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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Soutenabilité de l’évolution de la masse salariale de la fonction publique

Mardi 10 mai 2011

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de M. David Habib, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Julien Dubertret, directeur du Budget, sur la soutenabilité de l’évolution de la masse salariale de la fonction publique

M. David Habib, Président. Nous accueillons maintenant M. Julien Dubertret, directeur du Budget, accompagné de Mme Anne Duclos-Grisier, sous-directrice chargée de la deuxième sous-direction de la direction du Budget.

Monsieur le directeur, c'est avec grand plaisir que je vous souhaite la bienvenue pour votre première audition devant la Mission d'évaluation et de contrôle de la commission des Finances, quelques jours après votre prise de fonctions, sachant que vous avez commencé cette matinée par une audition devant la MILOLF.

Vous connaissez le principe de la MEC, qui est de formuler des propositions consensuelles sur les politiques publiques ; son organisation est paritaire ; elle est accompagnée par la Cour des comptes, en l'occurrence M. Pierre Jaillard, rapporteur.

Je vous propose de commencer cette audition par un bref propos introductif – j'ajoute que nous venons d'entendre successivement M. Verdier, directeur général de l’Administration et de la fonction publique, et M. Chriqui, président du Conseil d'analyse stratégique.

M. Julien Dubertret, directeur du Budget. La masse salariale de l’État représente un montant considérable, de l’ordre du tiers de ses dépenses, et l’on ne peut imaginer une politique budgétaire digne de ce nom sans instruments de programmation, de suivi et de tenue de cette masse, sachant notamment les effets très importants que la politique salariale de l’État peut avoir sur les dépenses des collectivités territoriales et de la sécurité sociale. Cette dépense présente en outre une caractéristique propre, à savoir que si, comme la totalité de celle de l’État, elle est relativement rigide, ce caractère est accentué en ce qui la concerne. Certes, il n’y a pas de dépense totalement rigide, mais on ne peut en l’occurrence agir sérieusement sur la masse salariale qu’avec beaucoup de constance. Enfin, la politique des rémunérations, singulièrement celle des effectifs, n’est pas forcément gratifiante dans un premier temps s’agissant de faire des économies en supprimant des emplois. Quant à créer, a contrario, quelques emplois, il convient de lutter contre une tendance à considérer qu’un peu de dépense supplémentaire n’est pas très grave. Embaucher un fonctionnaire entraîne en effet des conséquences en termes de dépenses non seulement sur toute la durée de sa carrière, mais également sur toute la période pendant laquelle il sera pensionné.

Bref, il s’agit d’une dépense rigide, sur laquelle on ne peut agir que de façon progressive et avec constance, et qui engage sur une durée extrêmement longue.

La dépense de personnel a été, ces dernières années, très concernée par la révision générale des politiques publiques (RGPP). Ce processus d’analyse de la dépense et d’évaluation de la performance des pouvoirs publics, en particulier de l’administration de l’État, est en effet particulièrement adapté à la dépense de l’État relative au titre 2. Tant la mise en œuvre des politiques publiques que l’organisation des administrations soulèvent en effet immédiatement la question de la dépense de personnel. La RGPP nous a permis de ne pas remplacer un départ sur deux à la retraite, en s’appuyant sur toute une série de réformes qui ont permis au Gouvernement de faire prévaloir non seulement une logique d’économies, mais également une logique de qualité de service et d’efficacité. Ce n’est que par cette voie que l’on peut à la fois maintenir un service public de qualité et maîtriser la masse salariale.

M. Marc Francina, Rapporteur. Pourriez-vous décrire le processus de définition des plafonds d’emplois ministériels – question sur laquelle M. Verdier a tout à l’heure préféré vous laisser répondre – et dresser le bilan en termes de réduction d'effectifs et de conséquences sur l'évolution de la masse salariale, par ministère, par année et par catégorie d'emploi, du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite.

M. Julien Dubertret. Depuis cinq ans à peu près, la politique d’effectifs de l’État se définit en équivalent temps plein (ETP) – en vraies personnes, si j’ose dire. Le marqueur de cette politique, à savoir le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, se mesure en effet à partir d’effectifs qui étaient employés et qui ne le sont donc plus. Après que les arbitrages sont rendus sur des flux d’ETP pour une année donnée, c'est-à-dire sur les non-remplacements de départ à la retraite, le résultat est communiqué au Parlement par le biais des documents budgétaires et est traduit en langage juridique en termes d’autorisation d’emplois au sens de la loi organique, c'est-à-dire en équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT), notion qui rend compte du moment de l’année où chaque variation de l’effectif – départ ou arrivée – s’est produite.

