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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 8 octobre 2009

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, à huis clos, sur le fonctionnement de l’hôpital

– M. Marc Buisson, ancien directeur général du Centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en- Laye

– M. Luc Paraire, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales des Yvelines

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 8 octobre 2009

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de M. Marc Buisson, ancien directeur général du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cadre des travaux de la MECSS sur le fonctionnement de l’hôpital, nous accueillons M. Marc Buisson, ancien directeur général du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye. Nous avons en effet choisi d’étudier un certain nombre de cas concrets, représentatifs des différents types d’hôpitaux.

Je rappelle que la Cour des comptes, dont un membre est ici présent, Mme Carole Pelletier, a consacré un chapitre entier de son dernier rapport public sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale à la question du fonctionnement de l’hôpital.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous nous interrogeons sur la dégradation spectaculaire de la situation financière de l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye. La fusion intervenue entre les deux hôpitaux de Poissy et de Saint-Germain-en-Laye a certainement joué un rôle, de même que le maintien de doublons entre les structures, mais n’y a-t-il pas eu d’autres causes ?

Nous aimerions savoir quels sont les éléments d’explication liés au contexte local et ceux qui pourraient s’appliquer à d’autres hôpitaux. Comme l’a indiqué Pierre Morange, notre but est de tirer un certain nombre d’enseignements à partir de cas particuliers.

M. Marc Buisson, ancien directeur général du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye. Avant d’assurer la direction du centre hospitalier de Poissy entre 1988 et 1997, date à laquelle la fusion a été réalisée, j’ai été en poste à Niort, à Saint-Germain-en-Laye – de 1973 à 1979 –, puis à Angoulême et à Bordeaux. De 2007 à 2009, j’ai ensuite exercé les fonctions de conseiller général des établissements de santé, fonctions que j’ai quittées en août dernier.

Pour y avoir travaillé pendant six ans, je connaissais l’établissement de Saint-Germain avant même d’être nommé à Poissy. Et même si la tarification à l’activité n’existait pas encore, nous nous sommes très vite aperçus, mon homologue de Saint-Germain-en-Laye et moi-même, qu’une réorganisation des deux établissements était nécessaire pour des raisons tant financières que structurelles.

Une fusion a donc été décidée malgré les différences entre les deux établissements : à Poissy, la part des services hospitalo-universitaires était de 50 %, tous les postes étaient occupés à temps plein et il y avait une maternité de niveau 3, dotée d’un service de réanimation néonatale ; on comptait, en revanche, un certain nombre de médecins exerçant à temps partiel à l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye, à proximité duquel des cliniques présentant une certaine importance étaient implantées.

La fusion des deux établissements se justifiait par l’existence de doublons pour 75 %, voire 80 % des services : à quelques kilomètres de distance, il y avait deux services de médecine, deux services de chirurgie viscérale, deux services de chirurgie orthopédique ou encore deux services ORL. Il reste que la décision a été politique.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Qu’entendez-vous par là ?

M. Marc Buisson. La décision a été prise par les députés-maires des deux communes intéressées.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Quel autre type de décision pouvait-on envisager ?

M. Marc Buisson. On aurait pu imaginer une démarche d’origine médicale ou administrative : les deux établissements auraient pu commencer par élaborer des projets communs, aboutissant par la suite à une fusion ou bien à d’autres formes de rapprochement : un syndicat interhospitalier, par exemple, ou encore un système de conventions.

La décision a été prise sur le plan politique : les deux députés-maires ont demandé à la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS), alors compétente en la matière, de prononcer la fusion des deux établissements, sans qu’un projet médical commun ait été élaboré au préalable. Il faut dire que les deux hôpitaux se regardaient en chiens de faïence à cette époque-là.

Nous avions bien tenté de conclure des conventions, notamment pour l’installation d’équipements lourds, mais nous étions très vite arrivés aux limites de l’exercice : outre la délicate question de l’implantation des équipements, nous nous heurtions à l’impossibilité de mener à bien des restructurations sans la constitution d’un établissement unique, doté d’un seul conseil d’administration, d’une seule commission médicale, d’une seule direction et d’une seule trésorerie.

Comme j’avais auparavant exercé mes fonctions à Saint-Germain-en-Laye, j’ai été appelé à prendre la tête du nouvel établissement à la demande de Michel Péricard, qui était alors député et maire de la commune. L’idée de constituer un syndicat interhospitalier avait été écartée parce qu’il aurait fallu obtenir un accord des deux établissements avant toute opération de restructuration. Le pari a été fait qu’un établissement unique serait obligé de définir un projet commun.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Du point de vue financier, les deux établissements étaient-ils en équilibre avant la fusion ?

M. Marc Buisson. La situation était catastrophique lorsque je suis arrivé à Poissy, en 1988, mais nous avons remonté la pente en deux ans. Au moment de la fusion, l’hôpital de Poissy était en équilibre, et celui de Saint-Germain-en-Laye l’était à peu près.

