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Commission des affaires économiques

Mercredi 16 février 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 46

Présidence de M. Serge Poignant Président
puis de
M. Daniel Fasquelle
Vice-président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN

La commission a auditionné M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN.

M. Serge Poignant, président. Nous sommes heureux d’accueillir ce matin M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN, l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Dans le cadre de ses missions de recherche et d’expertise, l’IRSN est amené à examiner l’ensemble des installations nucléaires françaises et à émettre des avis sur leur niveau de sûreté. Au cours de cette audition, il serait particulièrement intéressant que vous nous présentiez les résultats de l’expertise que vous avez développée sur le sujet. Dans un premier temps, je voudrais vous interroger sur la place de l’IRSN au sein des autorités publiques en charge du contrôle de l’activité nucléaire en France : dans quels cas l’ASN décide-t-elle de faire appel aux services de l’IRSN ?

Je laisserai à mes collègues le soin de vous interroger sur vos prises de position récentes sur des sujets qui ont particulièrement intéressé la Commission des affaires économiques lors des auditions que nous avons consacrées à la filière nucléaire française.

M. Jacques Repussard. Merci M. le Président pour l’organisation de cette audition, qui permet à l’IRSN de participer au débat national sur la filière nucléaire. Je vous ferai d’abord part de notre réflexion d’expert sur le risque nucléaire et radiologique, je vous rappellerai ensuite quelques éléments de présentation de l’IRSN, et je vous exposerai cinq enjeux majeurs pour la décennie à venir.

Sur le premier point : de quels risques parle-t-on exactement ?

D’abord, de l’exposition directe, inévitable, et « planifiée », donc réglementée, des travailleurs et des patients, dans l’industrie nucléaire comme dans le monde médical. Leur exposition aux rayonnements ionisants est du même ordre que celle qui existe dans le milieu naturel. Les grands exploitants comme EDF ont progressé depuis plusieurs années dans la prévention de cette exposition, et les résultats sont satisfaisants. Il y a un consensus sur l’absence de risque sanitaire grave.

Il s’agit ensuite de la diffusion de substances radioactives artificielles dans l’environnement, du fait des rejets autorisés des installations nucléaires. L’exposition induite par ces rejets est extrêmement faible, de l’ordre d’un millième de la précédente. Mais nos concitoyens sont alarmés par ces risques : selon le rapport complémentaire de 2008 du baromètre IRSN, 60% d’entre eux y voient un problème sanitaire, alors que ce n’est le cas que pour un quart des élus, journalistes, ou dirigeants économiques, et que l’analyse scientifique ne confirme pas ces risques. Mais le décalage avec les perceptions de la nation est une difficulté dont il faut tenir compte.

Le baromètre de l’IRSN montre par ailleurs que les centrales nucléaires n’inquiètent pas plus les Français que les installations chimiques ou les raffineries. Toutefois, le décalage est grand entre les 12% de dirigeants qui considèrent ces installations comme dangereuses, et les 45% de Français qui sont de cet avis. D’après notre expertise, le risque d’un accident grave dans une centrale est tout à fait improbable, mais les conséquences pourraient en évidemment en être catastrophiques pour notre pays, ce que les dirigeants ont tendance à sous-estimer.

Comment un tel accident pourrait-il survenir ? Les précautions prises lors de la conception des installations nucléaires sont telles que seul le cumul de plusieurs défaillances indépendantes et simultanées pourrait entraîner un accident. La probabilité de survenue d’un accident est donc extrêmement faible, et heureusement, rien de tel ne s’est jamais produit dans notre pays. Toutefois, il y a eu deux accidents dans le monde : Three miles Island et Tchernobyl.

Les causes potentielles de défaillance sont extrêmement nombreuses et doivent être systématiquement passées en revue par l’IRSN lors de la conception des installations, tout au long de leur exploitation et lors des examens décennaux particulièrement approfondis. Ces causes peuvent être naturelles (séismes, inondations) ou technologiques (pannes, ruptures de circuit, incidents électriques ou informatiques), mais les erreurs humaines sont les plus fréquentes (oublis d’exécution de procédures, organisations inappropriées).

Comment ces risques sont-ils gérés ? L’évolution de la perception des risques par la société commande les paradigmes de leur prévention. Dans les années 1970, les concepteurs de réacteurs nucléaires étaient persuadés qu’un accident de fusion du cœur était en pratique impossible. La société tenait ces concepteurs en très haute estime, et cette compétence reconnue était alors le principal paradigme de la sûreté. Les accidents de Three Miles Island et de Tchernobyl ont radicalement changé la donne. En trente ans, trois nouveaux paradigmes de la sûreté sont venus compléter le premier, et le Parlement a joué un rôle important dans cette évolution :

– la nécessité d’une évaluation des risques indépendante, scientifique et contradictoire. Dans une société de la connaissance, le progrès des connaissances scientifiques sur les risques et les moyens de leur prévention fait avancer la sûreté et permet d’anticiper : la conformité à une réglementation existante ne suffit pas pour cela, les réglementations en vigueur ne reflétant que l’expérience acquise ;

– la nécessité d’un contrôle effectif et indépendant des opérateurs industriels par l’autorité publique, la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSRN) jusqu’en 2006, l’ASN depuis lors ;

– la transparence, qui rend possible la vigilance de la nation tout entière, à travers notamment le Parlement, les élus locaux ou les commissions locales d’information (CLI).

Il en résulte la structure existante du dispositif national de gestion des risques nucléaires, avec quatre pôles distincts et complémentaires : les exploitants nucléaires, premiers responsables du fonctionnement de leurs installations (et responsables pénalement en cas d’accident nucléaire depuis 2006) ; un pôle régalien avec l’ASN, l’autorité de sûreté de défense et l’autorité du ministre de l’énergie pour les risques de terrorisme ; un pôle d’expertise scientifique avec l’IRSN et enfin les garants de la transparence que sont le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) et les CLI, dont le statut est maintenant parfaitement établi par la loi.

J’en viens à quelques éléments relatifs à l’IRSN. C’est un établissement public, créé en 2002, rassemblant l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) qui était un département du CEA, et l’Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI), établissement public administratif qui relevait du ministère de la santé. L’EPIC a cinq tutelles, les ministères chargés de l’écologie, de la défense, de la recherche, de la santé et de l’industrie. La gouvernance est assurée par le conseil d’administration, composé, conformément à la loi, d’un tiers de personnalités qualifiées, un tiers de représentants de l’Etat et un tiers de représentants des personnels. Il n’y a aucun représentant des exploitants nucléaires. Le président de l’ASN participe aux débats, sans droit de vote. Nous avons bien sûr un conseil scientifique, ainsi qu’un comité d’orientation des recherches, pluraliste, qui comprend des représentants de la société. Un contrat d’objectifs avec l’Etat fixe des priorités.