C’est à partir de l’ETP et de sa traduction en ETPT que nous définissons chaque année les plafonds d’emplois. Comme il s’agit de plafonds d’emplois ETPT, ils rendent compte de ce qui se passe l’année du projet de loi de finances, mais avec un effet d’extension en année pleine de ce qui s’est passé l’année précédente. En régime de croisière, la suppression par un ministère de 100 emplois par an sur cinq années consécutives se réalisant en moyenne à mi-année, se traduira, la première année, par moins 50 ETPT puis pendant quatre années par moins 100 et enfin la sixième par moins 50, à savoir l’extension en année pleine de la dernière année de suppression d’emplois.

Le plafond d’ETPT, qui correspond à l’autorisation parlementaire, est indispensable pour donner un cadre, encore qu’il convient de veiller à ce qu’il ne se situe pas trop au-dessus de l’effectif réel. On a en effet pu constater, notamment en raison de difficultés méthodologiques lors du passage du régime de l’ordonnance de 1959 à celui de la LOLF, que des marges ont été, sans doute par prudence, prises année après année. Aussi, le ministère du Budget s’efforce de faire revenir le plafond d’emplois au plus près de la réalité des effectifs, raison pour laquelle des corrections sont demandées – ce qui a été le cas pour le projet de loi de finances pour 2008 et ce qui le sera vraisemblablement pour d’autres.

M. Marc Francina, Rapporteur. Est-ce votre direction qui arbitre la répartition entre ministères ?

M. Julien Dubertret. Après un processus d’arbitrage sur les ETP, le dialogue interministériel reprend pour qu’il soit traduit en ETPT. Généralement, la transposition du schéma d’emplois lui-même ne présente pas de difficultés. Les recrutements et les départs, qu’ils interviennent plutôt en début d’année ou plutôt en fin d’année, se constatent de façon objective et n’ont pas besoin d’arbitrage dans un schéma d’ETPT. Ce qui peut nécessiter un arbitrage réel, c’est lorsqu’une marge inemployée d’ETPT existe qui ne se justifie pas par le niveau des effectifs réels. Il n’est pas sain, de mon point de vue, qu’un ministère dispose d’une forte marge de manœuvre sous plafond, car c’est lui donner la tentation de réclamer des recrutements supplémentaires en arguant d’une autorisation parlementaire, alors même que celle-ci n’a pas été votée en ce sens.

Par ailleurs, une cohérence doit exister entre le montant des crédits du titre 2, la situation de l’effectif réel, telle qu’elle évoluera au cours de l’année, et le plafond d’ETPT voté dans l’article d’équilibre de la loi de finances. Nous sommes comptables du bon ajustement de ces trois compteurs, et nous essayons de faire de notre mieux – des mesures ont été prises pour éviter les difficultés que nous avons rencontrées l’année dernière – pour aboutir à la cohérence entre le titre 2 et les ETP – l’effectif réel. Beaucoup a été fait pour réduire, sinon les vacances, du moins les ETPT inutilisés, mais il reste encore quelques efforts à fournir afin d’aboutir à une situation où masse salariale et ETPT seraient pleinement en ligne.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. Vous dites que « la RGPP nous a permis de ne pas remplacer un départ sur deux à la retraite ». Si votre mission première est d’aligner des chiffres, avez-vous, avant même d’exercer vos fonctions actuelles, réfléchi – ce qui pourrait éclairer votre action d’aujourd'hui – aux missions de service public que doit conduire l’État ? En d’autres termes, la RGPP ne doit-elle porter que sur le nombre des fonctionnaires ou également sur les missions que doit exercer l’État ?

