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Commission des affaires économiques

Mercredi 19 octobre 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Serge Poignant Président

–  Présentation du rapport de la mission d’information sur le prix des matières premières (Mme Catherine Vautrin et M. François Loos, rapporteurs)

La commission a examiné les travaux de la mission d’information sur le prix des matières premières sur le rapport de Mme Catherine Vautrin et M. François Loos.

Monsieur le président Serge Poignant. Mes chers collègues, nous voici réunis pour procéder à l’examen du rapport d’information sur le prix des matières premières, qui conclut les travaux de la mission présidée par notre collègue Pascale Got et dont les rapporteurs sont Catherine Vautrin et François Loos.

Je rappelle que cette mission a été lancée en février dernier afin de participer à la réflexion menée dans le cadre de la présidence française du G20 sur les moyens de remédier à la hausse et à la volatilité des prix des matières premières. En effet, l’envolée des prix des matières premières (notamment énergétiques et agricoles) depuis le milieu de la décennie 2000, et la forte instabilité de leurs cours, sont une source de préoccupations majeures tant pour les pays producteurs que pour les pays consommateurs.

Outre la présidente et les rapporteurs, cinq commissaires composent la mission : MM. Yannick Favennec, Jean-Pierre Nicolas et Francis Saint-Léger pour le groupe UMP, M. Jean-Louis Gagnaire pour le groupe SRC, et M. Daniel Paul pour le groupe GDR.

Arrivée au terme de ses travaux, la mission pourra certainement répondre aux deux séries de questions suivantes : à quels facteurs peut-on attribuer l’instabilité des prix des matières premières ? Quelles solutions peuvent être préconisées pour améliorer le fonctionnement des marchés mondiaux de matières premières ?

Je laisse d’abord la parole à la présidente de la mission, Mme Pascale Got, puis aux co-rapporteurs.

Mme Pascale Got. La mission a conduit environ 90 auditions et a rencontré les plus hauts responsables des grandes places de marché, les principaux régulateurs, les dirigeants de grandes entreprises mondiales productrices et consommatrices (comme Rio Tinto, Rhodia, Eramet, Nexans…). Elle a également rencontré les spécialistes des marchés physiques et financiers, des représentants de la Commission européenne de la Banque mondiale, du FMI, de la FAO et de l’Agence internationale de l’énergie. L’angle adopté est international. C’est pourquoi la mission n’a pas traité les moyens d’atténuer les effets des fluctuations de prix sur l’économie nationale. Elle n’a pas non plus développé les questions liées à l’approvisionnement en matières premières, dans la mesure où la commission du développement durable présentera la semaine prochaine un rapport consacré à ce sujet.

Quelle est la situation actuelle sur les marchés de matières premières ? Au cours de la décennie 2000, les principales matières premières ont toutes connu une hausse importante des cours, qui s’est conjuguée à une très forte volatilité, à la hausse comme à la baisse.

Ainsi, le prix du baril de Brent de la mer du Nord a été multiplié par 7 entre 2000 et 2008 pour atteindre actuellement 110 dollars ; de même, le prix du gaz naturel a augmenté de près de 80 % sur le seul marché américain entre septembre 2007 et juin 2008, avant de connaître une forte baisse par la suite. Il en est allé de même pour les matières premières agricoles : ainsi, le cours du blé a fortement augmenté, de même que celui du maïs (la tonne étant passée de 155 euros en octobre 2006 à plus de 238 euros la tonne en juillet 2011) ou celui du coton. Citons également le cours de l’aluminium, qui est passé de 1 500 dollars au début de l’année 1998 à un peu plus de 2 500 dollars à la mi-2011.

Au cours de la période 2008-2011, les cours des matières premières ont baissé trois fois plus vite que lors d’un cycle moyen, en quatre fois moins de temps que d’habitude. Trois facteurs d’explication peuvent être avancés à cette évolution : le redressement plus vif que prévu de la demande mondiale ; la demande croissante des pays émergents, notamment de l’Asie, en produits de base ; la plus grande synchronisation des cours des matières premières avec les mouvements des marchés boursiers. Selon le FMI, ce phénomène s’explique principalement par le fait que l’ensemble des marchés présente une plus grande sensibilité à l’évolution économique générale.

Les explications à ces phénomènes sont en premier lieu d’ordre conjoncturel. Il s’agit notamment des phénomènes météorologiques, qui ont joué un rôle particulièrement important s’agissant des matières premières agricoles, qu’il s’agisse de la sécheresse en Russie, des inondations en Australie et aux Etats-Unis, les pluies au Pakistan et bien entendu l’accident nucléaire de Fukushima, qui a poussé certaines matières premières fossiles à la hausse.

Les raisons géopolitiques concernent plus particulièrement le pétrole, qui est produit à 90 % dans des pays présentant un risque politique – les troubles récents au Maghreb ont d’ailleurs fortement perturbé le marché – et qui est de surcroît soumis aux arbitrages de l’OPEP. Les matières premières agricoles sont également concernées, qu’il s’agisse du blé – la décision russe d’arrêter les exportations de céréales à l’été 2010 ayant entraîné une hausse des cours – ou du cacao. Enfin, le marché des terres rares a été concerné au premier chef par le différend territorial ayant opposé la Chine au Japon en octobre 2010.

Des tendances de fond exercent également une influence déterminante sur les cours des matières premières, à commencer par la demande croissante de la Chine et des autres pays émergents. On peut citer également l’insuffisance de l’offre, due aux sous-investissements, qui crée des tensions en particulier sur les marchés énergétiques. Enfin, l’opacité des marchés physiques entraîne des fluctuations de prix disproportionnées sur les marchés financiers.

La financiarisation croissante des marchés de matières premières rend nécessaire l’adoption de mesures de régulation. C’est l’objet du présent rapport, qui doit contribuer à nourrir la réflexion du G 20.

Les marchés dérivés de matières premières présentent plusieurs caractéristiques majeures. En premier lieu, ce sont des marchés de plus en plus concentrés ; on constate notamment l’importance des bourses chinoises comme Dalian, Shanghai et Zhengzhou, qui sont de plus en plus influentes. En deuxième lieu, depuis le milieu de la décennie 2000, les acteurs financiers investissent de manière croissante dans les matières premières. Elles sont devenues de ce fait une classe d’actifs à part entière, au même titre que les actions ou les obligations. En troisième lieu, les montants engagés sur les marchés dérivés de matières premières représentent néanmoins une faible part des transactions globales de produits dérivés : moins de 2 % de l’ensemble des contrats, même lors du pic de 2008. Enfin, depuis 2005, on constate un accroissement significatif des investissements sur les marchés de gré à gré, qui sont beaucoup plus opaques que les marchés organisés.

S’agissant du débat sur le rôle de la spéculation, nous n’avons pas trouvé d’études qui aient voulu – j’emploie ce mot à dessein –, démontrer un lien de causalité entre l’activité sur les marchés à terme et l’évolution des prix au comptant. Nos interlocuteurs ont souvent insisté sur le fait que les spéculateurs présentent une utilité, car ils assurent une contrepartie à l’activité de couverture des acteurs commerciaux, et qu’ils ont un temps de retard sur les prix. En revanche, un quasi-consensus existe pour reconnaître que la spéculation amplifie les déséquilibres résultant de l’économie réelle.

Plusieurs arguments plaident en faveur d’un rôle important de la spéculation dans les évolutions de prix : on estime par exemple que le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers n’est pas Aramco mais une société financière privée, en l’occurrence Morgan Stanley. La spéculation a incontestablement joué un rôle important dans la hausse du cours du baril de pétrole entre 2000 et 2008. Il en va de même sur le marché du cuivre.

Ce qui est certain, c’est que les marchés financiers exercent un rôle essentiel sur la formation des prix des matières premières. En effet, le prix d’un certain nombre d’opérations commerciales est dérivé du prix des contrats à terme, notamment sur le marché pétrolier. On voit également apparaître de nouveaux produits d’investissement qui commencent à déstabiliser les marchés : ce sont les ETF (Exchange Traded Funds), qui sont des certificats d’investissement qui ont pour contrepartie un stock physique de métaux. Les principaux gestionnaires de ces fonds, Goldman Sachs et JP Morgan, créent intentionnellement de la pénurie en retirant le métal du marché.

Je vais laisser nos rapporteurs présenter leurs propositions, qui répondent à deux objectifs principaux : apaiser les tensions sur les marchés physiques et prévenir les risques d’instabilité en provenance des marchés financiers. Le G20 devra définir des règles applicables à l’ensemble des marchés de matières premières afin d’éviter la fuite des capitaux vers d’autres places de marché, notamment asiatiques.