Notre budget est de l’ordre de 300 millions d’euros, avec une subvention de 213 millions d’euros sur le programme 190 (prévention des risques) selon la LOLF. 30 millions viendront d’une contribution payée par les exploitants nucléaires : nous nous étions émus, avec un certain nombre de parlementaires, que ce financement complémentaire soit initialement prévu sous forme de redevance, c'est-à-dire d’un paiement à l’acte, ce qui était de nature à porter atteinte à l’indépendance de l’IRSN. Finalement, cette contribution, telle que votée par le Parlement, sera d’une nature proche de la taxe sur les installations nucléaires de base.

L’IRSN, c’est 1750 emplois (pour un plafond d’emplois en ETP de 1669, auquel s’ajoutent 15 ETP hors plafond), dont 150 doctorants et post doctorants et plus de 2 000 personnes en incluant la sous-traitance.

Nous avons comme grandes missions la recherche et les études, qui consomment plus de 40% de nos ressources. Notre objectif est de faire avancer les connaissances sur les risques nucléaires et radiologiques, sur les conditions de leur mitigation et leur prévention. Ces programmes sont souvent menés dans le cadre de partenariats nationaux et internationaux, en raison de leur coût élevé. Au plan mondial, l’IRSN est reconnu pour ses compétences dans plusieurs domaines clés, la sûreté des combustibles nucléaires en situation accidentelle (notamment grâce aux installations expérimentales de Cadarache), la modélisation des accidents de fusion du cœur d’un réacteur (code ASTEC), la modélisation des risques de criticité, le traitement des incidents dans le milieu confiné qui est celui des installations nucléaires, la radioécologie (la science de la dispersion et du devenir des matières nucléaires une fois qu’elles sont répandues dans l’environnement), et en matière de radioprotection, la reconstitution dosimétrique après accident et la radiopathologie (c'est-à-dire les moyens de traiter les victimes d’irradiation grave). Je rappelle que l’IRSN est organisme référent pour l’OMS dans ce domaine. Enfin, l’étude des faibles doses est un domaine plus récemment développé, crucial notamment pour la gestion des déchets, et encore inabouti.

L’IRSN a aussi une mission d’observation et de surveillance au niveau national, grâce à un réseau de capteurs et au prélèvement d’échantillons. 250 000 personnes sont exposées en France aux rayonnements ionisants dans le cadre de leur travail. Dans le milieu médical, des millions d’actes d’imagerie médicale sont réalisés chaque année. Nous sommes également chargés de l’inventaire des sources radioactives.

Nous fournissons un appui technique aux autorités compétentes, nous réalisons des expertises sur dossiers : l’ASN nous saisit un millier de fois par an, l’ASN Défense plusieurs centaines de fois par an et le Haut fonctionnaire de sécurité et défense plus d’un millier de fois par an, avec notamment les transports de matière radioactive sensible. L’IRSN analyse également de manière systématique tous les incidents de fonctionnement qui surviennent dans les installations, y compris ceux qui sont sans aucune conséquence, c'est-à-dire l’immense majorité d’entre eux, mais tous les retours d’expérience sont utiles.

Nous tenons la comptabilité des matières nucléaires civiles. Et en cas de crise, notre responsabilité est de faire fonctionner notre centre de crise à vocation nationale et de dépêcher des laboratoires mobiles sur le terrain. Chaque mois, nous effectuons des exercices.

Enfin, l’IRSN est un EPIC. Nos prestations représentent environ 10% de nos ressources : prestations dosimétriques, mesures pour le compte d’opérateurs, études et expertises pour des autorités étrangères : depuis Tchernobyl, l’IRSN est présent dans de nombreux pays qui ont développé une industrie nucléaire, ou qui souhaitent le faire. Deux catégories d’organismes font appel à nous. Les autorités publiques ne paient pas nos prestations : l’ASN, le Délegué à la sûreté nucléaire de défense, le Haut fonctionnaire de défense et sécurité, pour ce qui concerne la sécurité nucléaire et les transports, le ministère de l’écologie s’agissant de sûreté et radioprotection, le ministère de la santé, celui du travail et les agences sanitaires pour la radioprotection, le ministère de l’intérieur (sécurité civile), celui des affaires étrangères, ainsi que le CEA pour le suivi des engagements internationaux et la lutte contre la prolifération, le Haut comité pour la transparence, présidé par le sénateur Revol (HCTISN), les commissions locales d’information (CLI) et leur association nationale (ANCLI). Les prestations de services pour les exploitants nucléaires sont en revanche payantes, comme celles pour les établissements médicaux et industriels. Nous avons alors des règles déontologiques à respecter, afin de préserver notre indépendance.

Pour terminer, nous voyons cinq enjeux extrêmement importants, qui justifient à eux seuls de ne pas remettre en cause notre dispositif national de gestion des risques.

Le premier est celui de la prolongation de la durée d’exploitation des 58 réacteurs d’EDF, conçus à l’origine pour une exploitation de quarante ans. Nous devons nous donner les moyens d’expertise nécessaires pour les prolonger autant que possible, mais pas plus. C’est un point très sensible. Les technologies progressant, comme les moyens de prévenir les risques, il est possible et souhaitable de modifier ces réacteurs pour augmenter leur niveau de sûreté. Je rappelle que leur conception est antérieure à l’accident de Three Miles Island. Les mesures qui peuvent être prises à un coût raisonnable doivent donc l’être. La nation devra se prononcer sur ces orientations.

Le deuxième enjeu tient aux exigences de sûreté pour la construction de nouveaux réacteurs, en France et dans le monde. L’EPR, successeur naturel de nos réacteurs actuels, extrêmement puissant et dont la sûreté a fait des progrès tout à fait significatifs, a été conçu pour un marché franco-allemand, et ne correspond pas à la situation de nombreux autres pays. Il faut aujourd’hui arriver à un consensus sur l’élévation du niveau de sûreté des réacteurs, tout en développant une gamme de réacteurs répondant aux différents besoins : il est plus facile d’assurer la sûreté de réacteurs moins puissants. A la suite du rapport Roussely, l’IRSN a été chargé d’élaborer des recommandations pour des règles de sûreté pour les différents réacteurs, au-delà du seul EPR. Ce travail est en cours et devra faire l’objet de concertations européennes et internationales.

