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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 20 décembre 2007

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Jean Mallot, coprésident

Auditions, ouvertes à la presse, sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments

– Mme Marie–Noëlle Banzet, vice–présidente des laboratoires Servier, M. Éric Ducourneau, secrétaire général des laboratoires Pierre Fabre, et M. Christian Lajoux, président directeur général de Sanofi Aventis France, accompagné de M. Philippe Cheng, directeur de la stratégie

– Mme Anne Baille, présidente des Laboratoires Ranbaxy pharmacie génériques, Mme Marie–Josèphe Baud, présidente directrice générale de Sandoz, Mme Catherine Bourrienne–Bautista, déléguée générale de GEnériques Même MEdicaments (GEMME), M. Maurice Chagnaud, président directeur général du Laboratoire Teva Classics, et M. Gilles Chaufferin, directeur général délégué adjoint des Laboratoires Boiron 10

– M. Christophe Weber, président de Laboratoires Internationaux de Recherche (LIR), M. Jean–Christophe Tellier, président de Novartis Pharma, M. Louis Couillard, président directeur général de Pfizer France, et Mme Sabine Dandiguian, présidente directrice générale de Janssen–Cilag France 19

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition de Mme Marie-Noëlle Banzet, vice-présidente des laboratoires Servier, M. Éric Ducourneau, secrétaire général des laboratoires Pierre Fabre, et M. Christian Lajoux, président-directeur général de Sanofi Aventis France, accompagné de M. Philippe Cheng, directeur de la stratégie.

M. Jean Mallot, coprésident : Madame, messieurs, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS, mais aussi rapporteur du projet de loi relatif au pouvoir d’achat qui est inscrit aujourd’hui à l’ordre du jour de la séance publique.

La MECSS travaille sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. De nombreux acteurs de ce dossier ont d’ores et déjà été auditionnés et, ce matin, c’est au tour des représentants de différents laboratoires. À l’issue de l’ensemble de ces entretiens, le rapport de Mme Catherine Lemorton fera état d’un certain nombre de préconisations afin d’améliorer aussi efficacement que possible la situation dans le domaine du médicament.

M. Christian Lajoux : Avant que ne commence l’audition, je souhaite savoir quelle est la logique qui a présidé au choix des participants aux tables rondes.

M. Jean Mallot, coprésident : Il y a bien une logique, mais toutes les règles comportent des exceptions, lesquelles sont susceptibles d’être interprétées différemment. Une audition implique nécessairement un regroupement des personnes afin de faciliter le bon déroulement de la séance.

M. Christian Lajoux : Il y a des regroupements d’entreprises et des regroupements de groupes d’entreprises.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Nous avons tout d’abord souhaité entendre les laboratoires français, puis les laboratoires fabricants de médicaments génériques et, enfin, des laboratoires étrangers, notamment Ranbaxy, génériqueur indien.

Nous aurions souhaité également auditionner un représentant d’un laboratoire biotech, mais cela n’a pas été possible, ce que nous regrettons. J’ajoute que nous aurions voulu inclure dans votre groupe le représentant du laboratoire homéopathique Boiron, mais votre groupe, précisément, nous a fait savoir que ce laboratoire n’avait pas sa place parmi vous, ce qui m’a un peu surprise. Le représentant de ce laboratoire a néanmoins accepté d’être auditionné dans une autre table ronde.

M. Christian Lajoux : Je vous prie d’excuser mon insistance, mais il ne faut pas confondre les laboratoires et les groupes. Les représentants de GÉnériques Même MÉdicaments (GEMME) sont-ils invités en tant que laboratoire ou en tant que GEMME ?

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : En tant que GEMME.

M. Jean Mallot, coprésident : Et nous posons quant à nous nos questions en tant que parlementaires.

Je vous laisse auparavant présenter de manière synthétique les entreprises que vous dirigez.

Mme Marie-Noëlle Banzet : Le groupe Servier est le second laboratoire français après Sanofi et le premier laboratoire français indépendant. Il réalise un chiffre d’affaires qui s’élève à 3,5 milliards d’euros. Ce groupe présente deux caractéristiques : un fort engagement dans la recherche puisque 23 % à 25 % du chiffre d’affaires y sont réinvestis ; ses activités sont en outre fortement internationalisées, tout en étant ancrées en France où nous réalisons le plus possible d’activité de production et de recherche. La totalité de la production chimique est réalisée en Normandie, 60 % de la production pharmaceutique dans l’Orléanais et 70 % à 75 % des activités de recherche en France.

Ce positionnement spécifique induit certains ratios un peu atypiques : 80 % de notre production est vendue à l’étranger dans 140 pays ; notre part de marché, s’agissant des princeps remboursables, s’élève à un peu moins de 3 % ; le ratio des dépenses de recherche et de développement (R&D) sur le chiffre d’affaires en France est de 77 % ; nous participons pour plus de 28 % à l’excédent de la balance commerciale du secteur. Par ailleurs, malgré un contexte économique difficile, nous continuons à créer des emplois : plus de 400, cette année, en France. Enfin, 75 % des impôts dus par le groupe sont payés en France.

Nous avons également une activité générique avec la filiale Biogaran qui représente 22 % de ce marché en France ; son chiffre d’affaires s’élève entre 400 et 420 millions ; sur les cinq dernières années, l’activité générique du groupe Servier a contribué pour plus de 700 millions aux économies de l’assurance maladie.

M. Christian Lajoux : Sanofi Aventis, fortement implanté en France, est le quatrième groupe international dans le domaine du médicament. M. Philippe Cheng va le présenter plus précisément.

M. Philippe Cheng : Sanofi est le premier groupe européen et français de médicament. Il comprend 100 000 collaborateurs, dont 29 000 en France, alors que 13 % seulement de son chiffre d’affaires mondial y sont réalisés. L’investissement en R&D représente 15 % du chiffre d’affaires mondial avec 4,4 milliards en 2006, soit, une progression de 9 %. Plus de la moitié des sites de R&D se situent en France ; on y dénombre 9 000 chercheurs sur les 18 000 que compte le groupe.

Des partenariats étroits sont noués entre les secteurs public et privé, notamment à travers les pôles de compétitivité. En France, 13 600 personnes travaillent à la production sur 25 sites, dont 10 de production chimique, 9 de production pharmaceutique et 6 de distribution. Les exportations s’élèvent à 9 milliards d’euros pour Sanofi Aventis France avec un solde positif de 4,7 milliards. Le solde des emplois est resté positif en 2006 avec 960 emplois créés dans la recherche et la production.

M. Christian Lajoux : J’ajoute que le groupe paie en France près de 1,5 milliard d’euros d’impôts sur les sociétés et de taxes spécifiques au secteur des médicaments.

M. Éric Ducournau : Les laboratoires Pierre Fabre ont été créés il y a quarante ans dans le sud-ouest de la France. Ils travaillent à la fois dans le domaine dermo-cosmétique avec un chiffre d’affaires qui s’élève à un peu plus de 700 millions et dans le domaine de la médication familiale où il est de 830 millions. L’entreprise emploie 8 500 personnes, dont les deux tiers en France. L’intégralité des activités de production – 4 sites –, de R&D – 7 sites – et de chimie fine – un site – sont situées en France. En 2007, nous avons investi 230 millions en R&D et 200 millions pour la partie médicament dont 100 millions en faveur de la seule oncologie. Nous effectuons des recherches dans les domaines cardio-vasculaire, urologique et sur le système nerveux central. L’an dernier, 200 emplois ont été créés.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Que pensez-vous de la fiscalité française sur le médicament ?

M. Christian Lajoux : La multiplicité des taxes – il y en a onze – constitue un lourd handicap : contributions sur les dépenses de publicité, sur les grossistes-répartiteurs, sur le chiffre d’affaires, clause de sauvegarde – en cas de dépassement de l’objectif de chiffre d’affaires –, contributions à la charge des fabricants ou distributeurs de dispositifs médicaux, taxes qui rémunèrent des services rendus.

Certaines sont versées à l’AFSSAPS (1) : taxe sur les spécialités bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), redevance pour autorisation d’importation parallèle, redevance pour la publicité, taxe sur les essais cliniques ; d’autres sont versées à la Haute Autorité de santé (HAS) comme la redevance pour inscription sur la liste des médicaments remboursables. Ces taxes sont très nombreuses et peu lisibles. On peut en outre s’interroger sur l’efficacité de la taxe sur la promotion. Non seulement il est regrettable qu’une approche plus structurante ne soit pas développée, mais les taxes sur la publicité, sur le chiffre d’affaires, la clause de sauvegarde ou les taxes sur les ventes directes n’existent pas dans les autres pays.

M. Jean Mallot, coprésident : Vos collègues partagent-ils ce point de vue ? Qu’entendez-vous, par ailleurs, par une approche plus structurante de la fiscalité ?

Mme Marie-Noëlle Banzet : Je suis d’accord avec M. Christine Lajoux, ces taxes sont très pénalisantes. On peut citer la réforme du crédit d’impôt recherche comme exemple de fiscalité plus structurant qui va dans le bon sens.

M. Philippe Cheng : Encore peut-on souligner que cette réforme fait suite à celle qui prévoyait une majoration de l’abattement R&D qui devait s’appliquer en 2007, et que le projet de loi de finances pour 2008 prévoit de supprimer.

M. Éric Ducournau : Le taux d’imposition des laboratoires Pierre Fabre, en France, dépasse 34 % alors qu’il est de 27,76 % dans les pays de l’Union européenne – hors la France, donc – et de 31,7 % dans les pays hors Union Européenne. Cela représente un différentiel de 3 à 7 points.

M. Christian Lajoux : Outre que les entreprises se porteraient beaucoup mieux si la fiscalité était moindre, il est évident qu’à la taxe sur l’emploi, comme l’est celle sur la publicité, ou la taxe sur le chiffre d’affaires qui pénalise la performance, nous préférons des taxes relevant d’un processus conventionnel tel qu’il a été ébauché dans l’accord-cadre avec le Comité économique des produits de santé (CEPS).

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La taxe sur la publicité inclut-elle la visite médicale ?

M. Christian Lajoux : Oui. C’est pour cela que je la qualifie de taxe sur l’emploi.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pourquoi les Français consomment-ils globalement plus de médicaments qu’ailleurs ? Aujourd’hui, 90 % des consultations chez le médecin généraliste sont suivies d’une prescription de médicaments contre 72 % en Allemagne et 45 % aux Pays-Bas. Le passage des médicaments « over the counter » (OTC) – « au-delà du comptoir » ou médicaments conseil – en libre-service dans les pharmacies permettra-t-il de modifier le comportement des Français ?

M. Christian Lajoux : Sur quelles sources reposent de tels chiffres ?

Selon les données d’IMS Health, qui ne relèvent pas de l’étude d’opinion, les pourcentages de diagnostics débouchant sur une prescription sont les suivants : Portugal, 97 %, Italie, 93 %, Belgique et Espagne, 83 %, Slovaquie, 77 %, France, 76 %, Angleterre, 68 %, Pays-Bas, 60 %. Je tiens ces données à votre disposition, de même que des données sur la consommation de médicaments en France où l’on ne peut en l’occurrence pas parler de surconsommation. L’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) l’a d’ailleurs reconnu puisqu’en termes d’unités de prescription, la France se situe plutôt en deçà des autres pays européens.

