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Commission des affaires économiques

Mardi 3 mai 2011

Séance de 17 heures 00

Compte rendu n° 64

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Examen de la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers (n° 3326)

La commission a examiné la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers (n° 3326).

M. le président Serge Poignant. Cette proposition de résolution, adoptée le 12 avril dernier par la commission des affaires européennes sur le rapport de M. Hervé Gaymard, porte sur un sujet important : la production laitière est la première production agricole de l'Union européenne, et la France y tient la deuxième place derrière l'Allemagne.

On ne peut que se réjouir que la Commission européenne ait pris l’initiative d’une proposition de règlement pour tirer les leçons de la très grave crise traversée par le secteur laitier en 2009. Elle répondait ainsi à une demande de longue date de la France, désireuse de stabiliser un secteur très vulnérable qui sera en outre confronté en 2015 à la fin des quotas laitiers.

Cette démarche de la Commission européenne fait au reste écho aux mesures que nous avons récemment adoptées dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture (LMA), tant en matière de contractualisation qu’en ce qui concerne le rôle des organisations interprofessionnelles – notre collègue Michel Raison était déjà rapporteur de ce texte.

Je précise qu'aucun amendement n'a été déposé sur la proposition de résolution.

M. Michel Raison, rapporteur. Présentée par la Commission européenne en décembre 2010, la proposition de règlement sur les relations contractuelles dans le secteur du lait est actuellement en discussion au Parlement européen et au Conseil.

Notre Commission a déjà débattu de la situation du secteur laitier en novembre 2009, et adopté une proposition de résolution, également présentée par Hervé Gaymard, qui demandait notamment une modification du droit européen de la concurrence afin d’instaurer des relations plus équilibrées entre producteurs et transformateurs. Tel est précisément l'objet de la proposition de la Commission.

Marquée par un effondrement des prix européens du lait qui a placé en grande difficulté les producteurs dans de nombreuses régions, la crise laitière de 2008-2009 a mis en évidence les fragilités du secteur et la nécessité de réfléchir à son avenir. Les facteurs de vulnérabilité sont, en effet, nombreux.

Le secteur laitier souffre, tout d’abord, de fortes rigidités. En premier lieu, l'offre ne peut augmenter que dans la proportion permise par la physiologie des animaux. D’autre part, le lait lui-même n'est pas stockable : seuls le beurre et la poudre de lait le sont – les pâtes pressées cuites peuvent certes être considérées comme stockables, mais les stocks « tournent » régulièrement, de sorte qu’ils ne constituent pas des stocks de surplus. Enfin, la demande est peu élastique.

Ces contraintes contribuent à une forte volatilité des prix : les produits industriels qui s'échangent au niveau international, à savoir le beurre et la poudre de lait, constituent des variables d'ajustement en cas de déséquilibre et, de ce fait, un des principaux facteurs de la constitution du prix.

Après avoir fortement augmenté, les prix mondiaux se sont effondrés en 2008, en raison notamment d’une forte réduction de la demande. La production européenne étant restée stable, les prix du lait et des produits laitiers se sont également effondrés dans l'Union.

Le secteur du lait se caractérise, en outre, par un déséquilibre des pouvoirs de marché entre les producteurs et les acheteurs dans de nombreux pays européens. En France, on compte ainsi environ 85 000 exploitations pour 540 entreprises de collecte et 70 % des éleveurs dépendent d’un acheteur en relation avec 500 autres fournisseurs, en moyenne. De plus, moins de la moitié de la collecte est le fait de coopératives alors qu’au Danemark ou aux Pays-Bas notamment, un seul groupe coopératif domine le secteur de la transformation. Du fait de cette situation déséquilibrée, le « risque prix » pèse entièrement sur l'amont de la filière.

Enfin, le secteur souffre d’une volatilité des prix encore plus forte que pour d'autres productions agricoles.

Jusqu'à la fin des années 1990, le marché européen était protégé des variations de prix mondiales par des mécanismes de régulation mis en œuvre dans le cadre de l'organisation commune de marché (OCM) « lait ». Cette régulation portait d’abord sur les volumes, au travers des quotas laitiers, institués en 1984 pour lutter contre la surproduction, mais aussi au moyen des mesures de stockage, public ou privé, qui avaient été maintenues – les stocks de poudre et de beurre étaient considérables lorsque les quotas ont été instaurés –, et des aides à l'exportation et à la consommation, mises en œuvre en cas de surproduction. L’action portait également sur les prix : au prix indicatif, représentant ce que le Conseil estimait être le juste prix payé aux producteurs, s’ajoutaient un prix d'intervention sur le beurre et la poudre de lait, et un prix de seuil, qui constituait un prix minimum d'exportation.

