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Commission des affaires économiques

Mardi 11 janvier 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et de M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation

La commission a auditionné Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. le président Serge Poignant. Chers collègues, je voudrais tout d’abord associer notre Commission à l’hommage qui a été rendu tout à l’heure par le président de l’Assemblée nationale à la mémoire de Gabriel Biancheri, en assurant sa famille et ses proches de notre soutien. J’ai assisté à ses obsèques et j’ai fait déposer une gerbe en votre nom.

Nous avons par ailleurs le plaisir d’accueillir Mme Anne Grommerch, qui s’apprête à rejoindre notre commission.

Madame la ministre, Monsieur le ministre, je vous présente tous mes vœux pour cette nouvelle année. Elle s’annonce encore chargée, compte tenu du climat économique et financier incertain qui continue de prévaloir.

Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd’hui pour vous entendre sur un sujet qui nous tient à cœur, la loi de modernisation de l’économie (LME) promulguée voilà plus de deux ans et demi.

Un premier bilan de ce texte emblématique a été établi par notre regretté collègue Jean-Paul Charié puis notre ancien président Patrick Ollier, en association avec Jean Gaubert pour le groupe SRC. Le rapport a été présenté à notre commission en février 2010, quelques semaines après un premier bilan dressé de son côté par le Sénat. Le statut de l’auto-entrepreneur a, en outre, fait l’objet d’un rapport d’application spécifique.

Le bilan dressé à l’époque par notre commission était mitigé.

M. François Brottes. C’est un euphémisme !

M. le président Serge Poignant. S’il reconnaissait comme d’incontestables réussites le recul des marges arrière et la réduction des délais de paiement – qui ont diminué de onze jours en moyenne, en dépit de la multiplication des accords dérogatoires –, il était beaucoup plus critique en revanche sur la question de l’urbanisme commercial, question suivie par Michel Piron, qui a d’ailleurs cosigné une proposition de loi avec Patrick Ollier.

Souhaitant établir un nouveau bilan de la loi, notre commission a, depuis, chargé Mme Catherine Vautrin, par ailleurs présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC), et M. Jean Gaubert de procéder à un nouvel état des lieux, qui portera notamment sur les négociations commerciales et l’Autorité de la concurrence. Ils devraient nous présenter leur rapport à la fin du mois de mars.

Avant de vous entendre, Madame la ministre, sur votre propre appréciation de la LME et sur les éventuels correctifs que vous souhaiteriez y apporter, permettez-moi de vous poser quelques questions préalables.

Tout d’abord, on constate qu’en dépit des codes de bonne conduite élaborés ici ou là, les négociations commerciales entre distributeurs et fournisseurs demeurent toujours aussi tendues. Sans anticiper sur la décision qui sera rendue par le Conseil constitutionnel le 13 janvier sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été transmise par la Cour de cassation, ni sur le rapport de nos collègues, pensez-vous que l’on puisse parler d’un « échec » de la LME sur ce point, ou inclinez-vous plutôt à l’optimisme ?

Par ailleurs, le système des « soldes flottants » instauré par la LME a donné lieu à de sérieuses polémiques l’été dernier et, à la demande de M. Hervé Novelli, alors secrétaire d’État en charge du commerce, à un rapport du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC). Vous avez décidé de maintenir le dispositif en 2011, alors que les conclusions de l’étude, hormis le fait que le système est apprécié par une majorité de consommateurs, sont pour le moins mitigées. Pouvez-vous nous préciser les raisons pour lesquelles vous avez souhaiter prolonger le dispositif ? Comment pensez-vous pouvoir redonner aux soldes un caractère exceptionnel, leur permettant de contribuer pleinement à la relance de la consommation ?

Enfin, nous suivons avec attention l’activité de l’Autorité de la concurrence, institution créée par la LME. Lors de l’affaire du « cartel de l’acier », les sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence ont été considérablement réduites par la cour d’appel de Paris. Le Gouvernement a pourtant décidé de ne pas se pourvoir en cassation ; nous aimerions que vous nous expliquiez pourquoi.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Permettez-moi de renouveler les vœux que je forme pour chacun d’entre vous et de nous souhaiter collectivement de bons travaux, dans un esprit d’intelligence, quels que puissent être les désaccords susceptibles de naître entre nous. J’ai hélas pu constater ces derniers jours, aux Etats-Unis, que les tensions extrêmes, l’expression de la colère et de la violence dans le débat politique pouvaient conduire des déséquilibrés à commettre des actes épouvantables. Le spectacle de l’Assemblée nationale tout à l’heure comme la qualité des travaux de votre commission témoignent d’un esprit extrêmement précieux qu’il nous faut préserver. Frédéric Lefebvre et moi-même, ainsi que les membres de notre administration, nous attacherons à en faire preuve, même dans les situations de désaccord.

Je voudrais, pour commencer, rappeler dans quel contexte la LME a été présentée et discutée au Parlement. Les objectifs que nous poursuivions étaient avant tout la croissance et l’emploi. Les prévisions faites à l’époque se sont révélées – du moins pour l’année 2009, car il est un peu tôt pour tirer des conclusions sur l’année 2010 – un peu pessimistes. Nous avions tablé sur une croissance de 0,3 % par an sur cinq ans et sur 50 000 créations d’emplois par an. L’approche microéconomique et les rapports publiés tant par le FMI – dans le cadre de la revue par pays prévue par l’article 4 de ses statuts – que par l’OCDE en 2009 et en 2010 montrent que notre pays est en mouvement ; diverses modifications sont intervenues pour apporter davantage de réactivité et de flexibilité dans les mécanismes, dans le but de favoriser la croissance et l’emploi. Les chiffres peuvent évidemment s’améliorer encore, mais depuis quatre trimestres, l’économie française croît à un rythme annuel de 2 % ; et en ce qui concerne les créations nettes d’emplois, notre prévision pour 2010 – 80 000 – sera sans doute dépassée puisque nous en avons déjà enregistré 74 000 sur les trois premiers trimestres. La LME a incontestablement contribué à ces résultats. Grâce à elle, nous avons davantage d’entrepreneurs, de concurrence et des outils plus adaptés à une économie moderne.

Votre commission est parfaitement informée tant des vicissitudes que des succès du statut d’auto-entrepreneur. Comme souvent, nous sommes plus sensibles aux premières qu’aux seconds ; il faut dire que diverses professions protestent contre l’irruption de ces auto-entrepreneurs qui, selon eux, jouissent d’un peu trop de liberté. Nous sommes revenus sur ce statut pour le consolider et davantage l’équilibrer. Il n’en demeure pas moins qu’il a généré 1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires et que, fin octobre 2010, l’ACOSS recensait 598 000 comptes d’auto-entrepreneur administrativement actifs. Permettez-moi enfin de préciser qu’une grande majorité de ces auto-entrepreneurs à compte actif sont des femmes, ce dont je ne peux que me féliciter.

