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Commission des affaires économiques

Mardi 28 février 2012

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Serge Poignant Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

La commission a auditionné M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

M. le président Serge Poignant. Nous concluons logiquement notre série d’auditions des opérateurs mobiles en entendant le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), M. Jean-Ludovic Silicani.

Notre commission entretient depuis longtemps des relations suivies avec l’ARCEP, qui nous a toujours apporté des éclairages précis et fiables sur les enjeux de la régulation du secteur.

L’entrée de Free sur le marché de la téléphonie mobile a suscité de vifs débats, soulevant deux séries de questions. Les premières portent sur l’activation du réseau du nouvel opérateur, sur la terminaison d’appel SMS qu’il demande et sur sa capacité à investir pour déployer un vrai réseau. Les secondes renvoient à l’impact qu’aura, sur le secteur, l’attribution d’une quatrième licence 3G.

Quels sont les éléments que l’ARCEP peut nous apporter afin d’appréhender ces problèmes de façon plus objective ?

L’Autorité a aussi été mise en cause par certains acteurs, qui lui reprochent de n’avoir pas contrôlé plus « sérieusement » l’activation du réseau de Free et de n’avoir pas prévu, dans les licences, des conditions permettant un vrai développement des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (MVNO pour mobile virtuel network operators).

Qu’avez-vous à répondre à ces critiques ?

M. Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Notre rencontre répond au souci d’éclairer et, si possible, de pacifier les débats et les polémiques de ces dernières semaines.

Pourquoi un quatrième opérateur est-il apparu sur le marché de la téléphonie mobile ? Il existe, depuis l’origine, la possibilité d’attribuer quatre licences. Les trois premières le furent, à peu près ensemble, au début des années 2000. Puis une analyse similaire, faite par le gouvernement de M. François Fillon et l’ARCEP, en 2008, a conclu à l’opportunité d’ouvrir le marché à un quatrième opérateur, principalement pour deux raisons.

La première tient à la convergence entre les services de téléphonie fixe et de téléphonie mobile, qui incite les opérateurs soucieux de leur développement à proposer à leurs clients les deux types de services, à haut et, demain, à très haut débit. C’est ainsi que Bouygues Télécom, originellement opérateur exclusivement de téléphonie mobile, a investi dans les services fixes en 2008 et que, en sens inverse, un opérateur uniquement de services fixes, Free, s’est déployé dans le secteur mobile. Je précise que Free a été, en octobre 2009, le seul candidat à l’attribution de la quatrième licence, qui lui fut ainsi attribuée en janvier 2010.

La deuxième raison est la suivante : dans le monde, la France est le pays où les prix des services de téléphonie fixe sont les plus bas. Le triple play, inventé au début des années 2000, est facturé environ 30 euros par mois, contre, par exemple, environ 100 dollars (soit 80 euros) aux États-Unis. Cela permet au plus grand nombre de foyers et d’entreprises d’accéder aux offres à haut débit. En revanche, les prix des services de téléphonie mobile sont, en moyenne, plus élevés chez nous que dans les autres pays d’Europe. Ce constat a conduit le Gouvernement et le régulateur à considérer que le secteur, dominé par l’oligopole des trois opérateurs France Télécom, SFR et Bouygues Télécom, souffrait d’un manque de concurrence.

Free a disposé de deux années, entre janvier 2010 et janvier 2012, pour mettre en place son propre réseau, à un niveau suffisant pour être ouvert au public, c’est-à-dire couvrant 27 % de la population. Pour le reste, il détenait le droit, comme le prévoyaient déjà les licences attribuées aux trois premiers opérateurs, de conclure un accord d’itinérance sur le réseau 2G d’un de ces opérateurs. Free en a négocié les modalités contractuelles avec France Télécom – mais il aurait pu le faire, par exemple, avec SFR – pour l’accès à la 2G et à la 3G. Cet accord concerne tout le territoire qu’il soit couvert ou pas par le réseau de Free.

La licence accordée à Free, comme toutes celles accordées depuis dix ans, précise que, à son ouverture, une proportion minimale de la population doit être couverte. Un territoire (et la population qui y réside) est réputé couvert si, dans 95 % des cas, une communication peut être établie depuis le terminal d’un abonné et durer au moins une minute, sans interruption, à tout moment, de façon statique et à l’extérieur des bâtiments, en zone urbaine. Des définitions similaires sont en vigueur dans tous les pays d’Europe.

La licence de Free a été attaquée devant le Conseil d’État par deux opérateurs concurrents, que vous avez auditionnés. Leurs requêtes ont été rejetées. Mais il est important de noter qu’ils n’ont pas contesté la définition que je viens de rappeler. Eux-mêmes d’ailleurs en ont bénéficié au cours des années précédentes. Et personne n’a suggéré de retenir une autre définition pour un réseau ne disposant pas de 2G lors des consultations qui ont été effectuées.

Comme il s’y était engagé, Free a adressé à l’ARCEP, en novembre 2011, un dossier relatif à la réalisation de son réseau et indiquant couvrir 27 % de la population, en vue de sa vérification avant ouverture au public. Cette vérification a été faite de la même façon que, dix ans plus tôt, pour deux autres opérateurs, France Télécom et SFR. Or, dans le délai imparti par leur licence, ceux-ci n’avaient construit aucune station. À l’époque, l’Autorité de régulation fit preuve de tolérance à leur égard car ils invoquaient des problèmes techniques. Elle leur accorda une année, ou deux, de plus. Bouygues Télécom connut la même situation : aucune station n’avait été installée au bout de deux ans, pas davantage au terme des deux années supplémentaires accordées, ce qui entraîna la mise en demeure de l’opérateur qui, après cinq ans, ouvrit enfin son réseau. Il fallait le rappeler dans l’actuel contexte de polémiques entre concurrents.

Au terme de deux ans, Free a mis en place un réseau dont nous avons, en décembre dernier, vérifié la couverture de 27 %, hors itinérance apportée par France Télécom. Cette vérification était indispensable pour son ouverture, bien qu’il s’agît alors d’un réseau sans abonnés. Nous avons dépêché, dans un échantillon représentatif des zones déclarées couvertes par Free selon leurs cartes, un prestataire de service, choisi parmi les deux ou trois les plus compétents en Europe, chargé d’effectuer les contrôles correspondants, suivant une méthode extrêmement rigoureuse. Celle-ci a été identique à celle appliquée à tous les autres opérateurs depuis dix ans, notamment au cours des derniers mois pour contrôler l’achèvement des réseaux 3G d’Orange et de SFR. Le contrôle a confirmé qu’un peu plus de 27 % de la population étaient bien desservis par le réseau propre de Free.

Free a ouvert son service mobile le 10 janvier. Une polémique a alors démarré au sujet du respect par cet opérateur de ses obligations réglementaires. Ce fut pénible pour tout le monde : je n’apprécie guère la République des rumeurs. Quand on conteste quelque chose, on le fait, en toute transparence, devant les organes compétents, en l’occurrence le régulateur des télécommunications, et selon des procédures bien établies, au moyen d’arguments pertinents.