À partir de la fin des années 1990, plusieurs réformes ont peu à peu supprimé ces instruments de régulation : le prix de seuil a été abandonné en 1999, tandis que le prix indicatif et le prix d'intervention ont fait l’objet d’un encadrement, puis de nouvelles restrictions ont été adoptées lors de la réforme de la PAC de 2003, conduisant à une baisse supplémentaire des prix d'intervention. Les périodes d'intervention et les volumes concernés ont, en effet, été limités. La réforme de 2008 a mis fin au prix indicatif. Si l'intervention sur le beurre et la poudre de lait a été maintenue, elle a été strictement encadrée. La suppression des quotas laitiers à l'horizon de 2015 a été décidée dès 2003, malgré l'opposition de la France, et elle a été confirmée en 2008 dans le cadre du bilan de santé de la PAC, qui prévoit un « atterrissage en douceur », avec une augmentation des quotas de 1 % pendant cinq ans à compter du 1er avril 2009.

La proposition de règlement de la Commission européenne vise à rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs, en reprenant plusieurs recommandations du groupe d’experts de haut niveau constitué en octobre 2009 pour réfléchir à l'avenir du secteur et le préparer à la suppression des quotas. La France a beaucoup œuvré à cette évolution et je salue l'action du ministre de l'agriculture, qui s'est fortement engagé pour que l'Union européenne tire les leçons de la crise laitière en matière de droit de la concurrence et de régulation des marchés.

Cette proposition concerne donc, tout d'abord, les relations contractuelles : elle tend à autoriser la conclusion de contrats de livraison de lait entre les producteurs et les transformateurs, en laissant les Etats membres libres de décider si ces contrats seront obligatoires ou non. Dans l’affirmative, ils devront comprendre des clauses relatives au prix à payer – fixe ou variable en fonction de facteurs qui devront alors être impérativement établis par le contrat –, au volume, au calendrier de livraison, à la durée de validité du contrat, qui peut être conclu pour une durée indéterminée et être assorti de clauses de résiliation. Je précise que les coopératives ne seront pas obligées de recourir à des contrats.

On peut souligner, à ce stade, la convergence entre la proposition de règlement et les dispositions adoptées en France, dans le cadre de la LMA, avec le même objectif de renforcer la transparence, la stabilité et la visibilité au profit des producteurs.

En application de l'article 12 de la LMA, le décret du 30 décembre 2010 rend ainsi obligatoire la contractualisation entre les producteurs de lait et les acheteurs à compter du 1er avril 2011. D’une durée minimale de cinq ans, les contrats doivent comporter des clauses relatives au volume, aux caractéristiques du produit, aux modalités de collecte et de livraison, aux critères et aux modalités de détermination du prix, ainsi qu’aux modalités de paiement, de révision et de résiliation. La proposition de la Commission européenne valide donc l'approche française.

Les producteurs considèrent que la date du 1er avril est quelque peu précipitée, et ils ne sont pas tout à fait d’accord avec le résultat des négociations interprofessionnelles. J’y reviendrai, mais je tiens à indiquer dès maintenant que si le ministre a souhaité une date aussi rapprochée, c’était pour favoriser les négociations européennes relatives aux règles de concurrence.

Un deuxième point très important de la proposition de règlement est le renforcement du pouvoir de négociation des producteurs : ils pourront se regrouper sur une base plus large, par exception au droit de la concurrence qui interdit les accords d'entreprises incluant la fixation de prix. La négociation collective des contrats par le biais d'organisations de producteurs reconnues sera ainsi autorisée, qu'il y ait ou non transfert de propriété.

Je précise que la taille de ces organisations sera encadrée par une double limite : elles ne devront pas dépasser 3,5 % de la production totale de l'Union et 33 % de la production nationale totale. Le fait que la notion de marché pertinent soit définie en fonction de plafonds fixes, et non plus au cas par cas, renforce grandement la sécurité juridique.

Le Gouvernement a annoncé qu'il publierait un décret sur ces organisations de producteurs dès l'adoption de la proposition de règlement.

