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Mercredi 16 mars 2011

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 54

Présidence de M. Serge Poignant, Président,
de M. Serge Grouard,
Président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire,
de M. Jean-Paul Emorine, Président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat,
et de M. Claude Birraux,
Président de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

– Réunion, ouverte à la presse, conjointe avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, la commission des affaires économiques, et la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat, sur la crise nucléaire au Japon, avec la participation de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement ; M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique ; M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; Mme Agnès Buzyn, présidente du conseil d’administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), accompagnée de M. Jacques Repussard, directeur général ; M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives ; M. Luis Echávarri, directeur général de l’agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire ; Mme Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'Areva, accompagnée de M. Philippe Knoche, responsable de l’activité Réacteurs et Services ; M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF, et M. Henri Revol, président du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire

Commission
des affaires économiques

Une réunion conjointe a été organisée avec l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, la commission des affaires économiques, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat, sur la crise nucléaire au Japon avec la participation de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement ; M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique ; M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; Mme Agnès Buzyn, présidente du conseil d’administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), accompagnée de M. Jacques Repussard, directeur général ; M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives ; M. Luis Echávarri, directeur général de l’agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire ; Mme Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'Areva, accompagnée de M. Philippe Knoche, responsable de l’activité Réacteurs et Services ; M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF, et M. Henri Revol, président du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.

M. le président Claude Birraux. Ma première pensée, empreinte naturellement d’émotion, sera pour le peuple japonais qui subit aujourd’hui une triple peine, avec cette catastrophe nucléaire venant après un séisme et un tsunami. Je remercie Mme la ministre et M. le ministre d’avoir aussi rapidement accepté de répondre à nos questions – avant d’aller rejoindre le Président de la République à dix-sept heures – puisque c’est seulement hier à midi que l’idée de cette réunion a été lancée. Je salue mes collègues Serge Poignant et Serge Grouard, présidents des commissions des affaires économiques et du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, Jean-Paul Émorine, président de la commission de l’économie et du développement durable du Sénat, et Bruno Sido, premier vice-président de l’OPECST. C’est ici le Parlement rassemblé qui souhaite écouter les ministres et les responsables du secteur faire le point sur la situation au Japon et sur la sûreté dans nos propres centrales.

M. Serge Poignant, président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Je remercie également Mme la ministre et M. le ministre d’avoir répondu à notre invitation à cette audition commune et je me réjouis de profiter des compétences de mes collègues et de celles, incontestées, de l’Office en matière de sécurité nucléaire.

La commission des affaires économiques vient d’achever une série d’auditions sur la filière nucléaire. Bien qu’elles aient été centrées sur les aspects industriels et stratégiques, l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire ont été entendus aussi. Et nous sommes convaincus qu’en une dizaine d’années, la France a élaboré une architecture de sécurité et de sûreté nucléaires exceptionnelle. Comme l’a dit le Premier ministre, il y aura un moment pour le retour d’expérience et pour le débat mais, parlementaires ou citoyens, nous avons besoin dans un premier temps d’autant d’informations objectives qu’on peut en avoir sur ce qui s’est passé à Fukushima, afin de disposer d’éléments de comparaison pour évaluer la sûreté de nos propres centrales. J’invite donc mes collègues à poser beaucoup de questions, d’autant que cette réunion, retransmise par les télévisions, sera accessible au plus grand nombre.

M. Serge Grouard, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale. Je m’associe en pensée aux souffrances qu’endure le peuple japonais et je salue sa dignité impressionnante dans les drames qu’il est en train de vivre.

Nous souhaitons que cette audition soit l’occasion d’avoir, de la part des spécialistes, des réponses aussi précises que possible aux interrogations de nos concitoyens. Ces questions portent d’abord, à mon avis, sur trois points. Premièrement, quelle est la configuration technique exacte du site Fukushima 1, qui est principalement en cause ? Deuxièmement, quelle est en ce moment la situation aux abords de cette centrale, ainsi que sur l’ensemble du territoire japonais ? Enfin, à quoi le reste de la planète doit-il s’attendre ? Quels sont à ce jour les scénarios envisageables pour autant qu’on puisse les déterminer ?

M. Jean-Paul Émorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat. Cette réunion exceptionnelle de nos deux assemblées doit nous permettre d’affirmer solennellement notre solidarité avec le peuple japonais. La première priorité de la France doit être d’apporter à celui-ci toute l’aide possible, tant humanitaire que technique, mais nous nous préoccupons bien entendu fortement du sort de nos ressortissants au Japon et nous suivrons de près l’évolution de la radioactivité dans les territoires français du Pacifique au cas où les rejets constatés dans l’atmosphère seraient de nature à faire peser sur eux une menace de contamination.

Nous attendons des intervenants qu’ils nous présentent l’analyse la plus précise possible, compte tenu des nombreuses incertitudes liées à l’évolution rapide de la situation. Les informations sur ce qui se passe à l’intérieur des réacteurs semblent arriver avec retard. Les autorités japonaises ont-elles bien les choses en main ?

Il est primordial de répondre aux inquiétudes légitimes de nos compatriotes, s’agissant de la sécurité nucléaire sur notre territoire. Les centrales nucléaires françaises, qui se caractérisent par une grande homogénéité, font l’objet de visites régulières de l’Autorité de sûreté nucléaire. Autorité indépendante, celle-ci est chargée de vérifier le niveau de sécurité et, le cas échéant, de le rehausser. Les nouveaux programmes de construction privilégient la sécurité des réacteurs, quel qu’en soit le coût. Est-il possible de confirmer le très haut niveau de sécurité exigé de notre parc nucléaire ? Sachant qu’il est indispensable de préserver le lien de confiance entre nos concitoyens et le secteur nucléaire, je ne puis en tout cas qu’approuver les déclarations du Premier ministre devant l’Assemblée nationale, annonçant un contrôle systématique de nos centrales dont les résultats seront rendus publics.

M. Bruno Sido, sénateur et premier vice-président de l’OPECST. Mes pensées vont, comme celles de mes collègues, au peuple japonais. Cette catastrophe ayant une dimension planétaire, quelle coopération internationale peut-on envisager afin d’aider ce pays à gérer la crise ? Je m’adresse plus particulièrement à M. Luis Echávarri, directeur général de l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire.

M. le président Claude Birraux. Je rappelle les règles du débat. Après l’intervention des ministres, ce sera au tour des porte-parole des groupes de s’exprimer en cinq minutes chacun. Ensuite, chacun pourra intervenir, parlementaires et experts.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur le président de l’Office, messieurs les présidents de commission, mesdames et messieurs les parlementaires, nous venons, Éric Besson et moi, rendre compte devant vous de la situation au Japon, et aussi chez nous. Et je salue tous ceux qui nous apportent leur expertise en ce moment de crise, particulièrement les représentants de l’Autorité de sûreté nucléaire, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et du Commissariat à l’énergie atomique.

Le Japon est le théâtre d’une catastrophe dont les conséquences sont loin d’être encore entièrement connues et qui suscite en France des inquiétudes auxquelles il faut répondre. Un séisme dévastateur, de magnitude 9, a été suivi d’un tsunami très meurtrier qui a porté des atteintes très sérieuses à la sécurité de certains réacteurs. Ces derniers ont supporté le tremblement de terre comme prévu, et une dizaine d’entre eux se sont arrêtés automatiquement, mais le tsunami a gravement endommagé les systèmes de refroidissement. Or un réacteur arrêté doit encore être refroidi pendant plusieurs semaines. Là où les réacteurs ont été privés d’eau, une fusion partielle du cœur s’est produite : cela concerne au moins les réacteurs n°s 1, 2 et 3 de Fukushima Daiichi. De surcroît, et c’est sans doute le point le plus important, l’enceinte du réacteur n° 2, et probablement celle du n° 3, ont également été endommagées, ce qui entraîne des rejets radioactifs continus et plus intenses s’ajoutant aux rejets volontaires décidés pour diminuer la pression dans le cœur des réacteurs. Les inquiétudes portent en outre sur une piscine contenant du combustible usé et que les autorités cherchent à remplir pour éviter que ce combustible se retrouve à nu. L’ennoyage est en effet nécessaire pour empêcher une dégradation qui provoquerait une émission directe de radioactivité dans l’environnement, d’autant que la piscine n’est pas confinée.

Dans ce contexte, entre les émissions intentionnelles destinées à réduire la pression dans les réacteurs, les émissions permanentes liées au déconfinement de certains réacteurs, et la dégradation probable du combustible usagé entreposé dans des piscines, la radioactivité dans l’environnement est devenue forte. La majorité des personnels de la centrale a été évacuée. Certains sont revenus avant d’être évacués une seconde fois. Selon les informations dont nous disposons, les conditions d’intervention sont extrêmement difficiles et les opérateurs restés sur place mettent en péril leur santé, et même leur vie. À ce stade, les rejets radioactifs sont concentrés dans un rayon de vingt kilomètres autour de la centrale et la radioactivité diminue graduellement au fur et à mesure que l’on s’en éloigne. Toutefois les rejets atmosphériques peuvent aller plus loin. Le 15 mars, les vents les ont entraînés vers Tokyo où la radioactivité a augmenté, mais sans risque sanitaire. La situation est susceptible de se dégrader à cause du déconfinement des réacteurs, de la baisse du niveau de l’eau dans les piscines de stockage du combustible usagé, et de l’incapacité d’intervenir dans laquelle les opérateurs risquent de se trouver, en dépit de leur héroïsme. On ne peut exclure que certaines opérations de refroidissement du réacteur encore confiné deviennent impossibles, avec un risque de réactions en chaîne. Une aggravation est donc encore envisageable.

Nous avons recommandé aux Français qui se trouvent là-bas de quitter Tokyo pour tout au moins gagner le sud de l’archipel. À titre préventif, des pastilles d’iode leur ont été distribuées mais il leur a été conseillé de ne rien absorber à moins d’une instruction des autorités japonaises. Toutefois, je le redis, la radioactivité mesurée à Tokyo ne présente pas de risque sanitaire.

Un mot sur le Pacifique et nos territoires d’outre-mer. La radioactivité libérée jusqu’à présent ne devrait pas avoir de conséquence sanitaire sur les territoires très éloignés. Et les premiers territoires français sont à 7 000 kilomètres du Japon. Cela étant, ces conclusions rassurantes se fondent sur la radioactivité libérée jusqu’à présent. Nous devons rester extrêmement vigilants et nous allons effectuer des mesures en permanence grâce au réseau de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), composé de 163 balises de surveillance. Il y en a une à Tahiti et les données sont disponibles sur le site de l’Institut. Celui-ci modélise aussi, et c’est indispensable compte tenu du scénario probable, l’évolution du panache radioactif afin de prévoir son déplacement. Le public en sera naturellement tenu informé tant en métropole qu’outre-mer, les Français présents à l’étranger aussi, et des dispositions seraient prises en cas de besoin.

En métropole, la loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire, de 2006, nous a dotés d’outils puissants : en premier lieu, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui est une autorité administrative indépendante, sorte de gendarme du nucléaire chargé de contrôler les sites, impose aux exploitants des prescriptions qui peuvent aller jusqu’à la fermeture en cas de risque grave. Elle s’appuie sur les experts, internationalement reconnus, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui dispose d’un budget de plus de 600 millions d’euros, qui emploie 1 600 personnes et qui mène d’importants programmes de recherche. Expert pour la France, cet institut est aussi une force de proposition et il est en mesure d’assister le Japon si ce dernier le demandait. Dans ce système transparent, le moindre incident, aussi minime soit-il, doit être systématiquement signalé à l’ASN, sans appréciation de la part de l’opérateur. C’est donc à elle d’évaluer, de définir l’importance des incidents et de les rendre publics dans des délais très courts. À elle aussi de tirer d’éventuelles conséquences en matière de sûreté. La loi de 2006 a également créé un Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, présidé par le sénateur honoraire Henri Revol ici présent et chargé d’améliorer l’information destinée au grand public. La sûreté est prise en compte dès la construction des centrales, les différents risques naturels majeurs – séisme, inondation – étant étudiés au moment de la décision d’implantation. Si le risque est réévalué à la hausse, l’ASN demande à l’exploitant de prendre des mesures pour y faire face, et ces allers-retours bénéficient à l’ensemble des équipements, comme ce fut le cas après l’incident enregistré par la centrale du Blayais au moment de la tempête de 1999. De même, l’ASN a tiré les leçons de la tempête Xynthia pour évaluer le risque de submersion marine.

La France a fait le choix du nucléaire pour des raisons d’indépendance énergétique tout autant que pour des raisons technologiques. Il s’inscrit dans une stratégie de bouquet énergétique qui s’est aujourd'hui élargi aux énergies renouvelables, l’objectif étant qu’elles fournissent 23 % de notre énergie en 2020. Cependant, l’énergie la plus sûre, il faut le rappeler dans le contexte actuel, est celle que l’on ne consomme pas. L’un des enjeux du Grenelle de l’environnement est donc de réduire notre consommation globale.

