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Commission des affaires économiques

Mercredi 23 mars 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 55

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP)

– Information relative à la commission

La commission a auditionné M. Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP).

M. le président Serge Poignant. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP).

La question du prix des carburants et des coûts énergétiques en général préoccupe nos concitoyens et nous souhaiterions vous entendre, monsieur le président, au sujet de l’évolution mondiale de la demande et des prix. Quelles répercussions les événements actuels peuvent-ils avoir ? L’évolution de la demande française réagit-elle à la hausse que nous connaissons actuellement ? Quelles grandes perspectives pouvez-vous dégager pour l’avenir ?

M. Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières. L’UFIP regroupe l’ensemble des sociétés qui opèrent en France dans les domaines de l’exploration et de la production de pétrole et de gaz, du raffinage et de la distribution. Outre Total, qui est la société la plus importante dans notre pays, elle a pour adhérents les filiales de groupes internationaux comme Esso, BP, Shell, des raffineurs indépendants comme INEOS, Petroplus et LyondellBasell, ainsi que les sociétés qui opèrent en France et produisent du pétrole brut et du gaz.

Je vous proposerai, en introduction de cette audition, une description du contexte actuel.

Le pétrole représente 36 % des sources d’énergie primaire en France, soit une proportion à peu près équivalente à la moyenne mondiale. La particularité de la France est que le nucléaire y représente 38 % de l’énergie primaire, contre 5 % dans le monde. Autre grande différence, la part du charbon n’est que de 4 % en France contre 28 % dans le monde.

L’approvisionnement de notre pays en pétrole brut est très diversifié, se répartissant de façon assez équilibrée entre le Moyen-Orient, l’Afrique, les pays de l’ex-CEI et la mer du Nord. Au sein des 32 % que représente l’Afrique, la production Libyenne s’élève à 15 % ; c’est notre deuxième source d’approvisionnement, juste derrière la Russie et devant la Norvège et l’Arabie Saoudite.

Au niveau mondial, l’évolution de la demande pétrolière est en étroite corrélation avec la croissance économique. En 2008 et en 2009, on a assisté pour la première fois à une chute de la demande mondiale ; celle-ci a connu ensuite une reprise dans le courant de l’année 2010. Dans le même temps, la capacité de production a continué d’augmenter, ce qui a provoqué les mouvements de prix que l’on sait : une flambée du baril en 2008 – le prix a atteint environ 150 dollars durant l’été –, due, d’une part, au resserrement de l’écart entre la capacité de production et la demande et, d’autre part, à la perception par les marchés d’un risque important pour l’approvisionnement de la planète en pétrole, puis une chute tout aussi vertigineuse au moment de la crise, le prix du baril descendant à environ 40 dollars. Depuis le début de 2009, le pétrole brut n’a cessé de monter, passant de 40 dollars le baril à 95 dollars à la fin de 2010 sous l’effet de la reprise économique mondiale. Cette hausse s’est accélérée ces derniers mois, les événements d’Afrique du Nord portant le prix du baril à son cours actuel de 115 dollars.

Le renforcement de l’euro par rapport au dollar a joué le rôle d’amortisseur de cette hausse. L’euro, qui était proche de la parité avec le dollar il y a dix ans, vaut aujourd’hui près de 1,42 dollar, si bien que nous n’avons pas subi autant que les États-Unis les effets de l’augmentation des prix pétroliers.

Il existe trois niveaux de marchés pétroliers.

Le premier, le marché du pétrole brut, est un marché mondial dont les trois places principales sont New York, Londres et Dubaï. Il est largement régulé par le cartel de l’OPEP qui, moyennant la mise sur le marché de quantités déterminées, obtient à peu près les prix qu’il souhaite. Bien que l’OPEP représente un tiers environ des capacités mondiales de production, c’est la seule entité qui dispose d’une flexibilité – tous les autres pays sont au maximum de leur production – et peut exercer une régulation, pour des raisons tant économiques que politiques, en augmentant ou en diminuant la quantité de pétrole produit. Il faut également savoir que les compagnies internationales, dont on parle beaucoup, ne représentent que 12 % des quantités produites. Ce sont majoritairement les pays ou les sociétés nationales de production qui alimentent le marché : Saudi Aramco est de très loin la plus grosse compagnie pétrolière au monde.

Le deuxième marché, celui des produits raffinés, est un marché régional. Le principal marché européen est celui de Rotterdam. New York et Singapour sont les deux autres grandes places. Le marché étant totalement libre, sans aucune régulation, les revenus des raffineurs dépendent de l’écart entre le prix du pétrole brut et le prix qu’ils obtiennent pour les produits raffinés.

Le troisième marché est celui de la distribution, que connaissent tous les consommateurs.

J’insiste sur le fait que les opérateurs intervenant sur ces trois marchés ne sont pas nécessairement les mêmes. Certains sont présents à tous les niveaux mais de nombreux autres n’exercent que dans un seul ces segments.

J’en viens à la consommation en France depuis 1973. Dans les années 1980, la chute considérable de la demande de produits pétroliers a correspondu à l’accroissement des capacités nucléaires et à la fin de la production d’électricité à partir de fioul lourd. La consommation est passée de plus de 100 millions de tonnes dans les années 1970 à 75 millions en 1985. On a constaté une certaine reprise au cours des années suivantes. Mais, en définitive, le niveau de consommation en 2010 est comparable à celui de 1980. En d’autres termes, la consommation française de produits pétroliers n’a pas augmenté depuis plus de 30 ans. La croissance économique que nous avons connue dans cette période est déconnectée de la demande pétrolière. Ce mouvement se perpétue aujourd’hui. Entre 2009 et 2010, cette demande a baissé de 1,7 %.

La consommation de gazole représente aujourd'hui plus de 40 % de la consommation française et elle continue d’augmenter – + 2,1 % entre 2009 et 2010 –, du fait de la diésélisation du parc automobile – 75 % des voitures neuves immatriculées en France sont des diesels – et de l’importance des transports routiers. En revanche, d’autres produits sont en décroissance : ainsi, la consommation d’essence sans plomb 95 a baissé de 6,2 % entre 2009 et 2010, par exemple. Ce déséquilibre de la demande nous conduit à importer du gazole – 16,7 millions de tonnes en 2010, essentiellement en provenance de Russie – et à exporter l’essence que nos raffineries produisent en excédent – 4,6 millions de tonnes, notamment vers les États-Unis.

