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Commission des affaires économiques

Mercredi 9 mars 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 50

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur l’ « évolution vers des réseaux d’électricité intelligents et la convergence avec les réseaux de communications électroniques », avec la participation de M. Laurent Schmitt, vice-président d’Alstom Power, Smart Grid Solutions, Mme Michèle Bellon, président du directoire d’Electricité Réseau Distribution France (ERDF), Mme Christine Le Bihan-Graf, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et M. Philippe Lucas, directeur normalisation et développement d'écosystèmes d’Orange-France Télécom.

La commission a tenu une table ronde sur l’ « évolution vers des réseaux d’électricité intelligents et la convergence avec les réseaux de communications électroniques », avec la participation de M. Laurent Schmitt, vice-président d’Alstom Power, Smart Grid Solutions, Mme Michèle Bellon, président du directoire d’Electricité Réseau Distribution France (ERDF), Mme Christine Le Bihan-Graf, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et M. Philippe Lucas, directeur normalisation et développement d'écosystèmes d’Orange-France Télécom.

M. le président Serge Poignant. Notre Commission des affaires économiques a créé une mission d’information sur la sécurité et le financement des réseaux d’électricité et de gaz dont le président est M. Jean Gaubert et le rapporteur M. Jean Proriol – retenu aujourd’hui dans sa circonscription. Elle a pour objet, d’une part, de dresser l'état des réseaux de distribution d'électricité en France et d’étudier les raisons de la dégradation de la qualité de la fourniture d'électricité constatée au cours de la décennie 2000, et, d’autre part, d’examiner le type d'actions à mener et le montant des financements nécessaires au rétablissement du niveau de qualité à son niveau antérieur.

Nous avons souhaité organiser la présente table ronde car ces différents points comportent un aspect prospectif important : le développement des réseaux intelligents, ou smart grids, qui modifieront les caractéristiques des réseaux futurs. Investir aujourd'hui sans prendre en compte ces évolutions pourrait s'avérer inefficace et coûteux. De plus, les smart grids complexifieront le système électrique actuel en s'appuyant sur les technologies de l'information et de la communication. Nous comptons dans nos rangs quelques spécialistes de cette question, notamment Mme Laure de La Raudière.

J’ajouterai que je me suis personnellement intéressé à l’intégration de la production l’électricité d’origine renouvelable dans les réseaux et à la gestion de la pointe de consommation électrique, questions sur lesquelles, avec M. le sénateur Bruno Sido, j’ai remis un rapport au Gouvernement.

Préalablement aux exposés des intervenants, je souhaiterais poser quelques questions d'ordre général.

Sur quelles technologies les smart grids pourront-ils reposer ? Quels sont les procédés et les projets en cours de développement ?

Quelles améliorations les smart grids apporteront-ils à la qualité et à la sécurité des réseaux ? À quel prix ? Qui financera les investissements correspondants ?

Doit-on s'attendre à une concurrence ou à une convergence entre réseaux d'électricité et de communications électroniques au cours des prochaines années ?

M. Laurent Schmitt, vice-président d’Alstom Power, Smart Grid Solutions. Je suis en charge, au sein du groupe Alstom, du développement de l’offre smart grid. Il s’agit, pour notre groupe, d’un projet stratégique car il touche à chacune de ses trois grandes activités : la production d’énergie, avec en particulier l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux de transport et de distribution, ce qui soulève notamment la question de la flexibilité des moyens de production ; la transmission d’énergie, domaine plus particulier d’Alstom Grid, entité, acquise auprès d’AREVA, spécialisée dans l’équipement des réseaux de transport et dans les systèmes de dispatching et de contrôle des réseaux de transport et de distribution – il s’agit de ces « tours de contrôle » utilisées dans le monde du transport et de la distribution, qui gèrent l’optimisation et la sécurisation en temps réel des flux d’énergie dans les réseaux ; enfin, avec Alstom Transport, le smart grid intéresse notamment l’intermodalité, ce qui inclut, par exemple, les questions soulevées par l’intégration du véhicule électrique dans les infrastructures de transport urbain ainsi que les synergies potentielles dans la gestion de l’énergie nécessaire à ce type de transport et aux villes.

Nous avons défini trois grands segments technologiques rattachés au smart grid. D’abord celui des équipements et des postes électriques qui sont les actionneurs du smart grid et qui permettent de prendre des décisions et d’optimiser les réseaux. Alstom est très présent en France dans ce domaine des gros équipements par l’intermédiaire de deux grands sites, l’un dans la Région Rhône-Alpes, autour de Villeurbanne, spécialisé dans les équipements à haute et très haute tension, et demain dans les équipements d’électronique de puissance utilisés pour la transmission de l’électricité en courant continu à haute tension, l’autre dans la région parisienne, à Massy Palaiseau, où nous travaillons en particulier sur le pilotage des moyens de production, sur les technologies de l’information (IT) liées aux réseaux, et sur la conversion de l’énergie, en relation avec son stockage dans les réseaux et l’utilisation potentielle de batteries connectées à ceux-ci.

Alstom prend donc à bras-le-corps le thème du smart grid. Notre entreprise est très internationale, notamment en matière de dispatching et de centres de contrôle. Aux États-Unis, 50 % de l’énergie est pilotée par des logiciels d’origine Alstom. Nous y disposons d’un centre d'excellence à Redmond, dans l’État de Washington.

Nous sommes donc impliqués dans le lancement de démonstrateurs de réseaux intelligents à travers le monde et nous essayons d’en tirer un premier retour d’expérience industrielle qui permette non seulement de définir un modèle économique propre à ces nouvelles technologies, mais aussi de réfléchir à l’évolution du rôle de nos clients et donc à l’impact de notre technologie.

M. Philippe Lucas, directeur de la normalisation et du développement d’écosystèmes de France Télécom Orange. Je suis en charge, au sein de France Télécom Orange, de la normalisation et du développement d’écosystèmes, dans une entité appelée Études stratégiques et partenariats.

Le smart grid peut, selon nous, relever de trois grands secteurs : l’amont du compteur intelligent, où les questions relèvent plutôt d’acteurs comme Alstom et Schneider Electric ; le compteur intelligent lui-même, dont se préoccupe la CRE et où les approches sont différentes selon les pays européens ; enfin, l’aval du compteur, où ce qui peut être fait dans les foyers de consommateurs intéresse plus particulièrement France Télécom Orange pour une gestion intelligente des réseaux électriques.

Nous n’avons pas l’ambition de concurrencer quiconque en amont. Nous savons très bien compter des octets et des bits, mais pas du tout des kilowattheures. Nous n’avons donc pas l’intention d’intervenir dans ce domaine. En revanche, en aval, nous pouvons peut-être proposer des choses.

À cet égard, deux sujets nous semblent intéressants : la gestion des pics de consommation et la gestion de l’énergie au sein du foyer. Nous y voyons un important gisement d’économies d’énergie potentielles si l’on peut apporter au client final des éléments nouveaux de visualisation de sa gestion électrique. Ce thème émerge à peine car les divers acteurs de la filière électrique, disposant de systèmes dits propriétaires, cherchent à se développer séparément. Il est donc difficile de fédérer les différents opérateurs autour de la gestion électrique du foyer afin de mettre en place des innovations communes. Or les opérateurs de télécommunications peuvent apporter ici une valeur ajoutée, compte tenu de la nécessité de bâtir des écosystèmes associant plusieurs types d’intervenants dans les équipements et services au sein du foyer.

La gestion du pic de consommation peut être en partie traitée par la mise en place de compteurs intelligents, qui permettront de définir des paliers tarifaires optimisant la consommation. Mais on reste là dans une approche générale alors que l’on pourrait encore progresser dans cette voie en individualisant mieux les consommations électriques au moyen de ce que l’on appelle, chez Orange-France Télécom, la « porte numérique ». Je m’explique.

