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Commission des affaires sociales

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 15 mai 2008

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

Auditions, ouvertes à la presse, sur les affections de longue durée

– M. le Professeur Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé (HAS), M. François Romaneix, directeur, et M. Raoul Briet, membre du collège, président de la commission périmètre des biens et services remboursables (ALD)

– M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie

– M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Hubert Allemand, médecin-conseil national de la CNAMTS, M. Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA), M. Vincent Van Bockstael, médecin conseiller technique de la MSA, et M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a procédé à l’audition de M. le Professeur Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé (HAS), M. François Romaneix, directeur, et M. Raoul Briet, membre du collège, président de la commission périmètre des biens et services remboursables (ALD).

M. Jean Mallot, coprésident : Nous accueillons aujourd’hui M. le professeur Degos, président de la Haute Autorité de santé, M. François Romaneix, directeur, et M. Raoul Briet, membre du collège, président de la commission périmètre des biens et services remboursables (ALD), qui a travaillé sur le bouclier sanitaire.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Merci, messieurs, de votre présence.

Monsieur le professeur, vous nous avez déjà communiqué une note concernant les affections de longue durée (ALD), sur lesquelles vous avez engagé depuis deux ans et demi un travail de réexamen que vous devriez conclure à la fin de cette année.

Dans cette note, vous avez retenu trois scénarios. Le premier consiste à actualiser sur le plan médical les critères actuels des ALD ; le deuxième à refaire complètement la liste des trente maladies avec les critères d’admission ; le troisième à procéder à une réforme d’ensemble, qui pourrait passer par la mise en place d’un bouclier sanitaire.

Pourriez-vous commenter ces trois scénarios et nous exposer les premières recommandations que vous pourriez faire dans le cadre d’une réforme du système des ALD ? Cette réforme pourrait concerner notamment le dispositif d’exonération du ticket modérateur ainsi que le suivi de la qualité de la prise en charge de ces maladies.

M. Laurent Degos : Ce sujet nous préoccupe depuis le début de l’installation de la HAS et M. Raoul Briet suit le dossier de très près.

Au 1er mai 2008, les guides ALD établis par la HAS et destinés aux médecins couvrent 67 % des ALD. Et en décembre, 87 % des ALD seront couvertes. Pourquoi pas 100 % ? Parce qu’il existe une myriade de maladies très rares, dont sont atteints une cinquantaine ou une centaine de patients, surtout parce qu’il y a des « hors liste » : la 31e et la 32e maladies, sans critères d’admission ni listes d’actes et de prestations.

En dehors de ces derniers cas, à la fin de l’année 2008, la HAS aura procédé à l’examen de l’ensemble des ALD de la liste et revu les critères d’admission ainsi que les listes indicatives des actes et prestations nécessités par leur traitement. Nous aurons également mis au point, ce qui n’était pas prévu, des guides médecins et des guides patients pour chacune des 30 ALD. Maintenant que ce travail est presque terminé, il est temps en effet d’ouvrir le débat.

À l’origine, on parlait de maladies de longue durée et coûteuses. Cependant, depuis 1986, le coût ouvrant droit à l’exonération du ticket modérateur n’est plus défini de façon directe. En 1945, la correspondance entre la longue durée d’une affection et son coût était évidente. Mais le progrès médical et l’évolution du coût des soins devraient conduire à dissocier le volet médical du volet financier de la prise en charge des ALD.

On aboutit aujourd’hui à une injustice sociale, dont il convient de discuter. Le nombre des personnes qui entrent en ALD progresse de 5 % par an. L’évolution du coût est facile à apprécier. Mais le nœud du problème est ailleurs : c’est l’évolution médicale, dont on parle assez peu.

D’abord, ce qui était chronique est devenu aigu ; ainsi la tuberculose et l’hépatite ne sont plus des maladies chroniques mais aiguës.

Ensuite, de plus en plus de personnes, notamment âgées, présentent des polypathologies, par exemple des rhumatismes chroniques, plus une dépression, plus un diabète, etc. On s’aperçoit déjà qu’il va falloir personnaliser et non plus faire entrer les malades dans une liste prédéfinie.

Enfin, quel est le début d’une maladie de longue durée ? Est-ce le fait d’avoir 1,2 g de glycémie ? Mais pourquoi ne pas prendre en compte ceux qui ont d’autres risques cardiovasculaires, comme ceux qui présentent une hypercholestérolémie, un tabagisme chronique, une obésité, etc. ? Est-ce la première manifestation clinique ? Mais quelle est la première manifestation clinique ? Ou inversement, l’hémochromatose qui se prédit dès la naissance ? Sans compter les diagnostics anténataux, avant la naissance, ou préimplantatoires, avant la vie ? On rencontre donc aujourd’hui une difficulté médicale à déterminer le début d’une maladie.

Une difficulté équivalente se pose pour la sortie d’une maladie, donc sa guérison. On peut dire qu’une maladie infectieuse est guérie, et encore… Pour un cancer, on parle plutôt de rémission.

Venons-en au parcours de soins du patient. Ce sont toujours des allers et retours entre des phases aiguës et des phases chroniques, des phases de guérison et des phases de rémission. Il faut donc penser différemment la prise en charge médicale et aller vers une prise en charge intégrée, réunissant tous ceux qui travaillent pour le patient, pluridisciplinaire, pluriprofessionnelle, qui implique le patient lui-même.

S’il est facile d’apprécier le coût d’une maladie, il est très difficile de définir la maladie elle-même. On est passé d’un problème financier, en 1945, à un problème médical, en 2008. Pour le médecin comme pour le patient, il faut essayer de trouver la meilleure prise en charge du patient. Il n’y a plus de correspondance avec la liste, il n’y a plus de notion d’entrée et de sortie de la maladie, il y a des maladies aiguës qui coûtent plus cher que des maladies chroniques, il y a des profils pluripathologiques, tout cela fait qu’il faut repenser totalement le système. Il faut plus de justice sociale. Il faut distinguer prise en charge médicale d’une part, financière et sociale d’autre part. Le protocole doit être à la fois médical et financier. Il faut donc personnaliser la prise en charge, à la fois médicale et financière.

Voilà pourquoi nous en sommes arrivés à ces trois scénarios : soit on réactualise cette liste, mais le système, on l’a vu, est illogique, injuste et aboutit à une mauvaise prise en charge ; soit on le révise, par exemple, en corrigeant l’illogisme de la prise en charge du risque cardiovasculaire. Mais les personnes concernées ne comprendront pas qu’on ne les prenne plus en ALD à 1,2 g de glycémie. Et si on prend tout le monde, il en résultera une surcharge pour les ALD. Le dernier scénario consiste à adopter un autre système, dissociant la prise en charge médicale et financière, qui constitue la base même de notre réflexion.

Il faut optimiser la prise en charge médicale, faire en sorte qu’elle soit intégrée c’est-à-dire pluridisciplinaire, pluriprofessionnelle, avec un patient acteur de sa santé, et rendre plus juste la prise en charge financière, pour que tous les citoyens aient le même reste à charge. Au-delà, il faut aussi assurer une prise en charge sociétale, en définissant la place du malade atteint de maladie chronique dans la société.

Pourquoi ne va-t-on pas dans cette direction, qui paraît logique ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à se détacher du passé ? Probablement parce que les médecins et les patients ont toujours en tête que, parce qu’il existe une prise en charge financière, on est bien soigné. Pour le collège de la HAS, une telle équation n’est pas valable. On peut être bien soigné pour une maladie aiguë, sans prise en charge financière à 100 %. D’ailleurs, pourquoi n’y aurait-il de guides médecins ou patients que pour les maladies de la liste ? Il en faudrait pour toutes les maladies. Avant d’aller plus loin, nous devons jouer auprès des professionnels et des patients un rôle fort d’éducation et d’information. Auparavant, un choix politique s’impose.

Une autre réticence vient des institutionnels, principalement des financeurs qui doivent contrôler les protocoles de soins concernant les maladies figurant sur la liste des ALD. Pour eux, c’est un moyen de mieux contrôler le risque. Tant que ce seul élément de diagnostic sera transmis aux caisses, celles-ci seront réticentes pour sortir du système existant.

Pour le patient, avoir un système de prise en charge médicale intégrée, c’est le futur. C’est pourquoi nous allons travailler à une éducation thérapeutique, à la personnalisation du soin, à des coopérations interprofessionnelles pour mieux prendre en compte le risque. C’est dans ce sens qu’il faudra passer de la prise en charge par liste à une prise en charge personnelle. Cela ira dans le sens de plus de justice sociale et d’une meilleure prise en charge médicale. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a publié un avis sur la prise en charge des ALD, au mois d’avril 2005. La Cour des comptes a publié une analyse sur ce même thème dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de septembre 2006. Enfin, MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard ont publié, au mois de septembre 2007, un rapport sur la dissociation de la prise en charge, qui envisage des scénarios de prise en charge financière plus juste et répondant de façon plus adaptée à la prise en charge sociale des personnes.

M. Raoul Briet : Ce qui fondait le système des ALD est devenu de plus en plus fragile. Il avait été construit pour éviter que des patients atteints de maladies longues et coûteuses ne puissent accéder aux soins en raison du coût élevé du ticket modérateur et de l’absence, à cette époque, de dispositif de protection sociale complémentaire. Mais on s’aperçoit aujourd’hui que le système fonctionne de manière très imparfaite : certaines personnes en ALD ont des restes à charge élevés, parce que leurs dépenses sur la partie des soins sans rapport avec leur maladie sont importantes ; d’autres personnes ont des restes à charge faibles, du moins sur une année, parce que leur maladie s’est stabilisée ; en dehors des ALD, une part importante des assurés subit des restes à charge élevés.

