Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Les externalisations dans le domaine de la défense

Mardi 26 avril 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

– Audition, ouverte à la presse, sur le marché de l’habillement, de M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin, directeur central du commissariat des armées, de M. le commissaire-général Alain Ribes, sous-directeur soutien, et de M. le commissaire-colonel Bernard Chassac, sur les externalisations dans le domaine de la défense

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous remercie de votre présence et vous prie de bien vouloir excuser l’absence momentanée de M. David Habib, coprésident de notre Mission.

Nous poursuivons nos travaux relatifs aux externalisations dans le domaine de la défense, avec trois auditions successives portant d’abord sur le marché de l’habillement, puis sur les sociétés militaires privées, enfin sur la restauration collective.

M. Bernard Cazeneuve et moi-même sommes les corapporteurs de cette MEC, représentant respectivement la commission des Finances et celle de la Défense, ainsi que la majorité et l’opposition. Nous serons accompagnés par des magistrats de la Cour des comptes : Mme François Saliou, conseiller maître, et M. Olivier Brochet, rapporteur.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin, directeur central du commissariat des armées. Organisme très récent, le commissariat des armées est le fruit du mariage des commissariats des trois armées, Terre, Marine et Air. Pour autant, il n’en est pas la fusion dans la mesure où il n’a pas récupéré l’ensemble de leurs attributions. Ainsi, la gestion de la solde est demeurée dans les directions des ressources humaines de chacune des trois armées. De ce fait, le commissariat, qui était historiquement le payeur de la solde, au sens de la gestion et de la paye, n’en est plus aujourd’hui, au sens comptable, que le liquidateur et l’ordonnateur.

Il s’agit d’abord un service financier, au sens de la LOLF. Il exécute la quasi-totalité des budgets du soutien commun, au profit du sous-chef soutien et de l’EMA.

Il sera ensuite un service comptable, au sens du programme 178 Préparation et emploi des forces : en 2012, quand CHORUS nous proposera les résultats comptables, il les analysera au profit du chef d’état-major des armées – le CEMA –, et du ministre.

C’est un service d’achat qui passe l’ensemble des marchés du segment « achats courants » – pour la vie collective du combattant et de la communauté.

C’est un service en charge du contrôle interne comptable, toujours au sens de la LOLF, pour l’ensemble de l’agrégat soutien. C’est toujours un service juridique. Et c’est enfin le service de soutien du combattant.

Si nous sommes aujourd’hui devant vous, c’est au titre des fonctions « achat » et « soutien » du combattant, l’habillement concourant aux deux fonctions.

Quelques mots sur l’organisation actuelle de ce service. Au titre du décret de décembre 2009, je suis subordonné au CEMA. L’essentiel des grands arbitrages est prononcé par le major général des armées. L’action au quotidien du service dépend du sous-chef soutien.

Les commissariats historiques regroupaient environ 11 500 personnes, dont 6 500 seulement ont été transférées au commissariat des armées. À terme, soit en 2014, il n’en comptera plus que 4 000. Parallèlement, le nombre des établissements de ce service, qui était à l’origine de 90, passera en 2014 à 30 – nous en fermerons 39 cette année ; et celui des systèmes d’informations, dédiés au soutien de l’homme, de 90 à une quinzaine.

Le service du commissariat des armées, ou SCA, est face à trois grandes priorités.

La première est d’opérer la manœuvre RH pour s’assurer de la qualité de la condition du personnel et mener ainsi cette réforme à bien. Nous y consacrons énormément de temps, chaque fois que nous fermons un établissement.

La deuxième priorité est d’assurer la continuité du service pendant sa transformation, ce qui est essentiel quand on parle d’externalisation.

La troisième priorité est de tenir les enjeux financiers.

J’en viens aux externalisations stricto sensu. En la matière, nous ne sommes pas des stratèges, mais des opérateurs. La stratégie de l’externalisation est pilotée par le cabinet, autrement dit le ministre, et par l’EMA, dont nous suivons les orientations. Le service contribue simplement à certains choix en tant qu’expert.

Par ailleurs, nous ne sommes pas partie prenante dans l’ensemble des projets d’externalisation concernant le soutien de l’homme. En effet, le service du commissariat n’existe que depuis le 1er janvier 2010 ; il n’est véritablement opérationnel que depuis le 1er janvier 2011. De nombreux projets appartenant à notre domaine actuel ont été lancés bien avant que nous n’existions et nous ne les avons pas tous repris à notre compte.

Trois projets nous concernent plus particulièrement. Le premier concerne la fonction RHL : restauration, hôtellerie, loisirs.

La première vague d’externalisation, sur huit sites des organismes nourriciers de la défense, a été menée sous copilotage de l’EMA et de l’économat des armées, ce dernier étant le pouvoir adjudicateur de ce marché. Nous allons prendre à notre charge, au profit de l’EMA, le pilotage et le contrôle de gestion, attribution régalienne, qui ne saurait être confiée à un EPIC. C’est un projet sur lequel nous commençons à réfléchir au positionnement du service.

Le projet, dit « multiservices », concerne la base aérienne de Creil, où il a été décidé de mettre en place un système de type facility management pour tout ce qui concerne la restauration, les transports, le chauffage, les infrastructures, etc. La question avait d’abord été traitée par l’EMA et le commissariat de l’air, qui est désormais dans le périmètre du SCA, devenu pouvoir adjudicateur. L’opération est quasiment parvenue à son terme ; toute la partie juridique et réglementaire est achevée et nous en sommes à la recherche de la couverture en autorisations d’engagement, avant le passage devant le contrôleur budgétaire et comptable ministériel.