Un foyer comporte aujourd’hui plusieurs portes : la première, classique et physique, permet d’entrer dans la maison ou dans l’appartement ; la deuxième, électrique, se situe au niveau du compteur – il en existe d’autres du même type, pour l’eau et pour le gaz ; une dernière, numérique, fait entrer dans le foyer les réseaux de télécommunications et ADSL. Si, demain, cette dernière porte peut être utilisée à titre complémentaire pour mieux gérer la consommation d’énergie, il faut qu’elle soit sécurisée, afin que les données transitant par elle ne soient pas dévoyées. Les opérateurs de télécommunications peuvent apporter leur contribution en la matière.

France Télécom estime que l’intervention des différents acteurs doit être complémentaire et non concurrente. La question est donc de savoir ce que chacun apporte.

Derrière la porte numérique, on peut fixer une « énergie box ». En plus de la connexion ADSL, et intégrable à terme, cette boîte remplirait des tâches que l’on peut juxtaposer en trois couches.

Elle pourrait d’abord être connectée à certains équipements électriques, comme une chaudière, une machine à laver ou des appareils électroniques. Nous appelons cela la « couche de connectivité locale », aujourd’hui presque exclusivement dépendante de systèmes propriétaires, ce qui empêche les industriels de développer certains produits et services qui exigent un système ouvert. Il faut donc la définir, ce qui entraînera probablement la fixation de normes, sur lesquelles les industriels devront s’accorder. La plupart des acteurs concernés sont ceux de l’énergie et de la domotique. C’est pourquoi, la Fédération française des télécoms (FFT) a commencé à travailler sur ce thème avec celle des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC).

La deuxième couche est celle du middle ware car elle permet de télécharger des applications supplémentaires, proposées par des « développeurs », exactement comme on le fait sur un iPhone. De la même façon, il faut qu’elle soit commune aux différents intervenants, permettant ainsi une gestion locale de l’énergie.

La troisième couche, celle des services, c’est-à-dire des applications choisies par les consommateurs, échappe à nos discussions, car elle relève de la concurrence des initiatives privées, dont, naturellement, les « développeurs » parlent peu entre eux.

Nous avons décidé, au sein de la Fédération française des télécoms, de travailler ensemble sur ce projet de normes, car le monde dans lequel un opérateur imposait ses propres choix est maintenant révolu. Nous nous situons aujourd’hui dans une perspective d’ouverture et donc de normalisation. Notre objectif consiste à décrire un cadre normatif dans lequel l’écosystème se développera afin de mettre en place les conditions nécessaires à la gestion locale de l’énergie.

Mais la boîte dont nous parlons peut faire bien davantage que gérer la consommation d’énergie du foyer : par exemple gérer la domotique et d’autres services à venir, ce qui fera sa valeur ajoutée. On pourra donc mutualiser un outil, c’est-à-dire le rendre utilisable par un certain nombre d’acteurs, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent dans notre système vertical.

Elle devrait aussi contribuer à la gestion du pic de consommation. Afin de supporter une gestion plus statistique en aidant à lisser la consommation énergétique des foyers, il nous faut la maîtriser de manière dynamique.

Notre objectif est donc bien de développer un écosystème intégrant une forte valeur ajoutée dans la gestion du pic.

Mme Michèle Bellon, président du directoire d’ERDF. Avec le smart grid, nous employons un jargon américain alors que les réseaux français sont intelligents depuis une quinzaine d’années. En effet, c’est à la suite des grands black-out, ces coupures de courant massives intervenues dans le nord-est des États-Unis et en Californie, qu’est apparu ce concept. Or, depuis longtemps, la France avait, à l’initiative de l’Union pour la
Coordination de la Production et du Transport d'Électricité (UCPTE), interconnecté les réseaux européens afin de gérer l’équilibre entre l’offre et la demande au niveau du continent.

La notion de smart grid n’en est donc que l’extrapolation dans un secteur de l’énergie qui évolue rapidement.

Au stade de la distribution, des évènements climatiques, comme les tempêtes Lothar et Martin de la fin 1999, ont montré le besoin d’une plus grande réactivité pour réalimenter l’ensemble des clients. Et le degré d’exigence de ceux-ci a beaucoup augmenté s’agissant de la qualité de l’alimentation : elle ne porte plus seulement sur la durée des coupures, mais aussi sur les variations de tension, car celles-ci peuvent affecter l’Internet, dont la plupart des foyers sont équipés, provoquer des pannes d’ascenseur, perturber le fonctionnement des billetteries… Dès lors que le courant électrique s’interrompt ou qu’il est, simplement, de moindre qualité, des dysfonctionnements affectent les PME et PMI et, d’une façon plus générale, toute l’économie nationale.

L’économie de l’énergie a beaucoup évolué. De nouveaux besoins sont apparus. Rendue possible par la déréglementation des marchés, la faculté existe désormais de changer de fournisseur. De nouvelles technologies ont émergé. Se sont développées des énergies renouvelables, comme le photovoltaïque et l’éolien, dont le caractère intermittent et difficilement prévisible, affecté de fluctuations considérables, y compris dans une même journée – à la différence d’énergies telles que l’hydraulique, la biomasse et le biogaz – a abouti à multiplier les émetteurs sur le réseau de distribution. Aujourd’hui, plus de 150 000 producteurs décentralisés, dont la taille varie entre 3 kilowatts et 140 mégawatts, sont raccordés au réseau de distribution d’électricité.

Une ressource difficilement prévisible soulève le problème du renforcement des réseaux, dimensionnés en fonction de l’hypothèse dans laquelle tout fonctionne simultanément. Elle pose aussi celui de la conduite du réseau, car l’électricité ne se stockant pas, il faudrait pouvoir dispatcher la production de certaines installations. Ainsi, le photovoltaïque produit beaucoup dans la journée, mais pas au mois de janvier à 19 heures.

Parallèlement, apparaissent les véhicules électriques avec une perspective de deux millions d’exemplaires en 2020. Il faudra, là aussi, trouver des solutions en termes de réseau.

La notion de réseau intelligent ne résulte donc pas d’une idée de laboratoire d’inventions ou d’ingénieurs soucieux de rendre les choses plus complexes, mais de la nécessité de faire face à la multiplication des émetteurs et aux besoins issus de modes de consommation de plus en plus diversifiés et exigeants. Il y a encore dix ans, il suffisait de connaître les températures extérieures du lendemain pour prévoir l’ampleur de la consommation électrique. Il nous faut maintenant mieux piloter les réseaux.

Le distributeur ERDF n’a pas donc pas attendu le concept de smart grid pour commencer, depuis plus de dix ans, à équiper son réseau de capteurs mesurant la qualité de l’électricité, notamment dans les postes sources, comme d’un certain nombre d’organes de manœuvres télécommandés (OMT) permettant de rétablir le courant dans les meilleures conditions en cas d’aléa climatique ou de défaillance du réseau. L’étape suivante consiste à disposer de compteurs communicants afin qu’aux deux extrémités des câbles, nous puissions bénéficier de la vision la plus complète possible de ce qui se passe sur le réseau. À cet effet, il convient de mettre en place des systèmes permettant de gérer l’équilibre entre l’offre et la demande au niveau de la moyenne et de la basse tension.

Les smart grids représentent une architecture complexe qu’il faudrait scinder entre son aspect amont, visant l’optimisation des réseaux – les grids – et le smart home, aspect aval qui concerne le compteur. Il s’agit en effet de deux concepts totalement distincts, mais avec une interface commune qui est le compteur communiquant.

Nous nous sommes donc penchés sur la question dans cet esprit, étant encore rappelé que nous pratiquons les réseaux intelligents depuis près de quinze ans ainsi que je l’ai indiqué. Dans nos centres de conduite, une trentaine d’agents régionaux sont affectés à ces missions. On parle le plus souvent des réseaux sous l’angle de leur architecture et de leur maintenance, rarement sous l’angle de leur pilotage et de l’équilibre entre l’offre et la demande. Exactement comme si on parlait d’un avion en ne considérant que sa carlingue et ses ailes, à l’exclusion du cockpit et de toute l’électronique qu’il renferme.