La pertinence de notre politique repose dans la durée sur une exigence absolue de sûreté. Le commissaire européen à l’énergie, M. Oettinger, a proposé des tests de résistance de toutes les centrales européennes sur une base volontaire. Un groupe de haut niveau doit se réunir en avril pour arrêter des critères et des normes qui tiennent compte de ce qui s’est passé au Japon. À la lumière de ces travaux, ainsi que le Premier ministre l’a annoncé, la France procédera en toute transparence à une évaluation de la sûreté de chaque réacteur et le résultat sera rendu public. Les prescriptions de l’ASN seront systématiquement prises en compte. Au niveau tant national qu’international, la France continuera à promouvoir les normes de sûreté les plus exigeantes car c’est la condition première de l’acceptabilité du nucléaire, en France comme partout ailleurs.

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Nathalie Kocziusko-Morizet ayant fait le point sur les causes de l’accident – et les responsables de la sûreté nucléaire et les industriels y reviendront sûrement –, je commencerai par me féliciter de cette audition qui contribue à l’effort de transparence que nous devons à nos concitoyens, et qui a été entrepris dès samedi, quand Nathalie Kosciusko-Morizet et moi-même avons réuni tous les acteurs de la filière nucléaire et rendu publiques l’ensemble des informations en notre possession. Depuis, l’ASN, l’IRSN et le Gouvernement informent sans relâche nos concitoyens. Je le déclare solennellement, nous diffusons toute l’information que nous avons, sans rien travestir. Cette audition en est la meilleure preuve.

Nous voulons aussi assurer de la solidarité de la France et de la communauté internationale le gouvernement japonais qui a demandé, le 14 mars, l’activation de la convention internationale sur l’assistance en cas d’accident nucléaire. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est désormais compétente pour coordonner l’assistance internationale avec les efforts japonais sur les sites nucléaires. Nous avons donc demandé immédiatement à l’Autorité de sûreté nucléaire de préparer la contribution technique de notre pays, en liaison étroite avec les différents ministères, avec les exploitants et avec les industriels dont je salue les efforts. J’ai entendu les déclarations d’Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, et celles d’Henri Proglio, PDG d’EDF, qui annonçait ce matin la mobilisation de moyens robotiques et de stocks de bore pour stopper les réactions nucléaires, ainsi que celle de leurs équipes. Une importante réunion se tiendra à l’ASN à dix-sept heures, avec pour objectif de faire une proposition d’assistance qui soit à la hauteur de notre savoir-faire.

Nous voulons tous que la France tire les enseignements de cette catastrophe. Son choix de l’énergie nucléaire remonte à plus d’un demi-siècle et il me semble – j’ai conscience de parler à un moment particulièrement sensible – qu’il est pertinent pour quatre raisons principales. Premièrement, il assure partiellement l’indépendance énergétique de notre pays, ce qui, dans ces temps d’instabilité internationale, ne doit pas être négligée. Deuxièmement, les prix des autres énergies disponibles, du pétrole notamment, augmentent et ils resteront élevés en toute hypothèse. Notre parc nucléaire, qui permet aux Français de bénéficier d’une électricité 40 % moins chère qu’ailleurs en Europe, est à ce titre un élément de la compétitivité de notre pays. Troisièmement, l’énergie nucléaire est la moins émettrice de gaz à effet de serre, dont la réduction est une priorité du Grenelle de l’environnement. Quatrièmement, la France dispose non seulement d’un parc de cinquante-huit réacteurs et d’un exploitant dont les références en matière de sûreté sont solides, mais aussi de capacités industrielles et de compétences reconnues partout dans le monde.

Mais ce choix en faveur de l’énergie nucléaire a pour contrepartie indissociable une exigence absolue en matière de sûreté. La loi sur la transparence et la sécurité nucléaire de 2006 a doté la France d’une organisation et d’outils puissants. Le premier de ceux-ci est l’Autorité de sûreté nucléaire, autorité administrative indépendante qui mérite en effet son titre de « gendarme » du nucléaire. Elle contrôle les sites et peut imposer aux exploitants des prescriptions qui peuvent aller jusqu’à la fermeture en cas de risque grave. L’ASN s’appuie sur l’expertise pointue de l’IRSN qui surveille la radioprotection sur notre territoire. La France a fait de la transparence un des fondements de sa sûreté nucléaire. Le moindre incident ou dysfonctionnement, aussi minime soit-il, est signalé automatiquement à l’ASN. Celle-ci évalue et qualifie son importance et le rend public dans des délais extrêmement courts. Le Gouvernement a également mis en place, en application de la loi de 2006, le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire présidé par Henri Revol, ici présent. Cet organe collégial permet notamment d’améliorer l’information du grand public. Ainsi, notre système de sûreté et d’information est robuste et reconnu dans le monde entier pour son excellence technique, pour son intransigeance, pour son indépendance et pour sa transparence.

Armés de ces outils, nous devons désormais faire toute la lumière sur l’accident japonais et, surtout, en tirer toutes les conséquences pour notre propre parc. Comme l’a annoncé hier le Premier ministre à l’Assemblée nationale, il sera procédé en toute transparence à une revue complète de la sûreté de chaque réacteur au regard des événements du type séisme ou inondation, et à la lumière du drame de Fukushima. Les résultats seront rendus publics et les prescriptions de l’ASN seront systématiquement prises en compte. La revue portera notamment sur le risque sismique, sur le risque d’inondation, sur le risque de rupture des moyens de refroidissement – lequel constitue le point faible des installations japonaises – et sur les outils qui, comme le récupérateur de corium que nous avons prévu pour l’EPR, permettent de faire face aux situations extrêmes de fusion totale ou partielle du cœur d’un réacteur.

Pour tirer les leçons de la catastrophe, la France n’agira pas seule. Elle souhaite faire partager son exigence et entraîner la communauté internationale vers plus de sûreté. C’est pourquoi elle apporte son plein soutien à la démarche d’évaluation de la sûreté des centrales engagée au niveau européen, et intensifiera ses efforts pour élever et harmoniser les normes de sûreté au niveau européen et international, conformément aux engagements pris lors de la conférence de Paris sur le nucléaire, en mars 2010.

Pour conclure, je veux souligner que l’association du public à nos choix énergétiques est un facteur essentiel de notre démocratie. Le Gouvernement écoutera avec attention les propositions faites pour améliorer notre système énergétique. À l’initiative du Président de la République, il réunira, aussi dans les prochaines semaines, les ministres de l’économie et de l’énergie du G20 pour examiner ensemble les grandes questions relatives à la politique énergétique.

M. Jean-Marc Ayrault. Par la voix de Martine Aubry, les socialistes ont demandé un audit sur la sécurité de nos centrales et sur la prolongation éventuelle de leur durée de vie. Hier, le Premier ministre a répondu positivement, et nous nous en félicitons. Une telle démarche doit conduire à prendre toutes les mesures nécessaires à la sûreté de toutes nos centrales, même si on a dit et répété que tout avait déjà été fait et que tout était sous contrôle. Les événements tragiques du Japon nous prouvent qu’il faut sans cesse élever le niveau d’exigence. Au regard de ce qui se passe, il ne faut exclure aucune éventualité, pas même celle d’arrêter certaines centrales si c’était nécessaire.

Mais la confiance suppose une totale transparence. C’est pourquoi je formulerai deux demandes. La première, et le Premier ministre ne m’a pas répondu sur ce point, c’est de rendre public le rapport de François Roussely, classé actuellement secret défense. Il n’est pas sain que nucléaire rime avec secret, et qu’il faille attendre les fuites dans la presse pour connaître les préconisations qui ont été faites sur l’avenir de la filière industrielle française. La seconde, c’est qu’il soit procédé, dans le cadre de l’audit européen du parc de centrales, à des expertises pluralistes et croisées. Offrir un tel gage de crédibilité serait le meilleur moyen d’avancer concrètement sur la voie de normes internationales. La question se pose en effet désormais avec acuité.

Face à l’urgence, nos compatriotes attendent des décisions claires et transparentes. L’importance du sujet nous impose de dépasser les petites polémiques. C’est pourquoi je vous pose des questions précises pour obtenir des réponses précises.

M. Jean-Claude Lenoir. Bien qu’intervenant au nom du groupe UMP, je pense que mon propos échappera aux habituels clivages politiques. Je veux dire d’abord, à mon tour, notre émotion et notre compassion, en particulier à l’égard des techniciens japonais qui luttent actuellement à Fukushima en prenant des risques considérables.

Nous avons connu trois catastrophes nucléaires – Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima – et il importe de bien distinguer les causes, la nature et les conséquences de chacune.

Nos concitoyens se demandent d’abord quelles seront les retombées exactes des fuites radioactives constatées au Japon. Il y a moins d’un an, l’éruption d’un volcan islandais affectait une partie du globe. Les mêmes vents ne peuvent-ils pas produire les mêmes effets ? Malgré la distance qui nous sépare du Japon, sommes-nous autant à l’abri des retombées radioactives que nous le croyons ?

Ensuite, l’opinion aimerait connaître les différences entre les réacteurs japonais et les nôtres. Plusieurs d’entre nous ont visité des centrales japonaises, dont Fukushima, et nous n’aurions pas pu imaginer un tel accident tant nous avons été impressionnés par le niveau de sûreté et par la qualité des prestations tant des autorités que des ingénieurs. Ils étaient en cause à Tchernobyl, pas au Japon. Après l’accident ukrainien, il y avait eu un débat sur la double enceinte de confinement. Comment sont donc conçus les réacteurs japonais ?

Par ailleurs, quelles garanties peut-on apporter à nos compatriotes ? Et quelles précautions allons-nous devoir prendre ? Notre Parlement peut s’honorer d’avoir voté la loi de 2006 sur la transparence et mis en place une Autorité de sûreté nucléaire qui fait référence au niveau mondial. Et je redis devant vous à M. Lacoste combien nous apprécions le travail accompli par l’ASN, même si on a pu lui reprocher son extrême exigence à l’égard de notre industrie.

En outre, deux questions se posent aux autorités et aux entreprises. Quelles seront les conséquences de cette catastrophe sur le développement du nucléaire qui, il y a quelques mois encore, connaissait un nouveau départ puisqu’il était prévu de construire 200 réacteurs dans le monde d’ici à 2030 ? À Fukushima, nous avons été frappés par l’accident qui concerne spécifiquement le combustible entreposé dans des piscines, solution que, dans son rapport, M. Roussely préconisait à tous ceux qui s’inquiétaient du sort des déchets nucléaires. N’est-ce pas le moment de remettre en cause ce mode de stockage des déchets à longue durée de vie, qui a montré ses limites ?

M. le président Claude Birraux. MM. Daniel Paul et Yves Cochet se partageront le temps du groupe GDR.

M. Daniel Paul. Comme je l’ai dit hier dans la question que j’ai posée à M. le Premier ministre, les Français s’interrogent, à juste titre.

(La réunion est perturbée par M. Maxime Gremetz et reprend son cours après le départ de celui-ci.)

M. Daniel Paul. Comme je l’ai dit hier dans la question que j’ai posée à M. le Premier ministre, les Français s’interrogent, à juste titre. Or, une part de la pérennité du nucléaire tient à l’acceptation sociale de cette source d’énergie et à la confiance qui peut s’attacher à un système où le taux de profit n’a pas d’incidences sur les règles de sécurité. Et, pour le respect de ces dernières, l’organisation du travail au sein des centrales compte beaucoup.

L'entreprise japonaise en cause est une entreprise privée – et même, me semble-t-il, la première entreprise nucléaire privée du monde – qui s’est déjà signalée dans le passé par des manquements aux règles de sécurité et a fait l’objet de rappels à l’ordre à ce sujet. Pour les députés communistes, le secteur du nucléaire doit échapper totalement à la vision court-termiste qu’impose la recherche de la rentabilité financière. Ne peut-on craindre que celle-ci affecte les règles de fonctionnement des centrales, y compris en Europe, où tous les exploitants sont des sociétés anonymes ? Il conviendrait donc d’ajouter aux quatre points sur lesquels doit porter la revue de sûreté que vous avez annoncée, monsieur le ministre, l’organisation de ce fonctionnement. Il faudrait s’intéresser en particulier à la maintenance, pour laquelle on recourt à des personnels qu’on a appelés les « nomades du nucléaire », mais sans doute faudrait-il aussi reposer, à l’échelle de l’Europe, la question d’une maîtrise publique totale de la filière nucléaire et revoir l’obligation faite à tous les opérateurs historiques publics d’ouvrir leur capital à des intérêts privés.

M. Yves Cochet. La situation m’apparaît incontrôlable et irréversible. Le changement requis va au-delà des quelques améliorations techniques ou audits dont il est aujourd’hui question. Notre solidarité est totale, mais notre colère est immense.

L’industrie nucléaire, nous le disons avec constance depuis le lancement du plan Messmer il y a de cela trente-cinq ans, est dangereuse, coûteuse et inutile. La France et le monde doivent donc sortir du nucléaire, ce qui est techniquement, financièrement et socialement possible en vingt-cinq ans – même si le temps me manque pour vous exposer en détail comment.

Cette sortie du nucléaire est cependant mal partie, à en juger par le fait qu’on ne trouve autour de cette table, outre les ministres et les administrations concernés, aucun représentant de la société civile – je pense notamment à des organismes indépendants tels que la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD), le Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire (GSIEN), Greenpeace ou les Amis de la Terre.