Dans une fonction aussi importante que celle de l’habillement, deux axes sont complémentaires : la rationalisation et l’externalisation.

La création du service du SCA et celle des bases de défense, ou BDD, nous ont permis – ou nous permettront, à terme – de rationaliser les effectifs. La rationalisation devrait nous permettre de ramener le nombre des ETP concernés par la fonction habillement de 1 600 à 1 000, en fermant un certain nombre d’établissements des anciens commissariats – Nancy, Rennes, Rillieux-la-Pape, Bergerac et Évreux – et en restructurant Brétigny et Marseille.

De même, pour les BDD, centraliser dans les bases de défense ce qui se passait dans les formations – corps de troupes, bases aériennes, ports – entraîne mécaniquement des économies.

Cette rationalisation est déjà engagée.

Une externalisation portant sur l’ensemble du dispositif générerait un gain supplémentaire d’environ 400 ETP. Il faudra aussi avoir réglé d’ici à 2017 la situation des 400 ETP privés des ateliers des maîtres ouvriers : maîtres tailleurs, maîtres bottiers, etc. Nous devrons à cette occasion prendre en compte la spécificité de la Marine, qui dispose d’ateliers très importants, notamment à Toulon : on ne s’y cantonne pas, comme ailleurs, à des opérations légères mais on y assure certaines opérations de fabrication.

Comment se situe le projet « habillement » par rapport aux quatre critères de réussite d’un projet d’externalisation qui résultent des grandes orientations fixées par les ministres depuis plusieurs d’années.

Sur le marché de l’habillement, maintenir en permanence le critère opérationnel peut être fait de trois manières. Premièrement, nous conservons en régie tous les effets dits « critiques » : gilets pare-balles, tenues de vol, tenues de protection contre les risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques), etc. Tous ces effets demeurent réalisés, stockés, gérés en régie. Deuxièmement, nous conservons l’ensemble des attributions relatives à la « recherche et développement », soit la constitution et la fabrication des notices techniques, qui restera sous la responsabilité du SCA et des EMA, de manière qu’il n’y ait aucune dérive par rapport aux besoins. Troisièmement, nous conserverons bien entendu le pilotage de l’ensemble de la fonction : le contrôle de gestion sera totalement pris en charge par le SCA au profit de l’EMA.

Deuxième critère : les gains économiques. Aujourd’hui, si on externalise la totalité de l’agrégat fonctionnement + achats, qui représente environ 350 millions d’euros, on gagne environ 20 %, soit davantage qu’avec la rationalisation – environ 13 %.

Troisième critère, absolument central : l’intérêt du personnel. Pour cela, nous ferons tout d’abord appel, dès que possible, au dispositif MALD (mise à la disposition), prévu par le décret du 21 septembre 2010. Ensuite, dans la mesure où l’externalisation se traduira par la fermeture d’un ou de plusieurs organismes, nous appliquerons ce qui est fait aujourd’hui dans le cadre de nos rationalisations : PAR, ou plan d’accompagnement aux restructurations ; indemnité de départ volontaire ; mobilité des agents.

Quatrième critère, lui aussi central : pas de position dominante au travers d’un marché d’externalisation. Une vingtaine de PMI-PME françaises travaillent dans le monde de l’habillement, leur situation n’est pas toujours facile et il nous appartiendra, au travers du dialogue compétitif que nous engageons, de prendre en charge leurs préoccupations. Nous restons en contact très étroit avec elles. J’ai déjà vu une première fois le président de la FACIM, la Fédération nationale des fabricants de fournitures administratives, civiles et militaires, qui représente la quasi-totalité des entreprises avec lesquelles nous contractons. Il reste malgré tout relativement confiant : il est probable que, sous certaines conditions, nous pourrons préserver le tissu de nos PMI-PME.

Désormais entrés dans une phase de dialogue compétitif, nous ne pouvons évidemment plus rencontrer les entreprises, mais nous pouvons continuer à interroger le président de la FACIM, dès lors que l’on ne déroge pas à la règle de la confidentialité.

J’aborderai enfin quelques-unes de nos préoccupations.

Premièrement, les systèmes d’information sont pour nous le défi des cinq ans à venir. Nous devons passer d’une multiplicité de systèmes d’information d’armées, très hétéroclites, à un seul système, avec un objectif central : l’interfaçage à Chorus et la capacité de piloter les externalisations. Autrement dit, dans cette fonction « habillement », nous devrons être capables, à la fois de piloter la régie, que nous allons conserver en partie, et de piloter des périmètres externalisés. Nous sommes en train d’y réfléchir et nous devons aboutir assez rapidement pour ne pas retarder le marché d’externalisation.

Deuxièmement, la phase de transition est absolument centrale. Nous savons tout d’abord que nous mettrons un certain temps à traiter les cas individuels de tous les personnels pendant la phase de transition. Ensuite, en nous appuyant sur les expériences extérieures, étrangères ou françaises, nous avons compris que vendre nos stocks à la société externalisée la mettrait dans une situation économique très délicate, dans la mesure où elle devrait les résorber, alors qu’ils ne correspondent pas forcément à ses propres critères. Voilà pourquoi nous conserverons nos stocks pendant la phase de transition. L’économie dégagée sur ces stocks nous permettra de faire face aux 100 à 150 millions d’euros engagés au titre de la masse salariale pendant la phase de transition.

