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Commission des affaires économiques

Mercredi 19 janvier 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 35

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez

La commission a auditionné M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez.

M. le président Serge Poignant. Monsieur le président-directeur général, je vous souhaite la bienvenue.

La Commission des affaires économiques a lancé une série d’auditions relatives à l'avenir de la filière nucléaire française. Les observateurs avertis ont constaté que le groupe GDF-Suez n’était que peu évoqué dans le rapport Roussely. Pourtant, à la suite de votre fusion avec le groupe International Power, vous êtes devenu le premier énergéticien mondial et le deuxième électricien en termes de capacités de production. Comment expliquez-vous ce paradoxe et quel est, selon vous, l’avenir de votre groupe dans la filière nucléaire ?

Lors de son audition, Mme Lauvergeon, présidente du directoire d’AREVA, nous a fait part de son interprétation de l'échec de l'appel d'offres d'Abou Dabi. Quelle est la vôtre ? Disposiez-vous des capacités techniques suffisantes pour exploiter le réacteur que vous auriez souhaité vendre ?

Quels sont les éléments qui ont prévalu dans la décision de vous retirer du projet d'EPR à Penly ?

Maintenez-vous votre proposition de construire un réacteur ATMEA dans la vallée du Rhône, en collaboration avec AREVA et Mitsubishi ?

Enfin, quelle est votre stratégie nucléaire à l'international ?

M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez. Je vous remercie de m’avoir invité pour présenter la stratégie de GDF-Suez concernant le nucléaire. Votre commission nous accorde ainsi une place un peu plus large que celle que le rapport Roussely nous a réservée.

Étant de formation récente, le groupe GDF-Suez est mal connu. La réussite de la fusion entre Gaz de France et Suez, à laquelle votre commission a consacré plusieurs réunions, a permis des avancées. Le rapprochement avec International Power est un des résultats positifs de ce processus.

Notre groupe est le premier producteur indépendant d’électricité dans le monde, avec une capacité de production de 72 000 mégawatts aujourd'hui et de 107 000 demain avec International Power, soit l’équivalent de l’ensemble des capacités de production servant à alimenter la France. Sur cet ensemble, 18 % sont d’origine renouvelable – hydraulique, éolien, solaire, biomasse.

Nous sommes également le premier acheteur de gaz naturel en Europe et nous gérons le premier réseau européen de transport et de distribution, avec un portefeuille d’approvisionnement de plus de 110 milliards de mètres cubes par an et une flotte de 17 méthaniers.

En matière de commercialisation de l’énergie et de services énergétiques et environnementaux, le groupe GDF-Suez compte 20 millions de clients en Europe, dont plus de la moitié en France. La branche d’activité complète qu’il a dédiée à l’efficacité énergétique regroupe 77 000 personnes, ce qui en fait le leader européen du secteur. Avec sa filiale Suez Environnement, il est le deuxième fournisseur mondial de services dans le domaine de l’eau et de la propreté.

À la fin de 2009, son chiffre d’affaires s’élevait à 80 milliards d’euros, ce chiffre devant atteindre 85 milliards en 2010 et près de 90 milliards avec International Power. Le nombre de nos collaborateurs dépassait 200 000 personnes. Notre groupe investit dans le monde et en France, où nous embauchons plus de 10 000 personnes chaque année. Notre intention est de poursuivre dans cette voie. Nos effectifs totaux augmentent. Nous investissons à la fois dans le gaz, dans l’électricité – nous sommes d’ailleurs le groupe qui a le plus augmenté les capacités d’électricité en France au cours des trois dernières années –, dans l’éolien, dans les turbines à gaz, ainsi que, dans une moindre proportion, dans l’hydraulique et la biomasse.

Pour ce qui est de la fusion avec International Power, on a insuffisamment relevé que c’est une société française, la nôtre, qui a réalisé la plus importante fusion-acquisition de 2010 en Europe tous secteurs confondus, et la deuxième sur le plan mondial. Cette opération s’est faite sans cash et sans modification de l’actionnariat. L’État conserve sa part de 35 % et il n’a pas eu à verser un centime. Nous avons en effet procédé par apport d’actifs pris à l’international hors Europe et apportés à la société britannique International Power, dont nous détiendrons ainsi 70 %, les 30 % restants représentant le capital flottant de la société. L’assemblée générale d’International Power a accepté à 99 % qu’un étranger, en l’espèce français, prenne le contrôle majoritaire sans faire d’offre sur le capital, c'est-à-dire sans racheter d’actions. Bref, il s’agit d’une opération amicale et négociée, dirigée non pas contre, mais avec les partenaires, dans la lignée de celles que nous avons menées jusqu’à présent et qui sont, je crois, les plus efficaces.

Ainsi, GDF-Suez passe du deuxième au premier rang mondial des utilities en termes de chiffre d’affaires, devant EON. Pour ce qui est de la production d’électricité, notre groupe, avec 107 000 mégawatts en exploitation et 25 000 en construction – de toutes les entreprises électriques mondiales, nous sommes celle qui construit le plus –, passe du huitième au deuxième rang, derrière EDF, leader mondial incontesté. Les deux premiers électriciens mondiaux sont donc français. En volume de gaz utilisé – la moitié des centrales d’International Power étant à cycle combiné –, nous nous hissons au premier rang des utilities gazières.

Notre business model est simple : un tiers d’électricité, un tiers de gaz et un tiers de services, ceux-ci se répartissant à parts égales entre les services à l’énergie – l’efficacité énergétique, avec notamment INEO, ENDEL, AXIMA, COFELY – et l’environnement – eau et déchets – avec Suez Environnement et ses filiales Lyonnaise des eaux, SITA, Degrémont.

Dans ce mix équilibré, le nucléaire représentait 15 %. Après la fusion avec International Power, qui ne produit pas d’électricité nucléaire, cette proportion baissera mécaniquement, d’autant que nous construisons beaucoup d’installations d’énergie renouvelable – éolien, petit hydraulique, notamment – et de turbines à gaz. Le poids du nucléaire dans notre parc électrique tombera donc au-dessous de 10 % jusqu’à 2020. Mon intention est de le faire remonter progressivement entre 2020 et 2030 et, pour cela, il nous faut participer dès aujourd’hui à des projets dans cette filière.

Avec cinquante ans d’expertise, nous sommes dans le nucléaire depuis plus longtemps qu’EDF. Nous avons construit en Belgique la première centrale à eau pressurisée d’Europe, BR-3. Nous en avons depuis réalisé d’autres, souvent en coopération avec EDF. C’est le cas de Chooz A, construite en 1967 et fermée en 1991. Nous sommes opérateurs de 7 centrales nucléaires en Belgique d’une puissance totale de 6 000 mégawatts – 3 en Wallonie et 4 en Flandres. Dans ce pays, le gouvernement nous a contraints à céder une partie de nos capacités à d’autres opérateurs, notamment à EDF et à EON. En effet, partout en Europe sauf en France, les anciens monopoles ont dû céder des capacités à leurs concurrents pour ouvrir le marché. Le correctif prévu par la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l'électricité) dans notre pays est que l’opérateur, à défaut de vendre des capacités, vende au moins de l’électricité. Reste à savoir à quel prix.

Nous détenons en outre une capacité de tirage de 1 200 mégawatts en France dans les centrales de Chooz B et Tricastin, opérées par EDF pour notre compte, ainsi que de 700 mégawatts en Allemagne.

Toujours en France, nous détenons des participations dans les unités d’enrichissement d’uranium Eurodif et Georges Besse II, dans la vallée du Rhône. S’agissant de Georges Besse II, nous sommes le premier actionnaire derrière AREVA. EDF, pour sa part, n’est pas actionnaire.

Pionnier du nucléaire en Europe, GDF-Suez maîtrise toute la chaîne du nucléaire via ses 12 filiales expertes : de l'ingénierie à l'exploitation et la maintenance, à la gestion des combustibles et déchets et au démantèlement. Le groupe s'est doté d'une organisation dédiée avec une direction centrale des activités nucléaires et une direction de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

La disponibilité de nos centrales nucléaires est proche des 90 %. Notre savoir-faire et notre performance opérationnelle bénéficient d’une large reconnaissance internationale.

Le groupe compte plus de 4 300 collaborateurs exclusivement spécialistes du nucléaire. Il embauchera plus de 1 000 techniciens et ingénieurs dans les cinq ans qui viennent. C’est l’un des trois groupes européens à avoir gardé une ingénierie.

