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Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan

Mission d’évaluation et de contrôle

Évaluation et perspectives des pôles de compétitivité

Mardi 7 avril 2009

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de M. David Habib, Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Laurent Blivet, manager, The Boston Consulting Group, et Philippe Bassot, vice-président, CM International

M. David Habib, Président. C’est la première matinée que la mission d’évaluation et de contrôle dédie aux pôles de compétitivité. Nos rapporteurs devront rendre un rapport consensuel. Notre mode de fonctionnement exige cette capacité à rapprocher des positions qui pourraient initialement être divergentes.

Je salue MM. Laurent Blivet et Philippe Bassot, coordonnateurs d’un rapport d’évaluation sur les pôles de compétitivité rendu en juin 2008, ainsi que M. Gérard Moulin, président de section à la Cour des comptes, qui a accepté de nous accompagner pendant ces matinées et qui nous apportera un éclairage précieux.

L’évaluation des pôles de compétitivité avait été prévue dès leur mise en place. Elle était presque inscrite dans les gènes de cette stratégie de reconquête économique mise en place par les gouvernements. Le temps vient désormais d’y procéder. Notre collègue Alain Claeys a engagé une réflexion cet été sur ce thème. Il lui a paru nécessaire de la transformer en une mission d’information. C’est l’enjeu du travail que nous débutons aujourd’hui.

Dans l’esprit de dialogue qui doit guider nos travaux, je vous propose de commencer par une série de questions.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les intervenants pourraient-ils nous rappeler rapidement le contexte de l’évaluation qu’ils ont menée, et exposer les principales difficultés qu’ils avaient anticipées, et celles qu’ils ont réellement rencontrées ?

M. Laurent Blivet, manager, The Boston Consulting Group. Merci de votre invitation. Nous sommes très contents de pouvoir vous présenter les résultats et la méthodologie de cette démarche d’évaluation. Elle a été conduite entre novembre 2007 et juin 2008 pour le compte du comité de pilotage des pôles, qui inclut des représentants des administrations centrales, des collectivités locales, et des personnalités qualifiées. Elle avait à la fois pour objectif de formuler un diagnostic et une évaluation du dispositif national des pôles de compétitivité, et de présenter des recommandations pôle par pôle.

Dans le cadre de ce projet, le cabinet de conseil où je suis manager, le Boston Consulting Group, et moi-même, nous sommes concentrés avant tout sur le dispositif national et sur l’évaluation de quelques pôles.

M. Philippe Bassot, vice-président, CM International. Notre cabinet est quant à lui plus particulièrement intervenu sur l’évaluation des pôles de compétitivité eux-mêmes.

M. Laurent Blivet. L’évaluation nationale s’est très fortement appuyée sur ce que nous avons vu dans les 71 pôles. Réciproquement, nous avons inscrit nos analyses sur chacun de ces 71 pôles dans un cadre cohérent au regard de l’analyse de la politique nationale.

Le contexte ? L’analyse a commencé deux ans et demi après le lancement des pôles de compétitivité, sachant que certains pôles avaient été créés plus tard et ne présentaient donc pas la même maturité. Ce délai est assez long pour pouvoir tirer de premiers enseignements. Il doit cependant être aussi mis en perspective avec le temps des cycles de l’innovation. La demande envers les porteurs de projets était celle d’un projet arrivant à maturité sous trois à quatre ans. D’où une première difficulté méthodologique que nous avions anticipée, et sur laquelle nous avions engagé dès le début de l’étude un dialogue à la fois avec le groupe de travail interministériel (GTI) et le comité de pilotage, pour bien cadrer le niveau d’attente et de priorité de l’évaluation. Le recul ne nous permettait pas encore d’évaluer l’impact direct de l’ensemble des projets. En revanche, nous pensions, et nous pensons toujours que, sur la structuration des pôles et le lancement des projets d’amorçage, nous pouvions effectuer des analyses et des évaluations pertinentes.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Combien d’experts ont-ils travaillé sur ces analyses ?