L’ARCEP a poursuivi son travail avec sérénité et a considéré que, bien qu’il ne fût pas obligatoire, un nouveau contrôle était souhaitable pour apaiser les esprits et apporter une garantie supplémentaire de transparence aux autorités publiques comme aux différents acteurs. Nous y avons donc procédé au cours de ce mois de février. J’ai ainsi le plaisir aujourd’hui d’en communiquer, en primeur, les résultats à la représentation nationale. Ce contrôle confirme non seulement que Free couvre bien un peu plus de 27 % de la population, mais aussi que le nombre de stations allumées – pas uniquement installées – s’élève à 735, en forte augmentation depuis décembre. La liste des stations mises en place figure sur le site de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), compétente pour autoriser le déploiement des stations et qui en vérifie le fonctionnement. Free détient aujourd’hui environ 1 700 autorisations d’installation et a déclaré avoir installé environ 950 stations. Entre décembre 2011 et février 2012, Free a éteint un certain nombre de stations, notamment dans les centres de grandes villes, mais en a allumé un plus grand nombre, de sorte que son taux de couverture a légèrement augmenté et le nombre de stations en service effectif est passé de 594 à 735.

Comment procédons-nous aux vérifications correspondantes ? Nous demandons à un prestataire de services de vérifier sur place, pour un échantillon représentatif de sites géolocalisés – faute des moyens nécessaires pour se rendre partout –, que les stations sont bien en service pour couvrir le pourcentage voulu de population. Nous utilisons pour cela les cartes de géolocalisation postale, les plus précises qui soient, à l’immeuble près. Les agents du prestataire circulent sur l’ensemble d’une zone, ainsi que sur ses bordures, en tenant également compte de ses axes principaux et de ses différents quartiers, afin de contrôler que, à tout moment de la journée jusqu’à vingt et une heures, les terminaux bloqués sur le seul réseau de Free – donc hors itinérance – permettent bien de desservir la population de la zone considérée. Ensuite, nous additionnons des zones ainsi effectivement couvertes pour vérifier que cela correspond à au moins 27% de la population.

Le quatrième opérateur remplit donc son obligation réglementaire. Mais lorsqu’on débloque le droit à l’itinérance, dans les zones couvertes par Free, les communications peuvent passer soit par le réseau de Free, soit par celui d’Orange, nécessairement plus efficace et devant probablement le rester pendant encore plusieurs années. Le consommateur ne s’aperçoit bien sûr de rien lors de sa communication.

Des contrôles ont été effectués dans des zones où les opérateurs considéraient que le réseau de Free était très peu utilisé par rapport à celui d’Orange. Ils ont établi que, si une part significative du trafic passait bien par Orange, celle-ci était sensiblement moins importante que ne l’indiquaient certains chiffres cités vers la mi-janvier. Free a donc poursuivi le déploiement de son réseau.

Précisons aussi que le niveau du trafic de Free passant par le réseau d’Orange relève non d’une question réglementaire, mais de l’application d’un contrat de droit privé conclu entre France Télécom et Free, dans des conditions qu’ils ont définies. Si le contrat n’est pas respecté par l’une des parties, il leur revient d’en discuter, éventuellement de conclure un avenant – le trafic étant beaucoup plus important que prévu – et, le cas échéant, de dénoncer le contrat ou d’utiliser les voies de recours. Enfin, dans certains cas, les parties peuvent saisir l’ARCEP pour un règlement de différend. Nous n’avons été saisis d’aucune demande en ce sens et nous croyons savoir qu’actuellement France Télécom et Free discutent des ajustements à apporter au contrat qui les lie.

Tous ces éléments doivent être rapportés aux ordres de grandeur du marché. La clientèle d’Orange comporte près de 28 millions d’abonnés. Dans les hypothèses les plus optimistes, celle de Free doit atteindre 2 millions d’abonnés. Pour les 73 % de la population non couverte par le réseau de Free, les communications des abonnés de Free passent obligatoirement par le réseau d’Orange. Si on fait l’hypothèse que, pour la zone couverte par Free, la moitié des communications passent par le réseau d’Orange, on voit qu’environ 87 % du trafic de Free passe par le réseau d’Orange, soit celui de 1,7 million d’abonnés environ qui s’ajoutent, d’une certaine façon, à la clientèle de celui-ci. Ce trafic additionnel n’apparaît donc pas de nature à perturber l’équilibre du réseau d’Orange.

Mme Laure de La Raudière. En vous entendant, monsieur le président de l’ARCEP, je me demande si nous n’avons pas manqué l’occasion de revoir la définition de la couverture des réseaux pour les licences 4 G. Les critères que vous avez rappelés me semblent, en effet, emporter d’importantes conséquences sur la compréhension de celle-ci par le consommateur ordinaire. Tandis qu’Orange prétend que 97 % du trafic de Free passe par son réseau, l’ARCEP explique que Free respecte son obligation réglementaire de 27 % de couverture : cherchez l’erreur ! On nous présente des ratios sensiblement différents et, pour en expliquer les écarts, on nous renvoie à la vieille définition de la couverture.

Je dois cependant féliciter l’ARCEP de son travail pour la mise en place de la 4G à travers les lots d’attribution de fréquences : ce fut une belle réussite pour l’État français. Selon certaines rumeurs, concernant les stratégies d’Orange ou de BT, ces opérateurs engageraient un déploiement de la 4G plus rapide que prévu en raison de l’arrivée de Free mobile avec ses prix cassés. Pouvez-vous le confirmer ? Que pensez-vous de l’évolution en cours des stratégies des différents opérateurs pour apporter du très haut débit mobile, quand Free apporte du haut débit mobile à moindre prix ?

L’agressivité commerciale de Free, qui favorise à court terme un développement beaucoup plus large de l’internet mobile grâce à une baisse des coûts de la data, se traduit-elle par des hypothèses de croissance du trafic supérieures aux capacités des réseaux des opérateurs, en particulier d’Orange ? Cet opérateur nous avait d’abord assuré qu’il ne rencontrerait aucun problème sur ce plan via la 3G mais, quelques jours plus tard, son président reconnaissait une difficulté de fonctionnement technique.

Nous sommes donc gênés par l’accumulation d’informations contradictoires, d’une audition à l’autre, qu’il s’agisse de la couverture des réseaux, des capacités d’acheminement du trafic ou des moyens d’investissement des opérateurs. M. Stéphane Richard, président d’Orange, nous avait certifié que l’évolution récente du marché ne remettait nullement en cause ses importants projets d’investissement dans la fibre optique. Les collectivités locales en doutaient cependant, avant même l’arrivée de Free mobile. Elles vont donc se poser encore plus de questions. Quels conseils pouvez-vous leur donner ?

