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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Musée du Louvre

Mercredi 4 février 2009

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 01

Présidence de M. Georges Tron, puis
de M. David Habib,
Présidents de la MEC

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvre, et Didier Selles, administrateur général

M. Georges Tron, Président. Je vous souhaite la bienvenue à cette première audition de la mission d'évaluation et de contrôle relative au musée du Louvre. Le bureau de la commission des finances souhaitait travailler sur la politique des musées, comme l'avait proposé notre Rapporteur spécial, M. Perruchot. Eu égard à l'ampleur du sujet, il a été décidé d'examiner plus particulièrement le musée du Louvre, premier musée français et à ce titre porteur de problématiques nombreuses et variées qui intéressent l'ensemble de nos institutions muséales. Il a en outre souvent fait figure de précurseur, notamment en matière de modernisation de la gestion et de la gouvernance de nos musées. Ainsi, érigé en établissement public dès le 1er janvier 1993, il a, dix ans plus tard, initié la démarche de contractualisation avec le ministère de la Culture et de la communication via les contrats de performance pluriannuels. Le troisième de ces contrats de performance, couvrant la période 2009–2011, est en cours de préparation.

Aujourd'hui, le Louvre continue d'être à la pointe des changements et des innovations. La recherche de modes de financement originaux, via le mécénat notamment, l'ouverture à l'international, avec l'emblématique projet Louvre-Abou Dabi, le renforcement des actions de démocratisation culturelle constituent autant de preuves du dynamisme de cette institution.

Mais cela pose aussi toute une série de questions, et il était naturel qu’au seuil de ses travaux, la mission d’évaluation et de contrôle entende son président-directeur, M. Henri Loyrette, et son administrateur général, M. Didier Selles. Ils sont accompagnés Mme Catherine Sueur, administratrice générale adjointe, et de M. Noël Corbin, directeur juridique et financier.

Vous savez que la MEC a pour objet, de façon non partisane et en associant la commission des Finances et les autres commissions intéressées, de dégager des propositions consensuelles d'amélioration des politiques publiques.

Nos rapporteurs sont les trois députés plus particulièrement chargés de suivre le budget de la mission Culture. Ce sont d'abord les deux Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances, M. Nicolas Perruchot, chargé du programme Patrimoines, qui est à l'origine de cette mission, et M. Richard Dell'Agnola, chargé des programmes Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture. M. Marcel Rogemont, Rapporteur pour avis de la mission Culture au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, nous fera également bénéficier de son expérience.

Je signale enfin que la Commission des Affaires étrangères, dont une mission d'information s'apprête à travailler sur la configuration géographique du réseau culturel et d'enseignement de la France, nous a fait savoir qu'elle suivrait nos auditions avec intérêt. À ce titre, je salue la présence de Mme Martine Aurillac. Je remercie également de leur présence les représentants de la troisième chambre de la Cour des comptes : MM. Noël Mayaud, président de section, Emmanuel Giannesini, conseiller référendaire, responsable du secteur « Culture », et Emmanuel Marcovitch, auditeur, qui fut le rapporteur d'un récent contrôle de la Cour sur le Louvre.

M. Henri Loyrette, Président-directeur du musée du Louvre. S’il est en effet un tout jeune établissement public, puisqu’il n’a ce statut que depuis 1993, le Louvre est aussi une institution bicentenaire, et l’une des difficultés qu’il a pu connaître dans le passé a été d’assurer la continuité avec la vocation historique de l’institution. Nous ne devons jamais oublier d’être fidèles à notre mission originelle, telle qu’elle a été définie par la Révolution et l’Empire, tout en ayant le souci constant de l’adapter au monde d’aujourd’hui.

C’est à cette histoire que le Louvre doit sa place dans le paysage des musées français. C’est en effet la Convention qui, en 1793, en a fait un « muséum central », seul dépositaire des œuvres insignes de la Nation et des collections des rois de France. Cette vocation universelle a été quelque peu amendée au fil du temps : ses collections s’arrêtent désormais en 1850, le musée d’Orsay et le musée national d’art moderne prenant ensuite la relève. Sur le plan géographique, si le Louvre a été véritablement universel jusqu’en 1945, l’universalité d’origine a été progressivement limitée et le Louvre est aujourd’hui « bordé » par le musée Guimet pour les arts d’Extrême-Orient et par le tout récent musée du Quai Branly pour les arts d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique précolombienne.

Parmi ces cinq musées constituant le cœur des collections nationales, le Louvre reste le plus insigne. « Musée des musées » par l’ampleur de ses collections, symbole du musée universel et encyclopédique, il a constitué, tout au long du xixe et du xxe siècle le modèle de bien des institutions muséales dans le monde, telles que le Metropolitan Museum de New York.

Mais ce paysage muséal est inachevé, la solidarité des collections n’ayant pas forcément entraîné la solidarité des politiques. Cela pose la question du rôle de la tutelle. Si leur nouveau statut d’établissement public leur confère une très large autonomie, les musées nationaux ne sont pas pour autant indépendants : des questions telles que la gratuité, l’accessibilité aux publics, la tarification relèvent d’une politique nationale globale et de la tutelle. Celle-ci ne doit pas être une férule tatillonne, mais une tutelle stratégique, définissant les grandes lignes de la politique nationale en matière de musées.

Le musée du Louvre est donc autonome et non pas indépendant. Cette autonomie peut sans doute être encore améliorée. Il conviendrait notamment de renforcer le rôle des personnalités qualifiées au sein du conseil d’administration. Cette autonomie se traduit également dans son financement. À mon arrivée à la tête du musée, il y a huit ans, son budget, qui était alors de 80 millions d’euros, était assuré à 70 % par l’État ; aujourd’hui, l’État n’assure que 47 % d’un budget de 230 millions d’euros, 53 % provenant de ses ressources propres et du mécénat.

Le Louvre s’inscrit également dans un paysage international en constante évolution, marqué par la hardiesse de certaines initiatives, comme celles du musée Guggenheim de New York, la place de plus en plus importante des expositions temporaires et l’intensification des échanges entre musées. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les collections du musée qui sont sollicitées, mais aussi son expertise, muséale, muséographique, architecturale, en matière de restauration ou de conservation préventive, le Louvre jouant le rôle d’un véritable conservatoire des métiers.

C’est dans ce contexte qu’il s’agit de repenser les missions fondatrices de cette grande institution nationale. La première question qui se pose à elle est celle de l’accessibilité. Le musée n’est plus seulement un lieu artistique réservé à une élite cultivée : c’est aussi une institution ayant une vocation éducative et sociale. Cet objectif ne doit donc pas s’entendre seulement en termes d’accessibilité physique, quoique nous fassions beaucoup d’efforts dans ce domaine – il ne faut pas oublier que le Louvre est aussi un palais ! Il s’agit plus fondamentalement de donner accès à des collections difficiles et érudites à un public nombreux et versatile, de plus en plus éloigné des connaissances historiques, mythologiques ou religieuses nécessaires à la compréhension des œuvres.

Il convient également de repenser la dimension nationale du musée. Le Louvre n’est pas un musée parisien, mais une institution au service de l’ensemble de la Nation : c’est sa « part sacrée », selon les mots de Chaptal. Cette mission ne saurait se réduire, comme par le passé, à l’envoi de dépôts aux musées de province. Nous essayons aujourd’hui de renouveler cette mission fondamentale, notamment à travers le projet emblématique « Louvre-Lens ».

Le rôle international du musée est tout autant à repenser, à l’heure de la mondialisation. Conçu dès l’origine comme un projet encyclopédique, héritage des Lumières, il a vocation à s’intéresser à tous les domaines et à toutes les civilisations. C’est pourquoi nous nous efforçons de faire leur place à des territoires et des civilisations jusqu’ici négligés, tels le Soudan, l’Asie centrale, la Russie ou l’Amérique latine. Le projet d’Abou Dabi est emblématique du renouveau de cette politique, mais nous avons également le souci de renouveler nos collaborations avec nos partenaires traditionnels, la Syrie, l’Égypte, l’Iran, à travers notamment des missions d’assistance technique.

Telle est la problématique fondamentale du Louvre : concilier la fidélité à notre mission initiale tout en la renouvelant, afin que le Louvre soit « à l’aise dans son époque », pour reprendre la belle expression de Zola.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La mission d’évaluation et de contrôle s’est assigné comme objectif de vous accompagner dans votre réflexion stratégique sur le rôle et la place du Louvre dans le champ culturel français et international, conformément à sa vocation universelle. Tirant profit notamment du travail très important de la Cour des comptes en la matière, nous nous efforcerons d’aller au fond des problèmes, au regard notamment des enjeux de la politique culturelle.