Sans l’associer directement à celui d’auto-entrepreneur, il convient de mentionner ici le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) que vous avez contribué à développer et qui permet – légitimement – de distinguer le patrimoine professionnel du patrimoine personnel.

Avec les diverses améliorations que vous lui avez apportées, concernant notamment les obligations en matière de formation professionnelle, l’application spécifique aux professions libérales ou l’inscription aux caisses de retraite, le statut d’auto-entrepreneur est indéniablement propice à l’activité, sans être pour autant outrageusement offensif à l’égard des professions fonctionnant dans le cadre d’un statut classique.

Autre succès de la LME : la réduction des délais de paiement, très bénéfique pour les PME. Dans le seul secteur automobile – non concerné par les 39 dérogations qui ont été sollicitées –, les sous-traitants ont bénéficié de 2,5 milliards d’euros de trésorerie supplémentaire, dans une période où la situation économique était très difficile pour eux. Nous avons ainsi rattrapé une partie de notre retard sur nos voisins européens.

J’en viens à la concurrence.

Avant la LME, les relations très opaques entre fournisseurs et distributeurs se traduisaient, sous couvert d’accords de coopération commerciale, par les fameuses marges arrière. Le bilan de la réforme est à mes yeux positif ; j’en veux pour preuve les résultats fournis par l’Observatoire des prix. Depuis 2008, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) établit chaque mois des relevés de prix et de marges et retrace l’évolution des prix des produits de grande consommation vendus par la grande distribution ; l’Observatoire observe trois catégories de prix : prix payés, prix affichés dans les rayons, prix des produits de grande consommation (PGC) relevés par l’INSEE. Selon l’INSEE, les prix – qui avaient connu une augmentation de l’ordre de 3,8 % en 2008 – se sont stabilisés en 2009, fléchissant même de 0,2 %. Il semble qu’en 2010, on observe une tendance identique. La LME a donc contribué, par la modération des prix, à l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages.

Nous escomptions que deux dispositifs contribueraient à faire jouer la concurrence et baisser les prix dans l’intérêt du consommateur. Il s’agit d’un part des dispositions relatives à l’urbanisme commercial, qui avaient pour objet de simplifier les règles d’implantation des grandes et moyennes surfaces – car, malgré leur effet sur les prix, ces règles n’avaient pas empêché que les alentours d’un certain nombre de villes soient défigurés. D’autre part, la LME a permis de mettre notre législation en conformité avec le droit communautaire et de redynamiser des relations souvent cristallisées au profit d’enseignes qui se partageaient les zones de chalandise. Nous étions convenus, après de longs débats – car les enjeux locaux sont importants – de revenir sur ce dispositif, afin d’aligner l’urbanisme commercial sur les règles de droit commun. La proposition de loi de Patrick Ollier et de Michel Piron est l’instrument qui va nous permettre d’y parvenir. Je souhaite très vivement que cette réforme nécessaire ne conduise pas à restreindre la concurrence : il faut absolument conserver cet acquis, tout en reconnaissant le rôle des responsables des collectivités territoriales dans les implantations commerciales. J’espère que ce texte, qui va être prochainement examiné en séance publique au Sénat, traduira ce nécessaire équilibre.

En ce qui concerne la négociabilité commerciale, la LME avait un objectif clair : apporter de la transparence à une relation qui était opaque – je pense en particulier aux accords de coopération commerciale, constructions juridiques pour lesquelles la créativité était sans limites – pour remettre de la liberté dans le rapport de négociation entre le distributeur et le fournisseur, tout en évitant la dépendance du faible par rapport au fort. C’est tout l’enjeu de la décision qui sera rendue le 13 janvier par le Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Quel est le bilan ? On constate une très nette diminution des marges arrière, évaluées à 32 % en 2008 et ramenées en 2009 à 11 % – correspondant, semble-t-il, à de la vraie coopération commerciale, donc à la rémunération des distributeurs pour des services effectivement rendus aux fournisseurs. Nous resterons bien entendu très vigilants sur ce sujet.

Ces résultats sont à mettre au crédit du travail de concertation et de promotion des bonnes pratiques que nous avons mené ensemble, qui a permis d’éviter le recours au contentieux dans un certain nombre de cas. Je rends ici hommage aux travaux de la CEPC, conduits sous l’autorité du regretté Jean-Paul Charié, puis de Mme Catherine Vautrin. Je pense en particulier aux « mardis de la LME » et aux différents travaux menés pour essayer de corriger les pratiques abusives – pénalités, stocks déportés, garanties de marges. Je pense que l’identification technique que vous avez assurée a permis aux grandes enseignes de remédier à ces situations. Néanmoins il existe toujours des pratiques condamnables. En témoigne le nombre de fiches signalétiques sur les menaces de déréférencement – huit en 2010 et cinq en 2009 – et les neuf assignations auxquelles nous avons procédé et qui ont donné lieu à un engagement de procédure. Sur ce sujet également, nous attendons avec beaucoup d’impatience, mais aussi de confiance, l’interprétation que donnera le Conseil constitutionnel de la notion de « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Je laisserai à Frédéric Lefebvre le soin de vous parler des soldes flottants. Il s’agit de prendre en considération l’intérêt public, et non des intérêts catégoriels : les travaux effectués par le CREDOC et par des fédérations professionnelles me semblent assez concluants à cet égard.

Un mot sur le livret A. Sa généralisation, qui avait donné lieu à des débats passionnés, lui a permis de se développer de manière significative : 10 millions de livrets ont ainsi été ouverts, et des sommes très importantes ont pu être collectées. Il était normal que ce produit ne soit plus réservé à seulement trois opérateurs.

La création de l’Autorité de la concurrence, que vous avez évoquée M. le Président, a effectivement été considérée comme une mesure phare. On avait reproché au Conseil de la concurrence de manquer de moyens et d’indépendance : l’objectif était donc de créer un organisme moderne et efficace, à même de lutter contre les distorsions de concurrence. Les décrets d’application de la LME – plus de 300 – sont aujourd’hui publiés à plus de 99 %, mais ceux concernant l’Autorité de la concurrence l’ont été très rapidement de sorte que, dès mars 2009, l’Autorité était opérationnelle. Le bilan est positif : le contrôle des opérations de concentration a été transféré, pas moins de 232 décisions ont été rendues entre le 1er janvier et le 17 décembre 2010 ; par ailleurs le Conseil d’État, saisi d’un premier dossier, a validé dans un arrêt du 30 décembre 2010 la méthode de travail et l’avis prononcé par l’Autorité de la concurrence au sujet de l’acquisition par TF1 du capital du groupe AB.