Celle-ci porte ensuite sur le rôle des organisations interprofessionnelles, déjà reconnues, dans le cadre de la PAC, dans les secteurs du vin et des fruits et légumes. Il est proposé d'étendre au secteur du lait les règles applicables au second. Certains accords et certaines pratiques concertées pourront alors être considérés comme compatibles avec les règles de concurrence par la Commission européenne – à l’exclusion des accords de fixation de prix ou de partage du marché.

Ici encore, je tiens à souligner la convergence entre la proposition de règlement et les réformes adoptées dans le cadre de la LMA : dans les deux cas, les organisations interprofessionnelles se voient reconnaître un rôle élargi. Grâce à la proposition de règlement, elles pourront mener des activités « d'amélioration de la connaissance et de transparence de la production et du marché, au moyen, notamment, de la publication de données statistiques relatives au prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus pour la livraison de lait cru, ainsi que la réalisation d'études sur les perspectives d'évolution du marché au niveau régional ou national ». La LMA autorisait, quant à elle, les organisations interprofessionnelles à « élaborer et diffuser des indices de tendance des marchés ».

La proposition de règlement apporte, enfin, une première réponse aux recommandations du groupe de haut niveau en matière de renforcement de la transparence. La Commission demande, en effet, une communication mensuelle des quantités de lait collectées.

À bien des égards, cette proposition représente donc un progrès dans le sens d'une plus grande stabilité et d'une meilleure visibilité au bénéfice des producteurs.

La proposition de résolution, quant à elle, comporte sept points.

Le premier est pour saluer l'évolution de la Commission européenne, qui reconnaît désormais la nécessité d'adapter le droit de la concurrence aux spécificités du secteur laitier que j’ai déjà évoquées : la rigidité de l'offre et de la demande, le déséquilibre du marché entre les producteurs et les acheteurs, la forte volatilité des prix. Cette évolution est particulièrement importante pour la France, du fait de l'organisation de sa production. Les pays nordiques, tels que le Danemark et les Pays-Bas, sont moins concernés compte tenu de la présence historique de coopératives presque monopolistiques sur leur territoire.

Le deuxième point consiste à souligner que les propositions relatives aux relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, au pouvoir de négociation des producteurs, au rôle des organisations interprofessionnelles et à la transparence du marché du lait contribuent au rééquilibrage des relations entre les différents acteurs de la filière. Plusieurs de ces propositions vont dans le même sens que les mesures adoptées dans le cadre de la LMA, qu’il s’agisse de la contractualisation ou du rôle des organisations interprofessionnelles.

En troisième lieu, la proposition de résolution demande que les États membres puissent imposer une durée minimale de contrat et de préavis de rupture, dans le respect du principe de subsidiarité et dans l'objectif de sécuriser les acteurs de la filière. Il faut en effet une durée compatible avec celle du cycle de la production laitière et avec les contraintes d’investissement des producteurs et des entreprises de transformation – en France par exemple, cette durée est fixée au minimum à cinq ans.

Le quatrième point concerne la régulation des volumes pour les produits sous signe de qualité – appellation d'origine contrôlée (AOC) ou indication géographique protégée (IGP). Ces produits sont souvent issus de zones défavorisées ou bien de zones de montagne confrontées à des difficultés de collecte. Dans tous les cas, la sauvegarde de ces régions passe par la valorisation. Or, elles vont se trouver fragilisées avec la fin des quotas : la libéralisation du secteur profitera aux régions les plus compétitives. La mesure proposée aurait un intérêt tout particulier pour la France, premier pays producteur de lait de montagne.

En cinquième lieu, la proposition de résolution prévoit que la Commission fasse le point, en 2014 et en 2018, dans le cadre des rapports d'évaluation sur le développement du marché laitier, sur la pertinence des seuils fixés pour les organisations de producteurs.

Le sixième point aborde la question de la régulation. La proposition de règlement ne reprend que certaines des recommandations du groupe de haut niveau, les mesures de marché, l'innovation et la recherche devant être traitées dans le cadre de la réforme de la PAC post-2013. Parmi les mesures de marché, on observe que les actions de stockage ont permis d'améliorer la situation lors de la crise de 2009, quoique entreprises assez tardivement. On pourrait donc s'orienter vers des outils de stockage plus réactifs et plus flexibles – le stockage est actuellement limité tant en volume qu’en durée, cependant, comme nous avons pu le constater lors d’une rencontre avec des parlementaires allemands, ceux-ci considèrent que les outils de régulation doivent être utilisés uniquement en cas de crise, alors qu’en France nous sommes favorables à une approche préventive.

