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Commission des affaires économiques

Mardi 8 mars 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 49

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition de M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

La commission a auditionné M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.

M. le président Serge Poignant. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui M. Philippe Chalmin, président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Vous êtes économiste, spécialiste des questions alimentaires et, depuis le mois d’octobre, président de cet Observatoire qui a été créé en mars 2008 et consacré en juillet 2010 par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP). J’aurais deux types de questions à vous poser. En premier lieu, pouvez-nous faire part des résultats de vos études sur les coûts de production ? En deuxième lieu, quelle est votre analyse sur l’évolution des cours des matières premières et la volatilité des prix ? Je rappelle que le cours du baril de Brent est passé en 2008 de 145 dollars à 36 dollars et qu’il a franchi la barre des 100 dollars il y a quelques jours. Par ailleurs, selon la FAO, les prix alimentaires ont aujourd’hui atteint un pic historique, ce qui nous fait redouter une nouvelle crise alimentaire mondiale. Plusieurs facteurs ont été mis en avant pour expliquer ces évolutions : une tension croissante entre l’offre et la demande mondiales, notamment du fait des pays émergents, et en premier lieu de la Chine ; les aléas climatiques ; le rôle des marchés dérivés. Quelle est votre analyse en la matière ? Vous avez par ailleurs affirmé que la spéculation financière ne représentait que « l’écume de la vague » : pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? L’instabilité des prix des matières premières agricoles a également un impact sur les revenus des agriculteurs ; quelles doivent être dans ce contexte, selon vous, les orientations à privilégier dans le cadre de la réforme de la PAC après 2013 ? Quel jugement portez-vous sur le rôle de la contractualisation prévue dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche et sur sa mise en œuvre dans les différentes filières ?

M. Philippe Chalmin. Je m’exprimerai, d’une part, en ma qualité de président de l’Observatoire des prix et des marges, d’autre part en tant que professeur à l’Université de Paris-Dauphine et président du cercle Cyclope. Comme vous l’avez rappelé, l’Observatoire dans sa forme actuelle a été institué par la LMAP. Il réunit l’ensemble des acteurs liés aux filières alimentaires. Son originalité tient au fait qu’il est présidé par un universitaire, donc par une personnalité indépendante et irresponsable. Je m’appuie pour l’essentiel sur les équipes de FranceAgriMer : nous n’avons d’ailleurs pas de personnel, ni de budget propres. Nous avons répondu en premier lieu à une demande de M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture et de la pêche, concernant la filière de la viande bovine, à un moment où la situation était particulièrement tendue. Sous ma seule responsabilité, nous avons rendu un rapport préliminaire sur les prix et les marges dans cette filière. La prochaine échéance importante sera la remise de notre rapport au Parlement à la fin du mois de juin 2011. Ce document sera la résultante des études de plusieurs groupes de travail que j’ai mis en place, qui concernent non seulement la viande bovine mais également la viande porcine, la volaille, les produits laitiers, et les fruits et légumes. Nous aurons vocation par la suite à couvrir tout le champ agricole, y compris le vin, les céréales et les produits de la mer.

Je souhaiterais maintenant préciser le contexte dans lequel s’inscrivent nos travaux. En premier lieu, la France est probablement le seul pays dans lequel les négociations entre industrie et grande distribution donnent lieu à une telle dramatisation. Le respect du contrat est étranger à l’esprit français, au moins en ce domaine : il faut en tenir compte. Notre Observatoire n’a d’équivalent dans aucun autre pays ; son existence est justifiée par l’opacité qui lie les acteurs de l’industrie, de la production et de la distribution. Par exemple, les dernières négociations entre l’industrie et la distribution se sont déroulées dans des conditions particulièrement difficiles et un certain nombre de filières sont encore bloquées ; c’est sans doute la raison pour laquelle il y a autant de textes en France qui réglementent la concurrence.

Le deuxième élément de contexte à prendre en compte concerne les évolutions de la politique agricole commune. Les derniers instruments de gestion par les prix sont en train de disparaître. On est en train de découvrir l’instabilité des prix agricoles, ce qui n’était le cas, auparavant, que pour les produits tropicaux : or, cela concerne aujourd’hui également les céréales et les produits laitiers. Il faut donc répercuter l’évolution très volatile des prix agricoles au sein des filières, tant dans le domaine de l’alimentation humaine que dans celui de l’alimentation animale.

En troisième lieu, il faut tenir du compte du fait que nous vivons un véritable choc sur les marchés mondiaux, tant dans les domaines de l’énergie et des métaux que dans celui de l’agriculture. Les prix de très nombreux produits agricoles ont ainsi retrouvé leur niveau du printemps 2008.

A cet égard, le rôle de l’Observatoire est d’apporter de la transparence et de la confiance. A cet effet, nous allons bientôt mettre en place un site internet qui permettra de consulter la quasi-totalité des séries de prix et de marges que nous suivons et sur lesquels nous sommes en train de discuter. Des questions méthodologiques importantes se posent à cet égard. À titre d’exemple, la définition de la part du lait dans le yaourt aboutit à des résultats allant de 15 % à 40 % en fonction de la méthode de valorisation utilisée pour les sous-produits de la fabrication du yaourt. Ce qui importe, c’est de proposer un lieu neutre, propre à la discussion ; dans le domaine de la viande bovine, on est ainsi parvenu à ce que les différents acteurs se comprennent un peu mieux. Enfin, de manière générale, il me paraît fondamental de ne pas chercher à identifier des coupables aux différents problèmes rencontrés.

Le deuxième sujet, qui est directement lié au précédent, concerne la situation sur les marchés mondiaux de matières premières. On est à des niveaux de prix pratiquement équivalents à ceux de juillet 2008 exprimés en dollars. Cela signifie qu’en euros, on est aujourd’hui beaucoup plus haut, puisque qu’un euro valait à l’époque 1,6 dollar et ne vaut plus aujourd’hui qu’1,4 dollar : c’est la raison pour laquelle l’essence vaut plus cher qu’en juillet 2008, mais le pétrole n’est pas réellement un problème. En effet, après le pic de juillet 2008 est survenu le retournement du marché, et ce avant même la crise financière de septembre 2008 et la faillite de Lehman Brothers. Entre juillet et décembre 2008, les prix mondiaux ont perdu 60 % de leur valeur, le point le plus bas ayant été atteint en janvier 2009 à la veille du nouvel an chinois, avant que les cours ne remontent pour atteindre aujourd’hui des niveaux supérieurs à ceux de juillet 2008. Le cas de l’énergie est spécifique, dans la mesure où le marché pétrolier n’avait connu qu’une faible hausse. Les prix s’étaient stabilisés entre la mi-2009 et l’automne 2010, dans une fourchette qui contentait à peu près tout le monde, entre 75 dollars et 85 dollars le baril, sur la base du panier moyen de l’OPEP. Depuis la fin 2010, toutefois, des événements géopolitiques majeurs ont entraîné un renchérissement de 20 dollars à 25 dollars, ce qui n’apparaît pas excessif eu égard à l’ampleur des risques politiques pesant sur l’Algérie, et éventuellement sur le Golfe, voire sur l’Arabie Saoudite.