M. Laurent Blivet. Pour l’analyse du dispositif national, nous étions, à temps plein, une équipe de trois personnes. Nous avons entendu une cinquantaine d’experts, parties prenantes au dispositif, membres de la communauté des économistes travaillant sur ces questions, scientifiques travaillant sur l’innovation, ou au sein d’institutions impactées par le dispositif des pôles. Nous avons aussi fait intervenir le réseau des experts du Boston Consulting Group, spécialistes des questions sectorielles abordées, pour déterminer si, dans leur secteur d’activité, les pôles étaient convenablement positionnés.

M. Philippe Bassot. Pour l’analyse individuelle des pôles, nous étions six. Environ 800 personnes ont été entendues, soit une dizaine de personnes au sein de chaque pôle et les acteurs des territoires travaillant avec les pôles : agents et élus de collectivités locales, personnels des services déconcentrés de l’État, de la Caisse des dépôts, d’OSEO…

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous choisi vous-mêmes les personnes interrogées, ou avez-vous été conseillés par les services de l’État ?

M. Philippe Bassot. Il a été demandé à chacun des directeurs de pôles de nous communiquer une liste de personnes à rencontrer. Cette liste a fait l’objet d’une double validation, à la fois par notre correspondant local en charge du suivi du pôle, souvent le directeur régional de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), et par le membre du groupement interministériel qui suivait le pôle, de façon à vérifier que cette liste offrait bien une bonne représentation des acteurs du pôle.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Considérez-vous que les données que vous avez recueillies étaient suffisantes ? Estimez-vous que vous avez disposé de suffisamment de données pertinentes pour effectuer une estimation correcte des pôles qui ont commencé à fonctionner le plus tardivement ?

M. Philippe Bassot. Non, pas complètement. De ce fait, ces pôles ont tous été classés en catégorie 1. Certains d’entre eux n’avaient réellement commencé à fonctionner que depuis six mois. Leur appliquer les mêmes critères qu’aux autres n’avait pas véritablement de sens.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. L’annonce par le Gouvernement, le 23 juin 2007, de la pérennisation de la politique des pôles de compétitivité ne vous a-t-elle pas gêné dans votre analyse ?

M. Philippe Bassot. Il faut, me semble-t-il, dissocier le choix du Gouvernement de continuer à mettre en œuvre la politique nationale des pôles de compétitivité, qui nous semble globalement bonne, et l’analyse de chacun des pôles, certains tirant mieux que d’autres leur épingle du jeu. La décision du Gouvernement ne nous a pas posé de difficulté pour l’évaluation de chaque pôle ni pour leur classement.

M. David Habib, Président. Votre rapport a été réalisé par un groupement privé, à la demande de l’État. Dans quelles conditions le marché vous a-t-il été concédé ?

M. Philippe Bassot. C’était un appel d’offres ouvert.

M. David Habib, Président. Quel était le montant de ce marché ?

M. Philippe Bassot. De mémoire, un peu moins de 800 000 euros.

M. David Habib, Président. Vous exposez dans vos travaux que le rapport que vous avez élaboré n’engage pas la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT). Pourtant, il est publié à la Documentation française sous le timbre de la DIACT. Quel est donc son statut ? Avez-vous vraiment pu bénéficier d’une liberté d’investigation alors que l’État apparaît si présent dans la démarche ?

M. Philippe Bassot. Nous avons procédé comme souvent dans les démarches d’évaluation de politiques publiques. Notre proposition, qui semble-t-il a été considérée comme la plus adaptée à la problématique, comportait une méthodologie. Trois niveaux de l’État étaient impliqués : la DIACT, qui était chef de projet et avec qui nous avions des contacts, le comité de pilotage, composé d’une cinquantaine de personnes et qui regroupait bien au-delà de l’État, et le groupement interministériel, qui rassemble les services des différents ministères en charge du suivi des pôles. Nous avons présenté régulièrement des analyses d’étape, puis le rapport final d’évaluation individuelle de chacun des pôles. L’État a joué son rôle de chef de projet et d’animation d’un comité de pilotage pluridisciplinaire.