J’en viens à nos ambitions.

Nous souhaiterions construire et exploiter un réacteur ATMEA dans la vallée du Rhône. Au Royaume-Uni, nous sommes associés au grand groupe espagnol Iberdrola et au groupe britannique indépendant Scottish and Southern Energy. Le gouvernement britannique nous a accordé une option sur un terrain de 200 hectares à Sellafield pour construire, le cas échéant, deux centrales de type EPR. En Italie, nous sommes associés au groupe allemand EON. Au Brésil, nous avons signé un protocole d’accord avec l’entreprise publique Eletrobrás-Eletronuclear afin d’être en mesure de coopérer le jour où le gouvernement brésilien relancera le nucléaire. En Roumanie, nous sommes associés à plusieurs partenaires européens pour un projet difficile. Nous avons également des projets en Pologne, en Hongrie, aux États-Unis, au Chili.

Pour ce qui est de l’organisation industrielle et de la place qu’y tient l’État, la stratégie de GDF-Suez n’est nullement d’exploiter du nucléaire partout. Nous sommes devenus le premier électricien non nucléaire au monde et espérons le rester, mais nous continuerons à avoir du nucléaire dans notre mix énergétique. C’est un métier qui n’est pas nouveau pour nous. Il ne s’agit pas de concurrencer EDF, qui a le plus gros parc au monde et qui le gardera ; en revanche, une coexistence est possible entre les deux électriciens et c’est une chance pour la France d’avoir deux architectes-ensembliers-exploitants de classe internationale. Cette coexistence peut se traduire en coordination sous l’égide de l’État dans les pays hors OCDE – Chine, Brésil, Inde, Moyen-Orient, Afrique du Sud, notamment –, mais aussi en concurrence ou en association dans des partenariats ponctuels dans des pays tels que la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Pologne ou les États-Unis.

En tout état de cause, il nous semble important de bien marquer la séparation entre les fournisseurs-équimentiers comme AREVA et les exploitants que nous sommes. Nous ne prendrons pas de participation dans cette entreprise – on nous interroge souvent à ce sujet – car ce n’est pas notre métier. Nous vendons de l’électricité, nous ne vendons pas des équipements nucléaires. À côté de notre grand partenaire AREVA, qui réalise les îlots nucléaires, Alstom fabrique des turbines et les entreprises de génie civil construisent les structures en béton. Nous pouvons être pour notre part architecte-ensemblier, mais nous ne sommes pas un manufacturier.

Nous souhaitons favoriser des partenariats bilatéraux non exclusifs entre des électriciens français et étrangers. Ainsi, EDF détient 50 % de notre réacteur à Tihange, en Belgique. Ces partenariats ont bien marché dans le passé, mais ils sont à l’évidence plus difficiles aujourd'hui.

Avec AREVA, les partenariats sont indispensables pour réfléchir à la conception des nouveaux types de centrales nucléaires – par exemple le réacteur de troisième génération ATMEA de 1 000 mégawatts – ou au couplage entre le nucléaire et le dessalement de l’eau de mer, qui connaît un développement rapide dans les pays du pourtour méditerranéen et du golfe Persique.

Nous sommes également très favorables à un partenariat multilatéral permanent associant les électriciens français, AREVA et le CEA, pour mener de grands programmes de recherche, notamment sur la gestion des matières nucléaires ou les réacteurs de quatrième génération.

Un mot au sujet d’AREVA, bien qu’il ne m’appartienne pas de formuler de recommandations. En tant que grand client de cette société pour ce qui est de l’enrichissement de l’uranium, de la construction de nos centrales, du retraitement du combustible, etc., nous pensons qu’il est important de maintenir son autonomie, son indépendance et sa cohésion. Nous avions commencé à travailler sur l’EPR avant que la porte ne nous soit fermée, et nous travaillons désormais sur l’ATMEA. Cela étant, nous sommes indépendants et nous ne nous interdisons pas de choisir, le cas échéant, d’autres matériels qui se révéleraient plus performants.

Pour ce qui est de notre approche technologique, nous approfondissons notre connaissance de trois réacteurs : l’EPR d’AREVA, l’ATMEA d’AREVA-Mitsubishi et l’AP1000 de Westinghouse. La technologie à eau pressurisée, soit dit en passant, reste fondamentalement la même : c’est la licence Westinghouse initiale, que Georges Pompidou avait préférée à la licence graphite-gaz française.

J’en viens à votre question concernant l’appel d’offres d’Abou Dabi. La raison principale pour laquelle nous n’avons pas été choisis est que nous étions plus chers. D’une part, le réacteur que nous proposions présentait un surcoût inhérent à sa conception, à la fois très sophistiquée, très sûre et complexe à réaliser – on l’a constaté en Finlande et à Flamanville. D’autre part, les Coréens ont fait un effort commercial significatif. Quand l’écart de prix atteint 40 %, l’insuffisance de coordination dénoncée par certains ne peut jouer un rôle déterminant.

Au départ, EDF n’était pas intéressée par le marché d’Abou Dabi. Notre groupe avait donc formé un consortium avec AREVA et Total – nous sommes d’ailleurs déjà associés à cette société à Abou Dabi, où nous sommes le premier producteur d’électricité – et était entré en compétition avec les Coréens, les Américains et les Japonais. C’est à ce moment que le Gouvernement français a choisi EDF pour piloter la construction de l’EPR de Penly. Nos partenaires d’Abou Dabi, à qui il semblait étrange que la France appuie notre consortium chez eux et fasse un autre choix pour elle-même, ont demandé alors qu’EDF rejoigne le consortium, ce que nous avons fait en nous répartissant les rôles : EDF serait leader pour la construction et GDF-Suez leader pour l’exploitation. Cela n’a pas suffi.

En France, notre groupe était candidat pour réaliser un deuxième EPR. L’État a choisi de n’en faire qu’un et a proposé de nous associer, à hauteur de 33 % avec Total, au projet conduit par EDF, majoritaire à 51 %. Après Abou Dabi, il est apparu clairement qu’il était difficile de partir à la conquête du marché mondial avec le seul produit EPR, qui est un réacteur haut de gamme. Comme pour l’automobile, il n’est pas mauvais de disposer d’un milieu de gamme, qui représente d’ailleurs le plus gros du marché actuel : la puissance de la plupart des réacteurs en service dans le monde se situe autour de 1 000 MW, comme pour l’ATMEA.

J’avais donc proposé que mon groupe et EDF s’associent à la fois sur l’EPR de Penly et sur un ATMEA à construire dans la vallée du Rhône, moyennant une symétrie des responsabilités : EDF leader pour l’EPR – GDF-Suez étant industriel partenaire pleinement associé à la construction et à l’exploitation –, et l’inverse concernant l’ATMEA. Nous aurions ainsi disposé de deux nouveaux réacteurs en démonstration sur le sol français, nous aurions donné de la crédibilité à l’ATMEA, qui n’a été pour l’instant choisi par personne, et l’association des deux grands électriciens français aurait optimisé les possibilités sur le marché international. Je rappelle que le modèle unique se concevait lors de la construction du parc français : un seul acheteur, un seul exploitant, un seul constructeur. À l’inverse, dans un marché mondial extraordinairement varié, ce modèle unique ne peut plus fonctionner. Notre proposition permettait à GDF Suez et EDF de s’adapter à cette nouvelle donne en ouvrant à l’un et l’autre groupe la possibilité d’offrir l’un ou l’autre des réacteurs. Il aurait fallu pour cela que l’exploitant nucléaire désigné soit la société de projet dont nous détenions 33 %. Le Gouvernement a décidé que seul EDF jouerait ce rôle. N’étant associé à rien, notre groupe en a tiré les conclusions : nous ne sommes pas un banquier, mais un industriel. Participer à 25 %, le reste des 33 % étant assumé par Total, sans avoir notre mot à dire ne nous intéresse pas. C’est pourquoi nous nous sommes retirés de Penly.