M. Julien Dubertret. Incontestablement, aligner des chiffres fait partie de mon travail. Cela dit, je considère celui-ci, tant dans mes fonctions actuelles que précédemment, comme devant me conduire à m’interroger sur les missions de service public et, même si la décision appartient à l’arbitre politique, sur leur utilité et leur efficacité. J’ai été particulièrement frappé dans ma carrière par l’extraordinaire changement de mode d’approche entre l’avant et l’après RGPP – plus même qu’entre l’avant et l’après LOLF – s’agissant des effectifs et des missions de l’État. Avant, il s’agissait de discussions à l’aveugle entre des ministères gestionnaires demandant en conférence budgétaire des moyens supplémentaires selon eux indispensables et un ministère du Budget exigeant qu’ils travaillent avec moins, ce qui se terminait le plus souvent par une sorte de jugement de Salomon. Un tel résultat, insatisfaisant tant du point de vue de l’action de l’État que de celui de la maîtrise de sa masse salariale, conduisait à une sorte d’asymétrie, avec des bouffées soit de créations soit de suppressions d’emplois, dans des proportions d’ailleurs jamais très importantes, mais sans que l’on s’interroge sur la question de savoir si l’État faisait bien ce qu’il entreprenait sans entrer suffisamment dans l’évolution des politiques publiques.

Sans la loi organique, cette démarche d’évaluation des politiques publiques n’aurait à mon avis jamais été possible. Avec la LOLF, l’ensemble des administrations – mais également des ministres et de leur cabinet – a compris qu’il y a une performance de l’action publique, qu’elle doit être mesurée et qu’il doit en être rendu compte. Pour autant, le volet performance des projets de loi de finances ne constitue pas en lui-même une évaluation des politiques publiques et n’est pas suffisant pour mobiliser les acteurs dans le dialogue budgétaire. Mais c’est un point de passage obligé – le point de non-retour a même été atteint – qui a permis d’habituer les acteurs à l’idée qu’un exercice de type RGPP est légitime, ce qui signifie que l’on ne travaille plus à l’aveugle.

Pour mettre les choses en perspective, le non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite constitue un moteur très puissant pour nous obliger collectivement à nous questionner sur la façon dont nous travaillons et à mener un travail de fond avec l’aide d’équipes d’audit - qui ont à la fois du recul et une vraie connaissance des politiques considérées – afin d’avoir une discussion informée et non plus de chiffonniers autour des missions, les décisions sur les effectifs étant prises en fonction des réformes qu’on souhaite mettre en œuvre. De ce point de vue, la pluriannualité nous a énormément aidés, en ce sens qu’elle justifie, puis qu’elle engage publiquement devant le Parlement pour plusieurs années, un travail de plusieurs mois au lieu d’une conférence budgétaire de quelques heures.

S’agissant, au total, de la manière dont je conçois ma fonction aujourd'hui, je dirai que je suis sans doute beaucoup plus heureux que nombre de mes prédécesseurs qui étaient peut-être davantage réduits à des logiques arithmétiques. Le travail budgétaire trouve au contraire son plein développement dans une approche qui s’intéresse au fond des politiques et qui s’inscrit dans une logique de dialogue entre les administrations et une contre-administration avec l’aide d’une expertise, et qui nous permet de donner un vrai sens, en termes de politique publique, à la réduction des effectifs.

M. Charles de La Verpillière, Rapporteur. Pour être un ancien fonctionnaire, des mesures comme celle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, j’en ai déjà vu. Il en est allé ainsi, après le tournant de la rigueur pris dans les années 1984-1985 par le gouvernement Fabius, du gel d’un emploi sur trois, celui-ci étant, l’année d’après, réattribué ou pas après une discussion serrée avec la direction du Budget lors de la préparation de la loi de finances. Aujourd'hui, toujours selon la règle de la fongibilité, si on ne remplace pas un départ sur deux à la retraite, celui qui est remplacé devrait l’être dans n’importe quelle catégorie. Or, selon M. Chriqui, le taux de remplacement est plus important en catégorie A qu’en catégorie B ou C. N’y a-t-il pas là un risque de contournement de la règle pour atténuer son effet financier en ciblant le remplacement surtout sur les catégories aux rémunérations élevées et dans les emplois de direction ? Comment à cet égard évolue le nombre d’emplois de direction – chefs de service ou assimilés ?

M. Julien Dubertret. Y a-t-il là un risque ou une chance ? Plusieurs éléments de réponse peuvent permettre de répondre à la question.