Trois mesures en particulier nous paraissent essentielles :

- l’amélioration de l’information sur l’identité des acteurs intervenant sur les marchés de matières premières et la nature des opérations auxquelles ils se livrent ;

- conférer le pouvoir aux régulateurs financiers de fixer des limites de position sur l’ensemble des marchés dérivés de matières premières ;

- sécuriser les transactions réalisées sur les marchés de gré à gré, par le renforcement de la protection et de la supervision des chambres de compensation.

Je rappelle enfin qu’une synthèse des 33 propositions figure à la fin du rapport.

Mme Catherine Vautrin, co-rapporteure. Je tiens tout d’abord à souligner la contribution de Michel Raison qui m'a accompagnée lors des auditions réalisées pour la rédaction de ce rapport, et nous a fait profiter de l'expertise que nous lui connaissons dans ce domaine.

Comme vient d’y faire allusion Pascale Got, la volatilité du cours des matières premières a touché l’ensemble de la sphère économique. Au cœur de ce phénomène, le marché des matières premières agricoles a revêtu une grande importance au cours des mois passés.

On a facilement attribué aux variations des cours les fameuses « émeutes de la faim » qui ont touché aussi bien certains États d’Asie (je pense au Viêtnam) que certains États d’Afrique, notamment au Maghreb ou en Égypte… Il ne faut pas se tromper : la volatilité des cours des matières premières n’est pas la cause de ces émeutes, je pense qu'elle n’en a été au mieux que le déclencheur, les raisons des soulèvements auxquels nous avons assistés sont, avant tout, des raisons d’ordre politique et d’aspiration à davantage de démocratie et de liberté.

Toujours est-il que les variations des prix des matières premières agricoles ont revêtu une importance qu’elles n’avaient pas eue il y a encore quelques années. Cela tient à deux phénomènes :

- le premier, qui est ancien, est la fameuse loi économique de King suivant laquelle une petite évolution de volume entraîne de fortes variations de prix ;

- le second, plus récent et qui est évidemment appelé à prendre de l’ampleur avec le temps, tient à la rapidité de la diffusion des informations qui, combinée avec la perméabilité des marchés, conduit à un impact général des hausses ou des baisses des cours d’une ampleur ignorée jusqu’alors.

En effet, comme nous l’a dit, lors d’une audition l’économiste Lucien Bourgeois, le monde doit faire face à un défi que l’on peut résumer de la façon suivante : « il faut un an pour faire pousser un grain de blé et il faut manger trois fois par jour »… Ce paradoxe, accru par une augmentation inexorable de la population mondiale (on estime à 9 milliards le nombre d’habitants sur terre en 2050 !), pèse évidemment sur la demande. Mécaniquement, si l’offre ne réagit pas, le déséquilibre ou les seules tensions qui peuvent exister sur ce point suffisent à provoquer des hausses de prix extrêmement importantes. Car, avant d’entrer dans le détail, je pense qu’il faut insister, comme l’a fait Mme Pascale Got en introduction, sur un point essentiel rappelé dans toutes nos auditions, par les différents experts : la volatilité des cours des matières premières, et notamment agricoles, a peu à voir avec la spéculation. Même si cette dernière est assez souvent montrée du doigt, elle ne fait qu’amplifier un phénomène qui lui est préexistant. La volatilité des prix des matières premières agricoles tient en premier lieu aux fondamentaux économiques.

Je souhaiterais dans un premier temps rappeler les principales causes de cette volatilité qui, comme vous allez le voir, sont plutôt indépendantes de tout phénomène spéculatif.

En premier lieu, les causes météorologiques ont un impact indéniable sur le cours des matières premières agricoles. Le pré-rapport qui vous a été distribué démontre que dans l’évolution du prix de quelques grandes productions (le blé, le maïs, le coton, le cacao…), les phénomènes climatiques ont toujours joué un rôle majeur. Qu’il s’agisse des grandes sécheresses qui ont affecté l’Europe de l’Est et notamment la Russie à l’été 2010 (poussant à la hausse les cours du blé), des inondations qui ont touché l’Inde et le Pakistan en 2010 et qui ont fortement obéré la production mondiale de coton, des cyclones et des inondations qui ont balayé l’Australie, empêchant là aussi les récoltes de blé et de maïs, la météorologie a une importance évidente dans les variations de prix que nous connaissons actuellement.

Deuxième grande source de la volatilité actuelle, les changements de comportements au plan mondial. On peut en distinguer deux principaux :

- la demande des matières premières agricoles est inélastique car ce sont bien souvent des biens de première nécessité dont la hausse va être continue en raison de l’augmentation de la population mondiale, et des progrès de développement qui entraînent des changements de comportements alimentaires. La hausse du niveau de vie pousse à une forte augmentation de consommation de produits carnés ce qui, fort logiquement, entraîne une demande accrue de besoins de maïs et de soja pour nourrir les animaux ; or, si les prix augmentent à l’avenir, la demande ne va pas baisser pour autant et, face à des stocks fluctuants, les prix seront amenés à varier ;

- autre changement de comportement, ce sont les préoccupations environnementales. Celles-ci poussent notamment à un développement des énergies alternatives au détriment des énergies fossiles, M. François Loos en parlera mieux que moi, et notamment en ce qui concerne le pétrole. Dans ce cadre, le développement du bioéthanol a conduit les Etats-Unis à affecter près de 40 % de leur production de maïs à la fabrication de bioéthanol, autant de production qui ne sert pas à l’alimentation humaine. Sachez que, si l’on excepte le riz, sur 1730 millions de tonnes de céréales produites au niveau mondial, 293 millions de tonnes sont utilisées à des fins industrielles soit le 1/6ème ! Même s’il faut relativiser l’impact de cette évolution sur la volatilité des prix agricoles (car, dans le même temps, les rendements ont augmenté, de même que l’étendue des surfaces cultivées), elle doit être présente à l’esprit.

Même si cette nouvelle finalité de certains produits agricoles, en particulier de céréales, peut pousser les prix à la hausse, vos rapporteurs souhaitent relativiser certaines critiques adressées à cette nouvelle fonction. D’une part, le développement des agrocarburants est essentiel non seulement pour pallier le manque d’énergies fossiles à l’avenir, mais aussi pour préserver au mieux l’environnement et pour permettre aux pays en voie de développement d’assurer en partie leur indépendance énergétique. D’autre part, ce qui importe, ce sont moins les niveaux de production des agrocarburants que la manière dont ils sont fabriqués. À cet égard, il convient de développer les recherches sur les biocarburants de deuxième génération c’est-à-dire issus non de ressources alimentaires mais de produits ligno-cellulosiques (bois, feuilles, déchets végétaux…) qui, au surplus, utilisent des techniques de production non polluantes (préservant la couche d’ozone…). Enfin, il importe de préciser que le détournement de production de céréales au profit des agrocarburants ne doit pas être appréhendé de manière purement arithmétique. En effet, même si près de 40 % de la production de maïs américain est utilisée pour les biocarburants, les rendements ont, dans le même temps, considérablement augmenté sous le double effet d’une meilleure productivité et d’une extension de la surface des terres cultivées. Ainsi, on estime que les États-Unis produisent actuellement environ trois milliards de boisseaux de plus qu’il y a cinq ans, compensant ainsi en grande partie le « détournement » constaté.

En troisième lieu, certaines variations de cours de matières premières agricoles sont dues à des décisions purement politiques, certaines étant d’ailleurs prises à la suite de difficultés climatiques. Ainsi, lorsque, le 5 août 2010, M. Vladimir Poutine, premier ministre russe, décida de fermer les frontières de son pays et de suspendre toute exportation de céréales (principalement de blé) entre le 15 août et le 31 décembre 2010, cela a immédiatement entraîné une augmentation de 60 cents le boisseau de blé sur le marché de Chicago. Le rôle du politique n’est pas nouveau dans l'évolution, volontaire ou non, des prix agricoles mais celle-ci a récemment eu des conséquences importantes : on peut également citer l’exemple de la Chine sur le marché du riz ou les conséquences qu’ont eues les luttes en Côte d’Ivoire sur le cours du cacao.

Quatrième grande cause de la volatilité des prix agricoles, et il ne faut pas s’en cacher, ce sont les décisions d’ordre économique qui ont pu être prises au fil des dernières années :

- l’attitude de l’OMC (organisation mondiale du commerce) qui consiste à vouloir libéraliser la plupart des marchés au plan mondial a indéniablement contribué à favoriser la volatilité des prix agricoles. L’impact de ses décisions est d’autant plus fort que, si l’on prend en considération le seul marché des céréales, les échanges internationaux sont peu importants au regard des volumes de production ;

- si l’on prend en considération cette fois-ci la situation française, reconnaissons également que la libéralisation des marchés prise dans le cadre de la politique agricole commune a eu un impact indéniable au niveau de l’Union européenne mais également au-delà. La disparition d’instruments de stabilisation, des prix d’intervention, des prix de seuil et de certains autres instruments de régulation ont eu pour effet, pour reprendre là aussi l’expression que nous avons entendue lors de certaines auditions, d’« importer de la volatilité », celle-ci étant désormais devenue structurelle.