Nous maintenons néanmoins le projet de construction du réacteur ATMEA, éventuellement avec des partenaires européens. Moins optimale, cette solution permettrait tout de même de crédibiliser l’ATMEA. Du reste, le relevé de décisions du conseil de politique nucléaire que le chef de l’État a tenu après la remise du rapport Roussely a mentionné l’intérêt que présentait cette idée alors que celle-ci ne figurait pas dans le rapport – lequel nous ignore complètement, ainsi que vous l’avez relevé, comme il ignore aussi Total : lorsque l’on m’a interrogé à ce sujet, je n’ai fait aucun commentaire puisque nous ne sommes pas concernés par un travail qui traite du seul secteur d’État – EDF, AREVA et, dans une certaine mesure, le CEA.

Le relevé de décisions ouvre donc une petite fenêtre. C’est ce qui nous a déterminés à travailler avec AREVA et Mitsubishi pour mieux connaître l’ATMEA.

En conclusion, nous devons tirer les leçons de l’échec d’Abou Dabi en continuant à améliorer le produit, tout comme ses conditions de financement. Pour ce qui est de Penly, nous n’avons pas vocation à devenir le financier de nos concurrents. Mais il est dommage que l’on nous interdise l’accès au savoir-faire lié à l’EPR : il nous sera difficile, dans ces conditions, de promouvoir ce réacteur à l’international puisque nous n’aurons pas de références en France. Nous ne prétendons pas que nous pourrions éviter les difficultés rencontrées à Flamanville – soulignées par le rapport Roussely et d’ailleurs reconnues par EDF. En tout état de cause, il n’est pas facile de construire un EPR en France, et c’est sans doute encore plus compliqué à l’étranger.

M. Jean-Claude Lenoir. Je vous remercie, monsieur le président-directeur général, pour cette intervention détaillée qui répond largement aux questions que nous avions préparées.

En tant que porte-parole du groupe UMP à la Commission des affaires économiques, je mesure le chemin parcouru cinq ans après votre décision de nouer une vie nouvelle avec Gaz de France, la place que votre groupe occupe et, en définitive, le bien-fondé des choix que vous avez proposés à la France. Je tiens à vous en donner acte et à saluer la part personnelle qui vous revient dans ce parcours. Avec votre groupe et EDF, les Français sont des champions mondiaux de l’énergie.

En matière de nucléaire, nous connaissons votre appétit et vos souhaits. La question est éminemment politique. On évoque souvent la reprise de cette énergie dans le monde et, de fait, le nucléaire est accepté dans de nombreux pays. Quelle est votre vision géostratégique de l’avenir des différentes sources d’énergies dans les prochaines décennies ?

Alors que nous attendons les propositions du Gouvernement pour la présidence de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), le prix de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) soulève de vives questions. Notre commission, vous le savez, a choisi de simplifier le débat en le cantonnant au nucléaire historique, alors que l’accès régulé à la base incluait l’hydraulique. Reste à savoir combien coûte le kilowatt d’électricité nucléaire.

L’ARENH résulte du choix de céder, non des actifs, comme en Belgique, mais une partie du produit. Nous connaissons votre sentiment au sujet du prix du kilowattheure ainsi vendu. En vous demandant de le redire ici, nous n’entendons nullement mettre de l’huile sur le feu. Mais, en tant que partie prenante du débat, il nous paraît important tout à la fois de permettre à EDF d’assurer la prolongation de la durée de vie de ses réacteurs nucléaires et de prendre les bonnes décisions pour le marché de l’électricité.

M. le président Serge Poignant. Je rappelle que M. Lenoir fut rapporteur de la loi NOME.

M. François Brottes. Nous avons devant nous le responsable d’une des plus grandes entreprises du monde, la première dans le domaine de l’énergie. Cela étant, M. Lenoir sait bien que la fusion d’EDF et de GDF aurait aussi produit la première entreprise mondiale – publique – en matière d’énergie. Loin de partager son enthousiasme, je regrette que nous n’ayons pas réussi à convaincre la majorité d’aller dans ce sens.

L’apport de GDF a été déterminant pour que Suez devienne le groupe qu’il est devenu. Vous en avez fait bon usage, monsieur le président-directeur général, et vous développez à marche soutenue une stratégie que vous avez défendue. Nous vous donnons acte que vous réussissez plutôt bien.

Pour votre groupe privé franco-belge, la France est un terrain de jeu parmi d’autres. En dépit des différences que nous avons avec le Gouvernement, nous lui conserverons notre soutien tant qu’il maintiendra la gestion du nucléaire par des entreprises publiques, condition de l’acceptabilité de cette industrie dans notre pays.

Avec la norme de consommation de 50 kilowattheures par mètre carré, vous avez réussi lors du Grenelle de l’environnement à favoriser le gaz. Avec la Compagnie nationale du Rhône et quelques autres entreprises sur lesquelles vous semblez vouloir élargir votre influence, vous avez échappé à la régulation par la base puisque l’ARENH ne comprend pas l’hydraulique au fil de l’eau. J’ai noté que vous ne le déploriez pas dans votre exposé liminaire. Reste la question du prix, que le Gouvernement tranchera.

Plus largement, je souhaiterais connaître votre sentiment à propos du mix énergétique mondial. L’offre de votre entreprise est équilibrée. Le nucléaire fait l’objet de velléité aux États-Unis et dans d’autres pays, mais le gaz a encore de beaux jours devant lui. Quelle est votre analyse ?

Vous semblez émettre des réserves sur le haut de gamme en matière de nucléaire. Pourtant, en Italie, en Suisse, en Allemagne, les populations manifestent de fortes réticences et l’implantation de centrales risque d’y être difficile s’il ne s’agit pas de haut de gamme.

Pour ce qui est du gaz, certaines zones productrices – Iran, Maghreb, Russie, notamment –sont ou risquent d’être sujettes à une instabilité politique. Vos entreprises sont en première ligne. La Commission européenne, que nous avons rencontrée récemment avec le président Poignant, se dit déterminée à organiser un groupement d’achat pour neutraliser les effets de prises d’otages, auxquels certains pays membres peuvent être soumis. Quel est votre sentiment à l’égard de cette volonté politique ?

L’Europe souhaite également substituer à la régulation à l’échelle des pays une régulation à l’échelle de l’Union. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, la Commission nous a signifié que les résultats de la France étaient mauvais en matière d’efficacité énergétique. Avec 9 %, nous sommes loin de l’objectif de 20 %. J’ai toujours pensé que ceux dont l’intérêt est de vendre de l’énergie n’ont pas intérêt à vendre de l’efficacité énergétique. Or vous prétendez vendre les deux. Votre opinion nous importe car nous avons voté le Grenelle et sommes attachés à la réalisation de ses objectifs.

M. Jean Dionis du Séjour. En 2006, le groupe UDF avait voté contre la fusion entre GDF et Suez, notamment parce que la participation de l’État passait de plus de 50 % à 33 %. Pour nous, l’énergie ressortit au long terme et à la géopolitique – vision que votre exposé n’a nullement infirmée, au demeurant !

Il ressort de vos propos comme de l’audition de Mme Lauvergeon que l’échec d’Abou Dabi est dû à un écart de prix de 40 % entre l’offre coréenne et la nôtre, les problèmes d’organisation que nous avons rencontrés étant secondaires. Mme Lauvergeon a cependant indiqué qu’AREVA ne proposerait pas de produit de moyenne gamme car le niveau de sécurité offert en France doit être le même que celui offert à l’international. C’est une question stratégique essentielle. Outre le fait que son prix était de 40 % inférieur, quelle est votre opinion du produit coréen qui a remporté le marché ? Soit son niveau de sécurité est acceptable, y compris par nous, soit il ne l’est pas. Or vous venez d’affirmer qu’il nous manque un produit de moyenne gamme...

M. Gérard Mestrallet. Par la taille, pas du point de vue de la sécurité !

M. Jean Dionis du Séjour. C’est toute la question. Peut-on réaliser un tel produit en respectant l’exigence de sécurité française ? Estimez-vous que la différence de prix de 40 % tienne seulement à des gestes commerciaux ou que l’on ait fait également des économies en matière de sécurité ? Dans cet échec à 20 milliards de dollars, que vous assumez, il faut aller au bout de l’analyse !

Vous avez somme toute peu parlé de sécurité alors que la confiance dans cet élément est déterminante pour l’acceptabilité du nucléaire par les élus et le public français. Votre objectif étant d’être le deuxième opérateur nucléaire français, que pensez-vous de l’organisation de la sécurité dans notre pays ? Comment définissez-vous la « moyenne gamme » susceptible de remporter des succès à l’international grâce à des prix inférieurs ?