M. David Habib, Président. Les services de l’État sont-ils intervenus dans la rédaction du rapport ?

M. Philippe Bassot. Pour ce qui me concerne, non.

M. Laurent Blivet. Même réponse. Nous avions des contacts au moins hebdomadaires avec la DIACT, pour vérifier que nous rencontrions bien les interlocuteurs pertinents des pôles et que nous n’oubliions pas des interlocuteurs qu’elle-même, les collectivités territoriales ou les services déconcentrés percevaient comme importants. Nous avions des contacts au moins mensuels avec le comité interministériel : par exemple, le questionnaire que nous avons transmis aux pôles a été relu avec ce comité de travail, de façon à vérifier que nous parlions bien le même langage, et que nos formulations étaient compréhensibles et conformes au vocabulaire habituellement utilisé dans le milieu des pôles. Nous souhaitions nous enrichir de l’expérience forte de la DIACT, du comité de pilotage et du GTI.

Nous avons choisi les experts de façon absolument autonome. Lorsque nous sollicitions une institution, nous en informions la DIACT. En revanche, à aucun moment, celle-ci ne nous a orienté vers un expert particulier ou interdit d’en rencontrer un autre. Le rapport est la version rédigée de la présentation que nous avons élaborée pour le comité de pilotage, en juin. La DIACT n’a pas influencé les recommandations que nous avons faites.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel indicateur vous semblerait pertinent pour mesurer l’impact des pôles sur l’emploi ? La notion de zone géographique est-elle pertinente ? La crise montre que lorsqu’un secteur d’activité s’effondre, il le fait de façon globale. Une des forces des pôles devait être de tirer parti de la forte présence d’un même secteur d’activité dans un endroit donné, notamment pour la sous-traitance. La construction d’un territoire national plus homogène ne serait-elle pas plus pertinente en situation de crise ?

M. Philippe Bassot. Eu égard au caractère récent des pôles, nous n’avons pas procédé à une mesure de leur impact sur le développement économique, l’attractivité des territoires ou l’emploi. Cela ne paraissait pas possible après seulement trois ans d’activité théoriquement, et en réalité deux ans et demi ou moins encore.

Pour évaluer l’impact des pôles sur l’emploi, il aurait fallu disposer d’indicateurs au moment de leur lancement. Cela n’a pas été le cas. Établir, avec l’aide de l’INSEE, de tels indicateurs, permettrait de mesurer cet impact à partir d’aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faudrait créer un point de départ de référence ?

M. Philippe Bassot. Ce point de départ est en effet en cours de création, puisque, de façon plus complète qu’en 2006, l’État, dans le nouveau contrat de performance des pôles, leur demande de respecter une grille d’indicateurs assez complète. Cela dit, l’emploi n’y figure pas. Pourquoi ? Les équipes des pôles sont souvent très réduites. Elles ne disposent ni des moyens ni de la légitimité pour demander à 350 PME membres d’un pôle quels sont leurs effectifs et en suivre l’évolution sur plusieurs années.

Mesurer l’impact sur l’emploi que peut avoir la participation d’une entreprise à un pôle soulève en outre des difficultés méthodologiques. Il n’est donc pas sûr que l’emploi soit le bon indicateur des pôles, même si nous souhaitons nous y intéresser.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Avez-vous prévu une deuxième phase d’audit, plus ciblée sur l’emploi ? Si le développement d’un dispositif destiné à accroître la création d’entreprises devait s’accompagner d’une hausse du chômage, son utilité pourrait être mise en doute, qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Bassot. Cette évaluation devrait reposer sur des analyses comparées, par secteur, des évolutions des taux de croissance de l’emploi dans des entreprises faisant partie de pôles et dans d’autres ne s’y trouvant pas. Elle devrait être conduite sur l’ensemble des secteurs. Le cadre fixé pour notre mission ne nous a pas amenés à nous intéresser à cette question. Je ne connais pas les projets de l’État pour la future deuxième vague d’évaluation. En revanche, certaines régions s’y intéressent.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Si l’emploi n’est pas un bon critère d’évaluation, lequel proposez-vous ?