Un troisième enjeu est le traitement des déchets : il faut mettre fin à l’idée qu’ont de nombreux Français, et qui est techniquement inexacte, qu’on ne sait pas quoi en faire, passer à l’acte et construire le système de stockage géologique de Bure. Comme pour les installations nucléaires, il faudra effectuer un examen contradictoire des risques, avec le contexte spécifique d’une échelle temporelle inédite.

Il faut ensuite comprendre les effets des très faibles doses. Notre approche réglementaire et scientifique actuelle est fondée sur une proportionnalité entre la dose et l’effet sanitaire, c'est-à-dire un risque de cancer. Or, pour les très faibles doses, il y a de grands doutes sur l’existence de ce risque, mais aucune démonstration n’a pu en être faite ; c’est donc ce à quoi s’attache l’IRSN. Conformément au principe de précaution, on affirme donc que toute dose est potentiellement dangereuse, ce qui est délétère dans l’opinion, et probablement faux d’un point de vue scientifique. L’IRSN a pris la tête d’une association européenne d’organismes de recherche qui cherche à résoudre cette énigme scientifique.

Dernier sujet : il nous faut maîtriser la croissance des expositions à caractère médical, qui sont du même ordre aujourd’hui que l’exposition à caractère naturel, et qui ne sont donc pas négligeables.

Après vingt ans de stagnation, l’industrie nucléaire est à nouveau en mouvement dans notre pays, comme dans le monde entier, avec la perspective d’une mondialisation de cette industrie, ce qui est tout à fait nouveau. En termes de maîtrise des risques, la régulation doit s’adapter à ce schéma mondial. L’Europe doit développer une harmonisation des règles, afin que le pôle de réglementation américain ne reste pas en pratique la principale référence. Il faut faire prévaloir des objectifs de sûreté suffisamment ambitieux au regard de ce que les technologies peuvent apporter pour écarter l’éventualité d’évènements catastrophiques. Enfin, il faut susciter la confiance des parties prenantes au sein de la société. L’IRSN, aux côté des autres acteurs français, apporte à cette ambition son savoir-faire scientifique, son expérience opérationnelle en termes d’appui aux politiques publiques, son capital de proximité auprès de la société, avec son site internet qui comporte de très nombreux rapports, et a une audience de plusieurs centaines de milliers de personnes lorsque des incidents se produisent.

Je vous remercie et vous invite à venir visiter l’Institut si vous ne le connaissez pas, à Cadarache et surtout à Fontenay-aux-Roses dans les Hauts-de-Seine.

M. François Brottes. La question d’une fusion de l’ASN et de l’IRSN se posait. Quasi-unanimes, les parlementaires y ont répondu par la négative : les pouvoirs publics doivent garder leur expertise, parallèlement à une ASN indépendante. Toutefois, cette cohabitation se passe-t-elle bien ? Avez-vous des divergences, et si oui de quelle ordre ?

Compte tenu de l’ampleur de vos missions, pouvez-vous être toujours réactifs quand vous recevez des injonctions ? Comment garantissez-vous une priorité à l’exercice de vos missions régaliennes, avant celui d’autres prestations de services, nécessaires à votre financement ?

Des dysfonctionnements graves ont été signalés dans des hôpitaux de l’est de la France. Quel a alors été votre rôle, à quelles conclusions avez-vous abouti ? Autre cas où vous avez dû faire de la pédagogie, le débat sur les dépôts d’uranium restés sous-estimés sur certains sites. Pouvez-vous nous donner ainsi un ou deux exemples concrets permettant de comprendre votre positionnement en termes d’expertise et d’éthique ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Vous êtes sous la tutelle de cinq ministères différents : est-ce un avantage, ou êtes-vous confrontés à des objectifs contradictoires ? En même temps, vous exercez une mission d’expertise au service de l’ASN, autorité indépendante. Quelle est la nature des relations entre les deux institutions ? L’ASN dispose-t-elle des moyens suffisants pour ne pas dépendre uniquement des avis que vous rendez ?

Vous avez publié, en janvier dernier, votre rapport annuel de synthèse sur la sûreté et la radioprotection du parc électronucléaire français en 2009, qui indique que la plupart des accidents sont dus au facteur humain. Comment améliorer la situation ?

Vous avez considéré favorablement l’allongement de la durée de vie du réacteur n°1 de la centrale du Tricastin. Est-il envisageable d’étendre cette décision à l’ensemble du parc de réacteurs de 900 MW ? à quel coût ?

Vous avez également prononcé un avis sur le choix du site de stockage géologique retenu par l’ANDRA pour les déchets HA-MA VL. Quelle est votre appréciation de la controverse qui a opposé l’ANDRA aux industriels sur le sujet de la maîtrise d’ouvrage du projet?

Enfin, estimez-vous, au même titre qu’André-Claude Lacoste, que l’EPR constitue «l’état de l’art » en matière de sûreté, ou bien pensez-vous au contraire qu’il est trop sophistiqué pour le marché ?

M. Jean Dionis du Séjour. La filière nucléaire française, que nous prenons le temps d’auditer, comprend des acteurs très importants, EDF, Areva, qui ont tous un lien très fort avec l’Etat. Pesez-vous assez lourd face à ces différents acteurs ? N’y a-t-il pas dans cette filière des conflits d’intérêts à dénouer ? l’Etat est ainsi à la fois régulateur et actionnaire.

S’agissant de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires, quelle est la méthodologie suivie pour aboutir à un arbitrage ? comment prenez-vous en compte les travaux de MM. Claude Birraux et Christian Bataille, et plus largement quelles relations vous paraissent souhaitables avec l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ?

Vous dites travailler sur les très faibles doses, qui n’auraient pas d’effet sur les cancers. Quelle est votre approche de cette question ?

M. François Loos. L’échelle de dangerosité employée par l’IRSN dans ses évaluations est-elle partagée par d’autres pays, notamment l’Allemagne ? En France nous évaluons ainsi les recommandations de l’ANDRA au regard de standards internationaux. S’agissant de sûreté, un pays peut-il avoir des exigences qui ne soient pas maximalistes ?

Mme Frédérique Massat. Vous disposez d’un budget de 300 millions d’euros, mais la subvention de l’Etat a baissé en 2011 à 213 millions. Nous nous réjouissons que les 30 millions qui devaient être financés par une redevance le soient finalement par une taxe. Devrez-vous toutefois augmenter le prix de vos prestations de services ? Quelles seraient demain les conséquences pour votre indépendance d’une nouvelle baisse de le la subvention de l’Etat ? Vous avez justement rappelé l’attachement des citoyens à la transparence et à l’indépendance d’un organisme comme l’IRSN. Elles ne doivent pas être remises en cause.

Par ailleurs, quelle est votre analyse sur la mise en place du scanner corporel dans les aéroports ?