Nous comptons, en amont, sur nos agents de conduite et, en aval, d’une part sur les compteurs communicants afin de bénéficier d’une connaissance de l’état du réseau à tout moment, d’autre part sur nos logiciels d’autocicatrisation. Ces derniers permettront d’identifier le tronçon défaillant et de calculer rapidement quels autres réseaux peuvent intervenir en secours. Ceux-ci font l’objet d’un maillage autorisant une dérivation dans les meilleurs délais, un peu comme un itinéraire bis. De la sorte, nos clients doivent le moins possible ressentir la perturbation, et nous pouvons ensuite effectuer les travaux de réparation en temps masqué.

La première étape de développement réside dans le compteur communicant. Nous sommes maintenant en fin d’expérimentation, ayant déjà installé 250 000 compteurs.

Les courants porteurs en ligne (CPL) communiquent avec des concentrateurs et, de là, avec le système d’information central par général packet radio service (GPRS). Pour ce faire, nous sollicitons les trois principaux opérateurs français – Orange, Bouygues et SFR –, en fonction de la qualité de leur desserte sur le site du concentrateur, afin de remonter l’information vers le centre de pilotage du réseau.

Nous avons choisi cette formule en vue de minimiser les coûts d’investissement et, plus encore, les coûts d’exploitation. Elle permet, en effet, de regrouper, par grappes, toutes les informations fournies par les compteurs de façon à minimiser le nombre des transmissions. C’est ainsi que, si la décision de généralisation du système est prise pour 35 millions de compteurs, nous prévoyons 750 000 concentrateurs, ce qui réduit d’autant le nombre de communications, évitant à la fois un coût important et un risque de saturation. La majorité des distributeurs européens d’électricité ont fait le même choix.

Nous continuons à travailler au développement des CPL, en étant aujourd’hui au protocole G1, considérant comme particulièrement prometteur le protocole G3 dont la mise en service industrielle devrait intervenir dans trois ou quatre ans et permettre de transmettre les informations beaucoup plus rapidement.

Nous sommes engagées dans un certain nombre d’opérations pilotes : à Nice, l’opération Nice Grid est destinée à gérer l’équilibre entre production solaire, stockage et utilisation ; dans l’Est de la France nous nous intéressons à l’énergie éolienne ; dans le département de la Réunion, nous sommes associés à un partenaire, afin de gérer l’équilibre entre offre et demande dans un système isolé, c’est-à-dire non interconnecté ; enfin dans les îles bretonnes où se manifeste le même besoin de sécuriser la qualité d’alimentation des zones éloignées des sources énergétiques.

Nous travaillons aussi, au sein d’une association des distributeurs européens que nous avons créée voilà un peu plus d’un an, sur différents démonstrateurs. À ce titre, nous avons obtenu de la Commission européenne qu’elle subventionne un projet appelé Grid for EU, comportant six pilotes – en République tchèque, en Italie, en France, en Espagne, etc. –, mené en partenariat avec nos collègues distributeurs des autres pays de l’Union. C’est là un élément indispensable à la modernisation de nos réseaux.

Nous nous situons dans le domaine régulé : l’aval du compteur ne nous concerne pas, mais notre compteur communicant apportera une aide à ceux qui offriront des services aux consommateurs.

En amont, il nous revient de préparer l’avenir pour bénéficier de réseaux robustes : le choix du CPL s’inscrit dans cet objectif.

Mme Christine Le Bihan-Graf, directeur général de la CRE. La Commission de régulation de l’énergie est très engagée dans la réflexion sur le développement des smart grids. Elle avait organisé, en 2010, le premier colloque international sur ce thème.

L’ensemble des orateurs ici présents me paraissent d’accord sur l’essentiel.

Les réseaux sont certes déjà intelligents, mais ils ne le sont jamais assez. Nous avons, en la matière, un grand défi à relever. Le pilotage des réseaux se complexifie, car ceux-ci sont soumis à de fortes contraintes : l’intégration des énergies renouvelables, la gestion de la consommation de pointe, l’augmentation de la consommation et l’apparition de nouveaux usages. En l’état, les réseaux ne peuvent répondre à l’ensemble de ces défis. Comme il serait déraisonnable de dimensionner un réseau en fonction du pic de consommation, il faut l’optimiser, ce qui implique de le rendre plus intelligent.

Cette intelligence implique convergence et complémentarité – nullement leur concurrence, pas plus que leur substituabilité – entre, d’une façon générale, les nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC) et la gestion électrique. On pourrait, en effet, pousser le raisonnement jusqu’à son terme et se demander si l’on ne peut pas se dispenser de Linky, le compteur intelligent, en exploitant au mieux les réseaux de communication électronique.

L’intelligence des réseaux signifie seulement qu’ils peuvent communiquer entre eux, échanger de l’information, étant bidirectionnels et numériques. Aujourd’hui le pilotage des réseaux se fait en aveugle puisque le pilote ne bénéficie pas de remontées d’informations sur ce qu’il advient dans le réseau. En disposer est désormais une nécessité. C’est bien pourquoi l’ensemble des pays européens a développé – l’Italie depuis plus de dix ans – ou développe, des systèmes de comptage intelligent.

Mais, pour que le concept de smart grid ne se limite pas à son aspect de marketing, il faut revenir aux fondamentaux, qui apparaissent clairement si l’on distingue l’amont de l’aval.

L’amont s’applique au monopole régulé, l’aval concerne ce qui fait l’objet d’une concurrence, domaine dans lequel la France compte des entreprises énergéticiennes championnes comme Alstom, Schneider Electric, Legrand, et bien d’autres. Elles sont le fer de lance de l’excellence française dans le domaine des applicateurs et des démonstrateurs. Nous n’en sommes plus au stade de la recherche-développement, mais déjà à celui de la mise en œuvre. Derrière le smart grid, se dessine un projet industriel français au service de notre économie et de l’emploi local.

En amont du compteur, le smart grid offre, pour la première fois, la possibilité de compter réellement la consommation effectuée. Aujourd’hui, le consommateur ne compte pas vraiment : à la différence du plein du réservoir de sa voiture, dont il connaît le montant, il ne sait pas à combien s’élève sa consommation électrique mensuelle, étant soumis à ce qu’on appelle « le profilage ».

De plus, on ne comptera plus seulement l’énergie consommée, mais également celle que l’on injecte dans le réseau, ce qui est fondamental en matière d’énergies renouvelables pour le pilotage de l’équilibre entre l’offre et la demande.

Le compteur est d’abord un capteur. Si on les multiplie, ils pourront communiquer entre eux. Nous saurons dès lors sur quel point du réseau existe éventuellement un facteur de stress, une faiblesse, une anomalie qu’il convient de pallier.

Les smart grids constituent un premier élément permettant de déterminer les investissements prioritaires afin de renforcer ou d’améliorer les réseaux.

Le capteur permet également de détecter les pannes. Plus vite elles sont détectées, plus vite elles sont réparées, sans déranger le consommateur chez lui, grâce notamment aux dérivatifs dits autocicatrisants.

Les smart grids permettent non seulement d’améliorer la qualité du service – réaliser de la télé-relève sans solliciter le consommateur, changer le niveau de souscription de puissance par exemple –, mais aussi celle de l’alimentation en détectant et en réparant plus vite les pannes, réduisant d’autant la durée des coupures, indicateur fondamental de la qualité du système.

Il ne faut pas opposer trop rapidement le coût des investissements dits de qualité et celui des investissements dits de développement, car les smart grids relèvent des deux catégories. Ils représentent une manière habile de renforcer la qualité en optimisant le fonctionnement plutôt qu’en démultipliant les investissements sur les réseaux.

En amont, les smart grids reviennent donc à mieux compter, à optimiser l’équilibre entre l’offre et la demande, enfin à améliorer la qualité des réseaux et des services. Leur développement doit être jugé à l’aune de ces trois grandes finalités.