Je commencerai par vous interroger sur vos relations avec la tutelle, sujet qui me tient particulièrement à cœur tant ces relations sont cruciales. On a parfois le sentiment que vous ne partagez pas toujours la même appréhension des enjeux et de la stratégie nécessaire à la réussite de votre projet.

Qu’attendez-vous de la réorganisation de la direction des Musées de France, la DMF, prônée par le Conseil de modernisation des politiques publiques et comportant notamment la création d’une direction des patrimoines, afin de recentrer l’administration centrale sur ses missions prospectives, de supprimer les doublons et de rationaliser les fonctions support ?

J’aimerais également connaître votre point de vue sur les relations du Louvre avec la Réunion des musées nationaux, la RMN. L’autonomie progressivement acquise par rapport à la RMN est-elle une évolution spécifique au Louvre, autorisée par sa taille et son importance, ou pourrait-elle bénéficier à d’autres institutions muséales ?

M. Henri Loyrette. Je répète que l’autonomie n’est pas l’indépendance : étant donnée la solidarité des collections nationales, le Louvre ne saurait s’isoler de l’ensemble des musées nationaux. Dans le passé, nous avons entretenu avec notre tutelle des rapports mitigés, mais qui n’étaient pas entièrement négatifs. À partir de 2003, le contrat d’objectifs et de moyens non seulement a favorisé notre autonomie, mais nous a permis d’entretenir d’excellents rapports avec la tutelle. Nous ne pouvons que nous réjouir du modèle de tutelle préconisé par la revue générale des politiques publiques : non une férule tatillonne, mais une tutelle véritablement stratégique, qui indique aux établissements les grandes orientations, des questions telles que celles de l’unité des collections nationales, de l’inaliénabilité ou de la tarification devant être pensées au niveau national.

La RMN traduit un paysage muséal ancien : la nouvelle autonomie que le statut d’établissement public a donnée aux grands musées nationaux a rendu caduc ce système de fédération mutualiste. La réponse que l’État apportera au problème posé par certaines institutions, telles que le musée de Cluny, qui ne sont pas des établissements publics alors qu’elles ont atteint la taille critique, décidera du sort de la RMN. Il faudra aussi résoudre les questions de la filialisation des boutiques de la RMN, de la gestion de la propriété des fonds photographiques ou encore du Grand Palais, dont les expositions, tributaires des grands musées, souffrent d’une organisation quelque peu erratique.

La RMN ne doit certes pas devenir la RPMN, la « Réunion des petits musées nationaux », mais retrouver une véritable vocation. L’État doit tenir compte de l’évolution du paysage muséal et ne pas laisser subsister un « entre-deux » insatisfaisant et générateur de tensions et de frustrations. Je plaide, pour ma part, en faveur d’une autonomie grandissante des musées nationaux. Une solution serait de réunir les établissements dont la vocation est voisine, sur le modèle du rattachement du musée de l’Orangerie au musée d’Orsay.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Quel avenir voyez-vous donc pour la RMN ?

M. Henri Loyrette. Je n’en vois pas vraiment. C’est l’État qui doit devenir le « mutualisateur » des musées nationaux. Les questions de personnels ne sont pas négligeables, mais on ne peut pas renforcer l’autonomie de ces établissements sans leur donner des moyens supplémentaires. La situation complètement infantilisante dans laquelle on laisse aujourd’hui des établissements aussi importants que le musée national du Moyen âge ou le musée national de la Renaissance ne peut pas durer.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Vous plaidez donc pour une organisation « en archipel » autour des musées les plus importants ?

M. Henri Loyrette. Non : je préconise simplement le rattachement pour les petits établissements, et le statut d’établissement public pour les musées qui ont atteint la taille critique, tels Cluny ou Écouen.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quelle est aujourd’hui la « valeur ajoutée » de la RMN ?

M. Henri Loyrette. La RMN joue un rôle dans l’exécution de certains métiers que nous ne possédons pas, tels que la gestion des produits dérivés. En revanche, l’organisation des expositions temporaires pour le compte du musée du Louvre donnait lieu à des absurdités : alors même que celles-ci étaient organisées par le Louvre, les demandes de prêt devaient passer par la RMN. La politique éditoriale donnait lieu au même genre de tracasseries. Et encore le Louvre a-t-il une plus grande autonomie par rapport à RMN que les autres établissements publics. Or la RMN n’offre pas de compétences spécifiques dans ces domaines.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La politique de contractualisation et de pilotage des musées par la performance s’est intensifiée en 2007, le ministère ayant signé des contrats de performance avec le Quai Branly, Orsay et Versailles. Quels enseignements tirez-vous de cette dynamique de contractualisation ? Quelles améliorations peuvent-elles être apportées ? La contractualisation peut-elle être généralisée, ou doit-on la réserver à des établissements d’une certaine envergure ?

M. Henri Loyrette. Le Louvre est pionnier en la matière, depuis la signature du premier contrat d’objectifs et de moyens. La contractualisation s’est révélée bénéfique pour le musée, et dans ses rapports avec la tutelle, et sur le plan des résultats. Elle a également introduit de la cohésion dans une institution jusqu’alors atomisée, en la dotant d’un projet scientifique et culturel unique – je rappelle qu’avant 1993 le Louvre était dépourvu d’une direction unique et divisé en sept départements vivant quasiment en autarcie.

De tels contrats permettent de responsabiliser l’opérateur, par une définition commune des objectifs et des moyens nécessaires à leur mise en œuvre, ainsi que par une évaluation régulière des performances de l’établissement. Les résultats atteints par le Louvre depuis 2003 – tels qu’un taux d’ouverture des salles passé de 74 % en 2001 à 90 %, ou le développement d’une véritable politique nationale et internationale – sont à mettre au crédit du contrat d’objectifs et de moyens.

M. Georges Tron, Président. Quels sont les critères d’évaluation ?

M. Henri Loyrette. Le contrat nous assignait des objectifs très clairs et tout à fait mesurables, comme la proportion des jeunes dans la fréquentation – aujourd’hui près de 40 % des visiteurs du Louvre ont moins de 26 ans – le taux d’ouverture des salles ou le taux de satisfaction du public. L’évaluation est plus complexe dans des domaines comme la recherche scientifique, également visée par le contrat de performance. Les indicateurs que nous élaborons en accord avec la tutelle pourront s’appliquer à l’ensemble des musées nationaux.

M. Georges Tron, Président. Les performances financières et administratives sont-elles également évaluées, et selon quels critères ?

M. Didier Selles, Administrateur général du musée du Louvre. La modernisation et l’optimisation de la gestion du musée sont le quatrième axe tracé par les deux contrats de performance – les CP – qui ont été signés par le ministre de la Culture, le ministre du Budget et le président du Louvre. Le premier CP comportait une quarantaine d’indicateurs définis en commun accord avec la tutelle. Tirant les leçons du renforcement de la direction du Louvre, le deuxième mettait davantage l’accent sur la politique scientifique et culturelle, dont le prochain CP devrait permettre l’évaluation. C’est le Louvre qui, par un dialogue avec sa tutelle, va créer des outils d’évaluation jusqu’ici inexistants au niveau national.

La modernisation de la gestion est évaluée par de nombreux indicateurs, tels que le taux d’absentéisme des agents, le nombre d’agents nécessaires pour chaque poste, ou le taux d’autofinancement du musée, qui a considérablement progressé : les ressources propres du musée ont doublé depuis six ans, et nous avons multiplié par dix les ressources provenant du mécénat, dont le montant, grâce aux versements exceptionnels liés au projet d’Abou Dabi, a pu atteindre entre 35 et 40 millions d’euros.

Nous avons également pris des engagements très importants en matière de ressources humaines : dès l’année 2003, l’établissement a financé sur ses ressources propres la totalité du glissement vieillesse technicité des titulaires ; les ressources propres du musée ont également financé les deux tiers des soixante emplois prévus par le deuxième CP.

Ce contrat s’est accompagné de la négociation par le musée du Louvre d’un projet social. Cet accord a permis de mettre fin aux piquets de grève qui pouvaient auparavant bloquer le musée pendant plusieurs semaines et, par exemple, le Louvre était ouvert durant le mouvement national de grève du 29 janvier dernier. Nous avons également instauré au bénéfice de l’ensemble du personnel une prime de rendement, calculée sur la base de critères tels que le taux de fréquentation, le niveau des ressources propres, la satisfaction du public ou le nombre d’heures d’ouverture au public.

Le contrat de performance est un document très précis, et la performance peut être évaluée chaque année par l’inspection générale du ministère ou un auditeur extérieur.