J’ajoute que si, sur le plan européen, les protocoles thérapeutiques ne sont guère respectés, la France est encore le pays qui les respecte le plus. Cette consommation, enfin, doit être rapportée à l’état sanitaire du pays ; or celui de la France est plutôt meilleur que celui d’autres pays européens.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous prie de bien vouloir nous communiquer ces chiffres.

M. Christian Lajoux : Bien sûr.

M. Éric Ducournau : La question de la médication familiale se pose dans un contexte de changement de l’exercice libéral de la pharmacie. Le passage « devant le comptoir » de certains médicaments permettra de développer l’automédication à condition de respecter les conseils des pharmaciens et les règlements d’usage de certains produits dont, par exemple, les produits de sevrage tabagique. Il faut par ailleurs que les produits obtenant ce statut ne soient pas dénigrés, comme cela arrive parfois.

M. Christian Lajoux : S’agissant de l’automédication, la France est l’un des seuls pays européens où le principe de l’accès direct à une catégorie de médicaments – pour les « petits bobos » – n’est pas autorisé. Notre pays doit donc se mettre en conformité sur ce plan-là avec l’Europe, sachant que le monopole de la pharmacie est intangible et que le contrôle du pharmacien demeure essentiel. Enfin, s’il faut responsabiliser les patients, l’automédication ne doit en aucun cas être un alibi au déremboursement de médicaments.

M. Jean Mallot, coprésident : Je comprends, sans la partager, votre position sur la fiscalité, mais cela implique de ne pas attendre pour soi le bénéfice de l’impôt des autres. Il n’y aurait donc pas de surconsommation de médicaments en France ?

M. Christian Lajoux : Non seulement une consommation élevée n’est pas une surconsommation, mais de nombreuses maladies ne sont toujours pas prises en charge.

M. Jean Mallot, coprésident : Il ne faut pas mélanger, en l’occurrence, démarche globale de surconsommation et démarche ciblée sur telle ou telle pathologie.

Que pensez-vous des franchises médicales ? Quels effets auront-elles sur la consommation de médicaments ?

M. Christian Lajoux : Il est possible de donner un avis en tant que citoyen, mais je ne suis pas sûr que nous soyons légitimés à le faire en tant que représentants de l’industrie du médicament. Il s’agit pour nous d’encourager la responsabilisation des patients mais il n’est pas certain que l’établissement de franchises ira en ce sens. Quid, également, de la possibilité pour chaque patient d’accéder aux soins ?

Mme Marie-Noëlle Banzet : Je partage ce point de vue.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Le schéma transmis par l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), que je viens de faire distribuer, montre un décrochage – par le haut ! – du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique à partir de 1999-2000 et par rapport au nombre d’unités de médicaments consommés par personne qui, lui, demeure constant. Comment l’expliquer ?

M. Christian Lajoux : L’UNCAM l’a dit : moins d’unités sont consommées et la valorisation des unités est plus importante. Si la croissance a été en effet forte jusqu’en 2005, le ralentissement a été ensuite sensible. Le taux de croissance de remboursement de médicaments durant le premier semestre de cette année est globalement de 2,6 %, mais il atteint 6,5 % pour les patients en affection de longue durée (ALD) et il est de moins 2,3 % pour les autres patients. Pour 45 millions de patients, le taux de croissance de consommation de médicaments n’est donc pas très élevé et pour 8 millions, en ALD, ce taux est de 9 %. La consommation de médicaments est de plus en plus concentrée sur les personnes âgées et les personnes en ALD.

En outre, 96 % des demandes d’inscription en ALD sont acceptées ainsi que 99 % des demandes de renouvellement. À cela s’ajoute que les patients en ALD seront sans doute de plus en plus nombreux, certains évoquant même le chiffre de 15 millions pour les années à venir. Leur prise en charge mériterait donc d’être réévaluée. La Haute Autorité de santé se penche actuellement sur ce sujet.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Le décrochage augmentera donc encore selon vous ?

M. Christian Lajoux : Les médicaments de spécialités sont innovants : au nom de quoi ne pas les diffuser ? Ils visent à soigner des malades atteints du cancer, du SIDA ou encore de polyarthrite rhumatoïde !

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Ce que vous venez de dire est important. Cela devrait donc conduire à réévaluer l’objectif national des dépenses de l'assurance maladie (ONDAM) en conséquence.

M. Christian Lajoux : L’ONDAM ne tient en effet pas compte des besoins de santé du pays : ces dernières années, il était complètement irréaliste. Tous les observateurs s’accordent à dire que, compte tenu du vieillissement de la population et des progrès techniques, on ne peut maîtriser les dépenses de santé en dessous d’une croissance de 4 %. La part dévolue aux médicaments dans l’ONDAM est d’ailleurs faible alors que ce sont ces derniers qui permettent de faire des économies en évitant des récidives ou en raccourcissant des hospitalisations. Une bonne utilisation des médicaments amoindrit les dépenses de santé.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La sortie de médicaments de la réserve hospitalière compte pour beaucoup dans cette augmentation de l’ONDAM.

M. Christian Lajoux : Aujourd’hui, 20 % des médicaments sortant de l’officine sont en effet des médicaments issus de spécialités hospitalières.

M. Jean Mallot, coprésident : Comment comptez-vous vous organiser pour contribuer à une bonne utilisation des médicaments ? Comment faire en sorte que la visite médicale serve aussi à cela ?

M. Christian Lajoux : J’insiste : les dépenses de santé ne sont pas aussi exponentielles que le prétendent certains responsables politiques. Il n’a par ailleurs jamais été question d’un « guichet ouvert » du médicament.

On ne peut à la fois mener une politique de santé publique, une politique de réduction des déficits des comptes sociaux et une politique industrielle du médicament, sachant que cette dernière est étroitement liée à la politique de santé publique. Si l’on oppose en permanence la contrainte du déficit des comptes sociaux – qui doit être en effet réduit – la France risque de perdre des places dans la compétition mondiale et cela nous coûtera cher.

Les industriels du médicament, notamment Sanofi, rappellent la nécessité du bon usage du médicament, car il n’est pas possible de construire un « marché » du médicament sur des gaspillages. Nous soutenons les mesures qui ont été mises en place, je pense en particulier au « Web médecin », géré par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), qui permettra d’éviter des prescriptions redondantes. Le développement de l’automédication peut également permettre de réaliser des économies, de même que l’identification de la prescription à l’hôpital. Enfin, il faut s’emparer de la question des ALD car il est urgent de prendre des mesures radicales.

Mme Marie-Noëlle Banzet : Nous ne considérons pas que la visite médicale soit un gros mot, bien au contraire. Le bon usage du médicament passe aussi par une bonne utilisation de la visite médicale. Vous avez déjà entendu, lors de vos précédentes auditions, parler de la charte de la visite médicale. À ce propos, le groupe Servier est en cours de certification, et celle-ci sera sans doute acquise début 2008. De toute façon il ne s’agit que de la mise en forme d’une éthique de la visite médicale que nous respectons depuis très longtemps.

La grande spécificité du groupe Servier tient dans la longueur de la formation des visiteurs médicaux. Quand ils arrivent, munis de leur diplôme, nous leur assurons, la première année, une formation de l’ordre de dix semaines dans les domaines scientifique, professionnel, éthique. Ils subissent un contrôle très rigoureux prévu par la charte, mais que nous avions déjà mis en place auparavant.

La formation et les contrôles des visiteurs médicaux font partie du bon usage du médicament. Cela est indispensable et nous y sommes très attachés.

M. Christian Lajoux : À travers les différents rapports et la manière d’aborder le sujet, on observe une volonté de stigmatisation : on a l’impression que les visiteurs médicaux portent une pancarte et disent aux médecins de prescrire leurs produits. Ce n’est pas cela, et je vous invite à tourner avec certains de nos visiteurs médicaux. Vous constaterez qu’ils exercent un métier d’information, de formation et qu’ils sont ainsi parties prenantes au dialogue nécessaire pour faire évoluer les progrès thérapeutiques. On ne peut pas contester aujourd’hui que l’activité du visiteur médical dépasse, et de très loin, le champ de la promotion.

L’honnêteté oblige cependant à reconnaître que la prise en charge d’un certain nombre de médicaments très nouveaux et très sophistiqués par l’ensemble du corps médical, qui prescrit plutôt bien, passe, entre autres, par la qualité des visiteurs médicaux. Nous sommes le seul pays où existent, outre un diplôme de visiteur médical, une charte conventionnée avec le Comité économique des produits de santé, et un processus de certification avec la Haute Autorité de santé ; cela s’est fait dans les trois dernières années.

Au moment où nous nous engageons dans ce processus, en concertation avec les autorités de ce pays, selon les critères définis par la HAS et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), il y a une reconnaissance par les différentes autorités de l’État de l’utilité et de l’impact de la visite médicale, moyennant le respect d’un certain nombre de critères de qualité, même si des améliorations sont nécessaires. Sanofi Aventis fait partie des premières sociétés certifiées en termes de qualité. Je sais ce que cela implique en termes de travail et de contrôle interne, dans une société qui emploie 10 % des visiteurs médicaux employés en France alors qu’elle réalise 15 % du chiffre d’affaires du secteur.

La visite médicale participe à l’information des médecins. Selon le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), 72 % des médecins sont satisfaits de la visite médicale, mais 25 % d’entre eux considèrent qu’on pourrait l’améliorer. Cela signifie bien qu’ils ne sont pas passifs vis-à-vis de la visite médicale. En tant que dirigeant d’entreprise, j’ai des contacts avec des médecins qui désirent parler de la façon dont se déroule la visite médicale. D’ailleurs, ce sont eux qui organisent les modalités de réception, qui demandent aux visiteurs médicaux d’aborder certains sujets. Dans notre pays, il y a un encadrement très spécifique et original de qualité, à caractère évolutif. Sanofi Aventis, pour sa part, ne refuse pas d’évoluer dans le cadre de la qualité, au service d’un meilleur usage du médicament.

M. Éric Ducournau : C’est une certification qui va en profondeur. Les visiteurs médicaux sont même interviewés un par un par la personne qui fait l’inspection. J’insisterai sur un autre élément : le rôle des visiteurs médicaux dans le domaine de la pharmacovigilance. Ils font remonter vers les laboratoires un certain nombre d’informations leur venant des médecins.

M. Christian Lajoux : Globalement, sur 20 000 remontées de pharmacovigilance, 10 000 sont assurées directement par les visiteurs médicaux.

M. Jean Mallot, coprésident : Iriez-vous jusqu’à en déduire que les délégués de l’assurance maladie (DAM) ne sont pas forcément indispensables ? Ils correspondent à une autre démarche, à d’autres critères et à un autre point de vue.

