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Commission des affaires économiques

Mardi 1er février 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 39

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Bigot, administrateur général du commissariat à l’énergie atomique (CEA)

La commission a auditionné M. Bernard Bigot, administrateur général du commissariat à l’énergie atomique (CEA).

M. le président Serge Poignant. J’ai le plaisir d’accueillir M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) – organisme dont la réputation n’est plus à faire – pour cette cinquième audition consacrée à l’avenir de la filière nucléaire française.

Les efforts du CEA en matière de recherche sur le nucléaire portent sur le développement de réacteurs à neutrons rapides (RNR) de quatrième génération : favorablement impressionnée par les promesses que ces derniers laissent entrevoir, la commission de l’emprunt national vous a attribué 650 millions d’euros pour mener à bien d’ici 2020 le projet de démonstrateur industriel ASTRID, qui sera installé à Marcoule.

La Commission des affaires économiques est quant à elle très intéressée par un état de vos travaux actuels. Le forum international « génération IV » ayant dégagé plusieurs technologies nouvelles, la France a choisi, sous l’impulsion du CEA, de se concentrer sur les RNR à caloporteur sodium ainsi que sur les RNR à caloporteur gaz. Quels éléments ont donc présidé à ce choix exclusif ? Par ailleurs, monsieur Bigot, que répondez-vous à MM. Birraux et Bataille quand ils écrivent qu’« une entente implicite s’impose logiquement entre EDF, AREVA et le CEA pour faire porter l’effort d’innovation essentiellement sur le développement d’un réacteur à neutrons rapides au sodium en vue d’une production plus efficace de l’électricité, et moins sur la mise au point d’un véritable dispositif de transmutation des déchets de haute activité à vie longue » ?

L’arrêt prématuré des centrales Phénix et Superphénix, prototypes de RNR, soulève également des interrogations : leur fonctionnement a-t-il fait la preuve de la faisabilité technologique et de la viabilité industrielle et économique des RNR ? Parviendrons-nous, à court terme, à faire sauter les « verrous technologiques » ?

En outre, l’achèvement de la construction d’ASTRID, en 2020, n’interviendra-t-il pas trop tard, d’autres pays comme la Chine semblant déjà très avancés ?

Enfin, quelles seront les modalités d’association des acteurs français de la filière, AREVA, EDF et GDF ?

M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Vous le savez, le CEA a été créé en 1945 pour essayer de tirer le meilleur parti de l’atome dans les domaines de la recherche, de l’industrie, de la défense et de la santé. Profondément convaincus que la technologie nucléaire constitue un atout pour notre pays, nous y avons consacré le meilleur de nos efforts pour assurer le succès de cette entreprise. Trois ans plus tard a eu lieu la première divergence de Zoé, la première pile à combustible. À partir de 1954, se sont succédé à Marcoule les réacteurs G 1, G 2 et G 3. Nous avons ensuite fait le choix stratégique majeur, à partir des années 1970, d’une filière de réacteurs à eau pressurisée et nous avons déployé un parc de 58 réacteurs qui a admirablement fonctionné et qui assure aujourd’hui 80 % environ de notre production d’électricité. Nous avons ainsi pu nous doter d’une industrie suffisamment structurée pour être à même de lancer chaque année, entre 1973 et 1988, la construction de trois ou quatre réacteurs, si bien que nous sommes arrivés à en compter vingt-cinq en chantier au même moment ! Avec l’achèvement de ce parc et faute de marché international, le nucléaire n’étant plus alors en « odeur de sainteté », cette remarquable organisation industrielle s’est un peu défaite. Sans doute n’avions-nous pas mesuré les possibilités de rebond quand les énergies fossiles – qui représentent encore aujourd’hui plus de 80 % de la consommation mondiale d’énergie – seraient soumises à une double tension, du point de vue de la disponibilité de la ressource et du point de vue des prix, de même que nous n’avions pas imaginé à quel point on serait sensible, partout sur la planète, aux enjeux de l’environnement. Pour toutes ces raisons, notre pays n’a pas pris conscience de la nécessité de préserver cet outil.

Et, si le schéma français n’est pas immédiatement transposable à l’étranger, nous avons en tout cas le devoir de préserver une industrie nucléaire puissante afin d’entretenir, puis de renouveler nos équipements. Dans le cas contraire, faute d’avoir tiré parti des investissements réalisés, nous aurions tout à reconstruire et la tentation serait forte de faire appel à des pays étrangers qui, eux, auraient su maintenir une telle capacité industrielle. Je note, de surcroît, que le nucléaire apparaissant de plus en plus, à nouveau, comme une solution d’avenir, le CEA est sollicité presque chaque jour pour accompagner la réflexion stratégique nucléaire de nombreux pays – quarante, à ce jour, nous ont approchés. Il nous faut donc nous mettre en position de gagner des marchés et, pour cela, notre intérêt est de voir « l’équipe de France » du nucléaire défendre une stratégie claire et jouer unie : c’est la condition de notre compétitivité.

L’EPR, dont la puissance est d’environ 1 650 mégawatts, constitue un très bon produit pour les pays qui ont l’intention, à terme, de s’en remettre au nucléaire pour assurer une part significative de leur production. D’aucuns prétendent que ce réacteur serait en quelque sorte handicapé par des exigences de sûreté élevées mais comment pourrions-nous, après quarante ans de fonctionnement de la génération II, ne pas tirer parti de cette expérience et des accidents majeurs que nous avons connus ? Je le répète : alors que les sites nucléaires potentiels seront rares, un réacteur qui offre une puissance maximale dans des conditions économiques particulièrement attractives constitue un très bon produit.

Cependant, il n’a pas vocation à répondre aux besoins universels, des pays préférant avoir deux réacteurs plutôt qu’un seul afin de maintenir une capacité de production pendant les phases de maintenance ou de rechargement du combustible ; en outre, des zones densément peuplées ne peuvent s’accommoder d’un équipement de cette taille et des sites peuvent être aménagés au bord de fleuves ou de rivières qui n’offriraient pas un débit suffisant pour le refroidissement d’un réacteur de cette puissance.

C’est parce que nous devons proposer une offre plus large qu’AREVA a conçue avec ses partenaires japonais l’ATMEA, un réacteur complémentaire de 1 000 mégawatts qui est en phase de certification en France. Des perspectives s’offrent également pour le développement de réacteurs plus petits, entre 25 et 300 mégawatts, mieux adaptés à des territoires insulaires ou isolés. Une réflexion a été engagée par l’ensemble des acteurs de la filière nucléaire, avec DCNS, afin d’explorer cette piste ; le CEA veille quant à lui à accompagner le déploiement de cette technologie, que ce soit pour la conception des réacteurs ou pour la gestion de l’ensemble du cycle nucléaire.

Notre stratégie nucléaire sert trois priorités.

La première est d’optimiser la gestion des réacteurs de la génération III, particulièrement en matière de sûreté.

La deuxième est de prolonger la vie des installations existantes. Bien que ces dernières aient été conçues initialement pour durer trente ans, nous avons la chance de constater qu’en dépit d’un bombardement neutronique intensif, les matériaux qui se situent au plus près du cœur du réacteur se comportent mieux que nous ne l’attendions : nous avions à l’époque été suffisamment guidés par le principe de précaution pour envisager aujourd’hui des durées de vie de quarante ans, voire peut-être de cinquante.

