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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Soutenabilité de l’évolution de la masse salariale de la fonction publique

Mardi 10 mai 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 19

Présidence de M. David Habib, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Chriqui, directeur du Centre d’analyse stratégique, sur la soutenabilité de l’évolution de la masse salariale de la fonction publique

M. David Habib, Président. Monsieur le directeur, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Nos travaux sont animés par trois rapporteurs, M. Charles de La Verpillière, M. Marc Francina et M. Bernard Derosier, qui représentent des commissions et des sensibilités politiques différentes ; leur objectif est de dégager des éléments de consensus afin de donner un éclairage parlementaire à une question présente dans le débat public depuis 2007. Un représentant de la Cour des comptes, M. Pierre Jaillard, assistera également à cette audition.

M. Vincent Chriqui, directeur du Centre d’analyse stratégique. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, je suis heureux de pouvoir vous apporter quelques informations, sur la base notamment du Tableau de bord de l’emploi public réalisé en liaison avec la direction générale de l’Administration et de la fonction publique – DGAFP. Je suis pour cela accompagné de M. Olivier Passet, chef du département des Affaires économiques et financières.

Le champ d’activité du Centre d’analyse stratégique est vaste : il touche à la fois à l’économie, au développement durable, à l’emploi et aux questions sociales. Nous étudions les sujets un par un, en cherchant à donner un éclairage ponctuel et original, qui diffère de la vision en continu qu’ont la direction du Budget ou la DGAFP. En l’espèce, nous avons adopté une approche plus économique et agrégée que celle de la DGAFP, centrée sur les aspects juridiques et statutaires. Il ne s’agissait pas d’un travail prospectif ; mais l’étude des dix à vingt dernières années et des transformations récentes pourraient permettre d’éclairer utilement l’avenir.

Nous avons en outre adopté une démarche comparatiste, afin d’évaluer la situation de la France, en termes de niveau d’administration, par rapport à d’autres pays. Ces deux approches – vision économique agrégée, comparaison internationale – sont d’ailleurs complémentaires, dans la mesure où certaines catégories françaises – comme « titulaires » et « vacataires » – n’existent pas ailleurs ; il faut donc se référer à des concepts économiques, comme les « emplois financés par l’impôt », ou les emplois de l’État distingués des emplois des collectivités territoriales.

M. Marc Francina, Rapporteur. Confirmez-vous que les effectifs des fonctionnaires de catégorie A ont diminué dans une moindre mesure que ceux des fonctionnaires de catégorie C ?

Certains ministères, comme la Justice, l’Enseignement supérieur, la Sécurité ou les ministères sociaux, ont été relativement épargnés par la révision générale des politiques publiques – la RGPP –, contrairement à d’autres, comme la Défense, l’Équipement ou l’Écologie. Qu’en est-il au ministère de l’Éducation nationale, actuellement sous les feux de l’actualité ?

En matière de fiscalité des entreprises, la Suisse est en avance sur tous les autres pays : là-bas, ce sont les cantons qui fixent les taux d’imposition. Pourquoi ne pas avoir établi de comparaison avec elle ?

M. Vincent Chriqui. Effectivement, les ministères, même s’ils sont soumis à la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, conservent une certaine marge de manœuvre, qu’ils utilisent pour recruter de préférence des fonctionnaires plus qualifiés, notamment des fonctionnaires de catégorie A, afin de mieux s’adapter aux efforts qui leur sont demandés.

Si l’on ne prend pas en considération la promotion interne, le taux de remplacement des agents titulaires civils de l’État est, pour la période 2003-2007, de 0,85 pour la catégorie A, de 0,81 pour la catégorie B et de 0,71 pour la catégorie C. Dans la Note de synthèse n° 214 de février 2011, qui vous a été transmise, il est précisé que « la décroissance des recrutements est particulièrement forte pour la catégorie C, où le non-remplacement des départs à la retraite est plus de deux fois supérieur à celui des agents de catégorie A, et pratiquement trois fois supérieur à celui des agents de catégorie B ».

Toutefois, dans les prochaines années, les départs concerneront davantage la catégorie A. Le mouvement actuel de déformation de la structuration des qualifications à la faveur des remplacements est par conséquent appelé à se ralentir.