Une fois que la fusion a été décidée, nous avons mis environ un an à constituer une structure unique – il a fallu installer le conseil d’administration, recomposer l’équipe de direction et mettre en place toutes les instances. Nous avons élaboré un projet d’établissement tendant à constituer des pôles d’excellence et à rendre les deux établissements complémentaires en les spécialisant pour partie. Nous avons ainsi regroupé 14 services ou départements, notamment grâce au départ à la retraite de plusieurs chefs de service, et nous avons transféré certaines activités d’un site à l’autre.

La commission médicale avait en outre demandé le regroupement des services de courts séjours sur un site unique, ce qui ne signifiait pas, contrairement à ce que l’on a pu avancer, que l’un des deux établissements devait disparaître : il a toujours été prévu de maintenir des structures de proximité. À Saint-Germain-en-Laye, un plateau de consultation devait notamment subsister, ainsi qu’un plateau d’explorations fonctionnelles, des structures psychiatriques et d’autres pour personnes âgées. En revanche, il était évident que les évolutions de certains services devaient aller de pair : en cas de regroupement des services de maternité sur un seul site, ceux de diabétologie devaient suivre.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pensez-vous que les déficits auxquels la fusion a conduit aient été prévisibles ? Dans l’affirmative, aviez-vous alerté les responsables politiques ?

M. Marc Buisson. Il faut rappeler que le budget global bloquait tout développement des structures. La fusion avait pour but de restructurer les établissements afin de réaliser des gains de productivité, tout en garantissant l’offre de soins dans l’ensemble du secteur géographique concerné.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Même si les deux établissements étaient initialement à l’équilibre, on peut comprendre que la situation financière se soit transitoirement dégradée, le temps de réaliser certaines opérations de rationalisation. Cependant, les déficits ont ensuite perduré et se sont même amplifiés. Comment l’expliquer ?

M. Marc Buisson. Les déficits sont apparus au moment où il a fallu appliquer la tarification à l’activité et la réduction du temps de travail des personnels médicaux, notamment les médecins. Nous avons dû multiplier les gardes, ce qui nous a posé des problèmes d’effectifs et de financement. Le durcissement des règles de sécurité a également pesé sur la situation financière de l’établissement.

La fusion a été mal vécue à Saint-Germain-en-Laye, aussi bien parmi le personnel médical que chez les responsables politiques, car on a cru qu’il s’agissait de supprimer un site. Or, ce n’était pas le cas. Si des terrains avaient été disponibles à Saint-Germain-en-Laye, on aurait pu assurément envisager que le nouvel établissement de court séjour s’y installe.

Du fait des blocages politiques, aucun choix n’a été opéré, ce qui a entraîné une détérioration de la situation de l’établissement. Dans le secteur privé, des cliniques qui décident de se regrouper s’installent généralement sur un site nouveau et ne se contentent pas de juxtaposer les services antérieurs : elles se restructurent pour définir une offre de soins rationnelle. Nous n’avons pas pu en faire autant.

Il en est résulté des situations caricaturales et parfois dangereuses : afin de maintenir en activité le service de maternité à Saint-Germain-en-Laye, comme cela nous avait été imposé, il avait été décidé que les femmes accoucheraient sur place, avant que d’être transportées à Poissy. En dépit de toutes les précautions prises, des décès se sont produits à cause d’une présence pédiatrique insuffisante.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Par qui la décision vous a-t-elle été « imposée » ?

M. Marc Buisson. La décision de maintenir une maternité sur le site de Saint-Germain-en-Laye a été prise au niveau politique.

De même, tout regroupement des services de cardiologie nous a été interdit. Les patients de Saint-Germain-en-Laye devaient se rendre à Poissy pour subir une angioplastie avant de retourner dans leur commune, au risque d’accidents graves : par exemple, on ne pouvait pas réopérer à Saint-Germain-en-Laye des patients auxquels on avait posé un stent.

Si les charges financières ont augmenté, c’est que nous n’avons pas pu supprimer les doublons et qu’il a fallu multiplier les gardes.

Nous avons confié à une société spécialisée le soin d’identifier un site d’implantation commune, si possible entre Saint-Germain-en-Laye et Poissy. Nous n’avions aucun a priori en la matière. Il n’a pas été possible de trouver un terrain à Saint-Germain-en-Laye. En revanche, il y en avait un disponible dans la commune de Fourqueux, mais il était difficile d’accès et le maire ne souhaitait pas notre installation. À Chambourcy, un terrain nous intéressait, mais nous n’avons pas obtenu de réponse positive de la municipalité.