Pour ce qui est du prix du mégawattheure découlant de la loi NOME, il existe pour le moins un espace entre la proposition d’EDF à 42 euros et la vôtre entre 29 et 35 euros. La CRE ne devrait-elle pas trancher ce conflit d’intérêts majeur ? Comment concevez-vous l’arbitrage d’une telle différence d’appréciation ?

Enfin, considérez-vous que Suez Environnement, qui était en perspective lors du débat de 2006, fasse toujours partie de votre stratégie de groupe et relève de votre métier ? Quelle est votre volonté de conserver l’entreprise au sein de GDF-Suez ?

M. Daniel Paul. Le groupe communiste avait résolument combattu l’opération menée en 2006. Si c’était à refaire, nous le referions tant cette fusion nous semble, aujourd'hui encore, lourde de menaces pour les consommateurs et de peu d’intérêt pour le pays.

Cela dit, la fusion a eu lieu et sans doute faut-il trouver en France et en Europe de nouvelles architectures pour que la question énergétique demeure du ressort de la puissance publique. Nous réclamons à cet effet la création d’un pôle énergétique public permettant une maîtrise publique de l’énergie. On ne peut laisser dériver un secteur d’une telle importance sur le plan social et économique.

Votre groupe est en bonne santé et, dans certains domaines, dont celui des services, nous avons relevé d’excellentes expériences. En ce qui concerne l’eau, néanmoins, les collectivités locales ont tendance à « reprendre leurs billes » et à limiter la hausse des tarifs par une maîtrise publique mieux organisée.

Un chiffre manquait à votre exposé : le montant des dividendes que votre groupe a versés pour l’exercice 2010 ? À cet égard, je ne fais pas montre d’une curiosité malsaine : ce montant a une incidence sur le budget de l’État, qui est présent dans le capital du groupe à hauteur de 35,7 %.

Je constate aussi votre quasi-absence sur le continent africain, où votre chiffre d’affaires n’est que de 900 millions d’euros, presque uniquement dans les services aux collectivités locales. Considérez-vous que ce continent ne rapporte pas assez ?

Je partage les inquiétudes formulées par François Brottes au sujet des approvisionnements en gaz et en pétrole car les pays producteurs sont aussi les plus fragiles.

Pour ce qui est de l’application de la loi NOME, maintenez-vous l’objectif de prix que vous avez rendu public il y a quelques mois ? Nous sommes pour notre part opposés à ce processus qui ouvrira la voie à une augmentation du prix de l’électricité.

Le caractère particulier du nucléaire et son acceptabilité par la population imposent la sagesse. Du reste, dans la lignée du rapport Roussely, l’État français est actuellement prudent quant à l’approche politique de cette donnée. Le nucléaire civil reste un domaine réservé en France. Si, demain, un groupe comme le vôtre venait à s’en mêler, il y aurait fort à parier que les difficultés rencontrées aujourd'hui s’en trouveraient aggravées.

Enfin, quelle est votre politique de recherche en matière de gaz de schiste dans notre pays ? Quels sont vos objectifs dans le contexte d’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques ?

M. Philippe Armand Martin. Le groupe GDF-Suez, dit-on, pourrait ouvrir à d’autres actionnaires – en l’occurrence la Caisse des dépôts et consignations et sa filiale CNP assurance – sa filière de transport de gaz, GRT Gaz, détenue aujourd'hui à 100 %, afin de financer ses nouveaux investissements sans alourdir sa dette. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?

Mme Frédérique Massat. « Nucléaire : la pétaudière française », titrait il y a quelques jours un hebdomadaire. « L’industrie nucléaire française est en vrac », y lisait-on. « Alors que ses concurrents étrangers remportent les marchés, les Français se déchirent. Entre Proglio et Mestrallet, il n’est pas question de concurrence, mais de guerre ouverte. » Que vous inspirent ces propos de journaliste ? Comment mettre fin à ces cafouillages ?

Pour ce qui est de la loi NOME, M. Proglio demande un prix de 42 euros par mégawattheure. Quelle est, selon vous, la fourchette acceptable ?

Nous apprenons, par la presse également, que votre groupe a eu des échanges avec la Turquie. Où en sont les discussions concernant la construction éventuelle d’une centrale nucléaire ?

Comme M. Martin, je m’interroge sur l’introduction en bourse ou la prise de participation minoritaire de GRT Gaz. Qu’en est-il ?

Les responsables du réseau de transport et de distribution, que nous avons entendus dans le cadre d’une mission d’information, nous ont indiqué que l’irrigation de ces réseaux était insuffisante et que la desserte en gaz des particuliers pouvait être optimisée. Avez-vous des pistes à proposer ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Comment envisagez-vous l’évolution des besoins énergétiques de la planète ? Quelle répartition géopolitique prévoyez-vous pour votre groupe, qui évolue dans un marché global ?

Sur les 18,4 % de capacité de votre groupe en énergies renouvelables, quelle est la part de l’hydraulique ?

Considérez-vous que le consommateur doive encore payer longtemps la différence entre le prix du marché et le prix de l’obligation d’achat de l’électricité issue du renouvelable, qui a un fort impact sur la contribution au service public de l’électricité ?

M. Alfred Trassy-Paillogues. Que pensez-vous de la stratégie menée par EDF il y a quelques mois, et un peu érodée depuis, de démantèlement d’AREVA par appartements ?

Quel est votre avis sur les énergies renouvelables, notamment sur l’éolien et sur le photovoltaïque, qui, la plupart du temps, relèvent de montages purement financiers enchaînant les reventes de droits à construire et ayant pour effet d’augmenter le prix de vente de l’énergie à nos compatriotes ?

Bien que vous ne vous sentiez pas concerné par le rapport Roussely, vous l’avez lu. Quel est votre avis sur ce document, que je considère pour ma part comme totalement subjectif ?

M. Michel Lefait. Pour assurer à la filière nucléaire française compétitivité et efficacité, vous avez indiqué qu’il convenait de maintenir l’autonomie, l’indépendance et la cohésion d’AREVA, avis que je partage totalement. Mais cela signifie qu’il existe un risque. Quelles décisions fortes conviendrait-il de prendre pour se prémunir contre une telle menace ?

M. Louis Cosyns. L’association UFC-Que choisir a mis en cause le système de facturation de votre groupe. On a parlé de « surfacturations », d’ « avances sur consommation », de « trésorerie déguisée ». Le Médiateur national de l’énergie a réfuté ces allégations. Cela étant, que comptez-vous faire pour garantir plus de transparence dans la facturation, établir une facturation plus juste et améliorer les relations entre consommateurs et fournisseurs d’énergie ?

D’autre part, votre groupe a annoncé qu’il renonçait au système de stock-options au profit du système d’actions gratuites dont l’attribution serait générale pour une part et fondée sur la performance pour une autre. Pourriez-vous nous donner plus d’informations à ce sujet ?

M. Pierre Gosnat. La presse considère GDF-Suez comme une entreprise phare du CAC et l’une des plus généreuses en matière de versement des dividendes, derrière France Télécom, Vivendi et Total.

La finalité de l’entreprise n’en reste pas moins le service rendu au client, qu’il soit individuel ou industriel. Or l’augmentation des tarifs a été de 50 % au cours des dernières années, le nombre de coupures de gaz a été multiplié par 30 en deux ans et vous êtes en conflit avec quelque 6 000 clients.

Par ailleurs, vous proposiez aux employés de votre groupe une hausse des salaires de 1,1 % cette année. Cette donnée devrait figurer dans la présentation générale de votre politique.

M. le président Serge Poignant. Je vous rappelle, mon cher collègue, que la présente audition est consacrée au nucléaire.

Mme Marie-Lou Marcel. Les actions de performance pourraient concerner 8 500 salariés et les actions gratuites seraient distribuées à l’ensemble des 214 000 salariés. Un programme de distribution d’actions d’un montant de 100 millions d’euros serait prévu pour mai prochain. Confirmez-vous la mise en œuvre de ces dispositifs et les chiffres annoncés ?

Pourriez-vous également apporter des précisions au sujet du rachat du groupe britannique International Power, qui a creusé votre dette nette, étant entendu que vous vous êtes engagé à céder 4 milliards d’actifs pour vous désendetter ?