Nous avons analysé la composition du prix de différents produits pétroliers au moment du dernier pic de prix, le 11 mars dernier. Celui de l’essence sans plomb 95 – 1,51 euro le litre à la pompe – se répartit en 51 centimes correspondant au prix du pétrole brut, 3 centimes de marge brute de raffinage, 11 centimes de marge de distribution, 61 centimes de taxe intérieure sur les produits pétroliers – TIPP – et de 25 centimes de TVA sur le prix du produit hors taxes et sur la TIPP. Les taxes représentent donc 57 % du prix du produit. L’écart de prix entre le gazole et le sans plomb à la pompe tient essentiellement à la différence de TIPP, la structure étant par ailleurs comparable.

Par ailleurs, plusieurs facteurs ont provoqué l’augmentation des prix au 1er janvier 2011 indépendamment du prix du brut : l’extension aux carburants du système des certificats d’économie d’énergie, pour 1 centime d’euro par litre environ ; l’effet biocarburants, pour à peu près 1,5 centime, en raison notamment du renchérissement du coût de la matière première ; enfin, l’augmentation de la part régionale de la TIPP dans certaines régions...

M. Jean-Louis Gagnaire. Il ne faut pas exagérer !

M. Jean-Louis Schilansky. Toutes les régions ne l’ont pas fait, mais cela représente globalement entre 0,73 et 1,35 centime.

M. Jean-Louis Gagnaire. C’est un discours inadmissible !

M. le président Serge Poignant. N’interrompez pas l’intervenant, monsieur Gagnaire.

M. Jean-Louis Schilansky. Il ne s’agit pas d’un discours politique mais d’un constat. Nous sommes parvenus au chiffre de 3 centimes d’euros d’augmentation indépendamment des variations du prix du produit à la pompe.

Le rapport entre les variations du prix du brut et celles des prix à la pompe a également provoqué des polémiques. Je voudrais souligner à ce propos que la corrélation entre le prix du brut et les prix à la pompe est très forte, tant ces marchés sont ouverts et concurrentiels.

Pour ce qui est de la distribution, les grandes surfaces détiennent 61 % des parts de marché, les sociétés pétrolières et les distributeurs indépendants 39 % seulement. Cette compétition et l’utilisation des carburants comme produits d’appel par les grandes surfaces font que la marge brute de distribution est l’une des plus faible d’Europe.

En résumé : le pétrole est un composant fondamental du mix énergétique français ; l’approvisionnement de la France en pétrole brut est très diversifié ; les marchés pétroliers fonctionnent même en période de crise ; les marges de distribution du marché français sont parmi les plus basse d’Europe ; les prix à la pompe évoluent parallèlement à ceux de pétrole brut.

M. le président Serge Poignant. Je rappelle que notre commission a récemment créé une mission d’information sur le prix des matières premières, présidée par Mme Pascale Got.

M. Francis Saint-Léger. Sachant que la production de la Libye est largement compensée par ailleurs, la réaction des marchés aux troubles qui agitent actuellement ce pays est-elle, selon vous, totalement rationnelle ? Par quels mécanismes pourrait-on répondre à ce type de hausse conjoncturelle ?

Faut-il s’attendre par ailleurs, avec la reprise de la croissance dans les pays émergents, à une remontée du prix du baril aux niveaux que nous avons connus en 2008 ?

Si nos compatriotes constatent comme vous que la hausse des prix à la pompe accompagne toujours celle du prix du baril de brut, ils s’étonnent de l’inertie de la répercussion à la baisse. Que pouvez-vous leur répondre ?

L’indexation du prix du gaz sur celui du pétrole se traduit également par une hausse pour les consommateurs. Ne conviendrait-il pas de revoir ce dispositif, d’autant que le prix du gaz sur le marché mondial n’a jamais été aussi bas en raison de la surabondance de la production – accrue par le développement spectaculaire de la production américain de gaz de schiste – et de la réduction de la demande ?

À cet égard, quel est votre sentiment quant à l’exploration du gaz de schiste en France ?

S’agissant des carburants, l’augmentation des prix enregistrée depuis la fin de 2010 semble n’avoir eu aucun effet sur la consommation. En février, les livraisons étaient encore globalement à la hausse en raison de la part prépondérante du gazole. Quel niveau de prix faudra-t-il atteindre pour que cette hausse de la consommation se trouve enrayée ? Comment expliquez-vous le déséquilibre croissant entre gazole et essence, alors que la rentabilité des véhicules diesel n’est pas évidente et suppose un kilométrage élevé ?

Dans le secteur du raffinage, les excédents de capacité ont réduit les marges brutes en 2010. Bien que celles-ci soient restées à un niveau confortable, cette réduction a eu pour conséquence l’arrêt ou la restructuration de trois raffineries en France et d’une quinzaine en Europe. À quoi faut-il s’attendre pour les sites français et européens dans les années à venir ?

En ce qui concerne la distribution, 500 stations-service – essentiellement de petite taille – sur 7 000 ont fermé l’année dernière en France, soit une diminution de 7 %, tandis que 30 stations ouvraient dans les grandes surfaces. La part de marché de ces dernières continue de progresser au détriment d’un réseau traditionnel qu’il me semble important de conserver, notamment en milieu rural. Quelles mesures préconiseriez-vous pour maintenir ce réseau ?

M. François Brottes. Pour les adhérents de l’UFIP, les affaires vont bien, les profits sont au rendez-vous, la crise est belle... À chaque aggravation, soit en raison d’une catastrophe, soit en raison d’une instabilité politique, la spéculation anticipe les difficultés à venir et les prix augmentent. À tel point que le Gouvernement a diligenté une inspection pour établir si le secteur n’exagérait pas quelque peu. Avez-vous des arguments à apporter pour votre défense ? Considérez-vous que la spéculation est une arme dont doit bénéficier un secteur parfois chahuté ?