M. le coprésident Pierre Morange. Les maires de Poissy et de Saint-Germain-en-Laye, alternativement présidents et vice-présidents de l’établissement, devaient adresser une demande conjointe au maire de Chambourcy que je suis. En l’absence de cette démarche, aucune suite n’a pu être donnée au dossier. Le maire de Chambourcy ne participe pas au conseil d’administration de l’établissement de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

Sans faire de commentaire sur la fusion décidée par le maire de Poissy et par celui de Saint-Germain-en-Laye, qui m’a précédé en tant que député de la circonscription, j’observe que les budgets des deux établissements étaient auparavant en équilibre.

Par ailleurs, les documents qui nous sont parvenus, aussi bien de la chambre régionale des comptes que de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), font état d’une dégradation des comptes depuis la fusion : l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye présente la caractéristique peu enviable d’être l’un des plus déficitaires de France.

Nous souhaitons comprendre comment on a pu arriver à une telle situation. On observe une inflation de la masse salariale, notamment sous forme de recours à l’intérim, et nous avons appris, lors d’une précédente audition, que la DDASS se posait un certain nombre de questions, en particulier sur le respect du code des marchés publics. La chambre régionale des comptes nous a également indiqué qu’une part importante des recettes n’était pas perçue, notamment au titre des consultations.

M. Marc Buisson. Il n’y a pas eu d’accord, au plan politique, pour débloquer la situation. N’étant que le directeur de l’établissement, je n’avais naturellement pas compétence pour l’imposer.

M. le coprésident Pierre Morange. Dès que j’ai reçu une demande conjointe des maires intéressés, j’ai fait en sorte qu’un terrain soit acquis. Une promesse de vente a été signée à la mi-2009.

M. Marc Buisson. Je suis ravi qu’une solution ait été trouvée, ce qui n’avait malheureusement jamais eu lieu pendant que je dirigeais l’établissement. En dix ans, aucune décision d’implantation n’avait pu être adoptée.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Je comprends bien que d’autres acteurs aient joué un rôle déterminant dans ce dossier, mais la situation a tout de même perduré pendant dix ans. Face à une situation dangereuse sur le plan financier et sanitaire, on ne peut pas s’abriter sans fin derrière des décisions politiques, et il y a un moment où il faut tirer la sonnette d’alarme.

M. Marc Buisson. Le conseil d’administration et la commission médicale ont été saisis des problèmes qui se posaient et nous avons fait rédiger différents rapports, notamment par un conseiller technique du ministre et par un cabinet d’expert, la SANESCO. Nous avons également fait appel à la mission d’appui et de conseil du ministère.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Rien de tout cela n’a eu de suite ?

M. Marc Buisson. Malheureusement non. Aucune décision n’a été prise sur le plan politique, et celles du conseil d’administration n’ont jamais été appliquées.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Que pouvez-nous dire du problème de sous-facturation – ou de non-facturation, je ne sais quel terme employer –, sur lequel la chambre régionale des comptes a appelé notre attention ?

M. Marc Buisson. Comme de nombreux hôpitaux, nous nous sommes trouvés confrontés à des difficultés lors du passage à la tarification à l’activité. À cela se sont ajoutées des difficultés qui nous étaient propres : l’existence de nombreux doublons et la multiplication des gardes.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Cela n’explique pas que des prestations n’aient pas été facturées.

M. Marc Buisson. Nous avons subi d’importantes difficultés informatiques en matière de facturation. Pour y remédier, nous avons restructuré le bureau des entrées et celui des consultations externes ; nous avons, en outre, augmenté le nombre des régies afin de pouvoir encaisser directement les consultations, lesquelles représentent souvent des sommes faibles, mais qui sont impossibles à recouvrer si l’on ne procède pas à leur recouvrement immédiatement.

Sur ce plan, il faut reconnaître que nous ne sommes pas parvenus à redresser la situation. À certains moments, nous avons presque été dans l’incapacité de facturer les prestations. Cela étant, nous n’étions pas les seuls dans ce cas dans la région d’Île-de-France.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Ces difficultés de facturation ont-elles été concomitantes du passage à la tarification à l’activité ? Y avait-il un lien ?

M. Marc Buisson. Bien sûr.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Dans ces conditions, on devrait rencontrer le même type de difficultés dans tous les établissements.

M. Marc Buisson. Ce fut précisément le cas, notamment à Rosny-sous-Bois, à Montreuil et à Argenteuil, où les difficultés de facturation ont été aussi grandes que les nôtres.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Les montants en question sont tout de même très importants.

M. Marc Buisson. C’est vrai, mais les crédits ont été votés par le conseil d’administration et approuvés par les autorités de tutelle.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. En somme, la situation était catastrophique, mais tout le monde faisait son travail.

M. Marc Buisson. Nous avons pâti d’un excès de dépenses qui aurait pu être évité si l’hôpital avait été restructuré. Quand il existe deux services de pédiatrie, par exemple, il faut deux pédiatres. Nous avons dû multiplier les gardes en pédiatrie, mais aussi en chirurgie et en cardiologie.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le rapport de la DDASS fait apparaître un certain nombre de difficultés en matière de marchés publics au cours de la période 2006-2008, pendant laquelle vous étiez à la tête de l’établissement.