M. Laurent Blivet. L’ensemble des parties prenantes aux pôles – et les pôles eux-mêmes – ont pour objectif ultime la création d’emplois. La complexité, de mon point de vue, vient de ce que la géographie de l’innovation n’est pas forcément celle de la création d’emploi. Les centres de recherche d’une entreprise peuvent être situés dans une région, et parties prenantes à un pôle, tandis que ses centres de production sont situés dans une autre. L’emploi créé par l’innovation l’est alors dans une région qui n’est pas celle où est implanté le pôle innovant. Cela induit une difficulté de mesure et explique le besoin d’une analyse au plan national pour évaluer la contribution des pôles à la création d’emploi.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Peut-on aujourd’hui déterminer le nombre d’emplois dus à la création des pôles ?

M. Philippe Bassot. Selon moi, les pôles ont été créés pour remédier au faible niveau de recherche et développement des entreprises privées françaises au regard de la moyenne européenne. Leur existence a d’abord pour objet d’accroître la recherche et le développement, ainsi que l’innovation, dans les entreprises, et de favoriser tant les partenariats public-privé que les partenariats privé-privé. La traduction de cet effort d’innovation en emplois et en compétitivité est une étape ultérieure. L’impact direct des pôles sur l’emploi me semble difficile à mesurer. Il faudra peut-être élaborer une méthodologie très fine à cet effet.

Aujourd’hui, nous ne sommes pas capables de déterminer combien d’emplois ont été créés directement par les pôles, à part dans les structures associatives qui les dirigent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelle a été votre méthodologie pour évaluer les pôles de compétitivité et porter un avis pertinent sur la politique publique des pôles ? Par cette politique, l’État souhaite, en s’appuyant sur la recherche et le développement, donner à terme une dynamique plus forte à l’économie du pays.

Comment vous y êtes-vous pris pour collecter ces données, les agréger, les consolider, et ensuite pouvoir porter un jugement sur la politique publique ? N’y a-t-il pas un risque de subjectivité ?

M. Laurent Blivet. Ce risque existe en effet, d’autant que dans les interventions publiques et les documents officiels, la formulation et la description des objectifs de la politique des pôles de compétitivité sont assez larges.

Nous avons d’abord vérifié que nous avions bien compris les objectifs de la politique publique nationale – qu’il ne nous revenait pas de remettre en cause – , ainsi que ceux que chaque pôle s’était donné à lui-même dans la phase de labellisation.

Nous avons collecté des données, interrogé des acteurs, analysé les différents modèles élaborés en vue d’atteindre des objectifs comparables ou similaires. Nous voulions nous faire une idée de l’adéquation entre les moyens mis en œuvre et ces objectifs. Pour l’évaluation pôle par pôle, nous avons confronté la réalité – ou notre perception des réalisations de chacun des pôles – aux objectifs que chaque pôle s’était fixé dans son cahier des charges et ses documents internes. Nous avons procédé de même pour l’évaluation de la politique nationale. Où en était la réalisation des objectifs ? Les moyens pour s’en approcher étaient-ils optimaux ?

Courant janvier 2008, nous avons organisé une collecte assez large de données, via un questionnaire informatique. Nous y demandions aux pôles leur évolution en termes de structuration, de partenariat, de formation, bref dans chacune des dimensions du cahier des charges de l’étude. Il s’agissait de disposer d’une grille pour discuter avec eux, de notations aussi standardisées que possible – vous avez raison de remarquer qu’il y a là un problème méthodologique – et d’une base de données complète de l’ensemble des financements mobilisés par les pôles, laquelle n’existait pas jusque là.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelle a été la contribution des pôles dans la fourniture de ces informations ? N’ont-ils pas perçu votre démarche comme inquisitoriale ? Elle a en effet conduit à un classement… Quels ont été les critères de celui-ci ?