Par ailleurs, les prix du pétrole cachent l’évolution d’autres sources d’énergie. Ainsi, les prix du charbon sont-ils très tendus en Asie du fait de la demande chinoise. En revanche, les prix du gaz naturel se sont effondrés aux États-Unis du fait de la production de gaz non conventionnel (shale gas), qui a accru les réserves américaines de trente ans supplémentaires. Il semblerait qu’en France, on s’apprête à refuser ces shale gas de la même manière qu’on a, par le passé, refusé les OGM : ce n’est peut-être pas un hasard si c’est dans la même région que celle de M. Bové ! Le gaz naturel, qui vaut normalement deux tiers du prix du pétrole, en vaut aujourd’hui à peine un quart, ce qui aura des conséquences importantes sur les prix au niveau du marché mondial.

Les marchés qui ont véritablement fait l’objet de tensions ces dernières années sont en vérité ceux des métaux et des produits agricoles. Sur le plan de la demande, la croissance économique mondiale a connu un net regain, puisqu’elle a atteint 4,8 % en 2010, les prévisions du FMI pour 2011 s’élevant à 4,4 %. Cette demande est notamment alimentée par la Chine, dans le domaine des matières premières industrielles – métaux non ferreux, caoutchouc (qui a connu la hausse la plus élevée de 2010) – mais aussi du coton et des produits alimentaires – soja, oléagineux et, dans une certaine mesure, les céréales, même si la Chine mène autant que possible une politique d’autosuffisance alimentaire. Sur le plan de l’offre existent des facteurs de long terme et de court terme. À long terme, les prix ont été déprimés au cours des années 1980, 1990 et au début de la décennie 2000. En conséquence, les investissements nécessaires n’ont pas été accomplis en matière de production minière, énergétique ou agricole. En matière agricole, les pays du tiers-monde ont été particulièrement sacrifiés. On n’avait aucun doute sur le fait que le monde était en mesure de subvenir à son alimentation.

La flambée actuelle des prix s’explique essentiellement par l’absence d’investissements dans les capacités productives ces 30 dernières années. Dans les secteurs concernés, les investissements doivent être pensés à long terme : ainsi, il faut une durée de quinze ans pour mettre en œuvre l’exploitation d’une nouvelle mine, d’un nouveau champ de pétrole, et plus longtemps encore pour concevoir de nouvelles molécules ou de nouvelles semences. La mise en œuvre de politiques agricoles est également une œuvre de long terme.

Dans le domaine des produits agricoles, les équilibres entre l’offre et la demande sont aujourd’hui très précaires et les accidents climatiques ou géopolitiques ont précipité la hausse des prix. L’augmentation des prix en 2008 s’explique par les accidents climatiques de 2006 et 2007, et la flambée actuelle par différents événements survenus en 2010 : la canicule en Russie, les inondations au Pakistan, en Chine et en Australie, les difficultés de production au Canada et en Argentine. Les marchés en 2010-2011 sont déficitaires et les stocks seront à un niveau dramatiquement bas à la fin de la campagne de 2011.

La flambée des cours touche pour la première fois l’Union européenne car le système de la politique agricole commune telle que nous le connaissions ne fonctionne pas.

La spéculation est un phénomène réel, elle est pratiquée par les acteurs financiers mais aussi par les professionnels de l’agriculture. Avec un cours actuel du blé à 230 euros la tonne, il est normal que les producteurs français spéculent. J’insiste sur le fait que la spéculation est nécessaire dans le contexte actuel d’instabilité des marchés puisqu’elle permet aux acteurs d’anticiper (ce que signifie justement speculare en latin). La spéculation financière fournit des liquidités nécessaires aux marchés et permet de gérer les risques. Depuis un siècle, toutes les études économiques ont conclu à la neutralité de la spéculation financière sur les prix des produits agricoles. Actuellement, les prix du lait augmentent fortement mais il n’existe pas de marché dérivé pour ce produit ni pour le riz, ce qui existe en revanche pour le blé, le maïs et le soja.

En ma qualité d’universitaire, je me réjouis du fait que la France ait décidé d’inscrire la question de l’agriculture dans les priorités de sa présidence du G20 : la flambée des prix ne doit pas être abordée comme la conséquence des agissements de spéculateurs mal intentionnés mais comme une composante du défi alimentaire, l’un des défis majeurs du XXIème siècle. Je ne pense pas que la solution réside dans une hypothétique régulation des marchés : il convient avant tout d’aider les pays en développement à financer des politiques agricoles.

Mme Catherine Vautrin. Vous avez évoqué le rapport de l’Observatoire que vous présidez sur la filière bovine. Ses conclusions indiquent que l’industrie alimentaire et la grande distribution n’abusent pas des marges mais les éleveurs ne partagent pas ce point de vue en ce qui concerne l’abattage et la grande distribution. Je pense qu’il conviendrait de poursuivre l’analyse de la situation de cette filière.

Vous nous avez indiqué que l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires fonctionnait selon un principe de transparence et de confiance mais ne dépend-il pas excessivement des chiffres communiqués par les acteurs, dans des filières caractérisées par une forte opacité ?

Lorsqu’il vous a nommé, le ministre de l’agriculture et de la pêche a chargé l’Observatoire d’étudier les céréales, le pain et le vin de consommation courante : pourriez-vous nous donner des éléments sur l’avancement de ces travaux ?

L’évolution des cours des matières premières est un sujet majeur de préoccupation. La répercussion de la hausse des cours sur les prix des produits crée un risque inflationniste, tandis que l’absence de report fait peser des charges très lourdes sur les transformateurs. Que pensez-vous des récentes propositions tendant à mettre en place des indicateurs des prix des matières premières, qui pourraient s’inspirer des indicateurs des cours du pétrole ?

Enfin, vous avez évoqué les filières agro-alimentaires mais celles-ci sont incomplètes car elles n’incluent pas la distribution : ne faudrait-il pas adopter une vision plus globale des filières et quels sont, selon vous, les moyens de contourner le rapport de forces entre producteurs et distributeurs ?

M. Jean Gaubert. La spéculation sur les marchés mondiaux ne s’explique-t-elle pas par le manque de transparence sur l’état des stocks ? Lorsque le stockage était financé par l’Union européenne, les stocks étaient déclarés. En ce qui concerne les céréales, personne ne dispose d’informations sur leur état, ni sur la jonction à la fin du printemps. La contractualisation vous paraît-elle être une solution ? Les céréaliers acceptent aujourd’hui l’idée de contrats avec les éleveurs, mais qu’en sera-t-il quand les prix baisseront ? Il s’agit d’une question de solidarité.