M. Georges Tron, Président. Souhaitez-vous dire un mot d’autres aspects des contrats de performance, en particulier, des dépenses de logistique immobilière ?

M. Didier Selles. Je précise auparavant que les engagements de moyens étaient réciproques : ces moyens étaient apportés non seulement par l’État mais aussi par le Louvre, notamment dans le développement de ses ressources propres ; ils ne sont pas uniquement humains et financiers mais se déclinent également en marges de manœuvre supplémentaires. Le Louvre a été le premier établissement public administratif du ministère à bénéficier de la déconcentration de la gestion du personnel. La Bibliothèque nationale de France – la BNF – l’a suivi l’an dernier. C’est très important : avant, nous n’étions pas considérés comme des interlocuteurs crédibles par les agents et par les organisations syndicales du musée. Tout se réglait au ministère et nous apprenions par les syndicats les décisions qui avaient été prises. Aujourd’hui, nous traitons directement avec ces derniers. Les projets sociaux que nous avons signés sont la garantie d’une dynamique interne et d’un bon dialogue permettant d’atteindre les objectifs qui nous sont fixés.

Il est important de développer l’autonomie de la quasi-totalité des musées nationaux. Le musée Picasso, dont la directrice est pourtant très dynamique, ne gère ni les agents de surveillance, qui dépendent de la Direction des musées de France, ni les agents d’accueil, ni les caissiers, ni le libraire, qui dépendent de la Réunion des musées nationaux. La directrice ne gère que sa secrétaire et un secrétaire général, qu’elle a depuis quinze ans. Les personnes travaillant à la RMN au développement du mécénat ou à l’organisation de sessions de ressources humaines trouveraient tout à fait leur place dans les musées dotés d’une nouvelle autonomie. Cette dernière ne nécessiterait pas des créations d’emplois. Il suffirait d’opérer un transfert de la RMN vers les nouveaux établissements.

La politique immobilière est un autre exemple du manque de stratégie de l’État. Quand le musée du Louvre a bénéficié du programme « Grand Louvre », on a tout simplement oublié les espaces de services. Si des préfabriqués ont enlaidi pendant quinze ans le jardin du Carrousel – ils n’ont été retirés qu’il y a deux ans –, c’était pour abriter des services comme le département des antiquités orientales, le département des arts de l’Islam et les services techniques. En 2002, nous avons élaboré un plan de schéma directeur des espaces tertiaires, qui a été exécuté, avec l’accord de nos tutelles, sur plusieurs années, en fonction des possibilités qui se présentaient dans l’environnement direct du musée du Louvre. Ainsi, nous avons été autorisés, en 2005, à acheter un immeuble situé juste à côté du Louvre des Antiquaires, rue de Rivoli, mais il nous a manqué 3 millions d’euros car le service des domaines avait plafonné la dépense et nous n’en sommes aujourd’hui que locataires…

Le musée a aujourd’hui achevé la mise en œuvre de son schéma directeur des espaces. L’ensemble des services a trouvé place dans des locaux tertiaires, mais avec des normes bien inférieures à celles préconisées par le code du travail, c’est-à-dire 8 à 9 mètres carrés par agent, au lieu de 12.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. La gestion des ressources humaines du musée du Louvre fait beaucoup de jaloux. Ce n’est plus le cas de la BNF, depuis l’an dernier, mais tous les musées rêvent de copier ce modèle, non par caprice mais parce que les résultats que vous présentez sont éloquents. Ils devraient ouvrir les yeux de la tutelle sur la nécessité de prendre rapidement les décisions permettant aux autres musées de se développer correctement.

Votre gestion des ressources humaines se rapproche de celle d’une entreprise. Pensez-vous qu’il y ait une « masse critique » en dessous de laquelle cette autonomie de gestion ne peut être pratiquée ou, au contraire, que ce modèle peut être copié quelle que soit la taille de l’établissement public ?

Vous avez aussi une gestion des carrières assez exemplaire, ainsi, vous versez une prime de 240 euros en fonction des performances. Pensez-vous que ce modèle soit exportable et dans quelle mesure ?

Pouvez-vous également préciser votre politique d’intéressement ? Utilisez-vous d’autres moyens que les primes pour associer le personnel à l’effort collectif que vous demandez depuis plusieurs années et qui, manifestement, porte des fruits ?

M. Henri Loyrette. Le musée du Louvre a encore des efforts à faire en matière de gestion des ressources humaines, notamment de déconcentration. Des commissions administratives paritaires locales pourraient par exemple émettre des avis sur les mutations les détachements.

M. Didier Selles. L’organisation des concours est aussi à améliorer. Le musée du Louvre a essentiellement des corps de fonctionnaires – ce dont nous sommes très satisfaits – dont la charge de travail est plus élevée, avec 8,5 millions de visiteurs, que dans un musée qui en accueille douze par jour. Or, nous sommes totalement tributaires du ministère quant à l’organisation des concours.

Il y a cinq ans, nous avons obtenu l’autorisation de recruter directement les agents de surveillance, ce qui nous a permis de modifier complètement leur mode de recrutement. Une sélection fondée uniquement sur un concours très scolaire faisait entrer des gens qui, une fois dans les salles du musée, étaient incapables de gérer des situations de risque ou de mise en cause de la sécurité. Nous avons décidé de recruter des gens moins diplômés mais ayant une expérience professionnelle prouvant qu’ils sont capables de gérer des situations exceptionnelles.

Nous souhaitons pouvoir élargir cette possibilité à d’autres catégories de personnel.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Dans le dialogue que vous avez avec la tutelle, sentez-vous une ouverture en ce sens ?

M. Didier Selles. Aucune pour l’instant.

Pour ce qui est des rémunérations, nous sommes actuellement dans l’impossibilité, en dehors des règles statutaires de chaque corps, d’attribuer des primes aux agents particulièrement méritants, notamment dans les nouvelles fonctions de mécénat orientées vers la production culturelle : édition, exposition. Cela entraîne, d’ailleurs, un important turn over. Un chargé de mission mécénat passé par HEC ou Normale Sup, est payé 1 700 euros quand il arrive. Au bout de trois ans, après avoir aidé à récupérer 10 millions d’euros, il va inévitablement exercer ses talents ailleurs, ce qui nous oblige à recommencer à former du personnel. Le mérite n’est pas valorisé.

La rémunération d’un responsable d’établissement n’est pas décidée par le président du musée mais par le ministre du Budget. Pour obtenir une augmentation, il faut en faire la demande au ministre de la Culture, qui la transmet à son collègue du Budget, et attendre que ce dernier réponde. Cela peut prendre des années. Au musée du Louvre, il existe une très grande disparité entre les traitements des directeurs car chacun est payé suivant son corps d’origine. Le directeur de la surveillance, qui encadre à peu près 1 200 personnes, a un salaire d’environ 3 000 euros, à 52 ans – et encore parce que nous avons négocié une augmentation exceptionnelle avec le contrôleur financier – alors qu’un directeur ancien gagne plutôt 4 500 euros. Ce ne sont pas des salaires très attractifs. On voit là que le personnel reste très attaché au service public.

Oui, les établissements publics doivent pouvoir jouir d’une plus large autonomie de gestion du personnel. Il existe certainement une taille critique. Est-ce en dessous de quarante ou cinquante agents, je ne saurais le dire. Il faut savoir que les musées nationaux ne sont que trente, de tailles diverses. Tous les musées de région n’entrent pas dans cette catégorie. Une vingtaine de musées pourraient bénéficier du statut d’établissement public.

Cette déconcentration et cette autonomie de gestion doivent s’accompagner d’un contrat de performance avec l’État fixant les priorités à atteindre, sur la base desquelles sera évaluée la gestion de l’établissement. Les contrats de performance doivent donc être généralisés mais dans une plus grande cohérence car des établissements publics sont actuellement jugés sur des résultats contraires. Par exemple, il est demandé au musée du Louvre, dont l’auditorium accueille à peu près 75 000 visiteurs par an, d’en tirer la recette la plus élevée possible tandis qu’on demande à un autre établissement d’augmenter la fréquentation du sien, ce qui l’incite à proposer des places gratuites. Ces logiques divergentes empêchent la tutelle d’être pleinement stratège et pilote.

Enfin, le dispositif d’intéressement joue beaucoup dans la perception qu’ont les agents du travail qu’ils effectuent car cela le valorise. La prime de fin d’année de 240 euros n’est pas négligeable pour les agents de surveillance et d’accueil, qui touchent des salaires de l’ordre de 1 500 euros.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Pensez-vous que la réorganisation d’une grande direction générale au sein du ministère peut faire évoluer les choses ?