En aval, il faut laisser aux entreprises innovantes la possibilité de présenter des offres, aujourd’hui beaucoup plus complexes que celles auxquelles les énergéticiens classiques étaient habitués. Auparavant, on vendait un produit, en réfléchissant seulement à sa problématique tarifaire. Demain, on vendra aussi des services, tels que ceux proposés par la boîte multiservices. Certaines entreprises offriront, par exemple, des services énergétiques associés à des services de maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées, ou encore à des services de domotique.

En aval du compteur, s’ouvre donc toute une réflexion sur les services complémentaires, par l’intermédiaire d’un gestionnaire d’énergie permettant de faire évoluer la finalité des réseaux électriques autour de la maîtrise de la demande d’énergie, de la « décarbonation » de l’énergie, de « l’effacement diffus », du « passage de la pointe », qu’elle soit locale ou nationale. Se dessine de la sorte un champ d’innovations extrêmement riche pour les industriels. La gestion de l’installation électrique de l’habitation cesse d’appartenir à un distributeur en situation de monopole, dont la compétence s’arrête au compteur, pour être ouverte à la concurrence.

Le coût du projet des smart grids est très difficile à chiffrer. Très complexe, mais pas davantage que ne le furent Internet ou le téléphone portable, il implique une multitude d’acteurs. European electricity grid initiative a estimé, pour la seule France, le montant des investissements nécessaires à 15 milliards d’euros, dont 4 milliards pour le déploiement des compteurs intelligents du projet Linky. Ce coût doit être appréhendé en valeur relative, car il faut en déduire les frais qui, de toute façon, auraient été engagés en raison de l’obsolescence des compteurs actuels : la nécessité de remplacer les vieux compteurs bleus et les compteurs communicants anciens. Un compteur Linky coûte 20 euros de plus qu’un compteur électronique blanc, or un compteur s’amortit sur vingt ans, soit une charge supplémentaire d’un euro par compteur et par an. Il nous faut raisonner non en coûts pleins mais en différentiel de coûts.

Le développement des smart grids apporte aussi des bénéfices non monétisables, notamment en terme de qualité de services. Son coût est moindre que celui qui ressortirait d’un renforcement global de la qualité des réseaux existants. Enfin, il faut comparer celui-ci aux coûts annuels supportés par les gestionnaires de réseaux qui, pour RTE et ERDF, s’élèvent à 4 milliards d’euros cumulés par an.

Existe-t-il une alternative, technique et financière, au moyen des systèmes que nous connaissons, au déploiement des smart grids ? On pourrait penser à une substituabilité des systèmes de télécoms aux systèmes électriques. Au stade actuel de notre réflexion, il apparaît que c’est une fausse bonne idée.

D’abord parce que les technologies de télécoms, dont Internet, ne permettent pas d’offrir les mêmes fonctionnalités que le comptage évolué et que le réseau intelligent, notamment la plus simple, à savoir que le compteur doit compter et facturer de l’énergie. Or, c’est sur la base de ce comptage et de cette facturation en temps réel que l’on peut placer des espoirs quant au changement de comportement des usagers vis-à-vis de leur consommation électrique.

Ensuite, le gestionnaire de réseaux ne dispose pas de la maîtrise de l’infrastructure de communication. Pour recourir aux technologies correspondantes, il lui faudrait donc payer la location de fibres optiques ou du boîtier Internet, ce qui représente un coût extrêmement important, bien sûr répercuté sur le consommateur, la loi imposant aux tarifs de couvrir les coûts.

Par ailleurs, s’agissant de la protection des données personnelles, les technologies de type fibre optique offrent moins de garanties que les technologies telles que le CPL, car le gestionnaire de réseaux devrait partager des informations avec les opérateurs de télécoms. Et plus on partage d’informations, plus il est difficile de les protéger contre des esprits malveillants.

Enfin, une étude réalisée par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP) intitulée « Développement de la fibre optique et coût par utilisateur », a chiffré celui-ci à 2000 euros, soit 70 milliards d’euros pour 35 millions de foyers, à comparer au coût du développement des smart grids tel que nous l’avons évoqué.

La problématique de sécurisation de l’information est essentielle pour la conduite du projet de smart grids et de comptage évolué. Elle représente un point crucial dans les discussions avec les consommateurs car les nouvelles technologies ne s’acclimateront que si elles bénéficient de la confiance de celui-ci dans la fiabilité des systèmes de protection des informations qui le concernent. Cette préoccupation s’intègre dans le projet Linky tel que mené avec Atos Origin.

M. le président Serge Poignant. Merci pour ces éclairages complets et importants car ils conditionnent l’avenir.

Vous avez mentionné, en plus de la gestion, de la qualité et de la sécurité des réseaux, le comportement social du consommateur pour la maîtrise de l’énergie. La confiance constitue, en effet, un élément important. Il est également essentiel que le consommateur dispose d’un maximum d’accès aux services afin de pouvoir être lui-même responsable.

Mme Laure de La Raudière. Les smart grids ouvrent une nouvelle ère pour la gestion de la production et de la consommation d’électricité, qu’elle soit collective, avec la maîtrise du pic, ou individuelle dans chacun des foyers.

Les enjeux sont considérables. Ils vont faire apparaître de nouveaux métiers, de nouveaux modèles économiques et donc de nouveaux entrants sur le marché de l’énergie. Même s’il existe peu de possibilités, comme cela vient d’être dit, pour les acteurs de télécoms de prendre possession des systèmes de comptage, on découvre néanmoins les ambitions des entreprises Google et Microsoft qui envisagent des investissements très importants sur ce marché. Elles estiment qu’elles peuvent en maîtriser la gestion en aval grâce à la dissémination de leurs serveurs dans le monde entier dont il leur faut aussi optimiser la consommation d’électricité. Elles peuvent offrir, aussi bien aux entreprises qu’aux particuliers, un arbitrage en faveur du meilleur prix et de la meilleure gestion de l’électricité. Fournir de nouveaux services de ce type valoriserait les compétences qu’elles ont déjà acquises dans ce domaine, et d’autant plus facilement qu’elles disposent, par exemple en France avec 35 millions d’internautes, d’autant d’interfaces avec les consommateurs. Elles pourraient donc se positionner entre ceux-ci et les producteurs.

La Fédération française des télécoms espère, elle aussi, tenir une place entre le consommateur et le distributeur d’énergie.

Quel est, en la matière, l’état de la réflexion du secteur de l’énergie dans les autres pays européens ? Où en sont les études engagées en France en vue d’une normalisation au niveau européen ? Peut-être cette normalisation imposera-t-elle un certain type de marché, en fermant des possibilités d’investissement à certaines catégories d’opérateurs potentiels.

De nombreux acteurs sont concernés : les consommateurs, les producteurs, distributeurs et fournisseurs d’énergie, de télécommunications et de services en ligne, les industriels… À qui profiteront les nouvelles technologies ? Et comment doit-on s’organiser en France pour s’assurer qu’elles bénéficieront aux consommateurs comme aux entreprises ?

Quelles sont vos attentes par rapport à l’État ? Et comment pouvons-nous vous aider à faire en sorte que la valeur ajoutée reste en France ?

M. François Brottes. Méfiez-vous des réseaux intelligents : ils pourraient, demain, vous prendre pour des imbéciles !

D’une façon générale, ne sommes-nous pas en train de réinventer le fil à couper le beurre ? Je suis un peu atterré en vous écoutant, venant d’une région où Merlin-Gerin est née avant Schneider Electric, où le Laboratoire d'électronique et de technologies de l'information (LETI) est né en même temps que le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), et où l’on a parlé de domotique bien avant que cela devînt à la mode.