Vous préconisez à juste titre le financement des politiques agricoles dans les pays en développement mais il s’agit d’un travail de long terme ; il convient d’agir en faveur de nos producteurs d’ici là. Par ailleurs, pourquoi ces pays ne taxent-ils pas les importations de produits agricoles, comme l’OMC les y autorise ?

L’Observatoire que vous présidez est dépendant des informations qui lui sont communiquées, et dès lors il convient de s’interroger sur leur exactitude. Si le prix du lait dans un yaourt est de 30 %, cela justifie mieux une hausse de prix que s’il est seulement de 10 %. Disposez-vous de réels moyens de contrôle ? Quelles sont les sanctions possibles et d’autres instances peuvent-elles intervenir, par exemple l’Autorité de la concurrence ?

Alors que la part des produits alimentaires dans les dépenses des ménages est d’habitude estimée à 16 %, elle serait aujourd’hui selon les organismes professionnels agricoles de l’ordre de 11 à 12 %, avec une part pour les produits agricoles de 3 %. Dispose-t-on encore de marges pour réduire cette part, grâce à une baisse des prix ? Les marges de l’abattage sont faibles puisqu’elles se limitent à 0,5-1 % par an.

Ne faut-il au contraire pas accepter la hausse des prix actuelle, malheureusement pour le consommateur ? La question du pouvoir d’achat devrait alors être traitée sous un autre angle.

M. André Chassaigne. Vous avez tenu des propos très catégoriques. Ainsi, lorsque vous affirmez que tous les économistes sont d’accord sur le fait que la spéculation n’a pas d’impact sur l’instabilité des marchés de produits agricoles, vous n’exprimez en fait que votre avis personnel. D’autre part, la journaliste qui vous demandait quels acteurs s’enrichissaient au sein de la filière bovine posait une question légitime : il suffit d’observer les bénéfices des entreprises de grande distribution.

Je souhaiterais savoir si vous rencontrez des difficultés pour obtenir des informations dans le cadre de la mission de l’Observatoire des prix et des marges. Procédez-vous à une analyse fine des coûts, qu’il s’agisse des carburants ou des différents intrants, de la main-d’œuvre ? Prenez-vous en compte les spécificités territoriales ? Y-a-t-il une évaluation du coût environnemental, point qui avait fait l’objet de débats dans le cadre du « Grenelle de l’environnement » ? Enfin, le coût social des produits importés devrait également être pris en considération lorsqu’ils ont été transformés dans des conditions différentes des nôtres.

La loi de modernisation de l’économie (LME), qui a supprimé certaines contraintes liées aux négociations commerciales, a-t-elle eu des effets sur les coûts et sur les contraintes qui pèsent sur les producteurs ? Il serait également souhaitable d’évaluer les effets de la contractualisation dans le domaine des productions laitières.

Je partage enfin votre point de vue sur le rôle des accidents climatiques et géopolitiques dans la hausse des prix des produits agricoles mais quelles sont les mesures de régulation possibles ? L’utilisation du stockage, qui a quasiment disparu, et pour laquelle il conviendrait de créer de nouveaux modes de gestion, vous paraît-elle souhaitable ? Ne permettrait-elle pas de limiter l’instabilité des prix et de renforcer la sécurité alimentaire mondiale ?

M. Jean Dionis du Séjour. Je souhaiterais partir d’une expérience de terrain : dans mon département, sur le marché de la ville d’Agen, le prix des pommes vendues au client est cinq à dix fois supérieur au prix payé aux producteurs alors que, dans cette filière, il n’existe aucun transformateur mais, bien au contraire, une relation directe entre le producteur et le distributeur. La situation est telle que je me demande, tout d’abord, si vous disposez réellement des moyens pour mener à bien votre mission, notamment lorsqu’on voit la structure ô combien complexe d’un groupe de distribution ? Ensuite, je souhaiterais savoir si vous pouvez expliquer et comment il serait possible de lutter contre une telle hausse des prix ? On constate que, dans la filière des fruits et légumes, les marges nettes réalisées par les distributeurs se situent entre 35 et 40 %, ce qui est véritablement scandaleux. Observez-vous une telle situation et comment pouvez-vous l’expliquer ?

Je vous mets par ailleurs en garde contre l’opacité dont font preuve de trop nombreux distributeurs : c’est une vraie difficulté de votre mission.

Je partage votre constat sur les difficultés tenant à la maîtrise des prix (soumis aux aléas climatiques, politiques, à la mondialisation des marchés…) ; je ne pense pas pour autant que la contractualisation soit une solution car nombre d’agriculteurs seront réticents à y entrer. Je pense qu’il faut davantage veiller à une maîtrise des charges, qui, elles, sont constantes, et qu’une politique nationale notamment dans le domaine fiscal peut donc être efficacement conduite sur ce sujet.

M. Michel Raison. Sur le problème global de la fluctuation des prix des matières premières, pouvez-vous nous indiquer quel est globalement le pourcentage dû aux problèmes d’adéquation entre l’offre et la demande, et par ailleurs quelle part doit-on attribuer à la seule spéculation financière (puisque, pour prendre l’exemple des céréales, on constate trop fréquemment des changements de propriétaires de céréales sans pour autant qu’il y ait des changements de silos) ?

Sur le sujet spécifique des marges, l’Observatoire de formation des prix et des marges doit donner des éléments pour travailler précisément et déterminer quelle part revient exactement à tel ou tel acteur, et quelle est la variation observée selon le produit considéré. Ce qui importe, c’est notamment de connaître la marge finale réalisée par les principaux acteurs, notamment dans le secteur de la distribution, et ce qui pose par ailleurs la question des franchisés. On constate finalement une assez grande opacité et une véritable immoralité dans le respect des contrats passés entre fournisseurs et distributeurs : l’Observatoire que vous présidez a-t-il un rôle à jouer sur ce sujet ?

M. François Brottes. Je constate tout d’abord le manque d’enthousiasme de Jean Dionis du Séjour à l’égard de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche puisque, visiblement, lui-même ne croit pas en la contractualisation !

Avant de vous poser quelques questions, je dois vous dire, Monsieur le Président, que vous êtes un observateur de parti pris : très sincèrement, j’aurais été à votre place, je me serais abstenu de tenir les propos que vous avez eus sur les organismes génétiquement modifiés et sur les gaz de schiste !

Vous avez utilisé le terme de « psychodrame propre à notre pays » mais le principal problème concerne les gens eux-mêmes, les producteurs dont on constate que de plus en plus d’entre eux font aujourd’hui faillite : dans ce climat général, avez-vous observé des phénomènes de vente à perte dont on sait pourtant qu’ils sont en principe interdits ?

Il y a également un sujet dont on ne parle pas, qui est celui de la concentration des centrales d’achat : n’y a-t-il pas une particularité de notre pays sur ce sujet puisque, avec seulement trois ou quatre centrales d’achat en France, il existe inévitablement une très forte pression sur l’offre ?