Le cadre réglementaire du déploiement de la fibre optique est arrêté depuis juillet dernier. Je ne suis pas de ceux qui veulent modifier les règles avant même qu’elles aient eu l’occasion de s’appliquer. Il n’empêche que des aménagements sont peut-être déjà nécessaires pour faciliter l’accélération du processus. Quelles idées d’améliorations pourriez-vous nous suggérer à ce titre ?

Existe-t-il, au sein de l’ARCEP, des travaux sur les problèmes de pénurie des adresses IPv4 internet et sur les conséquences du passage d’IPv4 à IPv6 ? Là encore, quelles recommandations pourriez-vous formuler auprès de la représentation nationale afin d’anticiper au mieux les futures évolutions d’internet ?

Mme Corinne Erhel. Le lancement de Free mobile s’est effectué dans un contexte paradoxal : d’un côté, sa communication fut très puissante, avec des offres tarifaires « de rupture » et, de l’autre, les polémiques enflèrent très vite. Voilà donc la cinquième audition à laquelle nous procédons sur ce thème et nous n’avons fait qu’accumuler des informations, parfois complémentaires, mais le plus souvent divergentes.

Lors des débats au Parlement sur la quatrième licence de téléphonie mobile, mon groupe avait signalé le problème posé par la notion de couverture du territoire. Je constate que chacun comprend aujourd’hui celle-ci à sa manière.

M. Éric Besson, ministre chargé de l’économie numérique, a annoncé un certain nombre de relevés complémentaires effectués par l’ANFR, dont les résultats seraient connus demain. Les méthodes employées par l’Agence sont-elles les mêmes que celles de l’ARCEP ? Que se passerait-il si les deux organismes faisaient apparaître une divergence dans leurs résultats ?

SFR nous a indiqué avoir procédé à 3 000 mesures et les avoir communiquées à l’ARCEP. Comment réagissez-vous à ces éléments d’information supplémentaires ? Pourquoi tant de divergences sur la notion de couverture ?

Le contrat d’itinérance a-t-il, à votre connaissance, intégré la problématique de paramétrage du réseau ? Il est en effet apparemment possible pour un opérateur de définir l’intervalle entre deux procédures de sélection automatique, pouvant aller de quelques minutes à plusieurs heures, lui permettant ainsi de connecter un téléphone mobile au réseau d’itinérance avant de repasser sur son réseau nominal. Un tel intervalle peut donc, en fonction de sa longueur, avoir une répercussion sur l’usage de tel ou tel réseau. S’agit-il d’un procédé couramment utilisé ? Est-il rendu possible par l’accord entre France Télécom et Free ? Cela peut-il expliquer les divergences de taux dans la perception de la couverture ?

Frank Esser, président de SFR, que nous avons entendu la semaine dernière, s’est demandé si son contrat d’itinérance permettait à Free de disposer d’un réseau de complément, de supplément ou de substitution. Cela rejoint vos propos sur le passage majoritaire des communications de Free, même en zone couverte par son propre réseau, sur celui d’Orange. Pourriez-vous préciser davantage ce point ?

La décision prise par l’ARCEP, le 18 décembre 2009, pour retenir la candidature de Free, consacre un paragraphe aux investissements de l’opérateur dans son réseau, qui devaient faire l’objet d’un tableau prévisionnel à présenter avec le dossier de candidature. Comment l’ARCEP en assure-t-elle le suivi ? Compte tenu des perspectives dessinées pour la fibre optique et pour la 4G, nous pouvons légitimement nous inquiéter de la capacité des opérateurs à maintenir le volume d’investissements initialement prévu ?

Le niveau de la terminaison d’appel data fait actuellement l’objet d’un débat. Quelle est votre analyse de la question ?

L’ARCEP a reçu des représentants syndicaux, notamment des équipementiers, inquiets de l’impact de la récente évolution du marché sur l’ensemble de la filière des télécommunications. Partagez-vous ces inquiétudes sur l’impact tant à court terme qu’à moyen et long terme ?

M. Daniel Paul. J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises au cours de ces dernières années : eu égard à l’importance économique et industrielle du secteur, y compris pour l’aménagement du territoire, l’ouverture des télécommunications à la concurrence n’a jamais eu notre faveur.

Ce que nous découvrons depuis quelques semaines, à travers les auditions des différents opérateurs et aujourd’hui de l’ARCEP, appelle un bilan précis de la politique menée dans ce domaine depuis l’ouverture du marché à la concurrence jusqu’à l’arrivée de Free mobile comme quatrième opérateur.

La session parlementaire se terminant dans quelques jours, la poursuite de nos investigations relèvera de la prochaine législature. Comme l’ont notamment montré les interventions de Mme Laure de La Raudière et de Mme Corinne Erhel, nous sommes face à des interrogations majeures. Nous avons entendu, de quatre opérateurs, quatre vérités différentes, et nous en enregistrons maintenant une cinquième, celle de l’ARCEP…

M. Jean-Ludovic Silicani. C’est celle de l’État, que je représente …

M. Daniel Paul. Cela n’a aucune importance !

Mme Laure de La Raudière. Venant d’un communiste, cette réflexion ne manque pas de sel !

M. Daniel Paul. Attention, ne confondons pas les différentes phases de développement des télécommunications mobiles ! Il s’agit aujourd’hui de réussir la mise en place de la concurrence dans le domaine des télécommunications, comme dans celui de l’énergie ou dans d’autres encore. Nous parvenons, pour cela, à la fin d’une première phase. Comment s’est-elle déroulée ? Quelles modifications nous incite-t-elle à introduire dans le cadre législatif et réglementaire ?

Nous sommes en face d’un défi technologique qui va nécessiter des moyens considérables, avec des incidences sur nos collectivités territoriales. Aujourd’hui, certains départements et certaines villes sont confrontés à des opérations d’aménagement qui intègrent ces données. Il faut donc se demander si ce que nous avons mis en place au cours des dernières années peut accueillir les développements qui s’annoncent, notamment sur les plans économique et industriel. Pour parvenir à une baisse des coûts, continuera-t-on d’accepter que des opérateurs prennent leur place au soleil sur notre territoire avec une partie de leurs personnels à Rabat ou ailleurs ? On me rétorquera que le phénomène se manifeste aussi dans l’automobile et dans d’autres secteurs. Sauf qu’il ne s’agit pas d’automobile et que nous sommes tous d’accord, sous des formes diverses, pour affirmer que le développement industriel passe par la remise en cause de délocalisations ou de « colocalisations » à l’étranger.

Je ne condamne pas l’ouverture à la concurrence, mais je conteste la façon dont elle s’opère. Si vous reprenez les quatre auditions que nous avons faites, vous verrez que chacun voit midi à sa porte.

Trois questions maintenant.

La définition de la couverture ne doit-elle pas être revue ? On ne change certes pas les règles du jeu au milieu de la partie, mais ne serait-il pas justifié, compte tenu notamment de ce que nous a expliqué M. le président de l’ARCEP, de revoir ce point ?