M. Jacques Myard. Il y a les représentants du peuple !

M. Yves Cochet. J’espère donc que ces organismes, qui sont eux aussi depuis longtemps des experts du nucléaire, seront pleinement associés à l’audit prévu, dont je me félicite.

Je souhaite également qu’ait lieu en France un débat portant spécifiquement sur le nucléaire et tranché par les citoyens, sous la forme d’un référendum portant sur la sortie, ou non, du nucléaire.

Êtes-vous d’accord, d’autre part, pour que soient fermés le plus tôt possible les réacteurs vieux de plus d’une trentaine d’années, comme ceux de Fessenheim, de Gravelines, du Bugey et du Tricastin ? Mme Merkel, qui n’est pourtant pas une écologiste patentée, propose cette mesure en Allemagne et la moitié des pays de l’Union européenne se passent fort bien d’énergie nucléaire – les circonstances actuelles n’étant d’ailleurs pas de nature à les inciter à modifier leur position.

Enfin, il semble que le nombre d’incidents et d’anomalies nucléaires augmente – il aurait même doublé depuis dix ans, selon l’Autorité de sûreté du nucléaire –, mais on est loin en la matière de la transparence immédiate dont vous vous flattez. Ainsi, pour ne citer que ces exemples, voilà à peine deux ans, il a fallu attendre le 6 octobre pour que soit dévoilée publiquement la découverte de plusieurs kilos de plutonium faite depuis le mois de juin à Cadarache et la Commission nationale du débat public n’a été saisie du projet de réalisation de l’EPR qu’après le vote de la loi de 2005 qui a décidé cette construction, ce qui n’a pas permis aux citoyens de faire entendre leur voix. Tout cela illustre bien le poids du lobby du nucléaire et montre combien nous avons raison de nous y opposer.

M. Jean Dionis du Séjour. Le groupe Nouveau Centre tient à exprimer sa solidarité avec le peuple japonais et il approuve la proposition d’un audit portant sur chaque centrale nucléaire du territoire national. Cependant, le débat qui suivra cet audit ne doit pas se dérouler sous le coup de l’émotion et nous sommes pour notre part contre l’idée d’un référendum, préférant que la démocratie représentative joue tout son rôle.

Les ministres ont évoqué, pour cet audit, une réévaluation du risque sismique, présent dans la vallée du Rhin, dans les Pyrénées et dans la vallée du Rhône, ainsi que du risque d’inondation que peut laisser craindre le précédent du Blayais. Le critère de l’âge des centrales sera-t-il également retenu ? En effet, alors que la prolongation de la durée de vie de nos centrales nucléaires rencontrait, à l’exception des Verts, un quasi-consensus, l’ampleur de l’événement actuel et le fait que la France possède 58 réacteurs ne nous permettront pas d’éluder le débat sur ce point. Comment comptez-vous aborder cette question fondamentale ?

Enfin, la catastrophe japonaise nous fournit un motif majeur d’harmoniser par le haut les normes de sécurité appliquées par les vingt-sept pays de l’Union européenne. Quelle sera votre politique pour y parvenir ?

(La réunion est perturbée à nouveau par M. Maxime Gremetz. Elle reprend son cours après une suspension de séance et le départ de celui-ci.)

Mme la ministre. Monsieur Lenoir, pour apprécier le risque de retombées radioactives, il faut considérer non seulement la distance, mais aussi le régime des vents et, localement, la pluviométrie. Nos territoires d’outre-mer les plus proches, situés à 7 000 kilomètres du Japon, se trouvent dans l’hémisphère Sud. Le régime des vents et les courants atmosphériques se concentrant d'ordinaire dans un hémisphère, ceux de ces territoires qui seraient, le cas échéant, les plus exposés seraient peut-être plutôt Saint-Pierre-et-Miquelon que les territoires du Pacifique Sud. À ce stade cependant, il n'y a pas lieu de s'alarmer et aucune retombée radioactive aussi distante ne peut être envisagée dans la situation actuelle. Une modélisation est toutefois en cours et l’alerte sera donnée s'il y a lieu.

Si le scénario catastrophe que je décrivais tout à l'heure se déroule jusqu’au bout, des retombées sont possibles dans une large partie de l'hémisphère Nord, y compris, dans de petites proportions, en France métropolitaine. Elles n’atteindront cependant jamais des niveaux susceptibles de poser un problème sanitaire. Il est néanmoins vrai que, comme dans le cas des cendres volcaniques, les particules peuvent être portées assez loin dans un même hémisphère. L’IRSN modélise toutes ces données et nous tient informés. Nous rendrons tous ces éléments publics d'une manière transparente et immédiate.

Les experts seront plus à même que moi de vous répondre quant aux différences entre les réacteurs japonais et les réacteurs français. Je puis néanmoins vous indiquer que les réacteurs japonais en cause sont des réacteurs à eau bouillante, alors que les nôtres fonctionnent à l'eau pressurisée. Malgré des différences techniques, ces types de réacteurs sont pour ainsi dire cousins. Un réacteur à eau bouillante comporte un système de refroidissement unique, alors qu’un réacteur à eau pressurisée est équipé d’un double circuit, de sorte qu’en cas de relâchement intentionnel de vapeur, celle-ci est plus chargée dans la première configuration ; mais le besoin de refroidissement est important dans toutes deux et une défaillance du circuit de refroidissement ne peut qu’être préoccupante. Seul le générateur de troisième génération, l’EPR, muni d’une double enceinte et d’une cuve très particulière, comporte une différence significative avec les réacteurs japonais.

Quant au combustible stocké à Fukushima, en particulier dans la piscine n° 4, il ne s'agit pas de matériaux faisant l'objet d'un stockage de longue durée, mais d'un cœur nucléaire extrait du réacteur en novembre 2010. Le problème posé par ce combustible n'est donc pas à proprement parler celui du stockage des déchets nucléaires et, à supposer que les Japonais aient disposé de possibilités de stockage en profondeur, la situation aurait pu être la même.

Monsieur Paul, la question des personnels « nomades » a été soulevée par l'Autorité de sûreté nucléaire et un plan d'amélioration a été demandé aux exploitants. Le problème est donc en cours de traitement.

Monsieur Ayrault, pour l'audit qui sera réalisé centrale par centrale, une coordination européenne est prévue : comme je l’ai dit, un groupe de haut niveau définira à l’échelle de l’Union les critères et les normes de ce « stress test », ou test de résistance. Il sera ainsi possible d'intégrer les retours d'expérience et les enseignements de la catastrophe de Fukushima en employant les mêmes normes d'audit que les autres États membres. La procédure n'est cependant pas encore arrêtée, car nous commençons tout juste à y travailler. L'expertise devra évidemment être pluraliste, afin d'apporter une valeur ajoutée. Elle devra également être croisée et, surtout, la plus transparente possible. Il faut en effet rendre lisibles et compréhensibles pour nos citoyens les types de catastrophes auxquels nos réacteurs sont aujourd'hui préparés et les améliorations éventuelles à apporter à ceux-ci.

Monsieur Cochet, la société civile – dont la représentation n’a certes pas toujours été le point fort du nucléaire – est présente par l'intermédiaire du Haut comité présidé par le sénateur Henri Revol. L’audit sera tout à fait transparent, mais la société civile n'est pas toujours experte. De fait, les experts que vous souhaiteriez désigner seraient probablement contestés.

Le Président de la République, qui recevait lundi, pour une réunion prévue de longue date, les ONG environnementales du Grenelle, s’est dit ouvert à un débat, dont la forme reste à définir, sur les énergies. La situation de grande urgence – humanitaire et maintenant radiologique – que connaît le Japon ne permet évidemment pas de définir du jour au lendemain les contours d'un tel débat, mais le principe d'une réflexion partagée et d’une refonte du consensus sur les questions énergétiques est acquis. Un référendum n'apparaît cependant pas opportun dans ce contexte – d'autant que celui que vous souhaitez ressemble à un processus électoral qui ne manquerait pas d'interférer avec celui qui doit se dérouler l'année prochaine.

Monsieur Dionis du Séjour, nous cherchons à définir les normes les plus homogènes possibles au niveau européen. Toute initiative tendant à élever au maximum la transparence et les normes de sûreté nous convient et reçoit notre soutien.

M. le ministre. Monsieur le président Ayrault, le rapport Roussely portait sur l’organisation de la filière nucléaire, notamment à l’export, et non pas sur la sûreté nucléaire. Il est pour l’essentiel disponible, à l'exception d'une petite partie qui a été classée secret défense. L’organisation des « relations extérieures » de la filière a été redéfinie voilà une quinzaine de jours, lors d'un conseil de politique nucléaire qui fait foi désormais.

Monsieur Lenoir, la succession d’un séisme de magnitude 9 et d’un tsunami dont les vagues atteignaient de 15 à 17 mètres est un phénomène tout à fait exceptionnel et on pourrait presque dire qu’il est remarquable que la centrale ait tenu sous ce double choc. Mais le fait que le tsunami ait affecté les circuits de refroidissement primaire et de secours doit conduire à un retour d’expérience dont les conclusions seront du plus haut intérêt.

Il est encore trop tôt pour savoir quelles seront les conséquences de cet événement sur la place de l’industrie nucléaire dans le monde – elles dépendront d’ailleurs de l’ampleur définitive du drame qui se joue actuellement. Un certain nombre de pays vont probablement suspendre ou différer la relance de leurs investissements dans le secteur, tandis que d'autres continueront.

Pour ce qui est du stockage de longue durée, nous réunirons le mois prochain le Comité de haut niveau pour l'accompagnement économique du laboratoire de Bure, dont j’ai prévu d’inspecter très prochainement le chantier.

Monsieur Daniel Paul, la question des intérêts privés, qui sera peut-être d’actualité dans l’avenir, est actuellement théorique car le seul exploitant, EDF, est aujourd’hui public.

M. Daniel Paul. Pas complètement. L’État est en outre le premier actionnaire à lui demander de l’argent.

M. le ministre. L’Autorité de sûreté nucléaire, qui détermine le cahier des charges et procède à toutes les vérifications, est également publique.

Monsieur Yves Cochet, le débat sur le « mix » énergétique est constant, notamment au sein de votre assemblée où j’ai moi-même participé, en tant que parlementaire, à des discussions sur ce sujet. D’autre part, il n'est pas anormal que le nombre d'incidents signalés augmente dès lors que l’ASN a fait le choix de la transparence totale et que le moindre incident donne lieu à publicité.

Quant à la durée de trente ans, je rappelle que c’est à l’origine celle de l’amortissement financier de nos centrales, et non leur durée de vie à proprement parler. Au terme de ce délai, l'Autorité de sûreté nucléaire procède à un examen complet et rend un avis dont le Gouvernement se contente de prendre acte. Ainsi, le 3 décembre dernier, par un communiqué commun, Mme la ministre de l’économie et des finances, Mme la ministre de l’écologie et moi-même avons pris acte de son avis favorable à une prolongation de dix ans de l’exploitation de la centrale du Tricastin, la plus ancienne en fonctionnement. C’est maintenant le tour de la centrale de Fessenheim, l’avis de l’ASN étant attendu pour avril. Il vaut la peine de noter à cet égard que la France est l'un des rares pays au monde à accorder ces autorisations au cas par cas, après examen de la situation de chaque installation : dans d'autres pays, la décision de prolongation est prise en une fois pour l’ensemble des centrales. Et pour ses évaluations, monsieur Dionis du Séjour, l’ASN est tenue de prendre en considération tous les retours d'expérience, comme celui l'inondation qu’a connue la centrale du Blayais, en Gironde. Il en sera de même des éventuels retours d'expérience de la catastrophe qui vient de se produire au Japon.

M. le président Claude Birraux. Madame Buzyn, l’IRSN a-t-il mis en place une cellule de crise ? Qui la compose et comment s’articule-t-elle avec l’Autorité de sûreté nucléaire ?

Mme Agnès Buzyn, présidente du conseil d’administration de l’Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire (IRSN). La cellule de crise a été créée dès les premières heures du séisme et je tiens à souligner la réactivité dont a fait preuve l'Institut pour se mettre en ordre de marche. Plus de cent vingt personnes ont été mobilisées jour et nuit pour répondre aux questions de nos concitoyens et je veux rendre hommage au travail du directeur général et des équipes.

Issue de la société civile, j'ai fait de la transparence une priorité. Dans les premières vingt-quatre heures, j'ai demandé que soient mises en ligne en continu les mesures atmosphériques fournies par nos balises sur le territoire national et outre-mer et que des points de situation soient régulièrement publiés sur le site Internet de l'IRSN. L’interaction et la coordination avec l'Autorité de sûreté nucléaire sont parfaites et nous nous efforçons de faire des points de situation communs.

M. André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté du nucléaire. Le Japon vit une véritable tragédie, dont la crise nucléaire n'est qu'une composante. Il est clair que nos interlocuteurs japonais ont pour première préoccupation de gérer cette crise et que l'information à donner à l'extérieur ne vient pour eux qu’en second lieu. En outre, ils tendent bien évidemment à privilégier les contacts avec leurs homologues ou avec les autorités de sûreté nucléaire qui ont la meilleure connaissance des réacteurs à eau bouillante, du type de ceux de Fukushima.