En empilant les dispositifs d’exonérations, de plafonnement, de tickets modérateurs, en restant sur la lancée du système économique des ALD, la situation n’est plus équitable. Le système ne remplit pas bien sa fonction première qui est de neutraliser tous les gros restes à charge, mais rien que les gros restes à charge.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quand vous parlez de l’empilement des dispositifs d’exonération, est-ce que vous y incluez celui concernant les ALD ainsi que les exonérations personnelles ?

M. Raoul Briet : J’y inclus les pensionnés militaires, les accidentés du travail, certains actes comme les K 50, etc. Si on n’a pas aujourd’hui de dispositif général et unique, à chaque fois qu’on met en place un dispositif de copaiement, qu’on l’appelle ticket modérateur, forfait ou participation, parce qu’on ne veut pas que ces participations aient des effets sociaux indésirables, on instaure des dispositifs de cantonnement, de plafonnement, de non-cumul qui rendent le système parfaitement illisible, peu responsabilisant et difficile à gérer. Il existe aujourd’hui une juxtaposition de mini boucliers par participation, mais pas de bouclier général qui s’attache à une personne.

L’idée toute simple du bouclier sanitaire est de laisser de côté les objectifs médicaux, qui doivent être traités par une voie autre que celle qui consiste à attacher une exonération à un dispositif particulier de prise en charge ; de créer un compteur unique, généralisé ; de déclencher l’exonération du ticket modérateur à partir du moment où un assuré aurait à sa charge un montant que l’on aura déterminé. De notre point de vue d’experts, M. Bertrand Fragonard et moi-même, ce montant devrait être modulé en fonction du revenu. Autrement dit, nous ne considérerions pas comme légitime et juste un bouclier uniforme, quel que soit le revenu de la personne.

M. Laurent Degos : Le troisième scénario est celui que nous préférons.

M. Raoul Briet : Le bouclier sanitaire est une manière comme une autre de dissocier prise en charge médicale et neutralisation des restes à charge.

M. Jean Mallot, coprésident : La liste a au moins l’avantage d’être délimitée et définie. Le troisième scénario suppose des bouleversements organisationnels. Dans ce cas, qui a le pouvoir de décision ?

M. Laurent Degos : S’agissant de la prise en charge médicale, il n’y a pas de changement. Pour l’instant, c’est toujours le médecin traitant, associé au spécialiste. Nous allons essayer de faire en sorte que le parcours soit davantage intégré, défini à partir des guides qui ne porteraient pas que sur ces trente maladies, mais sur toutes les autres. Le principe est d’étendre à toutes les pathologies la vision de la prise en charge intégrée des personnes. Aujourd’hui, le médecin prend en charge le patient, qu’il soit ou non en ALD. Pourquoi guider le médecin et le patient parce qu’il est sur la liste et pas les autres patients ?

Prenez l’exemple d’un protocole tripartite signé avec l’assurance maladie et réunissant médecins généralistes, assurés et assureurs. Les spécialistes et hospitaliers ne s’y retrouvent pas, alors qu’ils décident ; le généraliste qui signe considère qu’il ne connaît pas les détails des maladies rares d’un patient, en tout cas moins que les spécialistes et les hospitaliers, etc. De tels protocoles, tout comme l’ordonnance bizone, gênent le médecin traitant dans la pratique. Ils seraient supprimés et la prise en charge médicale serait simplifiée.

S’agissant de la prise en charge financière, on pourrait parler de curseur : à partir d’un certain montant de dépenses, la prise en charge serait totale. Certaines situations aiguës ambulatoires peuvent être très coûteuses.

M. Raoul Briet : Nous avons examiné les ALD une par une et nous avons essayé, avec les caisses d’assurance maladie, de mesurer les coûts qui s’attachaient à chacune de ces affections. Nous nous sommes alors aperçus que nous ne pouvions pas, de façon pertinente et bien ciblée, associer une définition de caractère médical – maladie et critères – au fait que, pour toute personne, à tout moment et selon ces critères, cette pathologie entraîne des dépenses élevées. Associer un dispositif de neutralisation financière à une liste de pathologies et de critères obligerait, soit à puiser trop largement dans la liste, soit à laisser de côté des personnes qui n’y figureraient pas.

Le dispositif du bouclier n’appelle pas de décisions individuelles, il est automatique. Actuellement, l’assurance gère déjà certaines formes de plafonnement, des copaiements, des franchises ou des participations. Il s’agirait donc de généraliser un tel dispositif, en lien avec les revenus.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Y a-t-il effectivement une grande variabilité financière en fonction du stade de l’ALD ?

M. Raoul Briet : En effet : selon les personnes, selon la date à laquelle on photographie leur situation, et de plus en plus souvent selon qu’elles présentent ou non une polypathologie. Les ALD évoluent avec le vieillissement de la population. Lorsque certains médecins conseil essaient, à juste titre, de sortir un patient d’une maladie en ALD, il arrive fréquemment que ce patient y entre à nouveau, pour une autre maladie. Il est difficile de gérer une ordonnance bizone pour une seule maladie. Mais pour plusieurs, cela devient impossible.

M. Jean Mallot, coprésident : Dans votre schéma, il y aura tout de même des guides, des critères dans une liste non fermée qui aideront à la décision. Il faut que vous nous en disiez plus sur l’organisation qui serait mise en place. Un bouclier sanitaire, en lui-même, ne règlera pas tout.

M. Laurent Degos : Aujourd’hui, nous établissons des listes très longues de médicaments, de prestations, d’actes possibles pour chacune des maladies. On peut tout oublier et dire, par exemple, qu’un diabétique peut être soigné de telle manière lorsqu’il a des problèmes ophtalmiques, cardiologiques, etc. Par ces recommandations de bonne pratique, on en revient à ce que nous faisions à l’origine. Voilà pourquoi nous avons complètement modifié l’organigramme de la HAS. Jusqu’à 2004, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) et l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) considéraient que les recommandations de bonnes pratiques étaient une fin. Aujourd’hui, la HAS considère que ces recommandations constituent le début de l’action. C’est à partir de là qu’on agit en disant au médecin ce qu’il doit faire, tout en ayant le moyen de contrôler, par le biais soit d’indicateurs au niveau des hôpitaux, soit de l’évaluation de pratiques professionnelles, soit de l’information délivrée et certifiée, soit des guides pour maladies chroniques.

L’avenir est beaucoup plus dans la bonne pratique personnalisée, intégrée à une coopération interprofessionnelle, et dans l’éducation thérapeutique, que dans le maintien de listes autour de l’idée que si l’on y figure, tant mieux, sinon, tant pis !

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : C’est un changement radical de philosophie et de pratique médicale. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a prévu la possibilité d’une rémunération différente en cas d’engagement individuel de bonne pratique du médecin.

M. François Romaneix : Nous pouvons agir à partir de trois piliers : d’abord, les actions développées par la HAS, notamment les recommandations de bonnes pratiques, qui s’appliquent à l’ensemble des patients, qu’ils soient ou non en ALD, ou l’évaluation des pratiques professionnelles qui est un moyen d’agir sur le terrain ; ensuite, les actions conduites par l’assureur, en particulier l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), comme les contrats individuels qui s’appuient sur des recommandations de la HAS ou sur des actions conventionnelles ; enfin, l’organisation du système de soins, notamment de proximité. Ces trois éléments doivent évoluer parallèlement pour se rejoindre.

M. Laurent Degos : Il faudra mener une réflexion sur ces contrats, notamment pour qu’ils ne chevauchent pas trop l’évaluation des pratiques professionnelles qui vise à l’amélioration de la qualité.

M. Jean Mallot, coprésident : C’est en effet un changement d’approche assez prononcé. Je suppose que vous avez réfléchi, au plan institutionnel, à l’articulation des tâches des uns et des autres ?

M. Laurent Degos : Nous avons des relations plus formalisées avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). Lorsque l’on parle de prise en charge, on entend à la fois la prise en charge thérapeutique et la prise en charge du dépistage, qui relèvent de notre compétence, et la prise en charge de la prévention et de l’éducation thérapeutique, que l’INPES appelle « éducation en santé ». Nous avons rédigé des guides et des manuels communs et nous travaillons avec l’institut lorsque des actions publiques de prévention sont menées.

Nous travaillons aussi avec la direction générale de la santé (DGS). Nous avons mené un travail intégré sur l’infarctus du myocarde. Nous faisons de même sur les accidents cardiovasculaires (AVC). Dans les deux cas, il s’agit de gagner le maximum de temps, c’est donc un problème d’organisation.

Pour les maladies chroniques, l’idée est la même : intégrer tous les chaînons qui permettent de prendre en charge une personne. L’avenir est bien de personnaliser le soin de façon intégrée, en ne pensant plus ni aux listes, ni aux correspondances liste et coûts, etc.

M. Pierre Morange, coprésident : Et avec l’assurance maladie ?

M. Laurent Degos : Le positionnement essentiel, existentiel de la HAS est d’être « entre », « en alliance », « avec », mais pas dans la dépendance d’un décideur ou d’un financeur – comme des patients ou des industriels. Au niveau institutionnel, en matière d’aide à la décision, il faut absolument que nous soyons entre les deux.

NICE (National Institute for clinical excellence), notre équivalent anglais, fait actuellement partie du NHS (National Health Service). Il est en grande discussion pour faire en sorte, au mois d’août, d’être indépendant comme nous le sommes. IQWIG (Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen), notre équivalent allemand, n’appartient ni à l’un ni à l’autre. Mais on lui reproche d’être trop affilié aux assureurs.