J’ai déjà posé la question à Xavier Niel, qui n’a pas apprécié : Free n’est-il pas en train de devenir le low cost d’Orange ?

Enfin, ne faudrait-il pas que les questions sociales soient également mises au cœur de la problématique, de ses enjeux comme de nos discussions, à même enseigne que les questions techniques ?

M. François Brottes. L’ARCEP est garante, à la fois, de l’aménagement du territoire, de la qualité constante des services et de tarifs compatibles avec le pouvoir d’achat des ménages, dont le porte-monnaie est de plus en plus sollicité dans le domaine considéré.

Vous nous avez expliqué que, d’une certaine façon, l’itinérance faisait renaître le monopole : à quoi bon, en effet, disposer d’une infrastructure pour offrir de nouveaux services dès lors qu’il en existe déjà une qui puisse tous les porter ?

Je n’ai jamais été partisan de la concurrence pa r les infrastructures. Mais, en tant que président de l’ARCEP, vous êtes mandaté pour cela, quel que soit votre éventuel avis personnel. Nous en prenons acte.

Vous avez évoqué les stations allumées alors qu’on nous avait auparavant expliqué que celles-ci n’étaient pas forcément utilisables. Les vérifications de l’ARCEP sont effectuées selon des règles qu’elle a elle-même déterminées, le législateur n’étant pas entré dans ce détail après avoir fixé les normes de couverture du territoire. Cette réglementation ne devrait-elle pas être révisée dans la mesure où le régulateur observe que le déploiement des infrastructures ne répond qu’imparfaitement aux objectifs attendus ?

Je me souviens de l’échec cuisant de la boucle locale de radio, auquel vous n’êtes bien sûr pour rien. La façon dont on avait découpé les lots, ainsi que le territoire, avait conduit à une impasse, comme quoi même un régulateur peut se tromper.

Puisque, par définition, on peut facilement pratiquer l’itinérance sur une seule fibre optique, en raison de l’absence de risque de saturation, pourquoi s’orienter vers le déploiement de quatre fibres ? Cela paraît absurde au moment où l’on cherche plutôt à développer les réseaux qu’à concentrer au même endroit un nombre croissant de fibres.

Dans ces conditions, l’ARCEP se positionne non seulement comme un gendarme et un régulateur, mais aussi comme le garant des grands objectifs fixés dans le domaine des télécommunications. Le fait d’avoir fixé un cadre à un moment donné ne doit pas empêcher de le faire évoluer si l’on constate quelques dérives, pour ne pas dire quelques déviances.

M. Lionel Tardy. L’arrivée de Free redistribue les cartes sur le marché de la téléphonie mobile et l’avenir des MVNO s’annonce difficile. En restera-t-il encore à moyen terme ? S’ils venaient à disparaître, quel sens donner aux clauses les concernant dans les attributions de licences aux autres opérateurs ?

Des pressions ont été exercées afin qu’on recalcule le taux de couverture du réseau de Free mobile. Combien ont coûté les opérations de vérification correspondantes et qui les prend en charge ?

Quelle évolution envisagez-vous pour la terminaison d’appel SMS dont bénéficie Free ?

Vous avez rappelé que l’accord commercial d’itinérance nationale conclu entre Orange et Free, sur la 2G et la 3G, constitue un contrat de droit privé dont vous ignorez les détails…

M. Jean-Ludovic Silicani. Nous n’avons pas en connaître tant que nous ne sommes pas saisis d’un éventuel différend dans son exécution. Mais le contrat nous a été communiqué et nous le conservons dans un coffre fort !

M. Lionel Tardy. Vous avez confirmé que le taux de couverture de 27 % était respecté. Se pose néanmoins la question de la qualité du réseau, comme l’ont montré toutes nos auditions. Free n’ayant pas eu le temps de construire un réseau intégralement en fibre optique, les liaisons entre les antennes et les premières stations relais sont en fil de cuivre, lequel transmet moins de données que la fibre optique. Et, donc, conformément au contrat d’itinérance, ce sont les antennes d’Orange qui prennent le relais, ce qui explique que 97 % des appels vers Free mobile transitent par le réseau de cet opérateur. Certes, celui-ci n’est pas malheureux puisqu’il va surfacturer le dépassement de forfait. On parle aujourd’hui de plus de 100 millions d’euros par an à ce titre. Des discussions sont donc en cours pour parvenir à un nouvel accord. Mais, à court terme, le fait qu’une bonne partie des 1,5 million d’abonnés de Free, dont les deux tiers ont un forfait illimité, transitent par le réseau d’Orange a provoqué, début février, des incidents graves dus à la saturation de celui-ci. Rien ne dit que de tels incidents ne se reproduiront pas car il faut un certain temps pour redimensionner les réseaux. C’est aussi pourquoi nous attendons impatiemment la 4G.

Mme Frédérique Massat. Le 25 janvier, M. Xavier Niel nous a déclaré que l’on dénombrait à ce jour 1 000 antennes actives. Aujourd’hui, vous nous dites, monsieur Silicani, que vous en avez compté 753. Pourquoi cette différence ?

Je voudrais par ailleurs vous remercier de nous avoir communiqué, en avant-première, vos résultats. Ceux de l’ANFR devraient en principe être connus demain ou après-demain. Mais pourquoi le ministre Besson a-t-il demandé à cette dernière de procéder, elle aussi, à un audit sur la couverture effective de Free ? Peut-on parler d’une concurrence entre vos deux structures ? Comme vous venez de le répondre à M. Paul, vous représentez l’État. Certes, mais M. Besson et l’ANFR aussi. Je constate donc que l’État multiplie les dépenses de contrôle sur Free. Est-ce bien raisonnable dans la période actuelle ?

Enfin, monsieur le président Poignant, je tiens à vous remercier pour avoir organisé cette série d’auditions.

M. Jean-Pierre Nicolas. Je voudrais moi aussi vous féliciter, monsieur Poignant, pour ce cycle d’auditions qui se termine par celle de l’ARCEP : après avoir entendu les opérateurs, il était bon d’entendre le « gendarme » des télécoms.

Monsieur Silicani, les rumeurs dont vous nous avez parlé devaient être assez fortes pour que vous acceptiez de procéder à un second contrôle de Free. Ce contrôle a levé les doutes, et c’est tant mieux. Vous nous dites que Free a respecté ses obligations réglementaires, et c’est tant mieux aussi. Mais que penser d’un opérateur qui, tout en ayant respecté ses obligations réglementaires, fait des profits en utilisant des réseaux concurrents ? Cela ne risque-t-il pas de freiner l’évolution vers le très haut débit mobile, alors que l’ouverture de cette quatrième licence avait précisément pour but de développer la concurrence afin de faire baisser les prix du haut débit mobile ?

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le président, 18 % des plaintes déposées en 2010 à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF – concernaient le secteur des communications électroniques. Quel rôle l’ARCEP peut-elle jouer dans la lutte contre les comportements des opérateurs, qui sont régulièrement condamnés par les associations de consommateurs.