En matière de pratiques anti-concurrentielles, les compétences ont été réparties entre la DGCCRF et l’Autorité de la concurrence. Un équilibre a là aussi été trouvé, même si la DGCCRF se sent parfois un peu orpheline de son corps d’élite.

S’agissant de l’affaire du « cartel de l’acier », le Gouvernement n’a, en effet, pas souhaité se pourvoir en cassation après l’arrêt de la cour d’appel de Paris réduisant significativement les amendes prononcées, l’écart entre les deux montants traduisant indéniablement une difficulté d’appréciation de l’indemnisation du préjudice. J’ai chargé trois personnalités qualifiées – Jean-Martin Folz, Alexander Schaub et Christian Raysseguier – de réfléchir à la prévisibilité du mode de calcul des sanctions afin d’éviter des sanctions sans véritable lien ni avec la gravité du comportement, ni avec la nature du préjudice. Sur la base du très bon rapport qu’ils m’ont remis, j’ai demandé au président de l’Autorité de la concurrence d’éclairer les acteurs économiques sur la manière dont les sanctions seraient prononcées ; je lui ai récemment rappelé son engagement de publier rapidement ces lignes directrices.

Je voudrais enfin évoquer un outil souvent oublié et pourtant très efficace : le fonds de dotation, créé par la LME, qui rappelle les endowment funds utilisés de longue date aux États-Unis pour des fondations à but d’intérêt général ou des organismes de recherche universitaires. 516 ont été créés à ce jour. Ils ont permis de collecter un peu plus de 250 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les dotations en nature. Le fonds de dotation bénéficie d’un régime fiscal très voisin de celui de la fondation, mais il est beaucoup plus simple, ce qui lui permet d’être utilisé tant par le Louvre que par le SAMU social ou l’Institut Pasteur.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie Madame la ministre pour cette présentation et ce bilan. Je laisse tout de suite la parole à Mme Catherine Vautrin pour le groupe UIMP.

Mme Catherine Vautrin. Le bilan de la LME dressé par MM. Ollier et Gaubert était en effet pour le moins mitigé. Nous présenterons un nouvel état des lieux dans quelques semaines.

Vous vous félicitiez tout à l’heure, madame la ministre, de la baisse des prix des produits de grande consommation. Pour notre part, nous nous sentons écartelés entre la maîtrise de l’inflation et un problème de politique industrielle qui touche notamment le secteur agroalimentaire, grand pourvoyeur d’emplois en milieu rural – les industriels expliquent leurs difficultés par l’impossibilité de répercuter les hausses des prix des matières premières. Dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP), notre commission a eu l’occasion de travailler sur la contractualisation pour les prix des matières premières agricoles ; nous voulons maintenant essayer de travailler sur l’ensemble de la filière.

Concernant le dossier du « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties », je vous livre la présentation qu’en a faite un distributeur : « cette disposition revient à pouvoir être arrêté pour un excès de vitesse alors même que personne ne peut vous dire à combien la limite était fixée ». Tout le problème du déséquilibre significatif est là : il n’y a pas de définition. Nous attendons la décision qui doit être rendue vendredi mais, quoi qu’il en soit, pour 2011, nous en sommes déjà à deux déréférencements, sur des marques nationales très importantes, et c’est le fait du distributeur qui détient les plus grosses parts de marché dans notre pays. Par ailleurs, alors que la LME prévoit expressément que le socle de la négociation est constitué par les conditions générales de vente, les fournisseurs se voient de plus en plus souvent opposer les conditions générales d’achat.

La convention unique soulève elle aussi des difficultés car sur le terrain, on ne sait pas si elle constitue bien la référence, la notion de plan d’affaires – qui n’a pas d’existence juridique – ayant par ailleurs été évoquée. On comprend qu’une date butoir – le 1er mars – ait été fixée pour les négociations commerciales, mais cela ne correspond aujourd’hui à aucune réalité économique. De vrais problèmes se posent sur les tarifs pour la période comprise entre le 1er janvier et le 1er mars. En théorie, les accords sont signés sur douze mois glissants mais, en pratique, il en va souvent autrement.

J’appelle également votre attention sur le développement des nouveaux instruments promotionnels (NIP), qui semblent être destinés à remplacer les marges arrière. De la même manière, la logistique est un outil qui permet de jouer sur les délais de paiement puisque tant qu’il n’y a pas de transfert effectif de propriété, on n’est pas obligé de payer…

Je reviens un instant sur le sujet majeur de la baisse des prix. Je me suis entretenue la semaine dernière avec un dirigeant d’un des deux grands groupes de produits frais de notre pays, très présent à l’international. Il m’a expliqué que sa stratégie consistait désormais à réduire au maximum ses activités en France pour ne plus être soumis aux difficultés qu’il rencontre sur le marché français. Il est important que nous l’entendions. Les accords Novelli signés en octobre dernier avaient marqué une bonne intention : peut-être pourrez-vous nous donner quelques informations sur ce qui se passera en février.

La contribution éco-emballages, sur laquelle je remercie le secrétaire d’Etat de m’avoir répondu avec célérité, constitue cette année l’un des gros problèmes dans les négociations. Comment répartir la charge entre industriels, distributeurs et consommateurs ? La réponse qui m’a été faite fait référence à un avis du Conseil de la concurrence de 1999, mais la situation a considérablement évolué depuis, ne serait-ce que sur le plan de la législation, avec le Grenelle I et le Grenelle II. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait décider d’une meilleure répartition ?

En ce qui concerne les délais de paiement, il y a eu d’indéniables progrès. Vous avez fait allusion aux 39 dérogations existantes : nous commençons à être interrogés sur ce qui se passera à l’échéance de 2012… Par ailleurs je voudrais évoquer deux effets induits. Pour les activités saisonnières, le temps de présence en magasin est beaucoup plus court : pour ne pas changer les conditions de règlement, les distributeurs gardent moins longtemps les produits en magasin. De même, dans certains secteurs où la concurrence est rude – je pense au secteur du jardinage avec l’exemple spécifique des tondeuses à gazon – les pays qui ne sont pas soumis aux mêmes conditions que la France en matière de délais de paiement livrent plus tôt, ce qui pénalise nos produits.

Un mot de l’urbanisme commercial. La liberté du commerce est pour moi une nécessité absolue car même si les maires ont leur mot à dire, la variété est indispensable – mais nous aurons l’occasion d’en rediscuter.

Enfin, merci pour avoir fait consacrer le concept de patrimoine d’affectation : pouvez-vous dresser un premier bilan de cette réforme ?