S’agissant de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite, il existe de grandes différences dans son application, qui correspondent aux priorités fixées durant la législature. Au ministère de la Justice, le taux de remplacement est supérieur à 1 ; en revanche, à la Défense et à l’Équipement, il est inférieur à la norme de 0,5 ; il est proche de l’unité pour l’Enseignement supérieur et la recherche, et de 60 à 70 % pour l’Enseignement scolaire. Nous n’avons pas eu la possibilité d’opérer la distinction entre les personnels pédagogiques et les personnels administratifs, mais tout laisse à penser que le taux de remplacement est supérieur pour les premiers.

Quant à la comparaison avec la Suisse, je déplore, comme vous, ce manque.

M. Charles de La Verpillière, Rapporteur. Vous donnez du taux supérieur de remplacement des fonctionnaires de catégorie A une explication vertueuse : l’administration chercherait à se renforcer en matière grise. N’y aurait-il pas, aussi, la tentation de « l’armée mexicaine », avec une pyramide qui se « cylindrerait » sous l’effet de la création d’emplois offrant des débouchés aux personnels de catégories inférieures ? Un bon indicateur serait de savoir comment a évolué, ces dernières années, le nombre des emplois de direction.

M. Vincent Chriqui. Comme le montre le tableau n° 4, page 8, de la Note de synthèse n° 214, même si l’on ne tient pas compte des promotions internes, les taux de remplacement sont très variables suivant les catégories statutaires. Quant à savoir si cela a permis d’accélérer certaines carrières, il faudrait poser la question soit à la DGAFP, soit à la direction du Budget.

On constate tout de même que le nombre des directeurs d’administrations centrales a été considérablement réduit. La situation peut varier d’un ministère à l’autre, et l’étagement des responsabilités peut être plus important qu’auparavant, mais, globalement, le nombre des emplois de direction a diminué au cours des dernières années.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Le Centre d’analyse stratégique est chargé de définir des objectifs pour le compte du Premier ministre. L’avez-vous fait s’agissant de services publics de l’État, voire des collectivités territoriales ?

M. Vincent Chriqui. Nous n’avons pas réalisé récemment d’étude portant précisément sur ce sujet, même si on trouve des éléments de comparaison internationale dans le Tableau de bord. On peut en conclure que la France a un niveau d’emploi public légèrement supérieur à la moyenne, mais qu’elle recourt moins à la sous-traitance que d’autres pays développés : cela relève d’un choix de mode d’organisation de l’administration. Par ailleurs, il y a plus d’emplois administratifs ou de support dans des fonctions comme l’éducation ou la santé. Cela étant, constater que l’on est différent n’implique pas qu’il faille se rapprocher de la moyenne !

Un exercice stratégique sur le service public, quoique possible, sortirait de notre champ d’activité habituel, dans la mesure où le Centre d’analyse stratégique ne dispose pas de moyens d’études approfondis dans ce domaine.

M. Marc Francina, Rapporteur. Vous consacrez une partie de votre étude aux opérateurs. Il y a quelques années, j’avais rendu un rapport conseillant au ministère de la Défense de limiter le recours à l’externalisation. N’assiste-t-on pas actuellement à une dérive ? L’État se déchargerait-il de certains métiers de la fonction publique sur les opérateurs ? Garde-t-il le contrôle sur eux ? Du point de vue budgétaire, n’est-ce pas un détournement ?

M. Vincent Chriqui. Il s’agit d’une question clé. Il est clair que la réduction assez forte des emplois de l’État est pour partie compensée par des augmentations d’effectifs chez les opérateurs. Toutefois, il faut prendre garde à ne pas confondre les évolutions réelles et les opérations comptables : si, dans certains cas, le ministère a réduit son personnel et l’opérateur a recruté, dans d’autres, on a simplement changé les règles de gestion et la manière de comptabiliser les personnels. C’est ce qui s’est produit pour les universités : aucun personnel n’a été déplacé, mais dès lors que les établissements acquéraient un certain degré d’autonomie, leurs agents étaient comptabilisés au titre des opérateurs, et non plus au titre de l’État.