Nous avons eu un débat sur la durée des offres – douze ou vingt-quatre mois – et sur les offres avec ou sans terminal mobile. Nous avons également découvert des offres de trente-six mois, ce qui me semble déraisonnable : dans la pratique, le dernier opérateur arrivé sur le marché offre, en plus de l’ouverture d’une ligne, un terminal avec un crédit à la consommation. Quelle est votre position en la matière ?

Un opérateur nous a confié cet après-midi avec fierté qu’au bout de vingt et un mois, les consommateurs souhaitaient renouveler leur offre et changer de terminal mobile. Mais ce n’est pas le fait du hasard : on les relance et, par un simple coup de fil, ils repartent pour vingt-quatre mois. Ainsi, nous avons tendance à nous focaliser sur le premier engagement, en oubliant le réengagement. Votre attention a-t-elle déjà été appelée sur ce point ? Comment faire en sorte que le marché soit plus fluide ?

Par ailleurs, il faut régler la question du SIM blocage pour que le marché soit plus fluide et plus transparent. Quelle est votre position à cet égard ?

S’agissant des chocs de facturation, en particulier pour les consommateurs qui partent à l’étranger, les opérateurs nous disent que, techniquement, ils n’y peuvent pas grand-chose. Vous êtes-vous intéressé au sujet ? Ne serait-il pas possible de se rapprocher des réseaux étrangers pour faciliter l’information et mieux protéger les consommateurs qui ont parfois de très mauvaises surprises à leur retour de vacances ou de voyages professionnels ?

Ma dernière question concerne les réseaux. On nous annonce certains taux de couverture mais, sur le terrain, la réalité est tout autre. Tout citoyen français doit pouvoir accéder au téléphone mobile, mais il n’est pas normal que certains soient privés d’offres particulièrement intéressantes. Qu’envisagez-vous de faire pour stimuler les opérateurs et faire en sorte que l’offre soit plus équitablement répartie sur le territoire national ?

M. Jean-Ludovic Silicani. Plusieurs des questions qui m’ont été posées tournent autour de la définition de la couverture, qui est l’objet central de vos discussions avec les opérateurs et avec le régulateur.

On peut tout à fait imaginer – un débat sur ce thème a eu lieu au Sénat il y a quelques mois – de faire évoluer la définition de la couverture sur certains points : faut-il maintenir ou non le taux de réussite de 95 % ? Faut-il fixer à plus d’une minute la durée pendant laquelle la communication doit rester stable ? Faut-il continuer à mesurer la couverture seulement outdoor, donc hors des immeubles ? Il faut se poser toutes ces questions. Sous réserve que l’équilibre économique soit assuré et que ce soit techniquement possible, on peut envisager de desserrer la définition de la couverture. Un groupe de travail a d’ailleurs commencé à y réfléchir.

Mais cela ne doit pas conduire à confondre la notion de couverture et celle de qualité du service. C’est la notion de couverture qui a été retenue, à tort ou à raison, dans les licences depuis 10 ans. Nous la mesurons donc, en vérifiant que telle zone est couverte ou ne l’est pas. Mais dans une zone couverte, la qualité de service peut être bonne ou médiocre.

J’habite dans le centre de Paris et il m’arrive d’être obligé de sortir de mon immeuble pour téléphoner car la communication ne passe pas à l’intérieur. Malgré un abonnement 3G, il arrive que je n’aie pas de communication 3G, parfois pas de communication du tout, et parfois une communication qui bascule sur la 2G. En tant que consommateur ayant souscrit un abonnement 3G, je pourrais considérer que la zone n’est pas couverte et engager une procédure contre mon opérateur qui n’assure pas le service que je suis en droit d’attendre. Mais tous les opérateurs sont dans cette situation et ils pourraient donc tous être poursuivis pour non-respect de leur obligation de couverture réglementaire ! Voilà à quoi conduirait le fait de s’écarter de la définition que j’ai rappelée à plusieurs reprises depuis le début de cette audition. En outre, avoir un abonnement 3G et basculer sur un service 2G, comme cela arrive dans toutes les zones très urbanisées, c’est pire que d’avoir un abonnement 3G chez un opérateur et de basculer sur un service du même type chez un autre opérateur par la voie de l’itinérance. J’ajoute que si l’on avait poussé le raisonnement, il aurait fallu sanctionner tous les opérateurs depuis les années 2000 ! L’ART, puis l’ARCEP, se sont toujours attachées, lors de leurs contrôles, à respecter la définition de la couverture. On ne peut heureusement pas faire ce que l’on veut en la matière et on ne peut pas faire de discrimination entre les opérateurs. Il était important de le rappeler.

Par ailleurs, quel intérêt Free aurait-il à ne pas investir ? Cela lui coûte en effet beaucoup plus cher de louer le réseau de France Télécom dans le cadre de l’accord d’itinérance que de faire fonctionner son propre réseau. Il serait absurde et contraire à ses propres intérêts de louer ce réseau pendant des années sans investir. D’ailleurs, Free a installé plus de 200 stations supplémentaires entre décembre et février. Il est surréaliste de penser qu’un opérateur pourrait préférer donner à un autre opérateur de l’argent qui pourrait lui rapporter des revenus s’il l’investissait plutôt dans son propre réseau.

M. François Brottes. Emprunter pour procéder à des investissements importants que l’on amortira au fil des années et payer des frais de fonctionnement pour éviter d’être plombé par un endettement potentiel procèdent de deux approches économiques différentes. On ne peut comparer les deux ! Nous ne connaissons pas les montants.

M. Jean-Ludovic Silicani. Nous avons les informations.

M. François Brottes. Alors, il faut nous les fournir.

M. Jean-Ludovic Silicani. L’information que je suis habilité à vous fournir c’est que cela coûte plus cher à Free de louer le réseau de France Télécom. Acceptez de faire confiance au représentant de l’État qui est en face de vous, et qui est un fonctionnaire de la République ! En outre, vous le savez, Free a déposé à l’automne 2011, sa candidature pour l’achat d’une licence 4G dont le prix de réserve était de 400 millions. S’il l’avait obtenue, il aurait dû dépenser au moins 400 millions d’investissement. Il a donc la capacité d’investir.