L’avenir appartient à ces agences régulatrices, indépendantes, européennes, dont la HAS est un modèle, grâce à vous. Indépendance ne signifie pas faire n’importe quoi. Mais il ne faut pas que sa réflexion et son expertise soient critiquées parce qu’elles auraient été menées conjointement avec un décideur ou avec un financeur.

M. Pierre Morange, coprésident : Le Parlement est extrêmement soucieux de cette indépendance. Malgré tout, des stratégies communes ne seraient pas absurdes.

M. Laurent Degos : C’est ma demande depuis les débuts de la HAS. Quelles sont les grandes priorités nationales auxquelles nous pourrions travailler ensemble, le décideur-financeur et nous-mêmes, en tant que conseillers ?

Au bout de deux ans et demi, nous avons choisi des priorités : les personnes âgées et les maladies cardiovasculaires, en y incluant l’obésité. Ce n’est pas en prenant cent médicaments par jour que les personnes âgées iront mieux. Quant aux maladies cardiovasculaires, notamment l’infarctus et les accidents vasculaires cérébraux (AVC), elles constituent une troisième maladie prioritaire, avec les cancers et la maladie d’Alzheimer, qui sont maintenant bien pris en charge. Après avoir travaillé à des soins intégrés pour l’infarctus, nous faisons de même pour les AVC.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle est la position de l’assureur ?

M. Laurent Degos : Il n’y voit pas d’inconvénient. En effet, c’est surtout l’hôpital, qui prend très vite en charge ces personnes, qui est concerné. Or l’assureur ne sait pas très bien ce qui s’y passe.

Cela dit, nous travaillons beaucoup plus en collaboration et en concertation avec la direction générale de la santé (DGS) et la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS), en apportant des conseils par le biais de l’évaluation des pratiques professionnelles. Mais il faut que cela se traduise, pour les patients, en termes de résultats cliniques. Chaque fois que nous entreprenons quelque chose, nous mettons à la fin un registre, une mesure pour pouvoir apprécier toute amélioration. C’est ainsi que vous disposerez des résultats annuels de chacune de nos actions.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : En deux ans et demi, vous avez déjà émis des avis sur les ALD, sur leur définition, des recommandations sur la prise en charge, les prestations, sur les critères d’admission. Tout ceci a-t-il été suivi d’effets ?

M. Laurent Degos : Nous avons fait le travail qui nous était demandé, qui était de revoir les périmètres et les critères d’admission en ALD ainsi que les lites des actes et prestations nécessaires au traitement des ALD. Cela a-t-il été suivi d’effets ?

Nous avons eu quelques petites difficultés avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), qui nous a reproché d’avoir mis des produits hors autorisation de mise sur le marché (AMM) dans des listes. Nous avons répondu que nous l’avions fait parce que les médecins utilisaient de tels produits pour telle ou telle maladie. Maintenant, nous envoyons à l’AFSSAPS toutes nos recommandations de listes, qui nous les renvoie, etc. Un échange a donc lieu.

Le payeur nous a dit que nous étions laxistes. Mais, dans chaque comité ou commission, il y avait à la fois des praticiens et des représentants de patients. En tant que Haute Autorité de santé, nous sommes là pour écouter tout le monde et pour que tout le monde s’entende.

Il y a des sujets dont on peut discuter. Par exemple, doit-on mettre dans ces listes des médicaments remboursés à 35 %, qui sont considérés comme d’intérêt mineur ou seulement des médicaments remboursés à 100 % ? Les laxatifs sont des médicaments indispensables pour les paraplégiques ; ce n’est pas pour autant qu’ils doivent être pris en charge à 100 % pour toute ALD. De même, des médicaments hors AMM comme les crèmes solaires, sont indispensables pour les xéroderma pigmentosuM. Tout cela suppose une vraie réflexion, que nous a d’ailleurs demandée Mme la ministre en charge de la santé. Nous vous en donnerons les résultats prochainement.

M. Raoul Briet : Tout le travail qui a été conduit depuis près de trois ans sur les ALD ne se limite pas à la recommandation de la HAS de décembre 2007 qui propose trois scénarios. Pour la quasi-totalité des ALD, nous avons répondu à la demande, à savoir : définir la liste des actes et des prestations qui sont en rapport avec la maladie, de manière à donner à l’assurance maladie les outils médicalement et scientifiquement légitimes pour gérer l’ordonnance bizone, qui permet de distinguer les prescriptions en rapport ou non avec une ALD.

Nous avons profité de l’occasion pour essayer de donner un fil directeur au médecin, un guide qui lui permette de rassembler les éléments clés de la bonne prise en charge médicale de la pathologie concernée. Nous avons également édité, pour certaines pathologies, des guides patients, ces derniers ayant un rôle essentiel à jouer dans les pathologies chroniques. C’est l’assurance maladie qui diffuse ces guides.

Nous nous sommes donné comme objectif, pour la fin de l’année, de faire remonter, dans le cadre du suivi des AMM, mais aussi par les associations de patients et par les représentants des professionnels de santé, les éléments permettant de mesurer l’impact, dans la vraie vie, de nos listes, de nos guides médecin et de nos guides patient.

C’est un changement important, même si cette dynamique a du mal à se mettre en route, compte tenu du nombre des personnes concernées ; des centaines de milliers de personnes entrent en effet chaque année en ALD. La loi du 13 août 2004 avait posé le principe d’un protocole médical « individualisé ». Nous nous contentons de fournir le socle commun. Nous disons au médecin traitant, avec l’accord du médecin conseil, qu’il peut adapter le protocole de base en fonction de la situation des personnes. Bien sûr, il est difficile d’appliquer une mécanique aussi ambitieuse à un traitement de masse. Il est difficile de faire du sur mesure et d’actualiser régulièrement le protocole.

M. Laurent Degos : Nous n’avons pas de données sur ce sujet. Cela demande du temps pour les collecter.

M. Raoul Briet : Nous commençons à en rassembler. L’assurance maladie y travaille. Et, d’ici à la fin de l’année, nous essaierons de mettre en face ces matériaux. Mieux vaut disposer de chiffres que se contenter d’exprimer des avis ou des intentions.

Le premier objectif est de simplifier la vie du médecin traitant. Il existe maintenant des références indiscutables pour l’établissement des protocoles d’ALD. Cet élément est considéré par principe comme légitime par le médecin conseil. C’est une forme de standardisation, qui peut faciliter la vie quotidienne des médecins traitants comme des médecins conseil.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous souhaitons vivement que les logiciels d’aide à la prescription deviennent obligatoires et soient certifiés dans un délai très bref, de moins d’un an. Dans le cadre des études d’impact que vous avez réalisées, avez-vous pu en apprécier les résultats en termes de dépenses ? Est-ce l’assurance maladie qui s’en chargera ?

M. Laurent Degos : Prenons l’exemple de la prise de psychotropes par les personnes âgées. 25 administrations se sont retrouvées autour de la table pour y travailler. Chacune, comme l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l’INPES, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), etc. a apporté ses tableaux de résultats et l’on a fait un tableau général. Il s’agit d’un tableau médical qui montre l’évolution et l’évaluation médicale de cette prise de psychotropes par les personnes âgées, que ce soit pour l’insomnie, l’anxiété, la dépression, les troubles du comportement, etc. Pour notre part, nous nous en tenons là. Mais je pense que la CNAMTS y a déjà travaillé et a développé des logiciels pour voir si les personnes concernées s’étaient arrêtées de prendre, deux, trois ou quatre psychotropes…

M. Pierre Morange, coprésident : Vous n’en êtes qu’au stade de la supposition ?

M. Laurent Degos : Nous avons élaboré ces tableaux de bord médicaux communs à toutes les administrations.

M. Pierre Morange, coprésident : Utilise-t-on, au travers des différentes structures que vous venez d’évoquer, les mêmes paramètres de langage statistique ?

M. Laurent Degos : Ce fut un travail prospectif et « prototypaire » qui a abouti assez rapidement, en une année, à un tableau de bord commun, malgré quelques réticences quant au partage des données. Chacun en possède un peu, qu’il doit mettre en commun pour qu’on puisse y voir clair quand on mène une action. Pour l’infarctus du myocarde, nous établissons des registres avec le service d’aide médicale d’urgence (SAMU), les cardiologues et d’autres. Tout dépend du sujet.

Jusqu’à présent, on manquait de données et on ne savait pas quel était l’impact des mesures. Aujourd’hui, chaque fois qu’une action est menée, la HAS cherche à en mesurer l’impact. Pour les ALD et le suivi des listes, c’est avec les caisses d’assurance maladie qu’on pourra apprécier cet impact.

M. Gérard Bapt : Je n’appartiens pas à la MECSS, mais je préside une mission d’information sur l’exonération des cotisations sociales. Lors de nos travaux, nous avons abordé la question de la « barémisation » des cotisations, c’est-à-dire l’intégration des exonérations dans le dispositif même de cotisations sociales, lesquelles pourraient être modulées en fonction du salaire. Lors des auditions, nous avons senti une forte réticence, notamment de la part des représentants syndicaux, en particulier de ceux qui sont censés représenter les classes moyennes, à l’égard une telle proposition. En effet, une bonne partie des classes moyennes pourrait cotiser davantage tout en ayant peu recours à l’assurance maladie. On a envisagé par ailleurs de coupler le reste à charge aux revenus. Ne risque-t-on pas qu’une certaine catégorie de population se détourne du système de protection solidaire et essaie de trouver, sur le plan européen, d’autres types d’assurance ? Quelle sera la réaction des partenaires sociaux et de la mutualité ? Lorsque l’on parle de reste à charge, on pense en effet aux assurances complémentaires.