S’agissant de l’indexation du prix du gaz sur celui du pétrole, pourriez-vous rappeler les raisons historiques d’un dispositif qui ne paraît guère évident ?

Est-il exact que des potentiels de production d’huile de schiste existeraient sur notre territoire ? Quels seraient les risques environnementaux d’une telle production ?

Le peak oil cher à M. Yves Cochet existe-t-il ? Quelle est la date prévue ?

Comment vos adhérents gèrent-ils les risques géopolitiques inhérents au secteur pétrolier ? Ont-ils une démarche préventive, à l’instar de ce qui se passe sur le marché du gaz où le GNL, le gaz naturel liquéfié, permet de se prémunir contre les tensions intervenant sur les marchés et contre leur impact sur le consommateur ?

Enfin, la solution alternative que représente la voiture électrique est-elle susceptible de porter atteinte à la croissance de votre activité ?

M. Jean Dionis du Séjour. Vous n’avez pas présenté, dans votre exposé, les résultats de l’industrie pétrolière. Il y a là un non-dit. Vous alignez en réalité des résultats exceptionnels qui posent la question de la contribution de votre industrie à l’atténuation des problèmes que le prix du pétrole pose aux Français dans leur vie quotidienne.

Pourriez-vous tout d’abord nous indiquer à quel niveau s’élèvent ces résultats ? En tant qu’union professionnelle, que pensez-vous de l’idée d’une participation de l’industrie pétrolière au financement de mesures de compensation en faveur de nos compatriotes ?

Mme Anny Poursinoff. La recherche d’hydrocarbures de schiste, dont l’exploitation créerait de graves problèmes environnementaux, soulève une forte opposition. Comptiez-vous vraiment sur cette filière pour l’avenir de la production ?

Par ailleurs, le développement des agro carburants constitue-t-il une perspective durable ? Vu la concurrence avec la production alimentaire et la question du prix, ne s’agit-il pas, passez-moi l’expression, d’un feu de paille ?

Quelle est l’incidence du pic de Hubbert sur les perspectives de prix à long terme ? Prenez-vous également en compte les difficultés du nucléaire pour établir ces perspectives ?

M. le président Serge Poignant. La documentation que vous avez apportée met en évidence des aspects peu connus. On ne sait pas toujours que 33 % de l’approvisionnement français en pétrole brut proviennent de l’ex-CEI, dont 17 % pour la seule Russie, et que 11 % proviennent de Norvège.

D’un point de vue géopolitique, l’approvisionnement assuré par l’Arabie Saoudite peut-il compenser celui de la Libye ? Dans un tel cas, des délais seraient-ils nécessaires ? Quelles sont les réserves ? Le pétrole est-il de même qualité ou cela aura-t-il une incidence sur le raffinage ? Enfin, que se passerait-il en cas de problème en Arabie Saoudite ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Avez-vous une idée de la date du fameux peak oil ? Les découvertes technologiques n’aboutissent-elles pas à la repousser d’année en année ?

La croissance inéluctable de la part des secteurs du transport et de la pétrochimie dans la demande représente un véritable défi technologique pour tirer un maximum de produits d’un baril de pétrole. Existe-t-il des projets pour améliorer la rentabilité – en termes de produits finis – de l’industrie du raffinage ?

Les transports représentant plus de 53 % de notre consommation, il est certes indispensable de poursuivre l’amélioration des moteurs à combustion, mais quid des moteurs électriques ou de l’hybridation, option qui pourrait se généraliser dans les prochaines années ?

Je remarque moi aussi que la répercussion des prix est très réactive à la hausse, un peu plus lente à la baisse. Pourquoi ? Existe-t-il là des rentes de situation ou des spéculations expliquant les bons résultats de l’industrie pétrolière, étant entendu que ce secteur capitalistique doit disposer de capitaux pour investir dans la recherche ?

M. Kléber Mesquida. En matière de recherche de gaz de schiste, M. Borloo a accordé trois permis à Total, GDF-Suez et Schuepbach Energy. Ce gaz étant piégé dans la roche, il faut mettre en œuvre des moyens de fractionnement exceptionnels. On estime que 15 à 20 millions de litres d’eau par puits sont nécessaires. Il faut aussi du sable et des produits chimiques cancérigènes, voire mutagènes. La dernière étude menée aux États-Unis montre que les eaux issues de ces forages présentent un taux de radioactivité susceptible de contaminer l’eau potable. En dépit des dégâts annoncés et même s’il semble qu’un moratoire a été décidé au niveau de l’État, les membres de l’UFIP entendent-ils continuer cette prospection ?

M. Philippe Armand Martin. Aujourd’hui, le niveau de la consommation de carburants dépend directement du mode de vie. Or nous ne pouvons en diminuer les taxes eu égard à la situation de nos finances publiques. Toutefois, les bénéfices des entreprises pétrolières n’ont jamais été aussi élevés. Pourraient-elles faire un geste en direction des consommateurs, notamment des agriculteurs qui traversent de graves difficultés économiques ? Les mesures adoptées dans le cadre du Grenelle de l’environnement ne prendront malheureusement pas effet immédiatement.

Quelles incidences peut-on attendre de la guerre en Libye ? Faut-il craindre une nouvelle envolée des prix ?

Pourquoi observe-t-on une telle différence dans le coût du raffinage entre le super sans plomb et le gazole ? Vous avez indiqué que la part du secteur français de la distribution dans la formation des prix était la plus basse d’Europe. On peut s’en féliciter. En va-t-il de même du raffinage ?

Mme Frédérique Massat. Quand le prix du baril de pétrole diminue, sa répercussion sur le consommateur se fait attendre. En revanche, quand il augmente, son impact sur le prix à la pompe est immédiat. Pourquoi cette lenteur d’un côté et cette prompte réactivité de l’autre ?

Mme la ministre chargée de l’économie a demandé qu’on vérifie l’absence d’abus consécutivement à l’envolée des cours du pétrole. Comment les contrôles s’effectuent-ils concrètement ?