La troisième priorité consiste à préparer les réacteurs du futur. Or, il ne saurait y avoir d’industrie nucléaire durable et crédible si nous ne sommes pas capables de démanteler, d’assainir et de gérer les déchets. Le CEA, qui avait construit et développé les installations G 1, G 2 et G 3, est précisément engagé aujourd’hui dans un vaste plan de démantèlement et d’assainissement – qui concerne, notamment, l’usine de séparation du plutonium de Marcoule et le site de Fontenay-aux-Roses. Chaque année, 500 millions environ seront consacrés à ces opérations d’intérêt industriel majeur. J’ajoute que, la situation étant comparable au Royaume-Uni, il apparaît possible de développer dans ce secteur une industrie performante à l’échelle de l’Europe.

ASTRID, quant à lui, est un réacteur de quatrième génération même si ce qualificatif peut prêter à malentendu puisque, d’ordinaire, les générations se suivent et qu’en l’occurrence, elles se superposeront : il ne fait en effet aucun doute que cette dernière génération a vocation à cohabiter avec la précédente.

La troisième génération est celle des réacteurs à neutrons thermiques, particules suffisamment ralenties pour qu’on puisse utiliser cette matière fissile naturelle qu’est l’uranium 235. Le processus de fission aboutit à la production d’une matière fissile artificielle : le plutonium, qu’on peut assimiler à un catalyseur dans la mesure où il agit sans être pour autant consommé. Cependant, l’uranium 235 est une variété isotopique qui n’est présente qu’à raison de 0,7 % dans l’uranium naturel.

La technologie des réacteurs à neutrons rapides permet, elle, d’utiliser ce plutonium pour consommer l’uranium naturel 238 – lequel constitue 99,3 % de l’uranium – et donc de démultiplier l’utilisation de la ressource dont nous disposons. Or la France s’est engagée assez tôt dans le développement de la filière nucléaire pour disposer en 2040, si elle continue à ce rythme, d’une quantité de plutonium suffisante pour mettre en chantier environ seize RNR d’une puissance de l’ordre de 1 000 mégawatts. J’ajoute que quarante ans d’accumulation de plutonium par un réacteur à neutrons thermiques sont nécessaires pour envisager de lancer un cycle de RNR. Ceux-ci ayant la capacité de multiplier par cent le potentiel énergétique de l’uranium et sachant qu’en l’état actuel de notre parc, nous disposons d’uranium pour 200 à 250 ans, une gestion intelligente nous assurera une ressource pour 20 000 ou 25 000 ans. À l’horizon de 2050, notre pays aura donc en stock assez de plutonium et assez d’uranium appauvri – 500 000 tonnes, soit l’équivalent d’une mine d’uranium pur – pour avoir devant lui plusieurs milliers d’années de ressources énergétiques, à condition toutefois que la viabilité technique et économique de cette technologie soit vérifiée.

La perspective est d’autant plus attrayante que la consommation de plutonium évite par définition son accumulation. Celle-ci recèle en effet un danger : il suffit que quelques dizaines de kilos soient rassemblés en un lieu pour que se déclenche spontanément une réaction de fission en chaîne – c’est ce qu’on appelle la criticité du plutonium. L’énergie dégagée étant irradiante, nous devons éviter d’en laisser des quantités importantes aux générations futures. L’intérêt est donc considérable de disposer de réacteurs capables de consommer le plutonium que les générations précédentes auront produit !

De surcroît, ces réacteurs permettent d’envisager une réduction de certains déchets nucléaires radioactifs à vie longue provenant des réacteurs de première ou de deuxième génération. Je rappelle qu’après deux ou trois années de charge dans le cœur d’un réacteur, 100 kilos d’uranium combustible ont été transformés en 95 kilos d’uranium, composé à 99 % d’uranium 238 et 1 % d’uranium 235, 1 kilo de plutonium et 4 kilos de produits de fission. Parmi ces derniers, une fraction se désactivera assez rapidement, revenant en environ trois cents ans au niveau de la radioactivité naturelle. La radioactivité du combustible usé sorti du réacteur est 100 000 fois supérieure à celle-ci. La fraction restante, 1 % du combustible, restera radioactive pendant plus de 500 000 ans. C’est précisément cette petite partie qu’on peut espérer transmuter grâce aux RNR. La France a donc tout intérêt à démontrer la viabilité de cette technologie sans qu’il soit pour autant nécessaire de se disputer sur l’échéance à laquelle on sera en mesure de l’exploiter industriellement.

La logique conduisant par conséquent à développer les RNR, deux options technologiques s’offrent ensuite à nous : le premier est celui du caloporteur sodium dont la conductivité thermique est excellente et dont la formidable inertie induit un risque de perte quasi nul, la contrepartie étant que ce métal liquide réagit avec l’eau contenue dans l’air, ce qui rend possible une inflammation – mais, avec les techniques idoines, le feu s’étouffe rapidement. Autre inconvénient du sodium : il n’est pas transparent, ce qui nécessite, pour mener des inspections correctes, de développer des technologies particulières, de type micro-ondes ou radiofréquences, pour obtenir des images reconstituées.

L’autre option est celle du refroidissement avec l’hélium : transparent et ininflammable, ses capacités calorifiques sont moindres et il réclame une pression élevée.

Les contraintes étant différentes dans les deux cas, la France explore ces deux pistes. Le CEA s’occupe spécifiquement – et activement – de la première, avec le souci d’aboutir en 2015, car c’est à cette échéance que nous devrons présenter aux décideurs politiques un avant-projet suffisamment précis, quant au concept, à la sûreté et à la viabilité économique et financière de cette option, pour envisager un déploiement industriel à l’horizon de 2020. La seconde piste, quant à elle, est suivie dans le cadre de partenariats avec la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie, pays dont l’intérêt est de disposer d’un grand projet de recherche permettant de motiver étudiants et ingénieurs. Le réacteur à développer sera dans ce cas un prototype de recherche alors que, dans le premier, il s’agira d’un démonstrateur pré-industriel.

Concernant celui-ci – ASTRID –, nous avons signé un accord avec AREVA pour un financement à hauteur de 20 % environ du projet et nos discussions avec EDF sont bien avancées. En outre, des perspectives crédibles de partenariat s’offrent avec le Japon et la Russie, et nous avons ouvert des discussions avec la Chine : la maîtrise de cette technologie ayant un intérêt certain à l’échelle de la planète, il est inutile de multiplier les démonstrateurs coûteux. Bien évidemment, tout cela pose un problème de propriété intellectuelle et industrielle mais il devrait être possible de partager le droit d’usage avec ceux qui contribueront à ce projet, dans des conditions propres à favoriser le déploiement industriel.

À M. Birraux qui oppose production d’électricité et retraitement du combustible, je répondrai que la consommation du plutonium constitue déjà un traitement des déchets. Je le répète : si ce dernier n’est pas consommé, il faudra le stocker ; or, 1 000 tonnes de combustible usé étant produites chaque année dont 1 % de plutonium, nous en aurions 400 tonnes dans quarante ans. Sachant que quelques dizaines de kilos suffisent à induire une réaction de criticité, il y a de bonnes raisons de vouloir l’éliminer, et ce sera d’autant mieux s’il disparaît en produisant de l’électricité et en permettant la consommation d’uranium enrichi ou de retraitement. En outre, cette première étape constitue la condition sine qua non à la réduction de la période des autres déchets à très longue vie que sont les actinides mineurs : l’américium, le neptunium et, éventuellement, le curium. Démonstration faite de cette transformation de l’uranium 238 et du plutonium par les RNR, nous serons en mesure de transmuter l’uranium, c’est-à-dire de le transformer en produits radioactifs à durée de vie beaucoup plus courte.

J’ajoute que, si nous avons beaucoup bénéficié du fonctionnement de Phénix et de Superphénix, nous regrettons l’arrêt de ce dernier : à repartir d’où nous nous étions arrêtés à cette époque, nous aurons pris vingt ans de retard !

Si les travaux avancent correctement, nous aurons donc un grand rendez-vous en 2015 ou en 2016, pour la décision politique ; cinq ou six années seront ensuite nécessaires pour la construction d’un réacteur qui devra ensuite fonctionner pendant cinq, six ou sept ans afin que nous puissions bénéficier d’un retour d’expérience suffisant ; c’est donc aux alentours de 2030 qu’il conviendra d’opter ou non pour son déploiement. La construction d’un réacteur industriel exigeant dix années, cela nous mène à 2040, qui est précisément la date à laquelle une fraction non négligeable du parc actuel devra être renouvelée. C’est alors que nous pourrons remplacer quinze ou seize de nos 58 réacteurs actuels pour ensuite en installer éventuellement un nouveau tous les six ans. Mais, vous le voyez bien, ce n’est pas cette quatrième génération qui disqualifiera la précédente, puisqu’elle s’y superposera.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie pour cet exposé particulièrement clair de votre stratégie, concernant en particulier cette quatrième génération, mais la loi de 2006 ne prévoyait-elle pas que les pouvoirs publics devraient disposer des éléments nécessaires à une prise de décision vers 2012 ?

M. Bernard Bigot. D’éminents parlementaires et un ancien ministre ici présents savent qu’un premier rendez-vous est en effet prévu en 2012 pour évaluer l’avancement des travaux de recherche et le concept d’ASTRID. En ce qui me concerne, je l’attends pour savoir si nous pourrons poursuivre sur la lancée en vue de présenter un avant-projet détaillé en 2015, s’il faudra approfondir nos recherches pour proposer un concept plus robuste ou même si, la solution du caloporteur sodium n’étant pas jugée satisfaisante, nous aurons à reporter nos efforts sur la mise au point du réacteur à hélium. Dans cette dernière hypothèse, le calendrier serait très différent puisque vingt ou vingt-cinq ans seraient nécessaires pour arriver au niveau où nous en serions pour ASTRID en 2015.

M. François Brottes. Bien que le CEA me soit familier puisque je suis isérois, je ne suis ni ingénieur ni scientifique et je me permettrai donc de vous poser des questions d’ordre plus politique, tout en vous remerciant pour la qualité de votre exposé, que vous avez su rendre accessible malgré son caractère technique.

Tout d’abord, compte tenu des échéances électorales auxquelles nous serons confrontés, à quel moment précis la décision sera-t-elle prise en 2012 ?

Plus sérieusement, nous sommes plusieurs dans cette Commission à penser qu’en dehors donc du bassin grenoblois, de la région Rhône-Alpes ou de Saclay, le CEA est trop peu connu. Or, si le nucléaire est son cœur de métier, cette grande maison mène de remarquables travaux de recherche et de développement (R&D) dans quantité d’autres secteurs – matériaux, logiciels, nanotechnologies, santé – et dépose énormément de brevets…

M. Bernard Bigot. 585 l’année dernière !

M. François Brottes. Tout cela est largement ignoré, même parfois de ministres !

S’agissant de l’énergie atomique, trois thèmes occupent particulièrement les politiques : la ressource, les risques et le traitement des déchets. Pour autant, il ne faut pas négliger d’autres questions : la transparence et le contrôle sont-ils suffisants dans ce secteur ? L’investissement dans le nucléaire s’annonçant désormais rentable, la recherche du profit n’y est-elle pas source de perturbation ? Quelles garanties a-t-on quant à de possibles glissements d’un usage civil de l’atome à un usage militaire ? Vos capacités de financement vous confèrent-elles une indépendance suffisante ou, au contraire, votre relation avec vos cofinanceurs ne risque-t-elle pas de nuire à votre autonomie en matière de R&D ou à votre capacité d’analyse au bénéfice des pouvoirs publics ? Autrement dit, n’êtes-vous pas trop dépendant de financements qui ne sont pas publics, au risque, pour la nation, de ne plus disposer d’un outil d’expertise suffisamment libre ?

Enfin, je souhaiterais connaître votre point de vue sur les centrales nucléaires sous-marines dont il a été récemment question dans la presse.

M. Claude Gatignol. Le CEA possède une expertise extraordinaire en ce qui concerne les matériaux : quels travaux menez-vous dans ces domaines sur vos différents sites, qu’il s’agisse de l’acier classique, très utilisé dans le nucléaire, ou des nanomatériaux, de plus en plus présents dans notre vie quotidienne ?

Les réacteurs de quatrième génération seront-ils complémentaires ou concurrents de l’EPR de Flamanville et de ceux qui viendront à sa suite, dont la durée de vie validée est de soixante ans ? Vous avez rappelé que la réutilisation des stocks de matière radioactive provenant du traitement des combustibles usés est nécessaire pour disposer de plutonium et faire fonctionner les réacteurs au sodium ou à l’hélium…

La construction de ces nouveaux réacteurs est complexe et, même si elle se rapproche du palier N 4 de Chooz et de Civaux, leur architecture diffère grandement de celle des premières installations de 900 mégawatts. Peut-on envisager une simplification permettant de diminuer les coûts de construction tout en maintenant le niveau de sécurité ?

Un rapport du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire a été dédié « aux » uraniums : où en sommes-nous de l’enrichissement de ces combustibles ? Par ailleurs, qu’en est-il du MOX, sachant que l’EPR peut être moxé à 100 % ? Mais j’ai bien noté que nous disposons d’un avantage certain pour le traitement des combustibles usés.

Les recherches importantes que vous menez sur l’énergie photovoltaïque concernent-elles également l’énergie solaire à concentration thermique ?

Enfin, qu’en est-il de vos recherches dans les sciences du vivant, qui contribuent à l’amélioration des diagnostics, des traitements et des connaissances dans le domaine médical, le CEA ayant d’ailleurs fourni le premier test fiable permettant de détecter le prion chez les bovins ?

M. Daniel Paul. Si, pour d’évidentes raisons historiques, les élus communistes ont pour le CEA les yeux de Chimène, ils les gardent néanmoins bien ouverts et s’inquiètent du contexte dans lequel vous évoluez aujourd’hui, qui diffère grandement de celui de la fin des années quarante et des deux décennies suivantes – cela même si le CEA n’est pas le seul grand organisme datant de l’immédiat après-guerre à avoir connu de telles évolutions.

Jusqu’à la fin des années soixante, voire soixante-dix, nul ne doutait d’un secteur nucléaire reposant sur des structures publiques. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui ont le sentiment que lui aussi est menacé par la recherche du profit, ce qui mine la confiance qu’avait l’opinion du temps où, à l’évidence, l’objectif n’était pas de créer du cash pour l’actionnaire. Le débat sur la filière nucléaire en France tel qu’il est posé depuis quelques mois, notamment dans le rapport Roussely – lequel n’a d’ailleurs fait que mettre noir sur blanc des idées qui avaient cours depuis pas mal de temps – incite à se demander s’il y a un pilote dans l’avion, s’il en faut un, quelle est son identité et qui il transporte. Si, en ce qui nous concerne, nous mettons en avant la maîtrise publique et les pôles publics, est-ce bien cela qui est recherché aujourd’hui ?

Vous avez évoqué la nécessité de renouveler les équipements, ce à quoi nous ne pouvons que souscrire, mais encore faut-il convaincre l’opinion de l’intérêt qu’il y a à poursuivre le travail commencé au siècle dernier. En l’occurrence, une bataille doit être menée pour persuader les sceptiques qui vont jusqu’à remettre en cause l’existence même du CEA.

Par ailleurs, comment envisagez-vous l’articulation de vos travaux avec le projet ITER ?

Où en sont, à Cadarache notamment, les recherches concernant la décontamination des sols ? Je me souviens d’un jardin extraordinaire dont les plantes étaient capables de neutraliser tout ce que le sol avait emmagasiné de déchets industriels abominables !

Enfin, qu’en est-il de votre intérêt pour les énergies renouvelables ? Sans parler des risques géopolitiques pesant notamment sur le trafic par le canal de Suez, il est évident que l’augmentation des prix du pétrole, la diminution des ressources fossiles et la dangerosité de celles que nous exploitons nous obligent à rechercher ailleurs les énergies qui, demain, nous éclaireront, nous chaufferont et nous feront travailler.

M. Jean-Pierre Nicolas. La stratégie du CEA repose donc sur un triptyque – accompagnement du développement des réacteurs de troisième génération, prolongation de la vie des installations actuelles et préparation des réacteurs de l’avenir. Tout cela découle vraisemblablement d’une étude du marché mondial, mais celle-ci ne risque-t-elle pas d’être remise en cause par le développement de l’utilisation des gaz conventionnels, en particulier du shale gas, grâce auxquels les États-Unis deviendraient rapidement autosuffisants ? D’ores et déjà, dans ce pays, ce développement a bloqué celui du secteur nucléaire…

J’ai toujours beaucoup apprécié vos exposés, monsieur Bigot, et dans l’un des derniers qu’il m’ait été donné d’entendre, vous indiquiez que la France devait avoir pour objectif de se rendre autosuffisante, dans le domaine énergétique, en 2050 grâce au développement des énergies nouvelles et, notamment, des biocarburants. Est-ce toujours votre position ?

Mme Frédérique Massat. Que pensez-vous du récent rapport parlementaire, déjà cité, où l’on déplore qu’EDF, AREVA et le CEA, défendant des intérêts à court terme, cherchent à remettre en cause la compétence de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) pour le pilotage du projet d’enfouissement profond des déchets dangereux ?

Pourriez-vous nous donner des compléments d’information sur la contamination, dans le Val-de-Marne, de six salariés par des résidus de tritium présents dans un matériel provenant du centre de Valduc du CEA ? Ce matériel, classé par erreur comme neuf, avait été de ce fait manipulé sans précaution. Quelles mesures avez-vous prises afin que cela ne se reproduise pas ? Avez-vous communiqué sur cette affaire de manière à préserver le proche environnement ?

Pourriez-vous également apporter des éclaircissements sur le projet de centrale nucléaire sous-marine ?

Enfin, pouvez-vous nous en dire plus quant à l’annonce par ARKEMA de son association avec le CEA en vue de créer dans notre pays le premier laboratoire de recherche mixte, privé-public, dédié au développement des matériaux polymères dans les différentes technologies de modules photovoltaïques ?

M. François Loos. La création de centrales nucléaires de quatrième génération impliquant le maintien d’une production de plutonium dans celles de troisième génération, quelle doit être selon vous la proportion adéquate de chaque sorte pour garantir un fonctionnement global à l’équilibre, en régime de croisière ?

De plus, quelle acculturation recommandez-vous aux quarante pays dont vous avez dit qu’ils souhaitaient se familiariser avec le nucléaire, et combien de temps leur faudra-t-il pour passer du stade de débutant à celui d’usager expérimenté ? Disposez-vous d’un programme de formation à cette fin ?

Mme Pascale Got. Le CEA a signé au mois de septembre dernier, avec le centre Laser Mégajoule du Barp, en Gironde, un accord portant sur la réalisation de l’équipement scientifique PETAL (Petawatt Aquitaine Laser). PETAL permettrait notamment d’explorer de nouveaux schémas d’énergies propres, de réaliser des études de physique fondamentale de très haut niveau et de tester diverses applications en matière de recherche médicale. Tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un outil d’avant-garde d’une importance considérable pour la France comme pour les autres pays. Pourrions-nous, cependant, avoir des précisions sur les conditions techniques et financières de ce projet ainsi que sur le calendrier de sa réalisation ?

M. Franck Reynier. En dehors du projet de centrale sous-marine Flexblue, existe-t-il d’autres types de micro-installations nucléaires susceptibles d’intéresser les pays étrangers ?

Où en êtes-vous de vos travaux relatifs à l’utilisation de la biomasse et, en particulier, aux carburants de deuxième génération ? Quid de la recherche sur les batteries et sur le véhicule électriques, ainsi que sur la pile à combustible ?

M. William Dumas. Vous avez évoqué, pour le financement d’ASTRID, la possibilité de partenariats avec les Japonais, les Russes et, peut-être, avec les Chinois. Ne craignez-vous pas que, devenus actionnaires, ceux-ci n’en viennent à maîtriser cette technologie et ne se transforment alors en concurrents dont les productions seraient vraisemblablement moins sûres que les nôtres ?

Selon le rapport de MM. Birraux et Bataille, il semble d’EDF veuille faire adopter un projet de stockage souterrain des déchets radioactifs bien moins cher que celui que propose l’ANDRA – 15 milliards au lieu de 35. Quelle est la position du CEA ? Pensez-vous que les contraintes financières doivent primer sur la sécurité en la matière ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Vous aurez compris après l’intervention de M. Brottes que des inconditionnels du CEA siègent de notre côté – surtout s’il s’agit d’élus de Rhône-Alpes – et je tiens à mon tour à insister sur le rôle majeur que joue cet organisme dans le développement des territoires. C’est pourquoi nous nourrissons quelque inquiétude quant à une forme de relocalisation sur le site du plateau de Saclay, dans le cadre du Grand Paris. Pour nous, le CEA doit demeurer présent sur l’ensemble du territoire et maintenir des liens avec les industries qu’il a contribué à créer. Ce rôle d’animation étant d’ailleurs relativement méconnu, il faudrait le populariser !

Je souhaiterais par ailleurs que vous nous communiquiez une version écrite de cet exposé de très haut niveau : malgré vos talents pédagogiques, j’ai eu parfois le sentiment de décrocher ! Cela nous permettrait des échanges fructueux dans la perspective des décisions qu’il nous incombera de prendre – en tout cas, je l’espère ! – à partir de 2012.

M. Jean-Michel Villaumé. Qu’en est-il du projet Flexblue que vous développez avec AREVA ? Quels marchés peuvent s’ouvrir pour ce genre de réacteurs et qu’en est-il des risques auxquels le milieu marin serait éventuellement exposé ?

Puisqu’il a été question du laboratoire de recherche public-privé que vous projetez de créer avec ARKEMA, que pensez-vous de l’évolution de la recherche française dans le domaine des énergies photovoltaïques, dans un contexte de diminution des aides publiques ?

Mme Geneviève Fioraso. Comment le CEA participe-t-il à la formation des futurs ingénieurs du secteur nucléaire ? Quels sont les accords avec des pays émergents ou avec la Chine, dont les besoins en formation sont importants ? Forte de ses avancées, la France peut par ce moyen jouer un rôle de prescripteur, ce qui ne manquerait probablement pas de se traduire par des retombées économiques…

Représentant l’OPECST au conseil d’administration de l’ANDRA, je me demande si le CEA ne pourrait pas servir de médiateur entre celle-ci et EDF, afin de pacifier la discussion sur le stockage des déchets et de trouver un moyen terme entre la solution du tunnelier préconisé par l’une et celle de la machine à attaque ponctuelle souhaitée par l’autre.

Le CEA a beaucoup investi en faveur des énergies photovoltaïques, au travers du laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles (LITEN) et de l’Institut national de l’énergie solaire (INES) de Chambéry. Afin de sortir du moratoire « par le haut » – même si les choses semblent mal engagées –, envisagez-vous de nouer un partenariat avec un grand opérateur qui pourrait entraîner l’ensemble de la filière et stimuler la recherche ? Si oui, quel serait-il, sachant que M. Henri Proglio nous a dit avoir encouragé EDF-Énergies nouvelles à investir à l’étranger plutôt qu’en France, ce qui m’a particulièrement choquée de la part d’un opérateur public ?

Enfin, où en est la recherche s’agissant des smart grids, des véhicules et des batteries électriques ? S’agissant de ces dernières, l’utilisation de sites classés SEVESO ne serait-elle pas opportune, notamment pour les sites chimiques qui, pour diverses raisons, sont amenés à « réduire la voilure » ?

Mme Annick Le Loch. Lancée il y a maintenant quinze ans, la procédure de démantèlement de la centrale de Brennilis, dans le Finistère, pourrait reprendre en 2011, à commencer par les bâtiments, le réacteur devant faire l’objet d’un deuxième dossier. J’ai cru comprendre qu’il y avait à son propos débat entre une stratégie de démantèlement immédiat et une stratégie de démantèlement tardif, et que le CEA préconisait la seconde – avec un délai de cinquante ans – en raison d’un taux de radiations trop important. Est-ce exact ?

M. Bernard Bigot. Le CEA est en effet insuffisamment connu. Nous faisons pourtant des efforts pour y remédier : nous diffusons plusieurs dizaines de milliers de brochures, nous avons un site Internet… Mais nos activités sont concentrées sur dix sites en France, ce qui est très peu en comparaison, par exemple, du CNRS. Nous avons aussi des métiers qui n’appellent pas forcément de publicité : je pense à la conception des armes de la dissuasion ou des chaudières des sous-marins nucléaires. Je crois néanmoins que le CEA a tout intérêt à se faire connaître, et pour cela, nous comptons aussi sur vous !

La centrale Flexblue est inspirée des sous-marins nucléaires. D’une conception assez simple – une coque avec une chaudière à l’intérieur –, ces derniers présentent en effet l’intérêt d’une grande compacité. En outre, on se trouve dans un milieu relativement protégé, et il n’y a pas de problème de refroidissement. Cette piste mérite donc d’être explorée sérieusement, d’autant qu’elle ne présente pas de risque majeur. Des pays comme Singapour ou Bahreïn se disent déjà intéressés : ils tirent en effet 98 % de leur énergie des combustibles fossiles, appelés à se raréfier ; leurs territoires sont restreints et ils disposent de fonds de cinquante à cent mètres jusqu’à quelques kilomètres des côtes.

Autre piste intéressante : celle des petits et moyens réacteurs. Dans certaines situations, les réacteurs de très forte puissance ne sont pas adaptés. Il y a donc un marché potentiel pour des réacteurs de puissance comprise entre 25 et 300 mégawatts. Certes, leur coût sera supérieur à celui de la production à partir des combustibles fossiles, mais ils offriront en contrepartie la garantie d’une énergie accessible. Je recommande donc d’explorer cette voie aussi. Pour prendre un exemple, l’extraction du pétrole à partir des schistes bitumineux du Canada réclame d’énormes quantités de produits pétroliers pour fluidiser les matériaux et les séparer de l’eau. Un réacteur de 25 mégawatts produit en série, transportable et permettant de produire de la chaleur et de l’électricité localement ouvrirait donc des perspectives intéressantes. Les États-Unis, la Russie, le Japon et la Chine s’intéressent d’ailleurs de près à ce type d’équipement.

Les exigences de transparence et de contrôle sont considérables dans notre pays, monsieur Brottes. Elles supposent une forte mobilisation, mais c’est à juste titre. Le nucléaire est un atout formidable quand on le gère bien et proprement, mais il peut en aller tout différemment si on ne respecte pas ses règles de fonctionnement. Il est donc normal d’entretenir la vigilance et la culture de sûreté par des contrôles réguliers et par une obligation de transparence.

Vous êtes plusieurs à redouter que la recherche du profit n’affecte le bon fonctionnement de l’ensemble de la filière. Mais le nucléaire exige, pour qui a choisi ce métier, un énorme investissement initial – le coût du combustible et du fonctionnement étant modestes. Négliger les impératifs de sûreté et de professionnalisme, ce serait ruiner cet investissement. Je ne suis donc pas inquiet : même la recherche du profit exerce une force de rappel.

La prolifération est un véritable enjeu. Vous le savez, les technologies du nucléaire civil ne sont pas si éloignées de celles de l’explosif nucléaire. Il faut donc faire montre d’une grande vigilance. Le CEA est très mobilisé sur ces questions de sécurité globale. Nous développons ainsi des technologies élaborées pour faire de la détection précoce, qu’il s’agisse des conteneurs maritimes ou de la circulation dans les aéroports. Mais ce serait la matière de toute une audition, à laquelle je suis disposé à me prêter…

J’en viens à notre situation financière. Le CEA est très sollicité. Le Gouvernement et le Parlement nous accordent bien sûr des moyens. Je dois signer prochainement un contrat d’objectifs et de performance avec l’État qui va nous consentir une augmentation moyenne de 1,5 % par an. En contrepartie, on nous demande aussi de nous lancer dans la recherche sur les batteries, de faire un effort sur le nucléaire, de développer les technologies de l’information… Nous touchons donc à nos limites. À coûts complets, certains secteurs ne sont déjà plus subventionnés qu’à 17 % ou 18 % de la subvention et la situation à la direction de la recherche technologique est à cet égard critique. Nous devons donc faire attention. Nous avons beau être performants et signer des contrats de longue durée avec de grands partenaires, rien ne garantit que nous préservions la compétence et l’outil entre deux contrats. Et si nous sommes attractifs, c’est aussi que nous avons su investir par le passé. Après avoir fait le tour du monde pour trouver le centre de recherches sur lequel il allait s’appuyer pour la conception de batteries, un grand constructeur est finalement revenu à Grenoble, jugeant que nous étions les meilleurs au monde. Mais si nous avons un avantage compétitif majeur, c’est parce que nous nous attachons depuis des années à préserver nos compétences dans le domaine de la gestion intelligente de l’électricité.

Certes, le CEA est souvent considéré avec bienveillance par la puissance publique, mais la question financière reste une préoccupation. Je m’étais donné pour objectif de reconquérir un minimum de 30 % sur la direction de la recherche technologique. Je ne suis pas en capacité de le faire aujourd’hui. Nous sommes trop sollicités ; je refuse des dizaines et des dizaines de demandes de partenariat industriel faute de moyens, après avoir recruté 180 personnes l’an dernier, à Grenoble, pour répondre aux demandes portant sur les nouvelles technologies de l’énergie. Je suis prêt à revenir devant vous pour en reparler. Notre pays doit impérativement investir dans la technologie ; cela nécessite un minimum de leviers et il faut le faire très en amont, souvent dix ou quinze ans avant d’être en mesure de répondre à la sollicitation des industriels.

Les matériaux – et en particulier les matériaux de structure – sont un enjeu majeur, monsieur Gatignol, car les systèmes sont de plus en plus exigeants. Nous essayons donc de reconquérir une capacité métallurgique. Nous mettons actuellement au point à Saclay, avec nos partenaires universitaires, un moyen d’étudier très en détail le fonctionnement sous irradiation des matériaux de structure. Et puisque vous avez mentionné aussi les nano-matériaux, il existe aujourd’hui une variété d’acier appelée ODS – il s’agit d’acier classique auquel on mélange des quantités infinitésimales de petits oxydes métalliques, qui améliorent considérablement ses performances. En effet, un neutron qui sort d’un réacteur n’est pas arrêté par les champs magnétiques. C’est une boule de billard, qui va entrer en collision avec les atomes qui constituent l’acier et les déplacer – il faut savoir que, dans une centrale, chaque atome est ainsi déplacé quinze ou vingt fois en l’espace d’une année. Il importe pourtant de préserver la cohésion de ce matériau. Nous y sommes donc parvenus en dispersant de petites quantités de nano-matériaux qui freinent ces mouvements. C’est grâce à cela – grâce au CEA – que les TGV peuvent aujourd’hui rouler à plus de 300 kilomètres/heure : leurs roues sont fabriquées avec de l’acier ODS.

Entre l’EPR et les RNR, c’est de complémentarité, et non de concurrence, qu’il s’agit. Il y aura complémentarité jusqu’au moment où nous aurons assez de plutonium pour faire fonctionner un parc exclusivement composé de réacteurs à neutrons rapides. Au fur et à mesure que nous accumulerons du plutonium, nous pourrons en démarrer de nouveaux, si bien qu’au bout d’un certain temps, nous n’aurons plus besoin des réacteurs à neutrons thermiques. Il s’agit donc d’une transition progressive, avec un chevauchement entre les troisième et quatrième générations, ce qui exclut de fixer des proportions, monsieur Loos.

Le débat sur le coût du réacteur nouveau – supposé trop cher parce que trop complexe – est assez stérile, monsieur Gatignol. Il y a toujours une courbe d’apprentissage : la construction du premier réacteur à Fessenheim a été beaucoup plus longue que celle du trente-quatrième ! La vraie question est celle du prix que nous sommes prêts à payer pour une meilleure sûreté. Les réacteurs en fonctionnement sont confrontés à trois types de risques majeurs : la perte du circuit de refroidissement, qui est susceptible d’entraîner la fusion du cœur ; la dispersion des matières radioactives dans l’environnement et la non-résistance aux agressions – naturelles ou malveillantes. Il y a une certaine probabilité que ces risques se concrétisent avec la technologie d’aujourd’hui ; mais le retour d’expérience des quarante dernières années nous permet de diminuer cette probabilité d’occurrence, au stade de la conception, d’un facteur supérieur ou égal à 10. C’est l’idée qui a prévalu pour la génération à venir. Ces réacteurs ne sont pas trop complexes. Simplement, il faut prendre au début des marges de sécurité qui peuvent être réduites à mesure que l’on engrange de l’expérience.

J’en viens à l’enrichissement de l’uranium. La technologie développée en France a été celle de la diffusion gazeuse. Nous n’avons pas su prendre le virage de l’ultracentrifugation : nos responsables politiques ont choisi d’y renoncer dans les années 1960 au profit de la séparation par laser, qui s’est révélée bien trop complexe pour supporter un déploiement industriel. Nous avons aujourd’hui repris l’ultracentrifugation, avec l’inauguration récente de l’usine Georges Besse II sur le site du Tricastin. Cette technologie permet la séparation des produits recyclés – qui s’effectuait jusqu’à présent en Russie.

Vous avez raison, le MOX est une première étape de consommation du plutonium. Dans la perspective de la généralisation des réacteurs à neutrons rapides, c’est une bonne stratégie de préparer des combustibles mixtes oxyde d’uranium-oxyde de plutonium.

Nous sommes très investis dans le photovoltaïque solaire. L’histoire du CEA est à cet égard intéressante. Nous avons commencé par le nucléaire, qui requiert des capacités d’automatisme. La France a donc, au milieu des années 1960, sollicité les États-Unis pour qu’ils lui fournissent des composants microélectroniques « durcis » – résistants aux radiations –, ce qui lui a été refusé. Le CEA a alors été chargé de développer sa propre microélectronique. Je note d’ailleurs qu’il avait besoin pour ce faire de 800 personnes supplémentaires et qu’elles lui ont été accordées immédiatement.

M. Daniel Paul. Belle époque !

M. Bernard Bigot. C’est ainsi que nous avons acquis la maîtrise des technologies du silicium et que nous avons été le seul pays avec les États-Unis à avoir développé de manière autonome la technologie nucléaire.

La même logique de cohérence prévaut en ce qui concerne notre investissement dans le photovoltaïque. Le défi le plus important est ici celui de la durée des équipements – car une fois ceux-ci installés, l’économie est réelle. Le deuxième défi est celui du rendement ou de la performance, le troisième celui de la compétitivité économique. Il faut donc être extrêmement innovant. Sachez que le CEA détient quelques records mondiaux dans ce domaine !

La France doit impérativement développer les technologies solaires, à la fois pour son propre usage et pour conquérir des marchés extérieurs, condition de viabilité d’une industrie. Or aujourd’hui, le consommateur français subventionne à grand prix les productions chinoises – qui ne sont garanties que dix ans, contre trente pour les panneaux solaires produits en France, et dont les rendements sont bien inférieurs. On nage donc en pleine absurdité : les dispositifs de soutien ne profitent pas à notre industrie.

Ce serait pourtant simple. Lorsqu’on fait du solaire en France, le retour sur investissement CO2 est de trois ans. Je m’explique : pour produire un panneau solaire, il faut consommer de l’énergie – et donc dégager du CO2. Trois ans après, vous aurez produit suffisamment d’électricité propre pour compenser cette émission initiale. En Chine, ce retour sur investissement est de vingt-cinq ans. Lorsque vous installez en France un panneau solaire chinois garanti dix ans, vous produisez donc plus de CO2 que vous n’allez en éviter !

Mme Geneviève Fioraso. Il faut une certification !

M. Bernard Bigot. Il suffit de demander une garantie « CO2 positif » au constructeur. Mais cela relève de la réglementation – dont le CEA n’est pas maître.

M. le président Serge Poignant. Un rapport est en cours…

M. Bernard Bigot. Le contexte évolue. Le capital d’AREVA va être ouvert. Le CEA a contribué à créer de la valeur en créant une filière nucléaire ; il a donc reçu des actions d’AREVA en contrepartie de la création de celle-ci, dans les années 1950, mais c’était un actionnaire « muet », ces actions n’étant pas transmissibles. Sachant qu’AREVA est le fruit de l’investissement public, il est logique qu’au moment où il nous faut financer le démantèlement, on utilise cette ressource patrimoniale à défaut d’obtenir des subventions supplémentaires : c’est le sens de l’accord qui vient d’être passé.

Il est important que les efforts des acteurs français soient coordonnés. Pour répondre à M. Paul, il faut bien sûr un pilote dans l’avion – et celui-ci ne peut être que l’État. On ne fait pas de nucléaire sans réglementation ni garantie de la puissance publique. Je note d’ailleurs qu’en dépit des ouvertures de capital, EDF, AREVA et le CEA restent sous forte tutelle de l’État.

M. François Brottes et M. Daniel Paul. Pas GDF-Suez !

M. Bernard Bigot. Si, puisqu’il y a une golden share. Du reste, GDF-Suez n’exploite pas d’installations nucléaires sur notre territoire.

Si nous voulons tirer le meilleur parti de notre investissement public, il faut donc un État fort dans le domaine nucléaire. Nous avons d’ailleurs eu de grands ministres qui connaissaient les enjeux et étaient capables de conduire un dialogue ferme avec l’ensemble des acteurs pour imposer une politique coordonnée et de long terme. Cela n’empêche pas la réussite d’entrepreneurs – c’est même la meilleure chose qui peut leur arriver.

Plutôt que d’acceptabilité du nucléaire, je préfère parler d’appropriation : nos concitoyens doivent mesurer les bénéfices comme les risques de cette technologie. La Suède, qui avait été l’un des tout premiers pays à développer le nucléaire, a décidé par référendum, dès 1980, de ne pas renouveler son parc, principalement au motif qu’on ignorait comment gérer les déchets. Mais elle a mené une politique active de gestion de ces déchets dont elle a commencé à engranger les fruits en 2003-2004. À la même époque, le pacte jusque là en vigueur entre les pays scandinaves – qui prévoyait la fourniture réciproque d’électricité en cas de besoin – a été dissous. En trois ans, la facture d’électricité moyenne des Suédois a doublé, si bien que 85 % d’entre eux ont finalement estimé qu’il fallait relancer le nucléaire dans leur pays ! Trois ans plus tard, le Parlement votait la construction d’une nouvelle installation.

Il s’agit donc, je le répète, de comprendre quel bénéfice il y a à investir dans cette technologie, sachant que la raréfaction des combustibles fossiles est inéluctable. On ne fait pas du nucléaire par plaisir, mais par nécessité !

D’ici vingt, trente ou cinquante ans, les combustibles fossiles seront en voie d’épuisement. C’est une échelle de temps qui n’a rien à voir – du moins je le souhaite – avec l’espérance de vie de l’humanité. Bref, pour offrir un avenir à notre planète en termes d’énergie, il n’y a pas d’autre solution que de combiner deux types de ressources. La première est constituée par les énergies renouvelables, mais elles restent handicapées par leur intermittence et leur dispersion. On ne pourra donc pas s’en contenter dans un monde de neuf milliards d’habitants et, en tout état de cause, il faudra traiter le problème du stockage. Il faut donc une source d’énergie garantissant la continuité de la production énergétique et son caractère massif. À long terme, je ne vois que le nucléaire pour cela.

Les combustibles fossiles ne sont rien d’autre qu’un stockage intermédiaire d’énergie nucléaire. C’est en effet la fusion qui se produit dans le soleil qui a permis la conversion du dioxyde de carbone et de l’eau pour former les végétaux qui, enfouis, subissent une transformation chimique de cent millions d’années – dont nous sommes en train d’épuiser le résultat en deux cents ans !

Si le nucléaire est la solution, c’est parce que les réactions nucléaires sont infiniment plus difficiles que les réactions chimiques. La probabilité qu’elles se produisent est donc beaucoup plus faible – presque un million de fois – mais l’émission d’énergie consécutive est un million de fois plus grande de sorte que, lorsqu’on parvient à obtenir une telle réaction, on en tire largement bénéfice. Autrement dit, les lois de la physique font du nucléaire la source d’énergie durable.

J’en viens à la cohabitation avec ITER. Nous maîtrisons aujourd’hui le nucléaire de fission, mais il a ses limites. Ainsi, l’uranium n’est pas inépuisable. Les réserves s’élèvent à 6 millions de tonnes disponibles au coût actuel, avec 14 millions en prospective. Or nous en consommons 60 000 tonnes par an. La ressource ne se compte donc pas en millénaires ! D’autre part, le nucléaire fournit aujourd’hui 6 % de l’énergie mondiale mais, pour porter cette part ne serait-ce qu’à 25 %, il faudrait multiplier la production par huit, et non par quatre, sachant que la demande d’énergie devrait doubler d’ici à 2050… Bref, nous ne pourrons pas compter éternellement sur le nucléaire de fission. Il nous faut donc explorer la voie de la fusion, pour laquelle les ressources sont beaucoup plus abondantes puisqu’il s’agit essentiellement des isotopes de l’hydrogène. Les deux pistes ne sont donc pas exclusives l’une de l’autre, surtout dès lors qu’un accord international nous ouvre la possibilité d’une démonstration grandeur nature de la technologie de fusion sur un seul équipement.

Il est exact que les États-Unis s’emploient à utiliser au maximum les gaz de schiste, en recourant à des techniques de fracturation qui passent par l’injection dans le sous-sol de grandes quantités d’eau et de produits chimiques. Quoi qu’il en soit, comme l’a d’ailleurs reconnu le président Obama, cela ne fait que repousser la difficulté de quelques années. Certes, le prix du gaz a été divisé par quatre en moins de trois ans, mais ce n’est pas à l’échelle de quelques années qu’il faut réfléchir. Investir dans une centrale nucléaire vous assure soixante ans de production ! Il me semble que l’indépendance énergétique est un enjeu suffisamment important pour justifier une diversification et j’essaye donc de convaincre nos amis américains qu’ils ont tout intérêt à reconquérir une vraie maîtrise du nucléaire. Je fais d’ailleurs un travail similaire auprès d’EDF qui hésite à s’engager dans la construction d’une centrale.

La France sera-t-elle autonome en 2050 ? Aujourd’hui, notre énergie provient à 50 % des combustibles fossiles. En 2003, nous dépensions 23 milliards pour nos importations ; en 2008, 50 milliards. En 2003, un Français travaillait en moyenne 19 jours pour y subvenir ; en 2008, on est passé à 48 jours. Il faut nous libérer de cette contrainte.

Les combustibles que nous utilisons sont principalement employés dans les transports, l’habitat et l’industrie. S’agissant des transports, nous avons l’opportunité de sortir de cette dépendance avec le véhicule électrique et avec les biocarburants de deuxième et troisième générations. Avec le nucléaire dont il dispose, notre pays peut développer le véhicule électrique. C’est « jouable », puisque 36 millions de véhicules particuliers et utilitaires n’exigent que 15 % de production électrique supplémentaire. En effet, le rendement du moteur électrique est six fois celui du moteur thermique. Alors que 90 % des transports journaliers se font sur moins de 150 kilomètres, le CEA s’est fixé pour objectif de garantir à l’horizon 2015 une batterie permettant d’en effectuer 200. Il faut tirer profit du fait que la voiture est immobilisée vingt heures par jour pour recharger sa batterie en la connectant au réseau, en mettant de l’intelligence dans celui-ci – il doit reconnaître que la voiture est branchée quelque part, pour tant d’heures, et a besoin d’être rechargée.

En ce qui concerne le bâtiment, tout est affaire de conception et de stockage des énergies renouvelables – piles à combustible, pompes à chaleur… Le CEA a élaboré une réflexion qui fonde sa stratégie de recherche : exonérer notre pays de la dépendance énergétique. Nous avons besoin, en moyenne annuelle, d’une puissance instantanée de 60 gigawatts, mais avec des pics à 95 gigawatts et des « creux » à 30 : nous avons la capacité d’y faire face.

L’électricité produite par le nucléaire peut aussi être utilisée pour décomposer l’eau et produire de l’hydrogène, qui peut lui-même se mélanger jusqu’à 20 % avec le gaz naturel – on peut donc prolonger la durée de vie de celui-ci – ou être utilisé directement comme carburant. Bref, nous avons de quoi avancer !

En ce qui concerne l’ANDRA, ne vous méprenez pas : nous ne sommes pas en conflit sachant que le démantèlement des centrales exigera déjà une dizaine de milliards d’euros. La question de l’optimisation technico-économique du stockage des déchets est primordiale. Une fois sa faisabilité technique démontrée par les travaux menés dans le cadre de la loi Bataille de 1991, il reste à optimiser, dans le respect de la priorité absolue qu’est la sûreté, sa mise en œuvre industrielle. Ce que demandent le CEA, EDF et AREVA, c’est qu’un cadre soit établi sous l’autorité de l’État pour pouvoir débattre avec l’ANDRA des différentes options industrielles. Le dialogue est en train de s’installer. Je pense que nous trouverons les moyens de progresser.

Mme Geneviève Fioraso. Dans quel délai ?

M. Bernard Bigot. Le délai est fixé par la loi : nous devons vous présenter avant 2013 un schéma industriel robuste. L’ANDRA souhaitait commencer avec le schéma existant et l’optimiser plus tard. Nous préférions pour notre part – je le dis sans polémique – prendre le temps de la réflexion et optimiser dès maintenant car certaines options sont irréversibles.

J’en viens à la contamination au tritium, à Saint-Maur. La vapeur d’eau qui sort d’une installation où on a manipulé le tritium est « tritiée ». On utilise alors un tamis moléculaire, sorte d’éponge à la capacité d’absorption considérable, qui permet de récupérer l’eau tritiée et donc de préserver l’environnement. L’équipement en cause dans cette affaire, utilisé dans les années 1996, avait été décontaminé au maximum. On avait estimé qu’avec les techniques de l’époque, on ne pouvait plus en extraire l’eau tritiée qui pouvait encore s’y trouver. Pour vous donner une idée de la difficulté, cela équivalait à récupérer moins d’un litre réparti sur quelques dizaines de milliers de terrains de football ! Cette présence résiduelle est même pratiquement indétectable. Cet équipement a donc été considéré comme neuf. À la suite d’une erreur de transcription, le « considéré comme neuf » est devenu « neuf ». C’est un défaut d’organisation – et nous l’assumons – même si le risque était très limité.

Le tamis moléculaire a été mis à la disposition d’une entreprise pour essayer d’améliorer le procédé de désorption dans des conditions de plus haute température et de plus grande pression. C’est lors de ces opérations que le tritium est sorti. Il n’y a pas eu d’impact sanitaire important – seul un employé de cette entreprise présentait des taux anormaux –, mais nous avons immédiatement pris des dispositions : tout matériel non neuf a désormais un étiquetage particulier. Il ne peut plus sortir des sites du CEA sans qu’on ait vérifié qu’il ne subsiste pas de quantités résiduelles de matière.

Le tritium est un produit faiblement radioactif : ses rayonnements sont arrêtés par une feuille de papier. Il ne peut donc pas être détecté s’il est enfoui à l’intérieur du tamis moléculaire. Nous n’en sommes pas moins désolés de ce qui est arrivé.

Pour développer des technologies efficaces, il faut des matériaux. Pour les batteries, il s’agit de matériaux polymères haute performance. Nous sommes capables de définir et de tester les performances que nous attendons, mais nous ne sommes pas chimistes. Nous avions donc intérêt à nous associer avec un grand de ce secteur – ARKEMA – pour développer des produits qui puissent assurer un avantage compétitif à notre pays.

Pour les nouveaux entrants, nous avons, à la demande du Président de la République et du Gouvernement, créé un Institut européen de l’énergie nucléaire, qui vise à accueillir et à former les jeunes scientifiques qui le souhaitent. Les entreprises françaises ont ici un véritable atout : ces pays n’ont pas seulement besoin d’un équipement, mais aussi d’un accompagnement en tant qu’exploitants.

PETAL vise pour l’instant, principalement, à nous permettre d’explorer un état de la matière qui n’est pas accessible aujourd’hui : l’état des plasmas de très haute densité et très haute température. Il ne faut pas survendre les possibilités qu’offre cette technologie – la fusion par compression laser – pour produire de l’énergie. Il s’agit d’amener à la fusion de toutes petites billes de tritium et de deutérium, à une température proche du zéro absolu ; or nous ne sommes capables actuellement que de mener des sessions de huit heures. Nous ne pouvons donc nous accommoder d’une énergie si intermittente. Le Petawatt est donc un outil formidable pour faire progresser la connaissance fondamentale mais, à ce jour, ses perspectives de développement énergétique ne sont pas démontrées.

Concernant le calendrier et les conditions financières de déploiement du parc, je crois que c’est la compétitivité qui joue.

Nous travaillons activement sur les carburants de deuxième génération, dans la perspective de nous exonérer de la dépendance énergétique. Il s’agit de gazéifier la biomasse, de produire l’hydrogène et de les combiner.

M. Jean-Yves Le Déaut. Où en êtes-vous dans ce projet de biomasse de deuxième génération ? Combien avez-vous investi ? Combien vous faut-il encore ? Les investissements d’avenir vont-ils vous aider ?

M. Bernard Bigot. Nous en sommes à la définition avancée du projet. Nous avons investi 24 millions d’euros pour aboutir à ce résultat d’ingénierie. Un certain nombre d’investisseurs ont accepté de nous accompagner pour la réalisation, mais ce n’est pas tout à fait suffisant. En tout état de cause, la décision appartient à M. Ricol.

Vous pouvez être rassurés : le CEA développe ses différents centres de manière équilibrée. Il n’est donc pas question de relocalisation à Saclay, même si nous y nouons des partenariats, par exemple pour travailler sur le photovoltaïque.

Quel développement pour ASTRID ? Tous les pays qui ont investi dans le nucléaire de manière significative et durable ont intérêt à recourir à cette technologie. Les Chinois et les Russes sont donc très volontaristes, mais nous ne sommes pas en reste. À ce jour, aucun réacteur au monde n’a été à même d’utiliser un mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium. Il y a là des développements potentiels.

En ce qui concerne la formation des étudiants, madame Fioraso, nous avons signé un accord avec les Chinois pour développer à proximité de Canton un centre de formation qui forme chaque année cent ingénieurs.

S’agissant du photovoltaïque, nous avons réussi à constituer une « équipe France » avec certains grands opérateurs qui s’étaient d’abord tournés vers l’étranger et ont finalement reconnu que nous étions les meilleurs.

En ce qui concerne la centrale de Brennilis, la stratégie du CEA consiste à démanteler aussi tôt que possible après la fin de vie du réacteur, tout simplement parce qu’il y a encore un effet mémoire : tout n’est pas consigné dans les livres, nous avons besoin des connaissances accumulées par ceux qui ont fait fonctionner les installations. Je regrette donc les combats d’arrière-garde : ce n’est pas en retardant le démantèlement que l’on sert l’environnement.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie pour cette intéressante audition. Je pense même que nos collègues seraient heureux de disposer d’un document récapitulatif, notamment sur les troisième et quatrième générations de réacteurs et sur les combustibles.

M. Bernard Bigot. Je vous propose de vous adresser une note succincte, dans laquelle j’éviterai d’être trop technique – mais on ne peut prétendre débattre de ces questions, et a fortiori prendre des décisions, sans un minimum d’« investissement » intellectuel.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 1er février 2011 à 17 h 15

Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. François Brottes, M. William Dumas, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Gatignol, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Louis Guédon, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Annick Le Loch, M. François Loos, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, Mme Josette Pons, M. Jean Proriol, M. Franck Reynier, M. Francis Saint-Léger, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Jean Auclair, M. Bernard Gérard, M. Gérard Hamel, M. Michel Lejeune, Mme Anny Poursinoff, M. Alfred Trassy-Paillogues