENR, filiale d’EDF-EN et EDF, pour effectuer un investissement global de 40 millions d’euros dans la première partie du projet PV Alliance, auquel nous contribuons à hauteur de 40 %, (16 millions d’euros). PV Alliance propose une ligne de cellules de 25 mégawatts, présente au sein de nos lignes de fabrication. Le rendement des premières cellules produites en décembre, entre 16 et 17 %, est très encourageant.

Ce premier projet, qui porte sur la technologie homojonction, permettra à Photowatt de retrouver son avance technologique. Ayant réalisé 95 % de notre chiffre d’affaires à l’export jusqu’en 2006, à l’époque où il n’existait pas de marché français, nous bénéficions d’une excellente image auprès de tous les acteurs industriels mondiaux. Nos partenaires taïwanais, chinois, coréens et allemands reconnaissent notre savoir-faire. Nous nous tournons aussi vers l’avenir avec la technologie hétérojonction, qui utilise plutôt du silicium monocristallin. Son rendement pouvant dépasser 20 %, c’est une voie d’avenir pour développer une filière industrielle française autour de Photowatt. Sur la base de ces procédés, nous espérons développer nos capacités en France. Dans l’une ou l’autre technologie, le savoir-faire de nos 550 employés sera le meilleur gage de notre développement industriel.

Cela dit, nous avons consenti depuis quatre ans des efforts de financement considérables. L’investissement nécessaire au développement de capacités de taille significative est énorme puisque, pour concurrencer les meilleurs acteurs mondiaux, une usine française de référence doit dépasser les 400 mégawatts. Avec des rendements de 16 %, la bataille capacitaire semble perdue, car, quand Photowatt produit 70 mégawatts, une unité de fabrication de référence chinoise en produit 1 000. De plus, alors que Photowatt a investi 100 millions depuis 2006, les Chinois ont bénéficié d’afflux financiers de plusieurs dizaines de milliards. Cependant, grâce à l’hétérojonction, qui laisse espérer des niveaux de rendement de 20 à 25 %, nous pourrons retrouver un avantage technologique qui compensera le différentiel de coût.

Un dernier chiffre : la main-d’œuvre représente 20 % du prix d’un module produit à Bourgoin-Jallieu.

M. Yann Maus, président de la société Fonroche. Je suis président, fondateur et principal actionnaire de Fonroche, ainsi que fondateur de l’Association des industriels français du photovoltaïque (AIFP), qui regroupe une trentaine d’industriels dont une dizaine d’assembleurs de modules. Les entrepreneurs que je représente sont tous actionnaires de leur entreprise.

Nous avons cru, en 2006, au discours dans lequel M. Sarkozy a proclamé qu’il fallait créer l’industrie photovoltaïque et lancer la croissance verte, censée employer des centaines de milliers de personnes. Nous avons investi des dizaines de millions d’euros – 40 pour Fonroche, qui représente une capacité de 90 mégawatts, l’une des premières de France. Cette société a mis en place des lignes d’assemblage automatisées, ce qui ne l’a pas empêchée de créer 300 emplois en parallèle. Nous comptons sur elles pour soutenir la concurrence des produits d’importation et compenser nos coûts de production induits par des salaires, des normes environnementales, des taxes et un accès au financement très différents de ceux que l’on rencontre en Chine.

L’an prochain, l’industrie photovoltaïque française produira presque un gigawatt. Alors que nous avons tous investi et que nous sommes en train de doubler, voire de tripler nos outils, le décret du 9 décembre anéantit deux ans et demi de travail. Il introduit en outre un climat de suspicion vis-à-vis des banques auprès desquelles nous aurons certainement beaucoup de mal à nous refinancer dans les années à venir, faute d’une visibilité du marché.

Il est inadmissible que des décisions prises dans l’urgence puissent saborder tant de travail ! Notre carnet de commandes ne compte plus que 90 mégawatts sur les 230 qui étaient prévus fin octobre. Nous avions atteint ce chiffre grâce aux efforts des commerciaux et des bureaux d’études, qui représentent aussi beaucoup d’argent. Comment accepter qu’un tel investissement soit compromis par une réaction hâtive, désordonnée et brouillonne ?

Nous pensons que l’industrie photovoltaïque française peut être compétitive de manière durable. Après avoir mené à bien une première étape, tournée vers l’assemblage de modules ou l’encapsulation, nous sommes passés à la deuxième étape, qui porte sur la fabrication des cellules. Aujourd’hui, la France compte cinq projets. Chacun représente une production de 120 mégawatts, pour un investissement moyen de 80 millions d’euros. L’un est porté par MPO, le fondeur de disques, l’autre par MX et Fonroche. Au total, en 2011 et 2012, 400 millions d’euros doivent être investis pour répondre aux capacités. Nous savons être compétitifs sur le marché français, en Europe et à l’export. Il nous faut simplement un marché stable et pérenne. C’est à cette seule condition que les groupes du CAC 40 investiront pour implanter des usines en France. Une meilleure visibilité nous permettrait de créer des dizaines de milliers d’emplois. Il ne s’agit pas d’un problème de technologie. Celle sur laquelle nous travaillons, qui est standard, ne le cède en rien à celle des Chinois ou des Allemands. L’important dans notre métier est la capacité à se financer. Les banquiers ne nous suivront pas si le marché est continuellement désorganisé. Or ils ont si peur aujourd’hui qu’ils répugnent. C’est dire dans quelle incertitude le décret a plongé les investisseurs !

Nous comprenons l’affolement de l’État. Mais, s’il est incapable de financer l’augmentation globale de 5 gigawatts intervenue depuis deux ans et demi, c’est qu’il a mal géré le dossier. La filiale de l’électricien national représente 35 % de la totalité des propositions techniques et financières (PTF) et des demandes de raccordement. Il faut donc arrêter de stigmatiser la filière en accusant à tort ceux qui la font vivre d’être des spéculateurs. Nous sommes des industriels, et le premier à avoir spéculé – d’une manière que je juge peu correcte – a été EDF-EN.

Si l’on veut créer une filière en France, il faudra, à l’avenir, lancer des appels d’offre sur des droits à produire du photovoltaïque. Telle est la proposition de l’AIPF. Un droit à faire devra être distribué en échange d’une création d’emplois en France. Nous proposons un système comparable à celui des concessions d’autoroutes. Si le Gouvernement se fixe un objectif de production, par exemple de 500 mégawatts, il lancera un appel d’offres, et sélectionnera ses fournisseurs en fonction du prix, du contenu technologique et d’un engagement en matière de développement durable – recyclage des panneaux, bilan carbone – et de la création d’emplois. Dans ce domaine, nous pouvons formuler des propositions en conformité avec les directives de Bruxelles.

Aujourd’hui, l’économie est devenue une guerre au niveau mondial. Les Chinois et les Américains sont plus protectionnistes que nous. Que les hommes politiques cessent de nous répéter qu’on ne peut rien faire à cause de Bruxelles ! On peut agir : le tout est de faire du protectionnisme intelligent.

M. le président Serge Poignant. Ces interventions appellent plusieurs questions, notamment sur les rendements du CIGS.

Pour ce qui est du décret, je regrette que la dégressivité des tarifs, que j’évoquais dès 2009 dans mon rapport, n’ait pas été mise en œuvre plus tôt. Mais, qu’on le veuille ou non, le niveau élevé auquel ils ont été fixés a donné lieu à une bulle spéculative. La file d’attente est aujourd’hui d’au moins 4 gigawatts, et le consommateur, qui acquitte la contribution au service public de l’électricité (CSPE), ne peut pas accepter une charge déraisonnablement élevée.

Lors de la réunion du 20 décembre, les chiffres ont été rappelés. D’ailleurs, le moratoire ne s’applique pas à toute la file d’attente : 600 mégawatts sur Réseau de transport de l’électricité (RTE) et 2 gigawatts sur Électricité réseau distribution France (ERDF) en sont exemptés. Autant dire qu’il nous faudra gérer 2 600 mégawatts. Nous connaissons les plans de charge des entreprises mais, comme l’a admis M. Bes, celles-ci doivent s’adapter, ce qui est sans doute plus difficile pour celles que représente M. Maus. Celui-ci a formulé des propositions constructives dans le cadre du groupe de travail. Je l’engage à continuer.