Enfin, existe-t-il d’autres moyens pour couvrir le risque que celui de la spéculation sur des produits dont on sait que les cours bénéficient d’une relative stabilité en raison, notamment, de subventions distribuées au niveau communautaire, la spéculation comportant donc assez peu de risque ?

M. Jean-Pierre Grand. Sur la filière des fruits et légumes, avez-vous dès à présent effectué un bilan sur les accords de modération de marges conclues à l’été 2010 ?

Par ailleurs, j’ai appris que les travaux sur la filière agricole allaient être de nouveau reportés pour n’être entamés qu’au second semestre 2011 : avez-vous l’intention d’accélérer les choses sur ce sujet ?

Mme Frédérique Massat. Je suis très surprise par vos propos, Monsieur le Président, car, pour m’être confrontée sur le terrain aux associations de producteurs agricoles et d’éleveurs bovins, je constate que nous n’avons pas du tout la même perception des choses.

Après avoir lu votre rapport sur la filière bovine, ils sont notamment stupéfaits lorsqu’ils lisent sous votre plume que ni les industriels, ni les distributeurs ne s’en « mettent plein les poches » pour reprendre vos propres termes. Comment expliquer, dans ce cas, que le prix de l’entrecôte soit environ de 20 euros le kilogramme alors que le prix de vente de la viande de bœuf par le producteur atteint tout juste les 3 euros par kilogramme ? Le prix du bœuf en rayon a augmenté de 50 % entre 1990 et 2008 alors que les revenus des producteurs ont quasiment stagné en vingt ans.

Les agriculteurs estiment que vous n’avez ni le temps, ni l’ensemble des données à disposition pour vous permettre d’avoir une vision complète de la réalité : à cet effet, je souhaiterais savoir quels sont les moyens dont vous disposez pour observer les marges sur les différents marchés ? Vous avez précisé que votre Observatoire ne bénéficiait pas de budget propre puisqu’il est fondu dans celui de FranceAgriMer ; or, comme le budget de FranceAgriMer a été voté avec difficulté et n’a pas bénéficié d’une quelconque augmentation, de quels moyens bénéficiez-vous effectivement alors que, dans le même temps, vos missions ont été accrues ?

M. Jean-Pierre Nicolas. La spéculation a toujours existé mais il semblerait qu’elle soit seulement plus difficile à déceler aujourd’hui qu’elle ne l’était par le passé. Pouvez-vous nous indiquer les effets que vous avez pu tirer de la contractualisation et des réunions entre fournisseurs et distributeurs ?

Mme Annick Le Loch. Pour reprendre les mots que vous avez vous-même employés, il y aurait dans notre pays un « psychodrame », celui-ci étant le seul au monde à vivre des tensions aussi vives entre fournisseurs et distributeurs, qui plus est dans une si grande opacité : comment l’expliquez-vous ?

En ce qui concerne la filière bovine, certains acteurs de la filière ont néanmoins répercuté un certain nombre de coûts. Vous avez dit que personne ne tirait véritablement profit de la hausse des cours de la viande tout en admettant, par ailleurs, que la plupart des éleveurs n’ont pu répercuter leurs coûts de production dans les prix de vente à leurs clients : la contractualisation permettra-t-elle, selon vous, une répercussion effective des prix de production au bénéfice des éleveurs ?

M. Francis Saint-Léger. Il existe actuellement de véritables inquiétudes à l’égard du gaz de schiste. Vous semblez néanmoins être favorable à l’exploitation de cette nouvelle source d’énergie : qu’en attendez-vous exactement ? Par ailleurs, quels en sont les effets aussi bien sur l’environnement que sur le prix du gaz en tant que tel ?

M. Jean-Michel Villaumé. Je pense que nous avons tous été surpris par votre rapport sur la filière bovine, en date du 6 janvier dernier : l’efficacité de l’Observatoire que vous présidez n’est-elle pas en premier lieu soumise à la bonne volonté des acteurs de la filière, en premier lieu les distributeurs, qui peuvent ou non consentir à vous fournir les données chiffrées que vous attendez ? Quelle est, de ce fait, votre véritable capacité de contrôle ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Vous avez dit que les négociations commerciales avaient été très difficiles cette année entre fournisseurs et distributeurs : en vérité, elles le son chaque année ! Peut-on interdire la spéculation sur les produits agricoles ? Par ailleurs, comment pouvez-vous défini une véritable politique agricole ? Enfin, comment pensez-vous qu’il soit possible d’assurer la transparence des négociations commerciales ?

M. Daniel Paul. Vous avez dit qu’il n’existait pas véritablement de responsable à la situation actuelle, et que la spéculation était même « inhérente à des marchés instables » : si tout le monde est responsable et qu’aucun coupable n’existe véritablement, on comprend que la contractualisation et la régulation ne soient donc pas votre tasse de thé !

Les événements climatiques ou géopolitiques de tous ordres offrent de véritables effets d’aubaine : on sait qu’il n’existe pas de pénurie (actuellement, la Libye ne représente qu’un peu plus de 2 % de la production mondiale de pétrole), qu’il n’existe pas davantage de risque sur cette ressource énergétique et pourtant, les prix augmentent. Comment empêcher ces effets d’aubaine qui, au final, pénalisent nos entreprises, notamment les PME, sauf à imaginer que les entreprises et groupes pétroliers en profitent pour augmenter la rentabilité du raffinage ?

Quel est, selon vous, le « coût environnemental » des gaz de schiste ?

Enfin, quel est l’impact de la baisse du prix du gaz aux États-Unis et ne faudrait-il pas découpler les prix du gaz et du pétrole puisque les raisons de lier les deux dans les années 1970 ne sont plus véritablement pertinentes aujourd’hui ?

M. Louis Cosyns. Vous avez fait un constat, Monsieur le Président : « la France est tout, sauf un pays de confiance ». Comment pensez-vous qu’il soit possible de lui redonner confiance ? Quelles ont été selon vous les conséquences de la LME sur les prix en France ?

M. Serge Letchimy. En février 2009, on a eu plusieurs problèmes sociaux en Martinique et en Guadeloupe avec un phénomène de « profitations multiples », comme on dit là-bas ; j’avoue donc être assez désarçonné par les propos que vous avez tenus !

Avez-vous la capacité d’observer, à distance, ce qui se passe réellement en outre-mer et, notamment, les variations qui existent en termes de prix et de marges ? Quelles relations entretenez-vous avec les observatoires des prix et des marges locaux ? L’autorégulation peut-elle régler à elle seule les problèmes qui se posent à nous ? Quelles sont, selon vous, les conséquences sociales potentielles de telles variations lorsque l’on constate que, outre-mer, les prix sont supérieurs à ceux de la métropole de 30 à 50 % alors que les salaires y sont inférieurs de 20 à 25 % ?