M. Marc Buisson. J’ai quitté mes fonctions en juin 2007.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Par ailleurs, les enquêteurs de la DDASS ont eu des difficultés à accéder aux informations nécessaires, les documents ayant disparu.

M. le coprésident Pierre Morange. Il semble que tous les dossiers antérieurs à 2003 aient été « mis à la benne » ; je cite le rapport de la DDASS.

M. Marc Buisson. J’en suis très étonné. Les commissions d’appel d’offres se réunissaient régulièrement et nous avons spectaculairement augmenté le nombre des marchés mis en concurrence. Par ailleurs, les marchés étaient soumis à l’approbation de la DDASS.

Pour le reste, je ne peux pas vous répondre. J’ignore ce que les documents en question sont devenus.

J’ajoute que nous n’avons jamais fait l’objet d’observations à ce sujet de la part de la DDASS, ni même de la chambre régionale des comptes, laquelle m’a pourtant auditionné lorsque j’étais encore conseiller général des hôpitaux.

M. le coprésident Pierre Morange. Le rapport de la DDASS observe que la durée légale de conservation des archives n’a pas été respectée et s’interroge sur un certain nombre de contrats antérieurs à votre départ en 2007.

M. Marc Buisson. Je ne peux pas vous apporter de réponse en ce qui concerne la disparition des documents, mais il doit tout de même y en avoir des exemplaires à la DDASS. Par ailleurs, le directeur des services économiques faisait chaque année un rapport au conseil d’administration. Ces rapports doivent figurer dans les registres du conseil d’administration.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Sur les dix-neuf marchés étudiés par la DDASS, quinze seraient irréguliers, ce qui fait tout de même beaucoup.

M. Marc Buisson. Sur quelle période portaient-ils ?

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Entre 2006 et 2008. Il y a notamment un marché de nettoyage de vitres, datant de 2006, pour lequel un certain nombre de dépenses auraient été engagées « hors marché » ; le rapport évoque pudiquement des « dépenses non formalisées ».

M. Marc Buisson. Pouvez-vous me dire de quelle entreprise il s’agissait ?

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. De l’entreprise Derichebourg.

M. Marc Buisson. Nous avons changé plusieurs fois de prestataire, parce que nous n’étions pas satisfaits, et nous avons lancé, à chaque fois, de nouveaux appels d’offres.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le rapport cite également un marché de transports sanitaires. Quels éclaircissements pouvez-vous nous apporter à propos de ces marchés ?

M. Marc Buisson. Je ne peux pas vous en dire davantage, faute d’avoir pu prendre connaissance du rapport. Par ailleurs, je ne comprends pas comment des documents ont pu disparaître.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous entendrons tout à l’heure le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales, qui nous en apprendra sans doute davantage. Je rappelle que notre seul but est de comprendre ce qui s’est passé en vue de faire la part entre des facteurs nationaux et des causes propres à votre établissement.

Nous ne sommes pas une commission d’enquête : nous cherchons seulement à comprendre comment on a pu en arriver à une telle situation.

J’entends bien qu’il y a eu des difficultés liées à la fusion, mais il y a certainement eu d’autres causes – les services de la DDASS s’interrogent notamment sur le niveau de sous-facturation atteint dans votre établissement, ainsi que sur d’autres éléments jugés fort étranges. Dans le cas d’un marché conclu en 2006, par exemple, les dépenses « formalisées » s’élèveraient à 1,214 million d’euros, et les dépenses « non formalisées » à 217 000 euros.

M. Marc Buisson. C’est-à-dire engagées sans avenant ?

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Sans qu’un avenant ait été retrouvé.

M. Marc Buisson. Ce qui est tout de même très différent. Je suis catégorique : nous n’avons jamais engagé de dépenses supplémentaires sans signer d’avenants.

M. le coprésident Pierre Morange. Siégiez-vous au sein de toutes les commissions d’appel d’offres ?

M. Marc Buisson. Pas nécessairement, mais il y avait toujours un représentant de la direction et le receveur de l’établissement assistait à quasiment toutes les réunions.

Le fait que les documents n’aient pas été retrouvés – ce que je ne m’explique pas – ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu d’avenants. Les directives données étaient en effet claires : quand le plafond d’un marché était dépassé, il fallait signer un avenant.

M. le coprésident Pierre Morange. Quels qu’aient été les représentants de l’établissement, il existe une chaîne de responsabilités. Le code pénal est très clair à ce sujet.

Le rapport de la DDASS fait état de dysfonctionnements en matière d’appel d’offres et de collecte des recettes. Outre l’absence de certaines pièces, les enquêteurs ont constaté des anomalies concernant les règles de publicité et de plafonds posées par le code des marchés publics. Comment l’expliquer ?