Les organisations syndicales sont étroitement associées à notre opération. Le cabinet, le secrétaire général pour l’administration et l’EMA rencontrent régulièrement les représentants syndicaux après avoir utilisé le retour d’expérience de l’expérimentation RHL.

Ce projet a commencé à être étudié à l’été 2008 par l’EMA, aidé par une société de conseil. Début février dernier, M. Alain Juppé a pris la décision de lancer la réflexion relative à l’externalisation, en demandant au marché, au travers d’un dialogue compétitif, ce qu’il peut nous proposer. Le cabinet a demandé au SCA de réfléchir en même temps à ce que serait une « régie optimisée », qui irait au-delà de la régie rationalisée dont je vous ai parlé, qui pourrait dégager d’autres gains en ETP et en stocks. Nous allons donc mener les deux projets en parallèle, de manière à proposer au ministre un véritable choix entre régie optimisée et externalisation.

L’avis d’appel à la concurrence a été lancé mi-février. Huit entreprises sont aujourd’hui intéressées ; nous allons probablement en garder six.

Le programme dit « fonctionnel », c’est-à-dire le détail du cahier des charges, est prêt et devrait être proposé mi-mai aux entreprises, qui y travailleront de mai à septembre. En septembre, nous engagerons le dialogue compétitif qui devrait aboutir à une décision ministérielle au mois d’avril 2012. Bien entendu, nous aurons été, en même temps, en mesure de proposer ce que pourrait être une régie optimisée.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous êtes-vous inspirés d’exemples étrangers pour mener à bien l’externalisation de la fonction habillement ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Les grands choix ont été opérés initialement par l’EMA, en lien avec cette société de conseil. Parce que nous n’existions pas ou que nous étions très jeunes, nous n’avons été que peu associés à la phase comparative. Cela dit, nous savons que l’on s’est intéressé de très près au Canada, où s’est d’ailleurs rendu le commissaire-colonel Bernard Chassac.

Les équipes se sont également intéressées à l’Allemagne, qui fonctionne d’une manière assez proche de la nôtre ; et à de grands acteurs français comme la Police nationale, la Gendarmerie nationale et La Poste.

Le retour de toutes leurs expériences nous a permis, par exemple, de dire qu’il fallait éviter la dégradation de la qualité des effets, comme cela a été constaté en Allemagne, pour les tenues de sport, le problème pouvant tenir à un certain éloignement entre celui qui exprime un besoin, à partir du terrain, et celui qui répond.

Ces retours d’expérience nous ont par ailleurs fait prendre conscience de l’importance de bien conduire la période transitoire, au cours de laquelle les processus vont être profondément modifiés.

Enfin, la problématique des stocks nous est clairement apparue. Il semble qu’elle ait beaucoup entravé le déroulement du projet de la Police nationale – en l’occurrence, il s’agissait de la propriété des stocks.

M. le commissaire-colonel Bernard Chassac. Par rapport à notre dispositif, l’exemple canadien présente la particularité d’être relativement circonscrit, puisque seuls la partie identitaire – les tenues de sortie – et les effets de sport ont été externalisés. L’armée canadienne a été relativement prudente. Cette externalisation, qui date d’une dizaine d’années, a été conduite pas à pas et est maintenant tout à fait aboutie, comme nous avons pu le constater. Mais elle demeure limitée dans la mesure où a été maintenue en parallèle une chaîne complètement militarisée pour la totalité des acquisitions et de la distribution des effets purement militaires ; ainsi, les effets de combat continuent à être opérés directement par l’administration militaire canadienne.

Notre projet est très large et très profond en termes de gammes de produits et de processus externalisés. Il ressemble en cela à l’exemple allemand. Mais la comparaison mérite d’être relativisée : en effet, les Allemands ont créé l’équivalent d’une société d’économie mixte, l’État disposant d’une minorité de blocage chez l’opérateur constitué pour mettre en œuvre l’externalisation.

Enfin, on observe au Canada, entre l’administration et l’opérateur, une très grande interpénétration qui ne serait sans doute pas possible dans notre dispositif réglementaire. En effet, les Canadiens recourent au Small Business Act, qui permet de préserver le tissu économique national et qui donne à l’administration la possibilité d’avoir un regard complet sur les comptes de résultat de l’opérateur

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Fabriquer en régie un certain nombre des moyens susceptibles d’être mobilisés sur le théâtre des opérations garantit qu’une attention particulière sera portée aux besoins des soldats. Ne redoutez-vous pas que l’introduction d’une logique privée ne pose des problèmes concrets sur les théâtres d’opération ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. La question centrale est en effet de satisfaire très vite et très bien l’expression du besoin des armées. En Afghanistan, il a fallu faire des efforts considérables dans un laps de temps très court.

Pour autant, nous sommes confiants : nous sommes un organisme interarmées. Nous opérons au service de l’EMA, dans une approche centralement militaire. Notre travail consistera à recueillir en permanence les besoins des armées en partant du terrain et, grâce aux éléments précis fournis par les états-majors d’armées, à les traduire en notices techniques compréhensibles par un entrepreneur privé.