La volatilité des prix des matières premières agricoles tient également à de pures stratégies financières, la volatilité étant même un objet de transactions à part entière, à la création de « fonds indiciels » où les prix de différentes matières premières sont liés de telle sorte que la variation de l’une d’entre elles conduit inévitablement à faire bouger les autres, aux variations de change, la parité dollar / euro pouvant par exemple avoir de fortes conséquences sur les cours…

Une fois ce constat effectué, que faut-il faire ?

Les efforts pour assurer une stabilité des prix des matières premières, notamment agricoles, ne sont pas nouveaux. J’évoquerai ici les travaux précurseurs de l’économiste argentin Raùl Prebisch qui, en sa qualité de premier secrétaire général de la CNUCED était particulièrement attaché à l’aide aux pays en voie de développement, avait pointé dès le début des années 1960 les dégâts irrémédiables qu’une volatilité trop importante des cours des matières premières (volatilité à la hausse comme à la baisse d’ailleurs) faisait courir aux États. J’évoquerai également les travaux encore plus anciens de Mordecai Ezekiel qui, dans un article fondateur publié en 1938, avait pour sa part légitimé les mesures temporaires suspendant la concurrence comme les subventions, les quotas ou l’instauration de droits de douane si l’on souhaitait véritablement lutter contre les trop fortes fluctuations de prix.

Vos rapporteurs ne souhaitent naturellement pas en arriver à de nouvelles formes de protectionnisme mais des solutions doivent être trouvées afin de réduire cette volatilité qui, à court et à long terme, empêchent les investissements et mettent en danger les approvisionnements alimentaires.

La première voie vers laquelle il convient de s’engager est celle du stockage. Le fait de constituer des stocks stratégiques de blé, de maïs ou de sucre peut permettre, lorsque les tensions sont trop fortes au niveau de la demande, de relâcher ces tensions sur le marché en répondant plus efficacement à l’offre existante. Cette idée, qui a également été avancée par le G 20 agricole lorsqu’il s’est tenu à Paris au mois de juin dernier, présente un caractère quelque peu novateur en France où la logique du « zéro stock » a longtemps été la règle, la baisse des prix n’incitant pas à stocker mais au contraire à vendre dans l’immédiat afin de réduire au maximum d’éventuelles pertes futures. Aujourd’hui, chacun convient qu’il faudrait accroître les capacités de stockage en France d’environ 5 millions de tonnes notamment pour les céréales (les capacités actuelles étant de 50 millions de tonnes). A cet égard, nous pensons qu’il faut revoir la réglementation sur les silos de stockage qui, tout en veillant à la sécurité des populations environnantes, doit probablement être revue afin de construire des stocks plus facilement et plus rapidement mobilisables en cas de besoin. Il convient d'avoir une vraie réflexion sur ce sujet car la construction d’un silo de 10 000 tonnes coûte environ 15 millions d’euros et s’amortit sur une vingtaine d’années : le processus est donc relativement long. Au plan international, le stockage doit être partagé entre pays producteurs et pays importateurs ; si on ne doit pas nier les problèmes d’infrastructures, de corruption, de risques de détournement qui peuvent exister dans certains pays en voie de développement, il ne s’agit pas pour autant de faire preuve de néocolonialisme à ce sujet. Une aide technique peut leur être apportée et il paraît tout à fait envisageable de constituer des stocks sur leur territoire, tout en en disposant chez nous pour pallier d’éventuels besoins supplémentaires. Par ailleurs, la nouvelle PAC doit être l'occasion de stabiliser une vraie politique de stockage.

La deuxième voie vers laquelle il faut aller est bien évidemment celle d’une plus grande transparence des marchés. Le développement de chambres de compensation, ainsi qu’une information claire donnée sur les stocks existants au plan mondial (information qui pourrait par exemple être donnée à une agence ou une organisation internationale comme la FAO et qui préserverait ainsi les stratégies commerciales des acteurs étatiques) doivent être poursuivis. De même, si l’on se réfère aux travaux publiés le 15 septembre dernier en conclusion des travaux de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (IOSCO) sur la question des marchés de dérivés de matières premières, il serait opportun de réfléchir au renforcement des compétences des autorités de marchés afin d’imposer aux acteurs une plus grande lisibilité des contrats passés sur les marchés de matières premières. C’est vers cette voie que se sont engagés les Etats-Unis avec le vote de la loi Dodd – Frank de juillet 2010, qui renforce considérablement les pouvoirs de la Réserve Fédérale et des grandes autorités financières américaines. De plus, cette loi a choisi de s’engager résolument dans la régulation des marchés de produits dérivés. Il est prévu que les transactions transiteront à l’avenir via des chambres de compensation spécifiques pour limiter les marchés de gré à gré, les banques étant par ailleurs obligées de filialiser les activités dans les dérivés les plus risquées.

Je dois néanmoins préciser, et Mme Pascale Got comme M. François Loos pourront également en témoigner, que, lors de nos entretiens aux États-Unis, beaucoup de nos interlocuteurs doutent de l’effectivité de cette loi, de nombreuses mesures réglementaires restant encore à prendre et s’avérant relativement coûteuses. Pour autant que ces principes ont été définis et c’est sans nul doute la direction dans laquelle il faut aller. Le G 20 a d’ailleurs insisté pour qu’il y ait une forte coordination entre les parties prenantes, notamment les Etats-Unis et l’Union européenne, sur ces sujets.

Il faut également réfléchir aux moyens de renforcer les instruments de couverture afin de mieux protéger les populations, notamment dans les pays en voie de développement, contre les effets de la volatilité des cours. Cela passe par l’exploration de nouveaux mécanismes assurantiels, par de nouveaux instruments financiers qui doivent permettre de bénéficier d’une plus grande sécurité en termes d’approvisionnements.

Enfin, mais c’est une piste qui, comme les autres, devra être discutée avec nos partenaires, il ne faut pas exclure d’encadrer l’évolution des cours de certaines matières premières en établissant une sorte de corridor dans lequel le cours pourrait librement varier, une intervention pouvant éventuellement être requise si le cours doit être au-delà ou en deçà. C’est une idée que nous avons entendue lors des auditions : elle mérite qu’on s’y arrête. Une meilleure organisation des filières agricoles, par type de production, doit également s’envisager de façon à leur permettre de limiter à leur niveau l’impact de la volatilité des cours.

Voilà, Monsieur le président, mes chers collègues, ce que je souhaitais dire sur la partie agricole de notre rapport. Comme vous le voyez, beaucoup reste à faire mais ce ne sont pas les pistes qui manquent. Les conclusions du sommet du G 20 qui doit se tenir à Cannes au début du mois de novembre sont attendues compte tenu notamment des impératifs en termes de sécurité alimentaire, qui font d’ailleurs partie des priorités du G 20 (je rappelle à ce titre l’initiative prise par le Président de la République en juin 2008 lorsqu’il a lancé son « Partenariat mondial pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition »), on ne peut plus attendre trop longtemps. Il faut agir.

M. Président Serge Poignant : Je vous remercie, Madame la rapporteure, pour cette présentation d’une actualité brûlante, j’en veux pour preuve la décision importante prise la nuit dernière par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) d’instituer des limites de position sur les marchés dérivés de matières premières. Je passe maintenant la parole à M. François Loos, co-rapporteur.

M. François Loos, co-rapporteur. Comme l’a souligné Mme Pascale Got, les marchés de matières premières minérales et énergétiques sont suspendus aux aléas de l’économie chinoise. Entre 2002 et 2007, la demande de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient a été à l’origine de 50 % de l’augmentation de la consommation mondiale de pétrole. On estime que près de 80 % de la croissance de la demande de pétrole sera fournie par l’Asie à l'horizon 2030. Dans le secteur des métaux, la Chine a représenté à elle seule 90 % de l’augmentation de la consommation mondiale de cuivre. La demande chinoise devrait continuer à augmenter jusqu’à ce que ce pays atteigne un taux d’urbanisation de 60 % - sachant qu’il se situe actuellement à un niveau de 50 %.