M. François Brottes. Permettez-moi, tout d’abord, de rendre hommage à mon tour, au nom du groupe socialiste et en mon nom personnel, à notre collègue Gabriel Biancheri. Député de la circonscription de mon enfance, il était très impliqué dans les travaux de notre commission et a toujours fait preuve d’une véritable indépendance d’esprit et de qualités humaines appréciées de tous.

Vous nous avez invités, Madame la ministre, à préserver un climat de bonne entente et de sérénité. Je veux rappeler qu’alors que vous n’étiez que secrétaire d’État, vous aviez eu droit aux applaudissements de l’ensemble de la Commission. Cela met la barre haut pour M. Lefebvre !

Je dois par ailleurs reconnaître que vous tenez toujours vos engagements. Vous avez toujours dit que vous étiez contre l’action de groupe et que sur ce sujet vous ne feriez rien : nous n’avons pas été déçus !

En ce qui concerne l’auto-entrepreneur, nous ne sommes pas opposés au statut en lui-même, mais au fait qu’il perdure. Autant il peut être utile de faciliter l’accès à la création d’entreprise, autant on ne peut accepter de faire bénéficier de rentes de situation des personnes qui touchent déjà un salaire ou une retraite, surtout lorsqu’on mesure tous les jours les dommages collatéraux dont pâtissent des petits commerçants ou petits entrepreneurs. Même amendé, ce statut pose encore de nombreux problèmes.

S’agissant du crédit à la consommation, vous aviez accepté lors du débat dans l’hémicycle de mettre en place un groupe de travail sur l’idée du fichier positif. Je sais que ce groupe a commencé à travailler : où en est-on ?

En ce qui concerne la grande distribution, vous avez évoqué la proposition de loi de MM. Piron et Ollier, mais je ne l’ai pas trouvée dans le programme de nos travaux. Je me suis même demandé si Patrick Ollier n’était pas devenu ministre notamment pour que ce texte n’aboutisse pas ! Nous aimerions avoir au moins une date, les préoccupations auxquelles il s’agit de répondre étant communes à tous les bancs.

Concernant la négociabilité, la crise du lait a bien mis en lumière les effets collatéraux désastreux de l’absence de capacité à négocier.

Pour finir, je ne résiste pas à la tentation de vous interroger sur le livret A. Combien y a-t-il de personnes qui détiennent deux livrets alors que c’est une pratique normalement interdite ? Que pensez-vous du fait que les banques encaissent une commission bien supérieure à ce qui était prévu au départ ?

M. le président Serge Poignant. Tant qu’elle n’a pas été examinée en séance publique au Sénat, la proposition de loi de MM. Ollier et Piron ne peut être inscrite à l’ordre du jour, cher collègue. Je vous laisse la parole Madame la ministre.

Mme la ministre. Il est vrai, Madame Vautrin, que nous sommes écartelés entre la nécessité de lutter contre l’inflation et le problème de la répercussion des hausses de prix des matières premières et des produits agricoles. Il résulte de cette situation des relations extrêmement tendues entre fournisseurs et distributeurs en cette période de négociations ; nous avons les mêmes échos que vous de ce qui se passe sur le terrain.

Sur les deux déréférencements que vous avez évoqués, nous aurions besoin d’éléments factuels, afin de réagir rapidement. Nous attendons avec impatience la décision qui sera rendue vendredi par le Conseil constitutionnel, mais nous serons très exigeants quant au respect de la loi.

Un bon travail de filière a été fait dans le cadre de la LMAP. Nous tenterons de reprendre la démarche pour d’autres filières, car la contractualisation est une approche qui peut s’avérer particulièrement intéressante.

Le fait que les fournisseurs se voient de plus en plus souvent opposer les conditions générales d’achat, et non plus de vente, est actuellement un problème crucial. Peut-être faudrait-il prendre appui sur ce dossier pour faire triompher la notion de déséquilibre significatif. Personnellement, j’y serais plutôt favorable.

Je vous remercie pour les informations que vous nous avez données sur les NIP et dont nous n’avions pas pleinement connaissance. Il est vrai que nos interlocuteurs n’ont pas toujours la même liberté de ton, le ministère ayant aussi une fonction de contrôle et de répression des fraudes. Il importe donc que nous poursuivions le dialogue avec vous-même et avec la CEPC. De même, nous nous demanderons si le mécanisme que vous avez décrit – mise sous entrepôt logistique pour retarder le transfert de propriété et donc s’exonérer de l’application de la règle des délais de paiement – ne justifie pas des mesures particulières.

Le problème de la réduction de l’activité en France au profit d’une activité à l’étranger n’est pas spécifique à la LME. Il nous amène à nous interroger – comme le fait d’ailleurs actuellement un groupe de travail qui vient d’être constitué – sur la compétitivité des entreprises et le coût des facteurs de production, afin de déterminer si l’environnement réglementaire nous place en situation de désavantage compétitif excessif par rapport à des concurrents comme l’Allemagne, l’Italie ou la Grande-Bretagne, et de voir comment améliorer nos facteurs de compétitivité. C’est la démarche entreprise dans le cadre des États généraux de l’industrie, avec là aussi une approche par filière et le souhait de parvenir à l’implantation en France non seulement des centres de décision et de recherche-développement, mais aussi de vraies activités industrielles. Le Président de la République s’exprimera prochainement sur la politique industrielle. Nous ne pourrons maintenir toutes les industries dans notre pays. Il va donc falloir faire des choix pour conserver sur notre territoire des activités industrielles créatrices d’emplois qui tirent parti de nos atouts.

Frédéric Lefebvre vous ayant déjà répondu sur la contribution éco-emballages, je lui laisse le soin de poursuivre la discussion avec vous.

Monsieur Brottes, je suis en désaccord avec vous sur l’idée d’une « rente de situation » des auto-entrepreneurs. Il existe, c’est vrai, de véritables détournements du texte qui ne sont pas acceptables. Je pense par exemple à plusieurs auto-entrepreneurs concourant ensemble, de manière organisée, à un objet collectif et constituant de fait une seule et unique entreprise. Mais je reste favorable, dès lors qu’il n’y a pas d’abus et que l’on reste en deçà des plafonds, au maintien de ce statut. Il permet à ceux de nos compatriotes qui en ont envie d’entreprendre sans que soit nécessairement de manière intensive ou exclusive, qu’il s’agisse pour eux d’une planche de lancement – j’espère que ce sera le plus souvent le cas – ou simplement d’avoir une activité individuelle à temps partiel. J’espère donc que nous pourrons maintenir ce statut propice à la création de valeur, adopté par nombre de nos compatriotes.