J’en viens à la stratégie de France Télécom. Stéphane Richard a annoncé récemment qu’il doublerait en 2012, et à nouveau en 2013, le montant des crédits d’investissements affectés à la fibre optique. C’est une bonne nouvelle dont on ne peut que se féliciter. Je réponds au passage à M. Brottes que le débat sur le quadri-fibre, lancé par l’ancien président de France Télécom pour bloquer pendant un an l’élaboration du cadre réglementaire de la fibre optique et donc retarder d’autant l’investissement de la fibre optique en France, n’a aucune pertinence. En effet, la question ne se posait qu’en zone très dense et il n’y a aucune obligation de déployer du quadri-fibre dans les zones moins denses, qui représentent 95 % du territoire. Et même dans les zones très denses, le quadri-fibre n’a rien de systématique ; s’il est recommandé, c’est seulement pour faciliter le changement d’opérateur dans des zones où la concurrence joue à plein. D’ailleurs l’actuel président de France Télécom n’est jamais revenu sur cette polémique. Voilà pourquoi, sur 95 % du territoire, c’est la mutualisation – ou le co-investissement – qui a été retenue dans le modèle réglementaire de l’ARCEP. Cela me semble d’ailleurs satisfaire tout le monde. Mais nous n’avons pas attendu qu’on nous le demande. Nous avons fait nous-mêmes notre aggiornamento. Je peux donc rassurer M. Daniel Paul : nous ne sommes pas béats devant la concurrence, qui a ses vertus et ses limites.

On peut distinguer trois étapes dans la régulation des télécoms. D’abord, une phase de monopole, dont j’ai dit du bien en présentant les vœux de l’ARCEP, il y a un mois. En effet, dirigé intelligemment, un monopole peut être très efficace. En dix ans, entre 1975 et 1985, la France s’est dotée ainsi d’un réseau en cuivre très moderne, lui assurant un haut débit de très grande qualité. Mais les technologies et l’innovation se sont énormément développées. Dans un tel contexte, la concurrence est plus efficace que le monopole. D’où la libéralisation du marché en 1997, dont vous avez dit que vous n’étiez pas opposé par principe.

Je voudrais que tous les secteurs de l’économie aient remporté d’aussi bons résultats que le secteur des télécommunications au bout de quinze années de libéralisation : le volume de production a doublé ; les prix ont baissé de 25 % ; le nombre d’emplois dans le secteur des technologies de l’information et de la communication s’est accru – opérateurs, équipementiers, services, sous-traitants.

Mme Corinne Erhel. Équipementiers ? Cela m’étonnerait !

M. Jean-Ludovic Silicani. Globalement, madame Erhel, les emplois perdus chez les équipementiers, et dans une moindre mesure chez les opérateurs télécoms, ont été largement compensés par ceux qui ont été gagnés chez les prestataires de services qui sont, pour l’essentiel, restés dans notre pays. Ainsi, le secteur de l’économie numérique emploie aujourd’hui 400 000 personnes de plus que l’ancien secteur équivalent, il y a quinze ans. Je ne connais pas d’autres secteurs qui aient évolué d’une façon aussi favorable.

Pour autant, fallait-il se satisfaire de cette situation et continuer comme avant ? Non, et nous avons été les seuls en Europe à dire qu’il fallait faire évoluer la régulation. Nous avions une régulation entièrement asymétrique, dans la mesure où elle pesait entièrement sur l’opérateur historique pour créer le marché. Et nous avons maintenant quatre opérateurs nationaux, tous français, tous mixtes (fixe, mobile), des opérateurs puissants, efficaces, qui font des marges importantes et investissent beaucoup – 7 milliards d’euros l’année dernière, ce qui constitue un record. Le nombre d’emplois est stable, et augmente même depuis quatre ans. Il ne faut pas perdre de vue que dans d’autres secteurs régulés – dont certains ont été cités – les prix augmentent de 10 % par an. Est-ce cela que nous voulons ?

Depuis deux siècles, le progrès de l’économie repose sur la productivité. Nous ne pouvons pas, d’un trait de plume, rayer les gains de productivité qui ont permis de décupler le niveau de vie des habitants de l’Europe pendant cette période : au XIXème siècle, grâce à l’industrie textile, le prix des vêtements a baissé de 90 % ; le prix des automobiles a été divisé par quatre entre 1920 et 1960, ce qui a permis à la plupart des Français de s’en équiper ; en 1952, un réfrigérateur coûtait l’équivalent de dix mois de salaire d’un instituteur, contre une moitié de SMIC aujourd’hui. Voilà ce qu’ont permis les gains de productivité. Et ce n’est pas du low cost ! Il ne faut pas confondre les gains de productivité, remarquablement décrits par de grands économistes comme Edmond Malinvaud, avec le low cost qui consiste à utiliser, dans des pays en développement, une main-d'œuvre mal payée, mal protégée sur le plan social et qui produit souvent dans des conditions environnementales catastrophiques.

Free propose aujourd’hui à 20 euros un service que ses concurrents vendaient 30 ou 40 euros : cela profite au consommateur. Cela dit, il faudra vérifier si ce modèle est viable à moyen et long terme. Nous vérifierons donc, fin juin, si les éléments figurant dans le dossier de candidature correspondent à la réalité des comptes que Free va devoir nous apporter. Mais le fait qu’un opérateur baisse le prix d’un service de qualité devrait être une bonne nouvelle à un moment où le pouvoir d’achat des Français stagne. Il est extraordinaire que cela soit perçu comme une mauvaise nouvelle ! Quant à l’argument selon lequel cela présente un risque pour l’emploi, là encore, ne faisons pas la même erreur que les marchés financiers en raisonnant à court terme. Certes, la concurrence peut faire diminuer l’emploi dans la mesure où elle stimule la compétition et fait baisser les coûts, mais il existe une autre variable d’ajustement, à savoir les dividendes qui, dans le secteur des télécoms, s’élèvent à 5 milliards. À moyen et long terme, les gains de productivité et les baisses de prix génèrent du pouvoir d’achat et créent de la demande. Depuis des siècles, tous les économistes, qu’ils soient libéraux ou socialistes, ont démontré que le progrès technique était un élément décisif de la croissance, de la création d’emplois et du pouvoir d’achat. Il faut éviter la confusion entre ce processus vertueux de long terme et le recours à des produits importés ou à des services délocalisés qui est une vraie question politique relevant de la compétence du Parlement et de l’Union européenne. Voilà pour le contexte économique général.

On m’a demandé ce que faisait l’ANFR. Pour le savoir, il faut s’adresser à la personne qui lui a passé commande, c’est-à-dire au ministre de l’industrie. Cela dit, j’ai eu deux longues conversations avec le directeur général de l’ANFR, qui se sont très bien passées. Ce que cette agence fait est très utile. C’est d’ailleurs pourquoi j’avais moi-même suggéré à M. Besson, dans un courrier que je lui ai envoyé, que l’ANFR nous apporte son soutien technique dans les contrôles que nous effectuions. Par exemple, elle est à même de vérifier, de façon exhaustive, le nombre des pylônes qui sont allumés, ce que nous n’avons pu faire qu’à partir d’un échantillon représentatif.

L’ANFR et l’ARCEP peuvent donc mener des actions parfaitement complémentaires. En revanche, s’il était demandé à l’ANFR de refaire une mesure de couverture identique à celle de l’ARCEP, ce serait comme si le ministre de l’économie et des finances demandait à la Direction du Trésor de refaire un indice des prix parce que l’indice des prix de l’INSEE ne lui conviendrait pas. Ce serait évidemment inacceptable. J’exclus donc totalement cette hypothèse.

