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Commission des affaires économiques

Mercredi 2 février 2011

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 41

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)

La commission a auditionné M. André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

M. le président Serge Poignant. Lors de nos auditions consacrées à la filière nucléaire, les commissaires de tous bords ont affirmé avec force leur intransigeance en matière de sûreté nucléaire. C’est dire le rôle central que revêt l’autorité que vous présidez dans l’avenir de la filière.

Pourtant, votre action a récemment soulevé de la part des acteurs de cette filière des critiques, qui ont été relayées, à mots couverts, par le rapport Roussely : « La seule logique raisonnable ne peut pas être une croissance continue des exigences de sûreté. Dans ce contexte, il est proposé de lancer, sous la responsabilité de l’État, un groupe de travail dont la mission serait de formuler des propositions en vue d’associer au mieux exigences de sûreté et contraintes économiques, en incluant une vision internationale, a minima européenne. ».

Le rapport indique par ailleurs qu’« en France, il convient que l’État définisse un modus vivendi équilibré avec l’Autorité de sûreté, c’est-à-dire réaffirme le rôle régalien qu’il ne devrait pas abandonner à une autorité indépendante. ».

Cela me conduit à vous poser plusieurs questions : que pensez-vous de ces propos ? Comment jugez-vous le niveau de sûreté des installations françaises au regard de vos propres critères ? Les normes imposées par l’ASN défavorisent-elles la filière française dans un contexte de compétition internationale ? Avez-vous un avis sur les réacteurs installés dans les pays étrangers ? Le réacteur que les Coréens ont vendu aux Émirats arabes unis aurait-il répondu à vos critères de sûreté ? Enfin, quels travaux menez-vous au sein des associations internationales des responsables d’autorités de sûreté nucléaire ? Peut-on espérer une harmonisation internationale des règles en la matière ?

M. André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Avant de présenter l’ASN, je souhaite apporter deux précisions. D’abord, je préside une autorité de sûreté nucléaire civile, distincte du Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense (DSND), ce qui ne nous empêche pas de travailler en parfaite coordination ni d’échanger des personnes ou des idées. Ensuite, je n’ai pas connaissance du rapport Roussely, mais seulement de sa synthèse publique et de ses recommandations et je n’ai participé à aucune réunion destinée à en tirer les conséquences.

L’ASN est chargée d’assurer au nom de l’État le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France pour protéger les travailleurs, le public, les patients et l’environnement des risques liés au nucléaire. Corollairement, elle contribue à l’information des citoyens. Ces deux actions – de contrôle et d’information – sont tout à fait liées.

Nous nous efforçons de mettre en œuvre quatre valeurs, avec toute la force qui s’attache à ce terme : compétence et rigueur d’un côté ; indépendance et transparence de l’autre.

Nous contrôlons deux types d’activités : d’une part 150 grosses installations, que sont les réacteurs d’EDF ou du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ou bien l’usine de retraitement de La Hague, d’autre part ce que nous appelons le nucléaire de proximité, à savoir tout ce qui utilise des sources radioactives dans l’industrie, la recherche ou la médecine. Le contrôle de la radioprotection dans le domaine médical est pour nous une activité de plus en plus importante. Nous avons commencé par nous intéresser à la radiothérapie, notamment à l’occasion de l’affaire d’Épinal et nous développons notre activité dans ce secteur.

Quatre points principaux caractérisent notre façon de travailler. En premier lieu, une vision élargie de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, qui prend en compte la protection de l’environnement, l’inspection du travail, la sécurité – c’est-à-dire la protection contre le terrorisme –, mais aussi les aspects techniques, humains et organisationnels. En deuxième lieu, la croyance en la nécessité d’un progrès continu : quand des progrès sont enregistrés, nous devons les appliquer en matière de sûreté. Troisièmement, nous avons des procédés très structurés pour prendre nos décisions, que nous voulons aussi équilibrées que possible : à côté de nos compétences propres, nous disposons de l’appui technique de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de groupes d’experts ; nous engageons par ailleurs des discussions approfondies avec les exploitants, qui peuvent faire valoir tous leurs points de vue. Enfin, quel que soit le sujet, nous examinons toujours comment il est traité dans d’autres pays.

Pour le moment, nos moyens sont suffisants pour remplir nos missions. Très présents au plan international, nous voulons aussi rendre compte de nos activités, en particulier au Parlement, ce qui nous prend un temps considérable : nous présentons chaque année notre rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, le prochain rendez-vous étant fixé au 30 mars.

L’ASN est marquée par quatre évolutions principales. En ce qui concerne nos compétences, nous approfondissons nos activités dans le domaine médical : nous contribuons à mettre davantage en ordre les 180 services de radiothérapie en France, du point de vue de l’organisation, des compétences et du personnel – les progrès dans ce domaine sont considérables ; nous nous occupons aussi de la radiologie « interventionnelle », c’est-à-dire celle utilisée à l’occasion d’interventions – cardiologiques, neurologiques ou autres – et nous allons prendre une position importante sur l’augmentation des doses reçues en matière d’imagerie médicale – liée à une multiplication des examens et des prescriptions pour de mêmes patients –, laquelle peut conduire à une épidémie de cancers de deuxième rang. C’est un sujet difficile mais majeur.

En matière de transparence à l’égard des citoyens, au-delà de la communication que nous menons depuis longtemps sur les incidents, nous publions désormais sur notre site Internet les 2 000 lettres d’inspection que nous produisons chaque année ; nous poussons les exploitants à être également transparents et cherchons à susciter un débat sur les principaux sujets.