Le moratoire était nécessaire. Profitons de cette pause pour fixer des objectifs lisibles et pérennes, et pour mettre tous les problèmes sur la table.

M. Michel Havard. Face à un déséquilibre évident, le moratoire s’imposait, au nom du pragmatisme. On peut seulement regretter qu’il ait été décidé un peu tard. Puisque nous ouvrons une phase de réflexion qui se poursuivra en janvier, nous devons nous poser trois séries de questions.

Premièrement, jusqu’où peut-on aller sur le tarif de rachat ? Sachant qu’il faut gérer la file d’attente, quel est le point d’équilibre entre la capacité de production et la contribution publique ? Nous devons savoir ce que coûte à la collectivité le développement d’une filière, et réaliser un arbitrage entre le tarif de rachat, la capacité de production et le raccordement. À cet égard, je ne suis pas hostile à l’idée d’un appel d’offre annuel, même s’il fait entrer l’industrie photovoltaïque dans un champ très réglementé.

Deuxièmement, comment choisir entre les technologies dans un contexte mondialisé et concurrentiel ? Celles-ci ne sont pas matures, au sens où elles connaîtront encore de nombreuses évolutions liées notamment à la problématique des matières premières et des terres rares. Quelles sont les technologies les plus prometteuses ? Quel est le point de vue de Total sur le solaire à concentration ? Quels sont les avantages et les inconvénients de ce système par rapport au photovoltaïque ?

Les dernières questions concernent l’emploi. Même si beaucoup d’entreprises ouvrent des sites ailleurs dans le monde, on ne peut développer une filière industrielle française qu’à certaines conditions. Il n’est pas possible de demander à l’État et à l’acheteur de soutenir une industrie dont la majorité des emplois se situerait à l’étranger.

M. François Brottes. Le moratoire est la conséquence d’un manque d’anticipation face à une surchauffe prévisible. Après une trop grande accélération, on a freiné, on a fait un tête-à-queue, et toute la filière se trouve déstabilisée. Mais, au-delà de ce constat, chacun approche le sujet de manière différente. Les objectifs qui doivent guider l’action publique sont le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique au nom de la règle du Triple 20. Reste à savoir comment orienter le soutien public pour faire émerger une filière nouvelle tout en évitant les effets d’aubaine ou les effets pervers, tels que l’aide à l’acquisition de matériaux en grande partie importés.

À l’origine, le photovoltaïque devait être soutenu contre une éventuelle levée de boucliers des producteurs d’énergie thermique, nucléaire ou hydraulique, qui auraient craint de perdre des parts de marché. Il a fallu faire émerger des acteurs issus d’un autre secteur. Finalement, tout le monde s’est mis au photovoltaïque, et il s’avère que le plus grand producteur d’énergie nucléaire et hydraulique (EDF) est le premier à profiter de l’effet d’aubaine. On ne saurait le lui reprocher : dès l’instant qu’on instaure une règle du jeu, il est logique que celui qui peut en profiter le plus rapidement s’en saisisse. La puissance publique ne peut établir de règle à géométrie variable en fonction du type d’acteur.

Il faut à présent trouver un modèle économique qui permette d’arriver à la parité réseau dans le meilleur délai, puisqu’on ne peut ni laisser un secteur sous perfusion ni obliger à surpayer l’électricité. À quelle date réussirons-nous et quelle forme d’engagement devons-nous prendre ? Chacun définit sa stratégie en fonction de ses propres performances. Mais l’idée de M. Didier, selon laquelle on peut à la fois intégrer la norme et favoriser le passif, donc l’efficacité énergétique, me semble intéressante.

Je pense que le solaire peut produire de l’énergie en propre sans qu’il faille pour autant la vendre sur le réseau, ce qui crée les effets pervers. La puissance publique doit trouver le moyen d’investir le moins d’argent au meilleur endroit pour obtenir de manière vertueuse le résultat le moins coûteux et le plus performant. L’équation est difficile à résoudre, mais c’est en ces termes qu’il faut la poser.

En présentant des modèles économiques différents, les intervenants ont ouvert des perspectives. À présent, les chiffres doivent nous aider à comprendre où sont les effets de levier. Si nous ne discutons du photovoltaïque qu’avec de grands producteurs d’énergie, présents sur les autres secteurs, ceux-ci risquent de prendre le photovoltaïque en otage, ce qui nuirait au développement du renouvelable.

M. Jean Dionis du Séjour. Rendons d’abord justice à M. Borloo : c’est sous son impulsion qu’a émergé la filière photovoltaïque, qui n’existait pas avant lui dans notre pays. Puisque le moratoire a un effet ravageur sur le carnet de commandes des entreprises, et qu’il fait peser une grande incertitude sur leurs relations avec les financeurs, il est urgent d’y mettre fin de manière durable.

Les présidents des commissions peuvent-ils nous expliquer comment celles-ci seront associées, sur le fond, au groupe de travail ?

Par ailleurs, la réflexion qui s’engage ne devrait-elle pas déboucher sur une proposition de loi ? Il faut en effet opérer un tri entre la file d’attente et le stock, et prendre des décisions fortes pour les projets mort-nés. EDF joue un jeu trouble puisque le groupe, qui investit à hauteur de 35 % dans la file d’attente, décide du sort de nombreux projets. Il en maîtrise les tenants et les aboutissants sans être soumis à aucune obligation de délais. C’est pourquoi je considère que, par rapport à ERDF, nous avons une urgence législative. Il faut construire une politique publique et administrer la filière, ce qui suppose d’instaurer des quotas. Quel en sera le montant : 500 ou 800 mégawatts ? Où en est le bouclage que M. Brottes appelle de ses vœux ?

Le recours à la CSPE nous limite mais, si nous voulons parvenir en 2020 à tirer 23 % de notre électricité de l’énergie renouvelable, nous n’avons guère le choix. L’éolien, soumis à des contraintes fortes, est un faible recours. La micro-hydraulique pose nombre de difficultés. Que reste-t-il, sinon le solaire ? Définissons à cet égard une politique d’ensemble, qui chiffre l’impact qu’aurait la parité réseau sur la CSPE. Il s’agit évidemment d’une politique de long terme, mais nous n’éviterons pas que la filière soit administrée pendant au moins dix ans. Les industriels doivent admettre qu’ils seront sous quotas.

Nous devons aussi définir clairement nos priorités et nos refus. Si l’on privilégie le bâtiment, comme le préconise à juste titre M. Didier, il faut renoncer à d’autres applications, comme les ombrières sur le parking des grandes surfaces. De même, dans le domaine agricole, il faut parler clair, accepter les serres photovoltaïques et opposer un refus pour les fermes au sol, sauf peut-être sur les très mauvaises terres.

Enfin, peut-on définir une politique eurocompatible tout en évitant que la CSPE soit siphonnée par les importateurs chinois ? Ce devrait être possible. Il serait intéressant d’entendre les propositions des industriels à ce sujet. Faut-il instaurer un appel d’offre par région ? Peuvent-ils nous proposer des solutions qui ne pèchent pas par excès de naïveté ?

M. Yves Cochet. Comment pouvez-vous prétendre, monsieur Dionis du Séjour, qu’il n’y ait pas eu de filière photovoltaïque en France avant M. Borloo ? Celle-ci existe depuis longtemps. La société Photowatt remonte aux années soixante-dix et j’ai eu des panneaux sur mon toit dès 1991, grâce au programme européen Thermie.

Sur ce dossier, la politique et l’industrie françaises ont toujours hésité entre deux positions. La technocratie d’État s’est montrée hostile aux énergies renouvelables. À ses yeux, le nucléaire était sérieux ; l’hydraulique avait l’avantage d’exister ; quant aux fossiles, on en était sorti depuis le programme Messmer de 1974. Le renouvelable passait tout au plus pour une facétie d’écolos, qui n’était valable ni sur le plan industriel ni du point de vue scientifique. En 1986, M. Madelin, ministre de l’industrie, a tué l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), qui avait pourtant bien travaillé, notamment sur le renouvelable.