J’en viens au crédit à la consommation. L’instance de préfiguration que nous avons mise en place s’est réunie une fois par mois depuis le mois de septembre. Elle a abordé les thèmes suivants : présentation du fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) et des fichiers existant à l’étranger ; informations contenues dans le registre ; identifiants ; audition de M. Jean-Louis Kiehl, président de l’association Crésus ; visite à Bruxelles pour étudier le mode de fonctionnement du fichier positif belge. Des groupes de travail ont été mis en place sur quatre thèmes : aspects techniques du registre – groupe piloté par la Banque de France –, protection des données et droits d’accès et de rectification – groupe piloté par la CNIL –, coûts et tarifications, aspects communautaires. Les travaux vont se poursuivre Je suis aussi déterminée sur ce sujet que j’ai pu l’être sur celui de l’action de groupe, monsieur Brottes, soyez-en sûr !

En ce qui concerne l’urbanisme commercial, je n’ai d’autre souhait à formuler que celui du respect de l’équilibre entre l’intervention des collectivités territoriales et le maintien de la concurrence, comme du principe de la transparence dans les rapports entre les grands acteurs commerciaux et les responsables des collectivités territoriales.

J’en viens au livret A. La Direction générale des finances publiques et de la comptabilité publique (DGFiP) procède à un contrôle a posteriori de la multi-détention : elle envoie chaque mois une liste des multi-détenteurs aux banques, à charge pour elles de demander à ceux-ci de se mettre en règle. Ce mécanisme commence à produire ses effets : en juillet 2009, on constatait que 22 % des livrets A ouverts depuis le mois de janvier étaient des doublons ; en mai 2010, ils n’étaient plus que 11 %.

Quant aux commissions des banques, nous avons pris des dispositions dans la loi de finances pour 2011 pour réduire leur montant. Les fonds collectés sur les livrets A et leur degré de consolidation au sein de la Caisse des dépôts et consignations font actuellement l’objet de débats. Nous en reparlerons. Il est important de permettre le financement du logement social ; la quote-part est fixée par la loi à 125 % des besoins de financement. Des objectifs en volume doivent également être fixés, sans pour autant mettre en place des marges de manœuvre « de confort », dans une période où les banques et les établissements financiers doivent renforcer le niveau de leurs capitaux propres pour se mettre en conformité avec les règles de Bâle III.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie Madame la ministre et je demande maintenant aux différents orateurs de poser leurs questions.

M. Michel Piron. D’abord une observation : s’il arrive que les gains de pouvoir d’achat tiennent aux prix des marchandises, ils tiennent assez souvent au revenu de l’acheteur, qui peut être producteur.

Vous souhaitez, dans le cadre de l’urbanisme commercial, préserver la concurrence : je préférerais parler de préservation des « conditions » de la concurrence. Quelles sont les dernières statistiques dont vous disposez sur les autorisations d’ouverture depuis la LME ? Le bilan oscille entre un million et quatre millions de mètres carrés, ce qui n’est tout de même pas la même chose… On me dit que nous détenons le record mondial de surface commerciale pour 100 000 habitants ; mais a-t-on pour autant réellement favorisé la concurrence, dès lors qu’on observe des concentrations, notamment avec les centrales d’achat ?

Oui, les conditions de la concurrence doivent être préservées ; mais la question est de savoir lesquelles. Doit-on s’exonérer de toute politique d’aménagement du territoire et de localisation ? C’est en réponse à cette interrogation qu’a été rédigée notre proposition de loi, à laquelle nous demeurons très attachés.

M. Jean Gaubert. Madame la ministre, nous étions globalement d’accord sur les deux sujets dont vous avez observé que le bilan était plutôt positif : la réduction des délais de paiement – même si l’on peut apporter des bémols, que Catherine Vautrin a déjà évoqués – et la création de l’Autorité de la concurrence. Pour le reste, nous avions dit ce qui allait se passer sur les conditions générales de vente et d’achat, sans toujours oser imaginer jusqu’où cela pourrait aller. Quant au statut de l’auto-entrepreneur, il est quand même extraordinaire que des députés UMP qui l’avaient voté déposent aujourd’hui une proposition de loi pour le réformer de fond en comble. Si on nous avait écoutés, peut-être aurait-on gagné du temps…

Je reviens sur ce qu’a dit Catherine Vautrin : des entreprises françaises qui produisent en France renoncent à vendre sur le marché français parce que la grande distribution leur impose des conditions drastiques et se tournent donc vers les marchés étrangers. C’est un problème bien différent des délocalisations.

Pour nous, la concurrence est un moyen. Pour vous, il semble que ce soit un but.

Enfin, vous évoquez souvent les codes de bonne conduite et la vertu, mais j’ai le sentiment que dans notre pays, on privilégie plutôt la petite vertu que la grande.

M. Philippe Armand Martin. En ce qui concerne les délais de paiement, force est de constater que certaines entreprises françaises continuent d’être écartées du marché national au détriment d’entreprises étrangères. De plus, dans certaines filières, les négociations commerciales entre l’acheteur et le distributeur se trouvent contraintes. Va-t-on prendre des dispositions à ce sujet ? Une négociation commerciale pourrait-elle être qualifiée d’illégale pour imposer une compensation à la réduction des délais de paiement ?

S’agissant du statut d’auto-entrepreneur, l’idée d’origine était d’aider les personnes qui souhaitaient se mettre à leur compte à démarrer ; comme l’a dit François Brottes, on pourrait envisager de limiter la durée d’utilisation de la formule, étant donné la concurrence ainsi faite, notamment, aux artisans – qui nous le disent souvent.

Mme Frédérique Massat. Le groupement des centres Edouard Leclerc va saisir le Conseil d’État à l’encontre de l’Autorité de la concurrence pour excès de pouvoir et détournement de procédure. L’Autorité a préconisé plus de mobilité entre les enseignes de la distribution ; elle leur a donné six mois à un an pour se conformer à cette recommandation, faute de quoi elle souhaiterait une réforme législative. Que pensez-vous de l’attitude des centres Edouard Leclerc ?

Concernant la distribution dans l’alimentaire, le président de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), M. Jean-René Buisson, a déclaré que les négociations étaient bloquées. Il souhaite que la LME soit réformée si les distributeurs ne respectent pas les garde-fous existants, à savoir la reconnaissance du prix de revient, augmenté de la marge de l’industriel, comme base de la négociation. Le débat semble porter sur l’interprétation de la loi, les industriels considérant que la LME implique l’existence d’une contrepartie précise à chaque remise, alors que les distributeurs veulent négocier globalement. Quelle est votre propre interprétation, madame la ministre ?

En ce qui concerne les auto-entrepreneurs, quels sont les outils dont vous disposez pour sanctionner les abus ? Je pense à l’entreprise qui oblige un salarié à adopter un statut d’auto-entrepreneur pour limiter ses charges et le faire travailler en prestataire de services.