Cette augmentation de la demande en énergie et en métaux se heurte à une rigidité de l’offre, ce qui entretient une tension permanente sur les prix. Dans le domaine pétrolier, l’offre n'excède que très faiblement la demande. Nous ne sommes pas en situation de pénurie, mais il y a une rareté de la ressource, due aux sous investissements, qui devrait conduire, d’ici quatre à cinq ans, à une réelle insuffisance de la production, c’est-à-dire à un écart d’environ un million de barils par jour entre la demande mondiale et les capacités de production.

Quelles conséquences peut-on attendre de cette situation sur le prix du baril ? La stratégie de l’OPEP, – Arabie Saoudite en tête –, consiste à fixer, à travers les quotas, des prix suffisamment élevés pour que les pays non-membres de l’OPEP poursuivent l’exploitation de leurs gisements jusqu’à épuisement, mais assez « faibles » pour freiner la recherche de substituts à grande échelle de la part des pays consommateurs, c’est-à-dire ne dépassant pas un seuil de 110 à 120 $ le baril. Par ailleurs, à la fin des années 1990, l’Arabie Saoudite parvenait à équilibrer son budget avec un baril situé entre 15 et 20 $. Ce n’est plus le cas. Même si l’Arabie Saoudite supporte un coût marginal d’extraction très faible, de l’ordre de 15 $ le baril, elle a besoin aujourd’hui d’un cours élevé, de l’ordre de 70 à 80 $ le baril.

Ce phénomène d’insuffisance de l’offre produit également des tensions très fortes sur les marchés des métaux. Les pays occidentaux connaissent une situation générale de sous-investissement dans la production minière depuis vingt ans. A cela s’ajoutent la diminution de la productivité de certaines mines et les contraintes environnementales. L’ensemble de ces facteurs devrait conduire, à l'horizon 2015, à une pénurie de l'offre pour la totalité des métaux industriels.

Face à cela, l’Europe a défini en 2008 une stratégie pour améliorer l’accès aux matières premières, et la France comme l’Allemagne ont créé des structures spécialisées dans l’approvisionnement en matières premières. Nous formulons pour notre part plusieurs propositions destinées à améliorer l’approvisionnement de l’Europe, entre autres : mieux faire respecter les règles de l’OMC, conclure des accords avec les pays riches en ressources et élaborer une stratégie concertée entre l’État et les industriels.

Les tensions entre l’offre et la demande sont accentuées par l’opacité des marchés physiques et le manque de régulation de ces marchés. Des efforts importants ont été menés sous l’égide du G20 pour promouvoir la transparence sur le marché pétrolier, mais des progrès substantiels restent à accomplir : nous formulons d’ailleurs plusieurs propositions à ce sujet, en particulier une consolidation et un élargissement de l’initiative sur la transparence des données (dite « JODI »). Pour remédier à l’opacité sur les marchés des métaux, qui apparaît encore plus forte, nous proposons notamment un élargissement des accords internationaux sur les métaux de base ainsi que la supervision des agences d’évaluation des prix.

De plus, les tentatives d’abus de position dominante sont fréquentes sur ces marchés. La plus emblématique est la réalisation d’un « corner », c’est-à-dire l’accaparement d’une partie des stocks mondiaux d’un métal donné ; la manipulation des frères Hunt sur le marché de l’argent entre 1973 et 1980, est restée dans les mémoires. Pour remédier à cette opacité, nous proposons d’instituer des règles de prévention des conflits d’intérêt, de créer – à des conditions précises – une base de données européenne répertoriant certains contrats physiques et d’étendre les prérogatives du régulateur financier.

La troisième partie du rapport analyse l’impact de la financiarisation des marchés sur les fluctuations de prix et propose un certain nombre de mesures pour réduire le risque d’instabilité. Comme l’a rappelé Mme Got, une question fondamentale à laquelle nous avons été confrontés a été d’évaluer le rôle de la spéculation, et plus généralement des marchés dérivés, sur les fluctuations des prix.

Je rappellerai deux caractéristiques fondamentales des marchés dérivés de matières premières. En premier lieu, les acteurs financiers ont massivement investi dans les matières premières depuis le milieu des années 2000, à telle enseigne que les matières premières sont devenues une classe d’actifs à part entière, au même titre que les actions ou les obligations. En deuxième lieu, la finance occupe une place disproportionnée par rapport aux fondamentaux économiques : le ratio des contrats à terme sur les contrats physiques atteint 35 sur le marché du pétrole, et 32 sur le marché de l’aluminium. Cela a pour conséquence un parallélisme plus marqué entre, d’une part, les cours des matières premières et les cours des actions, d’autre part les cours des matières premières elles-mêmes – en particulier le pétrole et les matières agricoles.

Sur le rôle de la spéculation, deux faits saillants ressortent de nos auditions. Premièrement, aucune étude n’a pu démontrer un lien de causalité entre l’activité sur les marchés à terme et l’évolution des prix physiques. Les financiers que nous avons auditionnés nous ont répété à l’envi qu’ils n’étaient pas à l’origine de la spéculation. Deux arguments ont notamment été avancés par nos interlocuteurs les spéculateurs présentent une utilité car ils assurent la contrepartie à l’activité de couverture des acteurs commerciaux ; les spéculateurs ont souvent un temps de retard sur les prix.

En revanche, un quasi-consensus s’est formé pour reconnaître aux marchés à terme un rôle d’amplificateur des déséquilibres résultant de l’économie réelle.

Toutefois, si la spéculation n’entraînait pas de hausse des prix, quel serait l’intérêt des sociétés financières à stocker du pétrole et des métaux ? Même s’il faut rester prudent, car les informations disponibles demeurent imprécises, on estime que le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers n’est pas Saudi Aramco, Exxon Mobil ou Total, mais une société financière, en l’occurrence Morgan Stanley. Par ailleurs, deux sociétés financières bien connues - Goldman Sachs et JP Morgan - ont racheté une grande partie des 600 entrepôts mondiaux de stockage agréés par le London Metal Exchange (LME). Cela ne répond évidemment pas à des exigences de logistique. Il s’agit plutôt pour ces sociétés de se procurer des informations de première main sur l’identité des acheteurs et des vendeurs.

La spéculation a incontestablement joué un rôle important dans la hausse du cours du baril de pétrole entre 2000 et 2008. Il en va de même sur le marché du cuivre. En tout état de cause, le rôle des marchés financiers est fondamental car le prix d’un certain nombre d’opérations commerciales, notamment le prix du pétrole physique, est dérivé du prix des contrats à terme.

Par ailleurs, de nouveaux produits d’investissement commencent à déstabiliser les marchés : ce sont les ETF (Exchange Traded Funds), qui sont des certificats d’investissement qui ont pour contrepartie un stock physique de métaux. Le métal correspondant au certificat de propriété est retiré du marché. A mesure que les investissements s’accroissent, la matière disponible pour l’industrie diminue et les prix augmentent. Les principaux gestionnaires de ces fonds, Goldman Sachs et JP Morgan, créent intentionnellement de la pénurie en retirant le métal du marché.

Ces observations nous ont conduits à proposer un éventail de mesures destinées à améliorer le fonctionnement des marchés, tant sur le plan de l’information que de la régulation. Nos propositions s’organisent autour de deux objectifs. Le premier d’entre eux est d’apaiser les tensions sur les marchés physiques, grâce à trois outils essentiels : l’amélioration de l’approvisionnement de l’Europe en matières premières ; la réduction de l’opacité des marchés physiques ; l’institution d’un minimum de régulation sur ces marchés, notamment en Europe. Le deuxième objectif consiste à prévenir les risques d’instabilité en provenance des marchés financiers, par l’amélioration de l’information relative aux acteurs et aux opérations et à l’extension du champ de la régulation.

Deux mesures en particulier nous paraissent essentielles : l’amélioration de l’information sur l’identité des acteurs intervenant sur les marchés de matières premières et la nature des opérations auxquelles ils se livrent. C’est pourquoi nous proposons d’instituer une obligation de déclaration des opérations réalisées sur les marchés à terme auprès d’un registre central. Cela permettra de distinguer les opérateurs présents pour des motifs de couverture et ceux d’entre eux qui ont des intentions purement spéculatives. La deuxième mesure essentielle consiste à conférer le pouvoir aux régulateurs financiers de fixer des limites de position sur l’ensemble des marchés dérivés de matières premières – organisés et de gré à gré. Comme mes collègues l’ont évoqué, un pas en avant a été accompli dans cette direction hier aux États-Unis. La fixation de règles de la part de l’Union européenne et du G20 est aujourd’hui à l’étude. Mais encore faut-il pouvoir identifier les différents acteurs et fixer précisément les modalités de ces limites de position.