M. Raoul Briet : S’agissant de la prise en compte des revenus, il faut ramener les choses à leur juste place. Il n’est pas question de moduler les remboursements en fonction des revenus mais de déterminer un niveau à partir duquel les personnes accéderaient à l’exonération du ticket modérateur. On fixerait un seuil d’accès aux 100 %, qui ne serait pas le même selon que vous gagnez, une, deux ou trois fois le SMIC. Dans un tel schéma, tout le monde continuerait à bénéficier du premier remboursement quel que soit son niveau de revenus, et demeurerait dans un système solidaire ; la grippe du cadre dirigeant serait remboursée comme celle du bénéficiaire de la couverture maladie universelle (CMU).

Selon moi, un tel système est un peu plus solidaire que le précédent. Aujourd’hui, sur 100 euros de dépenses, 75 sont pris en charge par l’assurance maladie obligatoire, 25 par les ménages ou les complémentaires. Le financement des 75 % prend en compte les revenus. Mais le financement des 25 % restant ne prend pas en compte les revenus. Les restes à charges sont quant à eux à peu près les mêmes en valeur absolue quel que soit le niveau de revenus. Cela signifie qu’ils sont d’autant plus importants (en taux d’effort demandé aux assurés) que les revenus sont faibles. Un dispositif de type bouclier sanitaire prenant en compte de manière un peu exceptionnelle le niveau de revenus signifierait qu’on introduirait, dans cette fraction de la dépense qui reste à charge, une certaine forme de prise en compte des revenus lorsqu’il s’agit de dépenses remboursées par l’assurance maladie obligatoire. Ce ne serait pas une remise en cause systématique et générale du système, mais une gestion différente de la part qui reste à charge. Les systèmes belge et allemand ont également des dispositifs de plafonnement du reste à charge, qui sont dans les deux cas liés aux revenus.

Il faut remarquer enfin que la plupart des systèmes qui ont des dispositifs de copaiement ont également des dispositifs de plafonnement. Nous en avons nous-mêmes, par strates, mais notre système n’est ni général ni universel. Instituer le bouclier conduirait à un dispositif unifié, généralisé de ces restes à charge, au lieu d’une juxtaposition peu lisible et peu juste des plafonnements.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Qu’en est-il au niveau international ?

M. Laurent Degos : Au Japon, le plafonnement est mensuel.

M. Raoul Briet : Il y a quelques mois, nous avons publié une étude comparant les dispositifs de ticket modérateur ou de restes à charge dans quelques pays. On y trouvait souvent des formes de plafonnement. La caractéristique française réside dans le lien très fort qui est fait entre une pathologie et une exonération. Notre pays est sans doute le seul à utiliser de manière aussi marquée des critères médicaux pour définir des critères d’exonération ou de neutralisation des restes à charge.

M. Pierre Morange, coprésident : La notion de reste à charge est au cœur de la réflexion sur le bouclier sanitaire. On ne pourra pas faire l’économie d’un débat à ce propos dans le cadre de la prise en charge de la dépendance, dont l’impact financier est très important et qui concerne aussi bien le patient que la famille au sens large.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie.

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La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a ensuite procédé à l’audition de M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.

M. Jean Mallot, coprésident : Monsieur le Président, je vous souhaite la bienvenue et je vous pose sans plus tarder une première question : quelles sont les réflexions du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie quant au système de prise en charge des affections de longue durée, les ALD ?

M. Bertrand Fragonard : À ce sujet, nous avons adopté, en avril 2005, un avis que je trouve encore excellent, très actuel. L’idée sous-jacente aux ALD reste robuste. Dans notre système, lorsque les dépenses de santé d’un assuré social excèdent un certain montant, la gratuité des soins est garantie. La prise en charge des ALD constitue une illustration importante de ce principe, tout comme l’exonération dite « du K50 », applicable aux soins hospitaliers dès qu’ils sont un peu lourds, hormis la petite franchise instaurée il y a quelques années. Le régime des ALD a représenté un progrès considérable dans l’accès aux soins. Le Haut conseil n’envisage aucunement d’explorer l’hypothèse brutale de sa suppression. Cela reviendrait au demeurant à déverser sur les complémentaires un montant massif, concentré sur les personnes âgées, avec un système de compensation de solidarité. Le Haut conseil a jugé qu’une réforme des ALD ne saurait aller jusqu’à la casse du concept, à l’instar du forfait hospitalier de 18 euros, qui ne remet pas en cause le principe de l’exonération dite « du K50 ». En réalité, la croissance des ALD ne doit pas être déplorée mais constatée, ce n’est pas un échec mais une donnée : si le nombre de diabétiques augmente, il convient de les soigner correctement et d’assumer la dépense. Si les dépenses liées aux ALD progressent, c’est aussi le cas des dépenses liées aux autres affections, même si leur rythme de croissance est un peu moins rapide.

D’où vient le débat ? Plus que d’autres dispositifs, cette exonération est soumise à une indication médicale. Dans la mesure où les restes à charge – RAC – assumés par les malades non éligibles au dispositif des ALD sont élevés, ne serait-il pas plus équitable de se détacher de la condition médicale ? Mais quelles seraient les conséquences financières de ce changement ? Dès 2005, sans employer l’expression « bouclier sanitaire », nous avions évoqué l’idée d’un mécanisme financier unifiant les prises en charge sur la base d’un plafonnement durable. Le système actuel semble rationnel de loin mais recèle en réalité nombre d’excroissances, de failles et de disparités, notamment des RAC excessifs dans certaines situations. Plusieurs centaines de milliers d’assurés seulement sont frappés mais l’éthique du système s’en trouve entachée. Il ne faut pas négliger non plus les dépassements d’honoraires, devenus l’un des problèmes majeurs de l’assurance maladie.

Pour supprimer les disparités, il existe deux voies : modifier le périmètre de l’ALD pour ne plus protéger que les maladies véritablement longues et coûteuses ; substituer le concept de bouclier sanitaire à celui d’ALD. Dans la première hypothèse, il appartiendrait à la Haute Autorité de santé, la HAS, puis aux autorités de tutelle de définir le cercle béni des ALD. Mais trier entre les maladies serait extrêmement difficile : choisir entre les diabètes ou faire sortir du régime des ALD les malades stabilisés supposerait une énergie politique considérable. La tendance est plutôt à allonger la liste des ALD. Le Haut conseil a d’ailleurs approuvé l’opposition de la HAS à un classement en ALD de toutes les maladies orphelines ou rares.

Finalement, même si des progrès étaient enregistrés dans le tri entre maladies, l’instauration du bouclier serait pertinente car c’est le seul processus rationnel. C’est la conclusion de notre rapport, qui, je le reconnais, a créé quelques perturbations. Deux questions se posent : faut-il mettre en place un bouclier ? Doit-il prendre en compte les revenus ? Cette nouvelle approche, pour pertinente qu’elle soit, ne révolutionnera pas la réalité sociale : nos dépenses augmentent parce que nous détectons les maladies plus rapidement et parce que nous les soignons mieux. C’est d’ailleurs pourquoi le système doit être revu périodiquement. Il n’en reste pas moins qu’une réforme supprimant le concept d’ALD sans lui substituer le bouclier ne saurait faire l’objet d’un consensus au Haut conseil car presque aucun ménage ne pourrait supporter les dépenses liées à certaines maladies.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ne faudrait-il pas dresser des tableaux comparatifs et mener des expérimentations afin d’obtenir des gains permettant de conserver le système des ALD en révisant leur carte ? Tout le monde est d’accord pour une réforme mais personne n’a jamais fait de propositions précises.

M. Bertrand Fragonard : Beaucoup de temps a été nécessaire pour affiner l’analyse de la structure et la chronologie des dépenses liées à chacune des ALD mais cette base documentaire est désormais disponible. De là à prendre la décision de réviser les ALD, le saut logique et politique est considérable. Je ne peux qu’encourager les responsables, notamment la HAS, à aller dans ce sens, mais ils se heurteront forcément à des difficultés politiques car ce sera vécu comme une régression. Songez au temps qu’il a fallu au Gouvernement pour déclasser certains médicaments ! Les enjeux sont sans commune mesure pour les ALD, qui représentent des sommes bien plus significatives.

J’ajoute que, dans notre rapport, nous soulignons la pertinence du bouclier pour les ALD comme pour les autres affections. Il est paradoxal qu’un pays consacrant autant d’argent à la prise en charge accepte des RAC avant dépassement aussi élevés. La réflexion sur la prise en charge ne doit pas s’arrêter aux ALD et les arbitrages doivent s’étendre aux dépassements.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Comment peut-on empêcher les départs de médecins de certaines régions tout en luttant contre les dépassements d’honoraires ou les autres solutions de contournement ?

M. Bertrand Fragonard : Le bouclier n’aurait pas pour objet de traiter les dépassements d’honoraires mais uniquement la dépense reconnue. Il serait donc politiquement erroné de considérer le problème réglé une fois le bouclier institué. Le problème des dépassements est concentré géographiquement sur quelques spécialités mais généralisé en ce qui concerne l’optique, le dentaire ou les audioprothèses et il devient fréquent dans les établissements de santé, notamment pour la prothèse de hanche ou la chirurgie du cristallin. Les dépassements atteignant aujourd’hui un montant global de 10 milliards d’euros, le problème ne peut être réglé par un coup de baguette magique.