M. Christian Lajoux : Nous ne pouvons pas empêcher l’assurance maladie de pratiquer une forme de visite médicale. Toutefois, nous souhaiterions que les DAM suivent le même processus de formation et de certification que celui que l’on exige de l’ensemble de nos visiteurs médicaux. Il est tout de même paradoxal que les DAM ne rentrent ni dans le cadre de la charte de la visite médicale, ni dans celui de certification par la HAS.

Certes, il peut y avoir d’autres moyens de communication et d’information du corps médical et Sanofi Aventis admet leur multiplication, mais d’un côté on est sévère vis-à-vis de la visite médicale en en ignorant le contenu et la réalité de la pratique, de l’autre on laisse se multiplier les sites internet qui donnent des informations directes aux patients et aux médecins sans aucun contrôle parce qu’ils n’appartiennent pas à l’industrie du médicament ou n’ont aucune connexion avec elle.

La situation de notre pays est paradoxale : les industriels du médicament, qui sont des experts en termes de recherche et de production de leurs produits, n’ont pas la capacité de communiquer directement, en dehors du cadre que je viens d’évoquer, avec les médecins et aucunement avec les patients. En même temps, il y a une profusion d’acteurs qui communiquent sur le médicament sans avoir la même expertise que nous et sans être contrôlés sur les éléments d’information qu’ils diffusent.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Internet n’est pas la panacée, en effet.

Parlons chiffres : quand vous trouvez une molécule, vous la mettez sur le marché français, une fois qu’elle a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM). Quelle est en France la part de la visite médicale par rapport au prix du médicament, en comparaison avec la même entrée de ce médicament sur le marché des autres pays européens ? Avez-vous une idée ?

M. Christian Lajoux : La part de la visite médicale est de 10 % du chiffre d’affaires. Dans les autres pays, pour une firme comme Sanofi, c’est exactement pareil. Dans certains pays, c’est au-dessous, dans d’autres c’est au-dessus.

Dans le rapport de l’IGAS, on trouvait une information qui n’était pas exacte, à savoir qu’en Angleterre, il y avait moins de visiteurs médicaux que dans les autres pays. Nous avons repris les calculs et nous avons constaté que, dans ce pays, on trouve un visiteur médical pour trois médecins, ce qui n’est pas le cas en France.

Nos entreprises sont des entreprises internationales. Nos façons d’exercer dans les différents pays sont pratiquement les mêmes. À l’intérieur des entreprises, existent de plus en plus souvent des directions européennes dont la mission est de faire en sorte qu’il y ait une réalité de l’Europe, au moins en termes économiques et industriels. Je pourrai sans doute vous donner d’autres chiffres tout à l’heure.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je voudrais revenir sur les ALD.

Moins on permettra à des gens d’accéder au système de soins, et plus les personnes âgées qui sont grandes consommatrices de médicaments, auront tendance à maintenir leur ALD, parce qu’elles ne peuvent pas accéder à des assurances complémentaires. Je le dis par expérience de terrain. Lorsqu’on examinera les ALD, il faudra le prendre en compte.

M. Jean Mallot, coprésident : Nous avions encore mille questions, mais nous devons passer à l’audition suivante. Je vous remercie et je vous propose, dans les jours ou les semaines qui viennent, de compléter les réponses sur les points que vous n’auriez pas eu le temps d’exposer de façon exhaustive, ou de répondre à celles que nous n’avons pas posées, mais que nous aurions dû vous poser. Nous vous remercions.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a ensuite procédé à l’audition de Mme Anne Baille, présidente des Laboratoires Ranbaxy pharmacie génériques, Mme Marie-Josèphe Baud, présidente directrice générale de Sandoz, Mme Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale de GEnériques Même MEdicaments (GEMME), M. Maurice Chagnaud, président-directeur général du Laboratoire Teva Classics, et M. Gilles Chaufferin, directeur général délégué adjoint des Laboratoires Boiron.

M. Jean Mallot, coprésident : Merci d’être venus. Pourriez-vous préalablement à nos échanges faire une présentation générale de chacune de vos entreprises, de votre démarche et de votre spécificité ?

Mme Anne Baille : Le laboratoire international Ranbaxy est d’origine indienne. Dans les années soixante, il a commencé avec la mise sur le marché et le développement d’un médicament, le chloramphénicol. Son activité industrielle s’est d’abord développée en Inde. Dans le milieu des années soixante-dix, il est entré en bourse sur les marchés indiens. Dans les années quatre-vingt-dix, il a connu deux étapes importantes : une expansion internationale, d’abord sur l’Asie et l’Afrique, donc dans des pays en voie de développement, ensuite dans des pays développés, les États-Unis et l’Europe. Son entrée sur le marché européen s’est faite dans le milieu des années quatre-vingt-dix en Angleterre. Autre étape importante pour notre groupe : le démarrage de l’investissement en recherche et développement (R&D) ; aujourd’hui, il compte 1 500 chercheurs, essentiellement en discovery.

L'une des particularités du groupe est de chercher de nouvelles entités chimiques, puis de les mettre à la disposition de partenaires industriels de l’industrie pharmaceutique et probablement, à terme, de les produire sous ses propres marques.

En ce qui concerne le marché français, Ranbaxy a fait l’acquisition en janvier 2004, de la filiale génériques des laboratoires Aventis, qui s’appelle toujours RPG. Depuis cette époque, nous développons en France notre gamme de médicaments génériques.

Mme Catherine Maurienne-Bautista : Je représente GEMME, l’association des laboratoires des médicaments génériques, qui regroupe les principaux acteurs actifs sur le marché français. Il a été créé il y a un peu plus de cinq ans pour accompagner les laboratoires dans le développement des médicaments génériques en France.

M. Jean Mallot, coprésident : Sous quelle forme ?

Mme Catherine Maurienne-Bautista : Nous sommes une association régie par la loi de 1901.

M. Maurice Chagnaud : Teva est aujourd’hui le leader mondial du médicament générique. C’est une entreprise israélienne, qui a connu un fort développement à partir des années quatre-vingt aux États-Unis. Elle s’est ensuite développée en Europe, essentiellement par acquisitions, dans un grand nombre de pays européens : Angleterre, Hollande, Hongrie, Italie et, en 2002, en faisant l’acquisition de la filiale génériques de Bayer, Bayer Classics, d’où notre nom de Teva Classics.

Ce laboratoire est à la fois le numéro 1 dans le médicament générique et le dix-septième acteur de la pharmacie mondiale. En effet, Teva ne fait pas que du générique. Il a une activité d’innovation, avec le Copaxone, promu d’ailleurs en France par Sanofi Aventis. Il travaille dans le domaine de la maladie de Parkinson, avec d’autres produits en cours d’enregistrement et de développement. Depuis la fin de 2005 et le début de 2006, il travaille dans le domaine du respiratoire, par le biais de l’acquisition, au niveau mondial, des activités de Aivax, qui intervenait dans le domaine du respiratoire et du générique.

Je suis le président de Teva Classics, de Teva Pharma et de Aivax Pharmaceutics en France. La volonté du groupe Teva est de continuer dans le même esprit, en développant une activité hybride : partir du générique, avec des activités de recherche et de développement suffisamment importantes pour faire de l’innovation.

M. Gilles Chaufferin : Boiron est un groupe familial indépendant, qui a soixante-quinze ans aujourd’hui. Ce groupe français fait un peu plus de 400 millions d’euros de chiffre d’affaires, réalisés pour 60 % en France et pour 40 % à l’international, au travers d’une vingtaine de filiales. Il emploie à peu près 4 000 personnes, dont 2 800 en France. Il assure aujourd’hui, depuis la France, plus de 90 % de sa production. Il est spécialisé dans un domaine particulier, le médicament homéopathique et en vend deux catégories principales : d’abord, des médicaments homéopathiques à nom commun, proches des médicaments génériques dans la mesure où ils sont vendus sous un nom commun, au même prix, et à un prix extrêmement bas, aujourd’hui remboursés à 35 % par l’assurance maladie ; ensuite, des spécialités de médication familiale, non remboursables, qui font aujourd’hui de Boiron le deuxième laboratoire de médicaments conseil en France.

Pour des raisons historiques et logistiques, Boiron assure la distribution de ses médicaments, ce qui représente une charge très importante. L’enjeu majeur de cette entreprise est aujourd’hui la recherche et le développement. Comme beaucoup de médicaments et de stratégies thérapeutiques traditionnelles et anciennes, ces médicaments ont été insuffisamment évalués jusque-là. L’enjeu de l’entreprise est de développer de façon encore plus active la R&D et de démontrer l’intérêt de santé publique de cette stratégie thérapeutique, traditionnelle et largement répandue dans notre pays.

Mme Marie-Josèphe Baud : Je suis présidente de Sandoz depuis le mois de mars 2007. C’est une filiale, spécialisée dans le domaine des génériques et des biosimilaires, du groupe Novartis. Sandoz est sur le marché français des génériques depuis 2001, essentiellement grâce à l’achat d’une société qui s’appelait GNR. En 2006, à l’issue d’une fusion mondiale avec le groupe Exal, Sandoz a acheté une société Exal qui exerçait en France sous le nom de Gegam dans le domaine du générique, et une autre activité, Biopharmaceutical, qui nous permet d’être le premier laboratoire à proposer non seulement des génériques, mais aussi le premier médicament biosimilaire sur le marché français, le similaire d’une hormone de croissance, qui est un nouveau champ sur le marché du médicament.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je tiens à apporter une information à la connaissance des personnes présentes.

Nous avions prévu d’entendre un représentant des laboratoires homéopathiques au cours de notre première table ronde, en l’occurrence celui des laboratoires Boiron, mais nous avons reçu des appels de la part de certains participants nous demandant de ne pas être auditionnés en même temps que les laboratoires Boiron. Je remercie donc les laboratoires du générique de ne pas avoir fait la même requête. Il fallait le dire, en toute transparence.

Ma question est assez simple. Vous êtes tous présents sur le même marché, avec les mêmes molécules. Comment faites-vous pour assurer la promotion de vos produits auprès des médecins et des pharmaciens ?

Mme Anne Baille : Nous devons résoudre au quotidien cette question, s’agissant du générique.

Quand je développe un médicament générique, je dois démontrer que je suis en train de développer un médicament qui sera la reproduction de celui qui existe déjà et qui a fait ses preuves. Ensuite, quand j’arrive devant un médecin ou un pharmacien, je dois lui expliquer que celui qui est fabriqué par les laboratoires Ranbaxy est celui qui lui convient le mieux, car nous sommes douze ou treize laboratoires en concurrence.

Nous avons tous nos stratégies, nos tactiques et nos particularités. Nous travaillons les uns et les autres sur nos gammes, qui ne sont pas exactement les mêmes. Ces particularités répondent à des besoins qui sont différents. Par ailleurs, nous développons tous des services particuliers, par l’intermédiaire de nos visiteurs pharmaceutiques et de nos clients pharmaciens.