Dans tout ce que j’ai entendu, je n’ai en effet perçu aucune invention majeure, qu’il s’agisse des usages ou des technologies. L’innovation principale réside dans l’effet marketing autour de la deuxième convergence, qui concerne effectivement les smart grids, étant rappelé que la première consistait à mettre sur le même support de la vidéo, du son et du téléphone. On s’était alors demandé s’il ne fallait pas marier le CSA avec l’ARCEP. Si l’on ajoute la CRE, il n’existera plus qu’une seule autorité de régulation, ce qui autorisera quelques économies …

Les technologies sont étroitement liées et ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est l’accroissement de la complexité d’usage : on intègre les énergies renouvelables, on se préoccupe plus qu’avant d’économiser l’énergie, la concurrence se développe et chacun, dans le jeu, veut jouer sa partition et gagner de l’argent. Le problème ne se posait évidemment pas quand il n’existait qu’un seul opérateur.

Où se situe, dans cette affaire, l’intérêt du consommateur ? Cherchez l’erreur ! Qui va essayer de tirer du dispositif se mettant en place la part la plus grande de la valeur ajoutée ? C’est évidemment l’objectif des différents acteurs représentés ici, qui ne sont pas des philanthropes. Or, là où la valeur ajoutée est la plus grande, est aussi l’endroit où l’on embobine le plus le consommateur en lui proposant tout un lot de prestations dont il n’a pas forcément besoin, mais dont le paiement assure les marges commerciales. Tel est le mode de fonctionnement des grandes surfaces : il n’y a là rien de nouveau.

Nous saurons donc comment nous payons, mais nous ne saurons plus ce que nous payons. On multiplie les offres et les paiements correspondants, mais tout est forfaitisé sur de longues durées. Le consommateur est loin d’utiliser tout ce qu’on lui fait ainsi acheter. Déjà, dans les télécommunications, les factures deviennent exponentielles et les ménages ne parviennent plus à les régler.

Je suis donc extrêmement inquiet de la mode des smart grids qui apporteraient la solution à tout alors qu’ils existent presque depuis la nuit des temps, qu’il n’y a pas véritablement de saut technologique, mais seulement des acteurs qui ne veulent plus s’en tenir à un rôle de fournisseur sur les étagères de RTE ou de ERDF : espérant gagner de l’argent, ils souhaitent se positionner désormais en offreurs de multiservices au moyen des différents réseaux existants, notamment de téléphone et d’électricité – je comprends parfaitement leur logique de développement d’entreprise.

Nous avons bien compris que les technologies pouvaient désormais se marier et, ainsi, proposer davantage de services, fournis par un plus grand nombre d’opérateurs. Le fait que des entreprises comme Alstom, Schneider Electric ou France Télécom Orange s’impliquent ne me rassure ni ne m’inquiète, mais me conduit à penser que des enjeux économiques et commerciaux très importants devront donner lieu à rémunération de la part du consommateur.

Les arguments avancés par la CRE pour qu’on ne confonde pas les télécommunications et la fourniture d’électricité relèvent autant de la prise en compte des technologies que du souci de préserver le pré carré de chaque instance de régulation. Nous avons déjà vécu cela entre le CSA et l’ARCEP.

Je remercie à cette occasion notre président d’avoir invité tous les acteurs concernés pour qu’on puisse en parler.

Mon inquiétude est donc à la fois sociale, politique et économique.

Toute la question, qui nous est posée en tant que responsables politiques, est de savoir si l’évolution technologique que vous nous avez décrite va dans le sens de l’intérêt du consommateur et d’une bonne visibilité de ce qu’on va lui proposer. Je n’en suis pas sûr.

Il y a, d’une part, un effet de mode et, d’autre part, des modèles économiques qui vont changer. Les effets de mode existent et, en l’occurrence, il n’y a rien de nouveau sous le soleil si ce n’est que les modèles économiques et les positionnements des différents acteurs changeront pour aller chercher la valeur ajoutée où elle se trouve, l’objectif des fournisseurs étant de savoir qui mangera l’autre.

Nous sommes donc à la croisée des chemins : les coûts augmenteront pour le consommateur sans pour autant que les services rendus soient au rendez-vous.

M. le président Serge Poignant. Je n’en pense pas moins que l’intérêt des smart grids est réel tant pour la gestion des réseaux que pour le consommateur.

M. Jean Gaubert. Monsieur Lucas, gardez le terme d’« écosystème » pour la Commission du développement durable et parlez plutôt d’« environnement économique ». Pourquoi, si ce n’est pour paraître intelligent, mettre des mots à la mode à toutes les sauces alors qu’ils sont en fait impropres ?

Le projet Linky est-il adapté aux enjeux dont nous avons parlé alors que l’on entend parfois dire qu’il est déjà obsolète ? S’il doit permettre à ERDF de gérer correctement son réseau, il doit également offrir des services supplémentaires aux consommateurs, notamment s’agissant de la connaissance de leur consommation afin qu’ils puissent mieux la gérer. Quoi qu’il en soit, faute d’argent, nombre d’entre eux s’en débrouillent depuis longtemps comme ils peuvent en bouchant les ventilations de leur maison plutôt qu’en ouvrant les radiateurs.

S’agissant du fonctionnement du réseau, il ne faudra pas expliquer qu’après les tempêtes et accidents de toutes sortes, les pannes à venir seront le fait des ordinateurs.

Par ailleurs la possibilité, pour un consommateur, de consulter son compteur n’aurait aucune incidence. Or, si les ingénieurs trop sûrs d’eux me font douter, ceux qui doutent m’incitent en revanche à leur faire confiance : les ordinateurs du Pentagone, de Bercy et de l’Elysée devaient être parfaitement sécurisés et ils ont pourtant été piratés. Il faudra donc prendre les mesures qui s’imposent pour se prémunir contre les intrusions.

Madame Le Bihan-Graf, je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous affirmez que les réseaux intelligents mettront fin aux problèmes du réseau câblé. Celui-ci, en effet, a vieilli et il est loin d’être partout en excellent état. Le premier ne suppléera donc pas le second et il me semble délicat de prétendre que des économies d’investissements seront réalisées.

De plus, si l’amortissement en valeur relative du projet Linky représente un euro par an par compteur et pendant vingt ans, il n’en reste pas moins qu’à ce jour ERDF ne peut pas ou ne veut pas emprunter, ce qui obère les investissements en faveur de la qualité matérielle du réseau.

Mme Michèle Bellon. Il nous est tout à fait possible d’emprunter.

M. Jean Gaubert. Je ne suis pas sûr que l’actionnaire principal soit d’accord.

Enfin, vous ne pouvez arguer qu’un tel système reviendra moins cher que la fibre optique puisque celle-ci doit être de toute façon installée sur l’ensemble du territoire. Comment donc réaliser des économies en associant les deux ? C’est leur complémentarité qui importe, non leur mise en concurrence.

M. Daniel Fasquelle. Je trouve détestable cette manie consistant à utiliser systématiquement des termes anglais alors que notre belle langue permet de nous exprimer clairement – les Québécois parlent, par exemple, non de smart grids mais de réseaux de distribution d’électricité intelligents. Si les Français ne défendent pas leur langue, qui le fera ?

Si, en la matière, les intérêts des opérateurs sont évidents – la lutte contre le réchauffement climatique y gagnera également –, je m’inquiète des retombées effectives pour les consommateurs car le manque de concurrence sur ce marché est flagrant. Comment donc articuler complémentarité et concurrence ? J’entends parler de compteurs intelligents mais qui en aura la maîtrise et qui proposera de les installer ? Je ne vois pas trop l’intérêt de cette opération s’il s’agit du fournisseur historique qui dispose aujourd’hui et pour un certain temps encore d’un monopole. Bien entendu, il en ira différemment si une offre diversifiée voit le jour.

La domotique permet aujourd’hui de répondre aux problèmes posés par la dépendance des personnes âgées. Avez-vous intégré cette donnée dans votre réflexion ?

Enfin, la détention d’informations sensibles étant de plus en plus importante, quelles mesures entendez-vous prendre pour protéger la vie privée des clients et éviter que ces dernières ne tombent entre de mauvaises mains ?

