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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les externalisations dans le domaine de la défense

Mercredi 30 mars 2011

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 1

Présidence de M. David Habib, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Claude Chaufrein, capitaine de vaisseau (état-major de la marine), sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) naval, sur les externalisations dans le domaine de la défense

M. David Habib, Président. Je suis heureux d’ouvrir un nouveau cycle de travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC). Les externalisations dans le domaine de la défense sont l’un des cinq thèmes retenus cette année par le bureau de la Commission des finances.

Le principe de la MEC est de dégager des propositions de consensus. C’est pourquoi notre organisation est paritaire entre majorité et opposition. Aussi, je présiderai nos différentes réunions en alternance avec Olivier Carré.

C’est aussi pourquoi nos rapporteurs associent les points de vue des différentes commissions concernées. Outre M. Louis Giscard d’Estaing, membre de la commission des Finances, le rapport sur les externalisations dans le domaine de la défense sera préparé par M. Bernard Cazeneuve, membre de la commission de la Défense nationale et des forces armées et du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques.

Je salue également la présence de trois membres de la Cour des comptes : M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre, Mme Monique Saliou, conseiller-maître, et M. Olivier Brochet, rapporteur.

La mission d’évaluation et de contrôle a constaté l’intérêt du thème qui nous réunit au cours de ses précédents travaux, lorsque, en 2009, M. Louis Giscard d’Estaing et Mme Françoise Olivier-Coupeau ont travaillé sur le coût des opérations militaires extérieures, notamment en Afghanistan. À l’issue de cette mission, la Commission des finances a demandé à la Cour des comptes, conformément au 2° du deuxième alinéa de l’article 58 de la LOLF, un rapport sur les externalisations dans le domaine de la défense.

Ce document, publié récemment par notre commission, constitue donc le point de départ de nos travaux. L’objectif n’est pas de recommencer le travail de la Cour, qui a rendu un rapport très complet. Il est d’abord d’examiner concrètement, sur certains projets ciblés, si les externalisations permettent réellement au ministère de la Défense de réaliser des économies financières sans remettre en cause le « contrat opérationnel » que les forces doivent être capables de mettre en œuvre à tout moment. L’objectif sera ensuite, s’il y a lieu, de proposer des orientations politiques et des choix de méthode.

Nous accueillons aujourd’hui le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein, chargé du maintien en condition opérationnelle (MCO) à l’état-major de la marine, accompagné du capitaine de vaisseau Alain Giraud, chargé de liaison parlementaire.

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. L'évolution du MCO naval se confond avec l'histoire des arsenaux de la marine. La tutelle de la marine sur la direction des Constructions et armes navales (DCAN) cesse avec la création de la délégation ministérielle pour l'Armement en 1961, qui devient la délégation générale pour l’Armement (DGA) en 1977 et intègre alors la DCAN.

Après des évolutions successives de statut et de nom, intervient la loi sur la transformation de la direction des Constructions navales (DCN) en entreprise d'État, promulguée le 29 décembre 2001 et rendue effective avant la fin de 2003.

Cette concrétisation se fait jour avec la signature au ministère des finances du « traité des apports » entre l’État et la DCN le 26 mai 2003.

Nous ne nous situons donc pas dans le cadre d’une externalisation de type « projets », tels que ceux qui peuvent être conduits dans le contexte actuel, mais dans un processus historique reposant sur un choix politique répondant à un cheminement de longue haleine.

Aujourd’hui, huit ans après le changement de statut de la DCN et onze ans après la création du service de soutien de la flotte (SSF), l’évolution constatée est très positive : au début des années 2000, la crise du MCO, qui concernait les trois armées, conduisait à des disponibilités moyennes de l’ordre de 50 et 60 % ; actuellement, le taux de disponibilité – c’est-à-dire l’aptitude des bâtiments à appareiller, autrement dit à répondre à la sollicitation politico-militaire qu’ils reçoivent – est supérieur à 70 %.

Le premier facteur de cette évolution est le SSF, dont le directeur central dépend du chef d’état-major de la marine (CEMM) : il constitue un instrument fort de maîtrise d’ouvrage déléguée – le CEMM étant le maître d’ouvrage – en termes de mise en œuvre d’une stratégie contractuelle et de suivi technique et logistique de la maintenance navale.