M. Henri Loyrette. C’est le but visé à la fois par la LOLF et par la RGPP.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Il n’y a aucune certitude quant au résultat ?

M. Henri Loyrette. Pour l’instant, il n’y a pas de changement.

M. Didier Selles. C’est une couche supplémentaire par rapport aux directions existantes.

M. Henri Loyrette. Nous avons maintenant un directeur des musées de France mais nous ne savons pas par qui il est chapeauté.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. La limitation du nombre de fonctionnaires vous gêne-t-elle pour recruter ? Avez-vous tendance à faire appel à plus de contractuels ?

M. Didier Selles. Cette question est pertinente. D’une part, l’absence d’organisation de concours fait que, même si vous avez des postes à pourvoir, vous ne pouvez pas recruter. C’est actuellement le cas dans les filières techniques du musée. D’autre part, les compétences demandées pour certains concours sont complètement déconnectées de celles dont ont besoin les musées. C’est le cas pour les conservateurs. Le Louvre compte huit des quinze départements patrimoniaux français. Or les départements archéologiques attendent en vain qu’on leur fournisse des spécialistes des antiquités orientales, grecques, étrusques et romaines. De plus, depuis huit ans, il n’y a aucun contact entre la Direction des musées de France et le Louvre et, j’imagine, les autres musées nationaux. On affectera un sortant spécialiste des antiquités égyptiennes au musée de Cluny parce qu’un poste y est libre. Il risque d’attendre ensuite cinq ans pour revenir au Louvre.

Le Louvre emploie environ 400 contractuels sur quelque 1 400 titulaires, le reste étant des vacataires liés notamment à la saisonnalité des activités du musée. De nombreux contractuels occupent des fonctions administratives, financières et juridiques qui devraient être tenues par des titulaires. Les concours visent, en effet, en priorité à pourvoir les postes d’agents de l’administration centrale, lesquels bénéficient de primes supplémentaires par rapport aux agents des services déconcentrés – et le Louvre est considéré comme un service déconcentré. Du coup, tout le monde reste au ministère puisqu’il y a un écart d’environ 400 euros quand on traverse la rue de Rivoli.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Vous menez une politique de mécénat très active. Combien de personnes s’en occupent-elles aujourd’hui ? Sont-elles suffisamment nombreuses ?

M. Henri Loyrette. Actuellement, vingt-deux personnes s’occupent du mécénat. Elles étaient quatre au départ. Bien que ce soit un travail considérable, je considère que ce nombre est suffisant, d’autant que le fonds de dotation est un nouveau pilier de cette action.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Une bonne partie de vos fonctions, monsieur Loyrette, s’exerce dans ce domaine.

M. Henri Loyrette. C’est exact et je les exerce avec beaucoup de plaisir et d’intérêt. Le mécénat n’est pas qu’une question d’argent. C’est aussi un soutien apporté par la société civile à un musée. Sa vocation a considérablement changé au fil des ans : lors de ses balbutiements, le mécénat semblait résulter du caprice d’un patron et était pratiquement vécu à l’intérieur de l’entreprise comme du blanchiment d’argent ! On ne comprenait pas ce que les entreprises avaient à se reprocher pour venir dans cette grande institution culturelle. C’est devenu, on le voit avec nos partenaires fidèles – Total, Axa –, un projet d’entreprise. Les contreparties que nous offrons, notamment, la gratuité d’accès au musée, pour une durée fixée, permet de fidéliser un public. C’est un point méconnu qu’il convient de souligner.

M. Georges Tron, Président. Avant que je ne sois contraint de vous quitter, j’aimerais revenir sur la question immobilière. Quel est l’état d’avancement du recensement de l’immobilier de l’établissement ? Quelle a été la politique immobilière de prise à bail de ces dernières semaines ou de ces derniers mois ?

Par ailleurs, quelles relations entretient le musée avec, d’une part, la tutelle et, d’autre part, les domaines ? Quelles sont les raisons pour lesquelles un arbitrage conclut à une acquisition ou à une prise de bail ? Quelles sont les raisons qui conduisent, quand on prend à bail, de le faire plutôt ici qu’ailleurs ? Quelles sont les dernières opérations réalisées à ce titre ? À quel coût ont-elles été tranchées ? Pourquoi l’ont-elles été de cette façon ?

M. Jean-Louis Dumont. Deux questions complémentaires. Premièrement, quelle est l’utilisation de l’immobilier actuel ? Les espaces et les volumes sont-ils complètement occupés ? Deuxièmement, quels types de services ont éventuellement besoin de locaux ? Doivent-ils être à proximité ? Beaucoup de locaux de l’État ont été libérés dans le secteur ces derniers temps ? En quoi ne répondent-ils pas aux besoins ?

M. Yves Deniaud. Toujours sur ce sujet : comme à tous les opérateurs de l’État, il est demandé au musée du Louvre de fournir un état complet et détaillé des emprises immobilières. Ce travail est-il terminé ? Dans ce cas, il serait utile que la MEC dispose de ces informations. Si ce travail est en cours, quand sera-t-il terminé et transmis à France Domaine et au ministère du budget ?

En dehors du Palais du Louvre, de quels autres locaux disposez-vous ? Quels sont ceux dont vous auriez éventuellement besoin ? Une implantation à proximité du Palais est-elle vraiment nécessaire ?

M. Henri Loyrette. Les deux problèmes fondamentaux auxquels nous sommes confrontés sont, d’une part, que le Louvre est un palais malcommode pour l’aménagement de bureaux, d’autre part, qu’il n’est pas une administration, mais une maison, ce qui rend très importantes la proximité et la cohésion du personnel qui y travaille.

M. Didier Selles. C’est à la mi-février que nous transmettrons au ministère du Budget les informations requises.

Le musée conduit sa politique immobilière en étroite liaison avec ses tutelles, notamment avec l’administration générale du ministère et la direction du Budget. En 2002, nous avons présenté au conseil d’administration un schéma directeur des espaces tertiaires qui détaillait les besoins en espaces tertiaires par rapport aux espaces occupés et aux effectifs prévisionnels de l’établissement. C’est dans ce cadre que l’ensemble des décisions ont été prises – à l’unanimité à l’exception de la dernière, pour laquelle le représentant du Budget s’est abstenu, et qui portait sur l’allocation au Louvre des Antiquaires de 1 316 m2. Nous avons été soutenus par le ministère de la Culture et de la communication qui a demandé un arbitrage au cabinet du Premier ministre. Nous avons toujours eu d’excellentes relations avec le service des domaines. Je me suis moi-même entretenu avec le directeur général des Finances publiques, M. Parini à plusieurs reprises au téléphone.

M. Georges Tron, Président. Vous l’aurez compris, ce sujet nous tient particulièrement à cœur. Il y a eu une abstention au conseil d’administration du Louvre mais vous avez eu une voix positive du ministère de la Culture.

M. Didier Selles. Tout à fait et nous avons bénéficié d’un arbitrage du cabinet du Premier ministre, en date du 28 février.

Les services instructeurs de Paris ont été présents tout au long de la négociation – difficile compte tenu des prix initiaux – avec le centre d’affaires du Louvre des Antiquaires. L’avis donné par le receveur général des finances a été favorable sur les conditions financières mais négatif par rapport à la politique immobilière de l’État, critère introduit en 2007 dans l’appréciation de ce type de dossiers. S’en est suivie entre le ministère de la Culture et le ministère du Budget une discussion sur la cohérence de cette location avec la politique immobilière de l’État qui a abouti, après la réunion qui s’est tenue à Matignon, à un projet de prise à bail de l’établissement public du musée du Louvre.

Ce dernier a obtenu des conditions financières extrêmement favorables – six mois de franchise et la prise en charge des travaux, y compris ceux d’installation dans les locaux, par la société qui gère le centre d’affaires du Louvre. Comme cela nous avait été demandé par le receveur général des finances, nous avons affiché, en contrepartie, la suppression de 1 316 m2, notamment par l’abandon de bâtiments préfabriqués à hauteur de 630 m2, par le déménagement des services situés en infrastructure – c’est-à-dire sans lumière naturelle dans les sous-sols du musée du Louvre – correspondant à vingt agents et à 200 m2. Cela a eu pour conséquence d’améliorer le ratio de mètres carrés par agent, qui n’était alors que de 7 m2. Tous ces éléments ont été fournis par le ministère de la Culture au cabinet du Premier ministre.

M. Georges Tron, Président. À quel montant l’opération revient-elle par mètre carré ?

M. Didier Selles. À 530 euros par mètre carré, suivant le calcul effectué par le service des missions domaniales, qui conclut que les conditions financières convenues peuvent être acceptées.