Mme Frédérique Massat. Comme M. Gaubert, je fais partie de la mission d’information sur l’état des réseaux et je considère que la présence de réseaux intelligents n’impliquera pas moins le maintien et l’amélioration de la qualité des réseaux de distribution. Nous nourrissons d’ailleurs quelques inquiétudes quant aux priorités qui seront établies et aux financements qui seront déployés à cette fin.

La CRE a lancé un nouvel appel d’offres concernant l’étude technico-économique portant sur le projet de système de comptage développé par Linky. Outre qu’elle devra confirmer les fonctionnalités envisagées par ERDF pour la généralisation du compteur, trois points devront être évalués : la quantification des impacts sur le tarif du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE) ; l’évaluation des gains apportés par ce système notamment s’agissant de la maîtrise de demande d’énergie ; l’identification des effets de son déploiement sur les investissements concernant la chaîne électrique. Je note que l’appréciation du service rendu aux consommateurs n’a pas été clairement identifiée et qu’il sera particulièrement nécessaire de travailler à garantir la protection des données confidentielles de ces derniers.

Enfin, Google, soucieux de pénétrer le marché des smart grids avec son logiciel PowerMeter, aurait approché ERDF et son compteur communicant Linky. Info ou intox ?

Mme Michèle Bellon. C’est faux.

M. Jean-Pierre Nicolas. S’il est compréhensible que les smart grids puissent contribuer à améliorer la qualité des réseaux vous avez également prétendu, Madame Le Bihan-Graf, qu’ils permettraient de réaliser des économies d’investissements. Or, selon les travaux de la commission sur l’état des réseaux électriques, celles-ci ne joueront qu’à la marge pour résoudre les problèmes liés à la dégradation de la continuité de fourniture – le fameux critère B – en dépit des investissements réalisés par ERDF.

Par ailleurs, nous avons bien compris la dichotomie entre smart grids et smart home.

Le benchmarking étant toujours précieux, quels avantages en termes de réseaux et de clients le groupe ENEL a-t-il retiré de la mise en place des smart grids ? Quels retours avons-nous, en France, de l’expérimentation de 150 000 compteurs communicants ? Avez-vous en particulier mesuré le niveau d’acceptabilité sociale des consommateurs ?

Mme Marie-Lou Marcel. La mise en place de ces réseaux intelligents est présentée comme inévitable pour favoriser la baisse des pics de consommation, éviter les pannes et limiter les pertes en ligne. Or, je la trouve inquiétante car sous couvert d’efficience et de meilleure gestion de l’énergie, des risques n’en sont pas moins présents.

Le contrôle de la consommation pourrait ainsi tendre à la création d’une sorte de compte épargne énergie que nul client ne pourra dépasser une fois que sa consommation aura été définie. De plus, un tel contrôle pourrait conduire à une restriction d’approvisionnement d’énergie en cas de baisse de la consommation d’un usager. Une nouvelle fracture semblable à celle qui existe pour le numérique pourrait également se faire jour entre des usagers informés, regroupés dans des zones urbaines où les fournisseurs sont plus nombreux, et des usagers isolés vivant dans des territoires ruraux ou semi-ruraux. Une confiance aveugle à l’endroit de ces réseaux dits intelligents pourrait aussi entraîner un « bug » catastrophique. Enfin, ce nouveau marché profitera aux opérateurs au détriment des usagers avec, à terme, comme nous l’avons vu dans le domaine de la téléphonie, la mort du service public de l’énergie. Qu’avez-vous à répondre à ces inquiétudes ?

M. Alain Suguenot. Notre débat, si vous me passez la formule, est un peu « édénique » : à Ève qui demandait à Adam s’il l’aimait, celui-ci répondit qu’il n’avait guère le choix. C’est également notre cas : une directive européenne impose la mise en place de ces réseaux, si complexe soit celle-ci. De surcroît, M. Brottes l’a dit, chaque acteur essaiera de gagner de l’argent et le consommateur, s’il manque de vigilance, risque d’être un peu victime de ce nouveau système. Quand le compteur intelligent sera-t-il donc généralisé ?

Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec Mme Le Bihan-Graf : il n’est pas possible d’opposer les infrastructures existantes aux technologies de l’information et de la communication, car nous avons besoin des deux.

Enfin, le déploiement de ce projet nécessitera plusieurs années et le parcours sera semé d’embûches. À l'instar du protocole IP relatif aux réseaux personnels sans fil, la mise en place de normes spécialisées sera nécessaire afin de faire fonctionner ce nouveau maillage coordonné et indépendant. Quand seront-elles donc effectives ?

Mme Geneviève Fioraso. Je suis solidaire de la plupart des propos tenus par mes collègues.

Dans l’agglomération grenobloise, nous menons une opération pilote en matière de réseaux intelligents dans le cadre de l’aménagement d’un nouveau quartier. Nous essayons donc d’anticiper ce que pourrait être une gestion intelligente de l’énergie tant en ce qui concerne les transports que le chauffage à partir des usages des habitants. Or, vous abordez ce problème d’une manière technocratique ou commerciale. Comme l’a dit M. Brottes, des services et des forfaits seront rapidement proposés sans que l’intérêt de l’usager soit très clairement défini tandis que ce dernier aura le sentiment que Big Brother espionnera ses faits et gestes. Il serait bon d’en revenir aux fondamentaux : économie d’énergie, modulation de cette dernière en fonction de son impact sur le climat, modification des usages, gains pour les consommateurs et, notamment, les plus modestes d’entre eux.

À ce propos, notre programme comprend 35 % de logements sociaux : si leurs habitants ne s’y retrouvent pas et s’il s’agit seulement de constituer une nouvelle manne pour les prestataires de services, ce n’est même pas la peine d’installer de tels réseaux. Il faut éviter qu’une nouvelle fracture numérique se creuse et vous devez impérativement remédier à un gros problème de communication qui va jusqu’à remettre en cause notre expérimentation.

Enfin, pourquoi le raccordement au réseau de l’énergie photovoltaïque est-il vingt fois plus long et compliqué en France qu’en Allemagne ? Une amélioration est-elle envisageable ?

M. Jean Dionis du Séjour. Si la mise en place de ces réseaux constitue globalement une bonne nouvelle, comment entraînera-t-elle des économies d’énergies incontestables pour le consommateur ? Alors que les dépenses des ménages explosent, c’est en effet le pouvoir d’achat qui est au cœur du débat, bien plus que les questions écologiques ! Je suis d’accord avec Mme Fioraso : sur ce plan-là, les choses ne sont pas claires.

De plus, ces quinze dernières années, les stratégies d’investissement d’EDF ont parfois été contrastées tant à l’étranger que, après 2005, dans notre pays - suite aux différentes intempéries, l’entreprise avait juré qu’elle investirait considérablement dans les réseaux. De la même manière, l’installation des compteurs intelligents – qui nécessitera quatre milliards – est aujourd’hui considérée comme déterminante. Les sommes en jeu étant très importantes, quelles sont les priorités de l’opérateur historique et quel sera leur calendrier ?

M. le président Serge Poignant. Qu’attendez-vous, Messieurs Schmitt et Lucas, du développement de ces réseaux et comment vos entreprises respectives s’y préparent-elles ?

En permettant un réel pilotage des coupures de fourniture, les compteurs intelligents constitueront une véritable avancée. Le consommateur, c’est essentiel, doit également pouvoir maîtriser sa consommation et réaliser ainsi des économies – c’est d’ailleurs la raison d’être de cette audition.

M. Laurent Schmitt. Alstom s’intéresse bien entendu beaucoup plus à l’amont qu’à l’aval des réseaux smart grids, l’intégration des énergies renouvelables étant en l’occurrence un enjeu central du débat.