M. Louis Guédon. Vous avez évoqué une réunion délicate ayant eu lieu mardi dernier entre la grande distribution et les instances qui défendaient les produits de la mer.

Les marins pêcheurs sont soumis à une politique européenne qui est soutenue et appliquée par la France avec détermination. Cette politique a plusieurs aspects. On leur interdit de construire des bateaux parce qu’il n’y a pas de PME. Les quotas diminuent d’année en année sur les droits de pêche du poisson. Les pêcheurs sont soumis à un moratoire pour arrêter la pêche de l’anchois et du thon rouge. Le Fonds de prévention des aléas de la pêche (FPAP) a été interdit lorsque le gazole a atteint 0,60 euro le litre : ce prix a désormais été dépassé. Cela représente plus de 30 % du bilan d’un chalutier, qui ne peut donc plus vivre. Or, il produit 80 % de la pêche française. Il est également interdit de financer la pêche et les bateaux à travers des circuits continentaux.

Dans la mesure où la pêche française ne représente plus que 20 % du poisson qui est consommé, dans la mesure où la grande distribution a la capacité de négocier 80 % du poisson en toute liberté par rapport à ses achats, que les marins sont contrôlés en mer sur les bateaux, les filets de pêche etc., nous voulons bien ne pas recevoir d’aides de l’État à condition qu’on nous rende la liberté que nous avons perdue. A l’inverse, la politique européenne soutenue par l’État nous ayant privé de nos libertés, nous sommes en droit de demander à l’État de nous soutenir.

Mme Catherine Coutelle. Vous avez évoqué l’extraction des gaz de schiste. Je ne connais pas ce matériau mais j’ai participé à une mission interparlementaire et me suis rendue dans ce cadre dans l’Alberta où j’ai découvert l’extraction des sables bitumineux. Le Canada est devenu l’un des premiers producteurs d’énergie au monde grâce à ces ressources nouvelles, mais les dégâts sur l’environnement et la pollution sont colossaux. Or, le Canada n’a pas l’intention de s’imposer des règles en la matière. L’entreprise Total n’attend qu’une chose, c’est d’être autorisée à extraire ces sables bitumineux. Cependant, les rivières et les lacs sont pollués et les autochtones attrapent des maladies. Nous avons vu sur place des chercheurs qui ont essayé de trouver le moyen de faire des extractions plus propres et de mener des recherches avant de poursuivre ces extractions. Je ne pense pas qu’on puisse, comme vous semblez le faire, balayer du revers de la main les conséquences écologiques de ces choix.

M. Jean Proriol. L’Observatoire des prix et des marges fait-il des comparaisons européennes avec des organismes existants dans d’autres pays et ayant des fonctions comparables ? Constatez-vous de meilleures marges lorsque les distributeurs s’approvisionnent à l’étranger ? Je songe notamment à la viande de porc, à la viande bovine et à la viande de mouton. Les distributeurs disent souvent qu’ils achètent à l’étranger parce que c’est moins cher. J’imagine qu’ils feront bientôt de même pour l’achat du lait allemand voire du lait polonais, effectivement moins chers que le lait français : avez-vous des statistiques sur ce point ?

M. le président Serge Poignant. Merci mes chers collègues ; M. le Président, je vous laisse immédiatement la parole.

M. Philippe Chalmin. Les questions posées font appel à mes deux casquettes. Je souhaiterais d’abord répondre à certaines questions posées relatives à des éléments que j’avais évoqués en ma qualité de professeur d’université et d’observateur des questions agricoles depuis une trentaine d’années.

Lorsque j’affirme que la position française en matière d’OGM est totalement absurde, je persiste et je signe. Je viens de démissionner il y a quinze jours du Haut conseil des biotechnologies auquel j’ai appartenu pendant longtemps : je commence donc à bien connaître le sujet ! Les OGM ne sont certainement pas la panacée pour régler le problème alimentaire mondial mais ils sont une des solutions et on doit la travailler. Les arguments mis en avant par les anti-OGM, qu’il s’agisse de la santé publique ou de l’environnement, ne tiennent pratiquement pas la route : pas du tout en ce qui concerne la santé humaine, pratiquement pas en ce qui concerne l’environnement ! Par contre, les OGM posent des problèmes majeurs d’éthique, de brevetabilité du vivant et de concentration de la détention des traceurs de base par un certain nombre d’entreprises, notamment Monsanto. Il y a là de vrais problèmes mais force est de constater que la position que nous avons adoptée a tout simplement conduit à la disparition de toute capacité française de recherche en matière d’organismes génétiquement modifiés. Le seul essai autorisé par le Haut conseil des biotechnologies, qui portait sur des vignes, a été massacré le 15 août 2010 en Alsace. Les membres du Haut conseil des biotechnologies, France nature environnement, Greenpeace et les Amis de la terre n’ont absolument pas condamné cet acte de vandalisme ! Par ailleurs, je signale qu’il y a quand même des OGM partout sur terre - allez voir les producteurs de coton en Afrique : ils vous expliqueront les avantages qu’ils tirent des OGM -, simplement, ce ne seront pas des OGM français ! Vous sentez mon emportement sur le sujet mais je suis dans mon rôle : je suis indépendant et j’estime qu’un des rôles des universitaires consiste un peu à être les « fous du roi » qui, parfois, sortent un peu de sagesse !

Je reconnais que le thème des gaz de schiste est un sujet que je maîtrise beaucoup moins. Néanmoins, je constate simplement l’extraordinaire développement des gaz de schiste aux États-Unis où se posent effectivement des interrogations sur l’environnement, notamment en ce qui concerne la pollution de nappes phréatiques. Il faut bien entendu les prendre en compte. Je tiens tout de même à préciser que les gaz de schiste n’ont rien à voir avec les sables bitumineux de l’Alberta qui sont, eux, une monstruosité dont la rentabilité est loin d’être prouvée, notamment le jour où le Canada aura adhéré au protocole de Kyoto et où il faudra par conséquent que ce pays intègre les coûts de CO2 de ces sables bitumineux ! Les gaz de schiste sont d’un tout autre ordre. Nous ignorons pour l’instant s’il y en a en France ; faut-il en fermer l’accès et éternellement refuser toute forme de progrès technologique ? En tout état de cause, je suis persuadé que l’irruption des gaz de schiste sur le marché américain a totalement modifié l’équilibre relatif des prix du pétrole et du gaz. Ainsi, si je ramène le prix du gaz naturel en équivalent baril de pétrole, aujourd’hui, le gaz naturel aux États-Unis vaut entre 20 et 25 dollars là où le pétrole vaut plus de 100 dollars. Donc le rapport de prix est totalement différent par rapport à 2006, année où c’était au contraire le gaz qui avait dépassé la barre des 100 dollars le baril, avant même le pétrole, tout simplement parce que l’on savait qu’il n’y avait plus de gaz aux États-Unis ! Tout le monde s’est donc dit que les États-Unis allaient être obligés d’importer du gaz et se doter de capacités de gaz naturel liquéfié. Désormais, non seulement les États-Unis sont autosuffisants mais, potentiellement, vont être exportateurs. Il y a donc une masse importante de GNL à disposition sur le marché mondial : les Chinois vont en importer mais les Européens également. En conséquence, ce GNL fait pression sur la formation des prix en Europe, sachant que jusqu’ici, nos grands contrats d’approvisionnement avec Gaz Prom et Sonatrach ont été indexés sur le pétrole. L’architecture des prix du gaz naturel va donc manifestement changer dans les années à venir. J’ignore s’il y a du gaz de schiste dans la région de Montélimar ; il y en a probablement en Pologne et il me semble qu’il ne faut pas se priver de cette opportunité, contrairement à ce qu’affirme un député européen célèbre qui s’est opposé aussi bien aux OGM, qu’au gaz de schiste.