Aujourd’hui, quand le chef d’état-major de l’armée de terre, le CEMAT, me demande de modifier tel ou tel élément de la tenue de combat, je dois d’abord définir cette notice technique, ensuite passer un marché public, enfin injecter les nouveaux effets après avoir consommé mes stocks de sécurité. Il peut ainsi s’écouler pas mal de temps entre le moment où le besoin est exprimé sur le terrain et la réalisation physique de ce besoin. Dans la mesure où les taux de couverture des stocks du marché ne seront pas aussi importants que les nôtres, nous espérons pouvoir réduire ce délai et nous allons y veiller de très près dans le cadre du dialogue compétitif.

Nous gardons des taux de couverture significatifs sur les matériels dits critiques, et nous assumons le risque. Pour les autres besoins, nous acceptons un partage des risques et des taux de couverture de stocks plus faibles, ce qui devrait se traduire par des délais de réaction moindres.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pourriez-vous nous parler du cas afghan ?

M. le commissaire-général Alain Ribes, sous-directeur soutien. Je précise que nous gardons la maîtrise de la recherche et du développement. Nous travaillons actuellement sur la propriété des données de nos fiches techniques, de manière que l’entrepreneur qui prendra le marché ne puisse pas avoir un droit de regard ou un copyright.

Mais venons-en au cas afghan. Nous travaillons sur des « retex », des retours d’expérience, rapides avec les unités qui rentrent d’Afghanistan, conformément à ce qui a été lancé en 2008 avec l’état-major de l’armée de terre, pour faire évoluer l’ensemble de ses produits. Un des premiers blocages que nous avons rencontrés quand nous avons commencé à moderniser le paquetage a été la contrainte du code des marchés publics : nous ne pouvions pas passer en urgence en nous basant sur son article 35, nous n’étions pas dans le décret défense, nous étions donc tenus de suivre une procédure normale.

Selon moi, l’externalisation donnera de la souplesse au dispositif : l’entreprise ou le groupe pourra aller plus vite que nous. Mais nous leur donnerons nos exigences en termes techniques et en termes de stocks à réaliser. Par ailleurs, nous informerons de façon ouverte les PME de l’évolution technique des produits, ce qui leur permettra de se mettre si nécessaire en position de sous-traitance et de faire valoir les produits qu’elles réalisent.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. S’agissant de la propriété des données, dans le système d’information auquel nous réfléchissons actuellement, le référentiel est absolument central car la réversibilité semble très peu probable : il serait très compliqué, au terme du marché, de reprendre en régie la fonction habillement...

Pour éviter l’effet de position dominante, la transférabilité est essentielle. Elle est très compliquée dans un système très intégré mais, si nous restons propriétaires de notre base de données et l’opérons seuls, la fonction devrait être assez facilement transférable.

Voilà pourquoi nous parlons beaucoup de référentiels et de bases de données référentielles : nous cherchons à garantir notre liberté d’action au bout de cette première tentative de marché – si nous nous lançons…

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quand vous parlez de réversibilité, visez-vous la fonction de fabrication, ou de stockage et de gestion des effets ?

Par ailleurs, dans une armée de conscription, on fournit aux hommes un paquetage qu’ils doivent rendre à l’issue de leur service militaire. Quelles sont les règles dans une armée professionnelle ? Qui fournit quoi ? L’officier, le sous-officier, l’homme du rang reçoit-il son paquetage, doit-il s’acheter sa tenue de sortie ou faire l’écussonnage en fonction de son grade et éventuellement de son armée ? Qui gère les stocks et qui assure le nettoyage ? Qui maintient en état et remplace les tenues de combat ? Que ferait l’entreprise, ou la fonction externalisée, par rapport à ce qui se pratique jusqu’à présent ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Si nous franchissons le cap de l’externalisation, nous n’aurons plus du tout de fabrication. Le peu qui est encore fabriqué dans la Marine disparaîtrait en 2015-2017 ; tout serait donc confié au marché. Les maîtres ouvriers restants, dont le statut serait « revisité », pourraient être intégrés en 2017 dans le dispositif d’externalisation, pour entretenir les effets.

En revanche, nous allons conserver la gestion, entendue au sens le plus général du terme : une gestion extrêmement détaillée pour les éléments en régie, dont on connaîtra à peu près tout, y compris leur traçabilité ; une gestion beaucoup plus distanciée pour les effets qui auront été externalisés, dont on ne cherchera pas obligatoirement à tracer le stock. Nous sommes en train de déterminer ce que seront le dispositif et les processus de gestion de notre stock.

Lorsque je parlais de réversibilité, je visais effectivement le stockage. Nous possédons deux grands établissements qui stockent et gèrent l’habillement : l’un à Portes-lès-Valence, l’autre à Châtres. Si nous externalisons, nous ne garderons plus que 30 % du dispositif, lequel suppose des stockages assez volumineux. L’externalisation nous conduira nécessairement à revoir le schéma directeur de nos établissements avec en incidence le problème de la réversibilité.

Par ailleurs, le nettoyage et l’entretien des effets ne relèvent pas de la responsabilité du service, mais de celle des bases de défense. Il appartient aux « Com BDD », les commandants des bases de défense, de vérifier que les effets de leurs personnels ou de ceux qu’ils soutiennent sont en bon état.