Sous contrainte budgétaire, le SSF est capable, grâce notamment à l’élaboration de stratégies contractuelles et de systèmes de tranches à bons de commande, de montrer une bonne réactivité face à la régulation budgétaire en gestion et aux aléas de programmation – ce qui est une entreprise délicate dans le cadre des marchés publics. D’ailleurs, le rapport du contrôleur général des armées Baczkowski sur la politique d’achat du SSF souligne globalement la très bonne maîtrise de son processus d’achat.

En outre, le service est confronté à la difficulté d’assurer la maintenance d’une flotte très composite, de 22 ans d’âge moyen, avec des bâtiments comportant les technologies les plus récentes, donnant lieu à des exigences de maintenance complètement différentes.

Le deuxième facteur d’évolution repose sur la transformation de DCNS en société de droit privé, laquelle a eu trois effets majeurs : « libérer les énergies » en termes d’organisation industrielle – l’industriel étant libéré du code des marchés publics – ; mettre en œuvre, en ouvrant le marché du MCO naval, une compétition bien comprise ; et permettre à la marine, par le truchement du SSF, de se réapproprier des segments du MCO qui étaient un peu tombés en déshérence au fil du temps, tels le suivi technique et l’ingénierie de la maintenance.

La question de la répartition du rôle des acteurs a été bien exposée par la Cour des comptes. En première ligne, se trouvent les équipages : la vocation de la marine étant d’être déployée en situation difficile, loin, longtemps et en équipage, ils sont, au milieu de l’océan, dans un premier temps les seuls en mesure de faire face, quelle que soit la sophistication du contrat. À l’autre extrémité du spectre, figurent les industriels. Entre les deux, agissent de façon complémentaire, sans redondance, les ateliers militaires, autrefois appelés ateliers militaires de la flotte : ils sont aujourd’hui intégrés dans le service logistique de la marine (SLM), qui regroupe les activités de maîtrise d’œuvre technique ainsi que les fonctions logistiques de magasinage. Ils constituent une garantie de continuité et de permanence du MCO naval, en dotant la marine d’une capacité d’intervention en cas de rupture contractuelle – autrement dit si, dans le processus de passation de marché, se produit un aléa ou un recours par exemple, comme cela s’est passé voici quelques années pour les bâtiments de projection et de commandement. Ils sont ainsi capables d’assurer a minima une « jonction » en attendant la passation d’un nouveau marché. Pour d’autres activités, plus ancillaires, trop difficiles à contractualiser ou facturées à des forfaits exorbitants, ils sont en mesure de prêter assistance aux équipages.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Vous avez fait allusion au changement de statut de DCN en DCNS, puis en société privée, qui constitue une externalisation plutôt subie que délibérée de la part de la marine. Quels sont les critères de principe que vous retenez pour procéder à une opération d’externalisation en matière de MCO naval ? Dans quelle mesure sont pris en compte les impacts en termes financiers, de retombées économiques, budgétaires et sur les effectifs ? Avez-vous chiffré les gains financiers réalisés grâce à de telles opérations ? Quelle évolution constatez-vous en termes de coût dans le suivi budgétaire de la MCO externalisée ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. S’agissant de la transformation de DCN en société privée, je dirais que nous l’avons élaborée ensemble avec celle-ci, plutôt que nous ne l’avons subie.

Le critère essentiel est d’essayer de faire réaliser mieux par quelqu’un d’autre des opérations qui demanderaient pour l’État un investissement et des immobilisations considérables, en établissant une projection du coût pour éviter que celui-ci ne dérive à l’excès. Autrement dit, il s’agit d’alléger la charge de l’État à l’égard de prestations qui ne relèvent pas de son métier.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Quels sont les gains réalisés par la non-acquisition de certains matériels ou infrastructures, qui auraient été nécessaires en l’absence d’externalisation ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Il est très difficile de répondre à cette question : je ne suis pas en mesure de faire des hypothèses sur les investissements que nous aurions faits si l’État était resté l’acteur principal. Il en est ainsi par exemple des ateliers qui auraient été nécessaires pour la maintenance des frégates européennes multi-missions (FREMM) ou des frégates Horizon.