M. Georges Tron, Président. Quel est le ratio de mètres carrés par agent ?

M. Didier Selles. Il est maintenant de l’ordre de 9 m2 par agent. Je pourrai vous le confirmer plus précisément.

M. Yves Deniaud. Les conditions paraissent favorables, notamment les six mois de franchise.

M. Didier Selles. C’est assez classique dans ce type de négociation.

M. Yves Deniaud. Ces conditions sont-elles plus favorables que celles qui étaient proposées au ministre de la Culture lui-même quand il voulait louer les mêmes locaux et que le Conseil de l’immobilier de l’État s’y est opposé ?

M. Didier Selles. Je suis ignorant en la matière.

M. Georges Tron, Président. Une opération a été soumise au Conseil de l’immobilier de l’État, où MM. Dumont, Deniaud et moi-même siégeons. Le ministère de la Culture était très désireux de prendre à bail des mètres carrés dans la rue des Bons Enfants. Après étude du dossier, nous avons considéré que France Domaine pouvait proposer d’autres solutions. À l’issue d’un bras de fer mémorable, le ministère de la Culture est finalement allé s’installer rue Beaubourg. Les prix présentés à l’époque étaient le double de ceux que vous indiquez et le ratio de mètres carrés par agent était assez différent. Dans le cadre des missions de la MEC, nous nous sommes interrogés sur la façon dont un opérateur du ministère de la Culture a pu prendre la succession quasiment immédiate du ministère lui-même sur un emplacement que nous avions justement souhaité qu’il ne prenne pas. Vous nous apportez des éléments intéressants.

M. Didier Selles. Nous avons appris après que la direction de la Musique, de la danse, du théâtre et des spectacles souhaitait louer dans le même immeuble mais il ne s’agissait pas des mêmes espaces.

M. Georges Tron, Président. La prise à bail était-elle plus intéressante que la recherche d’une acquisition, fût-elle un peu déconcentrée ?

M. Didier Selles. Nous étions alors dans une période – 2005 – où les prix immobiliers avaient considérablement augmenté par rapport au projet d’acquisition initial. Nous souhaitions acheter un immeuble situé le long de la rue de Marengo et de la rue de Rivoli où nous louons aujourd’hui des espaces. Le service des domaines avait fixé le plafond de dépense à 40 millions d’euros. Morgan Stanley l’a acheté 43 millions. Nous avons perdu là une occasion : après avoir remboursé l’emprunt en vingt-cinq ans, nous aurions été propriétaire.

M. Georges Tron, Président. Sur le plan de la méthodologie, est-ce vous qui avez négocié ou êtes-vous passés par France Domaine ?

M. Didier Selles. Nous avons négocié tout seuls mais toujours en lien avec les services instructeurs et France Domaine, dont je peux montrer les mails.

M. Georges Tron, Président. Est-ce vous qui avez choisi l’emplacement…

M. Didier Selles. Oui.

M. Georges Tron, Président. …et qui avez négocié ensuite ?

M. Didier Selles. Oui.

M. Georges Tron, Président. France Domaine ne vous a jamais dit que c’était sa mission ?

M. Didier Selles. Pas du tout. J’ai eu un jour M. Dubost au téléphone qui m’a proposé comme autre solution de louer quelques mètres carrés rue de Bercy dans l’immeuble que la RMN a acheté l’année dernière pour environ 60 millions d’euros. Louer rue de Bercy au sein de la RMN ne correspondait pas du tout à nos besoins, d’autant que nous avions obtenu des conditions favorables pour l’emplacement que nous briguions.

C’est le service juridique et financier du Louvre, sous la direction du prédécesseur de Noël Corbin, qui a négocié, mais en lien direct avec le service instructeur de France Domaine pour Paris. Nous avons toujours procédé ainsi. Nous demandons ensuite l’avis de France Domaine, que nous suivons toujours.

M. Georges Tron, Président. Si je comprends l’intérêt de l’opération, celle-ci soulève par rapport à la politique immobilière de l’État quelques questions qui, pour être éclaircies, nécessiteront une audition de la tutelle et de France Domaine. Je vous demanderai de bien vouloir nous transmettre à cet effet tous les éléments concernant cette opération.

(M. David Habib remplace M. Georges Tron à la présidence de la MEC)

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Nous allons maintenant évoquer les financements. Ceux-ci se regroupent sous quatre têtes de chapitres : le recensement de l’immobilier, le mécénat, le budget du Louvre et le fonds de dotation.

M. Loyrette a indiqué qu’il avait multiplié par deux les recettes propres et par dix le mécénat. Les effets de la crise sont-ils à redouter quant au volume de fréquentation du Louvre ? Le cas échéant, êtes-vous en mesure d’estimer l’impact qu’aurait une baisse de la fréquentation sur la situation financière du musée ? Par ailleurs, la gratuité ne risque-t-elle pas d’ajouter à la fragilité du budget ?

En matière de mécénat, quel est le poids du Louvre par rapport aux autres institutions muséales internationales ? La concurrence est-elle forte ou le marché est-il ouvert ? Offre-t-il encore des marges de progression ?

Le mécénat culturel est de plus en plus concurrencé par le mécénat sportif, humanitaire ou écologique. Le nombre de mécènes potentiels n’est-il pas trop restreint ? Si l’on compte plusieurs grandes entreprises, comme Total ou de riches donateurs, peu de PME s’impliquent.

Quels intérêts les mécènes retirent-ils de ces opérations ? Faut-il développer davantage ce mode de financement ? De quelle manière ?

Jusqu’où peut-on aller raisonnablement dans l’incitation fiscale au mécénat ? Sachant qu’un grand nombre de niches fiscales contrevient à l’équité devant l’impôt.

Le mécénat n’accentue-t-il pas la différence en termes de financement et, partant, en termes d’offre culturelle, entre les grands musées, qui ont les moyens d’y faire appel, et les musées plus modestes qui n’ont pas la même force de frappe ?

Le 4 février 2008, la ministre de la Culture annonçait la création du fonds de dotation. Comment en seront assurés la gouvernance et le pilotage ? Comment fera-t-on fructifier les fonds ? Qui décidera des placements ? Sur quelle base ? Qui les contrôlera ?

Outre les ressources tirées du projet Abou Dabi que l’on cerne bien aujourd’hui, d’où proviendront les fonds ? Dans un contexte de crise économique et financière, ce mode de financement sera-t-il pérenne ? N’est-il pas exagérément aléatoire et risqué ? Quels enseignements peut-on tirer des comparaisons internationales à ce sujet ?

M. Henri Loyrette. Le Louvre a connu une hausse spectaculaire de la fréquentation entre 2001 et 2008 : + 67 %. Aucune institution culturelle au monde ne peut se vanter d’une telle embellie. Nous sommes ainsi passés d’un étiage de 5 millions de visiteurs à plus de 8 millions.

L’année dernière, nous avons connu un record de fréquentation, dû à un bon maintien de la fréquentation des collections permanentes accompagné d’une embellie spectaculaire de la fréquentation des expositions temporaires, notamment de celles consacrées à Babylone et à Mantegna qui ont connu un très grand succès public.

Cela étant, nous voyons depuis quelques mois, du fait de la crise, une tendance à la baisse de la fréquentation des collections permanentes, fréquentation qui est due majoritairement à un public étranger : 70 % contre 30 % de Français. Les proportions sont inverses pour les collections temporaires qui touchent plus un public de proximité. Nous avons constaté, dans les derniers mois de 2008 et dans les premiers mois de 2009, une baisse de l’ordre de 3 % de la fréquentation des collections permanentes. On peut, dès lors, s’interroger sur la suite des événements.

On a noté une baisse de la fréquentation américaine alors que j’ai coutume de dire que le Louvre est le second musée américain dans le monde, juste après le Metropolitan Museum of Art de New York. C’est un public extrêmement régulier et fidèle. On voit que l’impact de la crise est beaucoup plus fort que l’effet du dollar faible.

Nous avons connu une baisse comparable à la suite des événements du 11 septembre. Il y a eu tout d’un coup une brusque cassure de la fréquentation internationale. Le Louvre n’est pas le seul touché. Orsay et tous les autres grands établissements culturels à large vocation touristique sont soumis à des aléas qu’ils ne maîtrisent pas nécessairement.

Le musée du Louvre avait conforté, à cette époque, la fréquentation d’un public de proximité. Nous avions tout fait pour qu’un public national puisse venir… et revenir. Nous avons obtenu, en ce domaine, des succès assez marquants.

Les expositions temporaires ont connu, ces derniers mois, des succès faramineux, et pas seulement « Picasso et les grands maîtres », ce qui montre que la fréquentation de proximité, nationale et limitrophe, n’est pas touchée par la crise.