Traditionnellement, en France, on sacrifie le renouvelable au profit d’un système fort et centralisé. Comme M. Didier, je serais favorable à ce qu’il y ait des milliers, voire des centaines de milliers de producteurs d’électricité, mais ce point de vue n’est pas partagé par les jacobins que rassure l’existence de cinquante-huit réacteurs et de dix-neuf centrales nucléaires. Tant parce qu’il est renouvelable que parce qu’il est décentralisé, le photovoltaïque n’entre pas dans la vision des ingénieurs des mines. Ces ingénieurs de l’ordre social préfèrent que l’électricité soit distribuée à des consommateurs citoyens reliés par le fil d’EDF. C’est sans doute ce qui explique que les gouvernements n’aient jamais cessé tantôt d’avancer, tantôt de reculer sur le dossier depuis trente-cinq ans.

Le décret du 9 décembre est parfaitement scandaleux. Ce sont bien sûr plutôt les petits producteurs, fournisseurs ou installateurs qui en pâtiront : trois mois de photovoltaïque ne représentent pas grand-chose dans le chiffre d’affaires d’ensemble du groupe Total, alors que c’est l’essence même de l’activité de Photowatt ou de Fonroche. N’y a-t-il pas là une sorte de cynisme délibéré, une manière d’avantager les gros par rapport aux petits, comme on l’a toujours fait en France ? Il nous faut des champions nationaux, de grands groupes aux fortes capacités de résistance…

Quoi qu’il en soit, il faut abandonner tout de suite le moratoire, tout en continuant à discuter avec les industriels au sein du groupe de travail Charpin. Tout stopper, sauf 2,4 gigawatts, c’est tout simplement signer la mort des petites entreprises qui ne peuvent pas perdre trois mois !

Tout est une question de vitesse de déplacement du curseur. François Loos, alors ministre de l’industrie, avait créé la stupéfaction à l’été 2006 en prenant un arrêté tarifaire exceptionnel – encore plus que celui que j’avais pris pour l’éolien – en faveur de la filière photovoltaïque. Pourquoi est-on allé aussi fort et aussi vite ? Cela a pris tout le monde par surprise et l’on ne s’est aperçu qu’assez tard de l’effet d’aubaine créé, en particulier pour EDF. Ensuite, le marché est devenu spéculatif, vers octobre ou novembre 2009.

Quelle est la durée de vie de vos modules, aux uns et aux autres ? Car une filière industrielle, et surtout énergétique, doit couvrir ses besoins. Tant que les usines de production de panneaux photovoltaïques ne seront pas alimentées par de l’électricité photovoltaïque, encourager la production reviendra à augmenter les besoins en énergie fossile ou nucléaire. C’est donc un préalable.

Quelles sont les perspectives en matière de maintenance et de renouvellement, notamment pour les grandes installations ?

Enfin, n’y a-t-il pas un autre danger chinois : le monopole d’extraction et de distribution des terres rares ? Quelles sont, sur les dix-sept terres rares, celles que vous utilisez dans vos modules ? Dans l’éolien, c’est surtout le néodyme. S’il y a un étranglement, voire un embargo chinois sur les terres rares, vous êtes « cuits » !

M. François Loos. En 2006, nous avons effectivement décidé de tarifs très intéressants. Pour lancer les panneaux photovoltaïques en France, il fallait cet électrochoc. Nous avons donc procédé à l’inverse de l’habitude : nous avons calculé ce que devait être le tarif afin que les gens puissent investir dans le photovoltaïque, compte tenu des prix de l’époque. Aujourd’hui, les prix ont baissé, les conditions d’accès ont changé, les produits sont fabriqués en Chine. Bref, la situation est complètement différente et le dispositif est victime de son succès. Ce que nous avions prévu, c’était de maintenir les tarifs pour les trois ou quatre années suivantes, le temps de déclencher l’envie de photovoltaïque. Ensuite, en 2008 ou 2009, ils auraient été remplacés par un système d’appel d’offres tel qu’a proposé M. Maus. Nous comptions aussi sur les investissements des grands groupes : EDF avait un projet à Saint-Auban, dans les Alpes de Haute-Provence, et Total envisageait d’investir en France plutôt qu’en Belgique. Nous pensions donc que ces tarifs élevés allaient susciter des investissements importants en France. Pourquoi Total et Saint-Gobain n’ont-ils jamais investi en France, alors que nous leur avions préparé un marché intéressant ?

M. Philippe Tourtelier. Le moratoire est le cœur du sujet. Si nous n’en parlions pas, cette réunion se limiterait à une discussion sur le sexe des anges pendant la prise de Constantinople. Il y a tout de même des entreprises qui sont en train de se demander qui elles licencieront en janvier !

Le mieux serait d’abroger le moratoire. Si ce n’est pas possible, on peut faire trois choses.

D’abord, les collectivités territoriales ont été incitées par l’État, par un arrêté du 12 janvier 2010, à investir dans le photovoltaïque pour les bâtiments de logement ou les établissements d’enseignement ou de santé. Le moratoire pousse les opérateurs à se désister. On peut donc, comme le propose le Conseil supérieur de l’énergie dans son avis du 9 décembre 2010, exclure du moratoire les installations photovoltaïques qui ont fait l’objet d’un appel d’offre public publié avant le décret. Ce serait facile.

M. Yann Maus. Et cela sauverait les fabricants français !

M. Philippe Tourtelier. Deuxième proposition : ne pas annuler les projets ayant fait l’objet d’une demande de raccordement complète auprès d’ERDF avant le 30 septembre 2010. Sinon, telle petite entreprise que je connais bien – deux ans d’existence, cinquante employés, elle ne met pas de panneaux chinois, a un bon plan de développement et représente 10 mégawatts-crête dans la file d’attente – verrait son plan de charge du premier semestre réduit à rien et n’aurait plus qu’à licencier. On touche là, au passage, à l’ambiguïté d’ERDF, qui détient la clef de la survie de petites entreprises.

Enfin, rappelons que ce sont les PME qui créent des emplois dans ce secteur, pas les grands groupes. Pourquoi l’État laisse-t-il EDF-EN représenter 35 % de la file d’attente ? L’État possède 80 % du capital d’EDF, qui elle-même détient 50 % du capital d’EDF-EN. Par ce biais, il pourrait orienter les choses, gérer la file d’attente, sans moratoire – sans compter qu’il détient aussi 30 % de GDF Suez. On se trouve là devant un choix économique : soit on veut favoriser les grands groupes, soit on veut créer de l’emploi en France. Pour créer de l’emploi, il faut s’appuyer sur les PME et, pour cela, il faut lever le moratoire ou au moins l’alléger.

M. Jean-Marie Sermier. Le Grenelle a été fait pour l’environnement. Il n’y avait pas d’objectif sous-entendu. Il y a trois priorités en matière d’environnement : la préservation des matières premières, l’énergie et l’alimentation. Or, les prix pratiqués en matière de photovoltaïque créaient, pour ce qui est des terres agricoles, une concurrence extrêmement forte avec la production d’aliments. Il faut faire très attention à ne pas privilégier l’énergie au détriment du foncier. Avant le moratoire, le rapport pour les propriétaires fonciers d’une ferme photovoltaïque était dix fois supérieur à la production d’alimentation. Profitons de ce moratoire pour nous entendre clairement avec les agriculteurs sur ce sujet. J’aimerais avoir l’avis des grands opérateurs et de l’association de l’industrie photovoltaïque française sur ce problème des terres agricoles.

M. Yanick Paternotte. Nous n’évitons pas le débat sur le moratoire, nous sommes en plein dedans ! Et je me félicite que tous les acteurs de la filière soient présents.