Enfin, alors que GDF-Suez annonce un bénéfice net de 3,6 milliards d’euros au premier semestre 2010, en hausse de 9,3 % sur un an, quelle est votre position quant à l’augmentation du prix du gaz, notamment pour les foyers les plus modestes, et quel est votre avis concernant le maintien, durant la période hivernale, de la fourniture de gaz à des foyers en situation débitrice à l’égard de votre entreprise ?

M. Jean-Paul Anciaux. L’échec d’Abou Dabi constitue une alerte sérieuse pour l’avenir commercial international de l’électronucléaire français. Vous l’avez souligné, le mélange des genres est fort mal perçu à l’international.

Vous avez évoqué l’ATMEA, mais nous ne disposons pas aujourd'hui d’un produit de milieu de gamme. Le choix du haut de gamme, à savoir l’EPR, correspondait à une stratégie que je considère comme payante en termes d’images, mais la prospective à moyen et long terme montre qu’il faudra bien développer un milieu de gamme. Il faudra également une cohérence entre les acteurs nationaux : ceux qui produisent les machines et qui ont une vision technologique de l’avenir, et ceux qui, sur le plan commercial, vendent de l’énergie.

Je suis pour ma part opposé à toute démarche consistant à démonter AREVA. Il apparaît que c’est actuellement l’objectif numéro un d’EDF, et ce n’est pas acceptable ! De nombreux parlementaires de toutes sensibilités, ayant une vision technique et commerciale de l’électronucléaire civil français à moyen et long terme, se rejoignent sur ce point.

Mme Geneviève Fioraso. À Abou Dabi, nous avons perdu non seulement la bataille industrielle, mais aussi celle de la sûreté. En effet, selon les informations dont je dispose, nous allons mettre à niveau nos concurrents coréens en matière de sûreté. Ainsi, tout en ayant perdu les emplois industriels, nous leur permettrons de bénéficier de l’expérience de la France en ce domaine.

Dans ce contexte, GDF-Suez, qui est un groupe international prospère, se sent-il faire partie d’un groupe « France » qui repose majoritairement sur la maîtrise publique ? Avez-vous la conviction qu’il faille faire gagner l’équipe France ? Comment organiser la convergence afin d’éviter d’autres échecs ?

Pour ce qui est de l’efficacité énergétique, quelles sont les perspectives d’engagement de GDF-Suez en matière de smart grid ?

Y voyez-vous plus clair que nous dans le marasme actuel du photovoltaïque ? D’excellents rapports ont été remis, mais leurs préconisations n’ont pas été suivies. Le manque de visibilité en France explique-t-il la faiblesse de votre engagement ? Comment voyez-vous l’avenir ?

M. Jean Proriol. La France risque-t-elle de se trouver en difficulté, à plus ou moins long terme, en matière de desserte électrique ? Le nucléaire apporte-t-il des éléments rassurants à ce sujet ?

Dans le secteur de l’environnement, votre groupe compte-t-il conserver SITA-Suez ? Cette filiale cherche à implanter des sites d’enfouissement un peu partout en France. Un de ces projets concerne mon département et pose des problèmes à tous les élus.

Mme Pascale Got. Le prix du gaz sur le marché mondial baisse. Pour autant, les tarifs pratiqués auprès des consommateurs augmentent car leur évolution est indexée sur le prix du pétrole. Alors que nous intervenons régulièrement pour dénoncer ce fait, où en est-on de la reconfiguration demandée de l’évolution des tarifs du gaz ?

M. Michel Piron. Il est prévu que les coûts d’approvisionnement fassent l’objet d’un bilan annuel. Qu’en est-il de cette procédure ? Disposez-vous d’ores et déjà d’éléments pour l’année 2010 ?

Par ailleurs, quel est votre point de vue géopolitique sur la sécurité à moyen et long terme de vos approvisionnements ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Quel est l’état de votre parc nucléaire et quels moyens comptez-vous consacrer à la régénération des centrales, étant entendu que cet aspect est au moins aussi important que la construction de nouvelles centrales ?

D’autre part, pourquoi prévoir la construction d’un réacteur ATMEA dans la vallée du Rhône alors que cette zone est déjà en surproduction d’électricité. On y trouve en effet la plus forte concentration de centrales nucléaire, elle dispose de ressources hydrauliques, on y développe les énergies alternatives – éolien et, au sud, photovoltaïque. Enfin, avec la construction de Georges Besse II et la fermeture prochaine du site du Tricastin, les besoins en termes de consommation électrique ont considérablement baissé. Pourquoi ne pas rapprocher les nouvelles implantations de zones qui sont en déficit de production électrique ? Étant donné l’importance des pertes en ligne et les contraintes liées au transport, mieux vaut que la production, y compris alternative, soit au plus près des besoins. Dans la vallée du Rhône, les réseaux actuels ne permettraient pas d’évacuer une production supérieure. Il faudra installer de nouvelles lignes, ce qui n’est pas moins difficile que de construire des centrales !

M. Francis Saint-Léger. Pour être compétitifs, dites-vous, il faut proposer un produit moins cher et donc moins « haut de gamme ». Qu’entendez-vous par là ? Comment peut-on faire baisser le prix de 40 % sans remettre en cause le niveau de sûreté ?

M. Daniel Fasquelle. Une de vos filiales, la Compagnie du Vent, est candidate pour des implantations d’éoliennes off shore en France. Certains documents produits m’ont choqué car ils ne reflètent pas la réalité de l’impact visuel de ces installations. En outre, ces éoliennes sont très dangereuses pour le trafic maritime, en particulier dans le pas de Calais. Elles ont un impact négatif sur l’activité touristique, la chasse et la pêche. Les marins pêcheurs sont très inquiets.

Implanter des blocs de béton et des masses métalliques dans nos beaux espaces maritimes ne me semble pas une bonne idée. Quel est votre point de vue ? Ne serait-il pas raisonnable d’attendre une évolution des techniques pour éviter de commettre de graves erreurs ?

M. Alain Suguenot. Malgré l’affaire de Penly, vous avez réitéré votre souhait de continuer de produire de l’énergie nucléaire en France. Quels sont vos éventuels projets de construction d’ici à 2020 ? Par ailleurs, comptez-vous vous impliquer dans le dossier de British Energy ?

M. le président Serge Poignant. Le nombre des questions posées illustre l’intérêt que suscite cette audition.

M. Gérard Mestrallet. Les questions sont en effet riches et nombreuses.

Il existe bien une renaissance du nucléaire dans le monde, monsieur Lenoir. C’est la suite logique de la hausse du prix des énergies fossiles sur les cinq ou dix dernières années, des considérations de lutte contre le réchauffement climatique – le nucléaire n’émet pas ou peu de gaz à effet de serre – ainsi que de considérations relatives à l’indépendance énergétique.

Cela dit, le nucléaire représente aujourd'hui moins de 15 % de la production mondiale d’électricité, et ce pourcentage baisse puisque, dans beaucoup de pays, l’augmentation de capacité s’effectue via la croissance d’autres moyens de production : le renouvelable en Europe, les turbines à gaz dans de nombreux pays et, enfin, le charbon, qui restera la principale source de production d’électricité dans le monde. Les Chinois construisent une grande centrale à charbon toutes les semaines. La proportion d’électricité issue du charbon, qui est de 50 %, baissera relativement peu dans les quinze ou vingt prochaines années.

Il y a donc une place pour le nucléaire, mais celui-ci ne remplacera pas toutes les autres sources de production. La France doit valoriser au mieux ses compétences dans ce domaine et s’organiser à cet effet, mais il ne faut pas forcément mettre tous ses œufs dans le même panier ! Du reste, EDF n’est pas un groupe exclusivement nucléaire : il est présent dans l’hydraulique, avec la construction d’un grand barrage au Laos, par exemple, il exploite des centrales thermiques, et sa filiale EDF Énergies nouvelles construit, principalement hors de France, des installations d’énergie renouvelable.

Il n’est pas inutile pour la France d’avoir un deuxième acteur dont l’activité soit plus centrée sur la production d’électricité non nucléaire, sur le gaz et sur les services, tout en étant présent dans le nucléaire. Soit dit en passant, la part de ce dernier dans le bouquet énergétique de notre groupe correspond à la part du nucléaire dans le parc électrique mondial, à savoir 15 %.

Sans doute la loi NOME et le prix de l’ARENH ne sont-ils pas à l’ordre du jour de cette audition, mais ils sont dans l’actualité. Je me permettrai donc de présenter de nouveau notre position.