C’est pourquoi le Haut conseil a préconisé de commencer par le plus urgent : les dépassements dans les établissements de santé, qui s’élèvent à 500 millions d’euros seulement. Une deuxième vague pourrait concerner certaines prestations comme les audioprothèses. Et nous mettrions en troisième priorité les dépassements courants en soins de ville, chez le dermatologue ou le cardiologue.

Notre rapport de 2007 a conclu qu’il sera extrêmement difficile de maintenir un taux de prise en charge aussi élevé si la dépense réelle continue de croître plus rapidement que le PIB. Il faudra donc bien un jour hiérarchiser les prises en charge. La réflexion sur les ALD doit être intégrée dans ce cadre plus général.

M. Gérard Bapt : Outre les audioprothèses, un gros effort devra être accompli en matière de prévention et de dépistage du bruit au travail comme dans la vie quotidienne.

Il s’avère très difficile non seulement de définir les ALD mais aussi d’envisager les conséquences sociales ou politiques d’une réforme du système, si ce n’est que les économies possibles seraient marginales. Les efforts doivent davantage porter sur la prise en charge individuelle, l’observance et la réduction des inégalités sociales.

M. Bertrand Fragonard : Il n’existe pas de montants marginaux. Même si les très grands ordres de grandeur ne seraient pas bouleversés, le déclassement du diabète ou d’une autre ALD entraînerait des économies significatives : ce ne sont pas des milliards d’euros qui sont en jeu mais des centaines de millions. Qu’une réforme soit envisagée ou non, l’idéal est de traiter au mieux chaque ALD, quel que soit son niveau de prise en charge. Le concept d’ALD prévoit d’ailleurs que la prise en charge soit assortie d’un suivi de la maladie. L’abandon du système des ALD aurait deux conséquences : les RAC seraient banalisés et la HAS devrait imaginer d’autres marqueurs.

Le passage au bouclier ne révolutionnerait pas le concept d’ALD car cela n’influencerait ni le nombre de diabétiques ni les dépenses liées à leur maladie. En revanche, si des marges de manœuvre sont dégagées et affectées à l’élimination de RAC abusifs sur d’autres maladies, ce sera gagnant-gagnant. L’audioprothèse, par exemple, représente un petit marché, du même ordre de grandeur que celui du diabète de type 2, dont le déclassement est souvent évoqué. À âge égal, les problèmes d’audition sont étroitement corrélés aux revenus. Or le taux d’équipement en audioprothèses est beaucoup plus faible parmi les personnes très modestes, pourtant les plus exposées aux nuisances sonores, tout simplement parce que les RAC sont très élevés. Pour l’optique, c’est différent : malgré le niveau des RAC, tout le monde finit par s’équiper d’une paire de lunettes car il est impossible de vivre sans. La prise en charge des ALD étant assurée à hauteur de 90 %, il est légitime de réduire ce taux en douceur afin d’abaisser les dépenses de santé ou de réaffecter les économies, soit en faveur d’autres segments de soins, soit en faveur, par exemple, de la politique familiale.

Ma vision reste cependant optimiste car notre système de solidarité, en dépit de ses déséquilibres, demeure parmi les plus beaux et les plus intelligents qui soient. Nous cherchons simplement à agir aux marges pour améliorer sa gestion.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Il semble que le bouclier sanitaire aurait pour effet d’éviter l’empilement des exonérations. Néanmoins, une fois le reste à charge annuel atteint, le patient pourrait dépenser sans compter.

M. Bertrand Fragonard : C’est déjà le cas, cela n’a aucun rapport avec le bouclier sanitaire ! En France, hormis les assurés ne possédant pas de complémentaire – soit 8 % de la population, catégorie qui est plutôt victime de manque de soins –, il n’existe aucun frein. Le risque de consommation débridée n’est donc pas inquiétant.

M. Jean Mallot, coprésident : La régulation du système est reportée sur l’aval. Quels mécanismes permettraient de résister à cette tendance ?

M. Bertrand Fragonard : Il n’y a pas à choisir entre l’amont et l’aval. Que l’aval soit bien fait constitue déjà un progrès. La qualité des soins accuse-t-elle un déficit majeur en amont, notamment en ce qui concerne la prévention ou la maîtrise médicalisée ? Oui, de même que l’hôpital. Le Haut conseil ne s’est pas hasardé à chiffrer le gain possible mais chacun sait que la gestion du système peut être améliorée. Derrière ce système, 2 millions de professionnels travaillent. Une réforme ne peut donc être conduite qu’avec lenteur. Mais nous sommes engagés dans une course de vitesse contre la croissance des dépenses. Les progrès enregistrés sont d’une ampleur moyenne alors que la dérive du système atteint 3 milliards par an. Des pistes commencent à apparaître pour améliorer la prévention mais leur conséquence sur les comptes reste un mystère. La prévention ne doit pas être conçue comme un outil pour contenir la dépense mais comme un moyen de mieux soigner les gens. De ce point de vue, les bons interlocuteurs sont la HAS et l’UNCAM – l’Union nationale des caisses d’assurance maladie –, ainsi que le corps médial ; ce n’est pas un problème administratif.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Avez-vous débattu de ce problème d’amélioration de la prise en charge avec les professionnels de santé ?

M. Bertrand Fragonard : Il ne faut pas prêter au Haut conseil des vertus qu’il n’a pas. Notre fonction est de rapprocher les analyses assez en amont afin de mieux comprendre le système. Un consensus s’est dégagé à propos de la perspective de trier dans les ALD, et les syndicats de médecins et de professionnels de santé ont voté cet avis, tout en jugeant absurde un déclassement du diabète. L’idée du bouclier n’est pas apparue à la suite de l’annonce des franchises médicales, comme une sorte de contrepartie, mais quatre ou cinq mois auparavant, dès avril 2005.

Ayant conseillé plusieurs ministres, je préconise la modestie. Je mesure l’extrême difficulté à faire bouger l’assurance maladie car cela touche à la vie des professionnels et des malades.

M. Pierre Morange, coprésident : Le délai de mise en œuvre des solutions préconisées s’inscrit dans le moyen terme alors que l’agenda budgétaire est annuel. Dans un rapport de 2007, vous vous interrogiez sur le degré de la prise en charge de l’assurance maladie. Avez-vous progressé sur ce sujet, sachant qu’un point d’assurance maladie obligatoire représente 5 milliards d’euros ?

Pour le bouclier sanitaire, deux options seraient possibles : la prise en compte ou non des revenus. Qu’en pensez-vous ?

M. Bertrand Fragonard : Le Haut conseil est l’une des rares institutions à avoir consacré une séance de travail au thème du bouclier, qui ne suscite guère d’enthousiasme. Trois problèmes centraux se posent.

Premièrement, les assurances complémentaires n’aiment pas le bouclier.

Deuxièmement, des paramètres financiers doivent être fixés et, si un bouclier est créé, il n’est pas exclu que, dans l’avenir, le plafond soit relevé pour soulager les comptes. La tendance naturelle de l’assurance maladie est d’accroître sa participation, tout simplement parce que les soins sont exonérés. Toutes choses égales par ailleurs, le taux d’engagement de la sécurité sociale a toujours monté ; il ne se stabilise que lorsque des coups de canif sont donnés aux remboursements. Un bouclier ne changera pas la donne financière – il faudra toujours compenser les tendances haussières – mais il deviendra beaucoup plus facile de réguler le système qu’avec les ALD.

Troisièmement, si ce changement de paradigme intervient, il faudra examiner l’opportunité de tenir compte du revenu. Si le Haut conseil avait voté sur ce point, je pense que j’aurais été minoritaire et que la réponse aurait été négative. Il faut comprendre que l’assurance maladie est vécue par beaucoup comme l’acquis le plus considérable depuis 1945, le dernier bastion, et que l’on s’est habitué à ce que les remboursements ne tiennent pas compte du revenu. Introduire cette notion, même à la marge, constituerait un choc. Le choix est purement politique et la question doit être posée. En effet, faute de prise en compte du revenu, il faudra accepter des recettes supplémentaires ou une baisse des remboursements pour tout le monde. Le plus facile est d’accroître le ticket modérateur, mais le remboursement est renvoyé aux complémentaires, ce qui met la pression plutôt sur les personnes âgées et les personnes modestes. Une autre solution consiste à créer des franchises, problème qui n’a pas été bien compris. Quelle que soit la formule, il est possible de tenir compte du taux d’effort des ménages. Si le ticket modérateur était complètement supprimé et si les ALD étaient réintégrées dans le droit commun, le gain ne serait que de 7,5 milliards, ce qui ne réglerait pas le problème financier. Et l’essentiel du choc frapperait les ménages les plus modestes et les plus âgés ; il faudrait alors envisager un système d’aide à la souscription d’une assurance complémentaire. Pour maintenir à 75 % le taux des dépenses socialisées, compte tenu de la croissance de la consommation, il faut augmenter la participation sur les soins non exonérés. La question de la prise en compte du revenu se posera de plus en plus, au fur et à mesure que la dépense brute – la dépense réelle – progressera et que le financement de l’assurance maladie se compliquera.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : De quand date l’introduction dans les systèmes allemand et belge d’une modulation des remboursements en fonction des revenus ? Des difficultés ont-elles été rencontrées ?

M. Bertrand Fragonard : En Allemagne comme en Belgique, la modulation en fonction du critère revenu n’a pas fait de bruit, même si le système belge fonctionne mieux. En France, elle provoquerait l’écrêtement du régime des ALD. En Allemagne, le taux de prise en charge était meilleur que le nôtre ; le bouclier a été vécu comme protecteur car il a été introduit au fur et à mesure de l’accroissement de la participation des usagers. Si le bouclier était créé en France, il serait protecteur pour tout le monde mais, psychologiquement, les assurés ne le verraient pas ainsi.