Le septième et dernier point évoque la possibilité de dérogations horizontales au droit de la concurrence dans d'autres filières agricoles.

Ce texte reconnaît donc les évolutions positives contenues dans la proposition de la Commission européenne tout en mettant l'accent sur les points qu’il conviendra d’approfondir dans le cadre de la réforme de la PAC. Je vous propose une adoption conforme.

M. Jean Gaubert. Sans retracer toute l’histoire de la filière laitière, je rappellerai que nous faisions face à des « montagnes » de poudre de lait et de beurre au début des années 1980, jusqu’à ce qu’un ministre courageux accepte en 1984 l’institution de quotas, comme dans les autres États membres. Ces quotas ont été très décriés, et certains d’entre nous – je n’en étais pas – sont allés manifester contre eux avec beaucoup de vivacité, voire de violence. Les mêmes parfois ont ensuite demandé qu’on n’y touche pas…

Nous devons maintenant prendre acte du fait que les quotas vont être abandonnés, avec l’accord du Gouvernement français – le rapporteur fait la part un peu trop belle à celui-ci en indiquant que notre pays a voté contre. Je crois savoir que cet abandon a été approuvé à l’unanimité…

M. le rapporteur. Je n’ai pas dit que la France avait voté contre, mais qu’elle n’y était pas favorable. 

M. Jean Gaubert. Seul le vote fait foi. Or, il est incontestable.

Certains, dont j’étais, ont alors prédit une désorganisation complète. Dans ma circonscription, certains responsables agricoles m’ont traité de démagogue, mais le démagogue n’était pas forcément celui qu’ils croyaient. Nous avons ensuite connu la crise laitière et son accentuation – la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a sans doute commis quelques excès de zèle au nom de la concurrence.

Force était de constater que la situation ne pouvait plus durer. La LMA a donc inventé la contractualisation, aujourd’hui reprise par la Commission européenne. C’est une avancée, mais il nous faudra rester très vigilants : la négociation collective des contrats ne saurait, en aucune façon, consister à fixer un prix correspondant au prix de revient des producteurs. Leur revenu pourra certes être lissé sur une longue période, sous certaines conditions, mais on aurait tort de croire que le nouveau dispositif suffira à l’augmenter dans des proportions significatives.

On sait très bien, par exemple, que certains pays n’ont pas l’intention de l’utiliser. En période de surproduction et en l’absence d’instruments de gestion de marché, on ne pourra pas interdire à la grande distribution française de s’approvisionner en lait moins cher sur les marchés d’autres États membres. Ils s’abstiendront si la crise ne dure pas mais, dans le cas contraire, la concurrence qui règne entre eux finira immanquablement par les conduire à cette solution. Comme l’a indiqué le rapporteur, il faudra par conséquent rétablir certains instruments de régulation du marché.

Ce sera plus facile à dire qu’à faire. Pour le lait, comme pour d’autres produits, il faudra en particulier que nous disposions de moyens d’évaluer les stocks. En effet, la spéculation est souvent liée au défaut de connaissances sur ce point. On observe même des phénomènes d’intoxication : pour faire monter les prix, on prétend faussement qu’il ne reste plus rien, quitte à dire le contraire à d’autres périodes, ce qui joue dans les deux cas contre les producteurs.

Cette proposition de résolution, qui a déjà fait l’objet d’un débat au sein de la commission des affaires européennes, va plutôt dans le bon sens ; néanmoins, je le redis, il serait faux de croire qu’elle permettra d’augmenter notablement et durablement le revenu des producteurs. Ceux qui penseraient que nous sommes parvenus au bout des efforts nécessaires pour restaurer une politique européenne plus coordonnée et plus régulée se tromperaient tout autant. Si je puis recourir à une formule bien connue, « la route est droite, mais la pente est rude » – elle l’est même de plus en plus.

Mon groupe votera la proposition de résolution, sans accorder pour autant un blanc-seing au Gouvernement. Si celui-ci a pesé à Bruxelles, il n’a pas été le seul à le faire, et nous devons aussi veiller à donner un encouragement au commissaire européen, que nous recevrons prochainement. L’inflexion qu’il cherche à donner à la politique agricole européenne nous satisfait plus que les positions de la précédente commissaire qui, si l’un de ses conseillers lui avait remis une note visant à renforcer la régulation, s’en serait servie pour allumer son poêle !