Le gouvernement français a fait le choix de ne pas toucher aux capacités de production électrique d’EDF. Nous n’avons jamais critiqué ce choix. Dans tous les autres pays d’Europe, les anciens monopoles ont dû céder des pans entiers de leur capacité. Nulle part ailleurs qu’en France l’ancien monopole ne détient plus de 60 % des capacités. En Belgique, notre groupe a été contraint de céder des parts de marché en passant de 95 à 60 % de la production au profit d’EDF et d’EON.

Néanmoins, aux termes de l’accord passé entre M. Fillon et la Commission de Bruxelles, le respect des directives exige qu’EDF permette aux concurrents d’avoir accès, sinon aux capacités, du moins au produit, à savoir l’électricité d’origine nucléaire. D’où le concept de la loi NOME, qui prévoit la cession d’une partie de l’électricité au coût de revient historique.

Pour avoir des participations dans des centrales françaises et pour posséder les mêmes centrales en Belgique, nous connaissons ce coût. Par ailleurs, le régulateur avait évalué à 30 ou 31 euros le prix de revient du mégawattheure nucléaire en France. Nous estimons également que le prix de revient se situe autour de 31 euros pour le parc français, compte tenu du taux de disponibilité des centrales en France – nos centrales tournent en effet un peu plus de 10 % de plus par an que celles d’EDF.

Sur cette base, il nous semblerait équitable que l’on fixe le prix de l’ARENH à 35 euros, soit le prix qu’EDF facture aux particuliers au « tarif bleu ». Il n’y aurait aucun pillage puisque EDF ne ferait pas de pertes, mais au contraire une marge. Nous aurions pu plaider en faveur d’un prix à 31 euros, mais nous souhaitons rendre les choses acceptables. Les dirigeants de Poweo et de Direct Energy ont du reste indiqué qu’ils étaient également partisans des 35 euros.

Cette solution n’entraînerait aucune hausse, monsieur Paul.

M. Daniel Paul. La hausse interviendrait, comme toujours, dans un second temps !

M. Gérard Mestrallet. L’électricité est aujourd'hui vendue à 35 euros aux particuliers. Si l’on veut introduire de la concurrence tout en vendant aux concurrents à un prix supérieur à 35 euros, et a fortiori à 42, cela ne peut fonctionner !

Je n’ai jamais critiqué la structure de la loi NOME qui sanctuarise le parc industriel d’EDF, mais il faut que le tarif de l’ARENH nous permette de créer de la concurrence. Si l’électricité est accessible au même prix, la différenciation se fera, entre autres, sur la qualité du service et sur la relation avec la clientèle. En revanche, un prix fixé à 42 euros entraînerait forcément une hausse. Nous n’achèterons pas à 42 pour revendre à 35 !

J’ai bien saisi votre allusion, monsieur Brottes, lorsque vous avez parlé de « groupe franco-belge ». J’aime cependant à rappeler que nous avons plus de salariés qu’EDF en France et que nous créons beaucoup plus d’emplois dans notre pays. Nous sommes fiers d’avoir une base forte en Belgique avec 20 000 salariés, mais il y en a 107 000 en France. Nous assumons pleinement notre présence belge. Cela étant, nous sommes majoritairement un groupe français.

Pour ce qui est du mix énergétique mondial, la production de pétrole va atteindre son pic. Les réserves sont estimées à quarante ans, peut-être à un peu plus. Pour le gaz, les données ont changé avec le gaz non conventionnel qui fait presque doubler l’estimation de soixante-dix ans concernant les réserves. Le gaz naturel sera donc l’une des grandes énergies du XXIe siècle, une énergie abondante et largement plus propre que le pétrole et le charbon. On dit souvent que le remplacement de toutes les centrales à charbon par des centrales au gaz permettrait à lui seul d’atteindre les objectifs du « 3 × 20 ».

La France n’a ni gaz, ni pétrole, ni charbon, et l’Europe se retrouvera dans la même situation au cours du XXIe siècle. Nous devons donc nous préoccuper de sources d’énergie autonomes, comme le nucléaire et le renouvelable. L’Europe étant le plus gros consommateur au monde, devant la Chine et les États-Unis, elle doit aussi organiser son approvisionnement. En la matière, la sécurité repose sur la diversification. Ce qu’il faut éviter, c’est la dépendance à l’égard d’un seul fournisseur.

Soit dit en passant, la Russie, que l’on a souvent stigmatisée, est un bon partenaire. Elle fournit la France – à travers Gaz de France puis GDF-Suez – depuis plus de 30 ans. Nous avons fêté cet anniversaire l’année dernière avec Gazprom et les autorités russes. La seule interruption que nous ayons connue dans cette période s’est produite en janvier 2009, lors du conflit avec l’Ukraine. Nous avons eu ainsi l’occasion de tester en grandeur nature, au bout de six mois d’existence seulement et par un temps très froid, l’un des objectifs de la fusion entre GDF Suez : la sécurité d’approvisionnement. Or, pendant ces trois semaines d’interruption totale de l’approvisionnement russe, aucun Français n’a manqué de gaz.

La fusion a en effet permis d’ajouter aux sources d’approvisionnement classiques de Gaz de France, où la part de la Russie était de 25 %, celles de Suez, où la Russie était quasi-absente. Aujourd'hui, l’approvisionnement russe représente 15 %. Lorsqu’il a manqué, nous avons pu compenser grâce aux réserves stockées sous terre mais aussi grâce au GNL – gaz naturel liquéfié –, qui est une source de flexibilité, et à l’activation des autres fournisseurs.

M. le président Serge Poignant. Votre groupe participe aussi à l’un des projets de pipeline.

M. Gérard Mestrallet. Oui, nous sommes actionnaires de North Stream, qui reliera directement la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique. La construction est commencée. Le premier des deux gros tuyaux sera terminé en octobre prochain. Ce gazoduc permet d’éviter les problèmes de transit, tel celui rencontré avec l’Ukraine, et sa capacité permettra d’absorber l’accroissement de la consommation européenne pendant de nombreuses années.

À côté de ces installations, le GNL présente une grande souplesse. Nous venons d’ailleurs d’achever la construction du terminal méthanier de Fos-Cavaou pour un milliard d’euros d’investissement. Avec cette technologie, le gaz peut venir de n’importe quel endroit dans le monde pour peu qu’il existe des usines de liquéfaction. Nous sommes ainsi actionnaires de celle de Trinidad et Tobago, la seule du continent américain. Sont aussi concernés le Moyen-Orient, l’Algérie, le Yémen, l’Indonésie, ou encore l’Australie, où nous avons des projets.

Pour ce qui est de l’Union européenne, nous souhaiterions que la régulation soit davantage harmonisée. Nous ne sommes pas mûrs pour qu’un régulateur européen se substitue aux régulateurs nationaux mais, si l’on veut un véritable marché, il faut qu’il y ait un seul code de la route et un seul corps de gendarmes faisant appliquer les mêmes règles. Ce n’est pas le cas aujourd'hui. À certains égards, l’unbundling – la séparation entre les réseaux et l’activité de vente – a compliqué la situation. Le processus a demandé des efforts considérables et généré des coûts énormes ; je doute qu’il ait apporté le supplément d’efficacité et de concurrence que l’on attendait pour faire baisser les coûts – c’est plutôt l’inverse qui s’est produit.

Par ailleurs, l’Europe a besoin d’efficacité énergétique. Face à l’épuisement prochain de son énergie fossile, les économies d’énergies sont la première réponse. Nous nous sommes donc organisés pour répondre à la demande des clients. C’est leur intérêt, et c’est notre intérêt que d’y être associés. On ne répétera jamais assez que le kilowattheure le moins cher est celui que l’on ne consomme pas.

Concernant Abou Dabi, je crois tout d’abord que l’on a exagéré l’importance de l’appel d’offres. Il s’agit d’un très gros contrat, certes, mais GDF-Suez dispose dans le golfe Persique de capacités d’environ 27 000 mégawatts en production et en construction, soit l’équivalent de 16 ou 17 EPR. Il s’agit de centrales à cycle combiné faisant suite à des appels d’offres les couplant souvent à du dessalement d’eau de mer. Nous avons aussi perdu beaucoup de contrats : nous ne pouvons tous les gagner ! On fait une catastrophe nationale de l’appel d’offres d’Abou Dabi, mais nous ne sommes pas seuls au monde et il y aura d’autres échecs !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est la dimension franco-française de cet échec qui est inquiétante !