Dans ce pays, le marché du médicament générique repose sur un pilier principal : le pharmacien d’officine, qui a le droit de substitution. Tout notre investissement promotionnel, pour développer ce marché, et nos entreprises au sein de ce marché, repose donc sur le pharmacien. Nos équipes vont visiter les pharmaciens d’officine et leur apportent des services. Ensuite, les pharmaciens d’officine prennent leur décision et achètent, ou non, nos produits.

M. Maurice Chagnaud : Le marché du générique est relativement jeune en France. Certains acteurs ont commencé en 1996-1997, mais les règles ne sont apparues évidentes qu’en 1999, avec le droit de substitution qui a été octroyé aux pharmaciens.

Entre 1996 et 1999, tous les laboratoires présents faisaient le choix du pharmacien, le choix du médecin, le choix d’une stratégie DCI, le choix d’une stratégie de générique « de fantaisie ». Plusieurs solutions étaient possibles. Il fut d’ailleurs très difficile de faire démarrer le médicament générique en France.

Certains acteurs avaient fait très tôt le choix du pharmacien, ce qui était logique. Cependant, on ne pouvait pas demander à un pharmacien d’avoir quinze fois le même produit. À l’époque, Mme Martine Aubry, alors ministre en charge de la santé, accorda un droit de substitution très large, allant jusqu’au médicament princeps, qui permettait au pharmacien de référencer la molécule originale, plus une ou deux molécules génériques, et d’être beaucoup plus efficace.

Nos entreprises sont jeunes, elles ont du mal à se structurer parce qu’elles doivent gérer plusieurs difficultés, à commencer par une croissance très rapide. Aujourd’hui, il y a plus de 300 produits sur le marché. Gérer 300 produits alors que vous démarrez ne se réalise pas du jour au lendemain. Il faut de la qualité, il faut des pharmaciens responsables, il faut libérer des lots, il faut des usines, des centres de conditionnement, etc. En outre, chaque année, en fonction de l’évolution de l’environnement économique, les règles sont un peu modifiées. Cela met l’entreprise en péril, car elle doit chaque année trouver des systèmes encore plus efficaces, pour être toujours aussi compétitive sur le marché.

M. Jean Mallot, coprésident : De quelles règles parlez-vous ?

M. Maurice Chagnaud : Prenez les baisses de prix systématiques sur le médicament générique. Le médicament générique a une logique économique, mais, à un moment donné, il faut laisser aux acteurs le temps d’être efficaces sur le marché. Or, on est allé très vite. On n’a pas attendu que le marché ait atteint 30 % en volume. À peine avait-il atteint 7 % que les baisses de prix ont commencé, voici deux ans. Gemme nous avait alertés, et nous avions communiqué à ce sujet. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans la même situation.

Nous avons de grands conditionnements à réaliser. Nous devons faire en sorte, et c’est une spécificité française, d’être au plus près du médicament éthique, ce qui nous oblige à avoir des conditionnements spécifiques, ce qui n’est pas le cas des autres pays européens ou anglo-saxons. En France, c’est une question de choix et de qualité, mais cela a un coût. Si l’on accepte de dire que la qualité et le packaging sont nécessaires, qu’il faut du blister et du grand conditionnement ; nous sommes prêts à suivre, mais il faut savoir que, à un moment donné, certains produits ne passeront plus en termes de prix de revient industriel.

Sur la base des derniers éléments connus concernant les nouvelles modifications qui s’appliqueront en 2008, 2009 et 2010, on sait, d’ores et déjà, qu’il faudra prendre des décisions et, éventuellement, arrêter certains produits. Dans le domaine hospitalier, c’est encore pire : au bout de trois ou quatre ans, les prix se sont tellement effondrés, que certains acteurs sont obligés de sortir du marché.

Il convient donc de faire très attention : nos entreprises sont jeunes, leur équilibre est extrêmement fragile, très lié à l’environnement et aux prises de décisions politiques, logiques avec l’environnement économique, mais sans qu’on ait toujours bien conscience des enjeux industriels que cela représente.

Mme Catherine Bourrienne-Bautista : L’ensemble de l’industrie des génériques ne génère pas de bénéfices depuis son arrivée sur le marché français. On a demandé aux laboratoires de lancer les produits, d’investir auprès des pharmaciens pour que le marché se développe. Ces investissements pèsent encore très lourd sur les entreprises. Quand interviennent des baisses de prix, quand l’environnement est chahuté très régulièrement, le risque est que certains acteurs et que certains produits disparaissent, notamment les produits anciens, les produits franco-français qui sont déjà à des prix très bas.

Mme Marie-Josèphe Baud : On peut aussi parler des rachats de sociétés : M. Maurice Chagnaud a évoqué le rachat de Aivax par Teva et nous pouvons rappeler celui de Gegam-Exal par Sandoz. Ces sociétés étaient sur le marché du générique et subissaient des pertes abyssales par rapport à leur taille.

Mme Anne Baille : S’agissant des prix, il y a, dans notre environnement économique, quelques mesures qui nous paraissent contreproductives. Je peux vous en citer trois.

La première est la taxe sur les ventes en gros, dont M. Christian Lajoux vous a parlé tout à l’heure et que nous subissons de plein fouet car elle n’est pas déductible.

En effet, nos laboratoires, de manière à développer le marché des médicaments génériques, ont appliqué des techniques de distribution, que nous appelons, dans notre jargon, des « ventes directes ». Celles-ci avaient initialement pour objectif de permettre aux pharmaciens d’avoir un stock suffisant leur permettant de substituer en cas de besoin. Comme il n’est pas possible à un pharmacien de dire à un patient de revenir plus tard pour chercher son médicament générique, on constitue ces stocks par l’intermédiaire de nos visiteurs qui travaillent avec les pharmaciens. Nous avons développé cette stratégie de vente directe, mais, chaque fois que nous développons le marché en utilisant cette tactique, nous payons un peu plus de taxe sur les ventes en gros. Nous sommes taxés exactement comme les grossistes répartiteurs.

La seconde mesure contreproductive est relative aux franchises.

En tant que citoyenne, j’ai mon avis sur les franchises, mais j’ai aussi mon point de vue de chef d’entreprise. Le prix fabricant moyen hors taxe d’un médicament générique est en France de 3 euros ; le prix public est de 5,70 euros. Imaginez ma mère, ma tante ou ma grand-mère : elle paiera 50 centimes pour une boîte qui coûte 5,70 euros ! Et à côté de cela, dans la plupart des départements français, on lui expliquera que, si elle n’accepte pas le générique, elle ne bénéficiera pas du tiers payant. D’un côté, on répète qu’il faut éduquer les patients, qui doivent prendre en charge leur santé, et de l’autre, on leur dit que cela leur coûtera 50 centimes, même s’ils prennent des génériques. Il y a quelque chose à faire, mais je n’ai pas la solution.

Le troisième point sur lequel je souhaite appeler votre attention est celui des grands conditionnements qui est un vrai problème industriel. Certes, le patient ne paiera qu’une fois ces 50 centimes, mais, sur nos séries de produits, nous en sommes à imaginer du conditionnement manuel. Nous faisons les boîtes une par une. Cela n’est pas compatible avec le prix du générique. Résultat : on hésite à entrer sur le marché ; on dit au pharmacien qu’il doit donner des conditionnements industriels, et l’offre générique n’est pas complète. Par rapport à la dynamique que nos autorités semblent vouloir donner à ce marché, c’est une mesure qui ne fonctionne pas.

M. Jean Mallot, coprésident : Si la franchise est forfaitaire, lorsqu’elle s’applique sur un produit peu cher, la proportion du médicament payée par le patient est plus élevée. Il peut ainsi avoir effectivement le sentiment que le générique est moins bien pris en charge.

S’agissant des médicaments homéopathiques, la problématique doit être voisine.

M. Gilles Chaufferin : La problématique est assez proche quant à l’impact de la franchise. Pour nous, le prix de fabrication hors taxe est de 0,90 euro. Avec un taux de remboursement de 25 %, la franchise aboutit quasiment à un déremboursement de l’ordonnance, d’autant que, malgré un coût de l’ordonnance beaucoup plus faible, le volume d’unités délivrées peut être plus élevé. Cela induit un coût supplémentaire par rapport à une ordonnance classique.

Par ailleurs, on nous encourage, ce qui n’est pas simple, à envisager d’autres conditionnements, mais les investissements industriels que cela implique sont très difficiles à supporter.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Que pensez-vous de la remise en cause des marges arrière, dans le cadre de la politique de développement du générique ?

Pensez-vous que cette remise en cause mettra un frein, voire stoppera le développement du générique ? Car le but est de baisser encore le prix du générique.

M. Maurice Chagnaud : Dans tous les pays européens, on a tendance à se rapprocher de la pharmacie. Le pharmacien est à la fois un acteur de santé et un acteur économique. Il a sa propre entreprise. Si l’on fait un rapide calcul, compte tenu de la répartition entre les produits soumis au tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) et les produits qui n’y sont pas soumis, avec la diminution des remises et des marges arrière de 25,74 % à 17 %, lesquelles seront désormais calculées sur des prix diminués en conséquence, le pharmacien va voir sa rémunération diminuer de 4,8 % et 5 % selon les volumes des médicaments vendus soumis au TFR. Au final, l’économie de l’officine en souffrira.

Les syndicats de pharmaciens d’officine ont accepté le principe de continuer à souffrir, mais il est bien évident que, pour nous, une compétition économique va se développer. Cette perspective nous amène à réfléchir à avoir une présence différente aux points de vente : comment faire la différence entre Sandoz, Ranbaxy, Teva, Biogaran et consorts sur le marché, quand vous avez le même produit, aux mêmes conditions économiques, au même moment, car toutes nos sociétés sont capables de lancer un même produit au même moment ?

Il faut donc faire preuve d’un savoir faire intéressant et différent, c’est-à-dire développer d’autres gammes de médicaments, apporter des services différents. Aujourd’hui, l’une des pistes de développement de Teva, suite au rachat d’Aivax, est d’aller très fortement dans l’asthme et dans le service auprès du pharmacien dans l’asthme. Nous allons donc, au cours de l’année 2008, dire aux pharmaciens : si vous le voulez, vous référencerez de manière un peu plus privilégiée la gamme Teva, parce que nous sommes capables de vous apporter un service additionnel – ce que tout le monde n’est pas en mesure de faire – et parce que nous proposons une gamme dans l’asthme, ce que tout le monde n’a pas.

Il nous faut, dans un marché compétitif, parce que nous sommes dans une démarche commerciale, avoir la capacité de faire la différence. Marges arrières ou pas, à un moment donné, il faudra mener une réflexion beaucoup plus globale sur la vente du médicament, notamment générique.

Je ne sais pas si le développement du générique sera freiné. Les marges arrière ont baissé d’une année sur l’autre, passant de quelque chose qui n’était pas structuré, à 20 %, puis à 15 %. Et quand vous regardez le taux de pénétration, au bout de trois mois, des groupes génériques lancés en 2006 et en 2007, vous constatez qu’ils sont inférieurs au taux de pénétration, au bout de trois mois de lancement, des groupes lancés en 2004, 2003 et en 2002. Avec l’oméprazole, on a rapidement atteint un taux de substitution de 75 %. Or, cette année, on n’a pas obtenu, au bout de trois mois, les mêmes résultats sur la modipine ou la terminafine. Il faut bien voir que la compétitivité économique n’est plus tout à fait la même.