Pour l’instant, nous avons observé une légère baisse de la fréquentation internationale. Se stabilisera-t-elle ou continuera-t-elle à baisser, on ne le sait pas exactement.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Vous n’avez pas anticipé l’impact de cette baisse de fréquentation sur la situation budgétaire du Louvre ?

M. Henri Loyrette. Les droits d’entrée représentent environ 42 millions d’euros sur un budget de 230 millions. La gratuité décidée par le Président de la République nous aura coûté à peu près 10 millions d’euros en 2009. Mais elle est théoriquement compensée.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Si la crise se traduisait par une réduction de l’ordre de 500.000 du nombre de visiteurs payants, le résultat d’exploitation deviendrait négatif. Il y aurait donc bien là une incidence financière.

M. Henri Loyrette. En matière de mécénat, nous sommes partis de pas-grand-chose, pour arriver aujourd’hui à lever à peu près 25 millions d’euros par an, ce qui place le musée, malgré son expérience récente, dans le peloton de tête des institutions internationales qui débusquent du mécénat : Guggenheim – 27 millions d’euros en 2006 –, le Metropolitan Museum of Art – 40 millions d’euros –, la Tate Gallery – 22 millions d’euros –, le British Museum – 10 millions d’euros.

Il existe une disparité en la matière non seulement entre les grands et les petits musées mais également entre les grands musées eux-mêmes puisque le centre Pompidou, par exemple, ne draine que 4 millions d’euros de mécénat.

D’expérience, je dirais que ce n’est pas la taille de l’établissement qui compte, mais le projet que l’on est capable d’apporter et de vanter. L’exemple des musées de Cluny et d’Écouen, qui me sont chers, le prouve. Il n’y a pas besoin d’une équipe de trente personnes. L’important est d’être capable de prouver la nécessité de trouver de l’argent pour son établissement et la politique que l’on conduit. De ce point de vue-là, je suis très optimiste. La taille du musée du Louvre n’a aucun effet stérilisant sur les institutions culturelles françaises.

M. Didier Selles. Au contraire. On observe aujourd’hui que l’ensemble des établissements comparables se dote d’équipes pour développer le mécénat, comme le centre Pompidou, qui a quadruplé ses effectifs – au détriment d’ailleurs du Louvre – et il y a de nombreux échanges entre les établissements publics sur le sujet.

Le mécénat culturel constitue-t-il un mode de financement pérenne ? À côté du mécénat de projet, Mme Lagarde a ouvert une nouvelle perspective intéressante dans la loi de modernisation de l’économie d’août dernier, avec l’introduction des fonds de dotation, qui sont un mode de financement pérenne puisque le capital est préservé. L’institution finance des projets sur les revenus financiers de ces fonds sur le modèle américain. Les musées français et les autres grandes institutions culturelles vont avoir accès, par là même, au « marché du mécénat » des pays anglo-saxons dont ils étaient jusqu’alors totalement exclus, celui des endowment funds des mécènes qui veulent financer, non pas un projet, mais le développement d’une institution.

Grâce à la création d’un fonds de dotation, le musée du Louvre établira un financement pérenne sur lequel il pourra asseoir le programme d’investissement présenté par Mme la ministre, au Louvre même, en février 2008. Ce programme comprend un ensemble de projets qui étaient déjà prévus et que nous avions pris l’engagement de financer totalement par mécénat ainsi que le financement d’un peu plus de la moitié du futur centre de réserves, de recherche, de restauration et d’études du patrimoine des musées de France, prévu depuis cinq ans et destiné à mettre en sécurité les réserves des musées qui sont aujourd’hui stockées dans des conditions précaires et assez peu rigoureuses à la périphérie de Paris.

Le musée a déjà préparé les statuts permettant la création du fonds de dotation. Nous avons prévu que soient affectés à ce fonds les 400 millions d’euros que doit nous rapporter l’accord de licence de la marque « Louvre » que nous avons signé avec les autorités émiraties.

Nous nous engagerons vis-à-vis des ministères de la Culture et du Budget à trouver chaque année cinq à dix millions d’euros de ressources complémentaires auprès de mécènes privés – entreprises ou individus – pour financer le plan d’investissement que nous avons présenté au ministère. Cela se substituera pour partie au mécénat que nous cherchons aujourd’hui. Pour le département des arts de l’Islam, nous avons trouvé près de 35 millions d’euros de financement dont 17 millions versés par le prince Al Waleed. Une fois que les salles sont réalisées, les mécénats disparaissent tandis que, dans le cas des fonds de dotation, le capital reste.

M. Henri Loyrette. Pour nous, le mécénat ne se limite pas à l’hexagone. The American Friends of the Louvre est une organisation qui marche très bien et qui rapporte des ressources importantes au musée. La création subséquente d’International Friends of the Louvre permet également des rentrées de mécénat importantes.

Ce qui nous a incités à créer un fonds de dotation, c’est tout à la fois l’accord que le gouvernement français a signé avec les Émirats et l’étonnement de beaucoup de nos partenaires américains de ne pas trouver en France des endowment funds leur permettant de soutenir le musée du Louvre.

Mme Catherine Sueur, administratrice générale adjointe. Le lancement de ce chantier répond à deux motivations principales : compléter l’offre de mécénat – afin d’avoir à la fois du mécénat de projet, non affecté, fondé sur un cercle de mécènes et d’adhésions à un certain nombre de projets, et un fonds de dotation – et ajouter une quatrième source de financement pérenne, grâce aux revenus du capital du fonds de dotation, aux trois dont dispose déjà le musée : la subvention, la billetterie et le mécénat. Compte tenu des chantiers annoncés par la ministre de la Culture en février 2008, nous avons besoin d’une visibilité et d’une pérennité des ressources.

Mais, si l’article 140 de la loi de modernisation de l’économie prévoit bien la création de fonds de dotation, nous attendons toujours la parution du décret d’application, Mme Lagarde s’étant engagée devant vous à ce qu’elle intervienne à la fin du mois de décembre 2008.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Il y a effectivement quelques décrets en attente, dont celui qui nous occupe aujourd’hui. Nous relaierons votre remarque auprès de Mme Lagarde.

Les auditions de la commission des Finances nous rendent attentifs à l’incertitude sur les rendements futurs des placements financiers. Sur quoi se fondent vos décisions de placement ? Comment sont-elles contrôlées ? Qu’en attendez-vous ?

Mme Catherine Sueur. Aux termes de la loi, le fonds de dotation doit être assorti d’un conseil d’administration et d’un comité d’investissement, composé de personnalités particulièrement compétentes dans le domaine de la finance.

Nous n’avons pas encore complètement défini la politique d’investissement mais elle devra se conformer à deux principes. D’un côté, nous chercherons des placements très prudents permettant de garantir le capital. Les sommes qui seront placées dans le fonds de dotation seront issues d’accords intergouvernementaux et nous ne pourrons nous permettre une perte de capital, à la différence des endowment funds américains. D’un autre côté, nous chercherons néanmoins à diversifier suffisamment les classes d’actifs pour bénéficier d’un rendement satisfaisant.

Quand nous avons commencé à travailler sur ce dossier, il y a plus d’un an et demi, les perspectives transmises par les institutions américaines faisaient état de taux à 10 ou 12 %. Ce n’est plus le cas. Dans les projections financières que nous avons établies pour boucler notre financement, les taux envisagés sont plutôt à 4,5 ou 5 %. Comme le financement est bâti sur quinze ans, ces taux sont crédibles.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. C’est ce que nous vous souhaitons tous.

Je peux citer un exemple, signalé par la Cour des comptes, qui montre que la collecte de fonds n’est pas nécessairement fonction de l’importance d’un musée ou de la diversité de ses œuvres. La directrice du musée Gustave Moreau, qui est également conservateur, a, en nouant des liens avec des institutions de presse japonaises, collecté des ressources tout à fait importantes. Il est vrai que les Japonais sont fous de Gustave Moreau mais cela confirme que, dans la recherche de mécènes, ce n’est pas la taille qui compte mais le projet et les réseaux.

M. Didier Selles. Le plan de financement sur quinze ans du musée du Louvre est fondé sur l’affectation à l’endowment fund des fonds issus de l’accord sur la licence de la marque « Louvre » entre le musée du Louvre et les Émirats arabes unis – les 400 millions d’euros plus 25. Les 175 millions que nous avons déjà reçus sont remboursables aux Émirats si, pour une raison ou un autre, l’accord devait être dénoncé. C’est pourquoi un arrêté des ministres de l’Économie et du Budget est en préparation, pour autoriser l’affectation de ces fonds, qui sont en fait devenus publics, au fonds de dotation. Nous avons acquis le soutien de Mme Lagarde. Nous essayons actuellement de convaincre le ministère du Budget.