M. Gérard Mestrallet. J’ignore quelle est la proportion exacte, dans les 40 %, de l’effort commercial considérable consenti par les Coréens. Le président de la Corée, ancien industriel lui-même, avait décidé qu’il remporterait le contrat à n’importe quel prix. Quoi qu’il en soit, nous devons améliorer nos coûts.

M. Jean Dionis du Séjour. Nous ne vendons pas les mêmes machines !

M. Gérard Mestrallet. Les réacteurs coréens disposent tout de même d’une capacité de 1 400 MW.

À ce propos, lorsque je parlais du « milieu de gamme » qui manquait à la France, je ne faisais allusion qu’à la classe des réacteurs de 1 000 mégawatts, dont fait d’ailleurs partie la quasi-totalité des 58 réacteurs français, de même que les réacteurs existant ailleurs en Europe et les 100 réacteurs américains. Il ne s’agit nullement de réacteurs moins sûrs. La priorité donnée à la sûreté nucléaire est incontournable : c’est une condition absolue de l’acceptabilité globale et c’est l’intérêt absolu de tous les exploitants nucléaires. L’accident de Tchernobyl a entraîné en Italie un référendum par lequel il a été décidé de fermer toutes les centrales, alors que certaines étaient presque neuves. Il existe donc une solidarité de fait de tous les exploitants entre eux, ainsi qu’avec les populations et les États. Bien entendu, le réacteur ATMEA devra présenter le même niveau de sûreté que l’EPR.

Pour le reste, le fonctionnement de l’autorité de sûreté nucléaire française n’appelle aucun commentaire de ma part.

Suez Environnement, monsieur Dionis du Séjour, fait partie de notre groupe. Nous en détenons 35 % et nous avons le contrôle du conseil d’administration contractuellement. Il existe beaucoup de synergies, en matière de dessalement d’eau de mer notamment. Si nous avons remporté tant de contrats au Moyen-Orient, c’est aussi parce que le groupe possédait les deux compétences.

En Chine, nous avons 24 filiales dans le domaine de l’eau et cette présence nous est très utile pour le développement que nous engageons dans l’efficacité énergétique. Les structures existant dans de grandes villes comme Shangaï, Chongqing, Hong Kong ou Pékin mettent immédiatement le pied à l’étrier à nos équipes d’efficacité énergétique. Si elles n’étaient pas là, nous partirions de zéro et cela se traduirait par une perte de temps considérable.

Monsieur Daniel Paul, nous avons en effet versé des dividendes assez élevés – de l’ordre de 3,5 milliards d’euros – et l’État a touché sa part, soit un tiers de cette somme.

Notre chiffre d’affaires en Afrique, soit 1 milliard d’euros, est faible en valeur relative. Nous sommes néanmoins présents en Afrique du Nord, en particulier dans l’électricité et l’eau à Casablanca, au Maroc, et en Algérie – nous avons été chargés du système de distribution d’eau d’Alger, qui ne fonctionnait plus et qui est désormais opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En matière d’énergie, nous avons un grand projet de production de gaz à Touat, en Algérie. Nous sommes d’ailleurs un grand partenaire de ce pays depuis trente-cinq ans. Le GNL s’est développé à partir des deux usines de liquéfaction d’Arzew et Skida, qui alimentaient la France et la Belgique.

Nous travaillons également à un projet d’usine de liquéfaction au Cameroun, qui pourrait produire de 2 à 3 milliards de mètres cubes par an.

Bref, notre présence historique concerne plutôt les services mais nous ouvrons des pistes nouvelles en matière d’énergie.

Pour ce qui est du renouvellement des concessions hydro-électriques, nous ne l’avons pas choisi, mais nous serons candidats. Je note que certaines concessions antérieurement détenues par EDF, sur le Rhin par exemple, ont été renouvelées par anticipation et ont de ce fait échappé à l’appel d’offres. Ce ne sera pas le cas des nôtres. Les premières à être soumises à la compétition seront celles de notre filiale à 100 %, la Société hydro-électrique du Midi (SHEM), dans la vallée d’Ossau. Nous ferons valoir à cette occasion nos atouts et notre savoir-faire. À l’heure actuelle, les plus importants barrages en construction sont au Brésil, et c’est nous qui construisons le plus grand d’entre eux, celui de Jirau, dont la puissance sera de 3 700 mégawatts. 25 000 personnes travaillent sur ce chantier.

Au sujet du gaz de schiste, il est trop tôt pour dire quoi que ce soit : il s’agit avant tout de savoir s’il y en a ou non en France ; par la suite, il appartiendra au Gouvernement de fixer les règles de protection de l’environnement et les opérateurs éventuels se détermineront.

Quant à la question de la facturation, les dirigeants de l’association UFC-Que Choisir, que j’ai rencontrés, m’ont assuré qu’ils n’avaient pas dit eux-mêmes qu’il y avait eu surfacturation ou anticipation de hausses de tarif à venir : leurs propos avaient été déformés par un quotidien parisien. Après une enquête approfondie, le Médiateur national de l’énergie a confirmé qu’il n’y avait eu aucune falsification ou fraude.

Cela étant, je reconnais bien volontiers que nous avons beaucoup de progrès à faire. En effet, GDF et EDF utilisaient un système de facturation commun. Lors de la séparation, EDF a conservé l’exclusivité du système informatique et GDF-Suez a dû construire de toutes pièces un système destiné à la gestion de 11 millions de clients – opération sans précédent dans le monde ! Au démarrage, des défaillances inévitables se sont produites et nous sommes infiniment désolés pour les particuliers qui en ont été victimes. Aujourd'hui, le nombre de difficultés se réduit rapidement. Alors que l’année 2008 a été très difficile, 2009 et 2010 marquent une amélioration.

Autant j’admets la critique pour ce qui est de notre efficacité, autant je n’admets pas l’accusation de malhonnêteté.

C’est avec une pointe de regret que j’ai mis fin au système de stock-options dans le groupe, dans la mesure où j’ai été à l’origine de leur introduction dans la législation française lorsque j’étais conseiller de Jacques Delors. Au demeurant, la loi du 18 juillet 1984 avait été adoptée à l’unanimité par le Parlement. Je pense que ce texte était opportun par l’impulsion qu’il voulait donner. Mais il y a eu par la suite des abus et son image a été très abîmée. C’est pourquoi nous sommes passés aux actions de performance, qui deviennent propriété de certains salariés au bout de trois ans si les conditions de performance sont respectées et qui ne peuvent être cédés qu’après deux ans supplémentaires. Il s’agit d’un système d’attribution individualisée destiné principalement aux cadres dirigeants et supérieurs ou aux salariés ayant participé de façon exceptionnellement efficace à certaines opérations. Le nombre de bénéficiaires est d’environ 8 500. Parallèlement, nous avons un système universel d’attribution d’actions gratuites à tout le personnel, dans l’objectif de faire des 215 000 salariés de GDF-Suez des actionnaires du groupe et de renforcer leur sentiment d’appartenance. Nous avons adopté ce système il y a trois ans, et nous étions les premiers à le faire. Le nombre d’actions distribuées, une trentaine, est identique pour tous les salariés, quels que soient leur ancienneté, leur âge, leur sexe ou leur position hiérarchique.

Madame Marcel, nous n’avons pas « racheté » International Power : il s’est agi, pour ainsi dire, d’une opération de fusion par le bas. Nous avons réuni nos activités de génération d’électricité hors Europe dans une société cotée. Comme nous en détenons 70 %, nous reprenons dans notre bilan consolidé l’ensemble d’International Power, si bien que nous aurons à la fois plus de dettes et plus de fonds propres, pour à peu près le même montant, soit 6 milliards. Aujourd'hui, notre bilan est le meilleur du secteur puisque les dettes n’y représentent que la moitié des fonds propres. Si l’on fait augmenter les dettes et les fonds propres pour le même montant, le ratio final sera légèrement moins bon. Nous procéderons à des cessions d’actifs pour corriger cet effet négatif de la fusion. Cela étant, nos cessions d’actifs ont représenté 10 milliards en trois ans, pour 40 milliards d’investissements au cours de la même période. C’est une respiration adaptée à l’activité du groupe.