Nous avons entendu que le secteur n’était pas mûr, qu’il y avait des problèmes de compétitivité et de pérennité. D’où une première question à l’ensemble des acteurs : où en sont-ils en termes de protection des brevets ? De quelles garanties disposent-ils ? Dans un monde très ouvert, et un secteur très sensible, le problème est de taille, en particulier pour les biotechnologies.

Quelle est leur maîtrise – surtout pour ce qui concerne Total – de leurs matières premières, et en particulier des terres rares ? Je comprendrais qu’ils ne veuillent pas tout révéler, mais s’ils souhaitent de la pérennité, et intégrer toute la chaîne de valeurs, il faut maîtriser les gisements.

Par ailleurs, où en sont-ils dans la recherche et développement sur le stockage de l’énergie ? Un des gros problèmes reste l’utilisation différée de l’énergie produite. Je n’ai rien entendu sur ce point crucial.

Enfin, les technologies de deuxième et troisième génération sont dans la ligne du Fonds stratégique d’investissement et du grand emprunt. Comment les intervenant se positionnent-ils par rapport à ces deux leviers de l’action gouvernementale ?

Mme Frédérique Massat. Je regrette l’absence des deux ministres, de l’écologie et de l’économie, qui ont signé le décret du 9 décembre. Il semble urgent de les auditionner.

Il y a quelques semaines, nous avions reçu d’autres acteurs de la filière, en particulier des associations. Selon eux, c’est à l’État qu’il appartient de décider de doter la France d’une industrie de cellules photovoltaïques, pas aux acteurs économiques. Ils disaient aussi qu’il fallait orienter cette industrie vers les semi-conducteurs et développer la cellule, élément qui crée de la valeur ajoutée, plutôt que se contenter de fabriquer des panneaux au silicium cristallin, sans quoi nous serions perdants avant même d’avoir commencé. Qu’en pensez-vous ? Et que pensez-vous de la possibilité, évoquée par Jean-Louis Borloo lorsqu’il était ministre, de soumettre les panneaux photovoltaïques à un dispositif de bonus-malus fondé sur le bilan carbone afin d’éviter de subventionner des importations de pays lointains ? Le tarif de rachat ne doit-il pas être soumis à une telle éco-conditionnalité ?

Vous avez évoqué les bâtiments autonomes en énergie, qui semblent une solution d’avenir. Avez-vous avancé sur des projets ? Ne peut-on accélérer les choses ? Cela éviterait tous les problèmes liés au réseau : injection, distribution, transport des énergies renouvelables.

Par ailleurs, quelles sont vos impressions à l’issue de la première réunion de concertation sur le nouveau cadre de régulation tarifaire et l’avenir de la filière, qui a eu lieu le 20 décembre ?

Enfin, êtes-vous associés au recours en annulation déposé par plusieurs associations et entreprises contre le décret du 9 décembre ?

M. Francis Saint-Léger. Parce que la dégressivité n’a pas été entreprise assez tôt, et parce nos tarifs de rachat sont parmi les plus élevés au monde, pour les industriels comme pour les particuliers, il était nécessaire d’ouvrir une phase de réflexion, pour partir sur de nouvelles bases. Mais jusqu’où peut-on envisager de diminuer les tarifs, et dans quel délai, sachant que, selon vous, il serait possible d’atteindre rapidement la parité ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Je suis heureux de la tenue de cette table ronde, qui permet d’éclairer tout le monde.

Le moratoire est forcément perturbant pour les entreprises, mais nous ne pouvons pas rester les bras croisés devant des problèmes patents. Il y a quelques années, la plus grosse part de la CSPE correspondait à son volet social. En 2011, le photovoltaïque pèsera un milliard. Nous ne pouvons pas ne pas nous en préoccuper, sachant que le coût d’achat moyen du photovoltaïque est de l’ordre de 550 euros le mégawatheure, contre un coût du marché électrique de 55 euros. D’ailleurs, l’association des producteurs d’électricité solaire indépendants propose la radiation de tous les projets inscrits en file d’attente à des tarifs antérieurs à janvier 2010 ainsi que la mise en place d’un système automatique de baisse trimestrielle des tarifs d’achat en fonction des coûts de construction et de main-d’œuvre des projets photovoltaïques.

Ce matin, il a beaucoup été question de compétitivité. Mais s’agit-il de la compétition entre entreprises, ou de la volonté de ramener le prix du photovoltaïque au niveau du marché ? C’est une question fondamentale. On ne peut soutenir éternellement les énergies renouvelables avec des coûts finalement payés par les consommateurs, dont certains peinent à acquitter leurs factures. Les raisons qui ont conduit au tarif proposé en 2006 sont compréhensibles, mais ces dispositions ne peuvent être que transitoires. Quand va-t-on arriver à des prix compétitifs avec ceux du marché électrique ?

Mme Catherine Quéré. Le Gouvernement se montre de plus en plus frileux, et c’est un euphémisme, en matière d’énergies renouvelables et en particulier de photovoltaïque.

Depuis le début de l’année, l’État a émis douze circulaires, arrêtés ou notes, sans compter la baisse du tarif de rachat et du crédit d’impôt. Aujourd’hui, il prend un moratoire encore plus brutal. Un des sites industriels désespérément inoccupés de ma région devait recevoir un pôle d’entreprises éco-industrielles, avec une entreprise d’assemblage, voire de fabrication de panneaux photovoltaïques, et les créations d’emplois qui vont avec. Après avoir eu un grand espoir, nous sommes maintenant très inquiets. Comment faire suivre à nos territoires, qui ont de fortes compétences industrielles, la mutation écologique de l’économie s’il n’y a aucune perspective d’avenir ?

Le moratoire résonne comme un coup d’arrêt. Les industriels sont-ils aussi inquiets que nous ? Considèrent-ils le moratoire comme utile ? Partagent-ils la colère de M. Maus, dont j’ai par ailleurs beaucoup apprécié les propositions ?

M. Jean Gaubert. François Loos a bien expliqué les circonstances d’origine des tarifs d’achat. Mais le dispositif, qui était calé sur les coûts de production des industriels français, a surtout servi aux importateurs. Il va falloir trouver le moyen de favoriser la filière nationale. Pour l’instant, les prix élevés ont favorisé la bulle spéculative et surtout les marges extraordinaires de certains, qui n’ont pas pour autant baissé leurs prix.

En outre, et depuis l’origine, les incitations encouragent moins l’autoconsommation que l’action spéculative qui consiste à vendre cher son électricité et à la racheter peu cher. Cela ne pouvait pas durer : ce n’est ni socialement, ni éthiquement acceptable. Mais il est évident que ce sont les producteurs de panneaux qui vont le plus souffrir du décret, c’est-à-dire les industriels qui développaient péniblement une filière dans notre pays. Les installateurs seront moins touchés, et les importateurs se contenteront de diminuer leurs importations sans que cela change grand-chose pour eux.

Comment favoriser ceux qui développent de nouvelles technologies et qui produisent pour l’essentiel sur notre territoire, ou du moins sur le territoire européen ? En entendant le représentant de Saint-Gobain, je me suis aussi demandé s’il fallait vraiment accélérer la mise en place de nouvelles technologies dont on nous dit qu’elles représentent l’avenir, mais qui ne sont pas matures.

Pour pouvoir développer des produits, l’industrie a besoin de vendre. C’est la quadrature du cercle ! D’autres dispositifs peuvent entrer en jeu, comme le crédit d’impôt recherche, qui serait utile à condition d’être utilisé en France.

Enfin, il semble se développer chez les pompiers une interrogation sur les risques liés aux panneaux photovoltaïques en cas d’incendie, notamment du fait de l’impossibilité de les déconnecter. Il vaudrait mieux y répondre avant qu’une psychose ne se développe.

M. le président Serge Poignant. Il ne s’agit pas de ne pas parler du moratoire, mais à quoi servirait une audition des ministres aujourd’hui, alors que le groupe de travail est en place ? J’aurais souhaité que cela aille plus vite : il devait se réunir en octobre, mais cela n’a pas été possible. Nous avons tout janvier pour travailler. Soyez présents, pour trouver enfin une solution pour soutenir la filière française. Pensez que l’objectif était de 5 400 mégawatts pour 2020 – soit 500 ou 600 par an – et que nous en avons 4 000 dans les cartons ! S’ils étaient réalisés tout de suite, à 40 centimes, cela reviendrait à 1,6 milliard tous les ans.