Mme Anne Baille : La situation est désormais satisfaisante s’agissant des marges arrière sur les médicaments génériques, notamment grâce à la régulation introduite par la loi Dutreil. Non seulement tout travail mérite salaire, mais il n’est, en l’occurrence, pas facile d’opérer la substitution d’un produit, d’autant que nous lançons environ 40 à 50 nouvelles spécialités chaque année ce qui signifie que, une fois par semaine, les pharmaciens doivent s’informer sur la nature d’un nouveau médicament et repérer les patients qui peuvent être concernés. Cela justifie leur sur-rémunération.

Existe-t-il un risque d’atténuation de la dynamique du marché des génériques ? Compte tenu de la baisse des prix, nous ne pouvons pas investir plus alors qu’il aurait sans doute été possible de dégager des moyens pour nos entreprises, mais aussi, peut-être, pour les officines, afin d’en poursuivre le développement. Nos entreprises internationales, enfin, investissent à perte depuis quelques années et je ne suis pas certaine que l’on pourra convaincre longtemps nos commettants de continuer ainsi.

Mme Catherine Bourrienne-Bautista : Le pharmacien doit en effet conserver un intéressement à la délivrance de médicaments génériques, mais il convient sans doute de réfléchir à l’implication d’autres acteurs qui n’ont pas encore pris leur part dans le développement de ce marché, notamment, les médecins.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Comment réagissez-vous en cas de contournement de médicaments génériques : disposez-vous d’un moyen d’action ou pouvez-vous, à tout le moins, donner un avis ?

M. Maurice Chagnaud : Il n’est pas possible de donner un avis, mais une telle pratique fait partie des règles du jeu. Si cela nous empêche de réaliser une économie, nous sommes également incités et contraints à œuvrer pour rattraper le chiffre d’affaires. À un certain stade, il n’y a de toute façon plus d’échappatoire. La durée de vie du médicament est un peu prolongée dans ce cas-là, mais c’est tout. Nous avons été challenger des brevets sur le plan européen, mais nous considérons que c’est à la Commission européenne de dire que ces produits ont le même service médical rendu (SMR) et qu’ils n’apportent pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR).

Il avait été envisagé voilà deux ans, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), de considérer ces produits comme des génériques. Nous ne pouvons donc que constater la situation ou essayer de l’anticiper de manière à pouvoir « génériquer » ces produits le plus vite possible sur les marchés. Deux ou trois ans sont en général nécessaires.

Mme Marie-Josèphe Baud : Je suis d’accord avec M. Maurice Chagnaud : cela fait partie des règles du jeu et ce n’est pas nous qui pourrons mettre en place une régulation.

Mme Anne Baille : Notre éthique implique de ne pas contrefaire un brevet mais nous challengeons les produits s’ils sont brevetés et s’ils disposent d’une patente solide, ou s’ils sont protégés pour des raisons commerciales et non pour des raisons de propriété intellectuelle.

M. Jean Mallot, coprésident : Dans les années à venir, un grand nombre de médicaments arriveront dans le champ du « génériquable ». Qu’en est-il précisément ? Comment les laboratoires sont-ils organisés ?

M. Maurice Chagnaud : Chaque pays européen produit des brevets à peu près en même temps. Nous disposons en l’état de plus de 700 produits en développement pour être capables de lancer le brevet le jour J dans tous les pays d’Europe. Parce que cela demande des investissements très importants, nous essayons de mettre au point de nouveaux processus de fabrication plus économiques.

Par ailleurs le design des produits change : un grand nombre d’entre eux seront de plus en plus importants en valeur, mais ils auront une rotation très faible compte tenu de leur volume. Tous les laboratoires lanceront entre 40 et 70 lignes de produits par an, mais il ne faut pas s’attendre à de très grands taux de substitution, faute d’une grande visibilité. Les pharmaciens devront donc s’adapter.

Le marché du générique est aujourd’hui très instable parce que tous ses éléments constitutifs ne sont pas figés et que le cycle de vie et de mort du produit est plus rapide : à l’hôpital, des offres de produits disparaissent ! En termes d’échéance de brevets, un grand nombre de molécules de produits hospitaliers tomberont dans le domaine public entre 2008 et 2010.

Mme Anne Baille : La substitution dans le répertoire s’effectue aujourd’hui par groupes génériques ; il s’agit d’une définition réglementaire du médicament générique en référence à l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Or les médicaments de demain seront de plus en plus complexes et relèveront du bio-similaire ou associeront dispositif médical et molécule. Il faudra donc travailler avec les autorités de santé pour trouver des cadres réglementaires permettant aux pays de bénéficier de l’arrivée de médicaments génériques – au sens commun du terme, et pas réglementaire –, mais aussi pour élargir ou créer un répertoire d’équivalents pharmaceutiques.

Mme Marie-Josèphe Baud : Si moins de grandes molécules tomberont dans le domaine public à partir de 2010, nombre de brevets de produits de biotechnologies expireront, ce qui représente des enjeux financiers très importants et implique une approche différente. Sandoz expérimente cela avec une hormone de croissance. Alors qu’avec les génériques nous allons voir les pharmaciens pour favoriser la substitution, nous devons en l’occurrence faire comprendre aux médecins que nous sommes en présence d’un produit dit « bio-similaire » qui coûte moins cher et qui est fabriqué à partir des technologies les plus performantes. Il faut donc créer un nouveau modèle.

Des procès sont en cours sur le droit d’utilisation des marques. Or, si nous ne pouvions plus définir nos produits comme génériques ou bio-similaires d’une marque, nous serions confrontés à un grave problème, puisque nous ne saurions pas comment en parler. Dans ce cas, le droit s’apposerait à nos AMM.

M. Maurice Chagnaud : Teva est également intéressée par les bio-similaires, mais l’investissement en R&D et le taux de succès en bio-équivalence n’ont en l’occurrence rien à voir avec l’investissement générique : les études de bio-équivalence dans le générique s’élèvent entre 600 000 et 2 millions d’euros quand, dans le bio-similaire, les sommes se situent entre 50 et 70 millions de dollars. À cela s’ajoute que, dans le cas d’espèce, les chances de réussite ne sont que de 50 %.

Mme Anne Baille : Les bio-similaires étant en outre des médicaments dont la matière première est biologique, il n’est possible d’optimiser les processus industriels que jusqu’à un certain point, lequel ne sera jamais comparable à celui qu’il est possible d’obtenir dans la chimie classique.

Mme Marie-Josèphe Baud : J’ajoute que, en tant que laboratoire de génériques, nous disposons de services de pharmaco-vigilance qui se montrent encore plus vigilants, bien entendu, avec ce type de produits.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pouvez-vous promouvoir les génériques auprès des médecins ?

Mme Anne Baille : Je souhaite que cela soit possible, mais je n’en ai pas les moyens. La « fuite de prescription hors du répertoire » n’est pas due à la mauvaise volonté des médecins et il faut bien par ailleurs que les laboratoires d’innovation promeuvent de nouvelles molécules. Il s’agit bien plutôt d’une responsabilité collectivité : que voulons-nous ?

En outre, la promotion du maintien de la prescription des standards thérapeutiques doit s’accompagner d’une réflexion sur leur nature que l’AFSSAPS et la HAS peuvent fort bien mener en indiquant ce que doit être, par exemple, l’utilisation de la première génération de statines par rapport à la deuxième. Enfin, à force de vouloir faire trop d’économies, il ne faut évidemment pas priver les patients des bénéfices thérapeutiques de l’innovation.

M. Maurice Chagnaud : Nous disposons de 300 produits et nous en aurons 600 en 2011 : il est inimaginable d’en faire la promotion auprès des médecins car cela coûterait une fortune. Une solution possible consisterait à utiliser les logiciels informatiques de manière à ce que l’ordonnance indique systématiquement les deux produits, sous le nom de marque et sous le nom de dénomination commune internationale (DCI), en laissant aux pharmaciens la possibilité de substitution.

Mme Catherine Bourrienne-Bautista : Les laboratoires ne peuvent certes pas aller voir tous les médecins pour les inciter à prescrire des médicaments génériques, mais ceux-ci disposent de plus en plus de logiciels d’aide à la prescription qui les informent des coûts de l’inscription d’un produit au répertoire et de sa possible substitution. De plus, les médecins peuvent être incités à prescrire dans le répertoire à travers des contrats individuels. Enfin, la mise en place d’un objectif de prescription dans le répertoire serait bienvenue, à l’instar du taux de substitution pour les pharmaciens.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Comment les laboratoires Boiron procèdent-ils auprès des médecins ? Interviennent-ils uniquement auprès de ceux qui sont déjà homéopathes ? Les incitent-ils à se tourner vers l’homéopathie ?

M. Gilles Chaufferin : Notre action est relativement limitée, les médecins choisissant eux-mêmes de se former et d’embrasser cette discipline ; en outre, nous n’aurions pas les moyens de les solliciter : nous disposons de 80 visiteurs médicaux quand Sanofi en a 2 600 et que l’on en dénombre 23 000 en tout dans notre pays.

Nous sommes convaincus que le médicament homéopathique est une chance pour la médecine et pour la santé. La France a d’ailleurs le leadership mondial dans ce domaine. De plus, ces médicaments traditionnels continuent de se développer dans le contexte d’innovation tous azimuts que nous connaissons. L’utilisation de l’homéopathie croît également en automédication. Comment imaginer, dès lors, que des patients achèteraient des médicaments inefficaces ou toxiques ? Nous devons aujourd’hui trouver les moyens économiques permettant d’apporter la preuve scientifique de l’intérêt thérapeutique de l’homéopathie. Une révision de nos prix devrait nous y aider.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Pensez-vous que l’épouvantail des excipients à effet notoire que certains brandissent contre les médicaments génériques – comme s’ils n’existaient pas déjà dans les médicaments princeps – peut toujours faire peur ?

M. Maurice Chagnaud : Comment pourrait-il en être autrement, puisque l’on a répété cela à 23 000 visiteurs médicaux ?

Mme Anne Baille : Les supermarchés sont remplis d’excipients à effet notoire avec le sucre, le pain etc. Un peu de bon sens devrait permettre de remédier à cette situation.

Mme Marie-Josèphe Baud : La suspicion sur les produits génériques touche aujourd’hui un traitement contre l’épilepsie. Il faudra donc insister encore longtemps sur leur bio-équivalence.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie de vos interventions. Si vous avez des remarques ou des suggestions à faire, n’hésitez pas à nous les faire parvenir.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a enfin procédé à l’audition de M. Christophe Weber, président de Laboratoires Internationaux de Recherche (LIR), M. Jean-Christophe Tellier, président de Novartis Pharma, M. Louis Couillard, président directeur général de Pfizer France, et Mme Sabine Dandiguian, présidente directrice générale de Janssen-Cilag France.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie de votre présence et je vous invite, dans un premier temps, à présenter brièvement vos entreprises.