Troisièmement, si nous sommes indépendants de l’exploitant depuis longtemps, nous le sommes également du Gouvernement depuis la loi du 13 juin 2006 qui nous a conféré le statut d’autorité administrative indépendante : parfois, nous nous définissons sous une forme qui peut paraître rudimentaire aux juristes : « un morceau d’État qui ne rapporte pas au Gouvernement »…

Sous notre précédent statut, pour le premier réacteur construit en France à Flamanville, nous avons été amenés à suspendre un chantier de bétonnage dont la qualité nous paraissait insuffisante, à arrêter un chantier de soudage sur le liner – revêtement intérieur en acier –, à obliger Areva à déclasser une partie d’un appareil construit en Italie et à prendre une position rigoureuse sur le « contrôle commande ».

Sous notre nouveau statut, nous sommes conduits, dans le domaine médical, à suspendre le fonctionnement de centres de radiothérapie, décision très difficile et douloureuse puisqu’elle consiste – tout en laissant les patients terminer leurs soins – à empêcher de nouveaux malades de s’inscrire dans les centres concernés et à les obliger à aller se faire soigner ailleurs en ambulance. Nous ne prenons ce type de décision qu’après mûre réflexion et lorsque les précautions en matière d’organisation, d’équipement et de personnels sont manifestement insuffisantes ; il ne s’agit pas tant de sanctionner les centres que de les obliger à se mettre en ordre.

Notre nouveau statut nous permet également de prendre position sur des sujets globaux. Nous avons par exemple indiqué publiquement qu’il fallait aux pays émergents qui se lancent dans les programmes nucléaires dix à quinze ans avant de pouvoir imaginer construire une centrale ; plus récemment, nous avons fait savoir qu’il n’était pas acceptable de concevoir dans le monde une sûreté nucléaire à deux vitesses.

La quatrième évolution touche le domaine international, où des efforts importants de coopération et de coordination sont réalisés, dans un cadre bilatéral ou mondial. C’est particulièrement le cas en Europe : une directive sur la sûreté nucléaire a été adoptée en juin 2009 – ce qui était inimaginable quelques années auparavant, lorsque la France considérait qu’elle se portait d’autant mieux que l’Union européenne intervenait peu dans ce domaine… Une directive sur les déchets est également attendue, peut-être d’ici la fin de l’année. Les responsables des dix-sept autorités de sûreté des pays nucléaires de l’Union et de la Suisse sont regroupés au sein de la WENRA (Western European Nuclear Regulators' Association), dont les membres prennent des positions conjointes, comme ils l’ont fait dernièrement, à l’unanimité, pour fixer les objectifs de sûreté pour les nouveaux réacteurs nucléaires du continent. Ces objectifs sont proches de ceux du réacteur EPR, sans en faire toutefois mention : nous espérons une « couverture politique » de cette déclaration technique à l’occasion du Conseil européen de Bruxelles du 4 février prochain, qui sera consacré à l’énergie. Nous entendons constituer à terme un pôle européen de sûreté nucléaire et de radioprotection partageant certaines idées – telles que la vision intégrée de la sûreté ou le progrès continu –, que nous souhaitons confronter avec celles de nos collègues américains puis asiatiques. Sur ce type de sujet, la position française a du poids, mais elle ne pèsera vraiment que si elle s’inscrit dans un cadre européen, ce qui suppose de bâtir des points de vue partagés.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie d’avoir rappelé les missions de l’autorité que vous présidez et notamment le rôle moins connu qu’elle joue dans le domaine médical.

Mme Laure de La Raudière. On constate des investissements dynamiques en matière nucléaire dans le monde ; or, nous avons en France des champions mondiaux, que nous souhaiterions voir prendre des parts de marché. J’aimerais donc savoir si le marché remporté par nos concurrents coréens aux Émirats arabes unis l’a été avec les mêmes normes de sécurité que celles imposées au consortium Areva-EDF ?

Je salue les travaux menés en Europe pour harmoniser les règles en matière de sûreté nucléaire et de déchets : la réglementation française est-elle plus sévère que les deux directives que vous avez évoquées ou celles-ci s’en sont-elles inspirées ?

Enfin, j’entends parler de risques d’introduction illégale et non déclarée de sources radioactives en France, en raison de nos nombreuses frontières maritimes. De quels moyens nous dotons-nous pour nous protéger de ce phénomène ? Quel est l’état de votre réflexion ?

M. François Brottes. Votre responsabilité est l’une des plus importantes qui soient dans notre pays. Fait fort rare, votre mandat vous a été donné à l’unanimité par le Parlement, qui s’est beaucoup impliqué dans la rédaction de votre statut, préparé sous un gouvernement de gauche et adopté sous un gouvernement de droite. Le législateur vous a conféré – à juste titre au regard de la sécurité capitale dont vous avez la charge – une forte indépendance, contrairement à ce qu’il a tendance à faire vis-à-vis des autorités administratives chargées de réguler les services ou les marchés, pour lesquelles il est plus timoré.

Les membres du groupe SRC considèrent que vous faites un excellent travail et que l’attitude que vous avez eue jusqu’ici est assez exemplaire : vous avez l’impérieuse obligation de poursuivre dans cette voie. Pour autant, votre statut comporte-t-il encore des lacunes qui justifieraient une nouvelle intervention du législateur ?