M. Marc Buisson. Pour vous répondre, il faudrait que je connaisse les marchés concernés ainsi que la nature précise des dysfonctionnements visés. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous avons substantiellement augmenté la part des marchés soumis à appel d’offres et que les instructions étaient de conclure systématiquement des avenants.

M. le coprésident Pierre Morange. Si je comprends bien, vous n’avez pas eu connaissance de ces anomalies et de ces infractions. Elles sont le fait de tierces personnes.

M. Marc Buisson. Si j’avais eu connaissance de telles anomalies, j’aurais immédiatement pris les dispositions nécessaires pour y mettre un terme.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous demanderons à la DDASS si le dossier peut vous être communiqué. J’en profite pour rappeler que les travaux de la MECSS sont rendus publics : tout le monde pourra en prendre connaissance, notamment la presse.

M. Jean-Luc Préel. Sauf erreur de ma part, les deux établissements étaient originellement à l’équilibre. À combien s’élevait le déficit après la fusion ?

M. Marc Buisson. Lorsque j’ai quitté la direction de l’hôpital en 2007, il était d’environ 14 millions d’euros.

M. Jean-Luc Préel. J’ai connu des fusions d’établissements qui se passaient plutôt bien, alors que les conditions étaient similaires au début. Par ailleurs, il revient aux agences régionales de l’hospitalisation et aux DRASS d’intervenir en cas de problème, notamment par l’intermédiaire de contrats d’objectifs et de moyens.

Lorsque les fusions se passent bien, on observe que c’est souvent grâce à l’implication personnelle du directeur, qui parvient à faire valider un projet par la commission médicale d’établissement et par le conseil d’administration.

Les problèmes médicaux que vous avez cités, notamment en ce qui concerne la maternité, me paraissent intolérables. Comment se fait-il qu’ils n’aient pas été résolus ? Sur quels obstacles avez-vous buté ?

M. Marc Buisson. Sur des obstacles politiques. Les instances de l’établissement ont arrêté des dispositions qui n’ont jamais été mises en œuvre. Certains regroupements ont été impossibles à réaliser parce qu’il aurait fallu que certains services quittent le site de Saint-Germain-en-Laye. Nous nous sommes donc retrouvés avec des structures inadaptées et surdimensionnées.

M. Jean-Luc Préel. Et la tutelle n’a pas joué son rôle ?

M. Marc Buisson. C’est exact. Aucune décision n’a été prise. Nous avons été dans l’impossibilité de réaliser un certain nombre d’économies qui auraient pourtant pu être substantielles.

Nous avons signé des contrats de retour à l’équilibre, validés par la DDASS puis faisant l’objet d’un comité de suivi, réuni tous les mois autour de la secrétaire générale de l’agence régionale de l’hospitalisation. De façon très classique, il s’agissait d’augmenter notre activité tout en réduisant les dépenses.

Nous sommes à peu près parvenus à atteindre le second objectif et nous avons dépassé nos engagements en matière d’activité. Cela étant, nous avons continué à dépenser d’un côté ce que nous économisions de l’autre, car les restructurations nécessaires n’ont pas été réalisées. On constate d’ailleurs un phénomène similaire dans le secteur privé : des entreprises qui fusionnent sans réaliser de restructuration ne peuvent qu’être en déficit.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Votre établissement a bénéficié d’aides financières substantielles. Pensez-vous que ces bouffées d’oxygène aient contribué à retarder la prise de décision ?

M. Marc Buisson. Ces aides étaient conditionnées au respect d’un certain nombre d’engagements – réduction des dépenses et augmentation de l’activité, comme je l’ai indiqué. Si nous y sommes en partie arrivés, c’était en réalisant des économies de bouts de chandelles qui ont suscité le mécontentement du personnel, sans réussir à agir sur le cœur du problème, à savoir la persistance de doublons.

M. Jean-Luc Préel. Les contrats de retour à l’équilibre ne faisaient-ils pas mention de leur suppression ?

M. Marc Buisson. Non, car celle-ci relevait du projet médical et du projet d’établissement. Or, la suppression de certains services, notamment ceux de pédiatrie et de cardiologie à Saint-Germain-en-Laye, s’est toujours heurtée à des refus catégoriques. Il en est résulté des situations dramatiques dont un reportage s’est récemment fait l’écho. Les atermoiements qui ont eu lieu pendant dix ans ont conduit à une situation catastrophique.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pensez-vous que les nouvelles règles de gouvernance qui ont été adoptées auraient pu éviter d’en arriver là ?

M. Marc Buisson. Nous étions très en avance en matière de gouvernance, car je travaillais déjà constamment avec le président de la commission médicale, et les décisions stratégiques étaient prises par un conseil exécutif, composé pour moitié de membres de l’administration et pour moitié de membres du corps médical.