Précisément, c’est nous qui avons livré le système de dispatching et de gestion du réseau danois, lequel comprend 15 % d’énergies renouvelables dont, pour moitié et par intermittence, de l’éolien. Les smart grids n’y constituent plus aujourd’hui un enjeu d’optimisation économique pour les particuliers mais il se situe au cœur de la vie quotidienne. Equilibrer la part de l’éolien passe par la gestion de la pointe, mais également par la production, la modernisation du stockage et bien d’autres éléments constitutifs des réseaux intelligents pouvant aussi avoir un effet de levier.

Nos cycles d’investissements technologiques étant de dix à vingt ans, nous sommes aujourd’hui convaincus de la validité de tels réseaux : parce que les éléments essentiels des usages futurs y sont inclus – je songe aux véhicules électriques et aux énergies renouvelables –, leur déploiement plus ou moins intense sera nécessaire en fonction des contraintes de chaque pays.

L’Union européenne évalue à 15 milliards les volumes de marché et des opportunités. Dans le cadre du GIMELEC, regroupement de 230 fournisseurs d’équipement, systèmes, services et solutions électriques, nous avons rédigé un Livre blanc où nous estimons que le marché des technologies d’efficacité énergétique s’élève aujourd’hui à 25 milliards et qu’il doublera d’ici dix ans. Si des acteurs industriels sont d’ores et déjà présents sur l’ensemble de la chaîne, nous sommes quant à nous très actifs afin de créer et de fédérer une filière industrielle – nous souhaitons aider EDF et ERDF à fournir des technologies pour les smart grids en France, mais également soutenir cette filière de manière qu’elle puisse faire des offres de consortium à l’étranger.

M. Lucas a évoqué les standards « aval », les standards « amont » relevant plutôt des énergéticiens dans le cadre du groupe de standardisation International Electrotechnical Commission (IEC). Alstom y est partie prenante aux États-Unis au sein du National Institute of Standards and Technology (NIST) et en Europe via TNI-Europe, ETSIS ou ENELEC, où nous discutons des réseaux intelligents. Si la convergence des standards entre les États-Unis et l’Europe est importante, la Chine réalise de tels investissements sur ses réseaux dans le domaine des énergies renouvelables qu’elle parviendra bientôt à susciter ses propres champions nationaux.

Nous réalisons donc des investissements importants de l’ordre de plusieurs centaines de millions – vous comprendrez que je ne me montre pas plus précis compte tenu du caractère stratégique de ces chiffres et de l’utilisation que pourraient en faire nos principaux concurrents que sont ABB-Siemens et General Electric -, l’Europe - la France en particulier - et les États-Unis constituant nos deux principaux centres stratégiques de recherche et développement.

M. le président Serge Poignant. Il est important qu’un industriel rappelle ces enjeux nationaux et internationaux et combien nos entreprises, dont le savoir-faire est connu, sont bien placées comme en atteste d’ailleurs le remarquable Livre blanc réalisé par le GIMELEC.

M. Philippe Lucas. Si la gestion de l’énergie à la maison constitue la première étape pour s’assurer que l’ensemble des acteurs de la chaîne développe une vision plus cohérente que par le passé – c’est ainsi que le « boîtier domotique » succédera à terme à la simple energy box –, il n’est pas moins vrai qu’à ce jour, nous ne savons pas exactement quels seront les services que nous pourrons vendre à nos clients. Dans les prochaines années, nous procéderons donc à des expérimentations afin de connaître leurs attentes.

Un mandat européen a été publié la semaine dernière concernant la normalisation des smart grids à partir duquel le CEN-CENELEC et l’ETSI travailleront. Élaboré avec l’ensemble des acteurs, il répond assez bien aux problèmes qui se posent en la matière, les premières normes devant être définies dans les deux prochaines années.

Quelles que soient les interrogations sur la gestion intelligente de l’énergie, la concurrence internationale est d’ores et déjà réelle. Si ce sont d’abord les Américains qui ont réfléchi aux smart grids, les Européens et les Chinois leur ont ensuite emboîté le pas. Précisément, le système de normalisation chinois est national, mais le marché intérieur de la Chine est tel qu’il pourrait être internationalisé dans les années à venir. L’Europe a donc intérêt à se positionner sur un plan technologique, le rapprochement avec les États-Unis étant quant à lui important pour parvenir à constituer un marché suffisant, garant d’un bon développement. J’ajoute qu’en la matière nous devons nous méfier d’une éventuelle dispersion de l’Europe dû au caractère disparate de la situation des différents États qui la composent, lequel ne favorise pas l’émergence de normes communes.

Mme Michèle Bellon. Mme Fioraso a raison, nous devons revenir aux fondamentaux, et vous avez été nombreux – M. Brottes, Mme Massat, M. Dionis du Séjour, M. Jean Gaubert – à insister sur l’intérêt des consommateurs. Pour ERDF, l’essentiel est d’abord d’alimenter tous nos clients en électricité dans des conditions optimales de qualité. Depuis 2005, nos investissements ont ainsi significativement crû : par rapport à 2010, où ils avaient augmenté de 10 % comparativement à l’année précédente, ils augmenteront de 300 millions en 2011 pour atteindre 2,820 milliards indépendamment de ceux dédiés aux smart grids. Les investissements technologiques – capteurs, organes de manipulation à distance – contribuent à la qualité du réseau et, en particulier, au rétablissement de l’électricité dans les meilleurs délais possibles pour le client ce qui constitue pour nous, entreprise de service public, une priorité absolue. Il ne convient donc pas d’opposer ces investissements à ceux dédiés aux smart grids car ils sont complémentaires.

M. Jean Dionis du Séjour. La contrainte financière n’est-elle pas réelle ?

Mme Michèle Bellon. Il en va de l’amélioration de la qualité du réseau et des services rendus aux clients. Nous continuerons donc à investir dans les réseaux, mais avec les technologies actuelles.

À la fin de la semaine dernière, nous avons participé à une réunion avec les représentants de quatorze pays européens et les présidents des dix-neuf distributeurs les plus importants qui sont au service de plus de 200 millions de clients. Nous avons réalisé un large tour de table sur les smart grids et sur les compteurs communicants. L’Italie en a déployé 30 millions, essentiellement pour réduire « les pertes non techniques », c'est-à-dire les fraudes – la réduction de ces dernières, notamment au sud du pays, a permis de financer la totalité des installations. Moins sophistiqués que les nôtres, ils ne permettent pas de faire de la maîtrise de la demande d’électricité (MDE), de lancer des impulsions ou de proposer des offres tarifaires permettant de différencier pointe et heures creuses. En Suède, tous les clients disposent de compteurs communicants dont le relevé mensuel est exact et non estimatif, ce qui évite les surprises d’ajustement de fin d’année. La facture comprend de surcroît la consommation des treize derniers mois avec un graphique très pédagogique. Grâce à cela, le consommateur suédois a retrouvé la confiance.

S’il n’est pas facile d’alimenter tous les clients dans des conditions optimales de qualité compte tenu notamment du nombre de kilomètres qui les sépare parfois les uns des autres dans les zones rurales et de leur masse dans les zones urbaines, les compteurs nous permettront de connaître l’état du réseau. L’expérimentation que nous avons réalisée a d’ailleurs été satisfaisante en démontrant que nous étions capables d’en déployer massivement et de les installer dans de brefs délais, mais aussi de valider les processus de déploiement ainsi que le temps de pause – lequel s’élève à 29 minutes contre une estimation initiale de 35 minutes dans notre business plan – et, enfin, de vérifier l’acceptabilité sociale, point particulièrement important puisque le développement des compteurs communicants a d’abord été interrompu en Hollande avant d’être relancé, seuls 2 % des clients refusant finalement à ce jour un tel équipement. Toujours en matière de benchmarking, hors la Suède et l’Italie, différentes expériences pilotes sont menées avec des installations allant de 10 000 à 100 000 compteurs. L’Espagne devrait devenir le troisième pays européen – hors la France – à en déployer massivement. Aux États-Unis, un peu plus de huit millions de compteurs communicants assez semblables aux nôtres ayant été installés, je peux vous garantir que Linky se situe à la pointe du développement technologique. Les constructeurs français sont d’ailleurs prêts à doubler ou à tripler la capacité de leurs usines à Montluçon ou Chasseneuil-du-Poitou et des fournisseurs tels que SAGEMCOM se préparent à développer des usines dans le sud de la France.