M. le président Serge Poignant. Comme nous en sommes convenus lors de notre dernier déplacement à Bruxelles, nous recevrons M. Dacian Cioloş le 25 mai prochain, conjointement avec la commission des affaires européennes. Cela étant, il me semble d’autant plus nécessaire de soutenir la France et son Gouvernement qu’il reste des progrès à faire.

M. Claude Gatignol. Je commencerai par féliciter le rapporteur et le remercier d’avoir réussi à rendre compréhensible un texte passablement technocratique. Notre groupe adoptera bien évidemment la position qu’il nous suggère.

J’aurai cependant deux questions. La première concerne les futurs contrats, applicables à tous les producteurs de lait. La plus grande difficulté tiendra, sans doute, au fait que le prix sera fixé pour une durée de cinq ans : il ne faut qu’il puisse devenir dissuasif pour un acheteur, transformateur ayant accès au marché mondial, et au marché européen en particulier. Sans renier la notion de contrat, ni l’idée que cet instrument est fait pour protéger le revenu des agriculteurs, quels mécanismes d’adaptation peut-on envisager ? Ne plaçons pas les agriculteurs dans une situation qui les empêcherait de vendre leur production !

J’observe, par ailleurs, que les coopératives et les sociétés privées cohabitent chez nous. Or, le système coopératif est déjà quasiment placé sous l’empire du contrat, le producteur étant lié à sa coopérative. Comment se fera la nouvelle articulation ? Ne risque-t-on une discrimination entre les producteurs selon les catégories d’acheteurs ?

M. Jean Dionis du Séjour. Sans être un grand spécialiste du marché laitier, je trouve intéressant que la question de la contractualisation soit désormais traitée au niveau de l’Union. Depuis la LMA, nous sommes bien placés pour savoir qu’il n’est pas simple de faire vivre ces contrats sur le terrain et ce « cadrage » européen me semble donc utile.

J’aimerais savoir, pour ma part, ce que le rapporteur pense de l’alinéa 6 : est-il vraiment important que la durée minimale du contrat et du préavis de rupture soit établie au niveau des États membres plutôt qu’à celui de l’Union ?

Je m’interroge, en outre, sur la compatibilité entre l’alinéa 7, qui « souligne la nécessité de prévoir des dispositions ouvrant aux interprofessions ou aux opérateurs gérant des appellations d’origine protégée et des indications géographiques protégées la possibilité de mener une action de régulation de volumes », et les dispositions du traité relatives à la concurrence. En quoi ces actions peuvent-elles consister si elles ne concernent pas l’organisation du marché par les parties elles-mêmes ?

M. André Chassaigne. Le premier objet de cette proposition de résolution européenne est d’accorder un satisfecit à la Commission pour son travail sur la mise en œuvre de la contractualisation et sur la réforme du marché du lait dans l’Union européenne. Elle vise aussi à valoriser le travail de lobbying de la France, qui a porté ce dossier au niveau européen après la crise des prix du lait en 2009 et l’adoption de la loi de modernisation agricole – il s’agissait de faire entrer dans le droit européen certaines dispositions, notamment la contractualisation, le renforcement des interprofessions et la reconnaissance des organisations de producteurs.

Ce texte a le mérite de souligner que de trop nombreux points sont laissés en suspens – c’est le cas, en particulier, des productions laitières sous signe officiel de qualité et des instruments de régulation –, mais la proposition de règlement de la Commission comporte en réalité très peu d’avancées concrètes en faveur des producteurs s’agissant de la contractualisation : l’exposé des motifs indique clairement qu’elle revêtira un caractère facultatif pour les États membres. Les coopératives seront, en outre, dispensées d’élaborer des contrats sous réserve que leurs relations avec les sociétaires producteurs soient régies par des dispositions similaires. Or il faut savoir qu’un groupe français tel que Sodiaal est une coopérative !

J’en viens à trois aspects de l’exposé des motifs que mon groupe considère comme déterminants.

Selon la Commission, « l’existence, sur une longue période, d’une politique de fixation de quotas et de prix officiels élevés (…) a souvent eu pour effet d’inhiber l’adaptation structurelle ». En d’autres termes, la Commission regrette qu’il n’y ait pas eu suffisamment de suppressions d’exploitations, et que la PAC n’ait pas été suffisamment performante dans la concentration de la production sur des territoires compétitifs.