On ne peut cependant pas parler de « détournement », car tout est assumé et affiché ; par ailleurs, cela ne modifie pas le sens de l’évolution. Globalement, pour la période 2006-2011, sur une diminution globale de 16 % des emplois de l’État, un tiers correspond à l’augmentation de la part des opérateurs, un tiers à des transferts de compétences aux collectivités locales, et un tiers à la réduction nette des effectifs affectés aux missions de service public.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Vos études administration par administration font apparaître des situations de sureffectif et des poches de pénurie. De notre côté, nous avons vécu des expériences difficiles sur le terrain, par exemple en raison de l’incapacité des services de déneigement d’intervenir sur certaines routes. Dispose-t-on de prévisions fiables et réalisables sur l’évolution des effectifs ? Dans le cas contraire, n’est-ce pas un obstacle à la poursuite de la politique actuelle ?

M. Vincent Chriqui. Nous ne faisons pas de prévisions ; cette mission revient à la DGAFP et, surtout, à la direction du Budget – qui travaille sur différentes hypothèses d’évolution des effectifs dans le cadre de la programmation triennale.

Je le répète, le Tableau de bord de l’emploi public n’est pas un document prospectif. Il ouvre des pistes de réflexion, dans la mesure où il constate des excédents et des besoins, mais il manque l’exercice de consolidation qui permettrait de définir un chemin d’évolution de la fonction publique. Un tel exercice suppose des choix politiques, qui ne se déduisent pas d’une simple analyse technique.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Ces éléments permettent-ils néanmoins à l’État de disposer de prévisions fiables – votre rôle étant d’éclairer le Gouvernement et le Premier ministre ?

M. David Habib, Président. Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser les cas de sureffectif ou de sous-effectif que vous avez tout de même identifiés? Au directeur général de la Modernisation de l’État, qui nous disait que la RGPP était formidable et qu’elle avait amélioré la situation des Français, j’avais demandé d’appuyer ses dires par trois exemples. Qu’auriez-vous répondu à sa place ?

M. Vincent Chriqui. Nous ne nous sommes posé la question ni de l’évolution à terme, ni des objectifs possibles en matière de service public.

M. Marc Francina, Rapporteur. Vous ne faites donc pas de propositions ?

M. Vincent Chriqui. Nous en faisons, à partir de l’analyse de la situation à un moment donné, sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur l’apport, pour une meilleure compréhension du sujet, de concepts comme « les effectifs rémunérés sur crédits publics », et sur les instruments de mobilité méritant d’être développés. Il s’agit de propositions purement méthodologiques.

La France dispose d’un outil de prévision budgétaire, qui est piloté par la direction du Budget : la programmation pluriannuelle des finances publiques. C’est dans ce cadre que sont prises les décisions concernant les évolutions à venir – vous pourrez interroger le directeur du Budget sur ce sujet. La limite de cette approche, c’est qu’elle est très agrégée et ne repose pas sur une typologie fine des missions de service public. Mais ce travail-là, nous ne l’avons pas fait.

Je sais peu de chose de la situation dans les différents ministères. Certains se sont réformés profondément, sous l’effet non seulement de la RGPP, mais aussi de mouvements antérieurs. C’est le cas du ministère des Affaires étrangères, à travers l’informatisation, la fonction achat, le recours à la sous-traitance et l’évolution du réseau consulaire. Le ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie a pour sa part inauguré la démarche des contrats pluriannuels de performance avec les grandes directions ministérielles, et la modernisation de la direction des Impôts, assise sur la réforme des outils informatiques, a permis de réduire les effectifs sans que la qualité de service ne se dégrade. Troisième exemple, la décentralisation a eu des effets considérables sur l’exercice des missions du ministère de l’Équipement – même s’il y a constamment des discussions pour savoir où l’on a besoin d’ingénieurs.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Ce n’est pas d’ingénieurs dont on a besoin !