M. Louis Guédon. Les tâches de l’IRSN sont aussi variées qu’importantes. Dans l’opinion publique, une personne interrogée sur quatre seulement serait inquiète du développement du nucléaire. Toutefois, les anti-nucléaires s’appuient essentiellement sur la question de la gestion des déchets. Une plus grande pédagogie et communication de l’IRSN en réponse à ces interpellations serait de nature à renforcer justement les partisans de cette énergie.

M. Jean Gaubert. Il fut une époque pendant laquelle les ingénieurs n’accordaient pas de place au doute. Pour ma part, c’est quand l’ingénieur ne doute plus, que je me pose des questions. Comment cultiver une culture du doute ?

Il y a deux sortes de radioactivité : celle des installations nucléaires, auxquelles tout le monde pense, et une radioactivité insensible, qu’elle soit d’ordre médical ou d’origine géologique. Il serait intéressant de rappeler les différentes échelles des risques.

M. Francis Saint-Léger. Dans le sud du Massif central, la concentration en radon est une des plus fortes de France. Ce risque est perçu comme faible par les Français. Mais certaines études montrent qu’il existe un danger pour les enfants, au-delà d’une concentration dans l’air supérieure à 200 becquerels/m3, seuil largement atteint localement. Votre rapport indique un débat au sein même de l’IRSN sur le rôle de l’institution : faire de la veille est-il suffisant, ou vos missions de service public impliquent-elles d’aller plus loin, notamment en mettant en place des mesures de surveillance des habitations individuelles ?

M. William Dumas. Votre organisme analyse normalement les risques en matière nucléaire et les dysfonctionnements qui peuvent intervenir. En 2009, un incident est intervenu dans le réacteur n° 2 de la centrale du Tricastin et il ressort des conclusions de l’enquête qu’il n’y a eu aucun dommage, ni pour les êtres humains, ni pour l’environnement. Des analyses complémentaires ont néanmoins été effectuées : pouvez-vous nous expliquer pourquoi elles ont été faites par EDF et non par l’IRSN ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Pensez-vous que la périmètre de répartition des recettes fiscales, qui guide l’implantation sur nos territoires des centrales nucléaires, soit en adéquation avec le périmètre de sécurité qui doit être déterminé autour de ces mêmes centrales ?

Mme Marie-Lou Marcel. L’IRSN a rendu public son bilan pour l’année 2009 et constaté à cette occasion que la mesure de la radioactivité dans notre pays était stable. En ce qui concerne les régions du Sud-Ouest et de la Vallée du Rhône, où les contrats de territoires vont s’achever en 2012, avez-vous des éléments d’informations à nous donner sur les mesures que vous avez pu y effectuer ? Des efforts doivent-ils être accomplis dans le domaine de la sécurité à ce stade ? Par ailleurs, dans le département de l’Aveyron dont je suis élue, on a constaté des émanations de radon dont les effets sont faibles pour nos concitoyens puisqu’ils sont en deçà de 100 becquerels / m3 : quelles sont les précautions prises en cas de taux supérieur à celui actuellement constaté ? Dans vos études et observations, avez-vous constaté une quelconque recrudescence de cancers ?

M. Michel Lejeune. La France compte deux institutions fondamentales que sont l’IRSN et l’ASN, autant de gages pour assurer la sécurité de nos concitoyens à l’égard des risques nucléaires.

Pouvez-vous nous dire si, dans le monde, tous les pays sont aussi bien protégés que nous le sommes ou des dangers particuliers existent-ils ?

En termes de communication à l’adresse du grand public, ne devriez-vous pas faire une communication plus poussée, plus visible, qui soit de nature à encore davantage rassurer nos concitoyens ?

L’OPECST a établi un rapport, sous la houlette de nos collègues Claude Birraux et Christian Bataille, sur l’Évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d’énergie, qui a été assez sévère : qu’en pensez-vous ?

M. Michel Villaumé. Récemment, un film de Romain Icard et Emmanuel Amara présentant l’enquête « Mines d’uranium : le scandale de la France contaminée » a été diffusé à la télévision : qu’en pensez-vous ?

Le 21 décembre dernier, le Commissariat à l’énergie atomique a fait état d’un problème sur le site de Cadarache où la quantité de plutonium entreposée avait été considérablement sous-évaluée : quelle analyse faites-vous de cet incident et quelles suites comptez-vous y donner ?

M. Louis Cosyns. Pouvez-vous nous indiquer le nombre de sites, en France, où sont entreposées des matières radioactives et combien de sites font l’objet d’une étude particulière de la part de l’IRSN ?

Par ailleurs, avez-vous effectué des études sur la radioactivité qui peut exister autour des champs de tirs utilisant de l’uranium appauvri ?

M. Alain Suguenot. Il y a trois ans, un vaste tremblement de terre d’une magnitude de 6,8 sur l’échelle de Richter a frappé la ville de Kawasaki, au Japon : quels sont les risques de séisme à l’égard du parc nucléaire français et quelles mesures particulières avez-vous pu prendre à cet égard ?

Comment peut-on mieux gérer le risque du radon ? Existe-t-il des analyses permettant de diminuer la quantité volumique du radon et de baisser les quotas existants ?

M. Claude Gatignol. L’IRSN représente la pierre angulaire du système nucléaire français car c’est un organisme dont l’expertise et les examens en termes de sécurité nucléaire sot fondamentaux.

Quand et comment allez-vous aborder les nouvelles architectures du nucléaire [notamment les « 3 M » (mini, mobiles et moins chers)] ?

Lorsqu’on parle du radon, on n’évoque pas toujours l’émission de matière radioactive lors des vols long courrier : des analyses sont-elles effectuées sur ce point ? De même, analysez-vous les teneurs qui peuvent également exister dans les mines ou autres lieux où on a pu entreposer de l’uranium appauvri ? Que peut apporter votre site de Tournemire ?

En tout état de cause, sachez que nous attendons beaucoup de vous, qui êtes le garant de la sûreté nucléaire en France et, de ce fait, un véritable rempart contre toutes les idéologies qui peuvent souhaiter l’abandon du nucléaire dans notre pays !

M. Daniel Paul. Le concept de « maintenance » intègre le fait non seulement qu’on doit réparer la panne éventuelle mais également la prévenir. Or, il apparaît que le coefficient de disponibilité du parc nucléaire français est très inférieur à celui d’autres États. Notre commission a reçu successivement MM. Henri Proglio et Gérard Mestrallet et, alors que le premier déplorait un coefficient trop faible, le second mettait au contraire l’accent sur l’existence d’un coefficient élevé. Quelle est votre appréciation à ce sujet ?

M. Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN. Je vous remercie beaucoup, Mesdames et Messieurs les députés, pour vos nombreuses questions, souvent très précises, qui témoignent du vif intérêt que vous témoignez à l’égard de l’action menée par l’IRSN.

Les rapports entre l’ASN et l’IRSN ont, dans le passé, été parfois mouvementés : c’est vrai ! Certains estiment que l’IRSN doit travailler silencieusement et que l’ASN, au contraire, doit se voir octroyer le devant de la scène en termes de communication. C’est impossible. L’IRSN emploie plus d’un millier de techniciens de très haut niveau qui, ensuite, peuvent partir dans le secteur privé et faire bénéficier les groupes industriels de leur expérience en termes de sûreté des installations nucléaires. Il est très délicat de recruter des talents rares et de leur demander de toujours rester dans l’ombre : il importe que l’IRSN soit connu. Il faut ainsi que les associations de protection de l’environnement, de défense des usagers, les collectivités territoriales… connaissent l’IRSN, qui doit bénéficier d’une existence institutionnelle et d’une transparence propre, et puissent l’interroger si elles le souhaitent. J’ai longuement discuté avec le président de l’ASN, M. Lacoste, qui est d’accord pour que l’IRSN bénéficie d’une véritable indépendance.

Je voudrais rappeler que l’IRSN est un établissement public de l’État auquel les administrations compétentes s’adressent quotidiennement pour obtenir un appui technique De manière concrète, le conseil d’administration se prononce sur son budget et, approuve un schéma de répartition prévisionnelle des ressources allouées aux différents organismes demandeurs. On développe à cet égard un plan annuel de priorités.

Lors de la discussion du plan annuel de priorités établi avec l’ASN, des divergences peuvent survenir. Par exemple, il y a deux à trois ans nous avons eu des désaccords sur le poids respectif de la surveillance des installations existantes d’EDF et de l’instruction de l’EPR. Il nous avait semblé que l’ASN sous-estimait la quantité de travail nécessaire au bon déroulement de la phase d’instruction du dossier de l’EPR. Notre réaction était justifiée puisque par la suite les ressources d’expertise de l’IRSN ont été fortement mobilisées par ce dossier, par exemple au sujet des problèmes concernant le contrôle-commande. Il convenait en effet d’éviter de créer des sources de retards supplémentaires de l’EPR à travers la procédure d’instruction. L’IRSN et l’ASN sont deux organismes indépendants mais nous disposons avec le protocole annuel d’un outil de dialogue. Il est normal que nous ayons des divergences mais nous les résolvons, que ce soit en matière de programmation ou d’observation. Certains pensent que l’ASN est totalement dépendante de notre travail mais c’est inexact.. Sur les sujets complexes, qui sont fréquents, son rôle est de s’assurer que le débat contradictoire entre l’exploitant (EDF, Areva ou le CEA) et l’IRSN aboutisse à des conclusions acceptables, puis de prendre les décisions qui lui incombent.

L’ASN dispose pour cela de ses propres groupes d’experts – internationaux, cette fois – mais ils ne procèdent pas au travail d’analyse des dossiers, non seulement parque ce travail est extrêmement coûteux mais aussi parce que c’est le rôle de l’IRSN. En revanche, les experts des quatre ou cinq groupes permanents de l’ASN, qui traitent des réacteurs, des installations du cycle du combustible, des déchets, et de la radioprotection, observent l’IRSN présenter les résultats de son expertise, ainsi que les réactions de l’exploitant d’EDF. Ensuite, le groupe pertmanent rend un avis à l’ASN, qui, en général, a plutôt tendance à confirmer nos conclusions, même si ce n’est pas toujours le cas. Ainsi l’ASN a ses propres outils, et dispose des avis de l’IRSN et des positions de l’exploitant. Elle doit alors trancher. L’IRSN respecte bien entendu les positions prises par l’ASN, car c’est la règle du jeu, et ne les met jamais en cause publiquement.

S’agissant de l’arbitrage rendu sur la gestion des ressources consommées par les clients étrangers qui rémunèrent l’IRSN pour qu’il leur fournisse des expertises, j’ai fait valoir auprès du cabinet du Premier ministre qu’il ne fallait pas aller trop loin si l’on voulait éviter de se voir privé de ces ressources d’expertise pour le système national. Le Premier ministre a donc fixé une règle et nous a accordé une dérogation : ces opérations doivent être financées par les pays étrangers et non par le budget de droit commun de l’IRSN, et en cas de demande importante, l’IRSN pourra recruter au delà de son plafond d’emplois autorisé. Il y a donc bien séparation absolue entre les différentes ressources sur le plan financier, mais aussi sur le plan humain.

En ce qui concerne l’accident d’Epinal, il faut savoir que la radiothérapie est une technique de traitement qui a fait énormément de progrès et qui est absolument indispensable dans notre pays. On compte plus de 500 000 traitements chaque année, avec des résultats qui ne cessent de s’améliorer. Le Plan Cancer a permis à notre pays de s’équiper de manière extrêmement rapide mais les pouvoirs publics ont omis d’accroître le nombre et la formation des physiciens médicaux. Il s’agit d’un problème de société. Dans le domaine médical traditionnel, il y a, d’un côté le médecin, et de l’autre, le pharmacien. Tous deux ont des diplômes et sont indépendants l’un vis-à-vis de l’autre : le médecin prescrit, puis le pharmacien apprécie la prescription, délivre le médicament et doit normalement s’assurer de la complétude du système. En revanche, dans le domaine de la radiothérapie, cet équilibre fait défaut. Le physicien médical organise l’irradiation du patient suivant la prescription du radiothérapeute. Or, en France, pour devenir physicien médical, le diplôme n’est pas du même niveau que celui qui existe dans beaucoup de pays européens. Fort courte, la formation dure 18 mois, alors qu’elle est beaucoup plus longue dans d’autres pays. Les physiciens médicaux appartiennent à une catégorie de personnel hospitalier qui ne jouit pas de la même reconnaissance professionnelle que les radiothérapeutes ; par exemple, ils ne peuvent pas faire d’« actes » au sens où l’entend la Sécurité sociale, à la différence des pharmaciens. Il y a donc là un écart puisque cette profession est sous-dimensionnée sur le plan numérique et en termes de formation. A ma connaissance, il n’existe pas de consensus pour faire évoluer les choses dans notre pays, alors même que de nos jours, les appareils de radiothérapie sont de plus en plus compliqués. Par conséquent, éviter les erreurs qui peuvent survenir lors de leur maniement suppose un grand professionnalisme. Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, a autorisé le doublement des effectifs des physiciens médicaux mais la mesure est en train d’être mise en œuvre mais même cet accroissement demeure encore insuffisant. C’est là une des inquiétudes de l’ASN qui inspecte ces installations de radiothérapie et en ordonne parfois la fermeture, au motif qu’il n’y a pas de physicien médical pour les faire fonctionner. L’accident d’Épinal a illustré l’importance d’être transparent lors de la déclaration des accidents. Si cet accident a été extrêmement grave, c’est parce que rien n’a été déclaré pendant fort longtemps. Des centaines de personnes ont reçu des doses de radiations beaucoup trop importantes par rapport aux besoins de leur traitement. Cela a eu des conséquences extrêmement lourdes, allant jusqu’au décès de certaines personnes. C’est l’IRSN, à la suite de la saisine de l’ASN et de la saisine conjointe du ministre de la Santé, M. Xavier Bertrand, qui a permis de mettre en lumière les événements d’Épinal. D’ampleur nationale, les recommandations que nous avons formulées ont par la suite été reprises dans la feuille de route « radiothérapie ».