Dans le cadre de ce plan, le Louvre financera entre 75 et 80 % de ses investissements, l’État ne gardant à sa charge que la sécurité et l’investissement courant. Dans les autres établissements du ministère, le taux d’autofinancement des investissements ne dépasse pas 20 % en moyenne.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Qui est propriétaire de l’argent ?

M. Didier Selles. Le Louvre. L’accord prévoit que les fonds sont versés au Louvre. Mais, comme l’a sans doute relevé la Cour des comptes, il y a des tentations assez fortes de réduire d’autant la subvention qui nous est versée.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Une autre tentation pourrait être de récupérer tout ou partie de la somme pour faire autre chose !

M. Didier Selles. D’autres responsabilités que celles du Louvre seraient alors engagées.

Les 175 millions d’euros qui ont déjà été versés par les Émiratis à la demande expresse du Louvre l’ont été pour financer le fonds de dotation.

M. Henri Loyrette. Cet argent est devenu de l’argent public puisqu’il a été versé dans le fonds de roulement. Normalement, le fonds de dotation ne peut pas accueillir d’argent public sauf dérogation accordée par les deux ministres.

M. David Habib, Président. Cela dépendra de la façon dont sera rédigé le décret.

Mme Catherine Sueur. Je pense que le décret sera muet à ce sujet car la loi prévoit d’ores et déjà qu’une dérogation peut être prévue par arrêté.

M. Didier Selles. L’un des « mécènes » du Louvre est moins allant que les autres aujourd’hui : l’État – ce qui pousse à s’interroger sur son rôle de stratège et de pilote. En 2008, le musée a subi une réduction très importante de ses subventions d’investissement, liée à son opération d’Abou Dabi. Contrairement à ce que prévoyait le contrat de performance, le Louvre a obtempéré, compte tenu des difficultés du ministère. Nous avons subi cette année une nouvelle baisse de 5 % de la subvention de fonctionnement attribuée par l’État. Plus que le montant, c’est la méthode qui nous choque : l’État traite de la même manière le Louvre, qui paie sur son fonctionnement la totalité de sa masse salariale, et les autres établissements dont la masse salariale est prise en charge par le ministère : 5 % sur le fonctionnement ne sont pas comparables à 5 % sur la masse salariale !

Dans le même temps, le ministère se réserve un traitement tout à fait différent puisque, sur sa propre masse salariale – correspondant à la mise en réserve –, il s’applique une baisse de 0,5 %, contre 3 % pour le musée du Louvre, la subvention de fonctionnement de celui-ci étant considérée par l’État comme une dépense d’intervention. Donc, bien que payant sa masse salariale sur son fonctionnement, le Louvre n’est pas non plus traité de la même manière que le ministère se traite lui-même. Du coup, nous nous retrouvons étranglés : d’une part, comme nous prenons en charge le personnel, la baisse de la subvention de fonctionnement est ingérable et, d’autre part, la mise en réserve accroît encore le handicap financier que constitue pour nous aujourd’hui le fait de gérer notre personnel. Après avoir montré tout à l’heure tous les avantages de cette autonomie de gestion, nous en voyons maintenant les inconvénients.

M. David Habib, Président. Quelle somme cela représente-t-il ?

M. Didier Selles. Environ 6 millions d’euros à périmètre constant.

L’abattement s’applique à tous les établissements mais le Louvre est celui qui subit la réfaction la plus importante alors qu’il prend en charge son personnel.

Par ailleurs, à l’exception d’un ou deux musées, les emplois diminuent de manière homothétique pour tous les établissements, sans tenir aucun compte de l’évolution de l’activité des uns et des autres : chacun est soumis à la règle du non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite alors que l’idée de base prévoyait une modulation suivant les priorités du ministère et les établissements.

Alors que la fréquentation du Louvre s’est accrue d’un million de visiteurs en deux ans et que la décision prise par le Président de la République relative à la gratuité accroît encore cette fréquentation d’un demi-million de personnes en année pleine, nos effectifs vont diminuer de 50 personnes au cours des prochaines années.

Le Louvre se retrouve avec une baisse de sa subvention de fonctionnement et de ses effectifs au moment où son activité est en plein développement. Cela va le conduire à fermer des salles alors qu’il devrait, au contraire, améliorer l’accueil du public et accroître l’amplitude d’ouverture du musée. Nous en avons fait la proposition au ministère mais nous n’avons eu aucune réponse.

Enfin, une tutelle qui jouerait son rôle de stratège songerait à affecter au Louvre des agents provenant des quelque 200 musées actuellement fermés ou sur le point de fermer. Eh bien, cela ne vient même pas à l’esprit de l’État.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Quand vous posez la question à la tutelle, quelle réponse obtenez-vous ?

M. Didier Selles. Aucune. Il y a un refus total d’en parler.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Entre les exercices 2003 et 2007, les effectifs du Louvre ont progressé de 445 ETP – équivalents temps plein. Jusqu’à maintenant, on ne peut pas dire que l’État se soit désengagé puisque, au cours des exercices 2004, 2005, 2006, la subvention de fonctionnement versée au Louvre a progressé en moyenne de 5 %. En 2007, la progression a été de 14 % par rapport à 2006, ce qui n’est pas négligeable.

D’après les éléments que nous tenons de la Cour des comptes, le musée pourrait entrer dans une période de tension avec sa tutelle. Le plan « Louvre 2020 » présenté par l’établissement repose sur l’hypothèse d’un taux de rendement de 6 % du fonds de dotation. Nous ne savons pas ce qu’il en sera. Les besoins de financement sont divisés en deux parties distinctes. La première correspond aux investissements que le Louvre considère comme participant à son rayonnement et à son développement et qu’il estime légitime d’autofinancer. La seconde partie, la plus importante, correspond aux frais de fonctionnement qu’il considère devoir être financés, pour l’essentiel, par des subventions publiques. Des assurances ont été données sur la « sanctuarisation » des ressources accordées au Louvre dans le cadre de l’accord d’Abou Dabi. On sait la fragilité de tels engagements. Si l’on ajoute les risques d’une baisse de ressources propres du fait de la diminution de la fréquentation, d’une baisse des ressources de mécénat à cause de la gravité de la crise et d’une diminution éventuelle des taux de rendement du fonds, les conditions d’une période tension sont réunies.

M. Didier Selles. L’augmentation des effectifs du Louvre a été décidée en 2002 à la suite du projet « Grand Louvre » qui a doublé les surfaces ouvertes au public. Les effectifs du musée n’avaient été augmentés que de 3 % par rapport au temps où un quart des salles étaient fermées. Par ailleurs, 130 personnes ont été titularisées.

L’augmentation des frais de fonctionnement est essentiellement liée à l’impact de mesures décidées en dehors du musée : augmentation du taux de pension, effets du GVT – glissement-vieillesse-technicité – et des mesures salariales prises par l’État.

Nous n’avons jamais dit que l’État se désengageait. Ce que nous déplorons aujourd’hui, c’est que l’évolution de la subvention de fonctionnement du musée ne soit plus déterminée comme auparavant dans le cadre d’une stratégie négociée entre l’établissement et l’État. Soumis à une contrainte budgétaire, celui-ci la répercute de manière homothétique à tous les établissements quels que soient leurs priorités et leurs besoins réels.

La Cour des comptes a relevé qu’au cours des cinq premières années, qui ont vu se succéder quatre ministres différentes, le Louvre a quand même obtenu de l’État qu’il tienne ses engagements tels qu’ils étaient inscrits dans le contrat de performance.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux entraîne-t-il une baisse des effectifs ?

M. Didier Selles. Les effectifs du musée du Louvre diminueront de douze personnes en 2009, de quinze l’année prochaine, de dix-huit l’année suivante, et ainsi de suite. Normalement le principe du dialogue de gestion consiste à partir des priorités que l’État fixe à l’établissement et de déterminer ensuite les moyens pour y parvenir, qu’ils soient publics ou tirés des ressources propres de l’établissement, tout en tenant compte des contraintes qui ont été rappelées. Ces moyens seront sans doute plus difficiles à obtenir. Une autre chose est de vérifier la manière dont l’État partage les moyens contraints dont il dispose entre les différents établissements.

M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Il ne faudrait pas qu’Abou Dabi soit l’arbre qui cache la forêt. Tout le monde peut imaginer le développement fabuleux qu’il va permettre au Louvre, qui a déjà tellement fait que je me demande s’il y a encore des marges de progression.