S’agissant des questions posées à propos de l’Observatoire des prix et des marges, je souhaiterais revenir sur le problème des éleveurs, problème sur lequel plusieurs orateurs de toutes tendances politiques m’ont interpellé. J’étais, la semaine dernière, devant une assemblée générale d’un groupement de producteurs bovins. Le prix de la viande bovine est complexe. Il est totalement erroné de prendre le prix du bœuf à la sortie de la ferme qui, en 2010, valait en moyenne 2,75 euros en équivalent carcasse. Ce montant correspond au prix du bœuf en carcasse lorsqu’il arrive de l’abattoir. Chez le producteur, cette valeur tourne sans doute plutôt autour de 2,60 euros. Or, dans cette carcasse, il y a de l’os, de l’eau, des abats, et les morceaux sont valorisés de façon totalement différente. Le prix de l’équivalent de cette carcasse, au stade du consommateur, s’élevait, en 2010, à 6,65 euros hors taxe. Le coefficient multiplicateur n’est donc pas de 5 ou 10 mais de 2,50. En outre, il faut distinguer entre l’entrecôte, les plats de côte, et les morceaux servant à produire des steaks hachés !

Sur 10 ans, on observe que cette marge agrégée de l’industriel et du producteur a augmenté de 1,05 euro. S’agissant de la viande bovine, il est difficile de distinguer les marges réalisées par l’industriel de celles réalisées par le distributeur. Dans un supermarché, en effet, on peut acheter la viande soit dans une barquette préparée par un industriel, soit au rayon boucherie du magasin qui aura acheté un quart de carcasse, et qui aura fait lui-même le travail de découpe. C’est pourquoi industrie et distribution sont très imbriquées : il est donc complexe de trouver le moyen d’éclater cette marge agrégée en marge de l’industriel et en marge du distributeur.

Cette hausse d’un euro en dix ans est considérable ! Comment l’expliquer ? Notre réponse, qui est une estimation méritant d’être affinée, est la suivante : environ 50 %, soit 50 centimes, s’expliquent par des charges supplémentaires liées aux nouvelles contraintes sanitaires, au « paquet hygiène » de 2005 et aux contraintes de traçabilité liées à la crise de la vache folle. Si vous regardez les courbes, vous observerez clairement un saut en 2001, correspondant à cette crise. La réaction du consommateur et des autorités a donc augmenté les charges. L’autre moitié d’euro s’explique par des augmentations classiques du coût de l’énergie et du coût de la main-d’œuvre, ce dernier étant peut-être plus élevé dans le domaine de la viande qu’ailleurs du fait de la faible appétence des jeunes pour rejoindre ce type de métier. Cette deuxième moitié s’explique également par une évolution de nos modèles de consommation : nous achetons en effet de plus en plus de produits sous barquette, produits qui nécessitent d’intégrer des dates limites de vente, ce qui suppose d’avoir beaucoup plus de pertes dans la filière, ainsi que des consommations intermédiaires.

Il est vrai que c’est le consommateur qui a payé, en moyenne, un euro supplémentaire. Cela signifie que l’industriel et le distributeur ont pu transmettre la hausse de leurs charges. Le producteur, lui, n’a effectivement rien pu faire. En tout état de cause, le prix du bœuf n’a absolument pas varié sur 10 ans : il oscille toujours entre 2,50 et 3 euros.

En outre, de quels éleveurs parle-t-on ? Quand vous mangez du bœuf en France, quand vous allez en GMS (grande et moyenne surface) pour acheter du bœuf, vous achetez alors pour 60 % de la vache de réforme laitière, pour 20 % de la vache de réforme allaitante, et pour 20 % de l’image de l’éleveur naisseur engraisseur classique. Le problème que nous rencontrons pour évaluer les coûts de production en matière de viande bovine est le suivant : autant je suis à peu près capable d’évaluer le coût de production d’un élevage allaitant, autant nous sommes incapables de savoir quel est le prix de revient effectif d’une vache de réforme laitière. Or, c’est pourtant de ce type de vaches que proviennent 60 % de la viande bovine que nous mangeons. Finalement, dans cette filière, personne n’est heureux !

C’est le producteur allaitant qui a l’essentiel des problèmes. Pour le producteur laitier, la viande bovine n’est pas un sous-produit mais bien un « co-produit », qui représente entre 25 et 30 % de son revenu. De toute façon, la logique de production de la vache de réforme laitière est liée à la logique du marché du lait, pas à celle du marché de la viande. Au risque de me répéter, nous sommes bien conscients que le producteur de vaches allaitantes n’est pas heureux. Toutefois, les marges industrielles ne sont pas brillantes non plus : au vu du nombre de faillites observées dans l’industrie de la viande au cours des dix dernières années, ça n’est certainement pas un endroit où l’on « s’en met plein les poches ». Les distributeurs, de leur côté, vous disent que ce n’est pas vraiment sur leurs rayons boucherie de leurs magasins qu’ils gagnent de l’argent. Enfin, le consommateur continue de trouver l’entrecôte trop chère… Que puis-je dire de plus ? Nous allons pousser nos études et essayer d’analyser davantage les structurations de coûts. Nous avons entendu les critiques de la Fédération nationale bovine mais les données que nous avons présentées dans le rapport étaient, sur le plan statistique, ce que nous pouvions faire de mieux.