Ce site rassemble dix réacteurs. Très rapidement, l'attention s'est focalisée sur les six réacteurs situés au nord. Trois étaient en fonctionnement et trois à l'arrêt au moment du tremblement de terre et du tsunami. Les premiers ont été automatiquement arrêtés et ont connu ensuite des difficultés d'approvisionnement en eau et en électricité. Les réacteurs 1, 3 et 2 ont connu successivement la même séquence : manque d’eau, début de dégradation des gaines de combustible, dégagement de gaz, dépressurisation de l’enceinte par l’exploitant et, en conséquence, explosions qui ont fait sauter les superstructures du bâtiment. Cette situation est déjà grave, mais la fusion du combustible s’est poursuivie et l'enceinte de confinement du réacteur 2 a été endommagée, ce qui est l'un des principaux motifs d'inquiétude. Le cœur du réacteur est en effet en communication avec l'extérieur et la fuite est permanente. Le réacteur 4, qui était à l'arrêt au moment du séisme, a en outre subi une perte de refroidissement dans la piscine contenant des cœurs de réacteurs usés, dont la température s’élève.

Les Japonais s’emploient à apporter, avec des moyens de secours, le plus d’eau possible pour refroidir les cœurs qui ont commencé à fondre. Les informations que nous recevons heure par heure font état des difficultés rencontrées, tantôt pour manœuvrer une vanne, tantôt pour acheminer un camion. L'ensemble de la situation est extrêmement grave. Au mieux, elle durera très longtemps et nous espérons que le pire – une fusion plus importante des éléments combustibles – ne se produira pas.

Les retombées radioactives sont extrêmement fortes dans l'enceinte des installations et les opérateurs qui interviennent sont exposés à des conditions extrêmes. Ces conditions sont prévues dans les procédures. En France, dans un tel cas, l'exploitant devrait faire appel à des volontaires. Alors que, selon les règles de radioprotection, un travailleur ne doit pas recevoir une dose supérieure à 20 millisieverts par an en temps normal, un volontaire peut recevoir, dans de telles conditions, jusqu’à 100 millisieverts, voire 300 millisieverts pour certaines interventions destinées à sauver des vies. Au Japon, le ministre de la santé vient de décider de porter de 100 à 250 millisieverts cette dose acceptable. Le nombre de personnes intervenant dans ces conditions ne dépasse probablement pas une cinquantaine.

Les autorités japonaises ont en outre pris des mesures qui nous paraissent raisonnables : l'évacuation des populations dans un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale et le confinement dans un rayon de 20 à 30 kilomètres.

Plusieurs scénarios sont possibles : soit l’exploitant japonais pourra apporter une quantité d'eau suffisante pour interrompre l'évolution en cours, soit cette évolution sera beaucoup plus négative.

On peut donc classer cet événement au niveau 6 sur l'échelle INES (International Nuclear Event Scale), c’est-à-dire entre l'accident survenu en 1979 à la centrale de Three Mile Island, où un demi-cœur de réacteur avait fondu sans entraîner de conséquences à l'extérieur, et celui de Tchernobyl, où le cœur avait totalement explosé. Cependant, de tels événements sont tellement inhabituels qu'il faut manier ces comparaisons avec prudence.

Pour ce qui est des conséquences possibles au Japon, l’IRSN a réalisé quelques simulations qui seront évoquées tout à l'heure. En France, quel que soit le scénario, il n'y aura très vraisemblablement pas d'impact sanitaire notable. Il s'agit néanmoins, je le répète, d'un accident majeur qui peut en outre encore évoluer aussi bien vers une stabilisation que vers des conséquences bien plus graves.

M. Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. De nombreux parlementaires ici présents connaissent l’IRSN et ont visité son centre de crise. Nous disposons d’un équipement et d’une organisation parmi les plus solides au monde. L’exercice mensuel d’accident majeur que nous menons avec EDF, le CEA et AREVA est un entraînement très utile. On nous reproche parfois d’exagérer dans les scénarios que nous composons et que nous proposons aux exploitants et aux préfets. Il apparaît malheureusement aujourd'hui que ces scénarios peuvent se réaliser.

La première des trois cellules du centre de crise, consacrée à la sûreté des réacteurs, observe la situation à partir des éléments qui nous sont transmis par le service nucléaire de l’ambassade de France à Tokyo, et renseigne à son tour l’ASN. Nous travaillons également en liaison étroite avec les États-Unis et l’Allemagne : la France n’ayant pas de réacteurs à eau bouillante, nous ne disposions pas des plans des réacteurs japonais, par exemple. Cette collaboration a été parfaite et intense malgré les décalages horaires. Elle nous a permis de disposer d’informations précieuses, notamment pour la modélisation, c'est-à-dire pour l’estimation de la quantité de radioactivité susceptible de s’échapper des enceintes endommagées.

Cela dit, s’il est vrai que ces réacteurs ne sont pas les mêmes que les nôtres, une perte de refroidissement ne pose pas des problèmes très différents dans les deux cas, et obéit à un scénario que nous connaissons bien.

Il faut souligner en outre une différence qui est au bénéfice des installations françaises. L’ancêtre de l’IRSN, l’Institut de protection et de sûreté nucléaire du Commissariat à l’énergie atomique, avait imposé une innovation par rapport aux technologies américaines importées : il avait exigé que soit installée, pour ultime secours, une turbine fonctionnant avec la vapeur produite par le cœur nucléaire. Les réacteurs français sont ainsi à même de faire fonctionner des circuits de refroidissement d’eau sans aucun apport d’électricité et sans moteur diesel. Cette ressource est évidemment un dernier recours mais, si le Japon en avait disposé, peut-être ne connaîtrait-il pas une situation aussi inquiétante.

De notre point de vue, le sujet central n’est pas tant la résistance aux séismes ou aux tsunamis – des événements extraordinaires peuvent toujours survenir comme on l’a vu lors de la tempête du Blayais – que la défense en profondeur des installations et la capacité à restaurer rapidement, c'est-à-dire en moins de 24 heures, des moyens de refroidissement des circuits. Ce qu’il nous faudra comprendre, c’est pourquoi il y a eu défaillance à ces égards dans un grand pays nucléaire comme le Japon.

Pour l’avenir, le gouvernement français a demandé à l’IRSN d’élaborer des projets de recommandations pour l’établissement de futures normes internationales concernant tous les réacteurs de troisième génération : en effet, les règles que nous avons fixées pour l’EPR ne couvrent pas l’ensemble de la gamme. Nous nous sommes attelés à cette tâche. Nous avons fondé une association des IRSN européens et travaillons main dans la main avec nos amis américains et japonais. Notre homologue japonais est d’ailleurs membre de ce club européen des experts de sûreté nucléaire. Nous sommes convaincus que cette recherche commune et cette culture partagée, pour des technologies qui, en définitive, se ressemblent, sont le meilleur moyen de contribuer à une harmonisation qui connaîtra également une étape réglementaire et une étape politique.

J’en viens aux conséquences de l’accident dramatique qui est en train de se produire au Japon. Le panache radioactif couvre actuellement une zone relativement concentrée de quelques dizaines de kilomètres autour du site. Les vents sont globalement orientés vers l’océan Pacifique, mais pas uniquement, en raison des spécificités de la météorologie côtière. Ce panache va en tout état de cause s’étendre et se déplacer. Nos calculs indiquent cependant qu’à Tokyo, qui compte 35 millions d’habitants et où se trouvent encore 2 000 Français, même si l’on détecte des rayonnements ionisants et des particules radioactives, la dosimétrie restera sans conséquences sanitaires visibles – en tout cas sans effets justifiant, par exemple, l’administration de comprimés d’iode.

Jusqu’à 50 ou 60 kilomètres autour du site, la zone sera fortement contaminée. Au-delà, les conséquences seront perceptibles par les mesures mais ne seront pas dramatiques. Sur le reste de la planète, on détectera les particules à mesure de leur progression, surtout dans l’hémisphère nord. La métrologie des rayonnements ionisants est en effet si puissante que l’on peut détecter des quantités très faibles et non nocives. Reste qu’il s’agit d’une pollution dont la planète se serait sans doute bien passée !

Pour donner un élément de comparaison, j’évoquerai les essais nucléaires atmosphériques des années 1950 et 1960. Nous allons mettre en ligne une carte historique des quantités de césium radioactif libérées à l’époque – et dont nous venons à peine de nous affranchir, puisque le césium a une demi-vie de 30 ans –, carte qui montre un ordre de grandeur supérieur à ce qu’a provoqué l’accident de Tchernobyl. Mais, dans ces années, la société n’était pas informée et cela n’avait pas soulevé une émotion considérable.

Il faut avoir en tête ces ordres de grandeur afin que nos concitoyens ne soient pas inutilement alarmés.

Néanmoins, expliquer ne suffit pas. Ayant pour mission de surveiller la radioprotection dans notre pays, l’IRSN a mis en place plusieurs dispositifs, parmi lesquels les balises dont parlait Mme Buzyn, qui sont des systèmes de détection de rayonnements gamma, et le réseau OPERA, qui surveille les aérosols radioactifs et mesure l’existence de particules qui ne sont pas à rayonnements gamma mais qui peuvent être tout aussi toxiques. Avec Air France et l’ambassade de France à Tokyo, où nous avons dépêché un expert en radioprotection, nous avons également installé un dispositif de contrôle de la non-contamination des équipages d’Air France. Les mesures ont commencé, donnant des résultats négatifs. Nous contrôlerons également les passagers qui auront voyagé dans des régions exposées ou qui nous diront avoir été exposés à des risques.

Les résultats globaux de ce dispositif de contrôle seront rendus publics. L’IRSN, soyez-en assurés, est entièrement mobilisé. Nous ne faillirons pas à notre mission au service de la transparence et du public français – mais aussi étranger : l’AIEA et l’OMS, dont l’IRSN est centre référent, nous demandent en effet de les aider à coordonner l’aide internationale qui sera apportée au Japon.

M. le président Claude Birraux. Je serai reconnaissant à l’IRSN, tout comme à l’ASN, de nous tenir régulièrement informés de l’évolution de la situation.

M. Luis Echávarri, directeur général de l'agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire. Dans le contexte d’un pays dévasté par des catastrophes naturelles d’une ampleur sans précédent, la situation de la centrale nucléaire de Fukushima est délicate. À cet égard, les informations techniques que notre agence recueille de façon indépendante coïncident totalement avec ce qui vient d’être rapporté.

La France est présente au plus haut niveau dans le débat international sur la sûreté nucléaire. Avec les États-Unis, elle est au premier rang de la coopération mondiale. MM. André-Claude Lacoste, Jacques Repussard et Bernard Bigot y participent directement, ainsi que de nombreux experts français présents dans tous les groupes de travail.

M. le président Claude Birraux. Le Japon a-t-il demandé à votre agence ou à l’AIEA d’apporter une aide technique, ou ne faites-vous que recueillir les informations ?

M. Luis Echávarri. Il incombe aux organisations internationales d’apporter une assistance aux pays en difficulté. Le Japon a demandé cette assistance. Néanmoins, je suis quelque peu sceptique quant à la capacité de ces organisations à apporter une aide effective dans une situation de crise. Seuls les grands pays nucléaires ont la capacité d’envoyer, dans un cadre bilatéral, les experts utiles. C’est ce qu’ont fait les États-Unis, qui ont dépêché des experts en matière de réacteurs à eau bouillante. La France, quant à elle, peut apporter une aide très importante en ce qui concerne la protection radiologique et quelques autres domaines.

L'agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire est de taille modeste mais son rôle est important. Tous les pays du monde nous demandent des informations sur l’évolution de la situation et sur la protection radiologique, ainsi que des comparaisons avec les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl. Mais nous nous attachons surtout à l’analyse technique des conditions qui ont conduit à cette situation. Bien que nous ayons déjà connaissance de certains aspects, une analyse en profondeur prendra beaucoup de temps. Nous savons que la technologie du réacteur à eau bouillante n’est pas à l’origine de l’accident. En revanche, certaines caractéristiques comme l’âge de la centrale ne sont peut-être pas étrangères à son évolution catastrophique. En outre, alors que l’électricien japonais pensait être prémuni contre un séisme et un tsunami de grande ampleur, il s’imposera sans doute de rendre plus rigoureux les critères de localisation des centrales au regard des risques de catastrophes naturelles.

Il nous faudra beaucoup plus d’informations pour améliorer de façon déterminante la sûreté des réacteurs. Pour l’heure, toutes les autorités nationales de régulation ont engagé une révision spécifique de chaque centrale afin de s’assurer que l’accident de Fukushima ne peut s’y reproduire, compte tenu des données actuellement connues. J’espère que nous parviendrons dans les prochains mois à une évaluation globale. Après les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, une telle évaluation nous a permis de parvenir à une très bonne connaissance de ces situations. Une des caractéristiques de l’industrie nucléaire est que tout nouveau projet se développe sur de nombreuses années. On dispose donc du temps nécessaire pour déterminer les conditions de sûreté des nouveaux réacteurs.