Enfin, nous appliquons aux effets d’habillement le principe de la gratuité, avec quelques exceptions relatives, notamment, à la tenue de sortie des officiers.

M. le commissaire-colonel Bernard Chassac. Le dispositif actuel est le suivant : pour la troupe, l’habillement est systématiquement gratuit, comme son entretien. L’évolution majeure qui est en cours – un projet de décret est en interministériel – vise à la gratuité de l’équipement en effets d’habillement pour la totalité du personnel militaire, quels que soient son grade et son appartenance, selon des règles qui seront communes. C’est le pendant de l’obligation du port de l’uniforme, qui est inscrite dans le statut militaire : du fait de cette obligation, l’État prend à sa charge la réalisation, l’acquisition, la fourniture et le nettoyage lorsqu’il dépasse les standards techniques ménagers. Tel est le paysage réglementaire dans lequel s’inscrit la réforme, donc la possible externalisation de cette fonction.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quelques articles de presse ont rendu compte, notamment lors des opérations en Afghanistan, de l’achat par les soldats de matériels dont ils avaient besoin, dans des conditions qui ont fait grand bruit. Pouvez-vous faire le lien avec le sujet dont nous traitons aujourd’hui ?

M. le commissaire-général Alain Ribes. J’étais alors au bureau soutien en charge de l’habillement à l’EMAT – état-major de l’armée de terre. Dès 2007, les premiers retex sur les OMLT – Operational Mentoring Liaison Team – avaient souligné nécessité de moderniser rapidement le paquetage et de le monter au standard des armées de l’OTAN.

Notre premier effort a porté sur la balistique – protection et individu. Au début de l’année 2007, le CEMAT a demandé d’élaborer une nouvelle politique d’habillement et de moderniser l’ensemble des équipements du combattant – on ne parlait plus d’habillement, mais d’équipement.

En 2008, environ 9 millions d’euros ont été consacrés à la réalisation de nouveaux équipements – gilets pare-balles, protection balistique, protection des oreilles, protection des yeux, nouveaux treillis. Nous avons réalisé un treillis en neuf mois, avec la difficulté que j’évoquais : nous avons failli essuyer un rejet du TPG ; dans la mesure où nous avions voulu utiliser l’article 35-2 du code des marchés pour aller plus vite. En 2009, nous avons consacré 11 millions d’euros à ces nouveaux équipements, et 6,5 millions en 2010.

Cette modernisation s’étendra au théâtre libanais. Par ailleurs, la politique d’habillement de l’armée de terre prend en compte la montée en gamme de tous ces équipements à l’ensemble de l’armée de terre, avec une priorité pour les théâtres d’opérations extérieures – puisqu’il faut consommer les stocks actuels d’effets ou articles plus anciens.

Le problème a été abordé par le biais des retex. Des procédures ont été mises progressivement en place. Des unités de retour d’opérations ont été invitées au laboratoire de Rambouillet pour faire valoir les besoins nouveaux en matière d’équipements, de protection.

Depuis 2009, nous n’avons pas eu de remontées sur le problème que vous avez évoqué.

Mais je voudrais revenir sur les dotations en habillement. Celles-ci sont définies par les armées, qui en ont conservé la maîtrise.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le treillis Félin est-il concerné par ce type de procédure ?

M. le commissaire-général Alain Ribes. Dans le cadre du programme d’armement Félin, aussi bien les tenues de combat que tous les éléments optroniques ou les armements ont été réalisés par la DGA.

L’armée de terre a anticipé la réalisation des effets du paquetage Félin au titre du renouvellement, financé sur le programme 178.

La réalisation de ces effets a bien sûr pris en compte les retex du théâtre afghan. Ces effets sont en partie réalisés : treillis de combat, chaussures,… Ce treillis de très bonne qualité n’a pas fait l’objet de critiques.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Avec ma collègue Françoise Olivier-Coupeau, nous avons conduit une mission sur les recettes exceptionnelles de la Défense, parmi lesquelles figurait la cession des fréquences hertziennes de Félin. Cela impliquait-il de changer les matériels radio prévus à l’origine ?

M. le commissaire-général Alain Ribes. Cela ne fait pas partie de mes attributions : dans ce domaine, je ne m’occupe que de l’équipement du combattant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Jusqu’à présent, tous les effets sont stockés dans les différents entrepôts. Si l’on externalise la fonction « fourniture d’effets », qu’avez-vous prévu en cas de mobilisation ?

M. le commissaire-général Alain Ribes. Dans les exigences du programme fonctionnel, figure l’obligation, pour les entreprises, d’entretenir un stock-outil, précisément pour répondre aux besoins de réactivité qu’impose un engagement opérationnel. Mais ce stock-outil ne sera pas dimensionné comme il l’est actuellement.

Nous sommes en train d’apurer les stocks des effets ou articles obsolètes, en fixant avec les armées des horizons logistiques qui nous permettent de faire évoluer rapidement les matériels. En effet, un équipement évolue tous les cinq ans. Nous allons donc devoir déterminer des cibles d’équipement qui soient assez bien dimensionnées pour éviter les sur-stocks comme les sous-stocks.