Si les emplois sont fongibles entre catégories, à l’époque de l’ordonnance de 1959 la pyramide des âges – avec son « cylindrage » – donnait lieu à de nombreuses dérogations et à du surnombre – peut-être ne contrôlait-on pas suffisamment la dérive budgétaire liée à une forme de requalification des emplois. Si je suis un petit peu plus optimiste concernant la période actuelle – rien n’étant acquis –, cela tient au fait que la RGPP est guidée par des mesures dont on sait ce qu’elles signifient en termes de requalification du personnel des ministères. Par le biais des réformes elles-mêmes, qui affectent tout de même une grande partie des effectifs du ministère, on dispose donc d’un premier moyen de contrôle du risque que vous évoquez.

Un instrument complémentaire tient à la maîtrise du taux de retour catégoriel. Une règle existe en effet, qui me semble assez correctement respectée : elle consiste à lier le retour catégoriel au rendement du schéma d’emploi, et donc à ne pas nécessairement s’opposer à des requalifications. Celles-ci peuvent être légitimes, car la réforme passe par des suppressions d’effectifs souvent dans des fonctions qui n’ont plus un contenu très intéressant en termes de politique publique et qui peuvent être assurées autrement, voire pas du tout. En revanche, les besoins de développement de capacité de conception et d’initiative des administrations sont forts. La requalification, même si elle est coûteuse, peut donc être utile. Simplement, il faut l’encadrer au moyen du retour catégoriel. Aussi les arbitrages portent-ils sur le calibrage exact de l’enveloppe de retour catégoriel, étant vérifié que les mesures, notamment de repyramidage, restent financées au sein de cette enveloppe. Je ne nierai pas qu’il y a eu ici ou là quelques dérapages mais, d’une manière générale, c’est là un guide assez utile pour vérifier que l’on n’organise pas, sans le savoir, une requalification non contrôlée.

Enfin, de manière beaucoup plus conjoncturelle, la RGPP s’est accompagnée d’un exercice spécifique de réduction du nombre de directions d’administration centrale : par une sorte de transposition du « un sur deux », il a été voulu que les directions d’administration centrale voient leur nombre diminué par deux dans chaque ministère. Cette volonté peut se discuter, mais le résultat auquel on est parvenu est très significativement proche de la cible visée. Je ne doute pas que ce soit un exercice à réitérer assez régulièrement, car les méthodes des ministères sont innombrables pour contourner de telles contraintes.

En résumé, une réforme bien conçue, un contrôle du taux de retour catégoriel et un exercice ponctuel de reconsidération des organigrammes dans le sens de l’économie : tels sont les ingrédients sur lesquels nous nous sommes appuyés pour lutter contre la dérive des coûts. Je n’aurai pas la prétention de dire que c’est l’alpha et l’oméga de la tenue du titre 2, mais c’est en tout cas une base sur laquelle on peut travailler et qui a été selon moi efficace ces dernières années.

M. Marc Francina, Rapporteur. Votre expérience d’avant et d’après la LOLF vous permet-elle de dire s’il y a des sureffectifs dans certains ministères et des sous-effectifs dans d’autres ? Par ailleurs, si tous les préfets se vantent d’une grande réussite dans la mise en place de la réforme, la province a quelque peu souffert avec, par exemple – c’est un député de province qui vous parle –, la fermeture des services publics le mercredi dans les sous-préfectures, avec toutes ses conséquences en termes de réactivité, s’agissant notamment de la délivrance des passeports.

M. Julien Dubertret. Concernant la question des sureffectifs, il faut s’entendre sur le sens que revêt cette notion.

M. Marc Francina, Rapporteur. Plus simplement, tous les ministères ont-ils respecté la règle du non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite ?

M. Julien Dubertret. Cette règle, qui est une moyenne, est déclinée de façon non pas aveugle, mais au cas par cas à chaque ministère en fonction à la fois des possibilités de réforme que l’on identifie et du degré de priorité plus ou moins grand que le Gouvernement attribue à ce champ de politique publique.

À titre d’exemple, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche a bénéficié d’une stabilité des emplois sur les trois dernières années, résultat d’une priorité budgétaire objective du Gouvernement. Pour autant, cela ne devrait pas l’exonérer d’un effort de réforme. Dans mon esprit, ce n’est pas parce qu’un ministère ne supprimerait pas d’effectif qu’il devrait être exonéré d’une réflexion sur celles de ses missions qui devraient voir leurs effectifs disparaître au profit d’autres qui, elles, justifieraient au contraire un effort. Je citerai par ailleurs le cas du ministère de la Justice qui, fortement engagé dans un programme de construction de prisons, a bénéficié de façon constante depuis le début de ce quinquennat – et avant – de créations d’emplois importantes qui contrastent avec le reste des ministères. Ces deux exemples, l’un de stabilité l’autre d’accroissement des effectifs, démontrent que la règle du « un sur deux » n’est pas aveugle.

S’agissant des diminutions d’effectifs, certains ministères s’approchent, en termes de non-remplacement, le taux de 80 %, tandis que d’autres se situent à 30 ou 40 %. L’ensemble correspond cependant au non-remplacement d’un départ sur deux en moyenne.

Quant à la question de l’existence de sureffectifs ou de sous-effectifs, la réponse porte en elle la mise en place d’une autre RGPP. Si une réforme a échoué ou a rendu plus que ce que l’on pouvait imaginer, cela implique en effet la poursuite de l’analyse de la dépense et de la performance des politiques publiques en question. Nous avons eu, avec l’aide du Parlement, la chance de pouvoir nous fonder sur une vision pluriannuelle, guidée par l’évaluation des politiques publiques, de toute la dépense de l’État. Il faut conserver cette chance.

Votre question recouvre par ailleurs celle de l’existence de sureffectifs ou de sous-effectifs juridiques, laquelle renvoie à mes propos sur les plafonds d’emploi en ETPT. Il peut arriver que ces derniers soient un peu décalés à la hausse par rapport à la situation des effectifs, situation qu’il est sain de corriger. A contrario, le Gouvernement a, pour la première fois, été obligé à la fin de l’année 2010 de proposer une correction à la hausse du plafond d’emplois juridiques – les ETPT – du ministère de l’Éducation nationale – qui représente la moitié des effectifs de l’État – à la suite d’un accident certes marginal en valeur relative, mais fort en valeur absolue. Je souhaite vivement que cela ne se renouvelle pas.

En tout cas, si l’on appréhende les sureffectifs du strict point de vue de l’ajustement entre le plafond juridique et les effectifs, la plupart des ministères me paraissent à peu près bien calibrés.

M. Marc Francina, Rapporteur. Le ratio de un sur deux a effectivement permis d’engager une réelle baisse des effectifs de l’État. Pour autant, il est fondé sur les départs en retraite dont on a constaté en 2009 et 2010 qu’ils étaient très difficiles à prévoir. Pensez-vous que cette règle doit perdurer pour piloter les effectifs de l’État ?

M. Julien Dubertret. La principale difficulté que nous avons rencontrée dans l’application de la règle a concerné la prévisibilité des départs en retraite, même si je souhaite relativiser ce facteur d’incertitude. En effet la principale année sur laquelle nous avons une variation significative par rapport à ce que nous attendions, à savoir l’année 2009, est une année qui était profondément marquée par la crise ce qui, à l’évidence, a influencé les comportements en termes de date de prise de la retraite. Dans un couple biactif, si l’un était fonctionnaire et l’autre rencontrait des difficultés sur le marché privé de l’emploi, on peut très bien imaginer que tel ou tel ait pu souhaiter prolonger de quelques mois sa présence dans les cadres, entraînant une variation de plusieurs milliers d’emplois.

L’imprévisibilité doit d’autant plus être relativisée qu’elle concernait une période particulièrement instable marquée par la réforme des retraites et par l’épisode économique probablement le pire que nous ayons connu depuis la seconde guerre mondiale. Elle ne rend donc pas insoutenable la conduite de la politique décidée. Les départs en retraite ne représentent qu’une partie seulement des départs, même s’ils en constituent une large partie. Je pense à un ministère qui a ainsi un turnover non lié aux départs en retraite très substantiel, ce qui à l’évidence facilite la gestion de la règle du « un sur deux ». L’imprévisibilité relève donc plus d’une difficulté de second ordre – il est vrai irritante – que de l’empêchement. Les chiffres en valeur absolue auxquels sont parvenus les arbitrages rendus sur la base de cette règle du « un sur deux » ont été tenus : le Gouvernement n’a pas modifié le taux de non-remplacement en fonction de la variation du taux de départ en retraite, ce qui est sage ; cela induirait sinon des rattrapages brutaux et relativement dépourvus de sens car l’on ne peut rendre compte de la variation du taux de non-remplacement qu’ex post. Les chiffres arrêtés pour les non-remplacements de départs en retraite sont tout de même pris sur la base de réformes décrites en termes de rendement d’emplois, et il n’y aurait donc pas plus de sens à offrir à un ministère la possibilité de faire moins de suppressions d’emplois qu’à l’obliger à en faire plus alors qu’il est engagé de façon durable dans la conduite d’une réforme, avec des suppressions d’emploi qui correspondent à une logique fonctionnelle qui s’explique quels que soient les départs en retraite. Évidemment, s’il y avait des phénomènes extrêmement brutaux d’accélération ou de décélération, on devrait se reposer la question. Mais j’ai tendance à penser que les années 2009-2010 ont constitué un test de la robustesse de la démarche, et ce d’autant plus qu’il a été assez rude.