M. Philippe Bassot. La collaboration des pôles a été très bonne. Depuis leur création, ils reçoivent de nombreux questionnaires, évaluations, demandes ou propositions de services. Ils ont joué le jeu de l’évaluation, et ont tous répondu au questionnaire.

Nous avons ensuite organisé des déplacements dans les pôles par équipes de deux. Pendant un ou deux jours, nous y avons rencontré leurs acteurs. Cette procédure, conduite dans les 71 pôles, a duré deux mois et demi. Les pôles nous ont vraiment facilité la tâche d’organisation de ces entretiens.

Nous arrivions dans une logique moins inquisitoriale que d’échange, pour vérifier si les pôles avaient une stratégie, une gouvernance bien outillée, et pour, comme dans un audit, consulter les documents correspondant aux réalisations qu’ils nous avaient dit conduire dans leurs réponses au questionnaire. Ce deuxième niveau d’évaluation a été caractérisé par la discussion avec la gouvernance du pôle sur les réponses au questionnaire. Les équipes de gouvernance ne sont pas toujours homogènes : elles peuvent comporter un responsable de PME, le vice-président d’un grand groupe chargé de la recherche, un universitaire... Échanger avec ces voix diverses permet de recouper l’information.

Enfin, un troisième niveau a été constitué par les entretiens avec les collectivités locales ou les services déconcentrés de l’État à propos des pôles relevant de leurs territoires. Au contraire de ce que je craignais, ces entretiens ont été très francs. Nos interlocuteurs avaient très souvent une vision objective des forces et faiblesses des pôles.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Dans quelle mesure votre classement en trois catégories est-il fondé sur des critères précis ?

M. Philippe Bassot. Nous n’avons pas voulu fonder notre évaluation ni notre classement seulement sur l’obtention de financements grâce au montage de projets présentés au fonds unique interministériel (FUI). La question que nous nous sommes posée, profitant de l’expérience européenne des clusters, c’est : en trois ans, qu’est-ce qu’un pôle devait avoir été capable de faire ?

Nous avons considéré que le minimum était premièrement qu’il ait élaboré une stratégie, deuxièmement qu’il dispose d’une gouvernance fonctionnelle : un conseil d’administration qui se soit réuni, un bureau qui ne soit pas pléthorique et qui se soit aussi réuni, un comité de sélection des projets dont la composition diffère de celle du bureau, un processus écrit d’élaboration des projets, où l’on perçoive bien l’existence d’un processus de sélection, et qui comporte des indicateurs et des critères. Construire un tel processus est, au départ, le cœur de métier des pôles. La stratégie devait être compréhensible et ne pas être la simple superposition de celles des quelques grands groupes qui éventuellement pilotaient le pôle. Le troisième grand critère était la dynamique du pôle. Combien d’adhérents a-t-il et comment leur nombre a-t-il évolué, quels sont les moyens humains dont il dispose ? Ces critères permettent éventuellement de faire apparaître de graves dysfonctionnements. Les pôles classés en catégorie 3 ne l’ont pas été tous pour la même raison, mais en général ils étaient en échec sur au moins deux de ces trois critères de gouvernance, de dynamique et de stratégie.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il y avait des notes éliminatoires ?

M. Philippe Bassot. En effet ; les pôles franchement en échec sur deux de ces trois critères ont systématiquement été classés en catégorie 3.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour faire partie des 39 pôles classés en catégorie 1, il fallait réussir sur les trois critères ?

M. Philippe Bassot. Oui. Les 19 pôles classés en catégorie 2 étaient en général en échec sur un des trois critères. Il y a cependant bien sûr continuité entre le dernier d’un groupe et le premier du suivant.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pouvait-on prévoir à l’avance quels seraient les pôles classés en catégorie 3 ?

M. Philippe Bassot. Je ne crois pas. Les pôles classés dans cette catégorie ne l’ont pas tous été pour les mêmes raisons. Ce n’est pas une question de potentiel. Certains petits pôles réussissent très bien comme tels, tandis que des pôles très importants et à très fort potentiel ne réussissent pas du tout. Je ne suis donc pas sûr que la prévision était possible.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Auriez-vous proposé de délabelliser certains pôles si vous en aviez eu le pouvoir ?