Récemment, le secrétaire général de la chambre syndicale de l’exploration et de la production d’hydrocarbures de l’UFIP a considéré qu’il ne fallait pas se priver de la ressource potentielle provenant des gaz de schiste. Selon lui, le niveau atteint actuellement par le prix du baril justifie qu’on engage les investissements nécessaires à leur exploitation. Qu’en pensez-vous ?

Aux États-Unis, vient d’être adopté un dispositif obligeant les entreprises à publier les commissions qu’elles versent aux gouvernements, pays par pays, afin d’exploiter leurs ressources en énergies fossiles. Il vise à enrayer la corruption, à permettre à la société civile de demander des comptes sur l’utilisation de l’argent reçu par les entreprises et à limiter les conflits liés à l’exploitation de ces ressources. Une telle réforme pourrait-elle voir le jour en France ?

M. Michel Piron. Pourriez-vous nous fournir un éclairage complémentaire sur les politiques de stock des différents États, au moins européens ?

Vous nous avez présenté un état des lieux du secteur de la distribution des produits pétroliers. Pourrait-on disposer aussi d’un tableau comparatif du nombre de points de vente dans les différents pays européens ? Vous avez vanté le resserrement des marges en France. Mais s’il s’opère sur un nombre de points de vente extrêmement réduit, ne faut-il pas le rapporter au service rendu aux consommateurs selon le critère de la proximité ou de l’éloignement ?

Mme Marie-Lou Marcel. La Libye produisait 1,6 million de barils de brut par jour. C’est pourquoi certains experts invitent les grands pays consommateurs à débloquer leurs stocks de réserves stratégiques afin de réduire les tensions sur le marché. D’autres estiment que des pays comme l’Arabie Saoudite détiennent suffisamment de capacités excédentaires pour suppléer la production libyenne. Quelle est votre analyse de la situation ?

L’envolée du prix du baril au cours des dernières semaines serait, selon les acteurs de la filière pétrolière, l’unique raison de celle des prix à la pompe.

Les activités, d’une part, d’exploration et de production, et, d’autre part, de raffinage et de marketing, sont aujourd’hui presque totalement dissociées dans l’organisation des grandes compagnies pétrolières privées. Pouvez-vous certifier qu’il n’y a pas eu, ces derniers mois, d’accroissement des marges nettes de l’activité raffinage et marketing des entreprises opérant en France ?

Certains dirigeants de compagnies pétrolières incitent les pays développés à réduire leur demande de brut afin qu’on puisse continuer de la satisfaire à moyen et long terme compte tenu de la progression de celle des pays émergents. Quelles orientations préconisez-vous donc pour réduire la consommation française ?

S’agissant de la part régionale de la TIPP, elle comprend deux volets : celui qui résulte des transferts de compétences pour lesquels a été institué un droit à compensation financière de la part de l’État, neutre pour le consommateur ; celui qui peut être modulé afin notamment de financer des infrastructures de transport durable, selon les dispositions du Grenelle de l’environnement. Strictement encadré, ce deuxième volet ne représente qu’une très faible partie de la part régionale de la TIPP, quelques centimes d’euros par litre. Mais, ce volet a un effet pervers, puisque, étant assis sur la consommation finale, il est soumis à la TVA prélevée au profit de l’État.

M. Daniel Fasquelle. Nous voyons les stations services disparaître les une après les autres, et je crains que certaines zones rurales s’en trouvent bientôt totalement dépourvues. De plus, les obligations de mise aux normes en contraignent d’autres à la fermeture alors qu’elles pourraient continuer de fonctionner. Or elles offrent parfois des services annexes, comme une petite épicerie ou un point poste. Leur présence est donc indispensable en milieu rural. Un sursis a été obtenu mais le problème demeure. Vous en préoccupez-vous ?

Il y a trois ou quatre ans, on parlait encore des biocarburants comme devant résoudre toutes nos difficultés. On en parle aujourd’hui beaucoup moins. Quel est, selon vous, leur avenir, qui intéresse notamment nos agriculteurs ?

Existe-t-il une union européenne des industries pétrolières ? Si c’est le cas, quel est son rôle ? Les États membres de l’Union européenne ne pourraient-ils pas, ensemble, contribuer à éviter les à-coups dans l’évolution des prix des carburants ? Ceux-ci sont fort dommageables pour de nombreuses professions, dont les marins pêcheurs, aujourd’hui en grandes difficultés en raison du poids du coût du carburant dans le prix du poisson. Une plus grande solidarité européenne, par l’organisation de la demande, ne permettrait-elle pas de peser plus efficacement sur les prix ?

Le blocage du port de Marseille a sans doute perturbé l’approvisionnement en carburant. Quel avenir peut-on envisager pour les ports français ? Quel lien existe-t-il entre eux et nos capacités d’importation et de raffinage ?

M. Jean-Louis Gagnaire. On ne peut pas laisser dire que l’augmentation du prix des carburants est liée à celle de la part régionale de la TIPP. À cet égard, la présentation que vous nous avez faite me semble un peu spécieuse. Sachons de quoi nous parlons ! Pour la région Rhône-Alpes, où la part variable est la plus élevée, son montant représente 1,77 centime d’euro par litre de gazole et 1,15 centime d’euros par litre d’essence. Or une « petite musique » se fait entendre depuis quelques mois pour expliquer que la responsabilité de la hausse du prix des carburants incombe aux régions. Je rappelle tout de même que deux d’entre elles ont choisi de ne pas utiliser la part variable de la TIPP. Quant aux autres, elles y sont contraintes en raison des transferts de charges auxquels elles doivent faire face.

J’ai bien compris qu’il n’existe aucune corrélation entre le prix des carburants et celui du baril de pétrole, et qu’il y a des décalages dans le temps – les graphiques qui figurent dans la brochure que vous nous avez donnée le démontrent. D’ailleurs, alors que le prix du baril n’a pas atteint le sommet que nous avons connu il y a quelques années, le prix des carburants est aujourd’hui aussi élevé qu’il l’était à l’époque.