Il faudra définir, dans le programme fonctionnel, à la fois les exigences d’entretien d’un stock-outil, et les exigences de réactivité dans la distribution pour tenir différentes alertes opérationnelles. Ce programme fonctionnel est établi en liaison avec les états-majors d’armées et sera traité en dialogue compétitif.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Nous sommes là au cœur de ce que l’EMA qualifie de « préparation opérationnelle différenciée ». Nous devons nous mettre en mesure de remonter en puissance en faisant appel au marché, dans le cadre du préavis qui sera fixé parle caractère de l’engagement opérationnel.

De la même manière, nous aurons à déterminer les conditions de quantité, de qualité et de délai. Mais nous n’envisageons pas de stocker de réserves dites de « mobilisation » et il n’y aura plus de convocations verticales. Pour le quotidien, la plupart des réservistes que nous employons sont équipés ; ils gardent le paquetage chez eux, et quand ils viennent renforcer un dispositif de personnel d’active, ils ne nous posent aucun problème d’équipement.

M. le commissaire-général Alain Ribes. Le problème est de maintenir un stock suffisant pour pouvoir, dans les six mois de préavis, remonter au niveau des cibles capacitaires fixées dans le contrat pour monter en puissance.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. On voit bien qu’une grande partie de l’économie engendrée par l’externalisation résulte de votre capacité à maîtriser financièrement le dispositif des marchés que vous aurez vous-mêmes passés. Dans ces conditions, le volume et les conditions de gestion du stock auront leur importance. Or nous sommes appelés à intervenir dans des délais très courts sur des théâtres d’opérations multiples, sur lesquels nous n’avions pas nécessairement prévu de nous rendre. Est-ce que la volonté d’une bonne maîtrise économique du marché d’externalisation n’est pas de nature à poser des problèmes opérationnels ? Par ailleurs comment choisissez-vous l’industriel et comment définissez-vous le niveau de stock qui permettra d’éviter ces problèmes opérationnels ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Nous n’accepterons aucun risque opérationnel sur les effets très critiques, comme les gilets pare-balles ou les combinaisons des pilotes de chasse. Nous les conservons en régie et nous maintiendrons quasiment le taux de couverture actuel. Sur les effets critiques, nous baisserons le taux de couverture, qui restera néanmoins substantiel – par exemple dix-huit mois. Nous imposerons ce taux de couverture au marché, de manière à pouvoir faire face à une remontée en puissance.

Nous ne prendrons de risques que sur les effets dits « absolument non critiques » – par exemple, la tenue que je porte aujourd’hui devant vous, et dont le renouvellement peut être retardé d’un ou deux mois sans mettre en danger le contrat opérationnel. En revanche, tout ce qui touche au contrat opérationnel fera l’objet de taux de couverture de stocks tout à fait spécifiques.

Ce sera un des éléments centraux de la conversation que nous aurons avec le marché au cours du dialogue compétitif. Les entreprises devront nous démontrer qu’elles peuvent dégager des gains, autrement dit faire des économies en gérant des taux de stocks relativement élevés. Des bases logistiques polyvalentes, qui ne seraient pas spécifiquement dédiées aux armées permettraient sans doute d’atteindre des effets de masse et à des fournisseurs d’atteindre des plateaux qui sont aujourd’hui inaccessibles pour le ministère.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il y a dix-huit mois, au Tchad, nous avons été surpris de constater que l’armée de l’air avait des treillis été, mais pas l’armée de terre. A-t-on réfléchi à la polyvalence de certaines tenues ? Il suffirait de changer l’écussonnage, à partir d’un même module. Cela pourrait avoir des conséquences sur la gestion des stocks.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Oui pour le présent, et encore plus pour l’avenir.

L’armée de l’air va rallier l’armée de terre pour ce qui concerne les treillis.

Par la suite, nous envisageons de « mettre de l’ordre » et d’allers vers l’harmonisation et l’uniformisation, par le truchement de notre plate-forme de référentiels. Jusqu’à présent, les trois armées achetaient pour elles-mêmes, possédaient leur propre service acheteur et leur propre service de nomenclature. De ce fait, les chaussures basses noires cadres, que je porte en ce moment, sont référencées, achetées et nomenclaturées par chacune des trois armées. Demain, il n’y aura plus qu’un seul numéro de référence géré par le SCA et un seul marché. Cette uniformisation minimale se fera de manière quasi mécanique. Ensuite, il faudra sans doute modifier certains éléments de tradition ou d’usage. Au fil des années, on arrivera probablement à uniformiser progressivement les tenues. Mais je parle bien sûr de ce qui est « uniformisable ».

M. le commissaire-général Alain Ribes. Ce travail a déjà été engagé. Une commission interarmées de la tenue est précisément chargée de regrouper toutes les fiches techniques, pour arriver à des réalisations uniques sur des effets communs. Cette année, le service a passé pour la première fois des marchés groupés pour l’ensemble des trois armées : treillis, chaussures, sacs de portage. Mais on prend soin de retenir le produit qui est le plus performant.

Vous avez parlé du Tchad. Il s’est en effet trouvé que l’armée de terre avait décidé, dès 2008, de ne pas équiper ses soldats de treillis sable, pour consacrer davantage de ressources à la modernisation de l’équipement du combattant. Les stocks n’étaient pas suffisants pour équiper tout le monde.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Comment pouvez-vous affirmer que les externalisations coûteront moins cher que la régie ? Quel est votre tableau de bord ? L’objectif que vous vous êtes assigné est-il absolument sûr, ou imaginez-vous qu’il puisse souffrir d’aléas ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. C’est bien délicat. Aujourd’hui, la responsabilité des chiffrages incombe principalement à la mission PPP – partenariat public/privé – dirigée par l’ingénieur général Genoux, à l’EMA et au SGA. Ce sont eux qui pilotent l’ensemble des éléments économiques et financiers de ces dossiers, et qui comparent les différentes solutions. Nous les prenons pour bonnes. Nous annonçons un gain de 70 millions d’euros grâce à l’externalisation sans avoir participé à ce calcul.