Il convient non pas d’évaluer les mérites et les inconvénients du bouclier mais de le comparer avec les autres techniques.

M. Jean Mallot, coprésident : Je vous remercie.

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La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a enfin procédé à l’audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Hubert Allemand médecin-conseil national de la CNAMTS, M. Yves Humez, directeur général de la Mutualité sociale agricole (MSA), M. Vincent Van Bockstael, médecin conseiller technique de la MSA, et M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants (RSI).

M. Jean Mallot, coprésident : Nous accueillons maintenant une délégation de représentants de l’UNCAM, de la CNAMTS, de la MSA et du RSI.

Après avoir abordé le sujet du médicament, sur lequel son rapport vient de paraître, la MECSS a entamé un travail sur les affections de longue durée, et dont le rapporteur est M. Jean-Pierre Door. Elle a déjà auditionné le directeur général de la santé et, ce matin, la Haute Autorité de santé et le président du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, M. Bernard Fragonard.

Le sujet des ALD est sensible et complexe. Faut-il conserver le système actuel ? Faut-il revoir la liste, faut-il même rester dans une liste ? Faut-il changer de système, comme cela est envisagé dans certains documents de la Haute Autorité de santé ? Quelles seraient les conséquences du passage à un « bouclier sanitaire » ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Les projections que nous avons réalisées pour la Cour des comptes et pour le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie montrent une concentration des dépenses d’assurance maladie vers les ALD. Il s’agit d’un phénomène de long terme : en 1992, la part des dépenses d’assurance maladie consacrées aux ALD était d’environ 50 % ; nous atteignons aujourd’hui 60 % et, si la tendance se confirme, en 2015, 70 % des dépenses seront dédiées au financement des soins aux personnes souffrant de pathologies chroniques ou aggravées. On sait aussi que la dynamique de la croissance des dépenses de santé repose principalement – aux trois quarts – sur ces pathologies.

Si je préfère cette dénomination à celle d’ALD, c’est que cette dernière renvoie automatiquement au taux de remboursement. Or faire l’impasse sur la dépense de santé en amont du taux de prise en charge serait une erreur.

Au cours des huit premiers mois de l’année 2007, l’évolution de la dépense prise en charge au titre des ALD, donc à 100 %, s’est accrue de 8 %, dont 4,5 % au titre des effectifs de malades pris en charge à 100 % et 3,5 % pour le coût unitaire des soins délivrés à ces personnes. Les grands facteurs de cette croissance sont les pathologies cardio-vasculaires – 5 % d’augmentation de l’effectif pris en charge à 100 %, avec un coût unitaire qui ne s’accroît, pour les soins de ville, que de 2,7 % –, les cancers, avec une augmentation de 5,6 % de l’effectif qu’explique en partie la plus grande précocité des dépistages –, le diabète, dont l’effectif s’accroît de 6 %. Les affections psychiatriques n’évoluent que faiblement en effectif – 0,5 % –, sans doute parce que les critères d’entrée en ALD ont été un peu resserrés par des décrets pris en 2005 et 2006 ; en revanche, pour les désordres neurologiques liés à l’âge, notamment la maladie d’Alzheimer, l’effectif augmente de 5,4 % et le coût des traitements de 4 %. Les autres ALD évoluent autour de 7,3 %, dont 3,5 % pour l’effectif et 3,8 pour le coût des soins.

La dynamique est donc portée par des évolutions sous-jacentes fortes. De surcroît, on sait bien que la dépense en produits sanguins de synthèse pour un hémophile, par exemple, peut atteindre un ou plusieurs millions d’euros dans l’année. Il faudra donc que le système collectif de prise en charge permette de réassurer – que ce soit en fonction de leurs revenus ou à travers la prise en charge à 100 % – ceux de nos concitoyens qui souffrent de pathologies dont le coût de traitement est élevé.

Malgré cette concentration historique sur les ALD, je pense qu’il existe des marges pour mieux soigner en maîtrisant un peu plus qu’aujourd’hui la dépense de santé.

Tout d’abord, force est de reconnaître que nous n’avons pas investi au niveau nécessaire dans la prévention. Or la prévention est bien un investissement : elle ne permet pas une économie immédiate, le bénéfice, en termes tant de santé publique que d’économies, est différé. Le Gouvernement a souhaité que nous menions cette politique qui s’intègre dans son plan Pathologies chroniques. Nous avons commencé ce travail, mais sans doute aurait-il fallu l’engager il y a dix ans.

On dispose de marges de manœuvre plus directes avec l’optimisation du recours au système de soins et les gains d’efficience que l’on peut obtenir de certains producteurs de soins.

Aujourd’hui, nous soignons l’hypertension artérielle sans hiérarchiser les traitements, notamment l’utilisation des IEC (inhibiteurs de l’enzyme de conversion) et des sartans. Tous les pays qui nous entourent le font et ont émis des recommandations médico-économiques en ce sens. Ce sont vraisemblablement quelques centaines de millions d’euros qui sont ici dépensées de façon « sous-optimale ». Je pourrais également mentionner les traitements du diabète ou le recours à de nombreux produits de santé.

Des marges existent aussi dans l’organisation du processus de soins, dans le recours aux personnels médicaux et paramédicaux et dans le recours à l’hospitalisation, qui n’est pas aujourd’hui totalement organisée. Pour passer de la théorie à la pratique, le parcours de soins doit reposer sur une segmentation extrêmement fine de la patientèle, qu’il est très difficile de réaliser. Le professeur Hubert Allemand, médecin-conseil national de la CNAMTS, vous exposera l’état d’avancement de nos travaux.

À titre d’exemple, entre un patient diabétique non compliqué, équilibré par des antidiabétiques oraux, et un patient diabétique dialysé, le parcours n’est pas de même nature.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Ce n’est pas nouveau. Voilà plusieurs années que l’on a instauré des référentiels médicaux.

M. Frédéric Van Roekeghem : Pour mettre en œuvre ces référentiels, il faut segmenter la patientèle. On parlait déjà en 1993 des références médicales opposables, mais on ne peut segmenter la patientèle si on ne dispose pas du codage, qui remonte à 1999 pour le médicament et à 2005 pour les actes techniques médicaux. Ce n’est que depuis très peu de temps que nous savons segmenter les patients diabétiques et pouvons déterminer que certains sont surmédicalisés et que, pour d’autres sujets à risque, il faudra mieux utiliser les référentiels médicaux. Cette connaissance nécessite de disposer de bases de codage et d’être capable de construire la valeur ajoutée. Nos contacts avec l’étranger – les Health Maintenance Organizations (HMO) américaines ou le National Health System (NHS) britannique, par exemple – nous ont montré que nous ne sommes pas si en retard que cela par rapport aux autres pays.

M. Pierre Morange, coprésident : Le fait de ne disposer que maintenant de ces données illustre l’inertie et la complexité du système. À présent, partagez-vous ces données avec les autres organismes de sécurité sociale et avec la HAS, comme l’exigerait une logique de pédagogie partagée ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Le SNIIRAM – système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie – est ouvert à de très nombreux acteurs depuis 2005. Je récuse la rumeur selon laquelle nous garderions nos données pour nous ! Il ne faut cependant pas être naïf : dans la mesure où le secteur privé attribue à ces données une valeur élevée, nous considérons que leur ouverture doit se faire de façon hiérarchisée et adaptée aux besoins de l’utilisateur, de façon à ce que leur exploitation n’aille pas à l’encontre des intérêts de l’assurance maladie. L’accès au SNIIRAM est sans limite pour l’État, pour tous les régimes d’assurance maladie obligatoires qui participent à ce système, pour l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (l’AFSSAPS) et pour la Haute Autorité de santé. Cette ouverture a fait l’objet de décisions signées.

Le véritable problème est celui que posent ceux qui veulent créer de la valeur ajoutée à partir de ces données et nous demandent sans cesse de produire des études qu’ils ne peuvent réaliser, faute de disposer de la masse médicale critique. Nous sommes alors contraints de faire valoir nos propres missions et nos propres contraintes : nous ne sommes pas une société de service à façon.

Si le partage avec les régimes et les institutions s’impose en revanche, c’est que la ressource médicale publique pour élaborer des stratégies cohérentes est extrêmement limitée. Sur le sujet de l’hypertension artérielle et des statines, la HAS, que nous avons saisie pour qu’elle se prononce sur la bonne utilisation des produits de santé, a travaillé sur la base d’études fournies principalement par l’assurance maladie.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Les responsables de la Haute Autorité de santé, que nous avons auditionnés ce matin, ont confirmé que cette instance formule des avis sur la liste des ALD et des recommandations sur les actes et les prestations à prendre en charge, éventuellement sur les critères médicaux de la définition. Recueillez-vous ces informations pour les mettre en pratique ou existe-t-il une certaine réticence ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Prenons l’exemple du diabète. Les quatre documents structurants que la HAS a produits sur cette affection ont été distribués aux professionnels de santé par les délégués de l’assurance maladie. Nous avons utilisé nos propres possibilités d’impression et de distribution.

La difficulté est sans doute ailleurs. Avant 2008, la HAS n’était pas investie de cette mission médico-économique. Il était naturel que l’assurance maladie essaie de suivre une stratégie cohérente et d’être une force de proposition – on lui a suffisamment reproché le contraire ! Nous avons ainsi procédé à des analyses comparatives des recommandations françaises et étrangères et les avons portées à la connaissance de la HAS, que nous avons saisie sur plusieurs sujets. Nous lui avons également communiqué des analyses médico-économiques que nous souhaitons voir prises en compte dans le débat qui se déroulera sous sa responsabilité.