M. David Habib, Président. Je vous invite à venir nous rendre visite dans nos départements, monsieur le directeur !

M. Vincent Chriqui. S’agissant des effectifs, les comparaisons internationales que nous avons faites portent sur des postes très agrégés. Il semblerait qu’en France, comparativement aux autres pays, les missions opérationnelles soient moins bien pourvues en personnel que les fonctions administratives ou de support. Peut-être y a-t-il là une piste d’évolution à creuser ? D’ailleurs, elle est déjà mise en œuvre au ministère de l’Éducation nationale, où l’effort de réduction des effectifs porte davantage sur les personnels administratifs que sur les personnels pédagogiques. Dans le cas de la Santé, les effectifs sont, globalement, plutôt supérieurs à la moyenne, mais ils sont moins nombreux sur des fonctions précises, comme les infirmiers ou les personnels s’occupant des malades en soins aigus. Il reste qu’il s’agit d’éléments de comparaison internationale : on peut considérer que la France n’a pas vocation à s’aligner sur la moyenne européenne dans tous les domaines.

M. Marc Francina, Rapporteur. N’a-t-on pas supprimé plus de postes dans les services déconcentrés que dans les administrations centrales ? Il semblerait qu’à la suite de la réforme du ministère de l’Intérieur, Paris soit de plus en plus la France ; certaines sous-préfectures n’ouvrent même plus le mercredi !

M. Vincent Chriqui. Je ne connais pas assez le cas du ministère de l’Intérieur pour le commenter, mais il est certain qu’on peut l’ajouter à la liste des ministères sur lesquels la RGPP a eu des effets importants.

Toutefois, je ne crois pas que la réduction des effectifs ait été moins forte dans les administrations centrales que dans les services déconcentrés – au contraire.

M. Olivier Passet, chef du département des Affaires économiques et financières du Centre d’analyse stratégique. La RGPP a touché de nombreux guichets, ce qui se ressent très fortement à l’échelon local. Quand on rationalise les procédures en utilisant les possibilités offertes par l’informatisation et l’e-administration, le résultat est particulièrement visible. Toutefois, il ne s’agit pas d’une spécificité française : le passage d’une technologie à l’autre concerne toutes les entreprises et toutes les organisations dans le monde.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Existe-t-il un bilan chiffré des transferts aux opérateurs extérieurs ? En définitive, est-ce que cela représente vraiment une économie ?

M. Vincent Chriqui. Les principaux transferts sont liés à la décentralisation des TOS et du personnel des établissements agricoles, et à l’autonomie financière des universités. Dans ce dernier cas, il n’y a pas eu modification du rattachement : le personnel a cessé d’être comptabilisé dans les effectifs du ministère par suite de l’évolution du cadre législatif. Toutefois, cela recouvre des changements réels dans la manière dont ils sont gérés et dont l’université s’administre.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Je parlais plutôt du transfert de missions à des opérateurs privés.

M. Vincent Chriqui. À ma connaissance, ce mouvement n’a pas été significatif en France. Il ne s’agit pas d’un facteur déterminant d’évolution de l’exercice des missions de service public au cours des dernières années.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Au ministère de l’Équipement, si !

M. David Habib, Président. Toutes les fonctions d’ingénierie ont été transférées ; on en ressent beaucoup les effets au niveau local. Nous avions d’ailleurs consacré une MEC à ce sujet, il y a trois ans.

M. Vincent Chriqui. Nous avons privilégié l’approche agrégée, avec les limites que cela comporte ; ce mouvement n’est pas suffisamment important pour apparaître dans les chiffres globaux.

M. David Habib, Président. Au niveau local, on ressent également les transferts d’emplois vers les collectivités territoriales.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Transferts qui ne diminuent pas le volume de l’investissement public consacré à l’administration !

M. David Habib, Président. Je pense au contraire que cela accroît la contrainte financière pour la puissance publique en général. D’ailleurs, les communes qui ont l’obligation de délivrer des passeports mesurent bien le coût que cela représente !

M. Marc Francina, Rapporteur. D’après votre comparaison internationale, où fait-il bon être fonctionnaire ?

M. Vincent Chriqui. C’est dans les pays du Nord de l’Europe – Finlande, Suède, Danemark, Norvège – que l’on trouve le plus fort taux de fonctionnaires. Il existe de toute évidence un modèle nordique.

M. David Habib, Président. Monsieur le directeur, nous vous remercions.