M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF. Je m’associe aux paroles de solidarité qui ont été prononcées à l’égard du peuple japonais et des personnes qui luttent contre la catastrophe avec courage et sang-froid.

Nous avons bien entendu des contacts avec les opérateurs nucléaires des autres pays, notamment au sein de l’Association mondiale des opérateurs du nucléaire – WANO –, présidée par un Français. Par ailleurs, nous entretenons une coopération quotidienne avec l’ASN et avec l’IRSN. Nous nous tenons donc informés en temps réel de l’évolution de la situation.

Nous avons également une coopération avec TEPCO et nous lui avons proposé, dans le respect de ses priorités, de lui porter assistance à tout moment. Je confirme que nous avons mobilisé des équipements spécialisés adaptés à la situation, en étroite coordination avec l’IRSN et dans le cadre du groupement d’intérêt économique que nous avons constitué avec les industriels français, notamment Areva et le CEA. Cette aide est immédiatement disponible. Jusqu’à présent, nos collègues japonais n’y avaient pas fait appel mais ils ont réagi positivement cet après-midi et cette assistance devrait donc se concrétiser rapidement.

En France mais aussi en Grande-Bretagne, dans le cadre de la mission de service public qui nous a été confiée notamment dans le domaine nucléaire, la sûreté est notre obsession quotidienne. C’est un élément très important de notre culture d’entreprise. Nous y consacrons des moyens humains et financiers considérables – plus de 2 milliards d’euros par an pour l’amélioration, la maintenance et le gros entretien sur le seul territoire français. Nous continuerons à investir massivement pour continuer à bien entretenir nos centrales et à en améliorer systématiquement l’efficacité et la sûreté.

En France, les centrales en activité ont été mises en service entre 1978 et 1999. Elles sont donc d’âges différents, mais les données de sûreté ont évidemment été réactualisées et les investissements réalisés de façon à ce que toutes présentent les mêmes garanties.

Par ailleurs, nous bénéficions du retour d’expérience le plus important au monde en matière de nucléaire – 1 500 années-réacteur ! Nous y intégrons systématiquement toutes les informations provenant des opérateurs internationaux. Nous avons ainsi pu améliorer le niveau de sûreté de nos centrales en fonction des accidents répertoriés dans le monde, notamment des plus graves.

Toutes les caractéristiques des sites concernés sont prises en compte pour la conception et la réalisation des centrales. En matière sismique, l’intensité de référence est de deux fois supérieure à celle de la plus grave secousse intervenue dans les 1 000 dernières années. Nous anticipons également des catastrophes naturelles d’une gravité jamais constatée.

Cependant, rien n’est jamais suffisant en matière de sûreté. En coopération étroite avec les organismes compétents, nous continuerons à adapter et à anticiper, de façon à garantir à nos concitoyens et à tous ceux qui nous font confiance les normes de sécurité les plus ambitieuses et exigeantes au monde.

Mme Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'AREVA. Nous sommes également en relation avec nos partenaires japonais. TEPCO fait partie de nos clients, non pas en ce qui concerne les réacteurs, qui sont de conception américaine et de réalisation japonaise, mais pour ce qui touche à l’ensemble des autres sujets du nucléaire. Nous avons en outre une relation particulière avec Mitsubishi.

Je souhaite dire à mon tour toute notre compassion à l’égard des personnes qui vivent au Japon un véritable calvaire. Le courage et le sang-froid de la population face au tremblement de terre, au tsunami et, aujourd'hui, à la menace nucléaire forcent l’admiration.

Je souscris totalement à l’analyse technique faite par les précédents intervenants. Si un seul réacteur était défaillant, la situation serait facilement gérable. Mais le cumul des incidents et les circonstances exceptionnelles – interruption de l’alimentation électrique, formation d’une sorte de mangrove entre la centrale et la mer, accumulation de boue et de débris – empêchent l’intervention dont le Japon, nous le savons, est tout à fait capable. Nous sommes effectivement devant une catastrophe.

Même si la technologie choisie en France est celle de l’eau pressurisée, nous connaissons, grâce à nos développements en Allemagne et aux États-Unis, les réacteurs à eau bouillante. À Fukushima, à la différence de Tchernobyl, les centrales se sont arrêtées. Mais, dès lors que les combustibles – tant ceux dans les cuves que dans les piscines – ne sont plus refroidis, la situation devient extrêmement difficile et nécessite une action urgente. J’irai même jusqu’à parler d’urgence absolue. Il faut, par tous les moyens, parvenir à apporter de l’eau afin de refroidir les centrales et les piscines. Les hélicoptères, obligés de se maintenir en vol stationnaire, ne peuvent en outre embarquer qu’une quantité d’eau limitée. Ce n’est pas, semble-t-il, la bonne solution. Notre analyse est qu’il faut 100 mètres cubes d’eau par heure pour l’ensemble du site. Des moyens d’urgence tels que les camions destinés à combattre les incendies d’avions, dont le débit est de 6 mètres cubes par minute, peuvent fournir cette quantité. La portée de leurs lances est de 50 à 80 mètres, une distance qui semble compatible avec la nécessité de se préserver de la radioactivité.

Nous avons pensé, bien entendu, aux Canadairs français, mais il leur faudrait 96 heures pour rejoindre la zone. Les camions de pompiers de type « Faun » semblent une meilleure réponse, de même que les bateaux-pompes à ceci près que la zone boueuse qui sépare maintenant la centrale de la mer peut faire obstacle à leur approche, sachant que leur tirant d’eau est d’environ deux mètres.

Nous apprenons que des camions de pompiers arrivent des États-Unis. Nous avons également des capacités en France. Il y a certainement des choses à faire pour stabiliser la température. C’est une urgence à laquelle doivent répondre tous les pays.

Par ailleurs, une aide internationale a déjà été mobilisée après le séisme. En liaison avec EDF, nous n’avons à répondre pour l’instant qu’à des demandes très spécifiques de la part des Japonais. Un avion est prêt à partir. Mais il ne s’agit là que de moyens palliatifs. Je pense que nous devrions aussi intervenir immédiatement pour ce qui est des moyens curatifs, car les jours qui viennent seront déterminants.

Une centaine de collaborateurs d’AREVA travaillent au Japon, dont quinze expatriés. Les dix-huit personnes qui se trouvaient sur le site – des Allemands et des Américains – ont été rapatriées et les familles ont été déplacées temporairement vers le sud de l’archipel, mais tous les collaborateurs nécessaires à Tokyo y sont demeurés. En effet, les 44 autres réacteurs qui fonctionnent aujourd'hui au Japon sont essentiels à la fourniture du pays en électricité.

L’avion qui partira dès que possible de Roissy acheminera 3 000 masques de protection, des combinaisons, des gants, de l’acide borique, etc. Nous avons également envoyé, au début de cette semaine, du matériel de mesure de la radioactivité qui provient de notre filiale Canberra. Le matériel dont nous disposons à Tokyo a bien évidemment été mis à la disposition des équipes de sécurité japonaises.

Nous avons enfin fait un don pour les sinistrés du tremblement de terre et du tsunami.

Face à cette situation, nos concitoyens attendent de la transparence et souhaitent être assurés que nous déployons tous les moyens dont nous disposons au service d’une sûreté et d’une sécurité maximales. Le contexte actuel rend dérisoires les discussions sur le caractère « trop sûr » de l’EPR et montre bien que le pari sur la sécurité est le pari de l’avenir.

En tant qu’industriels, il nous sera nécessaire, avec Henri Proglio, de rétablir un dialogue dont dépend la confiance de nos concitoyens dans le nucléaire : il y va de l’avenir de nos industries.

Comme je l’ai dit à maintes reprises devant vos assemblées, sûreté et sécurité ne se négocient pas. C’est notre credo. Il faut appliquer les normes les plus exigeantes et recourir aux meilleures technologies.

M. Henri Revol, président du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire. Le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, créé par la loi de 2006 et installé il y a deux ans et demi, a déjà beaucoup travaillé. Il a en effet été saisi, comme la loi le permet, par le Gouvernement, par l’OPECST et par les présidents des commissions du Parlement. Mais il peut également s’autosaisir de toute question relative à l’impact des activités nucléaires sur la santé humaine et sur l’environnement, ainsi qu’à l’accessibilité de l’information concernant ces activités.

Il se met donc à disposition des instances qui peuvent le saisir. Le cas échéant, il s’autosaisira dans le cadre de la procédure d’évaluation de la sûreté des installations annoncée par les ministres, notamment en ce qui concerne les catastrophes naturelles telles que séismes ou inondations.

M. François Brottes. Les ministres nous ont quittés pour participer à une réunion d’urgence. Ils devront revenir, comme s’y est engagé le président Poignant, car le débat sur la stratégie énergétique doit se tenir en premier lieu au Parlement et nous avons des points de vue différents sur la place du nucléaire dans le mix énergétique, sur les filières de l’énergie renouvelable, aujourd'hui maltraitées, ou encore sur la réalité de l’engagement en faveur de l’efficacité énergétique comme de la transparence, pour s’en tenir à ces points.

La corrélation scabreuse que le rapport Roussely établissait entre les coûts et la sécurité nous avait choqués. Le caractère elliptique, pour ne pas dire l’indigence, de ce rapport m’avait conduit à demander au nom du groupe socialiste que la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale consacre une série d’auditions à la question du nucléaire. Nous avons donc eu une dizaine de séances de travail avec les acteurs ici présents. Nous avons consacré plusieurs heures, par exemple, à la question de la centrale de Cadarache. Bref, le Parlement est totalement impliqué dans ces questions, sans forcément céder à l’émotion et à l’urgence.

Mais aujourd'hui notre préoccupation est l’épreuve terrible que vivent les Japonais.

On a l’impression que la catastrophe s’est produite alors que le risque était connu mais sous-évalué. Il semble que, si la vague du tsunami avait été moins haute, les opérations de refroidissement auraient été possibles. Comment se fait-il que l’on ait fait l’impasse sur une telle éventualité alors que l’on a réalisé tant d’études et que l’on a une si longue pratique dans le domaine ?

Deuxième question : qui vous alimente en informations ? Vous paraissez fonctionner par recoupements et nous avons beaucoup de mal à nous y retrouver.

Vient ensuite la question du confinement des populations. Combien de temps les habitants devront-ils rester chez eux ? Comment seront-ils ravitaillés ? Quelles peuvent être les conséquences de la radioactivité sur leur santé malgré le confinement ? Selon quelles modalités les comprimés d’iode seront-ils utilisés ?

Enfin, il se dit que les risques sismiques pris en compte pour la conception des centrales françaises auraient été sous-évalués. Il est important que l’ASN précise dès aujourd'hui ce qu’il en est.

M. Claude Gatignol. Ma préoccupation principale est la protection des populations, des familles, des enfants. Le temps viendra du retour d’expérience mais l’heure est aux mesures d’urgence, d’abord au Japon et ensuite, dans les jours ou les semaines qui viennent, en France.

Membre du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire et des commissions locales d'information des trois établissements de ma circonscription, j’ai dit à l’ambassadeur du Japon, avec plusieurs collègues, toute la compassion que nous éprouvons pour ses compatriotes. Comme M. Brottes, je souhaiterais savoir quels liens de communication vous avez avec les autorités japonaises. Quand disposerons-nous de véritables informations quant à l’évolution de la situation, à la nature et à la gravité des dégâts, à l’état de l’enceinte et du combustible de chacun des réacteurs concernés, au niveau d’eau dans les cuves et dans la piscine contenant le cœur déchargé ? A-t-on une idée exacte de ce que sont les rejets dans l’atmosphère ? Quelle est la nature des radionucléides ? Quelles sont les données météorologiques qui conditionneront les risques liés à ces rejets au Japon et dans les pays voisins ? Quand les premières particules de rejet seront-elles détectées en France ?

Notre parc nucléaire fait l’objet, régulièrement, d’audits, d’analyses et de peer reviews. Ne pouvons-nous déjà disposer d’un état des lieux ? La relation de la société à l’énergie atomique doit se fonder sur la connaissance et la transparence, qui sont le gage de la confiance, et non sur la peur et la démagogie.

M. Ladislas Poniatowski, sénateur. Mes deux questions s’adressent au président de l’Autorité de sûreté nucléaire.

La première concerne la gestion post-accident. Sachant que la menace présentée par le nuage radioactif va vraisemblablement s’aggraver, les populations évacuées pourront-elles revenir ou l’évacuation sera-t-elle au contraire définitive ? Pourra-t-on cultiver de nouveau et reconstruire ? Ces questions, la France se les est déjà posées : en 2005, il a été demandé à l’ASN un rapport sur ce qui se passerait dans un tel cas de figure. Alors que le délai de remise prévu était de deux ans, vous en avez demandé en 2007 la prolongation, en raison de l’importance du travail que vous aviez engagé avec vos experts. Mais nous n’avons toujours pas reçu ce rapport. Où en est votre réflexion ?

Deuxièmement, quelle est la nature exacte de l’audit que vous demande le Premier ministre ? Quel temps allez-vous y consacrer et quand disposerons-nous des résultats ? Il serait logique que ce travail soit mené en lien avec votre analyse des possibilités de prolonger la durée de vie de chacune des centrales, même si le premier problème est de court terme et le second de moyen et long termes.