M. Henri Loyrette. Il y en a toujours !

M. Didier Selles. Le projet Abou Dabi et le financement d’Abou Dabi sont l’avenir du Louvre. Nous tenons l’engagement que nous avons pris avec l’État en 2003 de financer nous-mêmes les prochains projets d’investissement du Louvre. Ces sommes serviront à des investissements et non à payer les salariés du musée ou les marchés de maintenance. Cela n’aurait aucun sens. C’est là que se pose le problème car la diminution de l’argent affecté au Louvre nous contraint.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Il nous reste de nombreuses questions à évoquer, et je souhaite que nos invités puissent revenir devant notre mission.

M. David Habib, Président. La proposition me paraît judicieuse. Il faudra prévoir une autre réunion, pour approfondir les premières réponses que vous avez pu nous donner et pour poursuivre la conversation sur les thèmes qui n’ont pas pu être abordés, auxquels j’ajoute une question sur les problèmes de décentralisation.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Avant de vous interroger sur l’accueil du public, je reviens à la question que je vous ai posée sur l’impact du non-renouvellement d’un départ à la retraite sur deux. Compensez-vous la diminution des effectifs ETP par le recrutement de vacataires ou y a-t-il une diminution générale des effectifs du musée ?

M. Didier Selles. Cela entraîne une diminution des effectifs du musée, quels que soient les statuts des personnels.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. S’agissant de l’inaliénabilité des œuvres, quelle est votre approche de la question ? La loi relative aux musées de France a introduit un droit au déclassement qui n’est pas utilisé. Pourquoi ?

Par ailleurs, avez-vous développé une politique de circulation des œuvres dont vous avez la responsabilité, notamment dans les autres musées de France ?

M. Henri Loyrette Sur la question de l’inaliénabilité des collections, ma position est très claire et est d’ailleurs reflétée dans le rapport de M. Jacques Rigaud. Nous sommes les héritiers d’une collection qui a été fondée, comme je l’ai rappelé d’entrée, par les rois de France et, principalement, par François 1er à l’aube du XVIe siècle. La richesse, la profondeur, la densité des collections du musée du Louvre, comme celles d’autres musées, tiennent à cette histoire. Comme le disait Cézanne, on trouve tout, on comprend tout et on apprécie tout à travers les collections du musée du Louvre. L’État n’a jamais vendu le moindre trésor de cette collection. On doit souligner cette permanence de l’État au fil des siècles. Même la Révolution ne l’a pas fait. Elle a vendu du mobilier meublant, du « Louis XVI », mais pas un seul trésor. Au contraire, elle les a préservés dans le musée central qui était le musée du Louvre.

Cette fidélité depuis cinq siècles est très importante. On voit dans certains musées américains ce que peuvent donner les aléas de l’histoire du goût. Au XIXe siècle, on aurait vendu tout le XVIIIe siècle parce qu’il n’était plus de mode. On entassait dans les réserves les Boucher et les Fragonard. Si le musée d’Orsay a pu être constitué à partir des collections du musée du Luxembourg dispersées avant la guerre, c’est parce qu’on n’avait pas bradé tout un pan de l’histoire du XIXsiècle pour ne sauvegarder que l’impressionnisme et le post-impressionnisme. On a récemment exhumé des réserves du musée du Louvre des œuvres qui avaient été négligées jusque-là.

C’est au mécène Marc de Lacharrière que nous devons la magnifique salle des antiques redécouverts à Rome à partir du XVIsiècle et restaurés par les grands artistes. Ils étaient considérés, en raison même de leur restauration, comme dénaturés, en tout cas, comme ayant perdu leur pureté originale. Je sais, en tant que conservateur, combien ces renouveaux, ces aléas de l’histoire du goût, sont importants.

Ce qui fait la force incomparable des collections du musée du Louvre, c’est cette profondeur et cette densité. Nous avons eu un débat très intéressant au musée du Louvre sur la question des acquisitions, au cours duquel la directrice d’un grand musée américain a souligné avec justesse que, si elle avait des chefs-d'œuvre, il lui manquait tout ce qui faisait que telle œuvre était un chef-d'œuvre, tout ce qui le contextualisait, lui donnait sa véritable dimension. C’est ce que nous avons la chance d’avoir au musée du Louvre, grâce à pratiquement six siècles d’enrichissement des collections.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Comment évaluez-vous le taux de satisfaction du public ? Quels moyens mettez-vous en œuvre pour améliorer l’accueil des visiteurs ? En quoi cela modifie-t-il les rapports avec le public ?

M. Henri Loyrette. Cette question a considérablement évolué depuis une trentaine d’années, même s’il reste énormément de progrès à faire. Dans les années 1970, un musée ouvrait le matin et fermait le soir sans que personne ne se soucie de qui venait pendant ses heures d’ouverture. La médiation, la préparation et l’accompagnement de la visite, la fidélisation n’étaient pas pris en compte. Nous accusions un retard considérable sur les musées anglo-saxons où les questions d’education étaient depuis longtemps prioritaires.

L’accessibilité, au sens large du terme, aux œuvres est une question essentielle. Tout grand musée joue à la fois un rôle en matière artistique et d’éducation artistique et un rôle social d’intégration. Les classes Louvre que nous avons créées le prouvent. Elles visent à fidéliser un public très éloigné de l’art et des pratiques culturelles puisqu’il s’agit d’élèves de quartiers défavorisés.

La politique d’un grand établissement comme le musée du Louvre ne se limite plus à recevoir passivement ceux qui viennent naturellement au musée, sont formés pour y aller et en connaissent le mode d’emploi. Elle consiste aussi à prendre par la main ceux pour qui le musée peut apparaître lointain, voire rebutant. Compte tenu de la spécificité des collections du musée du Louvre et de leur relative difficulté, c’est pour moi un enjeu essentiel.

Les tableaux qui se trouvent au musée d’Orsay sont d’un abord facile. Lorsque vous êtes devant La Pie de Monet, vous comprenez immédiatement de quoi il retourne. Lorsque vous êtes devant un tableau de Poussin ou de Mantegna, l’enjeu est tout autre. Comment rendre les collections artistiques actuelles et faire du Louvre un musée toujours vivant ? Tels sont les défis que nous devons relever aujourd’hui. Nous y répondons en multipliant les efforts de médiation : direction des publics, utilisation de nouveaux médias - sites Internet, parcours audioguidés –, organisation de projets, comme le projet Louvre-Lens, qui est emblématique.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Pouvez-vous donner des exemples de vos actions dans le domaine de la médiation culturelle ?

M. Henri Loyrette. J’ai cité l’audioguide qui est un instrument de compréhension des collections, proposant des parcours différents de ceux ordinairement suivis.

Un autre exemple est l’organisation de nocturnes gratuites pour les moins de 26 ans. Le Louvre a joué un rôle moteur en ce domaine. Tous les vendredis soirs, sont proposées aux 18-25 ans des nocturnes gratuites accompagnées. Cela ne sert à rien de rendre l’accès du musée gratuit si vous ne faites rien pour accompagner la visite des publics visés et leur donner l’envie de revenir. Quelque 6 000 jeunes de moins de 26 ans participent à ces nocturnes du vendredi.

Outre le développement des classes Louvre destinées aux jeunes des quartiers défavorisés, nous menons également des actions en direction des prisons.

M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Par quels moyens établissez-vous les taux de satisfaction ?

M. Didier Selles. Nous utilisons, depuis une douzaine d’années, un institut de sondage, l’observatoire des publics. Nous avons changé plusieurs fois d’entreprise mais le cahier des charges n’a pas sensiblement évolué, ce qui permet d’avoir des séries très longues.

Nous interrogeons par méthode statistique environ 8 000 personnes par an. Le dépouillement de ces questionnaires fournit des informations sur nos publics, leur nationalité, leur origine, leur âge et leur taux de satisfaction. Les résultats sont publiés chaque année dans notre rapport de performance, lequel est lui-même édité par l’inspection générale des ministères.

Nous établissons plusieurs taux de satisfaction. Les uns portent sur les services rendus au public : les caisses, l’accueil, les délais d’attente, les vestiaires. Les autres, introduits depuis deux ans, concernent la qualité des visites, la compréhension de l’information, les contenus.

M. Richard Dell’Agnola, Rapporteur. Nous avons encore beaucoup de questions à vous poser sur la politique tarifaire, sur le Louvre numérique, sur la gestion des espaces, sur la décentralisation, sur l’action internationale du Louvre. Je vous propose donc de fixer une date pour une nouvelle réunion.

M. David Habib, Président. Nous pourrions la programmer en avril ou mai, vers la fin des travaux de la mission sur ce thème.

Nous vous remercions.

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