Elle considère, par ailleurs, que les acteurs de la chaîne de production ont été « insensibles aux signaux qui auraient dû les conduire à réagir aux mouvements du marché ». Ce texte repose donc sur une approche économique axée sur les seuls marchés, au mépris de la spécificité des territoires.

J’observe, en dernier lieu, l’insistance de la Commission sur l’innovation et les gains de productivité. Cela témoigne, une fois encore, du culte qu’elle voue à la productivité et à la concentration de la production autour des zones d’élevage intensif.

Malgré certains points intéressants tels que l’accent mis sur l’absence de dispositions relatives à la gestion des productions laitières sous AOC ou IGP – mais on aurait pu de même insister sur l’absence de référence aux productions laitières en zones de montagne ou de handicap –, je crains que cette proposition de résolution européenne ne serve de caution à une politique de libéralisation de tous les secteurs agricoles, défendue sans relâche par la Commission.

À mes yeux, ce texte est incomplet. Nous aurions souhaité des propositions politiques et un message beaucoup plus forts. C’est pourquoi le groupe GDR s’abstiendra.

M. Jean Proriol. Je tiens à féliciter le rapporteur, qui maîtrise parfaitement son sujet. Je regrette toutefois qu’il n’ait rien dit de l’état d’avancement de la contractualisation au 1er avril 2011, date à partir de laquelle les laiteries avaient l’obligation de proposer des contrats aux producteurs. Qu’en est-il des coopératives et, surtout, des exploitants qui ne sont affiliés à aucun groupement ? M. le rapporteur pourrait-il nous fournir des estimations quantitatives ?

Du reste, pourquoi certaines organisations agricoles s’opposent-elles à la signature de ces contrats qui semblent pourtant faire, par ailleurs, l’unanimité ? Existerait-il un meilleur moyen de combattre la volatilité des prix qui a été si préjudiciable aux agriculteurs l’année dernière ?

Mme Frédérique Massat. Nous ne pouvons qu’approuver l’alinéa 4 où l’on « se félicite que la Commission européenne reconnaisse désormais la nécessité d’adapter les règles du droit de la concurrence aux spécificités de la filière laitière ». Une brèche est ouverte : elle profite aujourd'hui à la filière laitière : peut-être, demain, bénéficiera-t-elle à d’autres, non seulement en agriculture mais dans d’autres secteurs également.

S’agissant de l’alinéa 7, relatif aux interprofessions et aux opérateurs gérant des appellations d’origine protégée et des indications géographiques protégées, je regrette, moi aussi, que la rédaction proposée ne soit pas plus volontariste. La proposition de résolution « souligne la nécessité de prévoir » des dispositions : elle aurait dû directement « demander de prévoir » ces dispositions.

Par ailleurs, si le dispositif de la Commission européenne constitue une réelle avancée, il risque d’introduire, du fait de son caractère facultatif, un déséquilibre entre les États membres de l’Union européenne, d’autant que les quotas disparaîtront en 2015.

Le rapporteur a évoqué la transparence : elle est en effet nécessaire pour suivre les évolutions du marché, d’où l’intérêt des informations que les transformateurs doivent fournir aux États membres, puis ces derniers à la Commission. Cependant, ces données sont sensibles sur le plan commercial : comment la France compte-t-elle en organiser le recueil ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Nous ne pouvons en effet que nous féliciter que « la Commission européenne reconnaisse désormais la nécessité d’adapter les règles du droit de la concurrence aux spécificités de la filière laitière ». Ne sommes-nous pas toutefois dans le cadre d’une simple déclaration d’intention ? Comment passer à la phase de concrétisation ? A-t-on élaboré une stratégie à cet effet ? L’audition du commissaire européen à l’agriculture par notre Commission sera sans doute, de ce point de vue, pleine d’intérêt.

Mme Annick Le Loch. Cette proposition de résolution va assurément dans le bon sens pour lutter contre la volatilité des prix du lait. J’aurais toutefois préféré que ce fût l’Union européenne qui décidât la première d’instaurer des instruments de régulation. Or cette proposition de règlement, selon vos termes, monsieur le président, « fait écho » à la contractualisation qui est la mesure-phare de la LMA. Est-il bien cohérent d’adopter la présente proposition de résolution européenne après avoir validé cette contractualisation dans le cadre français ?