M. Jean-Christophe Tellier : Novartis, troisième groupe pharmaceutique mondial, emploie 100 000 personnes, dont 3 000 en France. Il travaille à 96 % dans le secteur de la santé, en particulier sur les vaccins et diagnostics, les médicaments conseil, la pharma-innovation et les génériques, avec sa filiale Sandoz. Sa part de marché en France s’élève à environ 4 %. Le groupe est présent dans la médecine de ville et hospitalière et possède deux centres de recherche et deux centres de production, dont un centre de biotechnologies.

Mme Sabine Dandiguian : Janssen-Cilag est la partie pharmaceutique d’un grand groupe américain, Johnson & Johnson. Janssen est uniquement centré sur l’innovation et la recherche et ne comporte aucune filiale dévolue au médicament générique. Il possède en France un site industriel et un centre de recherche. À la différence de certains autres groupes, la première préoccupation est de maintenir l’emploi, non de créer des postes. Enfin, le groupe intervient dans le domaine de la santé mentale – schizophrénie – et, plus récemment, dans la recherche sur le VIH et l’onco-hématologie.

M. Christophe Weber : Je suis président de LIR et de GlaxoSmithKline France. Le premier groupe est constitué par une association de 15 laboratoires internationaux de recherches et vise à faire des propositions quant à l’accès aux progrès thérapeutiques en France. Le second comprend 6 600 collaborateurs, possède cinq centres de production, deux centres de recherches, une division pharmacie-recherche et une division santé-grand public.

M. Louis Couillard : Pfizer est le premier investisseur privé mondial en recherche bio-pharmaceutiques. Il est le deuxième en France et en Europe. Il possède trois sites manufacturiers en France, le siège étant situé Porte d’Orléans à Paris. Le groupe comprend plus de 3 500 collaborateurs en France et il est premier dans les domaines cardio-vasculaire et ophtalmologique, le troisième en oncologie.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Un modèle fiscal vous semble-t-il préférable à celui de la France ? Quelles seraient d’après vous les améliorations à apporter au modèle français ?

Mme Sabine Dandiguian : Avec onze taxes, comme l’a rappelé M. Christian Lajoux, le système français est très complexe et insuffisamment lisible : ainsi, le triplement de la taxe sur le chiffre d’affaires décidé il y a quelques années lors de l’examen d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale a impacté les entreprises dès le mois de janvier et une telle imprévisibilité peut remettre en cause des investissements. Il est très difficile de faire comprendre cela aux Américains.

La clause de sauvegarde est également interprétée comme la taxation du succès, de la performance et de l’innovation : on donne à l’État français le produit de notre croissance alors que l’on s’est battu pour obtenir des prix sur des médicaments innovants ! Pendant ce temps, la bagarre est rude et je dois me battre pour préserver nos sites en France.

M. Christophe Weber : La clause de sauvegarde nuit en effet fortement à l’image de la France. La Cour des comptes a estimé qu’elle n’avait pas de rendement, mais ce n’est pas exact, comme l’atteste le rapport du Comité économique des produits de santé (CEPS).

Mme Sabine Dandiguian : À cela s’ajoute que nous devons faire des projections sur l’évolution possible du marché pharmaceutique. Nous dépensons donc une énergie considérable pour essayer d’intégrer dans nos calculs le produit de la taxe.

M. Louis Couillard : Une décision d’investissement sur le territoire français ne se limite pas aux considérations fiscales. En ce qui nous concerne, nous travaillons à l’amélioration de la productivité de nos sites qui font de la recherche clinique, mais il est difficile de le faire en France lorsque l’on considère l’image que les médias en donnent : les patients inscrits dans ces études seraient ni plus ni moins que des cobayes. Dans ces conditions, il est difficile d’attirer des investissements.

À cela s’ajoute la rigidité du code du travail, les incertitudes pesant sur les investissements en raison de cycles de planification très longs. Il est très difficile d’adapter notre outil manufacturier sur le territoire français.

M. Christophe Weber : La France doit se rendre compte du niveau de compétition actuel pour attirer la recherche biomédicale. Récemment, nous souhaitions acheter un terrain pour agrandir un site, mais nous pensons désormais ne pas le faire, car les autorités locales nous ont demandé de nous engager à construire sur ce site dans les cinq à dix ans. Dans certains pays, en revanche, on vous attire en vous donnant le terrain et en construisant les bâtiments.

M. Jean-Christophe Tellier : La situation est d’autant plus complexe, en raison d’un manque de lisibilité. On a parfois le sentiment que la complexité des niveaux de taxation vise plus à identifier des poches potentielles de revenus possibles qu’à illustrer une politique générale.

Nous gagnerions à avoir un positionnement plus clair, plus lisible, plus prévisible pour que, dans nos centres de décision, chez nous, nous puissions positionner la France par rapport à d’autres pays sur certains avantages. On peut défendre une politique par rapport à une autre, mais on a très souvent le sentiment que la France utilise toutes les réserves de productivité sans avoir pour autant une politique générale. Elle se rend ainsi très obscure et très peu prévisible.

Par ailleurs, nous sommes sur des cycles longs. C’est particulièrement vrai pour la recherche, mais cela l’est aussi pour les autres investissements. En tout cas cela nécessite des règles du jeu claires et relativement pérennes. La perte de confiance quant à cette pérennité rend l’attractivité difficile.

M. Louis Couillard : Je veux revenir sur la cohérence de la politique fiscale.

Vous avez parlé de taxes sur le succès et sur la productivité des industries de recherche pharmaceutique. Financer l’impôt recherche en partie par une taxe sur la croissance du chiffre d’affaires générée par l’innovation pharmaceutique relevait d’une bonne intention. Pourtant, au niveau international, ce fut tout à fait contre-productif en raison du moyen utilisé pour financer cette politique.

M. Jean Mallot, coprésident : Comment faites-vous pour étudier, post AMM, un médicament sur les plans scientifique, médical et économique, afin d’orienter vos politiques de recherche, d’action économique, de prix, donc de promotion ?

M. Christophe Weber : Chaque organisation a sa propre méthodologie pour faire ses choix d’investissement recherche, mais ces choix se font dix ou quinze ans avant le lancement du médicament. Dans ces conditions, il y a énormément d’incertitudes : on ne sait pas quelle sera la thérapeutique, d’autres médicaments sont développés par d’autres laboratoires, et l’on sait que 85 % des essais échouent. Il faut donc prendre beaucoup de paris – le plus important est le progrès médical que l’on pense apporter avec ce médicament-là – d’autant que les systèmes de santé seront de plus en plus vigilants pour analyser le bénéfice thérapeutique des médicaments et définir des populations cibles.

C’est donc le progrès médical, ainsi que les probabilités de succès, qui guident les choix d’investissement. Cela relève de l’expertise du laboratoire. Bien sûr, le potentiel économique entre aussi en jeu, mais seulement en troisième position.

Pour confirmer ce progrès thérapeutique, par le biais des études post AMM, nous manquons cruellement, en France, de la possibilité de suivre les patients dans la vie réelle. Une base de données pourrait être mise en œuvre par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ou par d’autres. Cela nous permettrait de mesurer l’impact du médicament sur de larges populations, sur le système de santé et sur son évolution.

Aujourd’hui, pour faire des analyses en population réelle, nous devons nous tourner vers des bases de données existant aux États-Unis ou dans d’autres pays, parce qu’il est très difficile, en France, d’avoir cette capacité d’analyse. On n’y recueille pas suffisamment de données organisées.

Les études post AMM qu’on nous demande de faire sont beaucoup trop coûteuses, puisque nous devons carrément construire des cohortes pour suivre l’impact des médicaments. De nombreux débats ont eu lieu sur les études post AMM. Il semble qu’il y ait un blocage en France. Pourtant, tant que nous n’aurons pas une base de données solide, permettant de suivre des populations réelles dans le système de santé français, nous aurons énormément de mal à mesurer l’impact des médicaments sur la population traitée.

Mme Sabine Dandiguian : Il y a quelques années, on célébrait les décisions d’AMM. Maintenant, on célèbre les autorisations de remboursements. Aujourd’hui, le développement clinique doit intégrer la valeur ajoutée, d’abord pour le patient, pour le thérapeute, mais aussi pour le système de santé. La pression a changé. Aujourd’hui, quand on prévoit des études comparatives, on essaie de les faire par rapport au standard of care, à savoir le médicament qui est le plus prescrit et qui est reconnu comme une référence ; et l’on essaie de faire mieux que cette référence, d’où l’obligation de cibler les populations.

De plus en plus souvent, on proposera des médicaments qui apportent une valeur ajoutée sur une population restreinte. C’est ce que nous avons développé, s’agissant du sida. Aujourd’hui, les trithérapies existent, certes, mais le virus est très intelligent et continue à muter. Nous avons donc ciblé notre recherche sur tous les patients qui résistent à tout ce qui existe aujourd’hui. Ce n’est qu’ainsi que nous parvenons à avoir des remboursements à la hauteur des remboursements européens.

J’ai été très intéressée par certains propos de la précédente table ronde : pour transformer une molécule en médicament, il faut un milliard de dollars, sans être sûrs du succès. Ce sont des modèles économiques tout à fait différents.

Pour revenir sur ce que disait M. Christophe Weber, il est exact que je rêverais d’avoir accès, tout simplement, aux bases de données de la CNAMTS.

Pourquoi nous demande-t-on de faire des suivis post AMM ? Parce que les autorités de santé veulent voir ce que le médicament permettrait comme économies, en dehors de l’enveloppe médicaments : moins de jour de réhospitalisation, moins de rechutes, moins de durée d’hospitalisation. On ne peut pas se fonder sur de telles mesures aux États-Unis, parce que nous sommes dans un système de santé français. Par exemple, nous avons des médicaments contre la schizophrénie. Or la sectorisation psychiatrique est un modèle typiquement français. Il faut donc des mesures dans le système français. Je suis ainsi obligée de créer des cohortes spécifiques en accord avec les autorités, cohortes que je finance totalement – les dépenses ne sont pas déductibles, pour démontrer l’avantage perçu et consolider le remboursement. On pourrait peut-être simplifier, être plus transparents, travailler davantage ensemble en partenariat.

M. Jean-Christophe Tellier : Je pense que la segmentation entre le médical et l’économique est un élément essentiel. Comme le disait M. Christophe Weber, le point de départ est toujours médical. L’un des dangers dans la construction du système futur serait de vouloir trop tôt et trop complètement intriquer l’économique au médical. Selon moi, le point de départ de toute recherche publique biomédicale est de répondre à un besoin médical. La notion de temps est essentielle et le taux d’accrétion est de un pour mille, avec les coûts qui ont été évoqués.

Toutefois le point le plus important reste l’évaluation du médicament. Je prends un exemple : alors que, il y a dix ans, lorsque vous lanciez dans le monde un antihypertenseur, il était testé en gros sur 3 500 patients, nous avons déposé un dossier d’enregistrement sur une nouvelle classe thérapeutique, l’année dernière, avec 12 500 patients. Les exigences de développement se sont donc accrues et son coût devient important.