Le « traité des apports » décrit les actifs transférés à DCNS, qui nous répercute ses charges dans ses prix. Nous pouvons dès lors apprécier le gain entre le coût budgétaire avant 2003, voire avant 2005 – dans la mesure où jusque-là, on recourait à des « quasi-contrats », s’apparentant encore à de la régie – et le coût des contrats de droit privé après cette date. Le gain estimé par le SSF est de l’ordre de 20 %. Mais cette évaluation est difficile, car elle se heurte au problème de la référence initiale et de l’évolution du périmètre entre la fin des années 1990 et aujourd’hui. Reposant sur une étude approfondie réalisée par le SSF sur le segment d’entretien des frégates fortement armées – comme les frégates de lutte anti-sous-marine De Grasse, Tourville ou Georges Leygues, ou les frégates anti-aériennes Jean Bart et Cassart –, elle aboutit à un gain annuel de l’ordre de 180 millions d’euros par an entre la fin des années 1990 et aujourd’hui.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Quel est l’impact sur les effectifs ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Depuis des années – avant même la DCN –, les effectifs exécutant le MCO naval ne font plus partie de la marine. Ils sont suivis dans le cadre du changement de statut de DCNS, qui est une autre affaire, de niveau interministériel.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lors des travaux menés par la MEC voici trois ans sur les programmes d’équipement de la marine, les responsables de la défense que nous avons auditionnés nous ont indiqué que, dans le calcul du niveau des investissements nécessaires pour garantir un bon niveau d’équipement de nos armées – pour les FREMM ou les sous-marins Barracuda par exemple – on intégrait désormais les coûts de possession, lesquels comprenaient le coût de fonctionnement des équipages placés sur les équipements acquis et les coûts de maintenance, notamment le MCO.

Quelle est la répartition des compétences entre les trois acteurs du MCO que sont le SSF, DCNS et les autres opérateurs privés intervenant pour le compte de la marine dans le cadre de procédures d’appel d’offres ? L’intervention du SSF se limite-t-elle à de la petite maintenance ? Pour quel type de missions faites-vous appel respectivement à DCNS et à la sous-traitance privée ? Quels critères retenez-vous à cette fin ?

Dès l’instant où l’on veut, en procédant à des externalisations, faire des économies, il faut savoir sur quels fondements on évalue celles-ci. Or, la marine a confié la charge des infrastructures qu’elle finançait à DCNS, qui assure une partie du MCO et intègre le coût de celles-ci dans sa facture. J’imagine que DCNS ne les gère ni mieux ni moins bien que vous ne le faisiez : où, dès lors, résident les économies en termes de coût fixe des infrastructures nécessaires à la réalisation des opérations du MCO ?

Si des gains sont enregistrés, ils portent nécessairement sur les effectifs ou le coût du travail : d’où proviennent-ils exactement ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. S’agissant des acteurs, il convient de mettre à part le SSF, qui est dans le champ de la maîtrise d’ouvrage : prescripteur par délégation du chef d’état-major de la marine, il est le bras technique en matière de marchés et le représentant du pouvoir adjudicateur (RPA).

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Il n’intervient donc plus du tout pour des opérations de maintenance ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. En tant que prescripteur, il n’exécute pas d’actions de maîtrise d’œuvre, ne coordonne pas de chantier et ne dispose pas de personnel exécutant des actions de maintenance. Il est le représentant expert du propriétaire, qui conçoit les marchés, les fait exécuter et contrôle leur mise en œuvre.

Quant à la maîtrise d’œuvre, elle comporte trois niveaux : l’équipage ; la maintenance lourde faisant appel à des infrastructures industrielles, avec DCNS, mais aussi STX MCO, Piriou, Thales, CNM MCO – sachant qu’en cas de mise en concurrence sur des segments ne relevant pas, pour des raisons techniques, de DCNS, cette dernière est traitée de la même façon que ses concurrents – ; enfin, les ateliers militaires, qui constituent, comme je l’ai dit, une capacité complémentaire pour répondre à des circonstances particulières telles qu’une rupture contractuelle ou l’inadéquation d’un marché public à accomplir dans le cadre d’un forfait une multiplicité de petites tâches – qu’il est plus efficace et rentable de faire réaliser en régie.

Concernant l’évaluation des gains, le fonctionnement de l’ancienne DCN n’était favorable ni à la réalisation des opérations de maintenance navale, ni à une exploitation optimale des infrastructures industrielles, dans la mesure où il était soumis aux marchés publics sans le stimulus de la mise en concurrence. Depuis le changement de statut en 2003, on constate par exemple à Brest de nombreux désengagements de DCN de grands ateliers ou de zones entières – on parle à cet égard de recentrage sur la zone de la pointe –, ainsi qu’un allègement considérable de la charge d’immobilisation.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Cela concerne DCNS – qui, en se dégageant de ses emprises foncières, a diminué ses coûts fixes et réduit substantiellement ses charges fiscales –, mais en quoi cela a-t-il un impact sur le coût des services qu’elle rend à la marine ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Le fait que l’entreprise réduise ses frais fixes a un effet immédiat sur le prix de ses factures. Par ailleurs, le recours à des contrats de droit privé permet au SSF de déployer une stratégie contractuelle dans le cadre d’une mise en concurrence : la globalisation des contrats, leur caractère pluriannuel donnent de la visibilité à l’entreprise et lui permettent d’optimiser les achats, les équipes et ses relations avec ses sous-traitants, qui gagnent aussi en visibilité. Nous avons également mutualisé le risque entre l’État et l’industriel, ce qui permet à celui-ci de réduire encore le coût de sa facture.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. La Cour des comptes a attiré l’attention sur l’absence de complémentarité entre vos activités externalisées et celles réalisées en régie : qu’en pensez-vous ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Les ateliers militaires et les industriels ne relèvent pas de la même catégorie, que ce soit en termes de capacités, d’infrastructures ou de dimensionnement des équipes. Par ailleurs, les ateliers ne peuvent compter que sur eux seuls – contrairement aux industriels, qui peuvent, pour de hautes technologies spécifiques, se tourner vers des sous-traitants. Certes, ils ont des spécialités mais l’État veut, pour les raisons que j’ai indiquées, limiter ses investissements dans les domaines complexes ; ils sont capables de faire le minimum en matière d’entretien de moteurs ou de radars. En d’autres termes, ils peuvent « donner un coup de main » à l’équipage ou « boucher » un « trou » contractuel – sans redondance, encore une fois, avec les prestations fournies par les industriels.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. DCNS, qui est le principal industriel effectuant des programmes pour la marine nationale, joue à cet égard un rôle d’ensemblier intégrateur – c’est vrai pour les FREMM, les Barracuda ou les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et, je suppose, aussi pour les porte-avions, même si les capacités industrielles correspondantes se trouvent ailleurs désormais qu’à la DCNS de Brest. Sachant que la marine nationale indique que son objectif est d’intégrer les coûts de possession – et donc les coûts de maintenance – à celui des programmes, de manière à être sûre, lorsqu’elle engage un de ceux-ci, de minorer autant que possible le coût du MCO, quel critère vous conduit à faire appel à un autre industriel pour assurer des opérations de maintenance sur des équipements que DCNS a réalisés ?

Quel est par ailleurs le progrès accompli par DCNS depuis son changement de statut au regard des tarifs appliqués à la marine nationale sur le MCO ?

Comment évolue la relation entre DCNS et ses sous-traitants pour des opérations complexes requérant des compétences spécifiques ? Passez-vous directement une commande de MCO aux sous-traitants ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Deux critères principaux nous conduisent à choisir DCNS : la complexité du bateau, du système de systèmes, et l’antériorité que cette entreprise a sur un équipement – ou, en d’autres termes, l’impossibilité avérée pour un autre opérateur d’en reprendre l’historique. Pour les SNLE, les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), les frégates fortement armées et le porte-avions Charles-de-Gaulle, les deux sont réunis : il serait vain par exemple, s’agissant de ce dernier, de prévoir dans un appel d’offres la capacité de reprendre son carnet d’entretien compte tenu de son historique.

Le SSF arrive au bout du processus d’ouverture du marché avec, en particulier, un appel à concurrence sur les avisos du type A 69, bateaux de la DCAN par excellence, mais pour lesquels on a estimé que la complexité était modérée et que l’historique pouvait être appréhendé par d’autres.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Cela marche-t-il mieux ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Nous commençons à peine cette mise en concurrence : je ne peux préjuger du résultat de l’appel d’offres, ni des résultats techniques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lors des travaux que nous avons menés en 2008, lorsque nous avons demandé pourquoi on avait choisi un système de propulsion nucléaire pour le porte-avions Charles-de-Gaulle, l’ensemble de nos interlocuteurs nous a expliqué que ce choix avait résulté de la volonté de la marine nationale de minorer autant que possible son coût de maintenance – celui d’un système à propulsion classique étant estimé plus onéreux. Or, lorsqu’on considère le nombre d’arrêts de cet appareil, liés notamment aux hélices ou à la propulsion, on peut se demander sur quels critères repose ce type de choix et ceux à partir desquels on juge que l’externalisation coûtera moins cher que le maintien en régie, ou qu’il serait plus économique de confier les prestations à d’autres industriels. Quelle est votre grille d’évaluation ? Disposez-vous de tableaux ou de modèles à cet effet ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Depuis que les choix stratégiques sur ce porte-avions ont été faits, ont été mis en place les modèles et les structures de coûts de la DGA – qui ont vocation à apprécier le coût global de possession que vous évoquez et constituent pour la défense la référence depuis une dizaine d’années. Depuis quatre à cinq ans, ces outils sont vraiment opérationnels – le service d’évaluation des coûts de la DGA assure l’expertise dans ce domaine.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Sont-ce ces outils qui ont permis d’établir le montant de 180 millions d’euros d’économies que vous évoquiez ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Non, ce montant résulte de la comparaison entre le coût budgétaire de la maintenance des frégates fortement armées avant 2003 et aujourd’hui, à périmètre comparable.

Mais on peut aussi retenir une approche globale, prenant en considération les programmes au-delà du MCO proprement dit : un effort important est notamment réalisé pour tenir compte du cycle de vie des équipements. Les modèles et structures de coûts que j’évoquais permettent d’apprécier ce coût global.

Pour revenir à votre question sur les relations entre DCNS, les sous-traitants et la marine nationale, il ne faut pas faire un cas particulier de DCNS, qui est un maître d’œuvre parmi d’autres. La stratégie contractuelle du SSF tend notamment à responsabiliser un maître d’œuvre d’ensemble sur le résultat – qui peut être plus ou moins complexe et aller du fonctionnement du bateau à la fin de la période d’entretien jusqu’au contrat de disponibilité –, à charge pour cet opérateur de s’arranger avec ses sous-traitants.

Des difficultés peuvent apparaître entre le maître d’œuvre et ses sous-traitants, mais cela n’est pas propre au secteur naval. Sur les systèmes complexes, la performance résulte d’un dialogue entre le client et le fournisseur en dehors du cadre contractuel, sous la forme d’un partenariat. S’agissant des équipements relevant des sous-traitants, la difficulté est de nouer ce dialogue en évitant de porter atteinte aux attributions du maître d’œuvre d’ensemble. Il faut, par exemple, pouvoir dire directement à SAGEM ou Thales Underwater Systems que l’on rencontre des problèmes d’ergonomie ou de fiabilité, sans que le maître d’œuvre fasse écran. Cette démarche est délicate : elle doit éviter de brouiller les relations contractuelles et d’introduire des tiraillements entre les maîtres d’œuvre d’ensemble et leurs sous-traitants.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les externalisations risquent-elles de conduire à déléguer des missions revêtant un caractère régalien ou à poser des problèmes opérationnels aux armées, dans la mesure où elles ne maîtriseraient plus certains savoir-faire ou compétences ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Le partenariat stratégique élargi entre la marine et DCNS – lequel constitue un prototype – inclut, outre le dialogue sur la conduite des opérations de maintenance, une réflexion approfondie sur les compétences, tenant compte des préoccupations de l’industriel et de l’utilisateur, ainsi que de la préservation des compétences rares. Il s’agit d’un enjeu majeur.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Quels sont les effectifs des ateliers militaires ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Ils comptent 900 personnes. Nous procédons à une analyse technico-économique pour optimiser la gestion de ces ateliers et déterminer leurs seuils de viabilité, avec des modèles de coûts reconnus.

Je conclurai en disant que la « bascule » de la réalisation du MCO naval, depuis six ans, d’une organisation en régie vers des industriels privés s'avère tout à fait positive.

Au-delà des gains strictement financiers – difficiles à évaluer –, on constate un progrès remarquable en termes de disponibilité des forces, qui se traduit dans les capacités opérationnelles disponibles.

En outre, l'ouverture de la compétition, avec une approche approfondie du « mieux-disant », est génératrice d'un progrès global de la filière du MCO naval militaire, grâce à l'émulation et aux progrès qu'elle engendre en termes de méthodes industrielles et d’organisation de chantiers.

Le défi, à ce stade, est évidemment la maîtrise, voire la réduction, des coûts.

Outre la mise en œuvre de toute la palette des techniques de contractualisation, il est nécessaire de mettre en place des actions globales d'amélioration des organisations dans la marine et chez les industriels. L’intérêt du partenariat est de favoriser une synergie entre ces actions.

Elles se traduisent en interne, au sein de la marine, par un plan intitulé « dispo-flotte 2015 », et en externe, par le partenariat stratégique avec DCNS que j’ai évoqué.

Enfin, sous contrainte durable de ressources, seule l'approche volontariste de conduite des programmes avec de fortes exigences sur la maintenabilité et la maîtrise des coûts – se traduisant par des jalons décisionnels – permettra de limiter les réductions capacitaires.

M. David Habib, Président. Je vous remercie.