Pour conclure, mes chers collègues, j’insisterai sur le fait que, si l’on veut éviter une fuite de capitaux vers d’autres marchés, notamment asiatiques, il est impératif de définir une stratégie coordonnée à l’échelle internationale. C’est pourquoi, lors du sommet de Cannes, les 3 et 4 novembre prochains, nous préconisons que le G20 missionne le Conseil de stabilité financière pour coordonner l’action de régulation sur l’ensemble des marchés de matières premières.

M. Président Serge Poignant : Merci mes chers collègues. Le rapport que vous nous présentez aujourd’hui est au cœur de l’actualité, comme l’illustre la décision de la CFTC, prise à l’arrachée, mais aussi la récente prise de position du G20. Sa portée va bien au-delà du cadre français. Il s’agit du premier travail réalisé dans cette Assemblée sur ces questions de matières premières ; il restera sûrement une référence. Quant à la stratégie des banques en matière de stockage du pétrole et des métaux, si bien décrite par M. Loos, elle est proprement stupéfiante ! Je laisse maintenant la parole aux représentants des groupes.

M. Michel Raison : Je voudrais, à votre suite, féliciter la présidente et les rapporteurs pour leur travail de grande qualité, qui s’appuie sur l’audition de près de quatre-vingt-dix acteurs influents et de haut niveau dans le domaine de la matière première.

Ce rapport est très politique, au sens noble du terme, et non politicien, car il met bien en valeur le débat qui fait rage entre deux extrêmes : d’un côté les intégristes du marché, de l’autre, de l’autre, ceux qui sont favorables à une régulation étroite. Sur ces sujets, il faut bien avoir en tête l’importance des économistes qui conseillent les instances européennes au plus haut niveau. La très grande majorité d’entre eux, du moins sur les sujets agricoles, font partie du courant des libéraux ; à l’inverse, les économistes régulateurs, dont je partage les idées, sont plutôt minoritaires.

S’agissant de la spéculation, un enseignement important de ce rapport est qu’il reste des incertitudes. En écoutant les deux rapporteurs et la présidente, on prend également conscience du rôle extrêmement différent que joue cette spéculation selon le type de produit. Le marché des matières premières agricoles est finalement le moins influençable. L’autre grande leçon est que les tenants de la démondialisation ont tort, car les échanges mondiaux de la plupart des marchandises, comme les minerais, le pétrole, le gaz, les produits agricoles, ainsi que le bois, que l’on oublie souvent, sont inévitables.

D’autre part, les pays de l’Union européenne doivent s’entendre sur des règles de régulation du marché des matières premières. Si je dis que l’Europe doit être plus puissante en matière de régulation, c’est aussi, pour fortifier son rôle lors des négociations à l’OMC, où elle ne pèse pas de son poids réel dans l’économie mondiale.

Mettre fin à l’opacité des marchés des matières premières est un enjeu de tout premier ordre : comment voulez vous organiser des stocks et réguler des marchés sans avoir connaissance des données de la production et des stocks ? Le manque de transparence est un frein considérable à la régulation.

En revenant à l’agriculture, on a observé, les années passées, la suppression progressive des divers systèmes de régulation. Pourtant, il s’agit bien d’un marché qui a besoin d’être régulé. Sa particularité est de combiner une offre très fluctuante et une demande relativement fixe, ou du moins dont la croissance est prévisible.

Je conclurai en comparant la façon dont on doit réguler l’économie à la façon dont on doit maîtriser la nature. Les intégristes du marché sont aussi nuisibles que les intégristes de la nature. Si vous laissez la nature intacte, l’homme finira par mourir ; laissez-faire le marché, l’homme mourra aussi. Alors, soyons régulateur et l’homme s’en portera d’autant mieux.

M. Jean Gaubert. Je m’associerai à mes collègues pour saluer la qualité du travail accompli. Ce rapport confirme un certain nombre d’éléments que l’on connaissait mais présente également des nouveautés : par exemple, j’ignorais que Morgan Stanley contrôlait une partie aussi importante du pétrole mondial ! Partout, la finance a pris le pas sur les industriels. Cela ne s’est pas fait dans le sens du progrès tel que nous le concevons ! La main invisible du marché a des conséquences qui ne sont pas toujours invisibles. Ce n’est pas toujours le marché lui-même qui est en cause mais plutôt la façon dont on le manipule. Par ailleurs, il convient de bien distinguer entre les fluctuations et la spéculation, ainsi que cela a été dit. Les propos de M. François Loos relatifs aux matières premières minérales sont inquiétants car on se trouvera bientôt devant un mur physique qui pèsera sur nos économies. Cela doit nous interroger sur nos politiques de maîtrise de la consommation : le développement durable passera par la réalisation d’économies d’énergie et un recyclage aussi développé que possible des matières premières. Il est certes difficile de recycler des produits alimentaires mais on peut le faire pour les autres matières premières. Certes, il est important de conclure des accords avec les pays détenteurs de matières premières mais, le marché étant en perpétuelle évolution, ces pays ont intérêt à jouer les prix à la hausse, en particulier pour les produits pétroliers.

On constate par ailleurs une spécificité des produits agricoles qui sont les plus impactés par les aléas climatiques, ceux-ci donnant lieu à des variations de prix que l’on peut comprendre mais aussi à une spéculation supplémentaire. L’importance d’une inondation en Australie peut, comme cela a été dit, être amplifiée par les rumeurs.

L’arbitrage entre le réservoir et l’estomac est donc extrêmement important. Si l’on prend l’exemple de l’alimentation du bétail, grand problème en Bretagne ces jours-ci, on s’aperçoit que les opérateurs ne savaient pas, en septembre, quel arbitrage allait être fait sur la part de la récolte de maïs qui allait être attribuée à ces deux éléments. Ils déterminent eux-mêmes quelle part de maïs sera attribuée aux agrocarburants : de tels comportements sont liés à volatilité. Ensuite, il y a la spéculation, qui se greffe sur la volatilité, mais qui est d’une tout autre nature. La spéculation se fonde sur la confrontation entre celui qui a une assez grande certitude sur les stocks et celui qui ne l’a pas. Lorsqu’un spéculateur souhaite vendre un produit, il essaie de faire vivre la rumeur selon laquelle le prix du produit va monter et, dès qu’il l’a vendu, de faire vivre la rumeur selon laquelle le prix du produit va baisser pour pouvoir le racheter, et recommencer l’opération de manière à multiplier les gains. L’essentiel du travail n’est pas d’acheter ou de vendre mais de faire vivre des rumeurs – qui deviennent contradictoires. Morgan Stanley l’a bien compris et a fait ce que l’Union européenne faisait jusqu’au démantèlement de la politique agricole commune au début des années 2000 : cette compagnie financière a compris qu’en maîtrisant une partie du stockage, il ne lui était pas nécessaire de tout maîtriser. Connaissant l’état des stocks et du marché, elle peut aisément manipuler ce dernier. Il n’est pas nécessaire d’en maîtriser 50 % : il suffit de maîtriser quelques lieux de stockage stratégiques pour savoir si l’on vous demande de stocker, ce qui veut dire que les prix vont baisser, ou si l’on vous demande de déstocker, ce qui veut dire que les prix vont augmenter. Si l’on a de la matière première, on peut faire courir ce genre de rumeurs.

Ce rapport constitue un très bon travail mais, après cela, quels sont les moyens que l’on peut mettre en place ? On ne peut agir seul, les propositions du rapport sont à porter auprès d’autres institutions. Cela étant, il serait bon que nous en ayons l’initiative.

M. Michel Raison. N’oublions pas les pays pauvres ! Car l’assèchement des matières premières est aussi un problème. Il est de notre devoir de penser à l’ensemble des pays concernés.

M. Thierry Benoit. Je voudrais à mon tour saluer l’excellent travail de la mission. Votre rapport percute brutalement le concept de démondialisation. Les rapporteurs ont utilisé plusieurs termes évocateurs : « l’opacité », face à laquelle vous suggérez davantage de transparence ; la « spéculation », à laquelle répond la régulation ; la « spéculation financière outrancière sur les marchés de matières premières », à laquelle pourrait répondre l’humanisation des marchés liée aux besoins humains.

Je souhaiterais aborder successivement trois thèmes qui me paraissent essentiels : l’inflation du prix des matières premières agricoles ; l’enjeu du développement des biocarburants, et principalement, du bioéthanol ; et l’instauration d’un accord européen pour réguler les prix des matières premières et les mesures anticoncurrentielles prises par les pays producteurs de pétrole.

Concernant les matières premières agricoles, à l’échelle mondiale, ce sont principalement les catastrophes naturelles et la spéculation qui dérégulent les prix des marchés agricoles : vous l’avez parfaitement démontré. Ce sont les pays en voie de développement qui en sont les plus éprouvés, tandis que les pays développés sont en mesure de faire face aux augmentations tarifaires. Les moyens dont dispose l’Union européenne pour plafonner les prix des matières premières agricoles vitales lors des périodes de ralentissement de la production permettraient de pallier les problèmes de famine dans les pays en développement. Il est essentiel de mieux répartir les productions de céréales entre les pays développés et les pays en voie de développement.