M. Bernard Derosier, Rapporteur. S’agissant du non-remplacement, les postes budgétaires correspondants sont-ils, ipso facto, supprimés dans le même exercice ou un décalage existe-t-il ? Par ailleurs, pouvez-vous nous faire parvenir les chiffres concernant les réductions d’effectifs par ministère, ce qui nous permettrait de faire apparaître dans notre rapport les conséquences de la RGPP en matière de suppressions de postes budgétaires ?

M. Julien Dubertret. Je ferai parvenir par écrit ces données par ministère. D’une façon globale, on devrait, pour les années 2008 à 2011 – sur la base, dans ce dernier cas, de la prévision de la loi de finances pour 2011 – approcher les 115 000 suppressions.

S’agissant de la suppression des postes, on ne définit plus, avec le mode LOLF, de pyramides. Pour m’exprimer d’une manière imagée, je dirai que les pyramides de cases n’existent plus. Sur la base d’un effectif global, arbitré en effectif réel, auquel correspond une masse salariale bien ajustée – ni trop ni trop peu –, une autorisation juridique globale et fongible est donnée en ETPT. C’est proche de la logique de postes, mais abordée de façon indifférenciée : c’est une logique dans laquelle un directeur d’administration centrale a la même valeur qu’un employé de catégorie C – une mesure du temps plein, ou partiel, consacré par les différents fonctionnaires à la fonction publique. À cela s’ajoute une approche juridique, à savoir l’approche statutaire – régie par des textes. Elle est essentielle parce qu’elle permet de fixer des limites à ce qu’une administration peut faire de ses enveloppes catégorielles, de sa masse de rémunérations principales, etc.

Aujourd'hui, le contrôle de la masse salariale et des effectifs de l’État passe par cette diversité d’instruments et par une analyse du qui fait quoi.

M. Marc Francina, Rapporteur. La polémique actuelle sur une diminution trop importante des postes de l’Éducation nationale est-elle fondée ? Des compensations sont-elles à envisager à l’échelon territorial ?

M. Julien Dubertret. Je ne sais si je suis le mieux placé pour répondre à une question aussi difficile. D’une manière générale, avec la RGPP, tous les ministères sont astreints à l’obligation de réformes, ce qui les a conduits à supprimer des emplois, à quelques exceptions près. J’ai cité à cet égard l’administration pénitentiaire, sachant qu’en la matière le ministère de la Justice, même s’il crée par ailleurs des postes, fait un effort de redéploiement interne – il en va d’ailleurs de même avec les différentes réformes juridictionnelles. Hormis ce cas particulier et celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche – dont tout le monde s’accorde à reconnaître le retard s’agissant des moyens que notre pays y consacrait –, pas un ministère n’échappe à cette dynamique, ainsi que cela a été maintes fois réaffirmé notamment par le Président de la République et le Premier ministre.

Pour ce qui est de la méthode, si la question est de savoir si l’on prend suffisamment en compte la dimension territoriale – le fait que telle partie du territoire est très bien dotée voire peut-être trop bien au regard de la performance de la dépense publique, alors que dans telle autre ce n'est pas le cas –, la réponse est oui, c'est-à-dire qu’une même toise appliquée partout serait inéquitable et même inefficace. Il est indispensable d’avoir une approche aussi fine que possible de l’application de la boîte à outils RGPP sur les réseaux, singulièrement s’agissant du ministère de l’Éducation nationale. Telle est d’ailleurs la méthode que nous suivons depuis douze mois, qu’il s’agisse de définir les leviers permettant d’obtenir plus d’efficacité et de réduire l’emploi ou de décliner celui-ci de manière différenciée au niveau de chaque académie.