M. Lionel Tardy. En matière de délais de paiement, les objectifs de la LME étaient ambitieux ; mais la crise et diverses résistances ont conduit à accorder de nombreuses dérogations. Pourriez-vous dresser un premier bilan de ces accords dérogatoires ? En principe, la dérogation consiste à aller plus progressivement vers le droit commun des 60 jours calendaires ou 45 jours fin de mois ; y parviendra-t-on en 2012 ?

Le secteur du livre a obtenu une dérogation par une loi spéciale. Cette exception a-t-elle eu des effets sur les autres secteurs ? Cela a-t-il eu un impact sur l’application de la réforme ?

Certains points de la réforme ont-ils donné lieu à des contestations ? Y a-t-il eu des tentatives de contournement ? Les sanctions prévues ont-elles été effectivement appliquées ?

Mme la ministre. La LME a remplacé les commissions départementales d’équipement commercial (CDEC), composées en majorité d’élus locaux, par des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC), composées majoritairement de personnalités qualifiées. Par ailleurs, elle a relevé le seuil, en le faisant passer de 300 à 1 000 mètres carrés.

Après l’entrée en vigueur de la réforme, on observe tout d’abord une baisse très sensible du nombre de dossiers examinés – comme c’est logique du fait du relèvement du seuil : on est passé de 3 607 dossiers en 2007 à 1 306 en 2009. La baisse de la surface de vente totale est moindre, puisqu’on est passé de 4 735 millions de mètres carrés en 2007 à 3 714 millions en 2009.

Selon les données provisoires pour 2010, les CDAC avaient accordé fin octobre 2,52 millions de mètres carrés ; il n’y a donc pas eu d’explosion puisque les surfaces accordées étaient de 2,63 millions de mètres carrés en 2009 et de 2,79 en 2008.

En 2010, la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) s’est réunie à dix-huit reprises pour examiner 205 dossiers, représentant une surface de vente de plus d’un million de mètres carrés. Elle a prononcé 151 décisions d’autorisation, soit un taux de 74 %, représentant 717 000 mètres carrés, soit 68 %.

La concurrence, bien sûr, est un moyen et non une fin ; et ce sont bien les conditions de cette concurrence qu’il s’agit d’assurer, au service d’une économie plus créatrice de valeur et d’emplois. La concurrence est bonne quand elle permet de lutter contre des pratiques concertées, des petits arrangements entre amis, des rapports commerciaux opaques.

M. Jean Gaubert. Et voici la vertu…

Mme la ministre. J’ai la faiblesse d’y croire – à la grande –, et d’essayer de la faire triompher, même si ce n’est pas toujours avec beaucoup de succès. C’est une exigence à laquelle contribue la LME, avec la notion de déséquilibre significatif et l’intervention beaucoup plus systématique de l’Autorité de la concurrence.

Sur le sujet des délais de paiement, les abus doivent être appréciés par les tribunaux.

Quant aux auto-entrepreneurs, leur statut a évolué. Dorénavant, ils sont obligés de déclarer leur chiffre d’affaires trimestriel – même s’il est nul. Ils seront radiés du registre dès lors que pendant vingt-quatre mois, ils n’auront enregistré aucun chiffre d’affaires : on ne peut pas prétendre au statut d’auto-entrepreneur sans avoir une activité effective. Par ailleurs, les auto-entrepreneurs sont assujettis, à compter du 1er janvier 2011, aux cotisations de formation professionnelle ; c’était l’une des grandes réclamations des artisans et des professions libérales. Enfin, à la suite d’un amendement au projet de loi de finances, l’exonération de contribution économique territoriale vaut pour trois ans, durée au-delà de laquelle l’auto-entrepreneur sera lui aussi assujetti à la CET. Bref, tout en gardant à ce statut sa simplicité et son caractère novateur, des mesures ont été prises pour resserrer l’écart entre les uns et les autres en matière de contraintes. Frédéric Lefebvre pourra vous présenter les améliorations complémentaires qu’il souhaite apporter à ce régime, en particulier en matière d’URSSAF. Je le laisse répondre tout de suite à Mme Massat sur l’affaire de l’Autorité de la concurrence et des centres Edouard Leclerc.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. À la suite de l’avis qui a été rendu par l’Autorité de la concurrence, la DGCCRF est actuellement, à ma demande, en train d’auditionner les professionnels. S’il apparaît que des aménagements législatifs sont nécessaires, nous reviendrons en débattre avec vous.

Mme la ministre. Quant au recours pour excès de pouvoir auquel vous avez fait allusion, libre au groupement des centres Edouard Leclerc de l’exercer !

En ce qui concerne la position de M. Buisson, le président de l’ANIA, nous soutenons les fournisseurs, en particulier les PME, pour que les négociations se fassent sur des bases comportant au minimum le prix de revient.

Je laisse Frédéric Lefebvre répondre également sur les accords dérogatoires.

Permettez-moi maintenant de me retirer, ayant un impératif horaire.

M. le président Serge Poignant. Merci beaucoup, Madame la ministre, pour la qualité de votre présentation et de vos réponses. Monsieur le Secrétaire d’État, je vous propose d’écouter les différentes questions qui vont vous être posées avant que vous ne répondiez à l’ensemble.

Mme Annick Le Loch. Lors du vote de la LME, le ministre avait promis un texte sur l’urbanisme commercial dans les six mois suivant la promulgation. Or la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture n’a pas encore été examinée en séance publique par les sénateurs. Les élus présidant des agglomérations, notamment, sont très demandeurs d’une maîtrise des ouvertures de grandes et moyennes surfaces.

On mesure aujourd’hui les conséquences de la circulaire d’août 2008, même si elle a été retirée dès le mois d’octobre suivant : dans mon département, un grand distributeur se permet aujourd’hui d’ouvrir 800 mètres carrés d’espace culturel, quoiqu’en pense le maire. Quel est selon vous le nombre de mètres carrés de grandes et moyennes surfaces nécessaire pour que s’exerce une concurrence au service des consommateurs – qui sont parfois des salariés de certains fournisseurs ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Tout d’abord, réjouissons-nous tous que l’économie française aille mieux.

Les chambres des métiers semblent demeurer vent debout contre le statut de l’auto-entrepreneur, en dépit de son évolution. Comment améliorer la situation ?

Dans le schéma d’urbanisme commercial, il était nécessaire de faire en sorte que la concurrence existe toujours. Je suis actuellement confronté au problème des villages de marques, qui peuvent créer des emplois mais dont les commerçants traditionnels disent qu’ils en détruiront largement plus. A-t-on réalisé des études d’impact sur les villages de marques qui existent déjà ?

Mme Corinne Erhel. Deux articles de la LME concernaient le déploiement de la fibre optique, et plus précisément les opérations de pré-cablâge des immeubles. Deux ans après la promulgation de la loi, un grand quotidien économique a titré hier que les opérateurs avaient du mal à équiper le pays. On compte aujourd’hui 960 000 foyers raccordables, pour 100 000 abonnés à la fibre optique. Que vous inspirent ces chiffres ?

La fibre optique est un enjeu industriel en même temps qu’un enjeu d’aménagement du territoire. Sur le plan industriel, où en est-on de l’affaire du rachat de Draka – entreprise européenne ayant des sites en France –, sujet très important pour l’indépendance et la sécurité des réseaux ?

M. Michel Raison. Dans le cadre de la loi de modernisation agricole, nous avons voté une mesure visant à supprimer les trois « R » – remise, rabais, ristourne – dans le cadre de la commercialisation des fruits et légumes. Il semble que la loi soit appliquée mais les distributeurs, qui ne manquent jamais d’imagination, auraient, paraît-il, pratiqué la facturation aux fournisseurs de fausses coopérations commerciales. Je souhaiterais donc que les services compétents renforcent leurs contrôles.

M. Jean-Louis Gagnaire. La loi visait à exacerber la concurrence pour faire baisser les prix. J’aimerais que l’on en mesure les effets sur la balance commerciale : des producteurs français renoncent aux marchés français, comme l’a dit Catherine Vautrin ; et en contrepartie, les importations se développent pour toutes les chaînes de distribution low cost.

Quant au statut d’auto-entrepreneur, il est le plus souvent adopté pour l’exercice d’une deuxième activité par des personnes salariées ou par des retraités – parfois par des fonctionnaires. Il est important de le limiter dans le temps, et par ailleurs d’accompagner les créateurs d’entreprise : il ne suffit pas d’inscrire des entreprises nouvelles au registre du commerce ou au registre des métiers ; il faut qu’elles continuent à vivre. De ce point de vue, la loi est très déséquilibrée. Elle l’est aussi pour avoir globalement oublié l’industrie – qui reste le socle de notre économie ; depuis 2008, les difficultés que nous avons pu avoir viennent de la fragilité de notre industrie. Une question connexe est celle de la taxe professionnelle, dont la suppression a eu un impact négatif sur l’industrie, contrairement à ce que vous affirmez ; des collectivités territoriales ne veulent plus désormais s’engager aux côtés des industriels.

Mme Marie-Lou Marcel. Mme la ministre a dit que les objectifs de la LME de réduire les marges arrière et les délais de paiement étaient atteints. Or l’Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC) signale la présence de plus en plus fréquente de clauses de transfert de charges, qu’il s’agisse de logistique, d’entreposage ou de transport, en direction du fournisseur, ainsi que le renforcement des garanties de marge et des accords rétroactifs pour contrebalancer la perte du chiffre d’affaires. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

Quant aux auto-entrepreneurs, même si leur statut a été modifié, ils font à nos artisans et commerçants une concurrence très rude. Comment envisagez-vous de limiter cet effet ?

S’agissant enfin des soldes flottants auxquelles il a déjà été fait allusion, M. Novelli avait chargé l’Institut français de la mode et le CREDOC d’une mission pour analyser la pertinence du système. Il apparaît de toute évidence que ces soldes flottants n’ont pas rencontré le succès escompté ; les commerçants estiment que ce système pèse sur leur chiffre d’affaires et déroute les consommateurs. Quelles mesures d’ordre législatif ou réglementaire envisagez-vous ?

M. William Dumas. Concernant les effets du statut d’auto-entrepreneur, je peux citer l’exemple de la CCI de Nîmes, qui a enregistré une baisse de 6,4 % des créations d’entreprise.

S’agissant des relations commerciales, l’audit annuel de l’Association nationale des industries alimentaires (l’ANIA) fait apparaître une aggravation du climat des négociations depuis la LME, avec le développement de pratiques abusives – refus systématiques des conditions générales de vente et des tarifs, contrats provisoires, déréférencements. 78 % des entreprises interrogées jugent que la LME n’est pas une réussite et 80 % d’entre elles plébiscitent une interprétation unique du texte et un renforcement des sanctions. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean Proriol. La loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement a fixé l’objectif de recyclage de 75 % des emballages ménagers. Or des distributeurs refusent la répercussion de la hausse de la contribution éco-emballages dans les tarifs fournisseurs ; l’industrie alimentaire souhaite une interprétation ministérielle écrite.

Mme Pascale Got. J’ai lu que dans la filière automobile, la réduction des délais de paiement représentait 2,5 milliards d’euros de trésorerie. Confirmez-vous ce chiffre ? La tendance se maintient-elle ?

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie. Monsieur le secrétaire d’État, vous disposez du temps que vous souhaitez pour répondre à ces questions.

M. le secrétaire d’État. M. Brottes, qui a fait référence à la période où je siégeais sur les bancs de l’Assemblée comme lui, me permettra d’évoquer le souvenir de l’unanimité recueillie par un certain nombre de mes amendements : je pense par exemple à la prime à la cuve ou au tarif social pour l’accès à la téléphonie mobile. Pour avoir été conseiller de ministre avant de devenir parlementaire, je crois lui avoir également démontré, ainsi qu’à beaucoup de ses collègues de l’opposition, ma capacité à être à l’écoute des parlementaires, quel que soit le banc sur lequel ils siègent.

En ce qui concerne les soldes flottants, dont j’ai proposé à Christine Lagarde la reconduction, le rapport qui m’a été remis le 6 décembre n’était pas si négatif que certains le disent. 71 % des consommateurs se sont dits favorables au mécanisme : peut-on se permettre, en période de sortie de crise, de le supprimer ? Quant aux commerçants, leurs deux grandes organisations ne sont pas du même avis. Les uns voulaient des « soldes flottants fixes », les autres souhaitaient la suppression du système, tout en considérant que le plus important était que les soldes flottants restent facultatifs. Avec la décision prise de maintenir des soldes flottants facultatifs, les commerçants jugeront du meilleur moyen à utiliser pour écouler leurs stocks. Au début de la période suivant la LME, ils ont surtout utilisé les soldes flottants et pour le moment, ils utilisent surtout les promotions : nous souhaitons que chacun continue d’être libre d’utiliser ce qui lui convient le mieux. Certains prédisaient que les soldes flottants allaient entraîner une baisse du chiffre d’affaires des commerçants ; en réalité, on a enregistré 93 millions d’euros supplémentaires dans le secteur de l’habillement sur la période janvier 2009 – juin 2010.