Au delà de l’enjeu écologique, le développement des biocarburants, et en particulier du bioéthanol, doit permettre de pallier la raréfaction des énergies fossiles et d’apporter des réponses vertueuses. Lorsque l’on sait que l’augmentation des biocarburants a des conséquences sur l’augmentation des prix des matières premières agricoles (céréales), et participent à 75 % à leur élaboration, n’est-il pas temps d’encourager plus encore la recherche et le développement des biocarburants dans un but écologique ? Ne faudrait-il pas distinguer les cultures ayant une fonction nourricière (pour les hommes et les animaux) des cultures intermédiaires ayant une vocation d’engrais vert ou de couvert végétal ?

Enfin, s’agissant des mesures anticoncurrentielles mises en place par les pays producteurs de pétrole, la limitation de la quantité de pétrole faisant l’objet d’une extraction, alors que les stocks existent et que la demande continue de croître, a un effet dramatique sur la volatilité des prix. Vous soulignez l’intérêt qu’aurait l’Union européenne à s’organiser pour suivre au plus près ces restrictions quantitatives qui faussent le jeu de la concurrence dans le but d’enrichir certains pays. Si cette intervention est possible, un dialogue devra être instauré avec les pays émergents et l’Europe, afin de contraindre les premiers à abandonner ces pratiques. La mise en place d’une véritable politique de l’Union européenne dans le domaine des matières premières, et essentiellement du pétrole, est nécessaire pour faire face à certaines organisations intergouvernementales, telle l’OPEP qui exerce à l’heure actuelle un pouvoir substantiel sur la formation des prix.

M. le Président Serge Poignant. Je signale que, pour le groupe GDR, M. Daniel Paul, qui a malheureusement dû quitter la réunion, nous a remis une contribution écrite qui figurera dans le rapport.

Mme Frédérique Massat. Tout d’abord, je tiens également à féliciter les rapporteurs pour ce travail qui nous sera utile au cours des mois à venir. D’un point de vue formel, serait-il possible d’annexer au rapport la liste des 90 personnes auditionnées ? Quelle sera la conclusion du rapport ? S’agissant de la spéculation, M. François Loos a tenu un propos sans ambiguïté. Le rapport fait état pour sa part de l’utilité que peut revêtir la spéculation, et des débats relatifs à l’existence d’une bulle spéculative. Êtes-vous parvenus à une conclusion à ce sujet ? Mme Christine Lagarde, lorsqu’elle a été ministre de l’Économie et des Finances, en février 2011, a affirmé que la spéculation avait eu un impact sur le prix des matières premières. Le Président de la République avait été encore plus catégorique, en affirmant que la spéculation entraînait des émeutes de la faim. Même si cela va peut-être au-delà du thème principal, l’impact humain de la spéculation aurait sans doute pu être développé dans le rapport. La question des droits sociaux et environnementaux pourrait également être abordée.

Lors du dernier G20 a été évoquée la possibilité de mettre en place un groupe d’études qui serait piloté par le Japon, pour analyser l’impact de la volatilité des prix des matières premières sur la croissance mondiale ainsi que le rôle de la financiarisation des marchés. Ce groupe a-t-il été mis en place ?

Allez-vous porter vos propositions auprès de nos instances nationales lors du prochain G 20 ?

Mme Laure de la Raudière. Je félicite à mon tour la présidente et les rapporteurs pour leur excellent travail. Je souhaiterais que l’on crée davantage de missions d’information, car leurs comptes rendus sont toujours passionnants et de grande qualité.

Il est très difficile d’évaluer les stocks de matières premières qui, on l’a vu, ont un impact très fort sur leur cours. Il me semble que les propositions du G20 ont pris en compte cette question pour les matières premières agricoles : cela est-il également le cas pour les autres matières premières (cuivre, pétrole, terres rares – dont 90 % du stock se trouve en Chine) ?

Concernant la forte progression de la financiarisation des marchés de matières premières, disposez-vous de chiffres dans le rapport ?

M. Kléber Mesquida. Je félicite, moi aussi, les rapporteurs pour ce travail riche d’enseignements, qui s’appuie sur des données historiques remarquables remontant même, pour illustrer les risques liés aux aléas des crises agricoles, aux pluies de l’été 1314 ! Si l’on fait la synthèse des 33 propositions du rapport, on comprend que la France ne peut agir seule. Je suppose donc que des actions vont être entreprises par notre Parlement afin de demander à la Commission européenne de prendre en compte ces propositions. D’autres pays ont-ils engagé la même démarche ou la France est-elle isolée, ce qui limiterait notre capacité à atteindre ces objectifs ? Sur combien de pays peut-on compter pour faire du lobbying auprès de la Commission européenne ? Comment comptez-vous inciter les autres parlements à s’engager dans la même voie ? Le rapport va-t-il rester lettre morte ou a-t-on la volonté, et à quel horizon, de l’élargir au delà de notre pays ?

M. Alain Suguenot. Ce rapport est porteur d’une véritable utilité pour les semaines et les mois qui viennent : il donne en effet un coup de vieux à l’idée de démondialisation, la mondialisation ne datant pas d’aujourd’hui. S’agissant de la spéculation, il n’y a pas de « deposit » pour les marchés de matières premières. On parle de « ventes à découvert », ce qui est encore pire. On négocie dès à présent sur le marché de Chicago des volumes de céréales qui ne seront disponibles que dans quatre ans : on est donc bien dans un domaine spéculatif outrancier.

Concernant les agrocarburants, on estime qu’en 2050, près de 58 millions d’hectares pourront être « spécialisés » dans les agrocarburants alors qu’il n’y en a que 8,5 millions actuellement ! Il existe des tensions sur le rachat des terrains agricoles, essentiellement en Afrique et en Amérique du Sud, ce qui crée une réelle menace pour l’avenir. Il y a non seulement des fonds souverains souhaitant bien sûr assurer la sécurité alimentaire de leur pays, mais également, en Chine, des investisseurs qui achètent ces terres pour des raisons de rentabilité et, quelquefois, pour ne pas produire, afin de permettre des évolutions très spéculatives du marché. Quel peut être le moyen de réguler le rachat des terres agricoles, notamment en Afrique, réservoir de demain permettant d’éviter que certains pays ne meurent de faim à l’avenir ?

M. Patrick Lebreton. À mon tour d’exprimer une appréciation très positive du travail réalisé. Les prix des matières premières en outre-mer sont un problème prégnant ; j’en veux pour preuve la grève qui secoue actuellement le département de Mayotte contre la vie chère. Je ne me ferai pas le chantre de la démondialisation, car certains occupent déjà ce créneau et il paraît qu’il est déjà trop tard pour s’en vanter.

Concernant la volatilité des cours des matières premières, qui justifie bien souvent une envolée durable du prix de produits finis, nous connaissons ce phénomène avec d’autant plus d’acuité dans les territoires d’outre-mer que nos marchés y sont restreints et captifs. Si la puissance publique n’a que peu d’influence sur la spéculation internationale, elle dispose toutefois de différents leviers comme la fiscalité et l’intervention directe. À la Réunion, par exemple, le préfet a fixé administrativement le prix des carburants. Ce dispositif, loin de faire fuir les distributeurs et d’avoir fait monter les prix des carburants trop hauts, conduit au contraire à bénéficier de prix moins élevés que dans l’Hexagone. Par exemple, le prix du gazole à la Réunion est à 1,22 euro le litre contre 1,32 à 1,69 euro le litre sur le sol parisien. Le travail sur les marges a donc été réalisé. Une intervention directe et temporaire sur les prix de certaines matières premières de nécessité absolue est-elle envisageable ?

M. Lionel Tardy. La financiarisation des marchés de matières premières met en lumière l’interaction entre marché physique et marché virtuel. Les achats et les ventes à découvert ont récemment été interdits sur les marchés de valeurs mobilières. Or, le marché des matières premières est encore plus sensible que le marché des actions puisque le pouvoir d’achat et la gestion des entreprises sont en jeu. Y a-t-il dans le rapport, des informations relatives à ces marchés virtuels ? Par exemple, entre son pays producteur et le pays de destination, une cargaison de pétrole peut changer 50 fois de mains pendant son transport : est-ce du « virtuel » ou du « physique » ?