M. Hubert Allemand, médecin-conseil national de la CNAMTS : Si nous disposons en effet de référentiels depuis un certain temps, ceux-ci sont peu hiérarchisés en termes de prestations et se limitent à ouvrir les différentes possibilités thérapeutiques qui s’offrent au médecin pour telle ou telle pathologie. À l’inverse, beaucoup d’agences étrangères ont hiérarchisé les traitements – par exemple les traitements hypotenseurs de première ligne, de deuxième ligne, de troisième ligne, etc. – selon des arguments d’efficience médico-économique. En France, où l’on ne dispose pas de cette hiérarchie, il est possible de commencer à traiter une hypertension, même légère, par tout traitement existant. Or les prix varient considérablement pour une efficacité parfois équivalente.

M. Pierre Morange, coprésident : Pour engager le nécessaire travail de mise en perspective de ces données, un dialogue constructif entre la HAS et les assureurs que sont les régimes d’assurance maladie s’impose. Quel est l’agenda envisagé ? L’opération menée pour réduire la prescription d’antibiotiques a été une réussite tant auprès du public qu’auprès des professionnels de santé, mais elle ne s’est pas inscrite dans un cadre plus structuré, notamment celui du parcours de soins.

M. Frédéric Van Roekeghem : Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 comportera un contrat-type assorti d’un volet d’accompagnement des pathologies chroniques qui s’appuiera sur des recommandations de la HAS pour hiérarchiser les traitements.

M. Pierre Morange, coprésident : Le rapport de la MECSS sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments, présenté par Mme Catherine Lemorton, a mis en évidence que la coordination entre l’assurance maladie et la HAS pouvait être améliorée. Une convention ne pourrait-elle prévoir que les délégués de l’assurance maladie (DAM) contribuent à diffuser les recommandations de la HAS, notamment en matière de hiérarchisation ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Nous n’avons aucune objection à ce que les délégués de l’assurance maladie soient investis de missions « estampillées » par la HAS, puisque nous travaillons déjà ainsi et informons cette instance des documents que les délégués transmettent aux médecins. Dans le même temps, nous souhaitons que l’assurance maladie et ses délégués restent une force active permettant de faire bouger les choses.

M. Pierre Morange, coprésident : Le propos n’est pas de vous déposséder de votre force de frappe…

M. Frédéric Van Roekeghem : J’ai bien compris et je ne suis pas sur cette ligne-là. Comprenons-nous bien. Nous allons engager une nouvelle action sur les statines qui a fait l’objet d’un examen en profondeur de l’ensemble de ses médecins-conseils, au premier rang desquels le professeur Allemand. Cet examen a pris en compte les analyses françaises mais aussi les études internationales – The Lancet, The British Medical Journal, ainsi que les publications américaines.

La justice a rendu il y a deux jours une décision dans un procès qui nous opposait aux laboratoires AstraZeneca. Elle a précisé les conditions dans lesquelles la caisse d’assurance maladie de l’Aube pouvait porter l’information aux professionnels de santé, en prévoyant très logiquement des encadrements : respecter les données acquises de la science, parler de l’autorisation de mise sur le marché, mais pas seulement… Dans tous les pays où les payeurs ou les pouvoirs publics ont commencé à durcir les conditions d’utilisation des produits de santé, ce sont des décisions de justice qui ont permis d’élaborer des équilibres.

Aujourd’hui, il faut reconnaître que nos propositions et la formation que nous dispensons aux médecins se situent en amont de ce que la Haute Autorité de santé a pu faire, tout simplement parce que ces missions n’entraient pas, jusqu’à présent, dans ses compétences. Lorsque la HAS aura rendu ses conclusions sur la hiérarchisation des IEC et des sartans, ce que l’Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen – IQWIG – en Allemagne, le National Institute for clinical excellence – NICE – en Grande-Bretagne, ou encore les instances de Nouvelle-Zélande ou des vétérans américains, ont déjà fait, nous ne manquerons pas de porter son message. Ce sera au demeurant un atout important pour que nous nous fassions entendre des professionnels de santé. De plus, il n’est nullement indiqué dans la loi du 13 août 2004 que l’assurance maladie définit seule les règles du jeu. Reste que la HAS, avec laquelle nous discutons en profondeur, ne fait que commencer à exercer ses compétences dans ce domaine et nous ne voulons pas que cela se traduise par une baisse de la pression sur le monde médical. Ce monde est complexe, les experts y sont rares, et il n’existe pas encore en France les mêmes obligations de publication que dans les autres pays. Je reste donc prudent, étant conscient que certains éléments de réflexion ne vont pas dans le sens d’une augmentation de la pression que nous exerçons.

Nous avons par ailleurs anticipé la question de la certification. Celle-ci est en cours pour le réseau des DAM. Certaines caisses expérimentent maintenant la certification de la visite. Mais nous ne sommes pas naïfs et savons fort bien que les laboratoires pharmaceutiques demandent que les contraintes imposées à leurs visiteurs médicaux aient leur équivalent pour nos délégués.

La dynamique des coûts liée au nombre des personnes soignées pour une ALD est de l’ordre du 4 %. Nous avons démontré que les cartes d’ALD recoupent celles des risques de santé publique lorsque les critères sont précis. La diminution des seuils a nettement contribué à l’augmentation des populations prises en charge.

Le coût des traitements représente à peu près l’autre moitié de la dynamique. Le médicament y a sa part, mais aussi l’hôpital. L’évolution des coûts des soins délivrés dans les établissements de santé est donc un élément majeur pour l’équilibre d’ensemble.

M. Pierre Morange, coprésident : J’aimerais toutefois que vous nous indiquiez l’agenda de moyen terme selon lequel vous envisagez la rationalisation de l’offre de soins en matière de pathologies chroniques.

M. Frédéric Van Roekeghem : L’assurance maladie participe au plan de prévention des pathologies chroniques. Nous engageons ainsi une expérimentation sur 100 000 patients diabétiques entre 2008 et 2010, avec une éventuelle généralisation ultérieure si les pouvoirs publics et le Parlement le souhaitent.

Pour ce qui est du médicament et de l’optimisation du recours au système de soins, notre agenda est de court terme puisque la HAS doit établir dès 2008 les premiers éléments de hiérarchisation médico-économique des traitements. Sur la base de ces décisions, nous pourrons accélérer nos actions lors du deuxième semestre de 2008 et en 2009.

La question de la productivité dans l’offre de soin renvoie au pilotage de la tarification à l’activité (T2A), si bien que l’agenda nous échappe quelque peu : ce n’est pas l’assurance maladie qui fixe la T2A. De plus, le Gouvernement a engagé une réflexion au plus haut niveau sur le pilotage du système hospitalier. L’accroissement de l’efficience des producteurs de soins est sans doute la manière la plus efficace de réduire la dépense de santé.

M. Yves Humez : Mes propos viendront en complément de ceux de M. Frédéric Van RoekegheM. Les pratiques de la MSA sont bien entendu coordonnées avec la CNAMTS et complémentaires de celle-ci sur le terrain. Nous gérons deux régimes, celui des exploitants et celui des salariés. La moyenne d’âge du régime des exploitants, soixante ans, est élevée, et 31 % des personnes couvertes sont en ALD – contre 15 % pour le régime des salariés, soit un taux comparable aux autres régimes. Cette situation particulière, qui préfigure en quelque sorte le vieillissement de la population générale, nous a amenés à nous intéresser de près au dispositif et à tenter quelques expériences.

Nous nous sommes ainsi lancés dans l’éducation thérapeutique et commençons à constater les effets de cette opération de prévention. Nous avons également testé les retours d’information des médecins-conseils vers les prescripteurs, qui n’ont pas toujours une vision synthétique des soins dispensés à des patients souffrant de la même pathologie. Enfin, nous menons un travail en profondeur sur les maladies cardiaques.

Les actions de prévention doivent se mesurer sur le long terme. En outre, il semble nécessaire de définir un « panier de soins » pour endiguer la dépense tout en maintenant l’efficacité de l’offre de soins. Nous avons donc besoin des préconisations de la HAS pour préciser les référentiels opposables.

M. Vincent Van Bockstael, médecin conseiller technique de la Mutualité sociale agricole : Nous nous employons à renforcer l’accompagnement des patients en ALD suivant deux axes.

Dans le domaine des maladies cardio-vasculaires et du diabète, nous menons des actions d’éducation thérapeutique à proximité du domicile des patients et en liaison avec les médecins traitants. Le financement se fait sur notre fonds propre de prévention. On sait, grâce aux référentiels de la HAS, l’importance de l’éducation thérapeutique dans la prise en charge des pathologies chroniques. À l’avenir, c’est tout le problème de la valorisation de cette éducation qui va se poser.

Second axe : nous diffusons les référentiels – généralement des brochures de trente à cinquante pages – mais les professionnels de santé se les approprient-ils réellement ? En collaboration avec la HAS, nous avons imaginé une autre forme de mise à disposition : le professionnel de santé peut confronter aux référentiels sa propre pratique vis-à-vis de ses patients diabétiques. Cette démarche, dont nous évaluons les effets avec la HAS, pourrait être étendue à d’autres affections. Il est à noter que la HAS évalue également la diffusion de brochures simples.