En ce qui concerne les délais de paiement, les secteurs faisant l’objet d’accords dérogatoires sont au nombre de 39. J’ai demandé à Jean-Hervé Lorenzi de mener une réflexion sur le sujet ; je lui fixerai une mission officielle le 17 janvier, en lui demandant de me remettre ses conclusions lors de la remise du rapport 2010 de l’Observatoire des délais de paiement.

J’en viens aux observations de Mme Vautrin et au problème du déréférencement. Un acteur commercial qui menace de rupture brutale un partenaire s’expose à des sanctions. Si certains de ces partenaires en sont à décider de ne plus commercialiser leurs produits sur le territoire français, qu’ils n’hésitent surtout pas à aller devant le juge civil ! La sanction peut atteindre 2 millions d’euros, je le rappelle. Si le ministère est informé de cas précis et si les fournisseurs ne veulent pas saisir les tribunaux eux-mêmes, nous n’hésiterons pas à le faire.

Mme Vautrin a également évoqué les nouveaux instruments promotionnels (NIP). Pour l’animation commerciale dans les surfaces de vente, les distributeurs proposent aux fournisseurs de mener des opérations promotionnelles. Ceux-ci sont intéressés sur le principe, mais font part de difficultés, notamment quant à la visibilité pour les marques. Une enquête a été diligentée par la DGCCRF au deuxième semestre 2010 ; ses conclusions vont m’être remises au cours du premier trimestre 2011. Je vous ferai part de ses résultats.

En ce qui concerne la contribution éco-emballage, la jurisprudence montre qu’il n’y a pas de droit systématique à répercussion. Cette contribution, versée à Eco-Emballages pour participer au financement du dispositif de tri sélectif des déchets ménagers, évolue assez fortement pour permettre d’atteindre les objectifs du Grenelle. C’est l’un des éléments du coût des produits, et à ce titre il ne peut que faire l’objet de négociations au cas par cas entre distributeurs et fournisseurs. Au-delà de l’effet prix, l’enjeu est d’améliorer l’efficacité de la collecte et du recyclage de nos emballages.

S’agissant des auto-entrepreneurs, Christine Lagarde a rappelé les dispositions qui ont été intégrées dans la loi depuis ma nomination. J’ai eu à régler un double problème : le fait que le principe « pas de chiffre d’affaires, pas de charges » n’empêchait pas des auto-entrepreneurs de recevoir un appel de cotisation économique territoriale (CET) ; et le fait – qui m’a conduit à demander au Parlement que l’exonération de trois ans soit appliquée à l’ensemble des auto-entrepreneurs – qu’au moment de leur inscription, tant les auto-entrepreneurs qui choisissaient le prélèvement libératoire que les autres ne savaient absolument pas que cela concernait aussi la CET.

Je sais fort bien que des artisans se sont plaints de subir une concurrence déloyale ; les diverses dispositions qui ont été prises apportent à mon sens les corrections nécessaires. On ne peut évidemment pas accepter qu’un auto-entrepreneur travaillant dans le bâtiment s’exonère des obligations d’assurance et de la garantie décennale. De même, et je l’avais dit tout de suite, il est normal – y compris dans leur intérêt – que les auto-entrepreneurs cotisent pour la formation professionnelle ; il faut simplement qu’ils le fassent non pas forfaitairement, mais en pourcentage, afin de respecter le principe « pas de chiffre d’affaires, pas de charges ». Le régime d’auto-entrepreneur est à la fois un starter pour la création d’entreprise – tous les chiffres le montrent – et la possibilité offerte à ceux de nos concitoyens qui le souhaitent d’avoir une activité alors qu’ils sont à la retraite ou étudiants – et pour ma part je m’en réjouis, monsieur Brottes. Mais au-delà de la période des trois ans, je souhaite qu’il n’y ait plus aucun avantage particulier : les droits et devoirs doivent être les mêmes pour tout le monde. Ce que j’ai dit à ce sujet dans l’hémicycle m’a d’ailleurs valu les félicitations publiques tant des auto-entrepreneurs que des représentants des artisans et commerçants.

En réponse à Mme Massat, je redis ma volonté de revenir devant le Parlement si des modifications législatives s’avéraient nécessaires.

En ce qui concerne l’urbanisme commercial, la proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale a été examinée en commission en décembre au Sénat, où elle doit venir en séance publique en février. Les choses avancent donc : attendons la suite.

S’agissant du déploiement de la fibre optique, il existe des zones très denses sur lesquelles peut émerger une concurrence par les infrastructures : 148 communes totalisent 5,5 millions de foyers ; dans un souci de neutralité technologique, il est prévu que les opérateurs tiers puissent demander à un opérateur d’immeuble soit la pose de fibres surnuméraires – « multifibrage » – soit l’installation d’un dispositif de brassage à proximité du point de mutualisation. Sur l’affaire Draka, on s’oriente vers un rachat par un groupe européen ; le cas échéant, le dossier sera examiné dans le cadre de la procédure des investissements étrangers. M. Besson pourra évidemment vous apporter des informations complémentaires.

À M. Raison, je répondrai que la direction des affaires juridiques, que nous avons saisie, a confirmé que la LMAP s’appliquerait aux contrats en cours. Depuis cette loi, les trois « R » sont donc bien interdits, et je demande en conséquence à la DGCCRF de renforcer les contrôles. Si vous nous faites part de cas précis, nous ne manquerons pas de réagir de la manière la plus ferme.

Nous attendons tous la décision du Conseil constitutionnel jeudi prochain. Dans cette attente, je n’ai pas donné suite aux propositions qui m’ont été faites par la DGCCRF d’assignations nouvelles. Quelle que soit cette décision, mon intention est évidemment de faire en sorte de respecter l’esprit dans lequel le texte avait été voté.

Quant aux villages de marques, il y en a aujourd’hui une quinzaine. Il n’existe pas d’étude sur le sujet, mais nous pourrons vous fournir des éléments pertinents à ce sujet.

Quant aux effets de la LME sur notre balance commerciale, nous vous communiquerons les chiffres dès que possible. L’essentiel est de ne pas baisser les bras. Soyez sûrs que nous entendons faire respecter la LME et que, si tel ou tel fournisseur victime d’un contournement des règles ne déclenchait pas lui-même une action en justice, le ministère des finances prendrait ses responsabilités. Ne doutez pas de la fermeté du Gouvernement pour faire respecter les lois que vous votez.

M. le président Serge Poignant. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour ces réponses précises.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 11 janvier 2011 à 17 heures

Présents. - M. Jean Auclair, M. Bernard Brochand, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, M. Jean-Michel Couve, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean Gaubert, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. François Loos, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. Michel Raison, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, Mme Catherine Vautrin

Excusés. - M. Daniel Fasquelle, M. Louis Guédon, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anny Poursinoff, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau

Assistait également à la réunion. - Mme Anne Grommerch