Vous évoquez également dans le rapport la question des terres rares. C’est en effet une matière première qui devient stratégique car elle entre de plus en plus dans la composition des produits électroniques ; or, la Chine exerce un monopole en ce domaine et a établi des restrictions à l’exportation de matières minérales. Le prix de ces matières premières s’échange à plus de 15 fois le prix auquel il était disponible un an auparavant. Au delà du pétrole et du blé, c’est un enjeu majeur pour l’avenir.

M. Jean-Michel Vuillaumé. À mon tour de saluer ce rapport de grande qualité. On sait que la variation des prix des matières premières agricoles a de fortes répercussions sur la filière de l’élevage : en avez-vous parlé ? Quels instruments de régulation sont envisageables pour ne pas fragiliser à outrance des pans entiers de notre économie agricole. En amont du G20 de novembre, le GRET, ONG française réunissant des professionnels du développement, a édité une note sur la volatilité des prix agricoles. Avez-vous pris connaissance de leurs propositions, notamment les mesures visant à limiter la production en cas d’apparition d’excédents structurels ? Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Nicolas. Je fais miens les qualificatifs énoncés quant à la qualité de ce rapport qui, loin d’enfoncer des portes ouvertes, nous fait, bien au contraire, découvrir un certain nombre de choses. On voit bien que les spéculateurs jouent un rôle différent selon qu’il s’agit des matières premières agricoles, énergétiques ou minérales. J’ai cru comprendre à écouter Mme Catherine Vautrin que la volatilité se distinguait de la spéculation. La spéculation est-elle indépendante de l’état prévisible des marchés ? Concernant le pétrole, on peut être assez stupéfait de constater que le premier stock de produits pétroliers est détenu par la société Morgan Stanley. Il serait intéressant de connaître l’évolution de ce stock. Peut-il peser sur le prix des marchés ? Notre pays représente 1 % de la population mondiale : que pouvons-nous faire si ce n’est adopter une stratégie coordonnée au niveau international ? À cet effet, le G20 peut être un fort levier d’action. Il est nécessaire que nous soyons particulièrement actifs et persuasifs à ce niveau.

Mme Catherine Coutelle. Le sujet étant mondial, on se sent un peu démuni pour formuler des réponses. Je partage les inquiétudes relatives aux agro-carburants de première génération. En lisant les propositions du rapport, on a le sentiment, de la part de la majorité, d’une conversion extraordinaire, et que vous êtes, tel Saint Paul sur le chemin de Damas, tombé du cheval en vous disant que le libéralisme ne marche pas et qu’il faut le réguler ! La notion de régulation apparaît dans toutes les propositions, la plupart d’entre elles faisant appel à l’Europe ou à des régulations mondiales. Pouvez-vous nous préciser quelle sera la portée de la proposition n° 16, visant à confier aux régulateurs l’encadrement des agences d’évaluation, et de la proposition n° 29, visant à encadrer strictement le trading algorithmique et le trading à haute fréquence ? Ce rapport vise bien à un changement de modèle et de préconisations, sans aller jusqu’à la démondialisation. Enfin, je tiens à signaler que, parmi les produits hautement spéculatifs, le cacao et le coton sont deux produits qui recourent à l’esclavage des enfants.

M. William Dumas. Je souhaite m’associer aux compliments qui ont été adressés à la présidente et aux rapporteurs. Je partage notamment le constat selon lequel la crise que nous connaissons dans le domaine des matières premières actuellement est liée à une crise de l’énergie. Je prendrai seulement ici l’exemple sud-américain où 40% du maïs récolté est alloué la production de biocarburants. Certes, j’entends bien qu’il y a eu une augmentation des surfaces exploitées ainsi qu’une hausse de la productivité ; cependant, dans le cas d’aléas climatiques, les prix seront répercutés sur les prix à l’alimentation. Ce qui m’interroge et m’inquiète, c’est que les Chinois sont dépendants de 80 à 90 % de l’extérieur pour certains produits. En conséquence, ils achètent des terres agricoles en Afrique et dans d’autres pays en développement : il y a là un risque pour les pays en voie de développement de devenir dépendants de la Chine dans le futur. J’ai une autre question : est-ce que d’autres pays ont une démarche similaire à la nôtre ? On sait ce que l’Union européenne a fait au niveau des marchés agricoles. Il faut donc prendre le sujet à bras-le-corps au niveau européen. Quand on pense cependant à ce qu’a pu faire Bruxelles s’agissant de la libéralisation des droits de plantation, on est en droit de se poser des questions sur l’utilité des initiatives qui ont été prises…

M. le président Serge Poignant. Je vais laisser les rapporteurs et la présidente s’organiser pour les réponses. Je voudrais simplement faire une petite remarque au préalable. Laure de la Raudière a souligné l’importance des rapports d’information parlementaires, car ils représentent un vrai travail de fond. Je partage ce constat. Je veux aussi dire à Catherine Coutelle qu’il y a eu des époques, en Europe en particulier, où il fallait ouvrir nos frontières afin de développer nos marchés : nous sommes aujourd'hui dans une situation différente. Mais libéralisme n’a jamais voulu dire absence de règles ! Cette précision méritait d’être rappelée.

Mme Pascale Got. Je vais répondre aux questions d’ordre général, les rapporteurs répondront pour leur part aux questions relatives à leur secteur propre. Je voudrais dire à messieurs Michel Raison et à Thierry Benoit qu’il va falloir un certain « parallélisme des formes » entre la décision qui vient d’être prise aux États-Unis cette nuit sur l’institution de limites de position et les décisions qui devront être prises au niveau du G 20. Il faut rassembler les bonnes volontés au niveau européen. Cependant, il ne faut pas nier que la Grande-Bretagne freine des quatre fers sur la question de la régulation ! Je pense, et je crois que les rapporteurs seront d’accord avec moi, que l’on parviendra plus facilement à un accord sur les sujets agricoles que sur le pétrole et les métaux.

Pour répondre à la question de M. Jean Gaubert, il n’y a plus réellement en Europe d’investissements dans la recherche de nouvelles ressources énergétiques. En revanche, la Chine ne se prive pas d’acheter des gisements et des mines en Australie et en Afrique. Elle s’oriente vers un stockage à la source de ces matières premières.

Je voudrais signaler à Mme Frédérique Massat qu’il ne s’agit que d’un pré-rapport qui va encore être enrichi, notamment de la contribution de M. Paul, et que, évidemment, la liste des personnes auditionnées sera annexée au rapport définitif. Quant à la spéculation que vous évoquiez, je pense que c’est une réalité, elle amplifie les phénomènes de hausse et de volatilité. Il y a d’ailleurs, dans le cadre du G 20 un groupe de travail sur la volatilité des prix des matières premières qui a été institué à l’initiative de la France et de la Corée du Sud.

Réagissant aux remarques de MM Dumas, Mesquida et Nicolas, je précise que ce rapport sera transmis au Gouvernement pour qu’il soit pris en compte dans le cadre des négociations du G 20.

Monsieur Lionel Tardy, vous évoquiez le sujet des terres rares. J’appelle votre attention sur le fait que, la semaine prochaine, un rapport d’information portant sur la gestion durable des matières premières minérales sera présenté  devant la commission du développement durable : la question des terres rares sera développée à cette occasion.

Je veux dire à madame Catherine Coutelle que la régulation doit être au minimum européenne ; nous attendons d’ailleurs prochainement des propositions de la Commission européenne sur la régulation des marchés de matières premières.

Le trading algorithmique et le trading à haute fréquence constituent un enjeu de taille car ces techniques pèsent sur la formation des cours et peuvent donner lieu à des abus de marché. La Commission européenne et l’Autorité européenne des marchés financiers se sont saisies de cette question. Par ailleurs, l’AMF a prononcé sa première condamnation en la matière en juin 2011.

Mme Catherine Vautrin. Je répondrai pour ma part aux questions portant sur les sujets agricoles.

Madame Frédérique Massat, Monsieur Jean-Pierre Nicolas, la volatilité a quatre causes principales : le climat, l’environnement, les changements comportementaux, les décisions politiques. Je serais donc tentée de dire que la spéculation n’est que le « supplément d’âme » de cette volatilité. L’objectif de notre rapport, Mme Pascale Got l’évoquait, était d’être un outil à la disposition de l’exécutif dans le cadre des négociations du G20.

Monsieur Michel Raison, je partage vos commentaires, notamment sur l’absence de régulation et je voudrais dire à madame Catherine Coutelle que, sur certains sujets viticoles, nous nous sommes déjà retrouvés pour souhaiter davantage de régulation : je veux, évidemment, parler des droits de plantations. C’est au niveau européen au minimum qu’il faut travailler. M. Jean Gaubert a parlé des problèmes d’impact, notamment en Bretagne de la raréfaction des fourrages. On ne peut que partager ses commentaires. On sait les conséquences qu’ont eu en France ou en Russie ces raréfactions de fourrages.