Cette démarche indispensable ne peut avoir son plein succès que dans une logique très RGPP – pardonnez mon affectio societatis pour celle-ci –, c'est-à-dire qui conduise à faire travailler dans la durée les ministères financiers et les ministères gestionnaires. Ce n’est qu’à cette condition que nous avons pu entrer dans une logique de discussion impliquant fortement les ministères gestionnaires, sous le regard d’un contrôleur – le responsable de la mission d’audit RGPP ou le ministère du Budget et d’un arbitre ultime.

M. Marc Francina, Rapporteur. Justement, comment le ministère du Budget contrôle-t-il les opérateurs ?

M. Julien Dubertret. Tout en respectant une certaine autonomie de gestion – motif pour lequel ils ont été créés –, il conviendrait d’aller à la fois vers une plus grande déclinaison de la LOLF en direction des opérateurs et vers la mise en place d’un cadre un peu plus strict, ressemblant un peu plus à celui de l’État, sans revenir en rien sur ce qu’ils ont déjà acquis, comme la tenue d’une comptabilité en droits constatés. D’un point de vue très concret – nous y travaillons notamment dans le cadre de la réforme du décret sur la comptabilité publique –, cela implique de les inciter à avoir un vrai budget en engagements et en paiements traduisant de manière plus lisible les moyens qui leur sont octroyés par le budget de l’État, et de leur demander d’adopter une démarche pluriannuelle et de budgéter par action, toutes choses paraissant évidentes s’agissant du budget de l’État, même s’il faut batailler tous les jours à cet effet, mais qui ont absolument besoin d’être développées chez les opérateurs.

C’est la raison pour laquelle, ainsi que cela a été annoncé par M. François Baroin qui réunissait voilà peu de mois tous les opérateurs de l’État, la direction générale de la Modernisation de l'État (DGME) et la direction du Budget ont créé un club des grands opérateurs de l’État, afin d’organiser des réunions de travail régulières animées par François-Daniel Migeon et moi-même. J’ai tenu la première la semaine dernière, et la prochaine se tiendra au mois de septembre – je souhaite que l’on tienne un rythme de trois à quatre réunions par an. Ce sera un forum d’animation en matière de déclinaison de la LOLF, notamment par le biais du grand texte d’application de cette dernière que doit être le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

M. Marc Francina, Rapporteur. Votre action ne revient-elle pas à fonctionnariser ces opérateurs ?

M. Julien Dubertret. Il s’agit de compléter leur mission plutôt que de revenir sur une souplesse de gestion. Pour avoir siégé dans des temps anciens au conseil d’administration de certains opérateurs, je puis témoigner que lorsque l’on votait le budget, on n’y comprenait pas grand-chose. On travaillait dans un cadre « budgétaro-comptable » qui mêlait des notions de caisse, de droits constatés, etc., sans savoir si on avait affaire à un budget ou à un compte de résultat prévisionnel. C’était assez peu lisible.

L’idée est, sans leur retirer quoi que ce soit en matière de gestion, de leur demander de dire les choses plus clairement, de faire voter le conseil d’administration sur un vrai budget et de donner des informations, sur la base de droits constatés prévisionnels, sur ce que seront les amortissements, les dotations aux provisions, etc. D’autres discussions devront avoir lieu avec la Cour des comptes et avec d’autres instances éminentes sur ce sujet avant de pouvoir en parler de manière détaillée au Parlement.

Mon intention n’est pas de briser les ailes des opérateurs, mais plutôt de conduire ces derniers à avoir un cadre de gestion et de compte rendu qui soit un peu plus transparent qu’actuellement concernant leurs effectifs, et à mettre en place des instruments de contrôle plus fermes de leur masse salariale. C’est là un vrai sujet que nous avons devant nous.

Je ne suis pas en mesure de l’aborder en détail aujourd'hui, mais voilà un risque réel de point de fuite dans le dispositif de contrôle de la masse salariale. Un début de réponse est apporté par la circulaire du Premier ministre qui a imposé en début d’année, en réponse au problème de l’an dernier, des schémas détaillés de gestion de la masse salariale et des effectifs au ministère, mais qui a également vocation à mobiliser les opérateurs.

M. David Habib, Président. Je vous remercie. N’hésitez pas à nous faire passer tout document que vous jugerez utile.