Un point d’équilibre a finalement été trouvé dans vos rapports avec l’IRSN : quel est votre avis à ce propos ? J’ai cru comprendre que vous souhaitiez faire de cet organisme
– source d’informations et de recommandations utiles – un outil intégré, ce qui ne fait pas l’unanimité parmi nous.

Après l’adoption de la loi NOME, relative à la nouvelle organisation du marché de l’électricité, que nous-mêmes n’avons pas votée, on assiste à des discussions de marchands de tapis sur le prix de l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), qui dépend du coût de la sécurité que vous êtes chargé de contrôler : avez-vous été auditionné à ce sujet par la commission de travail de M. Paul Champsaur ou par le régulateur, comme cela devrait être le cas ?

Lorsque vous rendez publique une décision, les motifs n’en sont pas toujours connus, ce qui peut créer une difficulté, le débat portant plus sur les raisons que l’on suppose que sur la décision elle-même ; or, pour le citoyen ou pour le marché, ces motifs ont autant d’importance : pouvez-vous améliorer la transparence dans ce domaine ?

M. Jean Dionis du Séjour. La famille politique centriste a toujours été favorable aux autorités indépendantes, notamment lorsque l’État était impliqué dans son pouvoir de régulateur et d’actionnaire, ce qui était particulièrement le cas dans le domaine nucléaire, en tout cas avant l’élaboration du statut de 2006, l’État détenant alors 87 % du capital d’EDF. Ce statut nous paraît donc tout à fait adapté.

S’agissant de la prévention, pouvez-vous dresser l’historique des accidents que vous avez constatés dans l’industrie nucléaire, en fonction de leur degré de gravité ?

Quelle sera par ailleurs la position de l’ASN sur la prolongation de la durée de vie de nos centrales ? Soutiendrez-vous une prolongation jusqu’à soixante ou soixante-dix ans, sachant que les États-Unis ont tendance à les faire durer plus longtemps que nous ?

Vous vous êtes dit hostile à une sûreté nucléaire à deux vitesses dans le monde : comment jugez-vous l’offre du consortium Areva-GDF puis Areva-EDF au regard du niveau de sûreté français ? Peut-on accéder au dossier coréen ? Des procédures internationales permettent-elles de vérifier qu’il n’y a pas concurrence déloyale ?

Pouvez-vous par ailleurs préciser les risques de cancer de deuxième catégorie dont vous nous avez dit qu’ils étaient liés à l’accroissement des doses radiologiques en matière médicale ?

Enfin, quel contrôle exercez-vous sur l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA ? J’ai été choqué que les procédures de recherche de sites fassent l’objet d’un appel d’offre à l’égard des communes. Cela me paraît contraire à ce qu’il conviendrait de faire : un projet d’intérêt national appelle une approche globale. Avez-vous votre mot à dire, à titre préventif, sur la procédure de sélection des sites d’enfouissement ?

M. le président Serge Poignant. Je rebondirai sur les propos de M. Dionis du Séjour concernant le prolongement de la durée de vie des centrales : quels points examinez-vous préalablement à la délivrance de l’autorisation de prolongation ?

Mme Frédérique Massat. Vous êtes accusé d’en faire trop en tant que « gendarme » du nucléaire ; un ministre aurait même dit : « Bien sûr que l’Autorité dépasse les bornes quand elle dit qu’elle ne veut pas d’autres réacteurs que l’EPR à l’exportation : elle sort de son rôle ; elle doit valider les dossiers et non faire la politique nucléaire de la France. ». Le rapport Roussely recommande d’ailleurs de réexaminer la mission de l’ASN : « Il convient, dit-il, d’éviter que des événements de portée très limitée conduisent à jeter une suspicion injustifiée sur l’ensemble d’une technologie. ». Qu’en pensez-vous ?

S’agissant du financement de l’IRSN, il avait été question en novembre dernier que l’État réduise de 12 % le budget de cet organisme et que l’on crée en compensation une redevance payée par les industriels comme EDF ou Areva, sous la forme d’un montant forfaitaire pour chaque dossier : quel est votre avis à ce sujet ?

Vous avez dit que vous alliez examiner la question de la sous-traitance d’EDF dans l’entretien des centrales nucléaires : pourriez-vous préciser votre point de vue ?

La loi NOME aura par ailleurs des conséquences sur l’équilibre financier d’EDF ; le président Henri Proglio nous a indiqué que le coût de revient de l’électricité nucléaire produite par EDF était de 46 euros par MWh et qu’il pouvait accepter de la vendre à 42 euros mais que cela lui coûterait 10 milliards sur 4 ans : quelles conséquences le prix de l’ARENH va-t-il avoir sur la sûreté des centrales nucléaires du groupe en France ?

Enfin, un test des scanners corporels a été lancé à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Je suppose que vous allez être amenés à les contrôler ; présentent-ils un risque pour la santé des personnes qui prennent souvent l’avion ?

M. Louis Cosyns. Après l’audition par notre commission des présidents d’EDF, d’Areva, de GDF Suez et de l’ANDRA, il me semble que tout ne va pas très bien dans le nucléaire français, en attestent l’échec de l’appel d’offre d’Abou Dhabi, qui paraît avoir été mal conçu, les retards enregistrés par l’EPR de Flamanville, le rappel à l’ordre que vous avez adressé à EDF à propos des insuffisances du contrôle commande sur ce même réacteur ou les déboires accumulés par le chantier d’Areva en Finlande. Que pensez-vous de ces difficultés ?