Après la réunion interministérielle du 2 décembre, j’ai demandé que l’application du décret soit repoussée au 9. Or, durant cette seule semaine, 500 mégawatts ont été déposés !

Nous devons nous montrer responsables. Cela ne nous empêche pas de nous préoccuper des PME qui créent de l’emploi. Nous avons obtenu certains aménagements. Mais si nous voulons répondre aux vraies questions et donner de la pérennité et de la lisibilité à nos entreprises, il faut absolument éviter de faire comme l’Espagne, qui avait lancé 2 500 mégawatts en 2008 et qui a été obligée de presque tout arrêter. La moitié de ses emplois y ont disparu.

Peut-être est-il un peu tard, mais il faut quand même dire les choses telles qu’elles sont !

M. le président Serge Grouard. Ce sont des chiffres clés. La file d’attente est de l’ordre de 4 gigawatts, soit plus de 1,5 milliard d’euros par an, pendant vingt ans. Voilà la réalité ! Vous avez abordé ce matin nombre de questions essentielles et le groupe de travail Charpin, qui va commencer à œuvrer dans quelques jours, doit y répondre. Il est donc extrêmement important que nos commissions y prennent part, et nous y veillerons.

Mme Françoise Branget. Je tiens à saluer la confiance de tous les intervenants, grands groupes ou plus petits investisseurs, dans la technologie développée. On peut difficilement abandonner les dix mille emplois qui ont été créés dans la filière. C’est sur eux que nous devons porter nos efforts, et sur le retour sur investissement des fonds publics engagés dans le crédit d’impôt recherche. Le moratoire doit nous servir à analyser tout cela.

À quelle échéance voyez-vous la parité réseau ? Si elle est assez proche, peut-être faut-il accélérer plutôt que freiner. Il faut donc savoir exactement où on en est en matière de technologie.

Enfin, il faut aussi s’interroger sur notre fiscalité des investissements, et notamment sur la souscription au capital d’entreprises innovantes. Doit-on, par exemple, maintenir le crédit d’impôt ? La réflexion dépasse largement le seul photovoltaïque.

Mme Geneviève Fioraso. Nous sommes tous d’accord : Photowatt existe depuis trente ans, mais il n’y a visiblement pas de soutien organisé à la filière, sans quoi on n’aurait pas installé 90 % de panneaux chinois avec toutes les aides déployées. On ne peut pas nier non plus des pratiques de spéculation de la part d’agriculteurs, d’installateurs qui n’ont pas respecté les normes d’installation, et de sociétés dont on connaissait la liste depuis 2009, mais à l’encontre desquelles on n’a rien fait. Ce sont elles les plus responsables.

Il est clair que l’effet yoyo des aides est absolument terrible pour les PME et les ETI (entreprises de taille intermédiaire), celles qui créent les emplois et qui prennent les plus gros risques. Qu’en est-il des grands opérateurs ? Pour ce qui est d’EDF, je regrette qu’elle ne soit pas représentée aujourd’hui, mais je reconnais que c’eût été malaisé : pour avoir entendu à la fois EDF, EDF-EN et la direction de la recherche d’EDF, je peux vous dire qu’elles ont trois points de vue très différents, voire contradictoires !

Quant à Total, j’ai été sidérée de ce que j’ai entendu. Total travaille avec l’IMEC, le deuxième laboratoire de micro-électronique de semi-conducteurs en Europe – le premier étant le CEA-Leti. L’IMEC a fait le choix, condamné par l’Europe, de ne pas avoir d’usine et a tout transféré en Asie, y compris sa recherche et développement. Je suis très étonnée qu’un groupe qui bénéficie, si ce n’est de subventions, en tout cas du dispositif extrêmement favorable du crédit d’impôt recherche, et qui paye assez peu d’impôts en France, ait choisi de travailler avec un tel laboratoire.

Voilà ce que nous disait Jean-Louis Borloo début novembre : « Quant à l’avenir de Photowatt, il est assuré. Je dirai même qu’on vit avec eux et qu’ils le savent bien ! Le programme INES II est au grand emprunt, conformément à leur demande. La Caisse des dépôts et consignations est intervenue. Le Conseil d'administration a validé cette semaine le soutien à PV Alliance. » Je ne veux pas mettre Photowatt mal à l’aise, et encore moins compromettre son avenir, mais ces assurances très fortes de l’ancien ministre sont-elles confirmées ?

Je m’associe aux propos d’Yves Cochet sur le corps des mines, qui a une grande responsabilité dans l’absence d’une filière industrielle cohérente en France. Comment faire pour mettre cette filière en place ? Où sont donc les 600 000 emplois de la croissance verte ? En ce moment, on ne les construit pas, on les déconstruit !

Il ne faut pas opposer les grands groupes aux PMI-PME – je remarquerai au passage qu’on peut être centralisateur sans être ni gros ni fort, mais c’est un autre sujet. Une filière se construit avec des grands groupes, des PMI-PME et des ETI. Or, nous avons la chance d’avoir des ETI, comme Photowatt, qui compte 750 emplois aujourd’hui. Nous avons aussi de grands groupes, qui bénéficient d’aides, et un opérateur public, EDF, qui a une énorme responsabilité. L’État doit être tout simplement plus volontaire.

On ne construira pas la filière sans se servir des pôles de compétitivité.

En tant qu’administratrice de Tenerrdis, je me suis associée à Jean-Pierre Vial, sénateur UMP de Savoie – vous voyez que le consensus est possible. Nous avons réalisé une étude et conduit des travaux communs sur l’avenir de la filière. Sans volonté, tout restera incantatoire vis-à-vis des PME et des ETI, qui sont aujourd’hui en grand danger !

Mme Catherine Coutelle. En Poitou-Charentes, nous avons failli, il y a quelque temps, voir s’installer un constructeur d’éoliennes espagnol. Du fait du manque de visibilité dans le secteur en France, il a renoncé. Aujourd’hui, nous sommes en train de vivre la même chose avec le photovoltaïque.

Lors du Grenelle, Jean-Louis Borloo avait promis 600 000 emplois dans le renouvelable, non délocalisables. On en est très loin. Certes, Saint-Gobain va monter une deuxième usine photovoltaïque, mais en Allemagne ! Pourtant, le Bundestag a diminué les prix du photovoltaïque trois ou quatre fois dans l’année. Comment se fait-il alors que les Allemands accueillent cette nouvelle usine, et qu’ils installent des panneaux sur 100 000 toitures par an ?

Le moratoire français est sans doute la pire des solutions, la plus catastrophique en termes de visibilité – et les banques ne veulent d’ailleurs plus prêter. Mais avant ce moratoire, pourquoi n’a-t-on pas installé en France cette filière de fabrication par les grands groupes ? Sans parler de Total, qui investit ailleurs, pourquoi la France décourage-t-elle tant l’installation d’entreprises de fabrication ?

Mme Geneviève Gaillard. Je suis tout à fait d’accord avec Philippe Tourtelier. Sait-on combien d’emplois seront perdus avec le moratoire ? De quelles conditions les PME ont-elles besoin pour développer une filière photovoltaïque en France, et pourquoi n’ont-elles pas encore été mises en place ? Que signifie l’expression « être intégré sur la chaîne des valeurs » ?

M. André Chassaigne. Le décret du 9 décembre révèle un système de pilotage à vue marqué par un manque de maîtrise publique et de régulation. Il pose la question urgente de la mise en place d’une planification écologique pour éviter des décisions aux conséquences aussi graves pour notre économie, et surtout pour les PME.

En ce qui concerne les matières premières, on ne parle pratiquement pas de l’argent, qui est pourtant le premier facteur limitant dans la production de panneaux photovoltaïques à grande échelle. Quelle est votre maîtrise de cette ressource, sachant que les réserves sont de trente ans et que les pays producteurs ont une volonté de maîtrise de la production ? À l’autre bout du cycle, où en est le recyclage des éléments photovoltaïques en fin de vie – je pense surtout à l’association européenne PV Cycle, qui a vu le jour en 2007 ? Où en est la recherche européenne, et surtout française, sur ce point ?

M. Jean-Louis Gagnaire. La situation de surchauffe dans laquelle nous nous trouvons était parfaitement prévisible. Mais l’incurie des responsables administratifs et politiques ne doit pas être payée par les entreprises. Nous devons tout faire afin qu’elles ne se trouvent pas dans des difficultés majeures, et obligées de licencier.

L’objectif de production d’énergies alternatives est incontournable, et il doit être atteint de façon décentralisée, pas avec un système de revente à un opérateur central. Mais nous devons viser en même temps des objectifs de filière industrielle et de création d’emplois, sans oublier notre balance commerciale qui est bien loin de celle de nos voisins immédiats.

Je souscris aux propos de Philippe Tourtelier : il faut prendre des mesures de préservation immédiate et interpeller les ministres rapidement afin de stabiliser le système. Nous devons aussi parvenir à un consensus politique : il ne faudrait pas tout remettre en cause à la prochaine alternance, en 2012 !

Il y a bien des éléments de continuité sur lesquels nous pouvons nous accorder. Les investisseurs et les industriels ont absolument besoin d’un paysage stable et apaisé. Le photovoltaïque est une industrie très capitalistique, qui ne peut supporter une hésitation permanente. Il faut arriver à forger ce consensus, parce que les enjeux en termes d’emploi sont majeurs.

Mais le Gouvernement n’a pas de vision industrielle. Nous avons réussi à subventionner, avec la prime à la casse, des véhicules presque tous importés d’Europe de l’Est ! Cela a coûté très cher, sans sauver grand-chose de la filière automobile française. Il faut arriver à sortir de ces situations devenues récurrentes depuis quelques années.

Comment orienter les financements publics vers les ruptures technologiques, car ce n’est qu’ainsi que l’on arrivera à créer de la valeur ? Comment faire converger les PME et les grands groupes pour créer des ETI ?

Nous souffrons d’un manque criant de moyens. Les capitaux ne vont pas s’investir au bon endroit, en tout cas pas dans des entreprises qui créent et qui produisent en France. Je ne suis pas favorable à des systèmes fermés aux frontières, mais il me semble qu’une certaine forme de patriotisme économique s’impose, dans cette filière comme dans d’autres.

M. le président Serge Grouard. Nous souhaitons tous davantage de visibilité industrielle. Pour ce qui est de la visibilité politique, c’est plus délicat…

M. Bertrand Pancher. Il faut tout de même rappeler que le photovoltaïque est victime d’un grand succès. Nous sommes en train de dépasser tous nos objectifs en matière d’énergies renouvelables. Il n’est guère possible de parler d’abandon du Grenelle de l’environnement alors qu’avec l’ensemble des projets déposés, soit 4 000 mégawatts, plus les 1 000 déjà installés, on atteint déjà les objectifs fixés pour 2020 ! Mais avec une augmentation pour les consommateurs de 7 ou 8 %, nous avons besoin de régulation. Nous nous donnons deux à trois mois pour la mettre en place tranquillement. Il n’y a pas de quoi « fouetter un chat ». Il faut utiliser cette période pour aboutir à une solution concertée.

Tous les pays européens ont été confrontés aux mêmes problèmes, comme l’Espagne et l’Allemagne, dont on loue les grands principes et qui vient encore de diminuer de 13 % les tarifs de rachat.

On parle beaucoup d’emploi. Si le Grenelle avait eu lieu plus tôt, on aurait pu structurer la filière, comme cela a été fait dans le bâtiment ou l’automobile. Il faut réussir à rattraper ce retard dans le photovoltaïque.

Êtes-vous favorables à des appels d’offres sur les gros dossiers, tout en continuant la régulation par les prix sur les petits dossiers ? Quel est votre sentiment sur les retards très importants d’ERDF ? Qu’en est-il réellement de la file d’attente ? Il semble qu’on se soit fait un peu peur à ce sujet. Dans mon département de la Meuse, j’ai cinq ou six projets de 20 à 50 hectares. Quels sont les chiffres réels ?

M. Yann Maus, président directeur général de Fonroche. S’agissant des technologies, il est un mal très français, consistant à se demander laquelle il faut choisir. En travaillant de cette façon, on n’a rien fait dans l’éolien et on loupera tout le reste. C’est une vision technocratique. Laissez faire les industriels, et la meilleure technologie gagnera ! S’il existe un marché régulier et pérenne, elle sera française. Mais dire à mes trois cents salariés, en janvier ou février, qu’« il n’y a pas de quoi fouetter un chat » ne serait pas sérieux : il nous faut de la continuité.

Le rôle de l’État n’est pas de s’immiscer dans la recherche ou de décider quelle technologie il faut privilégier. C’est développer un marché dans la pérennité. S’il y a des fabricants d’éoliennes en Allemagne, ce n’est pas parce que l’État leur a expliqué de quelle manière il fallait procéder, mais c’est parce qu’il a annoncé qu’il allait développer l’éolien et que les gens ont pu investir dans la continuité.

Toutes les prévisions, à l’horizon 2020-2030, montrent effectivement de nouvelles technologies – CIGS, tellurure de cadmium ou autres –, mais aussi toujours de 50 à 60 % de mono ou de polycristallin. Il n’y aura donc pas une technologie gagnante. Il faut que la France soit forte dans au moins un domaine, mais il n’est pas possible de faire un choix aujourd’hui. Ce choix, ce seront le marché et les industriels qui le feront !

Pour répondre à M. Brottes à propos d’EDF-EN, ce que nous demandons, en tant que fabricants et développeurs de projet, c’est simplement de l’équité. Quand EDF-EN dépose 1,2 gigawatts de permis de fermes au sol dans les Landes, directement avec RTE, et qu’elle n’a même pas besoin d’une acceptation de permis de construire pour bloquer son tarif, il n’y a pas d’équité. Mais visiblement, il n’en est jamais question dès lors qu’on parle d’EDF : il n’y a qu’à voir la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME) !

Vous avez déjà tué vos alternatifs. En continuant de cette façon, vous allez tuer une filière industrielle. Je ne pense pas qu’arracher des milliers d’hectares de pins dans les Landes procède du souci d’un développement durable, surtout pour y implanter une technologie à base de cadmium.

La parité réseau sera atteinte entre 2015 et 2020, à condition qu’on nous laisse travailler et baisser nos coûts tous les ans. Nous serons compétitifs en 2017 ou 2018, c’est certain. L’éolien s’approche de la parité réseau. Il a été longtemps subventionné, comme le nucléaire. Il faudra continuer à subventionner le solaire jusqu’à 2015 ou 2020.

Pour ce qui est de la fiscalité, il est clair que l’énergie solaire ne coûte rien au budget de l’État, mais qu’elle rapporte de l’argent. L’AIPF est opposée à tout système de défiscalisation autour du solaire. Dans ce secteur, la rentabilité pour l’investisseur est liée au tarif. L’ajout d’une défiscalisation conduit à des taux de rentabilité interne anormaux. Nous sommes donc contre l’application de la loi TEPA concernant l’ISF, et d’autres systèmes de défiscalisation. Non seulement on n’en a pas besoin, mais la défiscalisation touchant à l’ISF biaise les choses, en faisant envoyer des fonds dans des sociétés qui exploitent des panneaux solaires sans aucune création d’emploi. Or ce n’est pas dans ces sociétés qu’il faut faire converger des capitaux.

Pour ce qui est du moratoire, la décision viendra de vous, les politiques. Je n’ai pas le sentiment que ce moratoire débouchera sur quelque chose qui protège l’industrie française. C’est à vous de prendre les choses en main, de mettre en œuvre des mesures de préservation.