Le directeur général de l’ANFR m’a indiqué que son agence travaillait sur les stations allumées. C’est en effet auprès de l’Agence nationale des fréquences que les stations sont autorisées et déclarées. Il n’y a donc rien de choquant à ce que l’ANFR procède à un contrôle exhaustif des stations qui sont installées et allumées. Et si, madame Erhel, vous interrogez son directeur général, il vous confirmera qu’il ne peut pas mesurer la couverture du territoire par quelque réseau que ce soit. Il n’en a ni les compétences techniques ni les pouvoirs. Il n’a pas les informations dont nous disposons en tant que régulateur. L’ANFR ne peut pas mesurer la couverture de la population par le réseau de Free, au sens que prévoit la licence.

S’agissant de la fibre optique, nous sommes le premier régulateur en Europe à avoir achevé la mise au point du cadre réglementaire, à la fois sur les réseaux fixes – fibre optique – et sur les réseaux mobiles à très haut débit, puisque les licences 4G viennent d’être attribuées. C’est une condition nécessaire pour les déploiements, mais ce n’est pas une condition suffisante. Il faut en effet maintenant que des opérateurs investissent. Il peut s’agir d’opérateurs privés ou de collectivités locales. Le cadre réglementaire que nous avons édicté est totalement neutre au regard des opérateurs, qu’ils soient publics ou privés. Donc, les débats qui ont lieu dans d’autres enceintes sur la question de savoir s’il fallait plus ou moins d’investissements venant des collectivités locales ou des opérateurs privés sur la fibre optique ne nous concernent pas. Nous n’avons pas prévu de dispositions spécifiques interdisant ou favorisant quel qu’investissement que ce soit, qu’il soit public ou privé.

En revanche, pour répondre à Mme Laure de la Raudière, la priorité du prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra être de renforcer le pilotage général du déploiement du grand réseau de fibre optique sur l’ensemble du territoire, quels que soient les acteurs qui le réaliseront – pour partie des opérateurs privés et pour partie des opérateurs publics. Il faudra mettre en place un organe de pilotage en 2012 et l’ARCEP pourra mettre ses compétences à sa disposition.

Le paramétrage est un sujet important. Une station se définit non seulement par sa puissance, mais aussi par des paramètres comme l’orientation de son antenne, la durée de rappels automatiques d’un réseau à l’autre ou le nombre minimum de décibels du signal. Ces paramètres sont fixés au moment où la station est installée. La question est de savoir si, dans l’accord passé avec Free, France Télécom a fixé des niveaux de paramétrage obligatoires sur les stations de Free, qui conditionneraient l’application de l’accord d’itinérance. Si tel n’est pas le cas, France Télécom ne peut pas se plaindre, et si tel est le cas, il appartient à Free de respecter ce qui est prévu. Je ne peux pas, car ce sont des informations protégées par le secret des affaires, vous dire ce qu’il en est, mais France Télécom a les capacités de veiller à la mise en œuvre de son contrat et Free l’obligation de respecter les obligations qui figurent dans celui-ci.

Comme je l’ai déjà dit, nous vérifierons, le 30 juin 2012, les comptes, les investissements et, d’une façon générale, les obligations et les engagements de Free, puisqu’il doit nous remettre un document et un premier bilan.

Des questions ont été posées sur les terminaisons d’appel voix. Nous sommes à la fin d’une phase de consultations des acteurs, des experts, et nous allons maintenant envoyer à la Commission européenne un projet de cadre de régulation pour la terminaison d’appel voix pour Free et pour les principaux opérateurs MVNO concernés. Nous avons prévu, dans la version mise en consultation publique, une asymétrie un peu inférieure à celle dont bénéficiait Bouygues Télécom quand il était un nouvel entrant, et ceci, conformément au cadre communautaire. Pour autant, je constate que les critiques formulées par certains opérateurs sur la terminaison d’appel voix ont diminué.

Se posera ensuite la question de la terminaison d’appel SMS. Nous n’avons pas l’obligation de réguler ce marché au regard des dispositions communautaires. Mais cela ne veut pas dire qu’il est interdit de le faire. Nous avions deux options. La première consistait à laisser les opérateurs fixer leur terminaison d’appel et à jouer notre rôle de « juge de paix » pour régler d’éventuels différends. La seconde consistait à réguler ex ante le marché de la terminaison d’appel SMS. Nous avons choisi cette dernière, comme nous l’avons annoncé il y a quinze jours, et cela nous semble de nature à permettre de traiter la question de façon plus apaisée.

J’ai répondu aux questions de M. Daniel Paul sur l’évolution de la régulation. J’ai bien montré que nous étions capables d’évoluer.

Monsieur Brottes, ce qui nous différencie de l’Autorité de la concurrence, c’est que l’ARCEP poursuit plusieurs objectifs d’intérêt public. Nous devons veiller, bien sûr, à ce que la concurrence soit suffisante, mais cela ne nous obsède pas et nous avons toujours en vue d’autres objectifs d’intérêt général, notamment celui de l’aménagement du territoire. Mme Laure de la Raudière peut en témoigner : lorsqu’il a fallu fixer les règles d’attribution des licences 4G, l’ARCEP s’est battue pour que soient respectés l’esprit et la lettre de la loi Pintat. Pour la première fois, non seulement en France mais aussi en Europe, s’agissant des obligations de couverture, priorité a été donnée aux zones les moins denses. C’était aller à contre-pied des opérateurs qui, par pure logique économique, souhaitaient que l’on investisse d’abord dans les zones les plus rentables, comme cela été fait pour la 2G et la 3G. Nous avons ainsi défini une zone prioritaire d’aménagement du territoire correspondant aux zones les moins denses du territoire, soit 62 % de celui-ci, et qui devra être équipée en très haut débit mobile plus vite que le reste du territoire.

Par ailleurs, et c’est là encore une première, nous avons mis en place un mécanisme d’incitation extrêmement forte – qui est une quasi-obligation – de mutualisation des réseaux de téléphonie mobile pour cette même zone prioritaire. Nous avons dû nous battre contre vents et marées pour faire passer cette idée qui s’imposait ! Aujourd’hui, il faut économiser l’investissement et il est normal que, dans les zones les moins denses, les opérateurs mutualisent la réalisation de leur réseau 4G – tant les réseaux que les fréquences. Donc, quand j’entends dire et que je lis, dans la presse ou ailleurs, qu’il faudrait que les régulateurs européens fassent leur aggiornamento, je réponds que nous avons fait le nôtre et que nous savons qu’il faut favoriser la mutualisation, que ce soit sur les réseaux fixes – fibre optique – ou sur les réseaux mobiles.