M. Daniel Raoul, sénateur. Quelles conséquences cette catastrophe aura-t-elle sur le prix de l’ARENH, l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique ? Ne convient-il pas de revisiter les conditions faites aux opérateurs ayant accès à l’investissement privé ? Peut-on en effet confier à un groupe privé ou partiellement privatisé la gestion de la sûreté nucléaire et les mesures de maintenance et de prévention qu’elle exige ?

M. André-Claude Lacoste. Nous ne sommes pas encore dans la gestion de l’après-accident : le Japon est actuellement en pleine crise et la seule préoccupation de nos collègues de ce pays est de parvenir à apporter de l’eau sur les installations touchées.

Cela rappelé, les événements en cours sont-ils dus au fait que l’on a sous-estimé le séisme ou le tsunami ? Je ne le crois pas : les bâtiments des centrales ont résisté. Sont-ils alors dus à une moindre rigueur en ce qui concerne les systèmes électriques de secours ? La diversité des hypothèses et des réponses possibles montre bien que nous devons nous donner le temps de l’analyse et ne pas nous précipiter.

En contrepartie de son indépendance, l’ASN a un devoir absolu de transparence. S’agissant de cette crise comme de tout le reste, nous disons tout ce que nous savons.

Plusieurs demandes nous sont adressées : le Gouvernement souhaite un audit ; à Bruxelles, on annonce des « tests » à l’échelle de l’Europe mais qui restent encore à définir ; par ailleurs, nous devons analyser la possibilité de prolonger la durée d’exploitation des réacteurs. Il nous faudra concilier toutes ces exigences, sachant, je le répète, que notre volonté est d’être aussi transparents que possible. Il est de notre devoir de rendre compte au Parlement. Nous donnons les résultats de nos inspections avec toute la clarté possible. Nous avons demandé en 2006 à bénéficier d’un audit international IRRS – integrated regulatory review service – de l’AIEA. Notre groupe permanent d’experts comprend des experts étrangers. Bref, nous sommes aussi ouverts que nous le pouvons. Il nous faut maintenant mettre en cohérence les différentes demandes qui nous sont faites. Nous le ferons avec l’appui de l’IRSN et nous serons toujours aussi explicites. Donnons-nous seulement le temps de réfléchir au cahier des charges, et laissons nos collègues japonais gérer la crise, l’analyser et en tirer les enseignements.

En ce qui concerne la gestion de l’après-accident, la France est à ma connaissance le seul pays à avoir eu le courage d’y réfléchir. Quand nous cherchons des références à l’extérieur, nous n’en trouvons pas ; en revanche, nos homologues étrangers viennent nous consulter sur l’état de nos travaux, commencés en 2005. Nous avons organisé en 2008 un colloque international sur ce thème, et un autre est prévu pour juin. C’est toutefois un processus long et difficile, parce que la matière est complexe et parce que nous n’avons pas souhaité mener un travail technocratique – outre l’IRSN, nous avons associé l’ensemble des parties prenantes. Un certain nombre de débats, auxquels ont participé les associations, ont d’ailleurs eu lieu dans les régions.

Dans ce domaine, la France est donc pionnière. Nous n’arriverons pas à des décisions ou des formulations spectaculaires, mais nous aurons avancé dans la détermination des actions à mener sur des questions fondamentales comme celle de savoir dans quelles conditions peut être autorisé le retour des populations.

Quelles sont, s’agissant du Japon, nos sources d’information ? Il s’agit de nos homologues et de l’attaché nucléaire de l’ambassade de France à Tokyo, mais aussi de personnalités avec lesquelles nous sommes en contact direct, comme un ancien commissaire de la Nuclear Safety Commission, qui se trouve suffisamment détaché de l’actualité pour porter sur elle un regard à la fois avisé et critique. Lorsque l’information est suffisamment fiable, nous disons : « Voilà ce qui nous semble avéré », et lorsqu’elle l’est un peu moins, « Voilà ce que nous croyons savoir ». Mais nous nous gardons de nous fonder sur des rumeurs ou de prendre en compte une mesure de radioactivité dont nous ignorons la provenance. Nous nous efforçons de bâtir une connaissance aussi fiable que possible, dans un contexte difficile et alors que le premier souci de nos homologues est de gérer la crise – mettons-nous à leur place !

J’en viens au risque sismique : en France, il est modéré, mais il existe, du moins dans certaines régions. Et il est traité de façon extrêmement sérieuse. La première étape consiste à en évaluer l’importance, en commençant par réunir toutes les informations disponibles sur les séismes intervenus dans le passé. Par exemple, dans le fossé rhénan où est situé Fessenheim, l’événement pris en compte est le tremblement de terre qui a frappé Bâle en 1356. Nous recherchons également les paléoséismes, c’est-à-dire ceux dont on a perdu la trace historique, mais que l’on peut retrouver grâce à la géologie. Nous prenons alors pour référence le séisme le plus important jamais intervenu dans la région, nous le situons hypothétiquement à l’endroit où il ferait le plus de dégâts à l’installation concernée, et nous multiplions sa puissance par cinq. Les bâtiments doivent pouvoir résister à une telle épreuve.

L’aléa sismique est calculé au moment de la construction, puis réévalué régulièrement en tenant compte du progrès des connaissances. Si nécessaire, l’exploitant doit renforcer la résistance de l’installation.

Le risque sismique est donc pris en compte très sérieusement et les marges de sécurité sont considérables. Cela étant, nous sommes ouverts à l’hypothèse d’un nouvel examen de ces normes. Nous n’avons aucune raison d’avoir honte de notre travail dans ce domaine, et sommes toujours prêts à accomplir des progrès.

M. Jacques Repussard. S’agissant des risques sismiques, je partage l’analyse de M. Lacoste. Certains – notamment sur Internet – se demandent pourquoi le système de sûreté nucléaire n’utilise pas les référentiels en cours d’élaboration au sein de l’Union européenne pour les installations classées Seveso : cartes des aléas sismiques et prescriptions pour les constructions. Il est vrai que les exigences en matière nucléaire procèdent d’un modèle intellectuel un peu différent – M. Lacoste l’a décrit en détail –, mais notre avis est qu’elles sont bien supérieures à celles qui devraient bientôt s’appliquer aux sites Seveso, lesquelles seront pourtant rehaussées par rapport aux normes actuelles. Nous tenons donc à préserver les acquis du système nucléaire français, en dépit de ses différences avec ce système européen, plutôt destiné à encadrer des constructions de génie civil classique. Cela pose toutefois un problème de communication : il conviendrait sans doute de donner davantage d’explications, sans quoi le public pourrait se demander si ce « particularisme » nucléaire est justifié.

M. André-Claude Lacoste. J’ajoute qu’une des particularités de la prise en compte du risque sismique dans le domaine nucléaire est que les études sont effectuées site par site : nous ne nous contentons pas de données régionales.

M. Jacques Repussard. On nous a interrogés sur la radioprotection des populations françaises suite à l’accident survenu au Japon. Les premiers concernés sont évidemment les membres de la communauté française de ce pays. L’IRSN a donc formulé des recommandations que l’ambassade a reprises et rendues publiques. Tout d’abord, en raison du risque de nouveau séisme et de la possible aggravation de la contamination atmosphérique, il est conseillé aux personnes n’ayant pas absolument besoin de rester dans la région concernée de se rendre pour quelque temps dans le sud de l’archipel, voire de rentrer en France. Les autres sont incitées à éviter de sortir quand il pleut, pour ne pas contaminer leurs vêtements, et à se mettre à l’abri si la situation s’aggrave. Des comprimés d’iode ont également été distribués, mais il s’agit plus d’une mesure de précaution, voire de réassurance à l’égard de nos compatriotes qui ont fait le choix de rester ou qui y sont obligés ; nous estimons en effet qu’il ne leur sera jamais nécessaire de les consommer.

En ce qui concerne le territoire français proprement dit, qu’il s’agisse de l’outre-mer ou de la métropole, il n’y aura pas de risques sanitaires, pas plus qu’il n’y en a eu lors des essais d’armes nucléaires. En outre, les délais sont très longs : il faudrait 25 à 30 heures pour qu’un nuage de particules atteigne Tokyo, et des semaines avant qu’il ne touche Saint-Pierre-et-Miquelon. Pendant ce temps, l’IRSN travaille d’arrache-pied pour affiner ses modèles, rassembler les informations et les recouper avec celles provenant du CEA ou d’organismes américains et japonais. Nous prenons toutes nos précautions, car nous ne pouvons pas nous permettre de publier des informations contradictoires. Mais nous serons en mesure de publier des cartes dans les tout prochains jours. Nous les actualiserons en fonction de la météo et de toutes les données fiables que nous pourrons obtenir à travers la planète, et notamment des États-Unis. Toutes ces informations seront bien entendu rendues publiques.

M. Jacques Myard. Ma question risque de faire sourire les ingénieurs, mais la grande crainte, dans l’opinion publique, est que le réacteur n’atteigne un point de surchauffe tel qu’il explose, comme une bombe atomique. Ce scénario est-il possible dès lors que, malheureusement, le système de refroidissement ne fonctionne plus ?

M. Christian Bataille. L’avenir du nucléaire civil, au moins à l’horizon de cinquante ans, dépend d’une évolution vers plus de sûreté. Je me tourne donc vers M. Lacoste et vers les industriels : quel sera le destin de l’EPR, un réacteur plus sûr mais dont certains critiquent le coût excessif ? Quel sera celui de l’ATMEA, encore à l’étude ? Qu’en sera-t-il des réacteurs de faible puissance, dont on dit qu’ils ont le défaut de multiplier le nombre de sites ? Enfin, pour ce qui est de la génération IV, où en sont les recherches sur Astrid, qui doivent en quelque sorte marquer le retour des surgénérateurs après l’arrêt de Superphénix ?

J’aimerais également savoir ce que pense M. Lacoste du projet de coopération franco-chinoise destinée à construire des réacteurs « low cost », c’est-à-dire d’une génération antérieure, qui ne coûteraient pas cher mais seraient beaucoup moins sûrs ? La définition d’une norme internationale est-elle impossible ? La France, qui montre l’exemple en matière de sûreté avec l’EPR, va-t-elle continuer à subir la concurrence de réacteurs – coréens aujourd’hui, peut-être chinois demain – meilleur marché, mais moins sûrs ? Une telle perspective ne pourrait qu’inquiéter.

M. Jean-Pierre Door. Même si, depuis quelques jours, nos regards sont avant tout tournés vers le Japon, ils tendent à se déplacer vers notre pays. Certaines personnalités font des déclarations susceptibles d’inquiéter la population, notamment lorsqu’elles exigent la fermeture immédiate de plusieurs installations nucléaires. À Gien, dans le territoire dont je suis l’élu, encadré par la centrale de Belleville et par celle de Dampierre, ces appels ont fait naître de nombreuses appréhensions. Quelles réponses peut-on leur apporter ?

M. André Chassaigne. La société japonaise TEPCO est la première compagnie privée d’électricité du monde. Ses profits, entre avril et décembre 2010, ont atteint 1,19 milliard d’euros après une perte du même ordre l’année précédente. On peut se demander d’où vient un redressement aussi spectaculaire… La gestion du nucléaire par des entreprises privées à la recherche de profits ne risque-t-elle pas d’être au détriment de la sécurité, notamment si elle se traduit par un manque d’entretien ?

Par ailleurs, plusieurs auditions ont montré un usage important de la sous-traitance dans les centrales françaises. Il en résulte des incidents de portée minime, mais nombreux. S’ils se cumulaient sur le même site, ils pourraient devenir particulièrement graves. Ils s’expliquent par un manque de formation du personnel et par l’emploi de matériaux de mauvaise qualité. La question du contrôle des sous-traitants doit être posée. Les interventions dans les installations nucléaires ne devraient-elles pas être réservées à des entreprises publiques, et ne faudrait-il pas faire preuve d’une plus grande rigueur dans le choix des intervenants ?

M. Bernard Lesterlin. Le fait de construire plusieurs réacteurs sur un même site ou à proximité les uns des autres augmente-t-il les risques ? Est-ce le cas à Fukushima ? Comment le problème se pose-t-il chez nous ?

On comprend que pour l’implantation des installations nucléaires, le littoral et les rives des fleuves soient préférés afin de faciliter le refroidissement par eau mais, même dans un pays tempéré comme le nôtre, nous ne sommes pas à l’abri d’inondations comme celle du Blayais en 1999 ou de tempêtes comme Xynthia en 2010. Compte tenu des risques, y a-t-il des solutions alternatives pour la localisation des centrales ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Quelles dispositions ont été prises immédiatement après la catastrophe pour protéger la population japonaise ? Nous avons compris que la mesure d’évacuation avait été complétée par une invitation au confinement dans un rayon de 20 à 30 kilomètres, mais sera-ce suffisant ? Ne faudrait-il pas élargir le périmètre ?

D’autre part, les Japonais disposent-ils d’une quantité suffisante d’équipements individuels pour protéger la population ? Par exemple, ont-ils assez de pastilles d’iode ? Anne Lauvergeon a indiqué qu’un avion était prêt à décoller pour leur apporter du matériel. Ont-ils fait une demande en ce sens ?

Mme Catherine Procaccia, sénatrice. Immédiatement après le tremblement de terre et le tsunami, les médias ont évoqué des dangers dans plusieurs centrales nucléaires, mais aujourd’hui, l’attention est concentrée sur une seule. Les autres présentent-elles des risques ?

S’agissant des moyens d’intervention, j’avais le sentiment que des robots pouvaient remplacer les hommes. Or seuls ceux-ci interviennent aujourd’hui. Pour quelle raison ?

Enfin, vous nous avez dit que les vents soufflaient vers le Pacifique et restaient dans le même hémisphère. Est-on sûr qu’ils ne peuvent pas se diriger dans l’autre sens, vers l’ouest ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Que se passerait-il si les opérations de refroidissement se révélaient vaines ? Quelles seraient les conséquences pour le site lui-même, pour l’ensemble de l’archipel et pour les territoires français les plus proches ?

M. François Pupponi. Les incidents et accidents évoqués sont-ils dus au tremblement de terre ou au tsunami ? D’autres centrales auraient-elles pu être endommagées, et si oui, lesquelles ? Enfin, s’il se révèle impossible d’amener de l’eau dans la centrale pour refroidir le réacteur, combien de temps se passera-t-il avant qu’un événement encore plus grave ne survienne ?

Mme Frédérique Massat. En août 2007, un sismologue japonais qui faisait partie du comité d’experts chargé d’établir les normes sismiques des centrales a déclaré : « À moins que des mesures radicales ne soient prises pour réduire la vulnérabilité des centrales aux tremblements de terre, le Japon pourrait vivre une vraie catastrophe nucléaire dans un futur proche ». Aviez-vous été informés de ces propos ?

De même, l’Agence internationale de l’énergie atomique aurait averti le Japon des problèmes de sécurité auxquels étaient exposées ses centrales en cas de séisme. Quel est le rôle de l’AEIA, et de quels pouvoirs dispose-t-elle pour faire respecter les règles de sûreté nucléaire internationales ?

Le drame que vit le Japon va-t-il amener l’ASN à renforcer les exigences de sûreté nucléaire dans notre pays ?

M. Jean-Pierre Brard. Je souhaite que l’IRSN et l’ASN nous prodiguent toutes les informations dont elles disposent. Personnellement, j’ai jugé utile de mettre en ligne sur mon site celles que nous avons déjà reçues, parce que nos concitoyens souhaitent savoir. De même, Monsieur le président, il serait souhaitable que nous puissions obtenir le plus rapidement possible la transcription in extenso de ce débat.

En tant que responsables politiques, nous avons le devoir de réfléchir aux événements actuels, mais aussi de tenter d’anticiper ceux à venir. Et je suppose que nos interlocuteurs n’ont pas seulement un avis sur le nucléaire, mais aussi une vision plus globale des problèmes énergétiques auxquels nous sommes confrontés. Pour ma part, j’ai autant de compassion pour une personne tuée par les radiations que pour celle qui meurt de la silicose ou pour la victime de la désertification provoquée par le réchauffement climatique. Or l’Allemagne contribue cinq fois plus que la France à ce réchauffement, et à mon grand étonnement, cela n’indigne personne. Le piège dans lequel nous risquons de tomber est donc de limiter le débat à la question du nucléaire. Mourir, c’est toujours mourir ; il faut donc s’intéresser à tous les risques, et ne pas céder à l’agitation qui permet à certains d’occuper les écrans de télévision de façon plus ou moins honorable.

Nous devons non seulement avoir une vision de l’avenir de notre pays, mais aussi de celui de l’humanité. C’est pourquoi nous sommes en droit de discuter fermement avec les Chinois, les Polonais, les Allemands ou les Américains des risques auxquels ils exposent l’humanité sans avoir de comptes à rendre à personne.

De plus, le débat n’est pas seulement de nature environnementale. Il touche également à l’indépendance nationale.

Par ailleurs, où en est la réflexion sur la gestion des déchets nucléaires ? Est-il possible de pousser les efforts de recherche dans ce domaine ?

On sait bien qu’EDF et Areva, dans le passé, ne se sont pas toujours montrées exemplaires en termes de transparence. Me trouvant à Tchernobyl cinq ans exactement après la catastrophe, j’avais ainsi constaté qu’EDF lançait au moment même de cet anniversaire une campagne de communication destinée à justifier sans explication l’usage de l’énergie nucléaire. Selon moi, il ne faut pas confondre explications, transparence et propagande.

M. Yves Cochet. M. Repussard a comparé les éventuelles émanations de radioéléments à Fukushima avec ceux des essais nucléaires atmosphériques. Mais c’est avec Tchernobyl que cette comparaison doit se faire ! Et ce qu’a dit ce matin même M. Baroin, à l’issue du conseil des ministres, me conforte dans cette position : dans le pire des scénarios, a-t-il déclaré, les conséquences pourraient être pires que celles de la catastrophe ukrainienne. Dans ce cas en effet, le nuage produit ne serait pas du type de ceux qu’ont provoqués les bombes atomiques il y a quarante ans, mais bien plutôt de celui dont M. Pellerin, en 1986, niait qu’il ait franchi notre frontière avec l’Allemagne.

J’ai apprécié le discours de Mme Lauvergeon, qui a théorisé ce que l’on pourrait appeler le droit d’ingérence écologique – une notion que nous défendons depuis longtemps. Mais il se trouve qu’Areva a fourni le MOX utilisé pour alimenter le réacteur n° 3 de Fukushima. Or une étude menée en 1999 par le professeur Lyman, directeur scientifique du Nuclear Control Institute de Washington, montrait qu’en raison de la « vivacité » du MOX, son usage dans les réacteurs à eau bouillante était plus risqué que celui de l’oxyde d’uranium. Pourquoi, dans ces conditions, en avoir vendu à TEPCO ?

S’agissant d’EDF, le 2 novembre 2009, l’ASN et deux autres autorités de sûreté ont remis en cause la conception même du système de « contrôle-commande » des réacteurs EPR, et notamment l’indépendance des systèmes de sécurité. L’Autorité a adressé onze demandes précises à l’exploitant : ont-elles été étudiées ? Le système de contrôle-commande de l’EPR a-t-il été modifié conformément à ces recommandations ?

Ma dernière question s’adresse à l’ASN. À Cadarache, des stocks de plutonium dans l’atelier MOX ont été sous-évalués, et il s’est passé plusieurs mois entre le moment où cette sous-évaluation a été constatée et celui où elle a été rendue publique. Comment expliquer cette absence de transparence ?

M. le président Claude Birraux. Du point de vue des populations exposées, y a-t-il une différence entre une explosion nucléaire aérienne et un nuage radioactif comme celui qu’a provoqué la catastrophe de Tchernobyl ?

M. Philippe Folliot. Le nucléaire a des applications militaires et énergétiques, mais il en est également fait un usage quotidien dans le domaine médical, par exemple. L’ASN et l’IRSN interviennent-ils sur l’ensemble du spectre ? Le petit matériel de radiographie, disséminé un peu partout sur le territoire, parfois oublié, relève-t-il de leur compétence ?

M. André-Claude Lacoste. Il existe, selon moi, deux différences de fond entre le système japonais tel que je le connais et le système français : tout d’abord, et pour un certain nombre de raisons, nous avons une plus grande préoccupation de transparence. Ensuite, nous avons davantage le souci d’un progrès continu en matière de sûreté. Ainsi, les exigences imposées au fil du temps en la matière aux différents exploitants français, en particulier à EDF, se sont durcies – certains diront qu’elles ont empiré. Aujourd’hui, le niveau de sûreté requis pour la construction d’un réacteur en France est celui de la génération III, celle de l’EPR. C’est la vertu de la conception française, désormais acceptée au niveau européen via un club de responsables d’autorités de sûreté, la WENRA – Western European nuclear regulators Association : celle-ci a fixé pour la construction de nouveaux réacteurs des objectifs qui ressemblent beaucoup à ceux qui sont applicables aux réacteurs EPR. Je parle bien d’objectifs de sûreté, exprimés en termes généraux, et non de moyens. C’est à partir d’eux que l’on doit améliorer la sûreté des réacteurs existants, ce qui nous paraît tout à fait traduire la conception que nous avons du progrès en la matière. L’Autorité de sûreté nucléaire a, par ailleurs, indiqué qu’elle n’imaginait pas qu’il puisse être vendu dans le monde, sous le drapeau français, des réacteurs ne satisfaisant pas à ce niveau de sûreté.

Une question a été posée sur l’origine de l’accident au Japon. Le tremblement de terre a sûrement joué un rôle, même s’il semble que les bâtiments des centrales y aient résisté. Pour ce qui est du tsunami, cela ne fait aucun doute. Je mentionnerai également le problème affectant l’alimentation de secours. En tout état de cause, l’analyse reste à faire pour bénéficier d’un retour d’expérience.

Les mesures prises par les autorités japonaises – confinement, mise à l’abri – nous paraissent raisonnables dans l’état actuel des choses, mais elles seront sans doute durcies si la situation évolue.

S’agissant des équipements individuels et des pastilles d’iode, j’ai visité suffisamment de centres d’intervention au Japon pour être tout à fait sûr qu’ils sont parfaitement approvisionnés à cet égard. En ce qui concerne les moyens d’intervention, il appartient aux Japonais d’en faire la demande s’ils le jugent nécessaire.

Quant aux vents, il s’agit de quelque chose que nous ne maîtrisons pas.

Le fait de construire plusieurs réacteurs sur un même site n’entraîne pas un risque supplémentaire. Au contraire, cela peut permettre de mutualiser les moyens d’intervention.

Dans le Blayais, on a clairement sous-évalué le risque d’inondation. Mais il faut garder raison : le début d’inondation survenu en 1999 a été classé au niveau 2 de l’échelle INES. Nous sommes très loin de ce qui s’est passé au Japon. L’exploitant, EDF, et l’Autorité de sûreté ont reconnu la sous-estimation du risque : la transparence implique aussi d’admettre les faits quand on est pris en défaut – c’est d’ailleurs ce qui motive pour progresser.

À titre personnel, la référence de M. Brard aux personnes qui meurent de la silicose m’a particulièrement frappé. Je sais ce qu’il en est pour m’être longtemps occupé d’inspection du travail et de surveillance de la sûreté dans les mines de charbon du nord de la France.

M. Jacques Repussard. Les explosions qui ont eu lieu à Fukushima n’ont pas, par elles-mêmes, porté atteinte à l’intégrité des bâtiments, ce qui, du point de vue de la protection, est un point très important. Cela étant, cette intégrité pourrait être compromise en l’absence de refroidissement.

Il est trop tôt pour dire si des réactions violentes se produiront ou pas : cela dépend des scénarios, et de la capacité à ajouter de l’eau. S’il parvient à en apporter suffisamment, l’exploitant pourra, sinon arrêter, du moins limiter fortement les rejets radioactifs, étant entendu que les installations sont maintenant hors d’usage.

Cela étant, des scénarios plus inquiétants sont également plausibles. Par exemple, si le combustible fondu traversait la cuve, il finirait par arriver au contact de la paroi de béton – dont l’épaisseur est très importante dans les réacteurs japonais –, et l’interaction entre les deux matières produirait des quantités considérables de gaz.

M. Jacques Myard. Il n’y aurait pas d’effet de souffle ?

M. Jacques Repussard. Des explosions pourraient survenir localement, mais elles seraient de nature chimique, et non nucléaire. Cela n’aurait rien à voir avec l’explosion d’une bombe atomique mais ces explosions de gaz extrêmement chauds seraient néanmoins spectaculaires.

Une évacuation sur vingt ou trente kilomètres est-elle suffisante ? De telles décisions relèvent de l’autorité de sûreté et du gouvernement japonais, et nous devons être prudents quand nous les commentons. Il n’est pas question de faire la leçon aux autorités du pays. Il reste que, dans certains scénarios que nous étudions avec nos confrères américains, les dimensions de cette zone apparaissent insuffisantes. Pour autant, la région de Tokyo n’aurait pas besoin de faire l’objet de mesures extraordinaires contre la contamination. Et c’est a fortiori le cas des territoires français d’outre-mer ou de la métropole.

Si j’ai évoqué la pollution radiologique causée par les essais d’armes nucléaires, c’était de façon délibérée, pour éviter de comparer l’accident de Fukushima à celui de Tchernobyl.

M. Yves Cochet. C’est pourtant ce que fait M. Baroin.

M. Jacques Repussard. Chacun s’exprime comme il l’entend. Mais de notre point de vue, il est trop tôt pour établir des comparaisons. Nous savons qu’en termes de gravité, l’accident de Fukushima sera très au-dessus de celui de Three Mile Island, où il n’y avait pas eu de rejet radioactif notable. Il sera vraisemblablement au-dessous de celui de Tchernobyl si les mesures de récupération évoquées tout à l’heure sont menées à leur terme. Dans l’hypothèse contraire, on pourrait imaginer des rejets moins brutaux qu’à Tchernobyl – où les émanations avaient persisté une quinzaine de jours et étaient montées très haut dans l’atmosphère –, mais dont la diffusion serait plus durable et alimentée par plusieurs cœurs. Au final, la masse de césium libérée dans l’atmosphère pourrait être supérieure à ce qu’elle a été à Tchernobyl. Seul l’avenir nous le dira. C’est pourquoi Mme Lauvergeon et M. Bigot ont eu raison de souligner l’urgence des mesures destinées à rétablir, dans la mesure du possible, la sûreté des installations.

Pour répondre à M. Folliot, l’activité de l’ASN couvre l’ensemble des installations nucléaires civiles, y compris médicales. La sûreté de ces dernières obéit aux mêmes principes que la sûreté nucléaire, comme la défense en profondeur. Une forte réévaluation des exigences est d’ailleurs en cours en ce qui concerne la radiothérapie. Quant à l’IRSN, il constitue l’appui technique des pouvoirs publics en général, et plus particulièrement de l’ASN, mais aussi de l’Autorité de sûreté nucléaire de défense. Son expertise sert donc aussi à l’évaluation de la sûreté du domaine militaire, qu’il s’agisse des navires ou des usines contribuant à la production et à la maintenance des armes. Les modes de calcul, la philosophie et les experts sont les mêmes : il n’y a donc pas, du point de vue de la sûreté, deux poids, deux mesures entre les secteurs civil et militaire. Seul le degré de transparence diffère, ce que l’on peut comprendre.

L’AIEA a peu de pouvoirs contraignants, mais joue un rôle d’exemplarité et contribue à la transparence. Les peer reviews, ces missions internationales dépêchées dans différents pays et dont les rapports sont rendus publics, constituent potentiellement un outil très puissant pour harmoniser par le haut les bonnes pratiques. Les débuts ont été hésitants, les grands pays ne s’estimant pas concernés. Mais la France a donné l’exemple, imitée ensuite par les États-Unis et par la Russie.

Avec l’Agence, nous sommes en train de promouvoir un travail comparable concernant les milieux d’expertise. En effet, dans tous les pays, les autorités de sûreté se reposent sur des organismes scientifiques plus ou moins bien structurés – la France étant plutôt considérée comme exemplaire à cet égard. Dans les nouveaux pays nucléaires, de telles institutions risquent de faire gravement défaut, rien n’étant prévu pour les financer. On trouve l’argent pour construire les réacteurs, mais pas forcément pour mettre en place une autorité de sûreté. Et quand elle existe, son efficience risque d’être limitée si elle ne dispose pas d’un back up scientifique et technique. Il s’agit donc d’un enjeu extrêmement important.

Je terminerai par la question de l’influence du mode de gestion – privé ou non – sur l’exploitation des réacteurs. Cette problématique n’est pas nécessairement la plus pertinente. Le point important est plutôt, dans un système national, de savoir qui paie les risques et de quelle façon les décisions prises pèsent sur les équilibres. Au Japon, les conséquences de l’accident seront à la charge du contribuable, et il en serait de même dans n’importe quel autre pays. Il en résulte que, quel que soit son coût, la sûreté doit primer sur les intérêts financiers de l’exploitant. Le coût n’est qu’un des paramètres de la sûreté, et sa prise en compte relève de la décision politique. Ce qui est en cause, c’est donc moins le caractère privé ou public de l’exploitant de l’énergie nucléaire que la vision économique qui sous-tend cette exploitation, et qui n’est pas sans rapport avec la question de la sûreté.

M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Les robots destinés à intervenir sur les accidents existent, et la France en possède plusieurs, développés par un groupement d’intérêt économique constitué par le CEA, Areva et EDF. Ils sont prévus pour assurer un certain nombre d’opérations, mais pas celle qui est aujourd’hui indispensable à Fukushima, c’est-à-dire le refroidissement. En effet, la centrale comprend six réacteurs et autant de piscines de combustible usé. Un apport d’eau fraîche est nécessaire pour extraire la chaleur et éviter la montée en température des barres de combustible, leur éventuelle fragmentation et le relâchement de particules dans l’atmosphère. La capacité d’un des réacteurs est de 450 mégawatts électriques, celle des trois autres est de 780 mégawatts électriques – correspondant respectivement à 1 200 et 2 400 mégawatts thermiques. Ce sont des puissances considérables. Cependant, la chaleur qu’il faut extraire, environ 10 mégawatts par réacteur, ne représente pas un problème de même nature. Il faut apporter une dizaine de mètres cubes d’eau par heure, soit un débit relativement limité, mais si on n’y parvient pas, l’énergie libérée fera monter la température. Le véritable enjeu, aujourd’hui, est donc que nos amis japonais restaurent les moyens de refroidissement par eau. Des dispositions ont d’ailleurs été prises il y a quelques minutes pour faire venir rapidement de puissantes motopompes.

Une explosion nucléaire est exclue mais, comme on l’a déjà expliqué, il peut y avoir des explosions de type chimique. En effet, dès lors que la température au sein de l’enceinte de confinement dépasse le millier de degrés, la vapeur d’eau est décomposée en hydrogène et en oxygène qui, à partir d’une certaine concentration, ne demandent qu’à se recombiner. Or une explosion chimique – que l’on appelle « brisante » – de l’hydrogène est susceptible de disperser des matières.

M. le président Claude Birraux. En apportant de l’eau à une centrale qui est, si j’ai bien compris, quasiment à ciel ouvert, ne risque-t-on pas de disperser des produits radioactifs ?

M. Bernard Bigot. À ma connaissance, aucune centrale n’est à ciel ouvert, mais la problématique n’est pas la même selon que l’enceinte de confinement est intacte ou non. Avant d’être injectée dans le circuit, l’eau passe dans un pressuriseur qui est, d’après ce que je comprends, connecté à l’enceinte de confinement, mais pas à l’intérieur de celle-ci. L’apport d’eau peut provoquer un lessivage, qui peut lui-même entraîner des rejets, mais pour éviter que les combustibles d’habitude ennoyés entrent en fusion, il est indispensable de refroidir, soit au moyen de cette eau, soit encore au moyen de matières solides comme du sable, pourvu qu’il soit suffisamment humide.

Les robots, pourquoi pas ? Mais ce n’est pas ce qu’il faut aujourd'hui, même si la contamination locale complique l’intervention humaine directe.

La recherche sur les déchets doit évidemment se poursuivre. Tel est d’ailleurs l’objet des lois que vous avez votées. Les réacteurs de quatrième génération, sur lesquels m’a interrogé M. Bataille, font partie des pistes à explorer pour réduire fortement la quantité de déchets ultimes.

La comparaison avec les rejets consécutifs à des essais nucléaires aériens vaut à quantité équivalente de matière transformée. Les composés sont de même nature et le danger provient non pas tant des radionucléides que des rayonnements ionisants. Il convient bien évidemment dans les deux cas d’éviter toute contamination des populations à la suite d’émissions.

Le plutonium de Cadarache traité pour obtenir du combustible n’a jamais fait, monsieur Cochet, l’objet de quelque cachotterie que ce soit. Dès qu’il a eu à en connaître, le CEA a transmis l’information et le débat, technique, a porté plutôt sur la qualité des renseignements fournis initialement. Mais, que chacun se rassure, à aucun moment il n’y a eu à Cadarache de risque de dispersion de plutonium. Voilà ce que je voulais vous dire en toute sérénité.

M. Henri Proglio. La plupart des réponses ont été données. La discussion de « commerçants » sur l’avenir de tel ou tel type de réacteurs est hors débat. Quant à la coopération engagée avec la Chine, sachez qu’il n’est nullement question de créer du nucléaire low cost, pour reprendre votre expression : une telle attitude, à la fois méprisable et irresponsable, ne saurait être le fait d’aucun d’entre nous, à commencer par EDF. La question était sans doute mal posée, du moins je l’espère.

Pour répondre aux interrogations sur les conditions de fonctionnement de nos centrales, qui viennent de « spectateurs » plutôt que de responsables, les exigences de sûreté sont évidemment respectées. C’est un simple constat, et il n’y a pas de débat qui tienne sur ce point. Aucune centrale ne fonctionne sans respecter les critères fixés par les autorités de sûreté, et par nous-mêmes. Il y va du devoir de toute entreprise responsable, donc d’EDF, vis-à-vis de ses concitoyens.

La sous-traitance fait partie de la vie normale d’une entreprise. EDF a vocation à garder la maîtrise de tout ce qui se trouve dans son cœur de compétence, mais elle doit pouvoir sous-traiter ce qui n’en fait pas partie, comme le génie civil ou le nettoyage, qui sont les spécialités d’autres entreprises. Cependant, la sous-traitance ne doit pas servir à optimiser le compte de résultat et EDF n’a pas d’autre intention que de faire valoir le principe de compétence d’acteurs industriellement responsables.

En matière de formation du personnel, nous avons des exigences extrêmement fortes et nos standards sont très élevés, même auprès de nos sous-traitants qui doivent respecter le cahier des charges.

S’agissant de la localisation des sites, les autorités de sûreté peuvent répondre aussi bien que moi. Sur ce point, la concertation est très poussée avec les autorités nationales, avec les autorités de sûreté et avec les élus locaux : aucune implantation n’échappe aux règles.

Nous avons proposé notre assistance aux Japonais qui l’ont acceptée cet après-midi et nous comptons aller plus loin en liaison avec l’IRSN.

En matière de recherche, notre budget est le plus important au monde chez les entreprises d’énergie. J’ai décidé de renforcer encore nos moyens de R&D, tout particulièrement dans le nucléaire puisque c’est une des grandes spécialités de notre maison. Par conséquent, non seulement l’effort se poursuit, mais il s’accroît.

Enfin, je laisse les autorités de sûreté dire si nous avons répondu à leurs questions sur les systèmes de contrôle : exprimer mon autosatisfaction en me substituant à elles serait malvenu.

M. Philippe Knoche, responsable de l’activité réacteurs chez Areva. Je réponds à la place d’Anne Lauvergeon qui a dû nous quitter.

L’urgence d’aujourd'hui, qui a été bien identifiée par les intervenants précédents, est d’assurer la sécurité des centrales et de les refroidir. Bien qu’elle ne porte pas sur ce point, je répondrai néanmoins à la question relative au MOX. Premièrement, son utilisation dans un réacteur n’est pas plus dangereuse que celle de l’uranium. Deuxièmement, les caractéristiques sont différentes, notamment la concentration en plutonium, de 5 à 10 % dans le MOX. Mais, troisièmement, les règles aussi bien opératoires qu’« incidentelles » sont adaptées en conséquence et le niveau de sécurité est donc équivalent. D’ailleurs, quelle autorité au monde accepterait qu’il diminue si l’on change de combustible ? Quatrièmement, je me plais à souligner que le combustible MOX est issu du recyclage d’un combustible antérieurement utilisé en réacteur, ce qui est de bonne pratique.

M. André-Claude Lacoste. L’investissement ne leur paraissant pas suffisant, l’ASN ainsi que ses homologues finlandaise et britannique avaient manifesté leur insatisfaction face au dossier que leur avait présenté EDF sur le contrôle-commande de l’EPR. Depuis, EDF a fait des propositions complémentaires, qui vont encore être précisées mais qui ont répondu à nos préoccupations, même si la solution finale retenue par chacun des pays n’est donc pas exactement la même, peut-être parce que l’ASN est plus habituée au contrôle-commande numérique.

J’avais omis de répondre à M. Door : la fermeture des centrales existantes peut être obtenue aujourd'hui par l’ASN, pour des motifs de sûreté, et par le Gouvernement, pour toute raison à sa convenance. L’ASN considère, pour sa part, qu’aucune centrale en France ne justifie une fermeture d’urgence.

M. le président Claude Birraux. En mon nom et en celui de mes collègues présidents de commission des deux assemblées, je me félicite de cette réunion particulièrement intéressante bien qu’organisée dans l’urgence. La qualité des questions et les réponses sans détour des intervenants démontrent que la transparence est une préoccupation partagée. Si d’autres événements devaient survenir, tenez-vous prêts, Mesdames, Messieurs, à venir vous exprimer à nouveau devant nous. Je vous remercie toutes et tous.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 16 mars 2011 à 15 h 45

Présents. - M. Alfred Almont, M. Jean-Paul Anciaux, M. François Brottes, Mme Catherine Coutelle, M. Jean Dionis du Séjour, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Bernard Gérard, M. Pierre Gosnat, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Gérard Hamel, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Claude Lenoir, M. François Loos, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, Mme Anny Poursinoff, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, M. Francis Saint-Léger, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Catherine Vautrin

Excusés. - M. Jean Auclair, M. Thierry Benoit, M. Louis Cosyns, M. Jean-Michel Couve, M. William Dumas, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Fioraso, Mme Pascale Got, M. Louis Guédon, Mme Josette Pons, M. Bernard Reynès

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Marc Ayrault, M. Gérard Bapt, M. Christian Bataille, M. Claude Birraux, Mme Monique Boulestin, M. Jean-Pierre Brard, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Door, M. René Dosière, Mme Aurélie Filippetti, M. Philippe Folliot, M. Marc Goua, M. Maxime Gremetz, M. Bruno Le Roux, M. Bernard Lesterlin, M. Hervé Mariton, M. Jacques Myard, Mme Odile Saugues, M. Yves Vandewalle, M. Michel Vauzelle, M. Jean-Sébastien Vialatte