Présidence de M. Daniel Fasquelle, vice-président

Quant aux tutelles des différents ministères, j’estime qu’il n’y a pas vraiment de contradictions entre elles : la gouvernance de l’IRSN fonctionne de manière sereine et depuis que je suis directeur général de l’Institut, je n’ai jamais vu d’intervention d’un cabinet ministériel sur des expertises de l’IRSN. Notre processus d’expertise bénéficie d’un respect absolu. Nous répondons bien entendu aux questions qui nous sont posées mais je n’ai jamais ressenti de pression sur l’Institut pour infléchir le contenu de nos avis. Nos ministères de tutelle, la Défense et la Santé, restent tout à fait dans leur champ de compétence. Le ministère de la Défense centre principalement ses préoccupations à notre égard sur les questions de déploiement des sous-marins et de la force stratégique. Quant au ministère de la Santé, il suit les questions de radioprotection. Notre système fonctionne donc bien et notre conseil d’administration est une enceinte qui délibère sereinement.

Une question a été posée au sujet de l’importance du facteur humain : il est vrai que dans le fonctionnement des installations nucléaires, et en particulier celui des réacteurs d’EDF, ce facteur est un élément-clef. De nombreux efforts ont été faits pour organiser la redondance des matériels. En principe, les programmes de maintenance ont pour fonction d’assurer que l’ensemble des matériels jouant un rôle en matière de sûreté ne tomberont pas en panne lorsque l’on en aura besoin. Reste donc le facteur humain qui est l’élément le plus difficile à améliorer. L’arrivée de nouvelles générations de personnels fait que c’est un éternel recommencement. L’accroissement de la sous-traitance par EDF, tendance extrêmement forte au cours de ces dernières années, ne pose pas forcément un problème de sûreté, dès lors que l’on s’assure que les sous-traitants intègrent la démarche de sûreté de l’exploitant. Les efforts en la matière ont cependant peut-être été insuffisants. En cherchant à réduire la durée des arrêts de tranche sans se préoccuper suffisamment de la compréhension et de la prise en compte par les opérateurs sous-traitants des informations et de cette « culture de sûreté » qui leur sont transmises, on crée des problèmes, non pas de sûreté, mais d’interruption des chantiers ou de nécessité de refaire un certain nombre d’opérations. Cela coûte cher et réduit le facteur de disponibilité des centrales. Si ce facteur est anormalement faible en France, ce n’est pas dû principalement à la sûreté nucléaire, mais à la politique industrielle d’EDF. Jusqu’à une période récente, dans le cadre de la maintenance, cette politique a consisté à s’abstenir de remplacer de manière préventive un certain nombre d’équipements très coûteux, sauf bien sûr lorsque l’impératif de sûreté l’exigeait. Par exemple, la politique d’EDF à l’égard des alternateurs, pièces nécessaires à la production d’électricité à la sortie de la chaudière, a consisté à attendre qu’ils tombent en panne pour les remplacer. Cela condamne les réacteurs à s’arrêter lorsqu’une telle pièce tombe en panne. L’impact économique d’une telle politique industrielle a peut-être été sous-estimé, mais il revient plutôt à M. Proglio qu’à moi-même de répondre. Ce dernier a, me semble-t-il, entrepris de faire évoluer cette politique, ce qui est évidemment tout à fait nécessaire. Voilà bien qui explique pourquoi le taux de disponibilité est beaucoup plus faible en France qu’en Belgique : car les centrales belges par exemple n’ont pas subi cette politique industrielle consistant à user jusqu’au bout un certain nombre d’équipements sensibles du point de vue, non pas de la sûreté, mais de la productivité électrique.

S’agissant de la radioprotection dans les centrales, de nombreux efforts ont été faits par EDF, qui se poursuivent. On devrait donc continuer à observer une baisse de la dosimétrie des travailleurs, même si la prolongation de la durée d’exploitation des centrales va engendrer des chantiers de maintenance très lourds, et donc accroître la dose collective. Cela étant inéluctable, EDF doit donc s’efforcer de planifier ses chantiers sans remettre en cause le progrès continu de la radioprotection des travailleurs et des sous-traitants. EDF en est tout à fait consciente et fait preuve d’un très grand professionnalisme en la matière.

En réponse à la question de la prolongation de la durée d’exploitation des centrales, il est vrai que l’ASN vient de prononcer l’autorisation du passage de 30 à 40 ans de la durée de vie d’un réacteur du site de Tricastin. Il nous paraît indubitablement possible de porter à 40 ans la durée de vie de tout le parc de centrales de 900 mégawatts. Cette mesure était attendue. Les rapports génériques de l’IRSN sur les réacteurs de cette puissance sont relativement satisfaisants. Il va donc être procédé à l’examen de ces réacteurs, unité par unité. L’issue de ces discussions me paraît certaine, même si des vérifications pourraient être effectuées et des modifications s’avérer nécessaires. Par exemple, les médias se sont fait tout récemment l’écho de la découverte, par l’IRSN, d’un problème avec les débitmètres des systèmes d’injection de sécurité.