J’ajoute que notre compteur a été conçu en parfait accord avec la CRE puisque c’est elle qui a animé le groupe de concertation visant à en définir les fonctionnalités. Tel quel, il permettra, en aval, d’offrir un certain nombre de possibilités pour réaliser de la MDE et de l’« effacement de la pointe » tandis qu’en amont des champions français comme Alstom/Schneider interviendront dans nos centres de conduite pour automatiser nos réseaux.

Par ailleurs, nous discutons avec la Russie et la Chine. Même si ce dernier pays progresse très vite, son retard en matière de réseaux est très important puisqu’avec une mise en service d’une ou deux centrales par semaine les Chinois ont privilégié la construction d’outils de production. Les audits que nous avons réalisés avec State Grid dans les provinces de Jiangxi et de Guangxi montrent également qu’ils n’ont pas pensé aux redondances de réseaux et de centres de conduite, lesquels sont bien moins équipés que les nôtres. De ce point de vue, le marché potentiel de nos industriels est important et les Chinois ne manquent pas de nous solliciter : outre que leur intérêt pour les compteurs communicants est réel, ils sont prêts à construire des usines pour en fabriquer. Cependant, je le répète, ils sont loin d’avoir notre avance – ils se satisferaient même de pouvoir comptabiliser leurs consommations d’électricité ! Comme ils sont passés au téléphone mobile en sautant quasiment l’étape du poste fixe, ils en viendront directement aux compteurs communicants sans avoir vraiment utilisé les compteurs électromécaniques.

En France, un tel système permettra d’améliorer la qualité de l’électricité, de réduire les micro-coupures ainsi que les délais de réalimentation, de garantir la variation de tensions dans des plages acceptables pour les PME et PMI – ce qui augmentera l’attractivité de nos territoires. La modernisation du réseau est donc indispensable afin notamment de sécuriser la qualité de l’alimentation.

Par ailleurs, M. Brottes a raison, le cryptage des informations constitue un problème important et nous y travaillons intensément. Même si je m’interroge sur l’intérêt qu’il y aurait à pénétrer un tel système, la prudence s’impose et nous devons garantir que le niveau de cryptage évolue aussi rapidement que les performances des pirates. Quoi qu’il en soit, le système est évolutif et s’adaptera en permanence aux nouvelles technologies et aux nouveaux besoins.

Enfin, en matière de normes, les industriels français sont très présents et très actifs – plus précisément, nous le sommes quant à nous auprès de SENELEC en particulier. Une compétition est d’ores et déjà engagée avec les Chinois et les Américains et il y a urgence à nous mobiliser. En tant que patriote, je considère que la France a pour une fois une véritable longueur d’avance qu’elle se doit de préserver.

Mme Christine Le Bihan-Graf. Nous partageons le constat d’une dégradation de la qualité sur les réseaux de distribution, dégradation qui implique, comme l’a souligné Mme Bellon, des investissements très importants. À cet égard, se demander à qui profite le développement des réseaux intelligents ne doit pas faire oublier la question de la contribution de ces réseaux au renforcement de la qualité. Faire des réseaux intelligents n’évite pas en effet des investissements dans les réseaux de distribution eux-mêmes : la qualité à laquelle l’usager est le plus sensible a en effet trait au temps de coupure, et la qualité de l’alimentation est bien une problématique qui ne peut être séparée de celle du développement des réseaux intelligents. D’ailleurs – ainsi que Mme Bellon l’a également indiqué –, les pays qui passent directement d’un réseau très vétuste à un réseau intelligent sont ceux qui rencontrent le plus de problèmes en matière de qualité d’alimentation sur les réseaux. Aussi ne faudrait-il pas opposer trop rapidement des investissements qui seraient de qualité en termes de distribution et des investissements qui seraient, eux, quelque peu superfétatoires car ne portant que sur des soucis d’innovation de pays riche.

J’en viens à la question du service public, car se demander là encore à qui profitent les nouvelles technologies est quelque peu ambivalent : on a en effet l’impression d’entendre : « à qui profite le crime ? ». En l’occurrence, il n’y a pas de crime ! Ce que nous avons en tout cas essayé de faire – sans doute insuffisamment –, c’est d’obtenir la confiance du consommateur afin qu’il adhère au projet. Sans cette confiance en effet, on se retrouvera comme dans les années soixante, où l’ordinateur devait remplacer le professeur, ou comme dans les années soixante-dix avec la domotique ou la voiture électrique : cela ne se fera pas. Pour qu’un projet d’innovation aboutisse, il faut la confiance de l’ensemble des parties prenantes.

À cet égard, je crois n’avoir jamais laissé entendre que les problématiques de maîtrise de l’énergie n’étaient que des problématiques de riches, même si, lorsque l’on est à 3 kVA de consommation, il est difficile de faire des économies d’énergie, car l’usage de l’électricité est alors contraint : on ne peut ni toujours manger froid, ni arrêter de se chauffer. Il faut donc que le consommateur trouve un intérêt dans le projet pour qu’il y adhère, ce qui nous ramène à la question de savoir en quoi le consommateur est intéressé au projet.

Ce que nous avons essayé de faire dans les groupes de concertation, a été justement de réfléchir, avec les consommateurs, aux fonctionnalités du compteur dans sa composante de service public relevant du monopole et du gestionnaire du réseau de distribution, sachant que tous les services que pourra offrir la concurrence viendront en plus. Sans doute nous offrira-t-on alors, comme toujours dans notre société de consommation, des services dont nous n’aurons pas besoin et auxquels malheureusement nous souscrirons, ce qui aura pour effet de renchérir le coût final, mais peut-être les entreprises offriront-elles aussi des services auxquels nous n’avions pas pensé et qui pourraient se révéler moins coûteux que d’autres investissements par ailleurs consentis. Je reprendrai à cet égard l’exemple du maintien des personnes âgées à domicile.

L’entreprise Legrand a développé des démonstrateurs permettant de comparer le coût de certains services de maintien à domicile par rapport à celui de la construction d’une place en EHPAD. Des représentants de collectivités locales, notamment dans la Creuse, ont ainsi pu réaliser, en travaillant avec cette même entreprise, que des services offerts par des gestionnaires d’énergie pouvaient permettre d’aborder de manière différente la question de l’intérêt du consommateur dans le système. Si les nouveaux services ne seront pas tous nécessairement considérés comme d’intérêt général, l’intérêt du consommateur – qui devra bien évidemment se prononcer sur ces services – est bien au cœur du système.

Dans ce contexte, l’évaluation de l’expérimentation Linky permettra de vérifier si les fonctionnalités du projet, conçues pour être au service du consommateur, sont vraiment fonctionnelles, si leur coût ne dérive pas et si elles sont suffisantes pour atteindre leur objectif, à savoir la maîtrise de l’énergie et la meilleure efficacité énergétique.

M. le président Serge Poignant. Il me reste à vous remercier, Mesdames, Messieurs, pour cette discussion fort intéressante et qui nous sera très utile.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 9 mars 2011 à 10 heures

Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Christian Blanc, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Michel Couve, M. Jean Dionis du Séjour, Mme Corinne Erhel, M. Albert Facon, M. Daniel Fasquelle, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Fioraso, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Bernard Gérard, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Louis Guédon, M. Gérard Hamel, M. Henri Jibrayel, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Claude Lenoir, M. Jean-Louis Léonard, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, Mme Josette Pons, M. François Pupponi, M. Michel Raison, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Jean Auclair, M. Thierry Benoit, M. William Dumas, Mme Pascale Got, Mme Conchita Lacuey, M. Jean-Marc Lefranc, M. François Loos, Mme Anny Poursinoff, M. Jean Proriol

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Goldberg