Les instances de l’hôpital ont joué leur rôle, mais leurs décisions n’ont pas été appliquées faute d’un soutien de l’agence régionale de l’hospitalisation et des responsables politiques. Je n’ai jamais pu supprimer les doublons et aucune décision n’a jamais été prise en ce qui concerne l’implantation des services de court séjour.

M. Jean-Luc Préel. On constate habituellement le contraire : c’est plutôt la tutelle qui impose des décisions…

M. Marc Buisson. J’aurais tellement aimé que ce soit le cas !

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. En somme, des décisions politiques échappant à votre contrôle vous ont placé dans une situation délicate, les solutions de rationalisation de la gestion que vous proposiez ont été refusées par votre tutelle, et les difficultés de fonctionnement interne, notamment en matière de facturation, sont le résultat de défaillances informatiques.

M. Marc Buisson. Je ne mets pas tout sur le compte de l’informatique, même si nous avons effectivement rencontré des difficultés considérables dans ce domaine. Comme je l’ai indiqué, il y avait aussi un problème d’organisation du bureau des entrées.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Si l’on suit vos explications, le rôle du directeur général est tout de même bien modeste.

M. Jean-Luc Préel. Il a pourtant été reconnu, puisque vous avez été nommé conseiller général des hôpitaux…

M. Marc Buisson. Il convient de faire la part des choses : en l’absence de restructuration, nous n’avons fait que poser des rustines quand des économies considérables auraient pu être réalisées. Au demeurant, cela n’a pas emporté que des conséquences financières : ces restructurations auraient permis d’améliorer l’offre de soins et d’éviter la démotivation du personnel – certains ont même choisi de quitter l’établissement. J’ai vécu un véritable calvaire pendant dix ans.

Je précise que le corps non médical avait entièrement adhéré au projet de fusion – il y a d’ailleurs eu des échanges de personnel d’une structure à l’autre –, comme environ 80 % du personnel médical, et qu’il n’y a jamais eu de grèves organisées pour des motifs locaux. Mais cela n’a rien changé.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous avez dit que la suppression des doublons aurait permis de réaliser des économies. Pensez-vous que les déficits auraient pu être supprimés de la sorte ?

M. Marc Buisson. Oui, je le pense. Il suffit de considérer le coût des gardes pour s’en convaincre. Compte tenu du taux d’occupation de certains services et de la présence de cliniques de grande qualité à proximité – la clinique de l’Europe, la clinique Louis-XIV ou encore la clinique Marie-Thérèse –, il n’y avait pas lieu de maintenir un service de chirurgie à Saint-Germain-en-Laye, par exemple.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Disposiez-vous d’un système de comptabilité analytique vous permettant de mesurer efficacement les coûts ?

M. Marc Buisson. L’établissement de Saint-Germain-en-Laye avait fait partie de l’échantillon retenu pour établir l’échelle nationale des coûts. Il existait donc des indicateurs qui, sans être parfaits, permettaient de prendre la mesure de la situation.

D’autre part, on sait très bien quelles économies on peut réaliser en supprimant un service : il suffit d’additionner les coûts – les dépenses de personnel, par exemple, ou encore le coût des consommations de fluides.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Si je vous pose la question, c’est parce que le rapport de la Cour des comptes déplore l’absence de comptabilité analytique dans la plupart des hôpitaux.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cas de l’hôpital de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, la chambre régionale des comptes a observé qu’il n’existait pas la moindre comptabilité analytique, même rudimentaire, ce qui rendait en particulier impossible toute comparaison avec les pratiques vertueuses retenues sur le plan national. Or, la nouvelle équipe a su établir une telle comptabilité en moins de douze mois.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pour compléter mes propos concernant les manquements au code des marchés publics, le rapport de la DDASS fait notamment état d’infractions graves, représentant des sommes considérables, dans le cas d’un contrat de location et de maintenance de photocopieurs : il y aurait eu des dépenses non justifiées par un écrit.

M. Marc Buisson. Vous avez vous-même indiqué que des documents n’ont pas été retrouvés…

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. On peut également penser qu’ils n’existent pas. Selon les éléments dont disposent les enquêteurs, des dépenses auraient été engagées sans justification écrite. En matière de transports sanitaires, les obligations des cocontractants n’auraient pas non plus été respectées, et j’en passe.

M. Marc Buisson. J’aimerais vous répondre, mais c’est impossible faute de connaître tous les détails.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous avez dit que vous aviez réussi à augmenter l’activité de l’établissement. Or la chambre régionale des comptes a constaté un report de certains patients vers d’autres hôpitaux. Comment concilier ces deux phénomènes ?

M. Marc Buisson. Les difficultés de l’hôpital, qui ont été largement médiatisées, n’inspiraient pas confiance à la population. Les femmes qui devaient accoucher se posaient notamment bien des questions. Un certain nombre de problèmes de sécurité et des incertitudes sur le maintien de certaines activités ont détourné une partie de la clientèle.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Mais vous êtes parvenu à augmenter l’activité.

M. Marc Buisson. Oui. En un an, nous avons rempli les objectifs fixés par le contrat de retour à l’équilibre pour une durée de deux ans, voire deux ans et demi. Il y a eu des pertes d’activité, notamment dans les services de chirurgie et de maternité, mais la fréquentation est repartie à la hausse quand nous sommes parvenus à clarifier notre organisation.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie, monsieur Buisson.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition de M. Luc Paraire, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales des Yvelines.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS est heureuse de vous accueillir en son sein, monsieur le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales des Yvelines, afin de vous entendre sur le fonctionnement interne de l’hôpital, plus précisément sur le cas particulier du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

La MECSS disposait déjà d’un certain nombre de documents : ceux communiqués par la nouvelle équipe qui anime le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye depuis mi-2007, ainsi que le rapport de la chambre régionale des comptes. Mme Pelletier, membre de la Cour des comptes, est là pour nous assister dans cette démarche de contrôle et d’évaluation. Nous disposons désormais du rapport de la DDASS relatif aux marchés publics passés par le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

Nous avons été stupéfiés par les violations au code des marchés publics relevées dans ce rapport, et nous aimerions que vous nous éclairiez davantage, notamment quant aux responsabilités de ces dysfonctionnements et à leurs implications réglementaires, voire juridiques.

M. Luc Paraire, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales des Yvelines. J’ai transmis ce rapport au procureur de la République en juillet 2009, en application de l’article 40 du code de procédure pénale s’agissant d’infractions susceptibles de faire l’objet d’une incrimination pénale.

M. le coprésident Pierre Morange. Savez-vous si une enquête sur ces faits a été diligentée ?

M. Luc Paraire. Pas pour l’instant, mais je suis disposé à me constituer partie civile avant la fin de l’année si les choses ne vont pas plus vite.

M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous nous préciser la date exacte de la saisine du parquet de Versailles ?

M. Luc Paraire. Le procureur de la République de Versailles a été saisi le 3 juillet 2009.

J’ai pris mes fonctions le 16 août 2007, et ce dossier a été le premier que j’ai eu à examiner. Dans un contexte juridique assez difficile, j’ai eu assez vite le sentiment que certaines procédures internes n’étaient pas suffisamment « calées ». J’ai en outre été alerté par des rumeurs de favoritisme sur un marché de transports sanitaires. Il semblait par ailleurs que des changements importants dans la direction de l’établissement avaient fait apparaître des clivages au sein de l’équipe dirigeante. Or la personne responsable des marchés avant l’arrivée du nouveau directeur ne m’avait pas paru consacrer l’intégralité de ses compétences à sa fonction de surveillance des marchés. En un mot, cette fonction de contrôle des marchés ne me paraissait pas correctement remplie.

Pour toutes ces raisons, j’ai chargé un inspecteur principal et un inspecteur administratif chevronnés d’une enquête qui a abouti à ce rapport. Je dois préciser que ce rapport n’est pas totalement contradictoire, le directeur général actuel n’ayant pas pu obtenir du cadre concerné à l’époque des faits des réponses aux conclusions dudit rapport. Cette absence de réponse a d’ailleurs été l’une des raisons essentielles de mon dépôt de plainte.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous voulez dire que le directeur général du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye n’a pas été en mesure de vous apporter des explications ?

M. Luc Paraire. Il m’a donné de premiers éléments de réponse, que j’ai d’ailleurs transmis au parquet, mais ils sont loin d’être suffisants. J’ai laissé trois mois à l’établissement pour répondre aux conclusions du rapport, et ce n’est qu’à l’issue de ce délai et devant l’incapacité de répondre du directeur général que j’ai déposé plainte.

M. le coprésident Pierre Morange. Il semble que la nouvelle équipe dirigeante ait eu à cœur d’agir d’une façon plus conforme à la réglementation.

M. Luc Paraire. C’est incontestable.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous été amené à enquêter auprès d’échelons administratifs supérieurs ?

M. Luc Paraire. À partir du moment où j’avais déposé plainte, j’ai considéré ne pas pouvoir aller plus loin. Quant à l’équipe actuelle, je confirme qu’elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour réintroduire de la rigueur dans la passation de marchés publics par l’établissement.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le contrôle porte sur la période 2007-2008. Pourquoi n’avez-vous pas contrôlé l’activité de l’établissement plus en amont ?

M. Luc Paraire. Il m’a semblé que, étant donné le turn-over extrêmement rapide qui avait affecté une partie de l’équipe, j’avais encore moins de chance de réunir des éléments fiables sur une période encore antérieure. Surtout, les éléments inadmissibles que nous avions déjà collectés me semblaient suffire au parquet pour qu’il se fasse une religion.