Par ailleurs, la Commission limite les volumes de lait pouvant faire l’objet de la contractualisation à 3,5 % de la production totale du lait de l’Union européenne et à 33 % de la production totale de chaque État membre, cela au motif de ne pas affecter la libre concurrence. Ne conviendrait-il pas de relever ces plafonds ?

Enfin, dans l’alinéa 9, l’Assemblée appelle à compléter la proposition de règlement par l’élaboration d’« instruments de régulation de marché flexibles et réactifs dans le cadre des discussions sur la politique agricole commune après 2013 ». Qu’entend-on exactement par « flexibles et réactifs » ? Mais la question est peut-être prématurée…

M. Jean-Claude Flory. Je me félicite que la position de la France l’ait emporté au niveau européen. C’est le fruit d’un travail intense, au service des producteurs de lait qui ont vécu une situation très difficile ces dernières années et qui ne bénéficient aujourd’hui que d’une amélioration conjoncturelle des cours.

Toutefois, cette victoire est à durée déterminée, en raison des négociations programmées pour 2013. Aussi a-t-on raison d’insister, à l’alinéa 9, sur la nécessité d’« instruments de régulation de marché flexibles et réactifs » qui ont fait leurs preuves par le passé. Il serait bon que la représentation nationale soit associée à leur élaboration : 2013, c’est demain et il convient d’anticiper tous ensemble cette échéance.

M. Jean Grellier. Je souhaite appeler l’attention sur les stratégies de certains groupes situés en aval de la filière, stratégies qui peuvent peser autant sur la production laitière que sur la réalité de la contractualisation.

Yoplait, qui appartenait au groupe coopératif Sodiaal, a été recapitalisé en 2002 par le fonds d’investissement PAI Investissement à hauteur de 70 millions d’euros. Or PAI négocie actuellement avec l’américain General Mills pour lui céder sa participation, avec une revalorisation du groupe Yoplait à hauteur de 1,6 milliard d’euros, soit un retour sur investissement de 800 millions d’euros pour PAI ! De plus, General Mills négocie avec Sodiaal la reprise de 1 % du capital de Yoplait pour devenir majoritaire au détriment du groupe coopératif.

On constate des projets similaires dans le secteur privé : ainsi le projet de rachat de Parmalat par Lactalis. Il est permis de s’interroger sur les conséquences qu’aura une telle concentration sur le partage de la valeur ajoutée et des marges qui peuvent en découler.

Compte tenu de la différence de poids économique entre les différents partenaires, quelle sera leur marge respective de négociation dans la contractualisation, objet de la présente proposition de règlement ?

M. le rapporteur. M. Gaubert a raison : la régulation ne sera pas chose aisée. Je ne conteste pas non plus le courage du ministre de 1984. Mais, s’agissant du démantèlement progressif de la politique agricole commune et de l’abandon des quotas, tous les gouvernements français, qu’ils soient de gauche ou de droite, se sont trouvés en minorité au niveau de l’Union : les négociations européennes sont difficiles et nous n’avons pas toujours réussi à convaincre une majorité de nos partenaires.

Pour ce qui est, monsieur Gatignol, de la différence de traitement entre les exploitants qui livrent leur production à une coopérative et ceux qui la livrent au privé, il ne saurait être question d’opposer terme à terme les deux systèmes : il existe de bonnes coopératives comme de mauvaises coopératives et il en est de même des laiteries privées. Si l’homme était sans défaut, les coopératives seraient sans doute le meilleur système. Il s’avère que tel n’est pas toujours le cas, ce que même M. Chassaigne semble avoir reconnu.

Monsieur Grellier, les très grosses entreprises situées en aval de la production constituent-elles nécessairement un danger pour cette dernière ? Je tiens à rappeler que des transformateurs trop nombreux ne pèsent pas lourd dans leurs négociations avec la grande distribution. C’est grâce à sa taille que Lactalis a pu récemment bloquer ses livraisons aux établissements Leclerc, qui ne représentent que 2 % de son chiffre d’affaires. Il faut savoir que même ces grosses entreprises – je citerai également Danone – rencontrent des difficultés dans leurs négociations avec la grande distribution, ce qui n’est pas le cas par exemple de Coca-Cola qui, ayant le monopole de son produit, pèse de tout son poids.