M. Philippe Bassot. Oui. Cependant, à la réflexion, leur avoir accordé un délai d’un an supplémentaire pour redresser la barre est sans doute une bonne idée. Après trois ans de fonctionnement, ou plutôt deux pour ceux qui sont classés en catégorie 3 – ces pôles ont eu en général un démarrage laborieux –, la sanction aurait été trop abrupte.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Peut-on considérer que certains des 13 pôles de la catégorie 3 n’auraient pas dû exister ? Au départ, on envisage de créer un certain nombre de pôles, puis chacun réclame le sien, trop de pôles sont créés, et des audits sont lancés pour en réduire le nombre. Ce type de démarche peut aboutir à des gaspillages d’argent public. Je connais un pôle, Cosmetic Valley, qui existait avant d’être labellisé. Ses acteurs se sont organisés sur le modèle des futurs pôles dix ans avant leur création.

M. Philippe Bassot. Il est difficile de répondre : dans l’évaluation, nous n’avons remis en cause ni le potentiel des pôles ni la justesse de leur labellisation. Ce n’était pas la commande.

Fallait-il labelliser 15 pôles de dimension mondiale regroupant une grande partie du potentiel scientifique et technologique français, ou conduire aussi une politique de développement économique régional, où de petits pôles rassemblent les forces vives dans un secteur ? Je n’ai pas la bonne réponse mais en tous cas l’argument du gaspillage doit être relativisé. Je crois me souvenir que 80 % ou 85 % des financements publics (FUI, Oséo, ANR notamment) sont concentrés sur 15 pôles.

M. Laurent Blivet. La structuration du dispositif, avec l’appel à projets national, aboutit de fait à une concentration des ressources financières, ce qui relativise la crainte d’une dispersion des financements.

M. Philippe Bassot. La politique des pôles aboutit à concentrer l’allocation de ressources des collectivités locales : l’État consacre des ressources à cette politique, mais les régions aussi. Depuis la création des pôles, les collectivités (même si parfois certaines d’entre elles avaient manifesté des réticences devant ce qui leur apparaissait comme une politique décidée d’en haut) se sont prises au jeu. Le financement des pôles est devenu un élément très fort de la politique régionale en faveur du développement économique.

À la limite, on pourrait conclure qu’il existe deux sortes de pôles : des pôles de dimension mondiale, financés de façon plus privilégiée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et l’État, et d’autres, de dimension plus nationale ou régionale que mondiale, pris en charge d’abord par les collectivités.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pourriez-vous développer vos propos sur la gouvernance des pôles ? Les structures ne sont-elles pas trop complexes ?

M. Philippe Bassot. Je ne le pense pas. Un conseil d’administration, un bureau, un comité des financeurs et un comité de sélection semblent certes former beaucoup d’instances pour un petit pôle de compétitivité. Cela dit, les pôles font partie des rares organisations disposant d’un financement dédié, en l’occurrence le FUI, qui comporte un processus de labellisation conditionnant la présentation des projets aux financements nationaux. Pour des raisons de transparence et d’éthique, il est important, à nos yeux, qu’un tel type de fonctionnement soit institué. Par ailleurs, entre 3 et 20 personnes, quel est le bon effectif d’une équipe ? Les situations sont si diverses qu’il est difficile de le dire.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous chiffré les coûts de la gouvernance, les effectifs et le nombre d’heures qui y sont affectés ?

M. Philippe Bassot. Oui.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les résultats sont-ils cohérents avec la dimension et le classement des pôles ?

M. Philippe Bassot. De mémoire, oui.

M. Laurent Blivet. Sur la base des déclarations faites, le coût des structures de gouvernance, ou plutôt d’animation, des pôles est de 44 millions d’euros en 2007, hors contributions directes des entreprises en personnel ou en moyens.