En réponse à Jean Dionis du Séjour, s’agissant des fruits et légumes, c’est probablement là que nous avons le moins de difficultés à disposer de statistiques et de séries de prix (marchés départ, marchés d’expéditions, prix dans les rayons) ; vous trouvez du reste tous ces éléments sur le site de FranceAgriMer. Le groupe « fruits et légumes » est probablement celui qui nous pose le moins de problèmes, du fait qu’il n’y a pas de difficulté méthodologique en l’absence de transformation du produit. Le problème fondamental pour cette filière réside en revanche dans l’hétérogénéité des produits. Je confesse devant vous que nous ne nous sommes pas pour l’instant penchés davantage sur cette question. J’attire cependant votre attention sur un point, que nous retrouvons du reste pour la viande et les produits laitiers, au stade de la distribution : au sein d’un même magasin, les marges ne sont pas les mêmes suivant les produits et l’on ne peut donc raisonner sur chaque produit pris individuellement mais au moins sur le rayon concerné. Quand vous allez au marché le dimanche matin, votre marchand de fruits et légumes ne fait pas la même marge sur tous ses produits : celle-ci varie en fonction de leur rareté, de leur rotation… Je botte un peu en touche pour l’instant, même s’il me semble qu’au niveau de l’information, nous avons d’ores et déjà ce qu’il faut.

S’agissant de la question des moyens et des sources d’information de l’Observatoire, il faut bien reconnaître que nous ne disposons pas de moyens extraordinaires ; du reste, je me permets de vous signaler que j’exerce pour l’instant ma fonction à titre bénévole… Je m’appuie sur un remarquable secrétaire général issu de FranceAgriMer et j’exploite les ressources de ce même organisme. Notre budget va nous permettre de commanditer des études extérieures et de mettre à niveau un site Internet qui soit vraiment utile. En tout état de cause, il y a déjà énormément d’informations disponibles, qui ne sont peut-être pas suffisamment exploitées. Cela étant, nous n’existerons pas si nous n’obtenons pas la coopération des différentes filières, qui n’est pas évidente a priori. Toutefois, sur notre premier test grandeur nature que constitue la filière bovine, j’ai pu apprécier la réelle disponibilité des producteurs et des distributeurs ; nous recevons par ailleurs des informations confidentielles que nous ne diffusons pas mais qui éclairent nos travaux. Nous allons ainsi prochainement lancer des questionnaires sur la grande distribution, de manière à approfondir nos sujets d’étude. Il s’agit d’un vaste chantier et nous finirons peut-être par nous heurter à un mur mais je reste globalement optimiste.

Nous avons par ailleurs de réels problèmes méthodologiques : je ne suis pas certain d’avoir un jour de réponse à la question de savoir quel est le coût de production de la viande bovine en France. Dans un autre domaine, comment faire véritablement un calcul objectif du prix de revient d’un yaourt et de la part de la matière première dans ledit yaourt ? Voilà qui n’est pas non plus évident… Quoi qu’il en soit, nos travaux appellent des débats avec le monde agricole, et je dispose pour cela d’une assez grande liberté. Dans le cas de la viande bovine, où il y a eu beaucoup de critiques, la discussion point par point des éléments du rapport a d’ailleurs fait tomber bon nombre desdites critiques. Il n’empêche que le document final que nous avons remis comporte sûrement encore des approximations ; eu égard à de ce que nous pouvions faire dans le délai qui nous était imparti, dans une situation de crise, j’estime toutefois que notre rapport reflète en grande partie la vérité même si cette vérité déplaît car on n’apporte pas la tête d’un coupable sur un plateau. Ce coupable pourrait d’ailleurs être, le cas échéant, le consommateur qui ne paie pas assez cher sa viande… mais vous conviendrez que ce n’est pas une conclusion satisfaisante !

En réponse à la question de Jean-Pierre Grand sur le vin, il est vrai que nous nous sommes concentrés en priorité sur les situations d’urgence. La question du vin n’en figure pas moins dans notre programme de travail. Encore faut-il définir le sujet et déterminer si nous nous intéressons aux vins de consommation courante et/ou aux vins d’appellation.

Sur les céréales, si vous voulez chercher un profiteur de la situation actuelle, vous le fréquentez tous les jours et ce n’est pas un grand distributeur : c’est votre sympathique boulanger. Je vous rappelle ainsi que le coût du blé dans le prix de la baguette pèse entre 6 et 8 centimes. En 2008, le cours du blé, partant de 120 euros la tonne, a atteint 300 euros et votre sympathique boulanger a augmenté le prix de sa baguette de base de 10 à 15 centimes – je ne vous parle pas de la baguette paysanne ou d’autres produits plus élaborés… Puis, le prix du blé est retombé pour atteindre à nouveau 120 euros la tonne en juin 2010 et je ne pense pas que le prix de la baguette ait pour autant bougé de quelque manière que ce soit : chez les économistes, on parle de la faible corrélation des prix à la baisse des coûts, par rapport à leur forte élasticité à la hausse. Depuis juin dernier, le cours est reparti à la hausse, atteignant jusqu’à 280 euros (il est à 250 euros actuellement) et votre sympathique boulanger envisage logiquement, à nouveau, une hausse de ses prix. J’en ai du reste parlé au mien qui m’a expliqué qu’il avait d’autres charges à supporter, ce à quoi je lui ai répondu qu’il avait sûrement ses raisons, mais qu’il ne me fasse pas le coup du prix du blé à chaque fois !

En réponse à Louis Guédon, nous ne nous sommes pas encore occupé des produits de la mer et j’avoue pour l’instant n’y rien connaître. Nous avons dans le comité de pilotage des représentants de la filière marine, à qui nous avons renvoyé la balle : en clair, de quels produits au juste souhaitent-ils que nous traitions ?

J’en viens à une excellente question de Jean Proriol sur les approvisionnements à l’étranger. Nombre de filières doivent en effet tenir compte de cette dimension. Pour revenir à la viande bovine, notre enquête a porté sur les grandes et moyennes surfaces, donc essentiellement sur de la viande française. En revanche, il suffit que vous alliez à la cantine de l’Assemblée nationale et vous aurez de très fortes chances de consommer de la viande de réforme, Holstein, néerlandaise ou allemande…

Le gros de la viande étrangère est en effet consommé dans la restauration et l’hôtellerie : les équilibres de certaines filières sont ainsi difficiles à saisir du fait des apports étrangers.

J’abandonne ma casquette de président de l’Observatoire pour vous parler désormais des questions relatives à la spéculation. S’agissant d’un sujet dont je me suis beaucoup occupé, je ne pense pas uniquement parler en mon nom, ayant fréquenté la plupart des universitaires spécialisés sur ce sujet à l’échelle mondiale. Je persiste ainsi à affirmer qu’aucune étude académique – depuis celles engagées aux États-Unis durant l’entre-deux-guerres – n’est parvenue à montrer que la spéculation augmentait de manière sensible l’instabilité des marchés sur lesquels elle portait. Au contraire, par sa fonction d’anticipation, la spéculation permet même d’éviter des situations effectives de pénurie physique ! J’aime à raconter l’histoire du Congrès américain, saisi dans les années 1950 d’une plainte des producteurs d’oignons. A l’époque, il y avait à Chicago un marché à terme de l’oignon, dont le cours faisait l’objet d’une instabilité profonde. Un représentant du Texas, qui devait faire une belle carrière par la suite, puisqu’il s’agissait de Lyndon B. Johnson, fit alors adopter une loi interdisant pour l’ensemble des États-Unis les marchés à terme sur les oignons. Cette loi n’ayant pas été remise en cause, il est possible de comparer le comportement du marché avant et après son adoption et l’on est bien forcé de constater que l’instabilité de ce marché est restée tout aussi forte après qu’avant, voire qu’elle s’est même accrue.

Cela dit, je comprends que la spéculation, notamment sur les produits agricoles, fondamentaux à la vie humaine par définition, puisse profondément choquer. A la question de Jean-Charles Taugourdeau sur la possibilité d’interdire purement et simplement la spéculation, je réponds par l’affirmative, mais j’ajoute que le meilleur moyen de l’interdire consiste à parvenir à une stabilité générale des prix. Il n’y avait pas de spéculation dans l’Europe agricole des années 1960 puisque les prix étaient totalement encadrés par les prix d’intervention et les prix de seuil. Le monde, du reste, au cours de la même période, était d’une stabilité remarquable et vous pouviez aller vous coucher sereinement, certain de retrouver le lendemain à la même place le dollar, le pétrole, le blé européen, etc. Aujourd’hui, tout a changé et ma seule certitude est que demain sera différent d’aujourd’hui. Comment voulez-vous ainsi stabiliser les prix agricoles alors que la monnaie dans laquelle ces produits sont cotés est elle-même instable ? La stabilisation effective des marchés agricoles suppose en effet une stabilisation préalable des marchés monétaires. Peut-être y parviendrons-nous un jour, mais cela prendra beaucoup de temps. On peut néanmoins toujours stabiliser les marchés agricoles sur certains espaces géographiques délimités : c’est ce qu’a fait l’Europe dans le passé avec succès, c’est encore ce que font de nos jours la Suisse, le Japon et la Norvège… qui sont des pays importateurs. Le problème de l’Europe, c’est qu’entre-temps, elle est devenue nettement exportatrice et que le système de la politique agricole commune subventionnait les exportations, ce qui n’est plus autorisée par l’Organisation mondiale du commerce. Le temps de cette politique stabilisatrice me semble donc révolu. Je vous renvoie toutefois à mon rapport au Conseil d’analyse économique sur le futur des politiques agricoles française et européenne, où j’écrivais – je continue du reste à le penser – que pour les produits laitiers, l’abandon de cette politique est une aberration : on aurait dû – et l’on aurait pu, peut-être – maintenir les quotas laitiers. Je fais la différence entre des marchés mondiaux qui ont de la profondeur et une vraie signification – les céréales, les oléagineux, le sucre, etc. – et des marchés mondiaux très étroits. Ainsi le prix mondial des produits laitiers correspond-il aux prix à l’exportation de la Nouvelle-Zélande… Ces prix flambent aujourd’hui à cause des récentes catastrophes climatiques, ils s’effondreront peut-être demain et c’est cela qui va conditionner la rémunération de l’ensemble des acteurs de la filière laitière européenne, alors même que l’import-export joue pour seulement 2 à 3 % du marché laitier européen. Le libéral que je suis trouve cela un peu idiot et se serait totalement satisfait du maintien des quotas laitiers, notamment dans leur fonction de gestion de l’espace. Autant dire que l’évolution actuelle ne me plaît qu’à moitié.

Il n’en demeure pas moins que le temps de la stabilisation des prix en Europe est passé. En revanche, il est toujours possible de mener des politiques agricoles de ce type dans les pays du tiers-monde. Jean Gaubert a eu raison de rappeler les récentes déclarations de Pascal Lamy sur le fait que l’OMC n’interdit pas à un pays du tiers-monde importateur de se protéger. Le problème pour ces pays, s’ils veulent s’aligner sur le modèle originel de la PAC de garantie du prix de rémunération au producteur par le biais de mécanismes d’intervention et d’achat, réside dans le fait de savoir qui va payer ce prix : le consommateur, comme dans le modèle européen, ou le contribuable, comme dans le modèle américain ? Or, dans un pays du tiers-monde, il n’y a pas de contribuables et le consommateur n’a pas les moyens... D’où l’importance de l’aide internationale. En Afrique de l’Est, la Fondation Gates apporte déjà des garanties aux acteurs pour les inciter à produire. Voilà à mon sens la véritable solution !

En conclusion, il est toujours possible d’avoir une politique agricole mais tant que les marchés mondiaux sont instables, la spéculation est nécessaire, y compris la spéculation financière. Je veux bien que cette dernière soit choquante et moralement condamnable : le spéculateur est un joueur, il ne fait après tout que parier à la hausse ou à la baisse, comme je l’ai rappelé il y a peu devant la commission d’enquête présidée par Henri Emmanuelli. Mais finalement, le prix n’est jamais que le résultat de la somme des anticipations que font les opérateurs sur le futur rapport entre l’offre et la demande. Daniel Paul a raison de me dire que la situation libyenne ne justifie pas à elle seule l’envolée du cours du pétrole, d’autant que l’Arabie saoudite a mis de nouvelles quantités de barils sur le marché. En l’espèce, le marché ne fait cependant qu’anticiper d’autres « dominos » : l’instabilité en Algérie, la pression des marchés indien et chinois, etc.

Je vais peut-être vous choquer par mon excès de libéralisme mais il m’arrive parfois de me demander si ce ne sont pas les marchés qui ont raison : que nous disent-ils en l’occurrence ? Vous avez laissé dépérir vos agriculteurs ; vos paysans, dans le tiers-monde, meurent de faim ; vous devez, dans les deux prochaines générations, multiplier par deux la production agricole pour satisfaire vos seuls besoins alimentaires. Il est donc temps de payer un peu pour aiguiller dans la bonne direction l’investissement nécessaire.

C’est la même chose pour le pétrole : c’est sale, c’est rare, payez donc un prix pour cette saleté et cette rareté !

M. Daniel Paul. Je ne suis pas certain que les marchés fassent preuve d’autant de considérations pour notre bien futur !

M. Philippe Chalmin. Adam Smith vous répondra que la somme des égoïsmes peut former le bien commun…

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie d’avoir fait le point sur l’Observatoire que vous présidez et les expériences que vous y menez, ainsi que d’avoir plus généralement nourri notre réflexion par votre exposé… partagé par certains, moins par d’autres !

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 8 mars 2011 à 17 h 15

Présents. - M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean Dionis du Séjour, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Gaubert, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, M. Louis Guédon, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Annick Le Loch, M. Serge Letchimy, M. François Loos, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. Michel Raison, M. Francis Saint-Léger, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues, Mme Catherine Vautrin, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Jean-Michel Couve, Mme Geneviève Fioraso, Mme Pascale Got, Mme Conchita Lacuey, M. Jean-Marc Lefranc, M. Philippe Armand Martin, Mme Anny Poursinoff

Assistait également à la réunion. - M. André Chassaigne