Qu’une entreprise de la taille et de la qualité de Lactalis ait la capacité de racheter Parmalat aux Italiens me semble préférable, pour notre pays, à la situation inverse. Du reste, Lactalis a l’habitude de traiter correctement ses producteurs. La concentration en aval de la filière ne m’inquiète donc pas particulièrement.

Monsieur Dionis du Séjour, s’agissant de l’alinéa 6, je rappellerai que nous nous plaignons souvent du caractère trop précis des directives européennes. Le fait que le principe de subsidiarité permette à chaque pays de fixer la durée du contrat qui lui semble la plus appropriée me semble une bonne chose. Je reste pour ma part, en ce qui concerne la France, favorable à la durée de cinq années.

Pour ce qui est de l’alinéa 7, il faut savoir que si certaines AOP réussissent déjà à réguler leurs propres productions – c’est le cas du comté, qui représente tout de même 50 000 tonnes –, elles sont toujours à la limite des règlements européens. Cet alinéa vise donc à obtenir une dérogation pour la régulation des volumes. Pour sauver nos AOP et nos IGP, il faut donner aux interprofessions concernées les moyens de réguler leur propre production. La production de 50 000 tonnes de comté permet de rémunérer les producteurs de lait à un prix élevé, que justifient, du reste, les charges importantes de ces derniers, alors qu’une production plus élevée ferait chuter ce prix.

En revanche, l’Europe nous refuserait une dérogation portant uniquement sur les zones de montagne ou les zones défavorisées.

M. Chassaigne s’est interrogé sur le caractère facultatif de la contractualisation : autant on peut imposer aux États membres de l’Union européenne des contraintes en matière de régulation, autant il me semble impossible d’imposer la contractualisation à certains, comme la Bulgarie.

Monsieur Proriol, il est vrai que les producteurs considéraient que l’échéance du 1er avril était prématurée : toutefois, je le répète, si le ministre a souhaité que la contractualisation laitière soit opérationnelle à cette date, c’est en vue de peser dans les négociations européennes.

C’est un fait : toutes les organisations agricoles ou presque sont en désaccord avec les modèles de contrat élaborés par les industriels, notamment avec des clauses qui pourraient représenter une forme d’intégration. Un médiateur a été nommé. Je tiens à souligner que si, depuis le 1er avril, un contrat doit être obligatoirement présenté par le premier acheteur, en revanche le producteur peut le refuser. J’ai rappelé aux producteurs auvergnats, que j’ai rencontrés récemment, que les fédérations de producteurs de lait doivent les conseiller avant toute signature. Ils ne doivent surtout pas signer des contrats qui les désavantageraient.

Quant à savoir si le prix fixé par le contrat pourrait inciter une entreprise de transformation à aller se fournir sur le marché européen, il convient de rappeler que les contrats ne sauraient prévoir, pour une durée de cinq années, de prix fermes et définitifs : ils n’établissent que les composants du prix.

M. Claude Gatignol. Les contrats sont vides, alors !

M. le rapporteur. Non ! Le prix du lait faisait déjà l’objet de négociations dans le cadre de l’interprofession, les industriels se plaignant, du reste, de payer en pleine crise le lait plus cher en France qu’en Allemagne, parce que le prix négocié était fondé sur des critères bien définis. La contractualisation ne fera qu’affiner ces critères, la base de la négociation restant la même.

Madame Massat, l’adaptation des règles du droit de la concurrence est déjà prévue, à des dates ultérieures, pour d’autres productions agricoles que le lait. Madame Le Loch, les plafonds fixés par l’Union européenne, que je préférerais également plus élevés mais sur lesquels je n’ai aucune prise, ne concernent que les organisations de producteurs non commerciales.

Enfin, il appartiendra au Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) de transmettre les informations relatives au marché. Du reste, il le fait déjà en publiant des statistiques annuelles sur la production, la collecte et la transformation du lait.

M. le président Serge Poignant. Je vous remercie, monsieur le rapporteur.

La Commission adopte à l’unanimité l’article unique de la proposition de résolution européenne sans modification.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 3 mai 2011 à 17 heures

Présents. - M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. Michel Raison, M. Francis Saint-Léger

Excusés. - M. François Brottes, M. Daniel Fasquelle, Mme Pascale Got, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, M. François Loos

Assistaient également à la réunion. - M. André Chassaigne, M. Jean-Claude Flory