En outre, même si vous augmentez le nombre de patients et les sous populations sur lesquelles vous testez vos médicaments, notamment en pédiatrie et en gériatrie, vous ne serez jamais dans le contexte réel de prescription. Ce qui manque parfois en France par rapport aux autres pays, c’est une culture épidémiologique, qui fournirait des bases communes accessibles de données de santé publique, sur lesquelles nous pourrions, plus naturellement que nous ne le faisons aujourd’hui, inscrire nos plans de développement post AMM.

On nous demande des plans de gestion de risques, mais cela est relativement peu coordonné : la lisibilité et la clarté des demandes adressées à nos entreprises sur la gestion du risque une fois que nous avons une AMM peuvent être très différentes en fonction de nos interlocuteurs et le manque de coordination crée un délai additionnel. C’est ainsi que nous avons obtenu une AMM européenne, il y a quelque temps, et que nous attendons depuis deux mois la lettre écrite du plan de gestion des risques qui nous permettrait de commencer à travailler sur ce que nous mettrons en œuvre dans le suivi. Cependant, le problème principal tient au fait que les dépenses sont considérées par enveloppe. Il est très difficile de sortir un médicament de l’enveloppe médicament pur, et de démontrer à la collectivité l’avantage économique ou l’économie réalisée sur la prise en charge globale.

Il nous semblerait intéressant de développer dans l’avenir des réseaux épidémiologiques. Il faudrait pouvoir démontrer, plus qu’aujourd’hui, le gain économique que le médicament apporte dans la prise en charge thérapeutique globale. Si vous prenez, sur les cinquante dernières années, dans le domaine de la pathologie cardiovasculaire, le gain en morbimortalité que les traitements ont apportés, vous constatez que le taux de mortalité a été réduit de 80 % et le taux de morbidité de 50 %. Or vous n’avez aucun moyen de valoriser cela dans le système actuel.

M. Louis Couillard : Il faut sept à dix ans pour développer une molécule. La difficulté est d’anticiper le standard de prise en charge dans cette pathologie et les critères qui seront utilisés par les autorités pour évaluer cette amélioration. La prise en compte de ces bases de données nous permettrait d’améliorer l’observance thérapeutique et l’utilisation de nos produits. Chacun sait en effet que la principale cause d’échec thérapeutique est la non-observance dans l’utilisation de nos produits.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Avez-vous pu comparer la vitesse de pénétration des nouvelles molécules dans les différents pays ? Avez-vous pu établir des tableaux comparatifs pour savoir quel temps met une molécule pour pénétrer de manière conséquente en France, en Italie, en Espagne, etc., dans les pays où vous intervenez ? Y a-t-il un rapport évident entre cette vitesse de pénétration et le système de prise en charge des pays, notamment celle des assurances de base ?

M. Christophe Weber : Le groupe LIR a réalisé une étude comparative des taux de pénétration. La conclusion qui en a été tirée est qu’il est quasiment impossible d’apporter une réponse ferme. En fait, il y a des spécificités très fortes en fonction des médicaments.

Par exemple, la France a un atout, l’ATU ou autorisation temporaire d’utilisation d’un médicament. Grâce à elle, des médicaments très innovants, souvent hospitaliers, peuvent être fournis aux patients qui en ont besoin. De cette manière, des patients sont traités plus tôt que dans d’autres pays. Sur ce plan, la France est très bien positionnée. En revanche, pour certaines molécules évaluées par la commission de la transparence, avec une ASMR IV ou V, les discussions qui s’instaurent sont très longues entre la commission de la transparence, le CEPS et le laboratoire. Dans ce cas, en moyenne, le médicament est mis à disposition en France un an et demi ou deux ans après des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne. Cela dépend de la situation dans laquelle vous êtes.

J’ai pris deux exemples extrêmes : l’ATU qui permet un accès à l’innovation thérapeutique, et les difficultés dues au système existant en matière de négociation des prix, de remboursement, etc.

M. Jean-Christophe Tellier : Il est exact que les ATU et les procédures de dépôt de prix sur les ASMR I, II et III ont permis à la France de venir sur les niveaux de prix européens et sur des délais d’accès pour les patients à ces molécules assez proches de ce qui existe dans les autres pays.

Il s’agit en général de produits ou de pathologies pour lesquelles les conditions de consommation sont relativement bien alignées. On voit que, sur les AMM les plus récentes, sur les classes thérapeutiques les plus récentes, il y a moins d’écart entre le moment où les produits arrivent dans les différents pays. C’est probablement là où il y a le plus de convergence d’utilisation des produits dans les différents pays.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Vous avez souligné le manque d’études épidémiologiques. Quel serait, selon vous, le modèle dont nous devrions nous rapprocher ?

M. Christophe Weber : On se rend compte qu’en France, il n’existe pas de gestionnaire de soins. La CNAMTS n’a pas un tel mandat, la HAS non plus. Pour qu’il y en ait un, il faut à la fois qu’il soit bien identifié et qu’il puisse couvrir l’ensemble des soins d’une pathologie donnée.

Les bases de données les plus robustes, actuellement, nous sont données par les Health maintenance organization (HMO) américaines. Il s’agit d’organisations intégrées de management des soins au États-Unis, qui traitent les patients de la médecine libérale à l’hôpital et ont souvent des cohortes très puissantes pour analyser l’effet des médicaments.

M. Jean Mallot, coprésident : Ces bases sont-elles gérées de façon partenariale ?

M. Christophe Weber : Non, ce sont en règle générale des organisations privées. Néanmoins, l’important est que ce sont des gestionnaires de soins. Il faudra qu’un jour, en France, on crée un gestionnaire de soins.

Mme Sabine Dandiguian : L’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) possède beaucoup de données sur les affections de longue durée (ALD) et l’on peut faire le lien entre le diagnostic et la prescription. Cela est déjà très intéressant. Il faudrait pouvoir aller au-delà des seules données concernant le médicament, pour disposer de données concernant tous les frais pris en charge et obtenir un coût par patient. Le système américain est tellement axé sur la rentabilité qu’il intègre même la prévention. Toutefois si nous avions au moins accès aux données relatives aux ALD, qui sont assez claires parce qu’elles intègrent le diagnostic, le traitement et le nombre de consultations, ce serait intéressant. Or ces données existent en France.

M. Louis Couillard : La France dispose d’un outil phénoménal avec cette base de données de la CNAMTS, mais on ne sait pas l’exploiter. Pour des raisons qui semblent parfois dogmatiques, on ne se donne pas les moyens d’exploiter des gisements de productivité et d’efficacité.

Mme Sabine Dandiguian : Je ne crois pas qu’il s’agisse de raisons dogmatiques. Les données existent, mais encore faut-il organiser l’information, savoir qui y a accès et comment. Ce n’est pas facile techniquement. En tout cas s’il y avait un jour une vraie volonté politique d’y aller, au moins disposerions-nous immédiatement de données objectives existant sur le territoire national.

M. Jean-Christophe Tellier : Culturellement, on cherche dans l’analyse des données ce qu’on veut y trouver. En fonction de la position que vous avez sur l’échiquier, vous sortez les données qui vous intéressent et, à la fin de la discussion, si ces données vont dans le sens que vous êtes censé défendre, vous les prenez, sinon vous ne les utilisez pas !

C’est là où la France pêche culturellement. Elle a plutôt une histoire anatomo-clinique que statistique. La capacité à mettre en commun des informations, à les analyser et à en sortir des données est relativement récente.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Cela ne vient-il pas aussi du cloisonnement des professionnels de santé ? Je pense notamment aux médecins, avec la médecine de ville et la médecine hospitalière. Ce cloisonnement n’existe peut-être pas dans les autres pays. Sans compter leur résistance à rendre des comptes sur l’efficacité d’un acte médical. Ne pensez-vous pas que cela participe aux lacunes de l’épidémiologie ?

Mme Sabine Dandiguian : La médecine est une vocation et il est très difficile aux médecins de rendre des comptes, surtout économiques, sur leurs prescriptions. N’oublions pas non plus que la médecine n’est pas une science exacte. S’il suffisait d’avoir des ordinateurs pour établir la prescription idéale, cela ne donnerait pas autant de soucis au corps médical. Il y a, en tout cas, une vraie résistance de la part de celui-ci, en France peut-être plus qu’ailleurs. Un médecin ne gagne pas plus selon que la prescription médicale porte sur deux ou quatre médicaments ; c’est l’intuition médicale qui lui a fait penser que son choix était le meilleur pour son patient.

Il y a également un manque de transparence entre le monde hospitalier et la ville. On a parlé du dossier médical. Pourquoi n’arriverait-on pas à avoir une vraie continuité des soins ? Aujourd’hui, le parcours de soins a redonné un certain sens et il a été finalement été bien accepté. Il faut aller plus loin.

Cela étant, je suis assez d’accord : les médecins n’acceptent pas forcément ce genre de discours.

M. Jean-Christophe Tellier : Une bonne partie de l’effet de croissance du médicament de ville est liée en fait à des transferts de l’hôpital vers la ville, sur des prescriptions de médicaments qui sont normalement hospitalières. À partir du moment où l’on joue sur les enveloppes pour contrôler les coûts d’un côté et mettre une croissance artificielle de l’autre, on perd la vision globale qui permet de prendre des décisions d’allocation de ressources ayant du sens par rapport à la santé publique.

Je veux également revenir sur la séparation du médical et de l’économique qui a été évoquée au début de cette table ronde.

Historiquement, la France a défendu depuis toujours la position suivante : indépendance médicale, responsabilité du médecin dans l’acte de prescription et de diagnostic. C’est un élément fondamental et l’arrivée de l’économie est souvent perçue par le monde médical comme une limitation et une contrainte à sa liberté de prescription.

Il ne faut pas trop rapprocher le médical et l’économique. Souvent, la contrainte ou le cadre médical n’est présenté que sous l’aspect économique. Le bon usage du médicament, la conservation de la liberté du médecin dans le cadre de ses prescriptions sont essentielles, mais cela n’est pas antinomique avec la volonté d’avoir un gestionnaire de soins qui donne des faits, qui partage ses informations et qui permet de progresser.

M. Louis Couillard : Une partie du problème provient de la question initiale posée. Les intervenants du domaine de la santé se positionnent différemment selon que l’objectif prioritaire est de réduire les coûts, ou bien de maintenir ou d’améliorer la qualité des soins.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Que pensez-vous de la nouvelle compétence médico-économique que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 donne à la HAS ?

M. Jean-Christophe Tellier : L’évaluation médico-économique est nécessaire, d’autant qu’elle s’inscrit dans le cadre réel de la prescription, plutôt post que pré AMM.

Par ailleurs, il est souhaitable que l’on développe l’épidémiologie. Pour ce faire, il faudra avoir des bases et des structures dont nous ne disposons pas forcément aujourd’hui.