Le process d’EPR a-t-il encore un avenir sur les marchés mondiaux, notamment en Chine et en Inde ?

Dans le domaine médical, les études sanitaires réalisées autour des sites nucléaires montrent qu’on n’enregistre pas davantage de cancers dans ces endroits qu’ailleurs, à l’exception du cancer du pancréas chez la femme, qui est rare et foudroyant. Bien qu’il n’y ait pas de preuve d’un lien de cause à effet, quelles mesures avez-vous prises dans ce domaine ?

Enfin, un commissaire du Gouvernement siège-t-il au sein de l’ASN ?

Mme Pascale Got. Avez-vous les moyens d’adapter votre contrôle à l’évolution rapide de la technologie nucléaire ?

Quelle est votre position vis-à-vis de la volonté d’EDF d’être aussi constructeur et responsable de centres d’enfouissement, ce qui l’oppose à l’ANDRA ? Vos services ont épinglé en 2009 les laboratoires du groupe : quelle est votre politique à l’égard des exploitants qui estiment avoir un rôle à jouer en matière de sûreté ?

Quel type de relations, voire de complémentarité, avez-vous avec l’ANDRA ?

Par ailleurs, au regard des aléas météorologiques récurrents qui affectent cette partie du territoire, que pensez-vous de la fragilité de la centrale du Blayais, située en bordure d’estuaire de la Gironde ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Vous jouez à l’évidence un rôle primordial dans le développement du nucléaire : si d’aventure un grave problème survenait en France ou ailleurs, son avenir serait compromis.

En matière de contrôle, vous avez indiqué que les références internationales étaient toujours prises en compte. Or j’ai lu que vos méthodes différaient de celles d’autres autorités de sûreté alors que vous examinez systématiquement une liste de points précis, vos homologues opèrent une vérification globale – ce qui fait parfois prendre du retard à certains programmes, notamment à l’EPR en Finlande. Qu’en est-il réellement ?

Avez-vous une idée des différences entre le taux de disponibilité du nucléaire français et du nucléaire belge notamment – on parle de, respectivement, 75 et 90 % ?

Quel contrôle exercez-vous sur l’ANDRA, en matière tant de sites que d’appels d’offre ?

M. William Dumas. Il est réconfortant pour un élu de la vallée du Rhône – qui est relativement nucléarisée et comporte des sites d’Areva et du CEA –, de vous entendre parler de rigueur, de transparence, d’indépendance et vous engager en faveur d’un pôle européen de sûreté.

Lors de son audition, la semaine dernière, M. Henri Proglio a laissé entendre que nos normes de sécurité nucléaires étaient trop contraignantes. Il semble favorable à un projet moins onéreux de stockage souterrain des déchets les plus radioactifs – 15 milliards d’euros contre 35 milliards pour la proposition de l’ANDRA. Comment peut-on contraindre les industriels à financer la sécurité de nos concitoyens et de notre environnement au regard des dangers que présentent ces déchets ?

Par ailleurs, comment exercez-vous votre contrôle sur les 150 grosses installations que vous évoquiez ? Le faites-vous chaque année, en permanence ou au coup par coup – sachant que, selon la presse, le contrôle et la maintenance dans certaines centrales nucléaires seraient moins rigoureux que par le passé ?

M. Daniel Fasquelle. La centrale nucléaire de Gravelines, qui a été construite en 1974 et qui serait la troisième plus grosse productrice d’électricité dans le monde, a fait l’objet de sept rapports d’incidents notables de votre part en 2010, ce qui inquiète les habitants de la région Nord-Pas-de-Calais. Quelles précisions pouvez-vous nous apporter sur ces incidents, leur gravité et la sécurité entourant cette centrale ?

Par ailleurs, ces questions doivent être abordées dans un cadre européen : quelles sont vos coopérations dans le cadre du traité Euratom, signé en 1957, mais que le traité de Lisbonne a un peu noyé au sein des autres traités, et avec les autorités d’autres pays européens ? Que fait-on pour garantir la sûreté nucléaire sur le continent ?

Mme Annick Le Loch. Le démantèlement en cours de l’ancienne centrale nucléaire de Brennilis dans le Finistère, qui est arrêtée depuis 1985, a donné lieu à diverses péripéties. L’ASN a fait de nombreuses prescriptions techniques et réalisé au moins deux inspections. J’ai lu que vous deviez donner un avis sur le démantèlement des bâtiments au cours du premier semestre 2011 – celui du réacteur étant prévu dans un deuxième temps. Or, EDF, qui est responsable du projet, souhaite vivement le poursuivre. Quelle est votre position sur ce dossier ?

M. André-Claude Lacoste. Plusieurs questions ont porté sur l’harmonisation européenne. Il existe une directive européenne sur la sûreté nucléaire et une autre, relative aux déchets, sera prochainement adoptée. Il s’agit de directives cadres, qui fixent de grands principes qui devront être transposés dans les droits des Etats membres. Ces principes reprennent largement ceux qui ont été élaborés au niveau mondial par l’Agence internationale de l’énergie atomique, et correspondent tout-à-fait à la vision française. Ainsi, la directive déchets exige un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs ainsi qu’une autorité de contrôle et des revues par les pairs, toutes choses que nous faisons en France. Les directives n’entrent pas dans des précisions techniques, qui résultent largement du travail accompli en commun au sein de WENRA et qu’il appartient ensuite à chaque autorité de mettre en application, avec l’appui techniques d’organes comme l’IRSN. On peut ainsi penser – un certain nombre de chefs d’autorité partagent cette vision – que l’on disposera à terme d’un cadre européen et d’un ensemble d’autorités nationales travaillant en réseau, ayant la même doctrine, la même vision des choses, capables d’échanger des personnes et de s’auditer entre elles. Mais je ne crois guère que l’on aille jusqu’à une autorité supranationale unique.

S’agissant plus spécifiquement de l’état de l’organisation française, vous avez évoqué à plusieurs reprises l’articulation entre ASN et IRSN. La situation actuelle est héritée de l’histoire : le législateur a décidé, presque dans la foulée, de créer une autorité administrative indépendante et de doter l’IRSN d’un statut d’établissement public. Nous avons vocation à travailler ensemble et, en dépit de quelques frottements, comme il y en a toujours entre expertise et autorité, je pense que nous le faisons bien, l’image que nous avons à l’étranger en témoigne. Mieux vaut donc continuer de la sorte que se lancer dans des réformes.

Vous avez raison de considérer que l’ASN doit mieux expliquer les décisions qu’elle prend. Pour cela, nous allons, dans les mois qui viennent, accompagner la publication de notre décision de celle de l’avis de l’IRSN sur lequel elle s’appuie très souvent. Sans doute susciterons-nous de la sorte davantage de questions, mais cela va dans le sens de l’information proactive que j’appelle de mes vœux. Conscients de la nécessité de progresser dans ce domaine, nous sommes preneurs de toute suggestion en ce sens.

La liberté et l’indépendance dont nous jouissons nous confèrent un statut exorbitant du droit commun. Cela nous impose un certain nombre de devoirs, en particulier d’être indépendants mais pas isolés, pas plus en France qu’à l’étranger, mais aussi de savoir user de notre pouvoir avec sagesse et modération. Lorsque nous prenons une décision, nous essayons de nous entourer du plus d’avis possible, nous entendons les exploitants, nous regardons ce qui se passe à l’étranger. Cela tient à une vision de droit et de fait. Le I de l’article 29-1 de la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite TSN, dispose que « la création d'une installation nucléaire de base est soumise à autorisation » qui « prend en compte les capacités techniques et financières de l'exploitant ». Et le décret dit « procédure » précise que « le projet présenté et susceptible d’être autorisé doit permettre d’atteindre un niveau de risque aussi bas que possible, dans des conditions économiquement acceptables ». Dans le domaine de la radioprotection, s’appliquent les principes d’optimisation et de justification, qui sont des principes d’équilibre que nous nous efforçons de suivre.

Ainsi, nous avons une décision particulièrement difficile à prendre lorsque nous constatons qu’il y a un défaut dit « générique » sur une partie du parc nucléaire d’EDF. En effet, dans la mesure où ce parc est standardisé, nous nous demandons si ce défaut est susceptible d’affecter les autres installations de même type, au risque, s’il est grave, de mettre en cause l’alimentation de notre pays en électricité. Nous sommes tombés il y a quelques années sur un problème de ce type avec le risque de colmatage des filtres des puisards, qui sont destinés, en cas de gros problème, à recycler l’eau qui fuirait du circuit primaire du réacteur afin de le refroidir. Des travaux importants étaient nécessaires et deux entreprises, Westinghouse et Areva, étaient capables d’intervenir. Nous avons forcé EDF à aller en chercher une troisième, Mitsubishi, et à nous présenter un plan de rectification et de rattrapage aussi rapide que possible. Mais cela a duré plusieurs années. Nous avons donc été amenés, en cherchant l’optimum, à considérer qu’il n’y avait pas matière à fermer les centrales mais à faire les travaux au plus vite – en l’occurrence cinq à sept ans. Vous le voyez, nous devons sans cesse rechercher un équilibre.

Autre exemple, au début des années 1990, un problème est survenu sur les couvercles de cuves de réacteurs : nous avons fini par imposer à EDF de les changer progressivement. Cette opération étant très onéreuse, les États-Unis ont préféré faire semblant de croire qu’il s’agissait uniquement d’un problème français, rencontré sur les pièces Framatome, mais au début des années 2000, le couvercle d’un réacteur américain s’est presque percé, ce qui aurait pu entraîner de graves conséquences.

Nous ne perdons jamais de vue que l’accident est possible. Le plus grave survenu en France a eu lieu en 1980, aux débuts de l’ASN, dans la centrale A de Saint-Laurent-des-Eaux, avec un début de fusion nucléaire dans un réacteur uranium naturel-graphite-gaz de première génération. Tout le monde en a perdu la mémoire, mais cela signifie qu’un accident peut survenir. Il y a régulièrement des incidents de niveau 2, comme fin 1999, avec un début d’inondation au Blayais. N’oublions pas ce qui s’est produit en 1979 à Three Mile Island, sur un réacteur exactement du même type que les réacteurs français. Nous prenons aussi en compte désormais les incidents en radiothérapie, qui entraînent parfois mort d’hommes, comme à Épinal.

Il s’agit donc de sujets très sérieux : nous sommes dotés de pouvoirs qui peuvent paraître exorbitants mais nos responsabilités ne sont pas minces. Dans ces conditions, notre objectif ne peut pas être d’être populaires mais rigoureux, au risque de déplaire : si les exploitants nucléaires chantaient en chœur nos louanges, vous devriez songer à nous remplacer… S’il n’y a pas tension entre les exploitants et l’autorité, cela signifie qu’il n’y a pas de vrai contrôle.

J’en viens à quelques exemples précis. Aux termes de notre rapport annuel, la centrale du Blayais se situe dans la moyenne. Il en va de même du nombre d’incidents survenant dans les six tranches de la centrale de Gravelines, environ une dizaine par an, qui ne nous pose pas de souci particulier – un nombre de tranches très important implique un nombre d’incidents statistiquement plus élevé.

Plusieurs questions ont porté sur la loi Nome et sur l’impact de la fixation du tarif d'accès régulé au nucléaire sur le niveau de sûreté de nos centrales. C’est un sujet difficile. L’important est à nos yeux que les exploitants soient compétents, responsables et disposent de suffisamment de moyens pour pouvoir assumer leurs responsabilités. À défaut, leurs installations ont vocation à être fermées. Nous avions eu un contact avec le sénateur Poniatowski, rapporteur de ce texte, mais nous n’en avons pas eu avec la commission Champsaur ni avec la Commission de régulation de l’énergie, dont nous avons rencontré les membres du Collège, qui se préparaient à la fin de leurs fonctions.

Il faut prendre avec précaution l’expérience américaine de prolongation de la durée de vie des centrales à 60 ans : outre que la durée de fonctionnement y est comptabilisée à partir du premier jour non pas de fonctionnement mais de construction, nous ne sommes pas d’accord avec les conditions dans lesquelles nos collègues donnent leur accord. Pour nous, la prolongation est soumise à réexamen tous les dix ans, à l’occasion duquel nous vérifions si la centrale est conforme à son référentiel et ce qu’il est possible d’améliorer en matière de sûreté. C’est ce que nous faisons actuellement pour les réacteurs de 900 MW qui atteignent 30 ans. Le premier a été Tricastin 1, le deuxième sera Fessenheim 1. EDF nous demande s’il est envisageable de prolonger au-delà de 40 ans. Nous commençons à étudier cette question tout en répondant que les installations ont été conçues pour cette durée de fonctionnement et qu’aller au-delà supposera des investissements assez massifs, la comparaison devant être faite avec les objectifs de sûreté des réacteurs EPR, afin de s’en approcher dans des conditions raisonnables et économiquement possibles. Nous sommes donc au début d’un dialogue dont je suis persuadé qu’il sera « musclé ». Mais nous savons bien que la prolongation dégagera une rente, dont les usages peuvent être divers mais dont nous considérons qu’elle doit largement servir à améliorer la sûreté.

Au total, sur cette question essentielle nous ne voyons pas d’obstacle à ce que des réacteurs anciens, à la sécurité améliorée, continuent à fonctionner concurremment avec des réacteurs nouveaux dont la sûreté est plus élevée.

Évoquer la maintenance et les travaux amène à poser la question de la sous-traitance. Pour vous donner un ordre de grandeur : environ 20 000 personnes travaillent dans le nucléaire au sein d’EDF et l’on compte aussi chaque année environ 20 000 sous-traitants, avec des durées de séjour parfois très courtes et relevant d'entreprises de taille très diverse, le sous-traitant pouvant être Areva ou Westinghouse ou bien une PME ... La surveillance des sous-traitants est un sujet très difficile sur lequel notre doctrine est claire : il appartient au premier chef à EDF de les choisir et de les surveiller et à nous de vérifier que cela est fait correctement. Nous avons eu ces derniers temps l'impression de quelques dérapages, c'est pourquoi nous avons annoncé que nous allions regarder de plus près ce qui se passe. Cela nous conduira sans doute à nous intéresser à la façon dont EDF passe ses commandes : lors d'un appel d'offres choisit-elle le moins ou le mieux-disant ? Il est difficile d'évaluer le mieux-disant de l'extérieur, mais nous avons déjà lancé des inspections portant sur le service achats d’EDF. Pour autant, nous ne serons jamais totalement sûrs que les acteurs respectent les règles en la matière, car les acteurs sont multiples.

L'annonce de la réduction de 30 millions de la subvention attribuée par l’Etat à l'IRSN a suscité quelque émotion. Un mode de financement alternatif a finalement été trouvé sous la forme d'une contribution de l'exploitant, qui ressemble beaucoup à une taxe votée par le Parlement et grâce à laquelle l’Institut retrouve ces 30 millions. L'idée que le contrôle de la sûreté nucléaire soit financé – comme dans de nombreux autres pays, par exemple aux États-Unis – par des contributions des exploitants nous paraît assez bienvenue, à condition que cela soit fait dans la clarté, la transparence et le respect de la déontologie.

Un mot sur l’EPR. Dès 1991, nous avons dit à EDF, au CEA et, à l'époque, à Framatome que N4, dernier palier à construire, était achevé et qu'il fallait passer à un niveau de sûreté supérieur. EPR est le résultat de nombreux travaux et études, notamment franco-allemandes, menés depuis lors ; il correspond à l'état de l'art en matière de sûreté. Il n'est absolument pas étonnant que l'on rencontre des difficultés pour le construire en France ou en Finlande car on n'y a plus construit de réacteurs depuis 20 ans. Ainsi, Bouygues ne sait plus bétonner à la qualité nucléaire ; de nombreux fabricants ne sont plus au niveau ; EDF a perdu son aptitude à diriger les chantiers ; nous-mêmes devons réapprendre à contrôler. C'est donc au terme de l'actuel processus de réapprentissage qu'il faudra procéder à un retour d'expérience. Je souhaite à ce propos que l'on parvienne à partager le retour de l'expérience finlandaise, même si c'est Areva et non pas EDF qui y intervient. Or, j'ai participé à une réunion à laquelle Areva n'avait pas été conviée… S'il apparaît à ces occasions que les mêmes objectifs de sûreté peuvent être atteints par des moyens plus simples ou plus économiques, nous y sommes ouverts, mais WENRA a bien retenu comme objectif le niveau de sûreté de l’EPR.

Je ne pense pas que nous sortons de notre responsabilité lorsque nous disons que nous ne voulons pas dans le monde d'une sécurité nucléaire à deux vitesses. Il ne s'agit nullement d'interdire à la France d'exporter tel ou tel type de réacteurs : nous n'en avons pas le pouvoir et tel n'est pas notre métier. Notre déclaration dit simplement que si la France couvre l'exportation de réacteurs qui ne nous paraissent pas répondre aux normes applicables dans notre pays, nous serons probablement interrogés par l'autorité du pays de destination et nous lui répondrons que de tels réacteurs ne sont pas susceptibles d'être construits en France. Nous serons là strictement dans le cadre de la responsabilité que le Parlement a souhaité nous conférer.

L’ANDRA est pour nous en partie un exploitant nucléaire ce qui signifie que nous contrôlons la façon dont elle exploite ses centres de stockage de l'Aube et de Morvilliers, et dont elle surveille le centre de stockage fermé de la Manche. L’ANDRA recherche aussi de nouveaux sites pour des stockages soit de déchets de faible activité à vie longue, soit souterrains, pour les déchets de haute activité. Ce nouveau sujet d'intérêt national a été à l'origine de la loi sur les déchets de 1991 et il occupe une large place dans la loi de 2006 sur la gestion des déchets. Tout ceci est décliné dans le plan national de gestion des déchets et matières radioactifs, à propos duquel nous avons récemment été auditionnés par vos collègues Claude Birraux et Christian Bataille. Pour nous, le site de Bure et la façon dont on peut trouver alentour un endroit adapté pour créer un stockage souterrain constituent un dossier considérable. Tout en veillant à ne pas nous transformer nous-mêmes en promoteur, nous suivons de près ce que fait l’ANDRA : nous considérons qu'elle travaille bien, même si elle a rencontré des difficultés lorsqu'elle s'est adressée à des communes pour trouver rapidement des sites de stockage de déchets de faible activité a vie longue : dans l’urgence, elle a adopté une méthode qui n'était manifestement pas la bonne.

M. Jean Dionis du Séjour. Et qui ne marchait pas !

M. André-Claude Lacoste. Nous l'avons en effet constaté…

L’ANRA réfléchit afin de relancer un processus qui implique à l'évidence une médiation comme celle que l'on a jadis utilisée pour trouver d'autres sites pour d'autres déchets.

Vous m'avez par ailleurs demandé si nous procédions à des contrôles exhaustifs ou par sondage. Tout dépend de la nature des sites contrôlés. Nous avons en face de nous une multitude d'installations dans le nucléaire de proximité et le médical et nous y menons environ 1000 inspections, tout comme d’ailleurs au sein des 150 installations importantes du gros nucléaire. Cela signifie à l'évidence que nous ne pouvons pas regarder en détail ce que fait chaque agent d'EDF et chaque sous-traitant. Notre contrôle n'est donc que rarement exhaustif et nous nous efforçons de proportionner notre effort d'inspection à la nature des sujets. Pour prendre un exemple, dans le domaine de la radioprotection nous visitons désormais chaque année chaque centre de radiothérapie mais il est évident que nous ne pouvons visiter chaque cabinet de radiologie. Nous faisons, mutatis mutandis, la même chose dans le domaine nucléaire, notre responsabilité étant de bien sélectionner les endroits où nous nous rendons et de proportionner les inspections.

Le démantèlement de Brennilis traîne désespérément bien qu’il faille rendre le site à sa vocation de site naturel. Nous avons d'abord été confrontés à des difficultés tenant à des querelles entre le CEA et EDF, qui étaient coresponsables du démantèlement ; ensuite à des difficultés techniques, toutes les entreprises françaises s'étant ruées sur le marché afin de se constituer une référence ; enfin à des difficultés juridiques. Nous nous efforçons d'avancer pas à pas, avec des décrets organisant des phases successives de démantèlement. Nous souhaitons que ce dernier aille aussi vite que possible dans des conditions correctes.

Le taux de disponibilité des centrales est un critère intéressant sur le plan économique mais qui ne permet pas à lui seul d'évaluer la sûreté d'une installation, d'autant qu'il dépend largement du fonctionnement en base de la centrale : compte tenu de l'importance de notre parc, toutes les installations d'EDF ne fonctionnent pas en base, loin de là.

Pour être poli, je dirai que je ne souhaite pas la présence d'un commissaire du gouvernement au sein de l’ASN. Mais je pourrais être plus véhément : cela serait une mauvaise idée, allant résolument a contrario de la tendance actuelle à ce que, partout dans le monde, les autorités de sûreté nucléaire soient de plus en plus indépendantes, à l'image de la nôtre. Je l'ai dit, nous nous attachons à être indépendants sans être isolés et il me semble que nous sommes bien au courant de la position du gouvernement sur les sujets qui nous concernent.