S’agissant de GRTgaz, nous n’avons pris aucune décision à ce stade. Je précise que GDF-Suez détient actuellement 65 % des actions, contre 35 % pour l’État. La loi autorise l’arrivée d’actionnaires minoritaires, mais à condition que ceux-ci soient publics.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est un paradoxe.

M. Gérard Mestrallet. En effet. Si nous devions creuser cette idée, elle se traduirait par un renforcement du capital public au sein de GRTgaz.

Je le répète, nous n’avons pas de problème de dette. Notre particularité, outre notre large implantation en Europe, est notre présence exceptionnellement élevée dans le monde émergent. Grâce à la fusion avec International Power, nous sommes le premier producteur privé d’électricité au Brésil, de même qu’au Pérou, au Chili, au Moyen-Orient, en Thaïlande, à Singapour. Nous serons bientôt présents en Indonésie et en Australie. Nous allons donc pouvoir participer à la croissance de ces pays, sachant que 80 % des besoins d’accroissement des capacités concerneront le monde émergent, contre 20 % seulement en Europe et au États-Unis.

Un groupe comme EON, longtemps la plus grosse utility au monde, qui était exclusivement et massivement présent en Europe, vient d’annoncer sa nouvelle stratégie, qui se traduira par la vente de 15 milliards d’euros d’actifs en Europe et par l’affectation du produit pour moitié au désendettement et pour moitié au développement en Amérique latine et en Asie, où le groupe part de zéro.

Nous avons pour notre part mis plus de dix ans à bâtir cette présence. Avec International Power, nous doublons notre taille dans les pays émergents et nous y sommes, de très loin, le premier acteur.

Monsieur Anciaux, en tant que client et partenaire d’AREVA, nous considérons qu’un démantèlement est dépourvu d’utilité. La création d’AREVA a doté la France d’un grand acteur, qui doit maintenant négocier un partenariat stratégique avec son grand client, EDF, mais aussi avec les autres clients, dont GDF-Suez. Après un projet d’accord différé, nous travaillons beaucoup sur l’ATMEA et nous considérons qu’AREVA, dans ses structures actuelles, est une chance pour la France. Cela dit, il convient de trouver les bonnes relations contractuelles, sachant qu’il ne peut y avoir de modèle unique.

Le système nucléaire français est une formidable réussite, le plus grand projet industriel qui ait jamais été réalisé dans le monde. Il a réuni un acheteur unique, EDF, et un fournisseur unique, Framatome, pour un territoire unique, la France. Mais, dans le reste du monde, des électriciens sont déjà présents partout, et il est impossible de reproduire le schéma qui a permis la construction du parc nucléaire français.

EDF et AREVA sont de très grandes entreprises et nous devons trouver les bons partenariats au coup par coup. Dans certains pays – aux États-Unis notamment, où le capital des exploitants de centrales nucléaires doit être américain à plus de 50 % –, l’électricien local achètera des centrales mais ne demandera pas de partenariat pour les exploiter.

Madame Fioraso, nous travaillons sur les smart grids. Alors que les systèmes de production d’électricité et de gaz ont été très centralisés pendant cinquante ans, la tendance est à une décentralisation accrue. La volatilité des consommations, donc celle des prix instantanés, augmente. Il faut donc trouver des systèmes efficaces d’effacement des pointes.

De ce point de vue, le développement très rapide du renouvelable pose des questions de plus en plus importantes pour la gestion des flux électriques produits, qui sont intermittents et que l’on ne peut commander. Il n’y a pas forcément de coïncidence entre le moment où il y a du vent et le moment où le client consomme de l’électricité. Notre groupe a élaboré des modèles à ce sujet en Grande-Bretagne et en Allemagne. La production nucléaire est à peu près stable tout au long de l’année et l’on ne peut l’interrompre ; de plus, quand il y a du vent, il faut mettre toute l’électricité éolienne sur le réseau, si bien que, à certaines périodes, tous les autres moyens de production doivent être arrêtés. Il arrive même que la somme de la production nucléaire et de la production éolienne dépasse la consommation, auquel cas le prix de l’électricité devient négatif.

Les centrales dites « stations de pompage », qui remontent l’eau lors des heures creuses et la libèrent dans les turbines durant les heures pleines, offrent un instrument de flexibilité pour affronter les pics de consommation ou les excédents de production, mais il est aujourd'hui impossible d’en construire de nouvelles pour des raisons environnementales. Nous avons trois installations de ce type aux États-Unis, en Belgique et, grâce à International Power, en Grande-Bretagne, et EDF en détient une en France.

L’autre solution est le smart grid, l’utilisation intelligente des consommations, par laquelle la batterie ou le radiateur à accumulation du consommateur individuel se recharge à des moments donnés. Des systèmes de commandes sophistiqués sont alors nécessaires pour savoir quand la production d’électricité est excédentaire par rapport à la consommation et pour déclencher en conséquence des systèmes individuels.

J’en viens au photovoltaïque et à l’éolien off shore, qui ne dégagent pas de CO2 mais qui produisent une électricité qui revient très cher par rapport à l’électricité provenant du nucléaire, du gaz ou du charbon. C’est une affaire de choix. Si l’Europe veut parvenir au « 3 × 20 », elle devra subventionner largement ces sources alternatives. Malgré son parc nucléaire et hydraulique, la France a elle aussi besoin de capacités de pointe flexibles, qui ne peuvent être autre chose que des centrales à gaz. Nous en avons construit plusieurs et nous en inaugurerons deux très prochainement à Fos et à Montoir.

Comme vous l’avez relevé, madame Got, le prix de marché du gaz est actuellement très bas. Mais, pour garantir la sécurité d’approvisionnement, l’État nous contraint à acheter notre gaz, non pas sur le marché libre, mais par des contrats de long terme qui, depuis des décennies, sont indexés sur les cours du pétrole. On constate d’ailleurs que, sur trente ans, le prix du marché libre a été supérieur au prix résultant des contrats de long terme.

Depuis plus d’un an et demi, le prix de marché diminue en raison de la baisse de la consommation due à la crise, de l’exploitation de quantités importantes de gaz non conventionnel aux États-Unis et enfin de la production de GNL en grandes quantités au Qatar. La durée de cette « bulle gazière » dépendra sans doute de la reprise mondiale. En tout cas, nous avons demandé à nos grands fournisseurs – Gazprom, les Algériens, les Norvégiens, les Néerlandais – de prendre en compte temporairement une part du prix de marché dans les contrats. De même, le nouveau contrat de service public passé avec l’État intègre une part du prix de marché, ce qui explique qu’il n’y ait eu d’augmentation ni au 1er octobre ni au 1er janvier dernier. Grosso modo, la réduction que nous avons obtenue a compensé l’effet de hausse dû à l’indexation sur le pétrole.

M. Gagnaire m’a interrogé sur le choix de la vallée du Rhône pour le projet d’ATMEA. Parmi les terrains nucléaires disponibles, nous souhaitions privilégier les sites d’AREVA et du CEA, qui sont beaucoup moins nombreux que ceux d’EDF. AREVA possède le site de Pierrelatte-Tricastin, le CEA celui de Marcoule. Ce sont des sites déjà nucléarisés et la perspective d’une nouvelle construction est plutôt bien accueillie par les élus et les populations. De plus, les lignes à haute tension existantes permettent d’acheminer l’électricité d’un réacteur ATMEA. Et n’oublions pas que le Sud-Est, comme la Bretagne, manque de capacités !

Pour ce qui est du rapport Roussely, je ne suis pas concerné et n’ai donc rien à dire.

M. le président Serge Poignant. Monsieur Mestrallet, je vous remercie de nous avoir apporté cet intéressant éclairage.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 19 janvier 2011 à 10 heures

Présents. - M. Jean-Pierre Abelin, M. Jean-Paul Anciaux, M. Thierry Benoit, M. Bernard Brochand, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Pierre Decool, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Bernard Gérard, M. Daniel Goldberg, M. Pierre Gosnat, Mme Pascale Got, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Michel Lefait, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, M. Jean-Claude Lenoir, M. Jean-Louis Léonard, M. François Loos, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Germinal Peiro, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, Mme Josette Pons, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Michel Raison, M. Bernard Reynès, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Yannick Favennec, M. Louis Guédon, M. Gérard Hamel, Mme Annick Le Loch, Mme Anny Poursinoff, M. Franck Reynier

Assistaient également à la réunion. - M. Christian Blanc, M. François-Michel Gonnot