Enfin, je reste un fervent adepte de la séparation des pouvoirs. Je pense qu’une AMM qui prend en compte le bénéfice et le risque sur le simple et unique fait médical résultant des études cliniques, une commission de la transparence qui définit un service médical rendu et un comité économique qui fixe un prix, garantissent que l’économique et le bénéfice collectif ne prendront pas le pas sur l’intérêt individuel du patient. Je serais moins en confiance si l’on mettait en place, demain, un système d’évaluation médico-économique en amont, qui justifierait des choix sur de seules bases économiques et ferait perdre des chances aux patients.

M. Jean Mallot, coprésident : Est-ce un point de vue partagé ?

Mme Sabine Dandiguian : Absolument ! Le système français, au niveau européen, est assez exemplaire grâce à la transparence des travaux du Comité économique des produits de santé, qui ne fonctionne pas mal : des experts médecins traitent de la valeur ajoutée médicale du médicament. La prise en compte de critères médico-économiques est normale dans le monde où nous vivons. Évaluer le vrai apport médico-économique et sociétal d’un médicament après sa mise sur le marché dans le système de santé tel qu’il est, est légitime.

Cependant j’ai des craintes quand je constate le pouvoir donné aux caisses d’organiser des arrangements médico-économiques individuels avec les médecins.

On voit ce qui se passe dans d’autres pays, en particulier en Angleterre, où l’on vient de vivre un cas dramatique de refus de remboursement de certains de nos médicaments. Lorsque le médico- économique prime, on en vient à parler de la valeur de la vie d’un patient âgé par rapport à celle de la vie d’un patient actif. En Angleterre, quand vous avez plus de soixante-quinze ans, vous avez du mal à être dialysé ; quand vous avez un cancer et que vous n’avez pas arrêté de fumer, vous n’avez plus la deuxième chimiothérapie : cela coûte trop cher à la société, vous n’avez pas consenti les efforts nécessaires. Un jugement moral est donc porté à cet égard.

Beaucoup de choses ont été mises en place par le législateur. Des précautions ont été prises, mais une brèche est ouverte. Je parle plutôt en tant que citoyenne. Vous êtes les élus du peuple et vous devez faire attention. Que les médecins en France ne soient pas obsédés par l’économique est un des points fort du système français, qui reste généreux. Quand on est très âgé, on a exactement les mêmes droits et le même accès aux médicaments. Nous avons des médicaments qui concernent les cancers de patients extrêmement âgés et nous rencontrons des difficultés en Angleterre parce que la vie d’un patient de plus de soixante-quinze ans n’a pas la même valeur que celle d’un patient actif. Ce sont des débats auxquels je me refuse absolument. Faites donc bien attention, en tant que législateurs, à mettre des barrières et à contrôler ce type de brèche.

Encore une fois, je parle en tant que citoyenne, parce que, en tant que laboratoire, des études médico-économiques nous sont demandées, et nous les ferons. En revanche, j’ai été assez inquiète de voir que des caisses locales de sécurité sociale commençaient à dire aux médecins que, pour avoir une prime à la fin de l’année, il ne fallait pas dépasser l’enveloppe fixée. Cela signifie qu’ils essaieront de limiter la prise en charge de patients atteints du VIH ou des patients très âgés en ALD.

M. Jean Mallot, coprésident : On a beaucoup parlé du circuit de mise au point, de la distribution du médicament, de sa surveillance et de son suivi. Cependant, il existe d’autres moyens de promotion et de commercialisation du médicament, via Internet notamment. Qu’en pensez-vous ? Comment réagissez-vous ? Il y a des risques bien connus : mauvaise utilisation, contrefaçon, perte de contrôle du système. Comment êtes-vous organisés pour lutter contre ces problèmes ?

M. Louis Couillard : Internet est une porte d’entrée à la contrefaçon et peut poser un problème important de santé publique. En tant que représentant de Pfizer, je peux vous dire que l’un de nos médicaments a probablement été le plus sujet à la contrefaçon et à la distribution dans les canaux alternatifs de distribution.

En France, nous n’avons pas rencontré ce problème de façon marquée parce que les réseaux de distribution sont bien hermétiques. En revanche nous avons eu des soucis importants en Angleterre au cours de la dernière année, avec plusieurs exemples de thérapies pour des problèmes chroniques, un fort volume de contrefaçon ayant été introduit dans les réseaux de distribution.

M. Jean Mallot, coprésident : Quelles solutions proposer pour répondre à de tels problèmes ?

M. Christophe Weber : Même aux États-Unis, la délivrance du médicament par Internet n’a pas pris une part très importante du marché, en tout cas moins importante qu’on ne l’avait pensé il y a dix ans : aujourd’hui, elle est de l’ordre de 20 %. Finalement, les patients aiment bien aller dans leurs officines pour chercher leurs médicaments. Néanmoins, Internet répond à une demande précise de certains patients ; Je pense donc que ce serait une erreur de fermer complètement cette option Internet. Il convient simplement de trouver un moyen pour la maîtriser. Ne pourrait-on pas autoriser les pharmacies à utiliser Internet pour envoyer des médicaments aux patients qu’ils connaissent, par exemple pour les renouvellements ?

Certes, Internet dématérialise la chaîne de production, ce qui présente des risques de contrefaçon. On peut donc interdire, mais on peut aussi décider de construire un système Internet maîtrisé, qui repose sur la chaîne française actuelle qui est malgré tout très solide par rapport à la contrefaçon.

Mme Sabine Dandiguian : S’agissant de la contrefaçon et de la distribution, nous sommes assez protégés. Parlons cependant de la communication aux patients.

Aujourd’hui, les patients vont sur Internet pour avoir des informations sur nos médicaments, informations qui ne sont absolument pas contrôlées. Je pose la question au législateur : comment encadrer l’industrie pharmaceutique pour l’autoriser à communiquer avec les patients, en particulier sur la problématique de l’observance ? Aujourd’hui, il y a des peurs et des stigmatisations. Je suis prête à prendre le pari de faire une expérimentation dans un domaine très particulier, celui de la santé mentale. Si l’on n’aide pas les patients et les familles à bien observer les traitements on n’en sortira pas, aussi géniales que puissent être nos molécules.

Aujourd’hui, sur Internet, il y a un accès non contrôlé et une communication sauvage sur les maladies et les médicaments. Comment pourrait-on faire pour que nous soyons un peu plus libres de communiquer ? On pourrait, ensemble, mettre en place des programmes, y compris sur Internet, pour améliorer l’observance des médicaments.

Actuellement, il n’y a aucune confiance entre nous, les acteurs, les autorités et les laboratoires pour mettre en place des programmes. Internet vit sa vie et je demande à mes équipes de ne pas trop s’en occuper, car c’est très compliqué. Clarifions la législation, menons des expérimentations sur certaines pathologies extrêmement graves – pour moi, ce serait la santé mentale – et voyons s’il est possible de ne pas utiliser cet outil. Le monde de demain se fera avec Internet, avec une information 24 heures sur 24 dans le monde entier. Le monde de demain devra intégrer complètement Internet parmi les outils de communication.

Je ne pense pas qu’en France on utilise au mieux ce qui pourrait être une opportunité, probablement pas dans la distribution, en ce qui me concerne, mais dans la communication vis-à-vis des patients et de leurs familles.

M. Louis Couillard : Je suis d’accord sur l’utilisation d’Internet en tant qu’instrument de communication, mais pas pour la distribution.

M. Christophe Weber : On est tous d’accord.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Toutes vos interventions depuis une heure sont extrêmement pertinentes, mais j’ai entendu parler du « modèle » américain.

M. Christophe Weber : Il a bien des défauts.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Néanmoins, il permet de réunir les conditions pour mieux suivre la vie réelle du médicament au jour le jour. Malgré tout cela, il reste quand même 50 millions d’Américains sans couverture sociale.

M. Christophe Weber : Nous sommes bien d’accord.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Êtes-vous d’accord pour dire qu’il faut maintenir une prise en charge la plus large possible et que le législateur doit être très vigilant sur ce point ?

M. Christophe Weber : Le choix de solidarité de la France est très respectueux de l’intérêt du patient.

Mme Sabine Dandiguian : Le système américain n’est pas un système exemplaire, bien au contraire. Nous parlions du suivi épidémiologique, qui est une grande tradition dans la culture américaine. Le calcul du risque cardio-vasculaire par Framingham, par exemple, a beaucoup apporté. Cependant, en dehors de cela, je suis tout à fait d’accord avec vous. Le système français a une certaine générosité dont nous devons nous enorgueillir. Ce n’est pas un hasard si tant d’Anglais viennent se faire soigner en France.

Il reste encore beaucoup à faire en termes d’observance, car le médicament n’est qu’une réponse partielle à une maladie. J’ai l’impression qu’on n’accueille pas suffisamment les industriels du médicament autour de la table pour réfléchir à la mise en place de prises en charge globales des pathologies. On les exclurait plutôt. Or nous ne pourrons vaincre certains fléaux que tous ensemble.

Le médicament est très important, mais, je le répète ce n’est qu’une réponse partielle. Il doit être correctement accompagné. Pour notre part, nous parlons de schizophrénie, de patients qui rechutent et qui deviennent des serial killer ou des SDF. Comment faire si le médicament n’est pas pris correctement et que les familles ne sont pas associées à la prise en charge ? Mettons nous tous ensemble autour de la table et expérimentons.

M. Jean-Christophe Tellier : Souvent, on pense que la sévérité de la maladie est en corrélation directe avec l’observance. Mais ce n’est pas si évident. Nous avons eu le bonheur de produire un produit actif dans une maladie qui était 100 % mortelle, la leucémie myéloïde chronique. On pouvait imaginer qu’avec un tel médicament qui permettait aux patients de vivre, un produit qui n’a pas de problèmes particuliers et qui n’est pas contraignant, l’observance serait au maximum. Or, on s’est aperçu qu’on avait 60 à 80 % d’observance seulement.

J’ai pris cet exemple parce qu’il montre que laisser le patient trop en dehors de la prise en charge d’une maladie qui est la sienne conduit forcément, quel que soit le bien fondé de ce qui est fait autour, à des échecs au moins partiels. Quand vous savez que vous contrôlez de façon satisfaisante un diabétique sur deux et un hypertendu sur trois, vous mesurez les progrès qu’il reste à accomplir, même si les chiffres sont peut-être un peu gonflés.

Responsabiliser le patient passe forcément par un accès à l’information et par l’implication du patient et de son entourage dans la chaîne des soins. Nous laisser en dehors de cette problématique, c’est perdre une opportunité. Nous ne connaissons pas trop mal nos médicaments et l’on peut imaginer que notre intérêt est que les patients soient bien traités. Je n’ai aucun intérêt, de mon côté, à ce que des patients soient traités alors qu’ils n’en ont pas besoin, ou qu’ils ne prennent pas les médicaments dont ils ont besoin.

M. Jean Mallot, coprésident : Merci de votre participation fort intéressante et je renouvelle ma demande : si vous souhaitez compléter la séance de ce matin par des contributions, quelles qu’elles soient, n’hésitez pas à nous les faire parvenir.

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1 () Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé