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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 31 janvier 2008

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments

– M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général, et M. Aquilino Morelle, inspecteur, membres de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

– M. Philippe Brunet, directeur du cabinet du commissaire européen en charge de la santé 8

– M. Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de la revue Prescrire 15

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition de M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général, et M. Aquilino Morelle, inspecteur, membres de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

M. Pierre Morange, coprésident : Je souhaite la bienvenue à M. Pierre-Louis Bras, coauteur du rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), de septembre 2007, relatif à « l’information des médecins généralistes sur le médicament », et M. Aquilino Morelle, coauteur du rapport de l’IGAS, d’août 2007, relatif à « l’encadrement des programmes d’accompagnement des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques ».

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelles sont les principales conclusions de vos rapports respectifs ?

M. Pierre-Louis Bras : L’industrie pharmaceutique joue un rôle prééminent dans l’information des généralistes sur le médicament, notamment à travers la visite médicale : chaque médecin reçoit de 300 à 330 visites par an ; les laboratoires dépensent 25 000 euros par généraliste et par an. La visite médicale est évidemment aussi un instrument de promotion, avec trois défauts majeurs au regard des standards de l’objectivité : les visiteurs médicaux sont intéressés aux ventes ; ne sont promus que les médicaments générant une marge ; la visite médicale, qui dure huit minutes, ne permet pas de discuter en détail des produits et de les comparer entre eux. En outre, le coût de la visite médicale est élevé et les laboratoires le font payer à la collectivité.

L’action des pouvoirs publics reste timide. La Haute Autorité de santé, la HAS, vient juste de lancer une politique de communication. Quant aux délégués de l’assurance maladie, les DAM, ils font des contre-visites mais le système est lui aussi coûteux pour la collectivité.

Il conviendrait d’abord de conforter l’action de l’HAS en lui conférant un rôle de promotion du bon usage du médicament, de veille sur la qualité de l’information et d’intervention vis-à-vis des laboratoires.

Il faudrait ensuite exiger des résultats de la part des DAM.

On devrait enfin réduire le volume de la promotion pharmaceutique, information dispensée gratuitement et agréable pour les médecins mais moins objective que la consultation des sites des agences sanitaires, et recourir davantage à l’évaluation des pratiques professionnelles – l’EPP – ou la formation médicale continue.

M. Aquilino Morelle : Par rapport aux visites médicales, les programmes dits d’« observance » ou d’« apprentissage » constituent une figure nouvelle de l’intervention de l’industrie pharmaceutique dans le monde de la santé. Ils sont supposés encadrer les patients pour l’apprentissage technique de l’administration des médicaments et l’éducation thérapeutique en vue de réduire le défaut d’observance. Depuis l’apparition de ces programmes, en 2003, le nombre de dossiers présentés devant l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, a considérablement crû, surtout cette année. Dans le même temps, la France cherchait à introduire dans son droit des dispositions communautaires ouvrant la voie à ce développement, la procédure suivie au départ étant sui generis.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous des chiffres illustrant ce développement des programmes d’observance ?

M. Aquilino Morelle : De 2003 à 2008, dix-huit dossiers ont été présentés, quinze ont déjà été examinés, huit acceptés et sept refusés. Les chiffres peuvent paraître limités mais la croissance est soutenue.

M. Pierre Morange, coprésident : Qu’est-ce qu’un « dossier » ?

M. Aquilino Morelle : Il s’agit d’une demande d’autorisation déposée par un laboratoire pharmaceutique en vue d’organiser un programme d’observance, c’est-à-dire, une fois le médicament prescrit, un suivi du patient par téléphone à travers une plate-forme médicale. Le volume de patients est faible, de l’ordre de quelques centaines – les indications portent sur l’ostéoporose ou d’autres maladies nécessitant des traitements très lourds –, mais le mouvement est croissant.

La procédure n’entre dans aucune case juridique existante : ni dans le régime de la publicité grand public, ni dans celui de la publicité professionnelle, ni dans celui de l’information.

Nous n’avons pas prouvé l’existence d’un modèle économique expliquant l’insistance avec laquelle l’industrie pharmaceutique souhaite développer ces programmes. Il est certain, en revanche, qu’ils suscitent une très grande méfiance de la part des autorités de santé, des associations de patients et des acteurs importants du secteur, notamment la revue indépendante Prescrire et de nombreux parlementaires. Cette réticence est fondée sur la crainte que ces programmes ne visent en réalité à fidéliser les patients à un produit donné, avec des préoccupations plus mercantiles que de santé publique.

M. Jean Mallot, coprésident : Ces craintes s’appuient-elles sur l’expérience vécue dans d’autres pays ?

« M. Aquilino Morelle : Ces programmes existent ailleurs, notamment aux États-Unis, sous une forme radicale : des publicités directes auprès du grand public pour tous les médicaments. Beaucoup de professionnels ont craint que la France ne s’engage dans cette voie au moment précis où les pays qui l’ont expérimentée tentent de revenir en arrière.

M. Pierre Morange, coprésident : Le caractère particulier du système assurantiel américain introduit lui-même un biais en matière d’observance des traitements. La comparaison est plus aisée avec les autres systèmes européens. Les tendances de fond qui y sont observées offrent-elles un éclairage pour la France ?

M. Aquilino Morelle : Pour ma part, je ne dispose pas d’éléments de comparaison.

M. Pierre-Louis Bras : L’observance est un problème réel mais l’intervention des laboratoires n’est pas la seule manière de la promouvoir. Aux États-Unis, tenant compte du conflit d’intérêt qui risque de toucher les laboratoires, les assureurs ont développé le disease management. En France, une première expérimentation de ce type vient d’être annoncée par la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, avec le service « sophia », qui concerne l’observance et la modification des comportements des patients chroniques. Au Royaume-Uni, le nouveau système de rémunération des cabinets à la performance est destiné à inciter ces derniers à adopter une attitude proactive vis-à-vis du comportement des patients.

L’observance est un vrai problème et les laboratoires, quels que soient leurs espoirs commerciaux, n’ont pas les moyens d’investir à la hauteur des besoins.

M. Aquilino Morelle : Notre première recommandation est d’interdire explicitement dans la loi française le contact direct ou indirect entre l’industrie pharmaceutique et le patient. Il serait toutefois possible de déroger à ce principe de portée générale dans les cas où les programmes seraient conduits au bénéfice exclusif ou principal du patient et non dans une logique condamnable de fidélisation. Nous préconisons de réserver cette possibilité de dérogation aux programmes d’apprentissage, c’est-à-dire portant sur des traitements pour lesquels une petite formation apparaît souhaitable. Pour les programmes d’observance, la plus grande rigueur nous semble requise.

Par ailleurs, pour clarifier la procédure, deux voies sont possibles : laisser l’AFSSAPS continuer d’instruire les dossiers ou en transférer la responsabilité à l’HAS. C’est un choix de pure opportunité qui incombe au ministre.

Il convient aussi d’encadrer le travail des plates-formes pour s’assurer que leur fonctionnement est le plus compatible possible avec l’intérêt des patients et les impératifs de santé publique.

Enfin, il nous paraît nécessaire de promouvoir la position française au sein de l’espace européen. La Commission européenne se montre assez allante sur ce sujet, contrairement à la Cour de justice des Communautés européennes, favorable à une définition la plus large possible de la publicité afin de protéger les populations du contact direct avec l’industrie pharmaceutique. Nous pensons qu’il convient de s’appuyer sur cette jurisprudence.

M. Pierre-Louis Bras : Dans les critères de bonne information qu’elle propose, la Commission européenne considère que l’identité de l’émetteur de l’information n’est pas un élément pour juger de la qualité de cette information, même s’il est animé par un intérêt matériel. Cette appréciation laisserait le champ libre à l’industrie pharmaceutique. Les laboratoires français se défendent d’être intéressés et déclarent que seuls leurs concurrents étrangers souhaitent voir étendues en Europe les pratiques ayant cours ailleurs.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Le système des visites médicales est-il aussi prégnant, à l’étranger, notamment dans les autres pays européens ? La charte de la visite médicale a-t-elle vraiment modifié les comportements ? Les médecins sont-ils au courant de son existence ? Quand un visiteur médical se présente dans un cabinet de médecine libérale, la jolie plaquette de promotion du produit est-elle toujours accompagnée de sa fiche de transparence ?

M. Pierre-Louis Bras : Les entreprises du médicament – LEEM – et IMS Health ont refusé de nous communiquer des données mesurant l’intensité relative des visites médicales. Nous nous sommes donc appuyés sur des chiffres provenant du réseau international de la CNAMTS et sur ceux concernant les États-Unis, qui sont clairs. Nous avons calculé le rapport entre le nombre des visiteurs médicaux et celui des médecins. Le résultat doit être considéré avec prudence, ce n’est qu’une invitation à la réflexion, mais il en ressort que l’intensité de la visite médicale est plus forte en France que dans tous les autres pays européens – nous arrivons juste après les États-Unis. Si le LEEM, comme il le prétend, dispose d’autres chiffres, qu’il les produise. Le fait est que la rentabilité de la visite est plus élevée en France qu’ailleurs en Europe, ce qui incite les laboratoires à investir.

La charte de la visite médicale a permis d’améliorer la qualité des échantillons, impératif de santé publique. Pour le reste, je ne pense pas qu’elle ait entraîné des progrès significatifs, les laboratoires n’étant pas disposés à s’imposer des contraintes supplémentaires en matière de marketing et de vente. Le volet engagement quantitatif sur le nombre de visites mériterait des commentaires particuliers.

D’après l’observatoire du médicament mis en place par la revue Prescrire, un document est diffusé assez systématiquement : la fiche de transparence. De toute façon, au-delà des documents, l’essentiel, dans la visite, est le face-à-face personnel entre le visiteur et le médecin.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans votre rapport, vous préconisez d’aller au bout de la logique qui avait conduit à la création de l’HAS. Parallèlement, vous insistez sur le rôle des DAM. Comment le travail de l’HAS doit-il s’articuler avec celui de la CNAMTS, sur les plans structurel, hiérarchique et budgétaire ?

M. Pierre-Louis Bras : Si nous étions devant une page blanche, il serait nettement préférable de créer un réseau public de visiteurs médicaux adossé à l’HAS plutôt qu’à la CNAMTS.

M. Pierre Morange, coprésident : L’UFC-Que choisir propose la constitution d’un corps de quelque 1 700 délégués, dont un tiers de médecins et deux tiers d’infirmières. Au regard des contraintes budgétaires et de la démographie médicale et paramédicale, cette idée est bien théorique.

M. Pierre-Louis Bras : Si le travail des DAM se médicalise – ce qui est souhaitable –, il faudra certifier leur réseau et exiger des formations équivalentes à celles dispensées par l’industrie pharmaceutique à travers les diplômes de visiteur médical. Des contacts informels existent déjà : la CNAMTS soumet certains documents à l’HAS et tient compte de ses avis. Il faut maintenant formaliser ces habitudes.

Par ailleurs, puisque nous proposons que l’HAS aille plus loin dans la politique de promotion du bon usage, il faut aussi qu’elle puisse recourir à l’outil le plus efficace pour faire passer un message auprès du médecin : la visite en face-à-face. Nous avons donc suggéré que l’HAS perçoive un budget afin de lancer des campagnes de visites médicales. Pour ne pas l’enfermer dans une relation avec la CNAMTS, nous recommandons qu’elle puisse passer des appels d’offres en direction de prestataires de l’industrie pharmaceutique. Si le réseau est subordonné à un double pilotage, cela ne marchera pas, tout le monde le sait.

M. Jean Mallot, coprésident : Comment seraient financés ces moyens supplémentaires dont l’HAS aurait besoin ?

M. Pierre-Louis Bras : Pour quelques campagnes, nous avons chiffré le besoin à un montant de 10 à 18 millions d’euros. Nous proposons par ailleurs d’accroître la taxe sur la promotion.

M. Pierre Morange, coprésident : Ces moyens proviendraient-ils d’un transfert budgétaire de la CNAMTS vers l’HAS ou d’une dotation d’État spécifique prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale ?

M. Jean Mallot, coprésident : Si les moyens alloués sont faibles, l’impact sera faible.

M. Pierre-Louis Bras : La plupart des actions entreprises par les pouvoirs publics en direction des médecins visent à contrecarrer les messages envoyés par l’industrie pharmaceutique – essayer, par exemple, de promouvoir à nouveau les antibiotiques de première génération, extrêmement indiqués pour les affections ORL. Par souci des deniers publics, le premier enjeu consiste donc à faire baisser le niveau de la promotion. Ensuite, l’augmentation de la taxe sur la promotion pourrait tout à fait financer cette capacité de l’HAS à mobiliser un réseau de visites médicales.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelle est la place des professionnels de santé dans les dispositifs d’observance ? Les compétences des réseaux existants – maintien à domicile, diabète, toxicomanie, etc. – ne sont-elles pas négligées ? Ne serait-il pas possible d’agir avec ces réseaux ?

M. Aquilino Morelle : Il faudrait non seulement agir avec eux mais aussi les développer. L’éducation thérapeutique est aujourd’hui le parent pauvre de la santé publique, elle-même dans un état peu glorieux. Céder le peu d’espace existant à l’industrie pharmaceutique est une mauvaise idée pour le patient comme pour le corps médical et tout le monde paramédical, notamment les pharmaciens. Cela revient en effet à vider de son sens la relation médecin-malade, rencontre d’une conscience et d’une confiance, et à dénaturer toute la chaîne médicale. Tous les professionnels, à commencer par l’Ordre des médecins et l’Ordre des pharmaciens, sont rétifs à l’idée de confier l’éducation thérapeutique à l’industrie pharmaceutique. Les réseaux de santé devraient être développés dans des conditions garantissant leur indépendance.

M. Pierre Morange, coprésident : Il faut rappeler que la CNAMTS vient de prendre des mesures d’éducation thérapeutique, concernant notamment la prise en charge du diabète et la prévention des amputations qui peuvent en résulter.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quels types de personnels la CNAMTS emploie-t-elle, ou compte-t-elle employer, sur ses plates-formes téléphoniques ? S’agit-il d’acteurs des réseaux ou de nouvelles recrues ?

M. Pierre-Louis Bras : Il vaudrait mieux poser la question à la CNAMTS mais j’ai cru comprendre qu’il s’agirait d’infirmières. Sur les plates-formes téléphoniques d’accompagnement des patients victimes de maladies chroniques, la personne qui répond doit avoir une capacité de jugement clinique. À l’étranger, ce sont au minimum des personnels paramédicaux. Je suppose que la CNAMTS va recruter des infirmières. Mais l’expérience est limitée puisqu’elle ne concernera que 136 000 patients.

M. Jean Mallot, coprésident : Les moyens contemporains de communication modifient les relations, d’une part, entre les laboratoires et les prescripteurs, d’autre part, entre les laboratoires et les patients. Quel est l’impact qualitatif, notamment du point de vue de la maîtrise ?

M. Pierre-Louis Bras : N’ayant pas travaillé sur le thème de l’automédication, je préfère m’abstenir de répondre.

M. Aquilino Morelle : La Cour de justice des Communautés européennes a explicitement reconnu le caractère de publicité aux informations sur les médicaments diffusées sur Internet. Je n’ai pas visité les sites un par un, j’ignore ce qui s’y passe en pratique, mais ils restent soumis à l’interdiction.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Avez-vous entendu des médecins formuler des demandes précises en ce qui concerne leur information ?

M. Pierre-Louis Bras : Nous avons réalisé un sondage auprès des médecins sur la façon dont ils ressentent l’information. D’abord, 90 % d’entre eux se disent bien informés sur les médicaments. Leur première attente porte sur la comparaison entre médicaments, pour établir un bilan des mérites respectifs. D’autres demandes concernent les aspects pratiques – effets secondaires, posologies, prescriptions pédiatriques, etc.

Mais les besoins varient selon la typologie des médecins. Ceux qui travaillent intensément voient beaucoup de visiteurs médicaux et sont très satisfaits de leur information sur les médicaments. Ceux qui voient le moins de visiteurs médicaux sont les plus insatisfaits de leur information sur les médicaments. Attention, cela peut signifier que les médecins les plus critiques vis-à-vis de la visite médicale sont ceux qui s’estiment mal informés et qui se montrent les plus proactifs dans la recherche d’informations. Et puis, entre les deux extrémités du spectre, il existe une série d’attitudes intermédiaires. Il ne faut jamais généraliser.

Pour les médecins, la visite médicale est ambivalente : ils la voient comme un outil intéressant, adapté à leur pratique – les visiteurs sont de bons commerciaux, disponibles, agréables, qui patientent longtemps dans la salle d’attente –, mais ils ne sont que 27 % à la considérer objective. Les médecins pensent avoir une capacité de discernement vis-à-vis de ces démarches commerciales mais certaines études anglo-saxonnes montrent que tout le monde a tendance à s’illusionner sur sa capacité de résistance à un message commercial bien présenté.

En revanche, les médecins plébiscitent les autorités sanitaires pour leur objectivité, à hauteur de 90 % environ. Néanmoins, l’information qu’elles dispensent paraît moins adaptée.

La CNAMTS et les DAM sont jugées objectives à 46 %. Elles suscitent moins de suspicion que l’industrie pharmaceutique mais les médecins leur reprochent de dévaloriser les médicaments, pour des motifs économiques.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous programmé une évaluation des dispositifs de plates-formes téléphoniques ?

M. Pierre-Louis Bras : Ce n’est pas au programme de l’IGAS, mais la CNAMTS a prévu une évaluation de cette expérience à l’horizon 2010.

M. Pierre Morange, coprésident : C’est une idée que j’ai véhiculée car un regard extérieur ne serait pas inintéressant. Je crois aussi que la MECSS pourrait se saisir du sujet.

M. Pierre-Louis Bras : La CNAMTS pilote deux initiatives : Infosoins, qui concerne l’ensemble de la population, et un dispositif plus spécifique.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Avez-vous perçu une différence de comportement entre les médecins installés depuis de nombreuses années et ceux qui sortent de leur formation hospitalo-universitaire ?

M. Pierre-Louis Bras : Dans la typologie, l’âge est effectivement un critère discriminant : plus le médecin est âgé, plus il rencontre de visiteurs médicaux et plus il leur fait confiance ; plus il est jeune, plus il a une démarche proactive pour rechercher de l’information. Mais je ne suis pas sûr que ce vecteur de différenciation soit déterminant.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a ensuite procédé à l’audition de M. Philippe Brunet, directeur du cabinet du commissaire européen en charge de la santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Je souhaite la bienvenue à M. Philippe Brunet, directeur du cabinet du commissaire européen en charge de la santé, M. Markos Kyprianou. Nous souhaitons recueillir son analyse sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments en Europe.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Quelles sont les missions de la Commission européenne en matière de médicament ?

M. Philippe Brunet : Historiquement, la politique européenne du médicament a commencé avec la préoccupation d’instituer un marché commun du médicament. Le médicament, comme tout autre bien de consommation, a d’abord été pris en compte du point de vue de l’autorisation. L’harmonisation des critères et la mise en commun des résultats de l’évaluation n’ont pas suffi car les États membres arrivaient à des conclusions différentes sur le même médicament. Après plus de vingt ans, nous sommes parvenus à mettre en place des procédures communautaires centralisées, en vigueur depuis cinq ou six ans : une évaluation unique par l’Agence européenne des médicaments, située à Londres ; une décision d’autorisation de mise sur le marché – AMM – délivrée par la Commission, pour 90 % des médicaments nouveaux ; une évaluation par chacun des États membres pour les 10 % restants et une obligation de reconnaissance mutuelle des autorisations délivrées, avec, en cas de désaccord, une procédure communautaire.

Le début de l’harmonisation est intervenu en 1965, après l’affaire de la thalidomide. La Commission a maintenu les industries pharmaceutiques dans le portefeuille du commissaire à l’industrie, actuellement détenu par M. Günter Verheugen, vice-président de la Commission. Le commissaire à la santé est associé à la gestion de la législation sur les médicaments, notamment pour tout ce qui a trait aux conditions d’autorisation, aux mises à disposition de médicaments et à l’évaluation de la valeur thérapeutique ajoutée. Si le Traité de Lisbonne est ratifié et entre en vigueur, il y a de fortes chances que les portefeuilles soient réaménagés car la base juridique concernant la gestion des médicaments sera l’article 152, qui traite de la santé.

De 95 à 98 % de la législation relative aux AMM est totalement harmonisée : la marge de manœuvre des États membres est donc de très réduite à nulle.

La législation sur les essais cliniques n’est pas la plus efficace parce qu’elle ménage deux ou trois approches différentes, liées à des considérations culturelles et aux différences de puissance de l’industrie pharmaceutique d’un pays à l’autre. Le texte esquive soigneusement les questions d’éthique – les comités d’éthique nationaux conservent la totalité de leurs compétences – mais les États fédéraux et ceux qui ont régionalisé la gestion de ce dossier posent un problème particulier, car des approches totalement différentes peuvent prévaloir d’une partie à l’autre du pays. Ainsi, en Allemagne fédérale, les comités d’éthique des länder traditionnellement protestants et ceux des länder à dominante catholique émettent des avis différents.

L’objectif principal de la directive sur les essais cliniques était d’harmoniser plus ou moins complètement les critères scientifiques de manière à entraîner une économie d’échelle au niveau communautaire. De fait, la plupart des médicaments font maintenant l’objet d’essais cliniques multicentriques, impliquant de larges cohortes de patients, et nous devons tout faire pour les maintenir en Europe, ce qui n’est pas acquis, loin de là. De ce point de vue, la directive a échoué car elle n’a pas inversé la tendance à la délocalisation des essais.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous des chiffres précis ?

M. Philippe Brunet : Même l’industrie pharmaceutique ne les communique pas.

M. Pierre Morange, coprésident : Mais quel est votre sentiment ?

M. Philippe Brunet : Tout dépend des domaines. Dans les années soixante et soixante-dix, l’Europe était leader ; aujourd’hui, elle parvient péniblement à conserver sa seconde place, devant l’entité Japon-Australie.

M. Pierre Morange, coprésident : Les essais sont-ils délocalisés vers des plates-formes occidentales ou au profit de territoires aux systèmes de surveillance sanitaire rudimentaires ?

M. Philippe Brunet : Les deux. Ce ne sont pas les essais cliniques qui se délocalisent mais le promoteur. Une fois celui-ci parti aux États-Unis, c’est la Food and Drug Administration, la FDA, qui prend le contrôle en charge.

Dans le système communautaire centralisé, lorsqu’il présente les données résultant de ses essais cliniques, le demandeur doit justifier de ses méthodes, de son lieu et de ses modalités de travail, examinées en particulier sous l’angle de l’éthique. Si ces modalités ne sont pas validées, il risque toujours de se voir opposer un refus de prise en compte des résultats. La pression exercée sur le promoteur est énorme car ces essais cliniques coûtent excessivement cher et il court le risque de devoir les refaire voire, pire, de ne pas obtenir l’AMM ou une indication particulière.

La directive sur les essais cliniques a cherché à intensifier l’interpénétration entre recherche académique publique et recherche privée, qui constitue la clé des succès américain, australien et maintenant japonais dans le domaine du médicament. Hélas ! en dépit de nouveaux programmes communs de recherche, cette fécondation mutuelle entre le public et le privé n’est pas la règle au niveau européen, hormis dans certains États membres comme le Royaume-Uni.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous nous citer quelques exemples de délocalisations ?

M. Philippe Brunet : C’est très difficile car nous ignorons quels étaient les choix ex ante ! Certaines délocalisations sont motivées par des considérations scientifiques. C’est notamment le cas pour les recherches concernant les vaccins contre le sida. De très larges cohortes sont requises, dans des pays où la prévalence est extrêmement élevée, c’est-à-dire en Afrique noire ou en Thaïlande, pas en Europe. Par contre, pour d’autres médicaments, le promoteur recherche des facilités hospitalières qu’il trouvera très facilement aux États-Unis mais pas en Europe.

La Belgique, par exemple, dispose d’hôpitaux de bon niveau dans la plupart de ses grandes villes. Mais cet État fédéral, qui comporte trois régions et où l’on parle deux langues, a mis en place un système de comités d’éthiques locaux, par hôpital, mal coordonné au niveau national. Par conséquent, pour y conduire un essai multicentrique dans quatre établissements, il faut gérer quatre procédures, qui durent de deux à cinq ans. En Californie, État presque aussi grand que la France, l’avis est rendu dans les quatre mois, alors le promoteur n’hésite pas !

L’autre facteur déterminant est la qualité des infrastructures hospitalières mises à disposition, son potentiel d’expertise et l’excellence de son plateau technique.

M. Pierre Morange, coprésident : Venons-en à l’aval. Certaines stratégies thérapeutiques sont admises sur le continent européen et refusées outre-Atlantique, ou l’inverse. Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Brunet : Avant d’évoquer l’aval, je précise qu’il serait mal avisé de penser que l’AMM relève exclusivement de critères scientifiques. Lorsqu’un médicament est soumis à l’étude d’experts américains et européens en vue de sa validation sur la base des mêmes essais cliniques, les indications et les conditions de mise sur le marché peuvent être différentes. En effet, la valeur attachée à l’effet clinique final est différente entre l’Europe et les États-Unis. Les Américains ont une conception plus arithmétique, plus chiffrable de l’effet. Ils accorderont l’AMM à un médicament anticancéreux permettant une survie de quatre mois tandis que les Européens la refuseront ou le classeront en produit de deuxième ou de troisième ligne de défense. De même, à partir de quel taux de répondants l’AMM doit-elle être accordée ? 5 % ? 20 % ? La décision ne dépend pas de critères scientifiques.

Une fois l’AMM accordée, la question consiste à déterminer la place du nouveau médicament dans l’arsenal thérapeutique. Le choix a des conséquences importantes en termes de stratégie thérapeutique mais aussi de prix et de taux de remboursement. En France, on appelle cela l’amélioration du service médical rendu, en Europe, c’est la valeur thérapeutique ajoutée et, aux États-Unis, le health technology assessment.

Dans cette procédure, deux phases doivent être distinguées : d’une part la démarche purement scientifique, qui consiste à calibrer les thérapeutiques existantes, à y classer le nouveau médicament et à déterminer sa valeur thérapeutique intrinsèque ; d’autre part la conclusion économique, à savoir le choix du niveau de remboursement. Il me semble que la deuxième phase doit être laissée à l’appréciation des payeurs, c’est-à-dire des États membres ou des systèmes d’assurance, quels qu’ils soient. La première phase, en revanche, doit être gérée au niveau européen, sans quoi le patient n’y comprend rien et les conditions de l’AMM risquent d’être indirectement remises en cause. Hormis les antibiotiques, dont l’efficacité varie avec la géographie à cause des phénomènes de résistance, les effets des médicaments sont identiques partout. Après, la décision de rembourser doit incomber aux États membres ou aux systèmes d’assurance. Mais, si l’efficacité d’un médicament est reconnue dans vingt-six pays, son inefficacité ne saurait servir de prétexte à refuser son remboursement dans le vingt-septième. Cela accentuerait encore la mobilité des médicaments et des patients, déjà très forte dans les régions frontalières – entre la Catalogne espagnole et la Catalogne française, entre Liège ou Maastricht et Aix-la-Chapelle ou encore entre Strasbourg et la rive droite du Rhin. Au XXIe siècle, il est inconcevable qu’un médicament perde une indication en traversant la frontière alors que les structures hospitalières des deux pays fonctionnent en réseau, d’autant que les produits nouveaux ont fait l’objet d’une AMM communautaire et sont théoriquement accompagnés de la même notice partout. Bref, pour les médicaments du futur, la prochaine étape à franchir, au niveau communautaire, serait de créer un embryon de commission de transparence, tandis que la fixation des prix resterait une prérogative nationale.

Nous sommes préoccupés par le fait qu’aucun État membre n’est armé pour faire face aux nouvelles approches thérapeutiques. Dans les dix ans à venir, une branche va énormément se développer, en lien avec le décodage du génome humain : les médicaments personnalisés. Contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas forcément de nouveaux médicaments mais de produits très efficaces dans 20 % des cas, moyennement efficaces dans 20 % des cas et complètement inefficaces dans 60 % des cas, pour des raisons d’expression génétique. La prescription sera donc précédée d’une détermination de la présence du gène incriminé. Ce pilotage en amont de la prescription, en particulier pour les médicaments anticancéreux, est comparable à ce que fut l’antibiogramme dans les années cinquante. Mais il réduira à néant la pertinence de la notion d’ « amélioration du service médical rendu » ou de « valeur thérapeutique ajoutée ».

M. Pierre Morange, coprésident : Sans parler des modifications de méthodologie statistique des essais cliniques.

M. Philippe Brunet : Absolument. Il nous faudra par conséquent revoir les critères de sécurité, d’efficacité et de prescription des médicaments. Des produits aujourd’hui frappés d’une prétendue inefficacité notoire devront être remboursés si la population sur laquelle ils font effet peut être identifiée. Et cette méthodologie s’appliquera vraisemblablement aussi en psychiatrie.

La classification des médicaments sera également compliquée par le passage de certains produits de la catégorie curative ou palliative, à la catégorie préventive. Pour certaines maladies cardiaques – infarctus, lésions coronaires –, qui auraient dû apparaître après quarante, cinquante, soixante ou soixante-dix ans, la détermination de gènes dès l’adolescence et la prescription de bêtabloquants adaptés permettra de faire cesser le compte à rebours.

L’Union européenne, en particulier la Commission, est très souvent accusée de s’occuper de ce qui ne la regarde pas. Les essais cliniques et les AMM sont pris en compte au niveau communautaire. Les critères médicaux et techniques de l’aval devraient également l’être, par cohérence, pour des considérations économiques mais aussi parce que L’Europe, avec 480 millions de personnes, peut ambitionner un rôle de leader mondial si elle se dote d’un système intégré. Contrairement aux administrations nationales, qui rechignent à jouer le jeu de la coopération européenne, la communauté scientifique est prête.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Dans quels pays de l’Union l’industrie pharmaceutique est-elle particulièrement puissante ?

M. Philippe Brunet : L’Angleterre, la France et l’Allemagne disposent d’une industrie pharmaceutique de pointe. Le reste est anecdotique. J’exclus la Suisse, où sont situées deux des plus grandes compagnies pharmaceutiques. Lorsque nous avons discuté des essais cliniques, le gouvernement anglais s’est montré très préoccupé de se prémunir contre une délocalisation de sa recherche. Les Français sont aussi vigilants. Les pays où sont menés très peu d’essais cliniques sont prêts à accepter n’importe quoi car ils ne se sentent pas concernés.

Outre la puissance de l’industrie pharmaceutique, le potentiel en nombre de patients et en infrastructures hospitalières joue également.

En outre, dans ce domaine comme dans les autres, l’absence de brevet communautaire est dramatique. À force de refuser de déposer des brevets en anglais, dans quinze ou vingt ans, nous serons obligés d’en déposer en coréen, en hindi ou en mandarin ! Personne ne traduira jamais un brevet en vingt-sept langues. L’Union a essayé de réduire le nombre de langues employées – anglais, français, allemand et espagnol – mais la directive transposant le brevet européen en brevet communautaire est en complète déshérence. La Commission actuelle et la précédente s’y sont cassé les dents. Si la prochaine Commission et le prochain Parlement n’accomplissent pas une percée, les conséquences à long terme seront désastreuses. En effet, quand les compagnies voudront un parapluie de propriété industrielle assez vaste, ils iront ailleurs, là où toute la production sera délocalisée.

M. Jean Mallot, coprésident : Certains insistent sur la singularité de la France en matière de prescription médicamenteuse, d’autres défendent des thèses moins affirmatives. Qu’en pensez-vous ? Disposez-vous d’éléments chiffrés permettant de trancher ?

M. Philippe Brunet : Il est injustifié de stigmatiser une singularité française. La quantité de prescriptions est peut-être plus élevée qu’à l’étranger mais les habitudes de prescription pourraient également être appréciées à l’aune de la qualité des soins. Les incidents indirects – par exemple la progression de la résistance aux antibiotiques pour les accidents thérapeutiques – sont beaucoup trop fréquents au regard du niveau de développement de l’Europe. Beaucoup de progrès sont à accomplir dans ce domaine.

Cela dit, les habitudes de prescription passent d’abord par l’attitude individuelle des médecins et les caractéristiques de l’environnement économique. Les données sont difficilement comparables d’un pays à l’autre. À Chypre, 50 % des citoyens sont couverts par une assurance volontaire. En Grande-Bretagne, les médecins sont sévèrement encadrés par les instances locales du National Health Service, le NHS, à travers un système décentralisé où la liste des médicaments prescriptibles varie selon le code postal. L’Espagne, la Grèce et, dans une moindre mesure, l’Italie sont régies par des systèmes analogues. Si elles veulent relever les défis actuels, elles devront changer de méthode. Il est tout de même incroyable que les Anglais traversent la Manche pour venir chercher leurs médicaments en France ou en Belgique.

En résumé, les habitudes de prescription dépendent du régime d’assurance dont le patient relève, de son médecin et de l’organisation du système de soins. Le biais scientifique est la seule façon d’infléchir la situation, par un dialogue avec les médecins, qui doit débuter à l’université. Malheureusement, dans les cours de médecine, les maladies sont décrites en détail tandis que les traitements sont traités en cinq lignes.

M. Pierre Morange, coprésident : Que pensez-vous de la qualité scientifique et de la certification sanitaire dans les pays où sont inexorablement délocalisés les centres de production de génériques, notamment la Chine et l’Inde ?

M. Philippe Brunet : En théorie, que le médicament soit générique ou princeps, les critères étudiés pour l’AMM sont identiques : le dossier doit décrire les méthodes de fabrication, la qualité des substances de base et les mécanismes de surveillance.

M. Pierre Morange, coprésident : En théorie ?

M. Philippe Brunet : Aux États-Unis, la FDA envoie systématiquement des inspecteurs chez les fabricants des pays tiers. L’Europe, quant à elle, s’est inspirée du système qui existait dans la plupart des États membres : nous attendons des signes d’appel pour envoyer une équipe de contrôle. Chaque système a ses avantages et ses défauts. En voulant tout contrôler, les Américains perçoivent une sorte de bruit de fond de problèmes qui les empêche d’identifier le problème le plus important. Le système européen semble finalement plus efficace.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous accès aux informations de la FDA ?

M. Philippe Brunet : Les agences nationales des pays européens et la FDA étaient liées par des accords bilatéraux. À la fin des années quatre-vingt-dix, un accord de coopération a été signé entre l’Agence européenne des médicaments et la FDA. Dès qu’un rapport d’inspection identifie un problème particulier, l’autorité l’envoie à son homologue.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : La France, et plus généralement l’Europe, font parfois preuve d’une grande inertie face à des médicaments au service médical rendu contestable. Le Canada, il y a six ou sept mois, a modifié les indications figurant sur la notice d’emploi de l’antibiotique Ketek, mais aucune modification n’est encore intervenue en Europe. Je pourrais donner d’autres exemples.

M. Philippe Brunet : Pourquoi les Canadiens ont-ils modifié la notice ?

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : À cause des effets secondaires du médicament.

M. Philippe Brunet : Le milieu pharmaceutique reproche souvent à l’Europe d’être trop conservatrice sur les indications. Les décisions dépendent aussi des autres médicaments disponibles : la révision de la notice est plus facile s’il existe une alternative sur le marché. Par ailleurs, la révision est encadrée par le droit : si sa motivation est fragile, il arrive que la Cour de justice des Communautés européennes annule une décision.

Les systèmes européens de surveillance du marché et de pharmacovigilance sont, certes, largement perfectibles, mais leur efficacité est comparable à celle constatée aux États-Unis.

Je ne connais pas le cas que vous évoquez mais je répète que les antibiotiques présentent la particularité de ne pas être aussi efficaces dans toutes les régions du monde.

M. Pierre Morange, coprésident : J’ai été l’un des premiers à souligner le caractère problématique de l’application de la directive Bolkestein dans le secteur médico-social. Où en est le texte sur les services ?

M. Philippe Brunet : La question est opportune. Pour moi, ce sujet est un grand motif de frustration.

La directive proposée par le commissaire Bolkestein excluait les services de santé, non pas par refus de toute approche communautaire mais par volonté d’adopter une démarche spécifique pour ce secteur. Entre-temps, la Cour de justice des Communautés européennes a renforcé la jurisprudence précédente, confirmant que l’article 49 s’appliquait aux services de santé.

Il a donc été convenu de rédiger une directive relative aux services de santé mais prenant le contre-pied de la directive Bolkestein, d’une part, parce qu’elle était axée non pas sur les services mais sur la mobilité du patient et, d’autre part, parce qu’elle ne cherchait pas à modifier la détermination du droit applicable ou de la règle d’origine.

M. Pierre Morange, coprésident : Le sujet est hautement stratégique.

M. Philippe Brunet : Ce projet visait donc à codifier la jurisprudence et à élaborer un volet exclusivement santé afin d’y intégrer des aspects très prometteurs à moyen et long terme comme la création de centres thérapeutiques de référence ou l’adoption d’une approche en matière de technologies de l’information. La directive faisait pour la première fois référence au principe selon lequel sa transposition devait respecter les trois principes fixés par le conseil des ministres de la santé : universalité des soins, solidarité et équité. Enfin, elle prévoyait un mécanisme tendant à améliorer et à homogénéiser la qualité des soins en Europe – une femme victime d’un cancer du sein n’a pas la même espérance de vie en Lituanie et en France, même avec un traitement identique.

Il nous semblait important qu’une directive sur la mobilité des patients voie le jour. De fait, lors des négociations du traité de Lisbonne, il est apparu que plus aucun État ne contestait l’application de l’article 49 – c’est-à-dire des règles concernant la prestation de service – aux services de santé, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, constante depuis trente ans. Par ailleurs, tout le monde admet dorénavant que des dispositions spécifiques sont nécessaires. Enfin, eu égard à la spécificité des services de santé, au fait que le payeur est souvent l’État, aux problèmes de planification des soins, à la difficulté d’équilibrer les budgets sociaux, aux différences d’organisation géographique selon les États membres, il a été décidé de ne pas transférer les compétences vers l’échelon européen mais de coordonner les systèmes nationaux. La Commission a suivi l’avis du Parlement européen, qui avait posé ces trois critères.

Le hic est que ce texte essentiel arrive pratiquement en fin de mandat de la Commission puisque la Commission Barroso quittera ses fonctions en novembre 2009. Nous sommes également en période de ratification, et force est de constater que l’Europe, dès qu’elle cherche à s’occuper des citoyens, est toujours bloquée par des échéances électorales. Enfin, les discussions n’aboutiront pas d’ici à la fin du mandat du Parlement européen, c’est-à-dire juin 2009, et même janvier 2009, mois à partir duquel l’accord institutionnel avec la Commission stipule que plus aucun texte législatif ne sera examiné.

Le texte est donc prêt. Le commissaire en charge de la santé y est favorable.

M. Pierre Morange, coprésident : Serait-il possible que nous disposions de ce texte, ou du moins de son exposé des motifs ?

M. Philippe Brunet : Il n’est pas encore formalisé.

Un formidable créneau d’opportunité s’offrait à nous car la France s’apprête pour la dernière fois à occuper la présidence tournante dans le cadre que nous connaissons.

La directive Bolkestein a été débarrassée de tous ses défauts et cela a permis de donner corps à la solidarité européenne dans le domaine sanitaire. Les Français, les Britanniques et les Allemands peinent à le comprendre mais certaines thérapeutiques et certains plateaux techniques ne seront jamais disponibles dans certains pays, même dans certains pays riches comme le Luxembourg. Nicosie ne possédera jamais l’arsenal de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris ; or les Chypriotes, faute d’accord communautaire, se font soigner au Liban plutôt que dans un autre État membre de l’Union.

Cela me fait penser à un autre problème : celui des technologies de l’information. Nous gérons les technologies du XXIe siècle avec des procédures datant du XIXe siècle. Les modèles bismarckien et beveridgien sont éminemment respectables mais complètement inadaptés aux puces électroniques. Le nec plus ultra de l’interprétation d’imageries de scanner se trouve parfois à Birmingham ou à Munich même si l’examen a été pratiqué à Paris. Or la coordination réalisée dans l’aviation, les transports, le secteur bancaire ou la finance n’existe toujours pas en matière de santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Si je ne m’abuse, Bruxelles a expérimenté un système de compression numérique des images pour permettre leur transfert, et cela a donné lieu à des certifications.

M. Philippe Brunet : Il faut simplement régler le problème de l’interopérabilité. Puisque les opérateurs de GSM n’arriveront jamais à se mettre d’accord sur un standard, les décideurs politiques doivent trancher et choisir le système le plus adapté. Avec la directive, c’était possible.

Je pense que le texte est mûr mais, compte tenu du calendrier, je suis pessimiste quant à son adoption.

M. Pierre Morange, coprésident : La MECSS souhaite vivement que des documents précisant l’état de la réflexion lui soient communiqués. Il ne faudrait pas que l’Europe, après la directive Bolkestein, fonce à nouveau dans le mur. La présidence française constitue peut-être une opportunité pour se mettre en conformité avec l’histoire.

M. Philippe Brunet : J’ajoute que cette directive est le premier texte communautaire à prévoir la mise en place d’une structure d’évaluation des thérapeutiques.

M. Pierre Morange, coprésident : La directive traite-t-elle spécifiquement de la question du médicament ?

M. Philippe Brunet : Non. Elle porte sur tout l’arsenal réglementaire en vigueur et aborde pour la première fois la question de l’aval, c’est-à-dire les essais cliniques et les AMM, avec la mise sur pied d’un réseau de coordination autour d’une commission de transparence.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a enfin procédé à l’audition de M. Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de la revue Prescrire.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Nous nous intéressons aux prescriptions et à la consommation de médicaments et à la fiscalité du médicament en France.

Quel est votre avis sur la prégnance de la visite médicale auprès des médecins libéraux ? Que pensez-vous de l’arrivée de me-to sur le territoire ? Les médecins sont-ils suffisamment bien informés de manière indépendante ?

M. Bruno Toussaint : Je vous ai amené le numéro du journal Impact Médecine, du 24 janvier 2008. Dès la page 2, on peut lire une publicité pour Sanofi : « Nous vous accompagnons depuis les études jusqu’à la retraite. »

De fait, les firmes pharmaceutiques entourent les médecins prescripteurs depuis la faculté jusqu’à tard dans leur vie. Beaucoup d’enseignants sont des leaders d’opinion – parfois sous influence. Dans les staffs hospitaliers, les étudiants rencontrent déjà les visiteurs médicaux dans les couloirs. Certains s’étonnent que la salle de travail des externes soit parfois réquisitionnée pour recevoir les visiteurs médicaux. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui financent le pot d’arrivée ou le pot de départ de tel ou tel. Il y a souvent, dans les hôpitaux, des dossiers de comptes rendus d’électromyogrammes, ou de je ne sais quel examen complémentaire, qui sont estampillés avec telle marque de tel produit de telle firme pharmaceutique.

Vous avez sans doute constaté, lors de vos auditions, que, dans nos pays, les pouvoirs publics sous-traitaient aux firmes pharmaceutiques beaucoup de choses qui ne sont pas de leur domaine. Ce sont elles qui financent totalement ou presque la recherche clinique, ou la formation, en tout cas dans certaines disciplines. Il existe des officines, subventionnées par les firmes pharmaceutiques, qui préparent les externes qui s’inscrivent aux concours de spécialistes.

Une fois installés, les médecins ont recours à la visite médicale. Vous avez examiné le rapport de l’IGAS sur ce sujet ; il est explicite. La revue Prescrire a animé, pendant une quinzaine d’années, un réseau d’observation de la visite médicale. Les données étaient à chaque fois convergentes. La visite médicale est agréable pour celui qui la reçoit, mais il s’agit, pour le visiteur médical, de vendre en augmentant les avantages du médicament et en diminuant ou en omettant ses effets indésirables, les contre-indications, les interactions médicamenteuses, bref tous les défauts. On ne peut pas s’attendre au contraire : la visite médicale est une force de vente et il est logique que les vendeurs mettent en avant les qualités du produit et pas ses défauts.

Intervient ensuite la formation médicale continue. Dans ce rapport, il apparaît que l’essentiel du financement vient des firmes pharmaceutiques. Encore une fois, en sous-traitant, on économise les deniers publics, mais cela a des effets sur les prescriptions et les dépenses de sécurité sociale, et probablement aussi sur la qualité des soins.

Dans notre système français et en Europe, aux États-Unis d’Amérique et au Japon, qui sont les trois grands marchés du médicament actuellement, la règle est à peu près la même. Pour que le médicament soit autorisé sur le marché, la firme doit obtenir l’AMM, mais il n’est pas exigé que celui-ci présente un progrès thérapeutique. À partir du moment où la balance bénéfice-risque paraît acceptable par rapport à un placebo, la nouveauté est autorisée. Souvent elle n’apporte pas de progrès. Cependant, il faut bien vendre ce médicament et l’on déploie pour cela beaucoup d’énergie : d’où les visiteurs médicaux, les congrès, la mobilisation des leaders d’opinion. Et cela fonctionne.

Un bon exemple est celui d’un médicament anti-cholestérol, la Provastatine, vendue en France sous la marque Tahor par Pfizer. Il est arrivé après d’autres médicaments de la famille, pour lesquels il existait des preuves scientifiques de bon niveau, une efficacité concrète puisqu’ils permettaient de réduire les accidents cardiovasculaires, voire la mortalité des patients. Cette nouveauté est arrivée sans apporter ses preuves dans son dossier, parce qu’elle était trop récente. Malgré tout, elle était très bien placée, voire au top de cette catégorie.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Les professionnels se rendent tout de suite compte lorsque des contournements de génériques arrivent sur le marché. Ces contournements ont-ils la même prévalence dans les autres pays de l’Union européenne, l’Allemagne par exemple ? Est-ce que les autres pays, une fois que la politique du générique est décrétée, font en sorte que ces contournements ne s’imposent pas ?

M. Bruno Toussaint : Je ne connais pas précisément le marché des autres pays, mais la tactique de contournement des génériques n’est pas spécifique à la France. Le développement d’isomères, de métabolites, de nouveaux dosages, de nouvelles formulations est multinational. Il y a quelques années, le brevet de l’oméprazole Mopral, l’un des médicaments les plus efficaces contre l’acidité digestive, le reflux oesophagien, l’ulcère de l’estomac, etc., arrivait à échéance. La firme Astra a préparé le lancement d’un successeur, qui est un isomère, avec une partie de la substance active, que les patients absorbaient déjà. Il n’apportait aucun progrès thérapeutique. Pourtant il y eu un vrai lancement, au point que, sur la base d’accueil du site internet du Congrès américain, figurait un bandeau publicitaire prônant le nouveau médicament. Il faut dire qu’aux États-Unis, la publicité pour les médicaments est autorisée, même sur un tel site.

M. Pierre Morange, coprésident : Selon vous, quelles seraient les mesures à adopter pour que les dispositions concernant le service médical rendu (SMR) ou l’amélioration du service médical rendu (ASMR) prennent en compte le critère sanitaire, voire le critère médico-économique ?

M. Bruno Toussaint : Il y a sûrement quelque chose à faire. Une solution radicale serait de modifier les critères d’octroi de l’AMM. Si l’on exigeait des preuves de progrès thérapeutique, cela faciliterait beaucoup les choses pour la suite.

Il faudrait aussi sortir les firmes pharmaceutiques du conflit d’intérêts où les pouvoirs publics les placent. Encore une fois, on leur demande de développer les produits, de financer la recherche, de présenter leurs dossiers et de demander l’autorisation de vendre ces produits qui les font vivre. C’est tout de même préoccupant. Les dérapages sont inévitables.

Il faudrait enfin, à plus court terme, garantir véritablement l’indépendance des experts qui examinent les dossiers d’AMM et de transparence.

M. Pierre Morange, coprésident : Au-delà d’une déclaration générale sur l’amélioration des critères utilisés pour l’évaluation du SMR, quels seraient selon vous, et de manière plus précise, les éléments à mettre en œuvre ?

M. Bruno Toussaint : Actuellement, en France, l’appréciation de l’amélioration du service médical rendu par la commission de la transparence est plutôt indulgente, mais elle n’est pas caricaturale. La commission se prononce sur le dossier qu’on lui soumet pour l’agrément aux collectivités ou l’inscription sur les listes des spécialités remboursables. L’autorisation de mise sur le marché est la clé du problème. La transparence de la commission de la transparence est toute récente et elle n’est pas encore parfaite s’agissant de la transparence des experts ou de la diffusion des avis.

Les médecins quant à eux savent bien, plus ou moins confusément, que le progrès d’un médicament est nul ou minime, mais, si on les laisse sous l’influence des firmes qui leur serinent le contraire, on ne doit pas s’étonner qu’ils le prescrivent. Si le médicament n’avait pas obtenu d’AMM, cela changerait tout de même les choses.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelles seraient donc les modifications à mettre en œuvre en matière d’AMM ?

M. Bruno Toussaint : Exiger des preuves de progrès thérapeutiques.

Prenez l’exemple de l’Epoxine, un antiinflammatoire : son intérêt, disait-on, était de soulager les douleurs et de ne pas faire de mal à l’estomac. Il n’y avait pas de preuves très solides de ces assertions. On s’en est contenté en France et dans d’autres pays. L’ASMR a été cotée au niveau III, c’est-à-dire modéré. Au fil des années, les données se sont complétées, l’ASMR est descendue et actuellement elle se trouve au niveau V. Cela veut dire qu’après quelques années, la commission de la transparence a constaté que ce médicament n’apportait rien par rapport aux autres. Si l’on avait été plus exigeant au départ, si ce médicament n’avait pas obtenu d’AMM, cela aurait limité les dépenses. Parce qu’il était vendu beaucoup plus cher que les autres.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Savez-vous quelle est, en pourcentages, l’évolution de réelles évolutions thérapeutiques ces dix dernières années ?

M. Bruno Toussaint : Il y a un décalage entre l’avis de la commission de la transparence et celui de la revue Prescrire. Cela dit, le pourcentage de vrais progrès est tangible.

Chaque année, comme cela ressort du bilan de la revue, ce pourcentage est de l’ordre de 10 %. Il a tendance à diminuer depuis le début des années 2000. Les progrès concernent surtout des maladies rares ou des situations très précises, je pense aux maladies orphelines. Pour la plupart des problèmes de santé courants qui concernent beaucoup de gens, il n’y a pas de progrès. Pourtant, apparaissent beaucoup de me-to, d’isomères, etc. En revanche on trouve de plus en plus de médicaments qui sont des régressions thérapeutiques, dans la mesure où ils sont moins bons que ceux qui sont déjà sur le marché. Encore une fois, si on en arrive là, c’est parce qu’on n’exige pas de preuves de progrès.

M. Gérard Bapt : Je suis étonné. Vous avez dit que les progrès réalisés ces dernières années portaient surtout sur des maladies rares ou des maladies orphelines. Pourtant on a enregistré des progrès sur les cancers, notamment en matière de chimiothérapie.

M. Bruno Toussaint : Il y a des progrès médiatisés, annoncés, avec beaucoup d’éléments de spéculation, mais il y a aussi des progrès réels dans le domaine du cancer. La semaine dernière, la revue Prescrire a décerné des diplômes aux firmes qui avaient vraiment fait des efforts. Nous avons notamment décerné une récompense au trastuzumab Herceptin, en tant que traitement adjuvant du cancer du sein. Donné en complément de la chirurgie aux femmes atteintes d’un cancer du sein, et dont la tumeur surexprime des protéines, soit un quart d’entre elles, il augmente de 4 % en valeur absolue le taux de survie à quatre ans, et ce au prix d’une incidence de 3 ou 4 % d’insuffisance cardiaque. Il coûte cher, mais il a des effets intéressants et c’est l’un des meilleurs médicaments du lot. En matière de cancer, il y a beaucoup de nouveaux médicaments, vendus fort cher, mais on ne note pas vraiment de progrès radicaux.

M. Gérard Bapt : Jusqu’à maintenant, le discours a toujours été qu’on ne reculait pas devant le coût de thérapeutiques nouvelles s’agissant du cancer. La recherche clinique porte notamment sur des produits nouveaux dont on évalue l’efficacité et qui sont parfois très chers, pour des pourcentages de survie ou de guérison relativement modestes par rapport aux protocoles antérieurs. Néanmoins, ce n’est plus un problème de laboratoire pharmaceutique ; c’est un problème à la fois médico-économique et éthique. Il est vrai qu’on assiste à un développement exponentiel des médicaments à haut risque, parfois prescrits en dehors de la dotation hospitalière, ce qui pose des questions en matière d’évolution du coût de la santé. Toutefois, personne n’a, jusqu’à présent, franchi le pas de dire qu’il ne faut pas prescrire un médicament parce qu’il est trop cher.

M. Bruno Toussaint : Cela dit, il reste à examiner le bien-fondé de ces prix très élevés. Notre impression est que cela est le résultat du rapport de forces et de l’idée générale que vous avez évoquée, selon laquelle on ne discute pas et que l’on paie pour soigner le cancer, si menus soient les résultats. Ces derniers peuvent même être défavorables. En effet, beaucoup de nouveautés ont des effets indésirables impressionnants, parfois pires que les anciens médicaments.

On ne semble pas discuter du prix de ces médicaments-là. Pourtant, on sait bien que les 800 millions de dollars qui sont avancés comme coût de la mise au point d’un nouveau médicament sont très largement surévalués. Par exemple, la fabrication des produits par biotechnologie, c’est-à-dire par culture de colibacilles, une fois que l’on a mis au point la technique, ne coûte pas cher.

M. Jean Mallot, coprésident : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les propositions que vous pourriez formuler pour améliorer le système ?

M. Bruno Toussaint : Il y a sûrement beaucoup de choses à faire.

J’ai évoqué les critères de l’AMM, car cela me semble important. Le financement de la recherche clinique est encore très largement sous-développé ; là aussi, il y a du travail. L’indépendance des experts et de l’expertise est également un vaste chantier à mettre en œuvre. Je pense à la transparence des dossiers, des délibérations et, surtout, des motifs de décision. On a beaucoup progressé en ce domaine, mais il faut prendre garde que cela continue. Il faudrait cantonner l’industrie pharmaceutique à son vrai métier, qui est de fabriquer de bons médicaments de bonne qualité.

Aujourd’hui, nous sommes le 31 janvier, date limite pour répondre au premier tour de consultation sur un projet de la Commission européenne relatif à la pharmacovigilance européenne. On constate que ce projet comprend toutes sortes de mesures qui aboutissent à confier la surveillance et le recueil des données en matière d’effets indésirables des médicaments aux firmes. Cela est mal venu et particulièrement grave. Ce n’est qu’un projet, mais il paraît extraordinaire qu’il ait été pensé par la Commission européenne. Nous espérons bien sûr qu’il va évoluer.

La collectivité a tout intérêt à ce que la formation des médecins soit indépendante et facile d’accès. Les visiteurs médiaux sont très agréables pour les prescripteurs : ce sont des gens bien policés, qui arrivent avec des solutions et pas de problèmes. On a expérimenté dans d’autres pays des systèmes efficaces de visite médicale, non plus au service des firmes, mais au service de la qualité des soins. Certes, c’est un effort pour la collectivité, mais ce serait utile et cela constituerait un progrès.

Il faut penser aussi à l’information du grand public. En France, la publicité grand public n’est pas autorisée pour les médicaments. C’est une bonne chose et il faut veiller à ce que cela continue. En effet, certaines actions de promotion contournent cette interdiction : elles sensibilisent le public à tel ou tel problème de santé, la solution proposée étant d’aller voir le médecin. Cependant comme les visiteurs médicaux travaillent le corps médical sur le même sujet, la promotion aboutit.

M. Jean Mallot, coprésident : Ce que vous indiquez paraît relativement simple et évident. Alors pourquoi ne le fait-on pas ? Quels sont les points de blocage ?

M. Bruno Toussaint : C’est vous qui êtes les représentants politiques. Je ne suis qu’un professionnel.

Ce qu’on peut constater, c’est que l’Agence européenne du médicament dépend de la direction générale « Entreprises ». Ainsi, la Commission européenne met la santé des firmes avant la santé publique. Si cela n’est pas clairement écrit, cela se lit entre les lignes et se voit dans les décisions. Il s’agit d’une attitude générale.

Il est extraordinaire de voir avec quelle lenteur la France retire du marché les médicaments dont le bénéfice risque est défavorable. Ainsi, cet été, l’Agréal a, enfin, été retiré du marché. Il s’agit d’un neuroleptique, de la famille des antipsychotiques, contre la schizophrénie. Ce médicament était proposé contre les bouffées de chaleur de la femme ménopausée, même si le rapport n’est pas direct. Depuis des années, on savait que ce médicament avait les effets indésirables de sa famille, notamment qu’il pouvait induire des syndromes parkinsoniens. Cela a pourtant duré longtemps. Un premier pays européen, l’Espagne, a décidé d’arrêter les dégâts, mais il a fallu plusieurs années pour que la France s’y résolve.

La lenteur de ces décisions est affligeante. On voit bien qu’actuellement les pouvoirs publics font passer la santé des firmes avant celle des patients. C’est un choix.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Certaines campagnes témoignent d’une volonté d’information et d’éducation à la santé. Je pense à une des dernières campagnes de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) sur les états dépressifs. Est-ce à ce type de campagnes que vous faisiez référence ?

M. Bruno Toussaint : Je faisais plutôt référence à ce que l’on présente en prévention d’une maladie. Par exemple, on appelle l’attention de la population sur l’impuissance et les troubles de l’érection. Puis il y a un congrès sur ce thème, où l’on invite des journalistes. Le nombre des articles sur ce problème de santé augmente…

Le cas de la campagne de l’INPES sur la dépression est différent. Il ne lance pas de campagnes de ce genre très souvent, alors que, dans les magazines, on trouve beaucoup de choses sur de prétendus nouveaux problèmes de santé. À la base, un petit nombre de personnes est gêné par certains troubles. Il s’agit alors de faire croire que c’est préoccupant et que cela concerne beaucoup de gens. L’année dernière, on a parlé de l’insuffisance de désir sexuel féminin pour vendre de la testostérone. Pourtant, scientifiquement, on n’a pas de preuves véritables que cela change quelque chose. Reste qu’est apparu un site internet où l’on peut faire un test, et il est bien sûr très facile d’arriver à la conclusion qu’il faudrait en parler à son médecin.

La campagne de l’INPES est sans doute animée de bonnes intentions, mais, toute seule, elle ne saurait suffire. En effet, en France, les médecins libéraux sont rémunérés à l’acte. Or cela va beaucoup plus vite de conclure une consultation par une prescription de médicaments, qui sont par ailleurs remboursés, que d’inviter le patient à suivre une psychothérapie qui sera longue et qui n’apportera pas une rémunération supérieure au généraliste.

M. Jean Mallot, coprésident : Pensez-vous qu’il faille faire évoluer la rémunération des médecins ?

M. Bruno Toussaint : Vraisemblablement. Je ne peux que constater que le paiement à l’acte favorise la prescription de médicaments, parce que c’est la solution la plus rapide. De la même façon le pharmacien est rémunéré au volume de ses ventes, et pas au conseil et à la difficulté de l’ordonnance.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je précise que la question de la rémunération du médecin est abordée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. L’article 44 de cette loi prévoit la possibilité d’expérimenter de nouveaux modes de rémunération.

M. Pierre Morange, coprésident : On ne peut pas accepter le propos réducteur selon lequel les pouvoirs publics financeraient la santé de l’industrie pharmaceutique au détriment de la santé des patients, ne serait-ce que sur la base des documents budgétaires.

Pour le reste, qu’il y ait, au travers de notre système actuel – qui s’est construit par sédimentation – des stratégies de contournement et de non-observance de ce qui est important – à savoir l’amélioration de la santé nos concitoyens, l’amélioration indispensable, en termes de coût-efficacité, de notre capacité à adapter les stratégies thérapeutiques en fonction de nos connaissances et l’amélioration des formations –,  c’est incontestable. Tel est bien d’ailleurs l’objet de notre mission. Je tenais à recentrer le propos, eu égard à votre phrase, encore une fois bien réductrice.

M. Bruno Toussaint : Je n’ai pas dit cela : je parlais des priorités.

M. Pierre Morange, coprésident : Je pense néanmoins qu’il était important de clarifier les choses.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Au début de nos auditions, en octobre, on avait évoqué le fait que le contrôlé finançait le contrôleur. En effet, les taxes sont collectées par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et la Haute Autorité de santé (HAS). On peut faire confiance à ceux qui participent à ces institutions, mais il est vrai qu’il peut toujours y avoir un doute. Auriez-vous des propositions à présenter à ce sujet ? Comment faire pour que l’AFSSAPS et l’HAS puissent fonctionner sans problème et sans qu’on puisse soupçonner l’existence de conflits d’intérêts ?

M. Bruno Toussaint : Aujourd’hui, l’AFSSAPS et les autres agences du médicament des pays européens ou des pays riches sont financées en grande majorité par des redevances, par les frais de dépôt de dossiers, de demandes d’AMM, etc. C’est dommage. Je ne suis pas spécialiste de financements publics, mais on peut tout de même imaginer qu’il serait assez facile d’organiser autrement, d’une part la collecte des frais et des redevances, et d’autre part le financement du fonctionnement des agences. D’ailleurs, il n’en a pas toujours été ainsi. Il est difficile de mesurer les conséquences de ce conflit d’intérêts, mais il ne doit pas être très difficile de régler le problème, si on le souhaite vraiment.

Mme Catherine Lemorton, rapporteure : Je vous remercie.

M. Pierre Morange, coprésident : Merci.

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