Il y a eu des gens qui ont spéculé et qui ont fait n’importe quoi. Moi, je n’ai pas le sentiment d’avoir fait n’importe quoi. J’ai cru en un discours, j’ai investi massivement et j’ai créé de l’emploi. Je n’ai pas triché. Aujourd’hui, puisque d’autres ont triché, on veut punir tout le monde. Je ne suis pas d’accord. Certains doivent être punis, mais moi, je n’ai aucune raison d’être sanctionné.

Des régions et des départements ont lancé des appels d’offres pour couvrir leurs lycées et autres bâtiments publics. Les industriels français ont obtenu environ 70 % de parts de marché, parce que le mécanisme des appels d’offre permet aux collectivités de ne pas tenir compte que du tarif, mais aussi du bilan carbone ou de la création d’emplois. Une des mesures de préservation pourrait être de ne pas remettre ces appels d’offre en cause, parce qu’ils ont été bien travaillés et qu’il n’y a pas eu de spéculation. Photowatt a eu sa part de ces appels d’offre. Fonroche a dépensé 850 000 euros d’études pour y répondre. Et aujourd’hui, parce que des gens ont triché, ils ne valent plus rien ! À la fin de l’année, je serai bien obligé de prévoir une provision dans mes comptes.

Comment voulez-vous que nous fidélisions nos banquiers avec de tels allers-retours ?

M. le président Serge Poignant. Comprenons-nous bien : nous avons parfaitement conscience des difficultés des PME. Elles ont joué le jeu alors qu’il y a eu de la spéculation, y compris du fait de sociétés financières. Mais vous dites que vous avez cru au discours politique. Or ce discours avait fixé des objectifs qui ont été dépassés. Nous devons maintenant définir ensemble de nouveaux objectifs assurant la pérennité des entreprises.

J’ai toujours défendu le photovoltaïque, et je continue à le faire. La filière peut se développer. Nous avons encore le meilleur tarif au monde pour les petites toitures, qui ne sont pas concernées par le moratoire. Il ne faut pas faire passer un message de découragement !

Reste la question, cruciale, de l’emploi. C’est pour cela que le moratoire doit être le plus court possible. Nous devons étudier les choses projet par projet, je dirai même tranche de puissance par tranche de puissance. Je ne sais pas si l’on y arrivera, mais il faut parvenir à être le plus vertueux possible et à peser moins sur une CSPE qui va exploser. Il faut trouver les meilleurs systèmes. Peut-être aurait-on pu le faire avant, mais telle est la situation.

Nous faisons tout ce que nous pouvons pour les PME, mais nous ne pouvons pas remettre le moratoire en cause !

M. Yann Maus, président directeur général de Fonroche. La position de Saint-Gobain ou de Total, que je comprends, consiste à dire qu’ils ne viendront en France que s’il y a un marché pérenne. Le patron d’EDF-EN annonce que, dans les conditions actuelles, il sort du projet First Solar à Bordeaux. Mais nous, à l’AIPF, nous avons créé des milliers d’emplois et, entre janvier et mars, je paierai mes salariés.

L’industrie du photovoltaïque ne se développera que par les PME et les ETI, comme cela a été le cas dans beaucoup de pays étrangers. Or le moratoire va tuer les PME et les ETI. C’est aussi simple que cela ! Vous vous retrouverez avec de grands groupes du CAC 40 qui se demanderont sans vous s’ils investissent en France ou en Corée !

M. le président Serge Poignant. Vous avez aussi évoqué les fermes solaires. Sur ce point, nous sommes d’accord : il ne faut pas concurrencer l’emprise foncière agricole, qu’il s’agisse des pâturages ou des forêts. À cet égard, il va falloir avancer dans la réflexion.

M. Vincent Bes, directeur administratif et financier de Photowatt. Ne nous trompons pas : le marché est mondial. Il va s’installer 21 000 mégawatts par an dans les quinze prochaines années. Si la France est capable de produire des cellules photovoltaïques compétitives dans ce marché mondial, elle aura une industrie photovoltaïque ; dans le cas contraire, elle n’en aura pas. Que cette industrie soit basée ici ou là ne change rien. Il nous faut donc la technologie ! C’est la seule solution pour que la France ait une industrie photovoltaïque, l’énergie de l’avenir !

J’entends beaucoup de critiques sur EDF, mais c’est le seul grand groupe français depuis 2006 qui ait accepté de travailler avec Photowatt. Notre drame, c’est notre incapacité à attirer avec nous un industriel français de référence. Le seul à avoir acheté 30 mégawatts de modules Photowatt, à avoir investi 40 millions dans la recherche et développement de PV Alliance, c’est le groupe EDF-EN–EDF-ENR. Le rapport Charpin l’a également souligné.

Un panneau photovoltaïque est garanti à peu près vingt-cinq ans. M. Cochet a sur son toit un panneau Photowatt qui date de 1991. C’est cela, le nerf de la guerre. La filière photovoltaïque existe en France depuis trente ans. Pourquoi entend-on encore dire qu’il n’y en a pas ? C’est la faute de Photowatt, qui a été incapable de communiquer. C’est aussi la faute de certains de ses petits camarades qui essayent de nier depuis des années que Photowatt est un fournisseur intégré – ce qui veut dire qu’il est capable de produire aussi bien du silicium que des plaquettes ou des cellules, bref d’assumer toutes les petites étapes de fabrication. C’est une pépite. Il n’y en a qu’une comme cela en France, et deux en Europe. Si Photowatt disparaît, une grande partie du savoir-faire connaîtra le même sort : les laboratoires de recherche resteront, mais pas les ouvriers, les techniciens, les agents de maintenance, les apprentis formés pendant trois ans sur les machines compliquées. Tout cela disparaîtra.

Pour ce qui est des déclarations de Jean-Louis Borloo, je travaille depuis dix-huit mois à trouver avec les ministères des solutions pour pérenniser Photowatt. M. Borloo et son directeur de cabinet étaient très déterminés à aider, dans le respect, bien sûr, des règles concurrentielles. Nous étions quasiment arrivés à trouver des solutions nous permettant de passer le cap des technologies homojonction, le temps de développer avec le CEA et EDF de bons procédés industriels pour l’hétérojonction. Tout cela est maintenant compromis. La Caisse des dépôts a fait ce qu’elle a pu, malgré des réticences importantes dans d’autres parties de l’État, mais aujourd’hui le moratoire balaie une grande partie de ces efforts. Je suis déterminé à recommencer. Je dois convaincre l’État d’investir à nos côtés, dans le cadre du grand emprunt par exemple, dans les technologies.

Je ne suis pas d’accord avec ce qui vient d’être dit : le choix technologique doit se faire avec de nombreuses années d’avance. Ce sont des investissements colossaux. Le choix de l’hétérojonction vient d’une réflexion très mûre avec des gens plus compétents que nous – les services de recherche et développement des grands énergéticiens français. Nous sommes convaincus de ce choix, et d’autres que nous dans le monde aussi, mais il faut désormais financer la recherche et développement.

Photowatt ne demande pas de subventions pour elle-même, et n’a d’ailleurs aucun financement public dans ses comptes. Les aides publiques vont à PV Alliance ou au CEA. En revanche, c’est Photowatt qui créera les emplois. Si nous n’arrivons pas à convaincre de grands groupes français de travailler avec nous à ces technologies, nous devrons mobiliser l’État pour faire valoir notre point de vue.

M. Gilles Perrot, directeur solaire/photovoltaïque, Total. Les grands groupes aussi créent des emplois en France dans le photovoltaïque. Total a 1 000 employés dans le secteur et vient d’annoncer une nouvelle usine de construction de modules à Carling, en Moselle. Le chantier démarrera dès le début de l’année prochaine et nous allons créer de 80 à 100 emplois. Il est donc faux de dire que nous ne faisons pas d’industrie en France !

Cette filière devra encore être aidée pendant un certain temps, les années qu’il reste avant d’arriver à la parité réseau. De ce point de vue, le contenu local, le contenu carbone et la prime à l’autoconsommation sont des éléments à prendre en compte. Nous essaierons de le démontrer à MM. Trink et Charpin.