La dimension de la structure d’animation est en général cohérente avec les subventions sollicitées, et obtenues des financeurs, même si des variations peuvent être observées d’un appel à projet à l’autre, ou lorsque le pôle se donne des missions nouvelles. Cela dit, nous ne sommes pas capables de préconiser quelle devrait être la structure d’un pôle en personnel et en dépenses d’animation au regard de critères comme, par exemple, le montant des financements obtenus du FUI, de l’ANR ou d’autres financeurs. La raison en est que chaque pôle a défini pour lui-même, en accord avec ses mandants, ses propres priorités. Ce que nous avons exprimé dans notre rapport, c’est que nous avons vu des réalisations et des organisations intéressantes dans le cadre d’un spectre très large de focalisation des différents pôles, de taille des pôles, d’ambitions technologiques ou industrielles de chacun d’eux.

Nous avons été surpris par des pôles qui, alors qu’ils ne remplissaient pas les critères intuitifs de labellisation, ont su catalyser des dynamiques locales, et trouver des zones de compétence et de valeur ajoutée en cohérence parfaite avec les acteurs locaux, acteurs industriels, scientifiques, de recherche ou collectivités territoriales.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Après cet audit, seriez-vous en situation d’établir un guide des bonnes pratiques ?

M. Philippe Bassot. Nous pourrions en tous cas en répertorier quelques-unes. Nous en indiquons certaines dans notre ouvrage.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous faites état d’un exemple d’attitude directive de l’Etat dans la gouvernance des pôles. Est-ce un phénomène général ? Est-ce lié au financement ?

De plus, l’équilibre entre coût de la gouvernance et cotisations des membres est-il satisfaisant ? Un risque n’existe-t-il pas de créer des structures nouvelles qui n’aient pas forcément de projets à gérer ? Je suis un peu effaré du nombre de structures que l’on crée en France dans le domaine économique, et qui toutes tendent à devenir durables...

M. Laurent Blivet. Le risque qu’une nouvelle structure vienne s’ajouter au maquis de celles qui se consacrent au développement économique est réel. Le seul moyen de le prévenir est de maintenir la pression sur le financement des projets des pôles – elle s’exerce assez bien via les appels à projet –, mais aussi de leurs structures. Le message doit être très clair : les pôles qui n’arriveront pas à faire la preuve de leur valeur ajoutée, et donc à présenter des réalisations concrètes dues à leur action, seront délabellisés et auront vocation à disparaître.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pourra-t-on politiquement opérer des délabellisations ? Au contraire, ne verra-t-on pas perdurer des structures tournant à vide ?

M. Laurent Blivet. Dans le rapport, nous expliquons qu’une logique de contractualisation, comportant des objectifs initiaux très clairs et explicites, rendra plus faciles pour les financeurs les décisions de délabelliser, ou de réduire massivement les subventions de la structure du pôle. Nous avons écrit que les objectifs de la première phase des pôles, pôle par pôle, n’étaient pas suffisamment explicites.

Comment créer les conditions d’un contrôle efficace de l’action de la structure des pôles ? Nous avons prôné une logique de contractualisation dans la durée. Nous avons vu des pôles développer des stratégies quasiment au mois le mois pour solliciter des financements auprès de tel ou tel financeur. Ce type de fonctionnement ne nous paraît pas de nature à inscrire l’action des pôles dans la durée de l’innovation.

M. Philippe Bassot. Outre leur conseil d’administration, les pôles ont deux patrons : les régions et l’État. Les régions financent parfois plus de 50 % du fonctionnement des pôles. Dès lors elles sont en droit d’attendre des types d’action correspondant à leurs souhaits. Cette double dépendance n’est pas facile à gérer.

L’impression de dirigisme est peut-être due au message un peu brouillé venu des différents ministères lors du démarrage. La politique des pôles est une politique interministérielle : or tous les ministères, auxquels il faut ajouter de grands organismes de l’État, n’a pas forcément la même vision de ce que doit être l’action d’un pôle. Les messages passés ont été parfois assez contradictoires.

Une approche trop administrative a pu être aussi un élément peu positif. En fonction des fonctionnaires de référence, les pôles doivent parfois rendre des comptes facture par facture, déplacement par déplacement. La contractualisation permet d’introduire une logique non pas de moyens, mais de résultats.

Dans la majorité des pôles, la cotisation des entreprises est faible. Se pose alors la question du rééquilibrage entre le privé et le public. Cela dit, beaucoup d’entreprises, notamment les grandes, mettent à disposition des pôles du personnel une, deux ou trois personnes à temps plein. C’est un facteur de meilleur équilibre.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. On a le sentiment d’avoir affaire à deux types de pôles, les quinze pôles à vocation nationale, pour lesquels le critère principal serait la recherche et des retombées à long terme, et des pôles à caractère plutôt régional, apparaissant plus comme des instruments d’aménagement, et où le critère principal serait plutôt l’emploi, et l’accroissement des recettes de la taxe professionnelle. Un clivage semble s’installer.

M. Laurent Blivet. Au regard de certains indicateurs, ce point de vue me semble correspondre à une certaine réalité. La complexité apparaît lorsqu’on demande aux pôles, sur la base de cette dichotomie, où ils se situent aujourd’hui et où ils se situeront dans cinq ans. Leur perception n’est pas forcément celle que vous venez d’exprimer.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Considérez-vous qu’au sein des pôles, l’équilibre est assuré entre les PME, les grandes entreprises et les laboratoires de recherche ? Les pôles ont-ils la culture du benchmarking ? Connaissent-ils l’action de leurs concurrents à l’international, s’en imprègnent-ils, ou cette question les dépasse-t-elle totalement ?

M. Philippe Bassot. De façon générale, l’équilibre entre grandes entreprises et PME n’est pas mauvais. Pour une fois en France, un dispositif ancre les grandes entreprises à la fois sur leur territoire et dans le partenariat public-privé et privé-privé. N’oublions pas que les PME dont nous parlons sont des PME innovantes, donc situées en haut de la pyramide : avant d’innover en collaboration, il faut être capable d’innover tout court. Les laboratoires sont également représentés en termes de projets ; cependant, en termes de gouvernance, il reste encore un peu de chemin à faire.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment aider les PME à innover ? Pensez-vous que les acteurs de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation sont vraiment impliqués dans les pôles ?

M. Laurent Blivet. Nous avons écrit dans le rapport que le dispositif des pôles gagnerait à être renforcé par des liens avec d’autres dispositifs d’appui à la recherche ou de réflexion stratégique de grandes institutions de recherche. Nous nous sommes aperçu que les frontières pouvaient être encore relativement étanches entre certaines institutions, et que le dispositif pourrait être plus efficace s’il était mis en résonance avec d’autres initiatives. L’enthousiasme local gagnerait à être relayé par une mise en cohérence avec des initiatives nationales.

M. Philippe Bassot. Selon moi, la question clé pour les PME est le conseil en propriété intellectuelle. Dans les partenariats public-privé et privé-privé, ce qui achoppe, une fois les contrats prêts, c’est la répartition des droits. Une PME qui négocie avec un grand groupe dispose rarement des compétences pour gérer ce point. Les universités conduisent des activités de valorisation de recherche publique et sont donc censées détenir une compétence en gestion de la propriété intellectuelle ; elles pourraient rendre un vrai service aux PME de leur pôle pour les aider à mieux protéger leurs intérêts dans ce domaine. Cela dit, dans beaucoup de pôles, des services d’accompagnement se mettent en place au profit des PME pour les aider à monter des projets innovants.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La politique des pôles est-elle un outil d’aménagement du territoire, un outil de développement de la recherche ou un outil de fédération entre les PME, les grandes entreprises, les laboratoires et les collectivités territoriales ?

M. Philippe Bassot. Pour moi, c’est plutôt un outil de fédération.

M. Laurent Blivet. Pour moi, cette politique peut être un outil pour chacune de ces trois actions, de façon différenciée dans chacun des pôles. La politique des pôles est suffisamment flexible pour le permettre.

M. David Habib, Président. Merci à vous.