Nous prenons ces chiffres pour bons. Bien entendu, les aléas sont nombreux. Ainsi, les éléments qui sont aujourd’hui à la disposition du ministère et qui permettent d’évaluer le coût en régie sont un peu hétéroclites.

Je pense par ailleurs, même si cela relève encore de l’acte de foi, que nous nous appuierons délibérément sur Chorus. J’ai l’intime conviction que cet outil est très loin d’être arrivé à maturité et que, sous réserve d’un travail complémentaire, il nous fournira un axe comptable qui nous donnera de la visibilité. Certes, nous n’avons pas encore cet outil à notre disposition. Mais je pense qu’il permettra d’améliorer notre comptabilité analytique.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Je comprends très bien que les hypothèses à partir desquelles on vous a demandé de travailler n’ont pas été élaborées par vous. En revanche, je déduis du propos que vous avez tenu en introduction et de ce que vous venez de nous dire que le mode d’analyse comptable des résultats obtenus est aujourd’hui entre vos mains, à travers Chorus.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Il « sera » entre nos mains.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Pour mesurer les économies engendrées par les externalisations, il faudra, avec cet outil comptable ou tout autre tableau de bord, comparer le coût en régie avec le coût de l’externalisation. Mais comment établir une telle comparaison, avec des périmètres différents et des outils de comptabilité analytique qui le sont aussi ?

M. le commissaire-colonel Bernard Chassac. Comme le soulignait le général Coffin, nous attendons avec impatience ce que pourra nous apporter Chorus au titre de la comptabilité analytique. Mais d’ores et déjà, l’ingénieur général Genoux a été chargé, dans l’attente d’un outil standardisé, de procéder à une évaluation économique, qui se déroulera en deux phases.

Dans la première, l’estimation se fait de façon exploratoire, sur des hypothèses de réponse du marché. L’équipe de l’ingénieur Genoux a estimé, au plus proche possible de la réalité, ce que coûte aujourd’hui la fonction opérée en régie ; ses données sont tout à fait disponibles et nous savons précisément comment elles ont été élaborées. À partir de cette évaluation du coût d’un fonctionnement en régie, l’équipe a fait une projection de ce que serait le coût d’un fonctionnement externalisé auprès d’un opérateur. Cette projection est en effet aléatoire, puisqu’elle anticipe la réaction du marché, sans connaître précisément la structure de coûts que celui-ci retiendra.

C’est tout l’intérêt de la deuxième phase de l’étude qui consistera, après le dialogue compétitif et à partir des offres réelles faites par le marché et donc par le groupement qui serait susceptible de réaliser la prestation, à remplacer toutes ces hypothèses de départ par les chiffres de l’externalisation opérée par un opérateur économique réel. On passera de la théorie au monde du réel. À ce stade, on conservera bien évidemment la même méthodologie, les mêmes outils, les mêmes références, de façon à pouvoir travailler sur des grandeurs comparables.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. C’est très convaincant.

J’ai écouté avec beaucoup d’attention ce que vous avez dit sur la transférabilité et la réversibilité. Si nous constations que les résultats de l’opération engagée ne sont pas à la hauteur de ce que l’on escomptait, l’absence de réversibilité ne nous ferait-elle pas courir un risque ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Oui, mais c’est un risque mesuré, qui me semble maîtrisable. Il faudrait que l’état de la fonction externalisée s’avère alarmant. Or, aujourd’hui, les expériences que nous avons pu analyser, car nous ne sommes pas les premiers à explorer le domaine, sont plutôt rassurantes. Si tel était le cas, le ministère aurait les moyens de remettre en place un organisme stockeur pour la partie en régie. Et de toute façon, si l’on décidait de franchir le pas et d’aller vers l’externalisation, le contrat que nous passerions porterait sur une période assez longue : six ou huit ans. Nous aurions probablement le temps de nous « réarmer » pour stocker les effets que nous ne voudrions plus externaliser.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Avez-vous des premiers éléments sur le retour d’expériences d’externalisation de la fonction automobile, qui a été une opération très importante au ministère de la Défense ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Très honnêtement, je ne la connais qu’en tant qu’employeur et lors de conversations de mess. Sauf erreur de ma part, ce marché a été piloté par la direction des Affaires financières et par M. Olivier Prats, responsable du SPAC, le service parisien de soutien de l’administration centrale.

M. le commissaire-général Alain Ribes. Vous avez évoqué le problème posé par la non-réversibilité. Si fragilité il y avait, elle se traduirait par le fait que les confectionneurs ne seraient plus capables de fournir des effets conformes à nos exigences techniques. Nous n’avons pas à craindre un arrêt des fonctions de stockage et de distribution, ni du système d’information Voilà pourquoi il est important de préserver, à l’occasion de ce contrat, le tissu des 20 ou 25 PME qui maîtrisent un savoir-faire qu’il faut conserver.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. La mission Genoux nous fournira un état zéro de l’externalisation, au sens de la comptabilité – ce qui n’a pas toujours été le cas. Tout le travail du SCA sera de mettre en place les instruments de pilotage et de contrôle de gestion, pour être en mesure d’analyser les deltas. L’équipe de Bernard Chessac, qui est responsable de ce projet, connaît parfaitement le temps zéro.

Il nous faudra, en permanence, entre ce temps connu de la mission Partenariats public-privés et ce que nous ferons, analyser les écarts. Nous sommes bien là au cœur du contrôle de gestion. Nous espérons, bien sûr, disposer des bons outils. Mais nous avons deux ans devant nous.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. S’agissant du nombre de personnels, le périmètre que vous avez défini est bien central et ne concerne pas les BDD ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Non. Il ne concerne pas uniquement le service. Nous vous avons dressé le panorama de la fonction habillement : SCA, plus BDD.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il est clair que le Canada et l’Allemagne ont une base juridique qui leur permet de protéger leur industrie nationale, d’une manière ou d’une autre : les Canadiens avec un acte législatif de nature « protectionniste », les Allemands en constituant une société de droit privé qui achète à qui elle veut, comme elle veut, en dehors des marchés publics. Ce n’est pas votre cas. Par ailleurs, le secteur de la confection est relativement sinistré, du moins en France. Comment allez-vous procéder pour essayer de maintenir malgré tout une activité ? Allez-vous fractionner les marchés ?

Par ailleurs, il semble que plus on travaille sur une échelle large, plus il est facile de gérer les stocks. L’uniformisation d’un certain nombre d’effets au sein des armées constitue une première piste. Une autre piste serait de créer des modèles voisins ou quasiment identiques entre différentes armées. On peut supposer en effet que le treillis d’un combattant allemand n’a pas de raison radicale d’être différent de celui d’un combattant français, à partir du moment où ces soldats peuvent être engagés dans les mêmes opérations. Enfin, la mutualisation gagne du terrain. Vous êtes-vous engagés dans une réflexion de cette nature ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Aujourd’hui, nous essayons désespérément de rapprocher les trois armées françaises ! Et je pense très honnêtement que même le plus jeune d’entre nous ne connaîtra pas le treillis commun avec les Espagnols, les Britanniques et les Allemands. La raison est d’ordre culturel : il faut être à la fois comme les autres et différent des autres. Ce n’est absolument pas neutre. Une tenue militaire n’est pas un bleu de travail. On peut parler d’une véritable identification du soldat à sa tenue de combat, au point que le CEMAT la considère comme un des éléments du moral du combattant. Nous ne sommes vraiment pas prêts pour ce genre de révolution, même si on peut le regretter, économiquement parlant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les industriels de la mode savent très bien faire un produit unique qui vaut pour le marché mondial et, en fonction des réactions, le produire avec une spécificité telle qu’il devient celui du marché national.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Un jour peut-être… Si cela devait arriver, il faudrait que le projet soit piloté par l’OTAN ou par une organisation militaire supranationale. En effet, il n’y a aucune raison qu’un pays prenne le leadership sur un autre, à moins que les effets de mode fassent que tout le monde veuille se rallier à un modèle particulier de treillis.

M. le commissaire-général Alain Ribes. S’agissant du treillis, on pourrait envisager une même coupe, mais pas un même bariolage. Le choix du bariolage influe sur le prix : plus un tissu a de couleurs, plus il coûte cher. Mais surtout, c’est un élément de sécurité : car le bariolage concourt à l’identité du soldat sur le terrain. C’est un aspect à prendre en compte.

Il serait possible de mutualiser les effets de type balistique (gilets pare-balles, masques balistiques…) ou les chaussures. Il serait difficile, mais possible, de passer des marchés au niveau de l’OTAN, via la NAMSA, l’Agence OTAN d’entretien et d’approvisionnement. Cette dernière est une centrale d’achats qui permet aux armées d’acheter des produits identiques. Mais ce ne serait pas possible pour un treillis, en raison de l’aspect identitaire, malgré une coupe qui s’approche du standard OTAN.

M. le commisssaire-général Jean-Marc Coffin. On doit pouvoir assez facilement se rapprocher sur des effets non identifiables comme des genouillères, des coudières ou des gilets pare-balles. Mais il sera compliqué d’aller au-delà.

Enfin, pour protéger le tissu de nos PMI-PME, nous n’avons pas à notre disposition l’arsenal réglementaire et législatif des Allemands ou des Canadiens. Malgré tout, nous pouvons mettre en avant la continuité du service ; aujourd’hui, ceux qui savent ont un avantage considérable sur ceux qui ne savent pas. Nous pouvons également jouer sur la sécurité des approvisionnements, afin d’écarter du marché un certain nombre d’entreprises trop éloignées des problématiques nationales, ou sur la qualité des produits en positionnant nos exigences à des niveaux très élevés, afin de fermer la porte à certaines autres. Par ailleurs, dans le dialogue compétitif, le SCA devra s’assurer, auprès des opérateurs en compétition, d’avoir une visibilité sur la sous-traitance française. Ce sera pour nous un élément déterminant de la proposition de l’un des six groupements retenus. Cette directive est claire, puisqu’elle vient du ministre. Nous y serons extrêmement sensibles.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous remercie.