M. Dominique Liger : Le Régime social des indépendants compte 416 000 bénéficiaires au titre des ALD pour 3,3 millions d’assurés. Il est donc un peu plus jeune que la MSA et un peu plus vieux que le régime général.

Nous disposons sans doute de marges de manœuvres plus importantes pour faire des propositions : l’escorteur est généralement plus à même de changer de cap que le navire amiral. En matière d’hypertension, par exemple, nous proposons de sortir du dispositif des ALD les patients qui ne présentent pas d’autre pathologie. Comme il s’agit d’une question de sélection à l’entrée pour réguler le nombre de bénéficiaires, le test nous semble possible. Pour « vendre » la mesure aux praticiens et aux associations de malades, il faut l’accompagner de dispositifs de prise en charge adaptés et astucieux.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel serait l’agenda ?

M. Dominique Liger : Nous pourrions commencer immédiatement.

M. Frédéric Van Roekeghem : La modification des périmètres des ALD est un débat sensible. Que d’autres régimes bénéficient d’un peu plus de liberté à ce sujet montre que la diversité des régimes a aussi des aspects positifs !

La liste des ALD est ancienne et l’on peut aujourd’hui s’interroger sur sa rationalité médicale, puisqu’elle mélange des pathologies avérées, avec des atteintes d’organes, et des facteurs de risque qui, certes, doivent être traités mais ne sont pas nécessairement des pathologies avérées. La loi du 13 août 2004 confie à la HAS une responsabilité particulière en matière de recommandations mais précise que la décision, en matière d’ALD, relève du décret. Il apparaît en effet nécessaire de veiller à ce que les décisions dans ce domaine soient les plus équitables possibles.

Pour en revenir à l’hypertension artérielle, il est évident que celle-ci se définit comme un facteur de risque. On peut dès lors poser la question de la cohérence de la définition des affections cardio-vasculaires.

M. Hubert Allemand : L’exemple de l’hypertension artérielle est caricatural. Dix millions de Français font l’objet d’un traitement par hypotenseurs. Pour ce qui concerne le régime général, 750 000 hypertendus simples sont en ALD. Il est difficile de fixer la frontière. Un praticien-conseil ne peut vérifier si un patient est réellement hypertendu ou ne souffre que d’une hypertension légère, puisque la personne a été mise sous traitement. C’est peut-être grossir le trait…

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Je ne le crois pas. La stabilisation est-elle un critère de maintien en ALD ? Peut-elle justifier au contraire une sortie ?

M. Hubert Allemand : Permettez-moi de faire état de quelques chiffres : huit millions de patients en ALD représentent 60 % de la dépense d’assurance maladie, mais 50 % de ces patients représentent seulement 7,6 % de la dépense au titre des ALD, soit 4,5 % du total. Ce sont, par exemple, les hypertendus simples, les diabétiques traités par hypoglycémiants oraux, mais aussi des personnes en partie guéries mais toujours en ALD. La sortie est un sujet difficile : si des personnes traitées pour un cancer souhaitent sortir de l’ALD, d’autres ne le souhaitent pas.

Alors que la moitié des patients en ALD entraîne relativement peu de dépenses, le système administratif et réglementaire qui les accompagne est très lourd. Il serait plus simple, pour les assureurs obligatoires, de garantir un suivi de qualité pour trois ou quatre millions de personnes plutôt que pour huit millions. Vu sa complexité, le système de l’ALD ne sera pas soutenable si le nombre de patients qui en sont bénéficiaires continue à croître. Le périmètre des ALD constitue donc une question de fond.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : En somme, il existe des affections de longue durée coûteuses et d’autres peu coûteuses. Ne conviendrait-il pas de faire la différence ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Pourquoi pas ? Cependant, l’analyse de M. Allemand me semble très intéressante. Des années durant, les patients ne devaient déclarer qu’une seule ALD. Or, une personne entrée dans ce régime à cause de son hypertension peut présenter ensuite un diabète ou des maladies coronariennes. En soi, le facteur de risque n’est pas un déclencheur, certes, mais il faudrait réexaminer alors chaque dossier puisque la CNAMTS ne demande la polydéclaration des ALD que depuis 2005. La révision des dossiers suppose que l’on convoque les personnes, que l’on contacte leur médecin, etc. : ce n’est pas une opération simple.

En outre, comme l’a indiqué M. Allemand, une partie non négligeable des patients en ALD bénéficie d’une prise charge à 100 % pour des dépenses qui ne sont pas très élevées. La dépense de santé en France progressant, dans le meilleur des cas, de 3 % par an et les ALD représentant 2 % dans cette progression, on peut estimer à 3 milliards d’euros la part d’augmentation imputable aux ALD. Or, même en recentrant la prise en charge de l’hypertension artérielle, on touchera essentiellement des personnes dont les dépenses de soins ne sont pas très élevées. Nous nous trouvons donc renvoyés aux moteurs de la croissance des dépenses d’ALD : le cancer, pour un quart, les affections cardiovasculaires lourdes, y compris les accidents vasculaires cérébraux, et la maladie d’Alzheimer.

Nous avons analysé cette croissance pour 2007 par type de pathologie et par nature de dépense. Il en ressort que l’ALD est une méthode de réassurance efficace pour les personnes qui ont à faire face à des dépenses de soins lourdes. Si l’on établit un « bouclier » qui sera fonction du revenu, comment se nouera le débat annuel sur le barème de ce bouclier ? Quelles en seront les conséquences sur les classes moyennes et sur les régimes complémentaires ? En tout état de cause, l’assurance maladie ne saurait mettre rapidement en œuvre un tel dispositif, puisqu’elle ne dispose pas des données sur les revenus des assurés.

M. Hubert Allemand : La réflexion ne devrait-elle pas plutôt porter sur le périmètre de la prise en charge à 100 % ? Pour un diabète non compliqué, le remboursement à 100 % des hypoglycémiants oraux et de l’hémoglobine glyquée règle le problème.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Qu’en est-il des prestations ?

M. Hubert Allemand : On peut imaginer qu’un diabétique bénéficie du remboursement à 100 % d’une consultation ophtalmologique par an. Aujourd’hui, la prise en charge à 100 % tient souvent à ce que l’ALD le permet.

M. Frédéric Van Roekeghem : En d’autres termes, la prise en charge au titre d’une ALD n’est pas sélective en fonction des segments de patients. La HAS a effectué une première segmentation en fonction du niveau de complication, mais la démarche répond à un souci d’exhaustivité et inclut des médicaments hors AMM.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Vous souhaitez donc que la HAS vous guide dans la prise en charge de médicaments ou de prestations…

M. Frédéric Van Roekeghem : Nous ne sommes pas en désaccord avec elle. Nous partageons une vision commune. Simplement, ne pas confier dès 2004 à la HAS cette mission médico-économique a été une erreur collective.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : La perspective était sans doute trop scientifique.

M. Pierre Morange, coprésident : En outre, on était encore dans une période où l’on considérait la rationalisation de l’utilisation des fonds publics dans le domaine sanitaire et social comme une hérésie, voire une obscénité.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Dans son troisième scénario, la HAS évoque la dissociation entre la prise en charge médicale et la prise en charge financière des ALD.

M. Frédéric Van Roekeghem : C’est l’hypothèse du bouclier.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur : Quelle est la position des caisses d’assurance maladie sur le sujet ? Sont-elles associées aux réflexions ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Les caisses sont bien entendu consultées. Les simulations du rapport de MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard reposent en grande partie sur nos données. Pour autant, le conseil de la CNAMTS n’a pas pris position sur le bouclier. Nous continuons à travailler, conformément à la demande du Gouvernement, aux conditions techniques de sa mise en œuvre.

Si l’on souhaite instaurer un bouclier, c’est que l’on considère que la répartition entre la couverture et le reste à charge est parfois inéquitable. Or ce cas de figure se présente essentiellement dans les affections non couvertes par le 100 % et dans les épisodes cliniques répétés en l’absence d’acte exonérant, notamment en psychiatrie. Si le bouclier a été mis en place en Belgique, c’est que les assurances complémentaires n’y sont pas développées et qu’il n’y existe pas de prise en charge à 100 %, d’où des restes à charge très importants pour les personnes âgées. On attend du bouclier une répartition plus équitable du reste à charge, qui serait aligné sur les revenus. C’est affaire de choix politique mais il faut porter attention à la dynamique. Avec le bouclier, le risque devient visible – il équivaut à un certain pourcentage du revenu –, si bien que les acteurs peuvent être amenés à se repositionner fortement par rapport à leur couverture complémentaire. De plus, le bouclier modifie le principe de l’assurance maladie et de la sécurité sociale : cotiser en fonction de ses moyens, être soigné en fonction de ses besoins. Se conformer à ce principe est difficile, certes, mais si le déficit s’élève à 4,6 milliards d’euros en 2007, c’est que l’on a dégradé la situation du régime général de 9 milliards entre 2001 et 2003. Si l’on en était resté à une progression de 4 % par an entre 1998 et 2003, il n’y aurait pas eu de déficit en 2004. Parfois le système est bien géré, parfois il l’est moins bien : c’est une des raisons pour lesquelles il est difficile de l’équilibrer.

Comme dans tous les pays comparables, l’évolution de nos dépenses de santé est plus rapide que celle du PIB. Une gestion rigoureuse n’en est que plus nécessaire. La Cour des comptes a fourni un travail très précis sur le taux de prise en charge des ALD. Il n’en reste pas moins que les pathologies chroniques ou aggravées sont le moteur des dépenses de santé, d’où l’importance de nos décisions en matière de prise en charge et en matière de réorganisation des établissements de santé.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

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