S’agissant de la controverse entre l’ANDRA et les exploitants nucléaires sur le site de Bure, il convient de faire extrêmement attention à ce que l’on dit publiquement sur ces sujets car il s’agit de l’un des domaines où la confiance des citoyens est la plus faible. L’interrogation de la société est forte et légitime en ce qui concerne le transfert des risques aux générations futures. Ce questionnement politique et philosophique est fort sensible et les médias s’y arrêtent fort volontiers. Ce n’est donc pas un pur débat d’ingénieurs mais bien un débat sociétal. Certes, l’on pourrait peut-être faire moins cher et plus vite, mais une telle simplification risque de remettre en cause la légitimité du projet du point de vue sociétal. Rappelons que dans notre pays, la loi prévoit des enquêtes publiques et l’organisation d’un débat public sur ces sujets. La démonstration de l’acceptabilité sociale d’un projet suppose qu’il y ait une distance suffisante entre :

– les exploitants qui génèrent les déchets,

– l’ANDRA qui a vocation à en assurer le stockage en toute sûreté,

– le système de sûreté ASN-IRSN qui a vocation à se prononcer sur la faisabilité et sur la légitimité du projet de construction,

– et la nation elle-même qui finance, par le biais de sa facture électrique, les provisions pour démantèlement. Les fonds de gestion des déchets n’appartiennent pas à EDF mais à la nation.

S’agissant de l’EPR : celui-ci incorpore une sûreté très nettement améliorée par rapport aux technologies qui fonctionnent dans notre pays. Le choix avait été fait à l’époque par la France et l’Allemagne de se doter d’un réacteur extrêmement puissant de 1650 MW. Ce système très puissant contient une énergie colossale impliquant des mesures de sûreté extrêmement complexes. Considérer que c’était la seule voie, voilà sans doute l’erreur stratégique que l’on a commise il y a 20 ans. Le choix d’équiper la France de réacteurs très puissants et très sûrs – dans la mesure où il est peu vraisemblable d’ouvrir de nouveaux sites nucléaires dans notre pays – fut le bon pour nous, mais pas forcément pour les pays émergents souhaitant bénéficier de l’énergie nucléaire sans être nécessairement équipés de réseaux électriques très développés, et qui n’auront pas un parc de très nombreux réacteurs de ce type. Or, où aller chercher l’électricité lors d’un d’arrêt de tranche dans un petit pays équipé d’un seul réacteur EPR ? Un certain nombre de pays sont enclavés et ne peuvent acheter d’électricité à leurs voisins et ne peuvent donc accroître leur prévision de consommation électrique sans avoir une sécurité d’approvisionnement suffisante. A cet égard, l’EPR n’est pas adapté aux pays comme la Jordanie ou le Vietnam. L’industrie nucléaire française n’a pas perçu assez tôt la nécessité de disposer d’une véritable gamme de réacteurs. En outre, plus l’on réduit la puissance, plus il est facile d’accroître la sûreté à un prix raisonnable. L’IRSN considère qu’aujourd’hui, nous disposons d’une compréhension scientifique de tous les scénarios d’incidents possibles pouvant affecter le fonctionnement d’un réacteur à eau sous pression d’une puissance inférieure à 1000 mégawatts. Nous sommes donc à même de proposer des mécanismes de sauvegarde ne nécessitant pas le « cendrier » que l’on trouve dans l’EPR et permettant le maintien dans la cuve du cœur endommagé sans qu’il soit nécessaire d’aller jusqu’à la fusion totale et sans que le combustible, partiellement ou totalement fondu, ne puisse s’échapper de la cuve. Pour les réacteurs de moindre puissance, il est possible de recourir à des systèmes passifs de sûreté : plus simples, ils fonctionnent même en l’absence d’alimentation électrique, à la différence des systèmes actifs. A l’extrême, comme le rappelle Claude Gatignol, l’on trouve les très petits réacteurs dont la sûreté ne pose pas de difficulté de mise en œuvre. On en trouve par exemple dans les sous-marins, mais dans notre pays, nul n’a jamais imaginé les mettre à disposition du civil. Potentiellement très attrayants, ces tout petits réacteurs posent la question de l’acceptabilité sociétale, mais ne posent aucun problème de technologie ou de sûreté. Pour que cela puisse fonctionner, notre pays et nos citoyens doivent donc s’efforcer de comprendre ces sujets. Il y a quelques années, j’ai suggéré au ministère de l’Education nationale que dans les programmes scolaires, l’on puisse parler davantage de radioactivité que ce n’est le cas aujourd’hui. Cela m’a été absolument refusé. Or, nous avons entrepris une expérimentation avec un certain nombre de lycées volontaires dont les équipes pédagogiques et les proviseurs s’intéressent au sujet : ces lycées proposent des cours de physique ou d’éducation civique où l’on fait passer ces messages. Cela concerne des classes allant de la seconde à la terminale et je peux vous assurer que les élèves sont absolument passionnés par ces questions. On se heurte en revanche à une réticence du corps enseignant et du ministère, ce qui nous empêche d’aller plus loin. Pour nous, cela est évidemment très coûteux.

La sûreté a-t-elle un poids suffisant dans les arbitrages nationaux ? Il s’agit en effet d’une question importante. Depuis la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, qui a mis en place un système dans lequel l’ASN et l’IRSN sont indépendants et le Gouvernement est chargé des choix politiques, il n’y a pas eu d’arbitrage suffisamment important pour en juger. Nous verrons quel sera le poids de la sûreté dans les décisions qui seront prises par le Gouvernement sur la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. Je pense qu’il sera suffisant car sur des dossiers moins importants le Gouvernement n’a pas cherché à infléchir les décisions fondées sur des analyses de sûreté.

S’agissant des faibles doses, l’IRSN ne propose pas d’approche épidémiologique. Les sources de confusion sont trop nombreuses. Par exemple, l’épidémiologie ne peut pas rendre compte de l’augmentation du nombre de cancers quand la radioactivité n’est qu’un facteur parmi d’autres. Les études épidémiologiques réalisées autour des sites nucléaires n’ont qu’une faible valeur scientifique et il serait regrettable de consacrer des ressources importantes à cette démarche. Nous explorons une approche basée sur la biologie fondamentale et menons à ce sujet des recherches conjointes avec le CEA, ainsi qu’avec des acteurs américains, suédois, allemands, italiens… Il s’agit d’un travail scientifique de très haut niveau, qui permet de ne plus appréhender la dose uniquement comme une quantité d’énergie déposée dans les cellules et affectant l’ADN. Grâce aux progrès de la physique nucléaire, nous développons des mécanismes de mesure des traces physiques d’interactions entre un neutron ou un électron et des molécules vivantes. Il y a un consensus au plan européen et mondial pour reconnaître que cette approche est susceptible d’améliorer la gestion et la perception des risques des faibles doses. Celles-ci sont probablement sans incidences au plan sanitaire même si cela reste encore à démontrer.

Je répondrai à M. Loos que notre pays n’est pas « maximaliste » en matière de sûreté nucléaire. Nous avons raison d’avoir des exigences fortes. Le choix du gouvernement des Emirats arabes unis d’acheter un réacteur coréen est d’ordre économique et politique mais les autorités de ce pays vont très probablement exiger que ce réacteur présente les mêmes critères de sûreté que l’EPR. Cela va représenter un important effort financier pour les Coréens, qui ont obtenu ce marché en vendant leur réacteur, qui ne présente pas toutes les garanties de sûreté, à un prix défiant toute concurrence. L’IRSN fait partie, ainsi que des acteurs américains, européens et coréens, du groupe international d’organismes qui appuient au plan technique l’autorité de sûreté des Emirats arabes unis. L’IRSN est chargé des questions environnementales, pour lesquelles il dispose d’une expertise reconnue au plan mondial.

En réponse à Mme Massat, j’indique qu’en raison du contexte budgétaire actuel, il est impossible d’augmenter le budget de l’IRSN, et ce malgré nos demandes répétées ces dernières années, qui s’appuyaient sur le constat du développement rapide de l’industrie nucléaire. Il n’est donc pas envisageable d’augmenter notre subvention de recherche, qui finance également l’expertise. Dans un rapport aux autorités de tutelle, j’avais proposé de rechercher des financements complémentaires. Cette suggestion a été retenue mais les financements complémentaires se substituent partiellement aux subventions publiques, ce qui ne correspond pas à notre demande. Un mécanisme d’ajustement de la contribution des exploitants au nombre de dossiers de sûreté qu’ils déposent a ainsi été décidé. EDF étant à l’origine d’un nombre croissant de dossiers, il n’était en effet pas normal que le financement de l’expertise correspondante pèse sur les contribuables. Ce mécanisme, qui a été approuvé par le Parlement et qui préserve notre indépendance, représente une évolution positive. En outre, il a l’avantage de ne pas dégrader les finances publiques et je sais que le Parlement est particulièrement vigilant sur cette question.

S’agissant des scanners d’aéroports, l’IRSN a été consulté par le ministère de la santé. Il existe deux types de scanners, certains sans rayons ionisants, d’autres à rayons X. L’IRSN a donné un avis négatif pour l’utilisation de scanners à rayons X, qui a été suivi par le Gouvernement. Même si les doses sont très faibles, le fait d’installer plusieurs centaines de scanners multiplierait les risques de défaillance, alors que les aéroports ne disposent pas de personnel compétent pour le contrôle de ces appareils. Les risques pour les personnels et les passagers sont donc réels. La technologie des scanners sans rayons X permet d’assurer la sûreté aérienne mais il reste encore à en convaincre les Etats-Unis, qui ont autorisé les scanners à rayons X, ainsi que les autres Etats membres de l’Union européenne.

Je crois qu’il faut que nous accroissions la diffusion d’information, notamment sur internet. Dans notre société de la connaissance, en effet, il ne faut pas sous-estimer la capacité qu’ont les individus à s’informer et internet est aujourd’hui une source d’information très courante.

Un mot, ensuite, sur le radon. L’IRSN est à l’origine de la plupart des connaissances disponibles sur les émissions de radon dans notre pays. Il s’agit d’un risque bien réglementé dans les immeubles recevant du public, et sur les lieux de travail. Reste le problème de l’habitat. Je suis un peu inquiet de la proposition que fait aujourd’hui l’administration de rendre obligatoire l’établissement d’un certificat de mesure du radon lors de la vente d’un logement. Si elle était mise en œuvre, cette proposition entraînerait le développement des cabinets proposant de telles prestations mesure mais je crains qu’elle n’ait que peu d’utilité pour la santé : pour qu’une mesure soit conforme aux normes, il faut qu’elle soit effectuée sur une période de deux mois, ce qui est inenvisageable dans un tel cadre ; et il suffit d’ouvrir les fenêtres pour ne pas trouver de radon lors d’une mesure rapide. Peut-être même cette mesure risquerait-elle d’être dangereuse en donnant l’impression, de manière trompeuse, que la sécurité sanitaire est ainsi assurée. Le panel de citoyens que nous avons organisé sur cette question a abouti au même constat que celui de l’IRSN, à savoir que ce dont les individus ont besoin, c’est d’informations sur le risque. Le chiffre de trois mille morts chaque année du fait du radon a été évoqué, mais cette estimation, basée sur la relation linéaire sans seuil, est certainement fausse. À la demande des autorités, nous avons élaboré avec le BRGM une carte précise, à l’échelle du km2 de la présence possible de radon ; Or on nous a demandé de ne pas rendre cette carte publique, ce que j’ai du mal à comprendre.

Il existe aussi en France d’anciens sites radio-actifs, contaminés pour la plupart avant la Seconde Guerre mondiale par des manipulations de radium. L’administration a heureusement conservé l’historique de ces sites, au niveau des DREAL. L’IRSN mène aujourd’hui avec l’ASN et l’ANDRA un travail d’investigation à partir de ces informations disponibles.

Concernant la station expérimentale de l’IRSN à Tournemire, il s’agit d’un ancien tunnel ferroviaire situé près de Roquefort, creusé dans une roche dont les propriétés sont proches de celle du site de Bure de l’ANDRA. La station de Tournemire appartient à l’IRSN mais nous y menons aussi des expérimentations avec le CNRS ; le site est par ailleurs reconnu par l’AIEA comme site de formation sur le thème du stockage géologique des déchets radioactifs. Son exploitation est peu coûteuse car il est possible d’y faire entrer directement des véhicules et engins de chantier. Nous y menons des expériences à caractère méthodologique, qui nous ont permis de développer des codes de calcul indépendants de ceux de l’ANDRA.. Aujourd’hui, il existe ainsi quatre laboratoires de recherche en Europe dédiés à la recherche sur le stockage géologique en formation d’argile (outre les laboratoires de Bure et de Tournemire, il s’agit des laboratoires de Mol en Belgique, et du tunnel du Mont Terri en Suisse).

Je termine en regrettant que l’OPECST n’ait jamais auditionné l’IRSN. M. Birraux est membre de notre conseil d’administration et je le rencontre de temps à autre mais je crois qu’il serait utile d’engager un dialogue plus institutionnel.

M. Daniel Fasquelle, vice-président. Monsieur le directeur, je vous remercie pour ces réponses très précises et je transmettrai votre demande à l’OPECST.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 16 février 2011 à 10 heures

Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Jean Auclair, M. Thierry Benoit, M. Christian Blanc, M. Bernard Brochand, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Louis Guédon, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Michel Lefait, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. François Loos, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Christian Paul, M. Daniel Paul, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Louis Touraine, M. Alfred Trassy-Paillogues, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Bernard Gérard, M. Gérard Hamel, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jean-Claude Lenoir, M. Jean-Louis Léonard, Mme Anny Poursinoff, M. Michel Raison

Assistait également à la réunion. - Mme Marie-Line Reynaud