Vous nous avez indiqué que les marges brutes de distribution étaient plus faibles en France que dans les autres pays. Cependant, le prix des carburants est chez nous beaucoup plus élevé. En outre, notre réseau de distribution – plusieurs collègues l’ont déjà dit – est le plus défaillant : certaines zones sont désormais privées de stations services, pourtant presque toutes automatisées, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. Quels sont les prix pratiqués chez nos voisins ? Avec des marges aussi minces, nous devrions bénéficier en France du meilleur réseau et des prix les plus bas ; or, nous connaissons la situation exactement inverse.

La part prise par les grandes surfaces est devenue inquiétante : le territoire n’est plus couvert, des zones entières ont été délaissées et souffrent d’une véritable pénurie. Les zones urbaines sont à peine avantagées par rapport aux zones rurales : il faut parfois parcourir de nombreux kilomètres pour trouver une station ouverte. Même les stations automatiques se sont raréfiées.

En un mot, les Français ne comprennent pas comment se forme le prix des carburants.

M. Alain Suguenot. Alors que le prix du baril de brut est aujourd’hui d’environ 100 dollars, le prix à la pompe est presque que le même que celui qui était pratiqué à l’époque où le prix du baril approchait les 150 dollars. Pourtant, les documents que vous nous avez fournis donnent plutôt l’impression qu’il y a une évolution parallèle des deux prix. Pouvez-vous nous donner une explication ?

Le cours du dollar semble générer un effet spéculatif. Quelle est votre analyse sur le sujet ?

Existe-t-il une stratégie industrielle dans le domaine du raffinage ? Nous connaissons de nombreux projets de fermeture de raffineries. Par quoi va-t-on les remplacer ? Cherche-t-on exclusivement à se rapprocher des ports afin de réaliser des économies de transport ?

M. William Dumas. Vous nous avez indiqué que la consommation de produits pétroliers n’avait pratiquement pas augmenté depuis 30 ans. En revanche, les résultats des compagnies pétrolières progressent constamment. Ce qui nous conduit à penser qu’elles répercutent rapidement à la pompe les hausses du brut mais beaucoup plus lentement ses diminutions.

Ne pensez-vous pas que les plus grandes entreprises devraient contribuer à l’aménagement du territoire, notamment en faveur des régions rurales ? Dans certains territoires, par exemple les Cévennes, ce sont les collectivités locales qui, pour compenser les carences, ont dû réimplanter des stations services automatiques.

Que pensez-vous de la poursuite de la hausse du prix du baril alors que la production de l’Arabie Saoudite a pris le relais de celle de la Libye ?

L’éventuelle exploitation des gaz de schiste risque de dénaturer nos territoires et de provoquer un rejet massif de la part des populations. Les recherches ont été interrompues par un moratoire. Vos entreprises sont-elles prêtes à les arrêter définitivement et à renoncer aux trois permis déjà accordés ?

M. Jean-Louis Schilansky. Les questions qui viennent de m’être posées traduisent bien l’intérêt de la représentation nationale et les préoccupations des Français pour le sujet qui nous occupe.

Beaucoup d’interrogations portent sur le prix du pétrole brut et les bénéfices des sociétés pétrolières. Cela me conduit à préciser le fonctionnement du marché du pétrole brut. Il faut savoir que personne ne peut le manipuler car personne ne dispose des moyens financiers suffisants pour faire monter ou descendre les prix. Trop d’opérateurs interviennent et les montants en jeu sont trop élevés pour cela. Cela dit, le marché répond, comme tous les marchés, à des anticipations et réagit aux risques courus. Aujourd’hui le prix du brut augmente parce que les marchés sont inquiets de ce qui pourrait advenir dans les pays du Moyen-Orient, notamment au Koweït, en Arabie Saoudite et au Qatar.

Nous avons entièrement compensé le défaut d’approvisionnement des 1,6 million de barils libyens par des productions provenant d’Afrique, d’Arabie Saoudite et de mer du Nord. Malgré cela, les marchés sont préoccupés par le risque que ferait courir une étincelle au Koweït, en Arabie Saoudite ou au Qatar. Nous plongerions alors dans l’inconnu.

Dans une telle situation, les acheteurs de brut sont plus demandeurs que vendeurs. Ils tiennent d’abord compte du risque de nouvelles augmentations. Et ceux qui détiennent la matière première, suivant le même raisonnement, sont réticents à vendre. Dès lors, les prix montent. La prime de risque s’élève aujourd’hui à 20 dollars le baril : nous sommes ainsi passés de 95 à 115 dollars, montant devenu à peu près stable. Mais cette stabilité est suspendue à la survenance d’un nouvel événement. Si la situation s’apaise en Libye, si l’Arabie Saoudite demeure tranquille, si l’agitation cesse au Yémen, les marchés seront rassurés, on trouvera des vendeurs sur le marché et les prix baisseront … Mais cela fait beaucoup de « si ».

Dans notre langage courant, le mot « spéculation » est souvent synonyme de « manipulation » et laisse supposer que, dans des arrières bureaux, des gens jouent à la hausse ou à la baisse. Mais il faudrait des dizaines de milliards de dollars pour faire bouger le prix du pétrole ; or, personne ne les a !

Bien sûr, certains gagnent de l’argent. Mais d’autres en perdent : ce fut le cas de ceux qui, en 2008, possédaient d’importants stocks de brut achetés à 140 dollars le baril et qui les revendirent à 40 dollars, le prix du baril ayant été divisé par trois. C’est ainsi que fonctionne un marché, il faut bien le comprendre.

Le marché pétrolier est extraordinairement difficile à réguler. Ses principaux acteurs se situent en dehors de l’Europe, en Amérique et en Asie. Les convaincre d’adopter un système de régulation relève d’une tâche particulièrement ardue…

Le prix du baril en euros s’établit de façon mécanique. On peut certes s’interroger sans fin sur la relation entre le prix du baril et le cours du dollar mais personne n’est jamais parvenu à établir une corrélation. Cela étant l’euro fort nous protège, l’euro faible nous pénalise. Jusqu’à présent, la monnaie européenne a plutôt joué un rôle d’amortisseur.

Il faut distinguer les résultats des compagnies pétrolières selon qu’elles produisent ou non du brut. Dans le premier cas, il est incontestable que l’augmentation du prix du baril améliore, automatiquement, leurs profits. Mais d’autres entreprises sont seulement des raffineurs ou des distributeurs indépendants.

Le résultat, en 2010, de la seule compagnie pétrolière française intégrée, Total, s’est élevé à 10,3 milliards d’euros, à rapprocher d’un montant d’investissements de 20 milliards, notamment dans la production, la recherche et l’exploration. Le résultat d’Exxon-Mobil est de 35 milliards de dollars, pour environ 40 milliards d’investissements.

Ces résultats proviennent, pour l’essentiel, de la production de brut. Dans tous les pays, le raffinage et le marketing, autrement dit l’aval du secteur, ne dégagent que peu de profits. En France, leur profitabilité se situe aux alentours d’un centime d’euro par litre. Dans tous les cas, il s’agit de montants infinitésimaux. Cela s’explique par la vivacité de la concurrence, notamment des grandes surfaces, et par la facilité d’accès à ces marchés.

Bien que le consommateur le perçoive différemment, il n’est pas juste de dire que la répercussion des prix à la hausse s’opère plus vite qu’à la baisse. Les réactions sur les prix sont très rapides ; or, celui qui conserverait des prix élevés par rapport à ses concurrents perdrait des ventes.

Les accusations qui circulent à ce sujet sous-entendent l’existence d’ententes. Or elles sont impossibles : le marché de la distribution des carburants est ultra concurrentiel. Chacun essaye d’optimiser son équation « prix-volume ». De plus, la DGCCRF surveille sans arrêt les pratiques commerciales. Récemment, des enquêtes ont été réalisées sur les autoroutes et ont conclu à l’absence d’ententes.

Suivant de très près le fonctionnement de ce marché, nous estimons qu’un décalage d’une dizaine de jours sépare les variations du prix du brut de celles du prix à la pompe, aussi bien à la hausse qu’à la baisse. Il n’y a pas de dissymétrie possible dans un marché aussi concurrentiel. Le prix de l’essence est le seul qui soit affiché à l’extérieur des grandes surfaces. Car il s’agit d’un produit d’appel et de la « signature-prix » du magasin. Nos prix sont publiés partout, selon une extrême transparence. Ils le sont sur plusieurs sites Internet, relevant du Gouvernement comme d’organismes privés. Essayons d’imaginer ce que provoquerait, en haut des Champs-Élysées, l’affichage du prix de l’expresso en signaux lumineux sur les devantures des cafés de Paris…

Les pétroliers peuvent-ils faire un geste en faveur du consommateur ? La question est délicate. La seule société intégrée opérant aujourd’hui en France est Total. Si, pour une raison ou pour une autre, les pouvoirs publics décidaient de lui appliquer une disposition dans ce sens, cela reviendrait à la handicaper par rapport à ses concurrentes étrangères. Car on ne peut, évidemment, agir sur les profits d’Exxon-Mobil de BP ou de Shell qui ne sont pas réalisés en France. Il faut donc mener une réflexion en profondeur sur la compétitivité de l’entreprise.

La France est, en outre, dans la même situation que les autres pays au regard du niveau des prix.

M. Jean Dionis du Séjour. Vous nous avez rappelé le montant du résultat de Total en 2010 et nous avons pu le vérifier immédiatement. Mais quel est le montant de l’impôt sur les sociétés payé par cette entreprise en 2010 ? Je ne crois pas que ce soit 33,33 % de la somme …

M. Jean-Charles Taugourdeau. L’impression du consommateur est sans doute que la baisse des prix tarde davantage à se produire que leur hausse.

Je suis par ailleurs d’accord avec ce que vous avez dit sur Total. Combien d’entreprises en France réalisent-elles un résultat, somme toute raisonnable, sans rien coûter au contribuable ?

M. Jean-Louis Schilansky. Je ne peux pas parler pour Total et je ne connais pas le montant de son impôt. Mais la principale partie de sa fiscalité, et de très loin, est payée hors de France, dans les pays producteurs.

La relation entre prix du pétrole et prix du gaz est complexe, historiquement liée à la production d’électricité. Car ces deux énergies primaires sont substituables dans les centrales thermiques, hormis en France qui a choisi le nucléaire. La valeur marchande du gaz s’établit donc par rapport à celle du fioul lourd et donc au marché du pétrole. C’est pourquoi, dans les contrats de fourniture à long terme, les prix du gaz sont indexés sur ceux du brut.

Les États-Unis, qui étaient importateurs de gaz pour leur production électrique, sont devenus exportateurs. En deux ans, le marché spot du gaz s’est complètement effondré. Un écart considérable s’est donc creusé entre le prix à long terme, fixé par les contrats et indexé sur le pétrole, et le prix du marché.

M. Philippe Armand Martin. Je reviens à une question à laquelle vous n’avez pas répondu : comment s’explique la différence de la part du raffinage dans la formation du prix de l’essence et dans celle du prix du gazole ?

M. Jean-Louis Schilansky. Le raffinage connaît une situation extrêmement difficile, notamment en Europe et particulièrement en France. Il dépend à la fois du prix du pétrole brut, plus ou moins régulé par l’OPEP, et d’un marché libre des produits finis qui obéit exclusivement à la loi de l’offre et de la demande. La surcapacité de raffinage qui est apparue lors des deux ou trois dernières années a conduit à un effondrement de la marge brute de raffinage. Le secteur est engagé dans un vaste mouvement de restructuration. Sur la centaine de raffineries existant aujourd’hui en Europe, une quinzaine vont fermer dont, en France, celles de Dunkerque et de Reichstett.

M. Daniel Paul. Les salariés des raffineries, notamment de la Basse Seine, s’inquiètent moins de la baisse de la consommation d’essence et de gazole, largement imputable aux progrès réalisés sur les voitures, que d’un éventuel repositionnement du raffinage au niveau mondial. En effet, un certain nombre de raffineries vont s’installer au Moyen-Orient et en Extrême-Orient. Les pétroliers nous expliquent qu’il s’agit de se placer plus près des marchés nouveaux, dans des pays où se développe notamment l’usage de l’automobile. Or on sait que transporter par bateau du pétrole ou des produits raffinés ne soulève aujourd’hui aucune difficulté et que le coût du fret est extrêmement bas. De plus, les normes antipollution dans un certain nombre de pays, du Golfe ou d’ailleurs, sont moins exigeantes qu’en Europe occidentale. Confirmez-vous cette tendance ? Ne vient-elle pas s’ajouter aux menaces qui pèsent, ou se réalisent déjà, sur nos raffineries ?

M. Jean-Louis Schilansky. L’activité de raffinage accomplit effectivement un mouvement vers l’Est, qui revêt un double aspect : d’une part, les pays producteurs, comme l’Arabie Saoudite, souhaitent posséder leurs propres raffineries sur leur sol ;d’autre part, les pays émergents, comme la Chine et l’Inde, veulent aussi disposer de leurs propres unités de raffinage pour alimenter leur propre marché. Ce mouvement dépend des États : ils y voient un enjeu stratégique et sont prêts à investir pour des raisons à la fois économiques et politiques.

Quant aux normes antipollution de ces nouvelles raffineries, elles ne sont pas inférieures aux nôtres.

Nous ne pouvons résister à ce mouvement, qui ne dépend pas des compagnies pétrolières mais des seuls États. Il provoque une surcapacité mondiale de raffinage et donc la dépression des marges que j’ai signalée.

M. Daniel Paul. D’où la perspective d’autres fermetures de raffineries sur le territoire français ?

M. Jean-Louis Schilansky. Je peux seulement vous répondre que toutes les raffineries sont aujourd’hui soumises à une très forte pression et font l’objet d’analyses très fines sur leur avenir, leur rentabilité et leurs avantages compétitifs.

Une des raffineries françaises a déjà été fermée. Une autre le sera prochainement. Total restructure celle de Gonfreville. Je ne peux pas aujourd’hui indiquer si, après cet effort de rationalisation considérable, il est prévu d’autres fermetures.

M. Jean-Louis Gagnaire.  L’industrie chimique ne doit-elle pas être intégrée dans l’analyse ?

M. Jean-Louis Schilansky. Je ne peux pas répondre à cette question.

S’agissant de la part régionale de la TIPP, elle a bel et bien évolué dans un certain nombre de régions. Les montants que nous indiquons correspondent bien à la moyenne pondérée au 1er janvier. Par ailleurs, nous disons, non que l’augmentation du prix de l’essence est due à celle de la part régionale de la TIPP, mais que c’est l’un des facteurs qui y a contribué

Le peak oil, le moment après lequel la production de pétrole ne pourra que diminuer, s’éloigne sans cesse dans le temps. En effet, non seulement la consommation s’est relativement stabilisée, mais les découvertes ne cessent de se multiplier : elles concernent bien sûr les hydrocarbures de roche, mais aussi des gisements offshore – des prospections sont en cours au large du Brésil et de la Guyane. L’augmentation des prix a entraîné un renouvellement considérable de l’exploration pétrolière. Personne aujourd’hui n’est capable de calculer la date du « pic ». En 1970, on pouvait entendre que les ressources en pétrole seraient asséchées en 2001. Il n’y a pas si longtemps, nous estimions que nous disposions de trente années de réserves prouvées et de trente années de réserves probables, ce qui nous amenait aux années 2040 et 2070. Aujourd’hui, je ne suis pas capable de fixer une date, je peux juste dire que celle du peak oil s’est éloignée, sous l’effet de la stabilisation de la consommation mondiale, de l’intensité de l’activité d’exploration et de la permanence des découvertes.

À notre avis, la catastrophe japonaise aura probablement pour conséquence une augmentation de la consommation de gaz. Celui-ci sera l’énergie alternative pour la production d’électricité car on ne reviendra sans doute pas au fioul lourd. Dès lors, compte tenu d’une utilisation accrue du gaz, le prix de celui-ci devrait augmenter et les cours du marché spot devraient rattraper ceux de contrats à long terme.

Aucune raison ne justifie que le prix de l’essence et du gazole, issus du même baril, soient différents. Des études montrent une équivalence moyenne sur plusieurs années entre ces prix hors taxes. Certes, il existe des variations saisonnières ; si, à ce jour, le prix de l’essence hors taxe est légèrement moins élevé que celui du gazole, il le rejoindra au printemps quand les déplacements aux États-Unis deviendront plus nombreux. Globalement, la seule raison de la différence de prix à la pompe entre l’essence et le gazole tient au différentiel de TIPP.

En ce qui concerne les biocarburants, nous en incorporons actuellement près de 10 % dans l’essence et dans le gazole. Ils ont pour avantages majeurs d’être liquides et renouvelables. En revanche, leur intérêt environnemental est en question. Sur la base des technologies actuelles, ils sont aussi plus chers que les carburants issus de ressources fossiles, ce qui accroît d’autant le prix final du carburant. Enfin, certains d’entre eux sont en concurrence avec l’alimentaire. Nous disons donc oui à des biocarburants, mais de deuxième ou troisième génération, qui ne viendront pas en concurrence avec l’alimentaire.

Environ 500 stations services ferment chaque année. Ces fermetures sont dues aussi bien à des raisons économiques qu’à d’autres raisons comme l’absence de repreneur ou la nécessité de se conformer à de nouvelles normes environnementales. Le mouvement de fermeture est donc très largement inéluctable.

La France comptait beaucoup plus de stations que les autres pays européens. À l’heure actuelle, leur nombre au kilomètre carré y est toujours supérieur à celui de la Grande-Bretagne ou à celui de l’Allemagne : nous ne connaissons donc pas une « désertification » supérieure à celle des autres pays européens. En revanche, pour inquiétante qu’elle soit, la tendance est difficile à contrer. Le fait d’avoir retardé l’application de mesures environnementales donne certes une « bouffée d’air », mais il n’en reste pas moins que, pour lutter contre ce phénomène, il faudra faire preuve d’innovation : cela peut consister à installer des stations automatiques dans certaines zones.

M. William Dumas. Des distributeurs indépendants – et non les grandes compagnies – se sont déjà engagés dans cette voie.

M. Jean-Louis Schilansky. C’est vrai, avec l’aide du Comité professionnel des carburants. Cela dit, il n’y aura pas de solution globale, il faudra trouver des solutions au cas par cas. Outre les stations automatiques, on peut penser à des points de vente dont l’équilibre financier serait obtenu par le rassemblement de plusieurs activités. En tout cas, c’est un problème très difficile à résoudre.

S’agissant de la situation du port de Marseille, elle est pour nous – je le dis clairement – insupportable. Les grèves à répétition ont coûté des dizaines, voire des centaines de millions d’euros. C’est un désavantage compétitif pour le raffinage français. Nous souhaitons profondément une normalisation de la situation, d’autant que le port de Marseille alimente plus de 40 % de l’approvisionnement français. Nous travaillons beaucoup avec les autorités à la privatisation partielle du port, en espérant ainsi résoudre la très grande difficulté qu’il nous cause.

La question de ce que j’appellerai les hydrocarbures de roche – gaz et huile de schiste – est très délicate et émotionnelle.

Plusieurs compagnies ont détecté en France un potentiel géologique de production d’huile et de gaz de schiste : essentiellement en région parisienne pour l’huile ; dans le Sud-Est de la France – près du Rhône, dans la région de Montélimar notamment – pour le gaz. L’obtention de permis par ces compagnies a créé une émotion considérable étant donné les dommages que l’exploitation de ces hydrocarbures pourrait causer à l’environnement. Certes, nous ne nions pas l’existence de difficultés, mais les risques environnementaux nous semblent exagérés : je crois pouvoir dire qu’ils sont maîtrisables.

Ce que nous demandons aujourd’hui, et qui nous paraît essentiel, c’est de pouvoir explorer, forer – de façon traditionnelle comme à l’habitude, c’est-à-dire sans faire courir un risque environnemental –, pour évaluer le potentiel. Aujourd’hui, on se jette à la figure des anathèmes, alors même que nous ignorons si la géologie offre ou non un potentiel. Une fois celui-ci déterminé, nous définirons avec les pouvoirs publics et tous ceux qui sont concernés les conditions acceptables de son exploitation. Il est hors de question de détruire l’environnement !

Une image épouvantable est injustement projetée de ce qui s’est passé aux États-Unis. En réalité, il y a là un bouleversement de la donne énergétique, non seulement aux États-Unis mais aussi dans le monde. Si la géologie en France est favorable, il serait dommage de se priver des ressources qu’elle pourrait offrir sans même les avoir vérifiées. C’est le seul message que je veux délivrer aujourd’hui. Je dis simplement « donnez-nous la permission de regarder ».

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. On apprend ce matin que l’eau potable à Tokyo est polluée. Devant un message aussi lourd, est-il déraisonnable de vouloir d’abord vérifier si les technologies qui seront mises en œuvre respecteront le principe de précaution et les exigences relatives à l’environnement ?

M. Jean-Louis Schilansky. L’eau potable ne sera pas polluée ! Nous savons manier depuis longtemps les techniques de forage à travers la nappe phréatique sans risque de pollution.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est ce genre de propos que tenaient il y a encore cinq ou six jours les opérateurs de la société exploitant la centrale japonaise…

M. Jean-Louis Schilansky. Contrairement à ce qui a été dit, l’exploitation des hydrocarbures de schiste ne touchera en rien la nappe phréatique. Nous procéderons au forage à travers celle-ci de la même façon que nous procédons pour toutes les activités de forage.

M. le président Serge Poignant. Peut-être faut-il opérer une distinction entre l’exploitation de gaz de schiste et celle de schistes bitumineux. L’expérience de l’Alberta a montré les conséquences nocives de l’exploitation de schistes bitumineux sur l’environnement.

M. Jean-Louis Schilansky. Vous avez raison, monsieur le président. L’exploitation de schistes bitumineux est radicalement différente de celle dont nous parlons aujourd’hui : elle consiste d’abord à gratter le sol pour recueillir des schistes bitumineux et ensuite à en extraire le pétrole. Je reconnais qu’il y a beaucoup à dire sur ce sujet.

En revanche, l’exploitation d’hydrocarbures de schistes ne ramène pas de bitume à la surface. Elle s’opère par un forage traditionnel, qui permet de rechercher l’hydrocarbure dans la roche. Les techniques utilisées sont vraiment éprouvées.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous faites d’abord éclater la roche !

M. Jean-Louis Schilansky. Non, nous la fissurons.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’eau à haute pression que vous utilisez pour cela doit bien s’écouler quelque part !

M. Jean-Louis Schilansky. On est à 3 000 mètres de profondeur. Une fois la roche écartée et l’hydrocarbure libéré, nous sommes dans les conditions d’une exploitation traditionnelle.

La question de fond, que vous avez posée, c’est de savoir si on choisit d’abord de définir toutes les précautions indispensables – je ne suis pas sûr que ce soit possible – ou d’examiner le potentiel. Nous, nous disons regardons le potentiel en même temps que nous définissons les précautions.

Cela dit, deux missions ont été mandatées : une mission administrative, qui rendra ses conclusions dans quelques semaines ou quelques mois : une mission d’information parlementaire, créée par votre Commission du développement durable. Toutes deux effectuent un travail très sérieux. Leurs conclusions vous apporteront des informations en nombre considérable, et d’une qualité sans doute bien meilleure que celle que je peux vous fournir aujourd’hui.

M. le président Serge Poignant. Monsieur le président, merci beaucoup pour vos propos et la qualité du document que vous nous avez remis.

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur sur la proposition de loi visant à renforcer durablement la compétitivité de l’agriculture française (n° 3198).

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 23 mars 2011 à 10 h 15

Présents. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Jean Auclair, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Michel Couve, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Albert Facon, M. Daniel Fasquelle, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Bernard Gérard, M. Pierre Gosnat, Mme Pascale Got, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, Mme Conchita Lacuey, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Michel Lefait, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Guen, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Louis Léonard, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, Mme Josette Pons, Mme Anny Poursinoff, M. Jean Proriol, M. Michel Raison, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues

Excusés. - M. Jean-Pierre Decool, M. Louis Guédon, Mme Laure de La Raudière, M. Michel Lejeune, M. Jean-Claude Lenoir, M. Bernard Reynès, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Claude Flory, M. Lionnel Luca