MM. Thierry Benoit, Alain Suguenot et Mme Catherine Coutelle sont intervenus sur le sujet des biocarburants. Je voudrais dire à monsieur Benoit que l’étude de l’économiste Mitchell sur l’augmentation des prix à laquelle vous faisiez allusion et qui a été publiée en 2008 a été très controversée lors de sa sortie. Néanmoins, nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut développer les recherches concernant les biocarburants de seconde génération et des coproduits. S’agissant de la question des terres, les États-Unis ont des rendements importants, qui leur permettent de produire pour les secteurs de l’alimentation et de l’énergie.

M. Suguenot a mis en avant les menaces qui pèsent sur la situation actuelle : je pense que la régulation de l’achat de terres agricoles peut passer par deux voies. En premier lieu, il existe encore de nombreuses terres agricoles, notamment en Afrique ainsi que nous l’ont confirmé les représentants de la FAO que nous avons auditionnés. En second lieu, il faut développer des biocarburants de seconde génération, plus performants, qui permettent de relâcher la pression sur les terres arables.

Mme Laure de la Raudière est revenue sur le sujet des stocks : il y a une initiative à ce sujet dans le cadre du G 20 qui vise également à mettre en place des systèmes d’information sur les marchés agricoles. Cela permet à la fois la constitution de stocks mais aussi une plus grande transparence. Ce sont des réponses tout à fait concrètes.

M. Patrick Lebreton a évoqué la régulation des prix. Il y a effectivement des questions de cet ordre qui se posent au niveau des filières. Pour autant, je pense que personne ici ne veut revenir à une administration des prix mais c’est une piste, en effet, à étudier.

Concernant l’impact des variations des prix des matières premières végétales sur l’élevage, M. Jean-Michel Villaumé a raison, comme M. Michel Raison tout à l’heure s’agissant de la question du bois, ce sont peut-être des thématiques sur lesquelles nous n’avons pas assez insisté dans ce rapport. Il est clair que des liaisons existent. Je m’engage à faire un développement sur ce point en prévision de la publication du rapport. Nous n’avons pas eu connaissance de la note que vous avez évoquée mais il est clair que l’idée de constituer des stocks et de les utiliser en cas de variations des prix à la hausse ou à la baisse pourrait permettre de limiter les variations et c’est un sujet sur lequel nous devrons travailler.

Mme Catherine Coutelle faisait allusion à l’esclavage des enfants, c’est un sujet sur lequel je ne peux que la rejoindre même si ce n’était pas l’objet de notre rapport.

M. William Dumas est intervenu sur l’impact de la Chine sur le cours des matières premières. La Chine en est effectivement un très gros consommateur et a donc une vraie influence sur le cours du blé et du maïs, mais pas sur le riz, pour lequel la Chine est dans un contexte d’autosuffisance. En ce qui concerne les achats de terres et la production « attitrée » de certains produits comme le cacao ou même les fleurs, il y a une réflexion en cours. Nous avons rencontré aux États-Unis, un acteur majeur de l’agroalimentaire mondial, Kraft Foods, qui nous a expliqué qu’ils avaient également envisagé d’assurer leur approvisionnement en faisant l’acquisition de terres.

M. François Loos. Je voudrais commencer par une réflexion générale, en rappelant que nous nous trouvons dans une économie de la rareté. Dans le domaine des matières premières énergétiques et minérales, la production peine à répondre à la consommation. À ce sujet, je rappellerai une anecdote révélatrice : lors de notre déplacement en Chine, Mme Pascale Got et moi-même avons rencontré l’un des représentants de Sinopec – deuxième producteur de pétrole et premier fabricant de produits pétroliers chinois –, qui nous a affirmé que le pays ne consommerait pas plus de pétrole en 2011 qu’en 2010 ! Le discours officiel chinois consiste à apaiser les inquiétudes afin d’éviter toute répercussion sur le niveau des prix. Mais la Chine connaît une augmentation de sa consommation, ce qui pèse énormément sur l’économie mondiale.

La priorité pour l’Europe consiste à exploiter de nouveaux gisements et à instituer une diplomatie coordonnée dans le domaine des matières premières. La France, pour sa part, s’est toujours efforcée d’atteindre un niveau élevé d’indépendance énergétique, ce qui lui a permis de sécuriser en grande partie ses approvisionnements. Mais, à l’échelle nationale et européenne, de nouveaux efforts seront à accomplir au cours des prochaines années. S’agissant des terres rares, la France est relativement épargnée et les perspectives n’incitent pas à l’inquiétude, car les gisements ne manquent pas, que ce soit – pour ne citer que les pays disposant des gisements les plus importants – aux États-Unis, en Australie ou en Afrique du Sud. Toutefois, l’exploitation de ces gisements ne sera envisageable que dans cinq à dix ans et devra tenir compte de contraintes environnementales.

De manière générale, ce sont non seulement la spéculation mais aussi et surtout la rareté qui sont à l’origine de l’augmentation des coûts. M. Jean Gaubert évoquait l’opportunité de conclure des accords avec des pays disposant de réserves importantes. C’est la politique officielle de l’Allemagne. La France n’est pas allée aussi loin, car elle dispose encore, contrairement à l’Allemagne, d’opérateurs miniers tels que Areva ou Eramet. Mais il est vrai que les besoins ont changé de nature : seules 15 matières premières métalliques entraient dans la composition des produits du quotidien il y a cinquante ans ; il y en a aujourd'hui 70.

La négociation avec les pays riches en ressources est indispensable. Il faut tenir compte à cet égard de la dimension géopolitique de l’économie des matières premières. À titre d’exemple, l’exportation du minerai de fer libyen, notamment vers la Chine – premier consommateur mondial – dépend d’un accord avec d’autres pays africains.

Quant à la question très précise de M. Jean-Pierre Nicolas sur les stocks pétroliers, je voudrais dire que, en raison de l’opacité des marchés de gré à gré pétroliers, on ne dispose pas de preuve, mais qu’il existe un faisceau d’indices concordants permettant d’affirmer que la société qui détient le premier stock pétrolier au monde est Morgan Stanley.

Je voudrais également dire à monsieur Lionel Tardy et à madame Laure de la Raudière que les Chinois disent privilégier la France quant à l’approvisionnement en terres rares parce qu’elle collabore avec eux sur ce sujet. Il n’est pas impossible que cela soit lié à des transferts de technologie. Par ailleurs, la Chine affirme diminuer sa production de terres rares notamment pour des raisons environnementales. Ce n’est pas un argument spécieux dans la mesure où on lui demande par ailleurs de se soumettre à des normes internationales rigoureuses en la matière.

Pour conclure, je voudrais dire à M. Jean Gaubert, qui avait évoqué la question du recyclage, que l’exploitation de la mine urbaine est en effet indispensable, car il est aujourd'hui plus rentable dans certains cas d’extraire les matières premières à partir des déchets. Cela nécessite cependant un aménagement de la législation européenne. Pour l’instant, il est interdit, en principe, d’exporter les déchets, bien que certaines sociétés s’y livrent, par exemple en Italie.

M. le président Serge Poignant. Il s’agissait d’une présentation très intéressante, qui a donné lieu à des échanges riches et éclairants. Si vous autorisez la publication de ce rapport, je m’associerai à la démarche de la présidente et des rapporteurs, afin de remettre ce rapport au Président de la République et aux ministères concernés.

La publication du rapport est autorisée à l’unanimité.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 19 octobre 2011 à 10 heures

Présents. - M. Jean-Pierre Abelin, M. Jean-Paul Anciaux, M. Jean Auclair, M. Thierry Benoit, M. Bernard Brochand, M. François Brottes, M. Louis Cosyns, Mme Catherine Coutelle, M. Jean-Michel Couve, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Bernard Gérard, Mme Pascale Got, M. Jean-Pierre Grand, M. Jean Grellier, M. Louis Guédon, M. Gérard Hamel, M. Henri Jibrayel, Mme Conchita Lacuey, Mme Laure de La Raudière, M. Jacques Le Guen, M. Michel Lejeune, Mme Annick Le Loch, M. François Loos, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Germinal Peiro, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Michel Raison, M. Bernard Reynès, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Alfred Trassy-Paillogues, Mme Catherine Vautrin, M. François-Xavier Villain, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Daniel Fasquelle, M. Yannick Favennec, Mme Anne Grommerch, M. Pierre Lasbordes, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jean-René Marsac, M. Philippe Armand Martin, Mme Josette Pons, M. Franck Reynier

Assistaient également à la réunion. - M. Dominique Dord, M. Patrick Lebreton, Mme Catherine Quéré