Monsieur Tardy, les MVNO sont en effet un vrai sujet. Les plus gros ne semblent pas trop perturbés par le nouveau paysage de la téléphonie mobile, et je m’en réjouis pour eux. Les plus petits ont plus de difficultés, parce qu’ils recherchent un modèle économique qui soit conciliable avec les nouveaux tarifs de Free. Mais ces questions concernent essentiellement les marchés de détail, sur lesquels nous n’avons pas de pouvoir de régulation. Selon la Commission européenne, nous n’avons pas non plus le pouvoir de réguler les relations entre l’opérateur de réseau et l’opérateur MVNO qui vient lui demander de louer son réseau. Néanmoins, ces MVNO pourront désormais trouver plusieurs offres chez plusieurs opérateurs puisque des engagements de type « full MVNO » ont été prises sur la 4G par tous les opérateurs et que les offres en ce sens se développent aussi pour la 3G. Ainsi, les MVNO pourront mettre en compétition les opérateurs de réseau. Ces derniers seront sans doute amenés à baisser leurs prix de location. L’objectif est que ces prix soient suffisamment bas pour que les MVNO puissent trouver des revenus nécessaires avec les prix de détail qu’ils appliquent à leurs abonnés. Je ne peux pas dire, pour autant, que je suis optimiste. Les petits MVNO devront sans doute se regrouper, à l’instar de ce qu’ont fait, il y a dix ans, les fournisseurs d’accès à internet. Pour les MVNO qui opèrent sur des niches, le prix n’est pas le facteur le plus important ; je veux dire par là qu’un opérateur peut parfaitement exister, même si ses prix sont plus élevés. Ce dernier argument est un élément de réponse au problème plus général posé par l’arrivée, sur le marché mobile, de Free qui axe son offre sur un prix bas. Cela n’empêche pas d’autres opérateurs de pratiquer des prix plus élevés. Il en est de même dans les autres secteurs. On ne choisit pas toujours le produit le moins cher, notamment si l’on préfère bénéficier d’une meilleure qualité.

Pour revenir au sujet central de notre audition, le fait que Free affiche des prix bas conduit les opérateurs non seulement à baisser leurs prix, ce qui est positif pour le pouvoir d’achat du consommateur, mais aussi se distinguer en proposant des offres plus qualitatives, avec des services associés. Je pense que, dans les prochaines années, le marché de la téléphonie mobile verra coexister des offres à prix bas, qui permettent à ceux qui ne veulent ou ne peuvent dépenser beaucoup d’argent d’avoir accès à un service de télécommunications, et des offres à des prix plus élevés, à destination de personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas passer des heures sur internet pour trouver la réponse à leurs questions.

Mme Massat m’a interrogé sur le nombre d’antennes « en service », que Xavier Niel a estimé à un millier.

Mme Frédérique Massat. Il a parlé d’antennes « actives » !

M. Jean-Ludovic Silicani. Je pense qu’il faisait référence au nombre d’antennes déclarées par Free à l’ANFR : des antennes installées, en état de fonctionner et à même d’offrir un service. Cela correspond au chiffre se trouvant sur le site de l’ANFR qui les évalue à un petit millier.

Mme Frédérique Massat. Il a parlé d’antennes « actives ».

M. Jean-Ludovic Silicani. Je ne suis pas le gardien des mots prononcés par M. Niel. Reposez-lui la question, mais je pense qu’il faisait référence, en commettant sans doute un abus de langage, aux antennes dont je viens de parler.

Sur ce petit millier d’antennes – exactement 924 – en état d’être activées, 735 étaient allumées, fonctionnaient et assuraient ce taux de couverture de 27 %. Aujourd’hui, soit deux ou trois semaines après notre contrôle, près d’un millier sont déclarées à l’ANFR comme en état d’être activées, et plus de 800 effectivement en service, donc allumées. Comme vous le voyez, le réseau évolue en permanence. Nous pouvons nous en réjouir car, in fine, tout le territoire devra être couvert.

Monsieur Fasquelle, vous avez raison, le secteur des télécoms est l’un de ceux qui génèrent le plus de réclamations de la part des consommateurs. La loi a confié à l’ARCEP le soin de s’assurer de la bonne protection des consommateurs. En février 2011, au terme d’une année de travail, nous avons ainsi rendu publiques une trentaine de propositions – dont certaines concernaient aussi la Poste – visant précisément à améliorer la transparence, la fluidité et la qualité du service. C’est donc à tort que l’on nous a reproché de nous occuper de ce qui ne nous regardait pas. Nous sommes d’autant plus fiers d’avoir fait notre travail que le nombre des problèmes de droit de la consommation et de droit des télécommunications qui se posent aux consommateurs finaux est très élevé. Je vous précise également que nous travaillons avec la DGCCRF de façon tout à fait satisfaisante.

Nous avons proposé, en premier lieu, de développer les offres nues : le consommateur peut acheter, dans ce cas, un service distinct du terminal. Celles-ci n’existaient quasiment pas il y a trois ans. Un des opérateurs que vous avez auditionnés m’avait dit, fin 2010, que cette proposition était absurde et totalement impossible à mettre en œuvre. Pourtant, six mois plus tard, ce même opérateur a inclus une offre nue dans ses offres ! Cela prouve que les opérateurs doivent éviter d’adopter des positions fermées. Le marché évolue et ils doivent pouvoir répondre à la demande. En effet, certains consommateurs souhaitent une telle offre parce qu’ils ont déjà un terminal et n’ont pas forcément envie d’en racheter un autre. Par ailleurs, tous ces terminaux sont importés, ce qui coûte à notre pays 3 milliards d’euros par an. Si les offres nues se développent, nous en importerons moins, ce qui sera une bonne chose sur le plan économique comme sur le plan écologique.

Nous avons également proposé de favoriser les offres sans engagement ou avec des engagements plus courts. Certaines dispositions du projet de loi visant à renforcer le droit des consommateurs vont dans ce sens. Il en est de même des propositions que nous avons faites sur le simlockage. Je ne sais pas si ce projet de loi aboutira, mais peut-être sera-t-il repris ultérieurement.

M. le président Serge Poignant. Mes chers collègues, je me félicite de constater que cette série d’auditions vous a fortement mobilisés. Ces auditions étant publiques, peut-être même avons-nous gagné des « auditeurs » fidèles. Comme celles que nous organisons dans d’autres domaines de notre compétence, elles contribuent à enrichir nos travaux parlementaires. Cela montre que nous réalisons ici un travail de fond et que nous ne nous contentons pas de discuter et de voter des propositions ou des projets de loi.

Monsieur le président Silicani, merci d’avoir bien voulu répondre à notre invitation et à nos questions, et de nous avoir informé en avant première des résultats de votre contrôle sur la couverture du territoire par Free mobile, comme des rendez-vous à venir.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 28 février 2012 à 17 h 45

Présents. - M. François Brottes, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Jean Grellier, Mme Laure de La Raudière, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Serge Poignant, M. Lionel Tardy

Excusés. - M. Bernard Brochand, M. Jean-Michel Couve, Mme Anne Grommerch, M. Louis Guédon, M. Jacques Le Guen, Mme Annick Le Loch, M. Michel Piron, M. François Pupponi, M. Michel Raison

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Paul