La question de l'importation de sources en matière de radioprotection est particulièrement difficile. Le plus souvent, les sources importées clandestinement se trouvent à bord de cargaisons de ferraille. Or, la ferraille voyage de plus en plus, de nombreuses aciéries françaises en important de pays très divers, dont l'Inde. Nous entretenons des relations suivies avec nos collègues indiens, en particulier parce que ce pays envisage d'acheter des réacteurs EPR, et nous savons que l’on y trouve des centaines de milliers de dépôts de ferraille et que l'idée même d'un renforcement du contrôle y paraît dénuée de sens. Il convient donc que les aciéristes européens s'organisent eux-mêmes pour ne pas acheter n'importe comment et pour créer des filières d'approvisionnement plus sûres.

Les scanners utilisés dans les aérogares nous posent un véritable problème. Aux termes du code de la santé publique, il est interdit d’imposer des doses de radioactivité pour des motifs autres que de santé. Nous sommes actuellement en contact avec les services intéressés pour vérifier quel type de scanners sont autorisés, en particulier s'ils sont ou non « dosants ». Mais c'est bien la justification qui pose problème : comment mettre l'avantage de sécurité lié à l'utilisation de tels appareils en balance avec les inconvénients en termes de radioprotection ? Un club de chefs d'autorités de radioprotection a récemment pris à ce propos une position nuancée car il est quand même difficile de refuser de prendre en compte l'importance de la sécurité face au risque terroriste. Il convient donc surtout de s'efforcer de trouver des appareils « non dosants ».

M. Dionis du Séjour a évoqué la complexité du rôle de l'État dans le domaine de l'énergie. Le rôle d'une autorité administrative indépendante me paraît ici très important. Dans un secteur qui est aussi désormais le nôtre, celui de la santé, il m'apparaît que l'une des difficultés auxquelles est confrontée l'Agence de sécurité sanitaire tient à la multiplicité des rôles de l'État. Ainsi, le ministère de la santé offre des soins, fixe les tarifs, donne son agrément à des médicaments. Dans le domaine de l'énergie, il m'apparaît donc tout à fait bénéfique de distinguer les fonctions et de considérer que notre agence est l'acteur responsable au premier titre de la sûreté. Cela permet non seulement d’y voir plus clair mais aussi, le cas échéant, de procéder à des arbitrages dans la clarté.

La question relative à la prévalence de cancers chez certaines femmes renvoie à la difficulté de l'interprétation des études épidémiologiques, qui vérifient si le taux d’une maladie est supérieur à la moyenne que l'on devrait constater. Mais, dans une étude statistique, dès lors que l'on s'attend à trouver une valeur de 10, il n'est pas aberrant de constater 11 ou 9, surtout lorsque l'échantillon est assez petit, comme dans l'étude à laquelle il a été fait référence. En l'occurrence, les épidémiologistes ont considéré qu'il n'y avait là rien d'anormal et que l'observation correspondait à une variation statistique.

M. Lionel Tardy. S’agissant de la durée de vie des centrales, je prendrai l'exemple de Fessenheim, qui est la plus ancienne centrale française, mise en service en 1977, qui a donc plus de trente ans et pour laquelle vous avez donné votre accord pour une prolongation d’exploitation de dix ans. Il semble que l'on a constaté dans le monde que des centrales du même type vieillissaient dans de bonnes conditions, permettant, de fait, jusqu'à soixante ans d’exploitation. A-t-on véritablement, à partir de centrales construites antérieurement, des retours intéressants en termes de fonctionnement et de sécurité ?

M. André-Claude Lacoste. À ma connaissance, les centrales les plus anciennes dans le monde ont autour de 40 ans. On en trouve à proximité de notre pays : en Allemagne, à Neckarwestheim et à Phillipsburg, ainsi qu’en Suisse, à Beznau et à Mühleberg. On ne dispose pas d'expérience plus ancienne. Quoi qu'il en soit, il m'apparaît nécessaire de ne pas accorder la prolongation avec trop de légèreté. Pour notre part, non seulement nous regardons tous les dix ans ce qui se passe, mais nous exerçons aussi une surveillance continue et il est bien évident que nous interviendrions si nous constations la moindre dérive : nous avons le pouvoir de demander des vérifications complémentaires et de suspendre à tout moment l'exploitation. Au-delà de quarante ans, je le répète, je considère que l'on entre véritablement dans une autre phase et qu'il faut être en mesure de demander à l'exploitant de faire des investissements considérables, ce qui paraît d'autant moins injustifiable qu'il existe une rente.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie d'avoir apporté des réponses aussi claires à toutes nos questions.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 2 février 2011 à 16 h 15

Présents. - M. François Brottes, M. Louis Cosyns, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, M. Daniel Fasquelle, Mme Pascale Got, Mme Laure de La Raudière, Mme Annick Le Loch, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Serge Poignant, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues

Excusés. - M. Jean Auclair, M. Bernard Gérard, M. Pierre Gosnat, M. Jean-Pierre Grand, M. Gérard Hamel, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Michel Lejeune, M. Kléber Mesquida, Mme Anny Poursinoff, M. Jean Proriol, M. Michel Raison