Il faut aussi souligner qu’il est beaucoup plus pertinent, comme l’indiquait le rapport Poignant, d’utiliser le photovoltaïque de manière répartie. Les grosses centrales solaires posent un problème de logique car, même si elles revêtent un intérêt à court terme, cette énergie n’a pas cette finalité.

Si Total est plus implanté en Flandre qu’en France, c’est que nous sommes entrés dans un projet avec l’IMEC en 2001, bien avant toute incitation des pouvoirs publics français. L’IMEC, étant un institut de recherche, n’a par nature pas d’usine. En revanche, nous avons la propriété intellectuelle de tout ce qu’il développe en collaboration avec Photovoltech.

Le silicium provient du sable. C’est la deuxième molécule disponible sur terre. Peut-être n’en est-il pas de même pour Saint-Gobain avec les terres rares, mais nous n’avons pour notre part aucun problème à long terme.

Enfin, solaire concentré et solaire photovoltaïque sont deux technologies complémentaires. Le solaire concentré a plus d’intérêt dans les pays à ensoleillement direct. Il peut aussi être stocké, ce qui présente un intérêt pour de grands projets alors que le solaire photovoltaïque est une énergie répartie qui doit être la plus proche possible du consommateur final. En matière de stockage, Total a un projet de partenariat avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT). Ce n’est pas en France, certes, mais il s’agit de gens sérieux. Nous avons également investi dans une start-up américaine, parce que c’est là qu’est la technologie.

M. Fabrice Didier, directeur général de Saint-Gobain Solar. Mes collègues ont à peu près tout dit. Je voudrais insister pour ma part sur l’importance d’une vision globale.

Lorsque nous avons monté notre stratégie, nous nous sommes efforcés de penser au moment où il n’y aurait plus de subventions. Cela a justifié le choix de la technologie : certes, il y en aura plusieurs, mais nous avons investi dans ce en quoi nous croyions. De ce point de vue, il nous semble que l’intégration au bâti est une spécificité française qui a de bonnes raisons d’être pérennisée. Le photovoltaïque est la seule source d’électricité dont le coût de production ne dépend pas de la taille : comme il n’y a pas de turbine, il y a très peu d’effet d’échelle entre un mètre carré et un kilomètre carré de panneaux. Cette énergie est donc appelée à être utilisée de façon décentralisée, avec de petites installations partout, qui sont bien plus simples à financer que de grosses centrales. Et l’intégration au bâti nous donne le moyen d’aller vers le bâtiment à énergie positive, voire le bâtiment autonome, à condition de poser aussi la problématique du stockage et de la domotique. Or je connais tout un tas d’entreprises, petites et grandes, qui ont des choses à dire sur ce sujet en France.

On nous a demandé pourquoi, malgré un tarif très attractif de l’ordre de 60 centimes par kilowattheure, Saint-Gobain ne s’était pas massivement précipité dans les diverses branches du photovoltaïque : un même groupe peut difficilement investir dans plusieurs technologies en même temps car ce serait trop coûteux. L’Allemand Q-Cells, qui était une des références du secteur, s’est mordu les doigts de ne s’être pas décidé. Nous avons fait une analyse poussée. La technologie CIGS combine les avantages d’un bas coût et d’un haut rendement. Elle nécessite de l’indium, un matériau rare, mais nous avons travaillé à la réduction du nombre de grammes nécessaires et nous évaluons les réserves à nettement plus de soixante ans sur la base de la consommation actuelle, qui continue en outre à diminuer.

Enfin, pourquoi avons-nous investi en Allemagne : parce que les organismes de crédit y prêtent extrêmement facilement pour des investissements dans le photovoltaïque, que l’acceptation globale dans la société y est plus grande et que les particuliers, les banques et les assurances y ont moins peur. Aujourd’hui, il est aussi simple en Allemagne de monter une installation photovoltaïque sur son toit que de repeindre sa cuisine. Il y a des dispositifs légaux, concernant notamment les assurances, qui rendent le cheminement beaucoup plus aisé. En France, tout reste extrêmement compliqué. Il n’y a qu’à voir les délais d’acceptation : en Allemagne, lorsque vous faites une demande, l’opérateur électricien a l’obligation de l’accepter dans les quinze jours ! Nous avons donc confiance dans le fait que le marché allemand continue à se développer. D’aucuns pensent qu’il baissera en 2011, mais je pense, compte tenu du potentiel de réduction des coûts, qu’il peut continuer à progresser de façon massive. Pour investir en France, c’est une vision à long terme du photovoltaïque qu’il nous faut. Ce que nous défendrons devant le groupe de travail Charpin, c’est que, dès lors que la parité réseau sera atteinte, sans doute en 2018, le photovoltaïque ne soit plus subventionné. Il ne devrait plus y avoir de tarif de rachat, puisque le photovoltaïque serait rentable. Mais il devrait être une norme que tout bâtiment neuf en France comporte un toit photovoltaïque. Multipliez 500 000 bâtiments par 3 kilowatts, cela fait un excellent marché ! Il y a vingt ans, le double vitrage était une sorte de vision de l’avenir. Depuis, il a montré ses vertus sur le plan énergétique. Le photovoltaïque peut suivre le même chemin, devenir une habitude et surtout une norme du bâtiment – moyen par lequel l’Allemagne a, beaucoup plus que la France, fait progresser sa recherche et développement ainsi que ses industries. D’ici là, pérennité, sérénité et visibilité sont absolument indispensables, même avec des tarifs en baisse. Ce n’est pas la baisse qui nous fait peur, c’est de l’apprendre du jour au lendemain !

M. le président Serge Poignant. Merci de cette audition passionnante. Nous sommes tous d’accord ici pour soutenir le photovoltaïque en France, ainsi que pour reconnaître la nécessité de visibilité et de pérennité. Nous avons la chance d’avoir de grands groupes, de grands centres de recherche – CEAEA, INES et autres instituts – et un savoir faire d’entreprise. Nous avons aussi la spécificité de l’intégration.

Le marché n’est pas seulement français. Chez nous, il y a encore des possibilités de parcs au sol – seulement là où il y a des friches, pas de l’agriculture –, mais le marché est mondial. Et nos entreprises peuvent se positionner sur ce marché mondial.

Il faut avancer sur la recherche et développement, sur le silicium ou le CIGS bien sûr, mais aussi dans d’autres secteurs, comme celui du silicium amorphe. Toutes les technologies sont bonnes à poursuivre. Il faut encourager les grands groupes à y prendre leur part, et les PME à y apporter leur spécificité. Tout l’aval en dépend. Faites entendre vos voix au groupe Charpin. Nous y serons aussi, avec des représentants de tous les groupes.

En tout cas, il était très important de tenir cette réunion aujourd’hui et je vous remercie, messieurs, d’y avoir participé.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 22 décembre 2010 à 10 heures

Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Pierre Decool, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean Gaubert, M. Bernard Gérard, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, M. Louis Guédon, M. Gérard Hamel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. François Loos, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. Michel Raison, M. Francis Saint-Léger, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau

Excusés. - M. Gabriel Biancheri, M. Jean-Michel Couve, M. Pierre Gosnat, Mme Pascale Got, M. Pierre Lasbordes, Mme Marie-Lou Marcel, M. Michel Piron, Mme Josette Pons, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Alfred Trassy-Paillogues

Assistaient également à la réunion. - M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Jean-Claude Bouchet, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Christophe Caresche, M. André Chassaigne, M. Philippe Cochet, M. Frédéric Cuvillier, M. David Douillet, M. Raymond Durand, M. Paul Durieu, Mme Odette Duriez, M. Daniel Fidelin, Mme Geneviève Gaillard, M. François-Michel Gonnot, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Michel Havard, M. Antoine Herth, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Jacques Le Nay, M. Bernard Lesterlin, M. Jean-Pierre Marcon, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, Mme Sophie Primas, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Max Roustan, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Claude Thomas, M. Philippe Tourtelier