M. le coprésident Pierre Morange. Qu’est-ce qui vous a le plus choqué ?

M. Luc Paraire. La violation de la loi.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelles sont les infractions qui sont constituées ? De quelles sanctions sont-elles susceptibles ? Quelles sont les personnes dont la responsabilité peut-être mise en cause ?

M. Luc Paraire. Nous avons relevé trois infractions majeures.

Premièrement : l’absence totale de prévision. Il n’y avait pas de politique d’achat : c’était au petit bonheur la chance, en fonction des besoins. J’espère du moins que c’est cela, et que ce n’était pas en fonction des relations, des désirs ou des souhaits.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous allez jusqu’à envisager une telle hypothèse ?

M. Luc Paraire. Je peux ne pas l’exclure, mais ce sera au parquet de le dire. Dans la première hypothèse, il s’agirait moins d’une infraction que d’une absence totale de gestion, ce qui est déjà en soi fort regrettable.

Deuxièmement, ce qui aurait dû être soumis aux procédures de marché ne l’a pas toujours été. Dans ce domaine, l’extrême modestie de nos moyens d’investigation ne nous a pas permis de vérifier la réalité de certaines décisions.

Troisièmement, certains marchés ont été augmentés d’avenants divers et variés à l’insu de tous, qui ont totalement déséquilibré l’économie générale du marché originel. De tels faits sont au minimum constitutifs d’une violation du droit à la concurrence.

M. le coprésident Pierre Morange. Et du délit de favoritisme passible de l’article 432-14 du code pénal ?

M. Luc Paraire. Ce n’est pas à exclure, et c’est ce qui est suggéré dans notre rapport.

M. le coprésident Pierre Morange. Quels sont les responsables ?

M. Luc Paraire. Au premier rang le directeur de l’établissement, puisque les faits en cause relèvent de son pouvoir propre. Mais il s’agit à mon avis d’une responsabilité partagée, du moins sur le plan administratif, par le cadre dirigeant en charge de la passation des marchés au sein de l’établissement.

M. le coprésident Pierre Morange. Il n’y a pas d’autre responsable ?

M. Luc Paraire. Je ne suis pas capable de vous le dire à ce stade de mon enquête.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelle a été la réaction de votre prédécesseur à cette place face aux rumeurs qui ont attiré votre attention ?

M. Luc Paraire. Je suis incapable de vous le dire. Je n’en ai en tout cas trouvé nulle trace écrite dans les archives.

M. le coprésident Pierre Morange. Il semble en effet que les dossiers relatifs aux faits en cause aient été « mis à la benne » avant 2003, en violation des délais décennal et trentenaire de conservation des archives.

M. Luc Paraire. Absolument.

M. le coprésident Pierre Morange. Les informations ne sont apparues qu’à votre arrivée ?

M. Luc Paraire. Les rumeurs, du moins, se sont intensifiées au moment de mon arrivée. Sur ce dossier, j’ai été en contact fructueux et permanent avec l’agence régionale de l’hopitalisation.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelle a été la réaction de l’agence ?

M. Luc Paraire. M. Métais, directeur de l’agence régionale de l’hopitalisation, m’a indiqué qu’il était aussi inquiet que moi et m’a assuré de son soutien dans toutes mes actions pénales.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Selon l’ex-directeur général, les procédures de passation de marchés étaient régulières.

M. Luc Paraire. Si j’avais partagé cette opinion, je n’aurais pas saisi le parquet : je serais resté sur un plan administratif.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Il considère qu’il serait plus à même de répondre à nos questions s’il avait eu connaissance du rapport.

M. Luc Paraire. Ce rapport est à la disposition du parquet, de M. Métais et de la directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé.

M. le coprésident Pierre Morange. Et désormais de la MECSS !

M. Jean-Luc Préel. La responsabilité de la commission d’appel d’offres peut-elle être mise en cause ?

M. Luc Paraire. Je constate qu’elle n’est pas intervenue autant qu’elle l’aurait dû, mais le rapport ne remonte pas jusqu’à ce niveau de mise en cause. Il n’est pas exclu qu’elle n’ait pas disposé de toutes les informations nécessaires au moment de prendre ses décisions.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce qui est frappant, c’est la diversité des compétences en matière de marchés publics, et l’incompétence à tous les échelons.

M. Luc Paraire. Du moins une forte désorganisation, depuis le service chargé des achats jusqu’à la direction générale, en passant par les cadres intermédiaires.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le rapport parle même de « dépenses non formalisées ».

M. Luc Paraire. En plus de trente ans de carrière, je n’ai jamais vu des dysfonctionnements aussi graves. J’espère qu’il ne s’agit que d’incompétence ou de manque de conscience, et que cette désorganisation n’était pas organisée. Mais le doute m’a conduit à saisir le parquet.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est malheureusement un système de gestion des ressources humaines qui n’est pas rare dans l’administration !

Mme Bérangère Poletti. Quelle proportion du déficit de l’établissement attribuez-vous à ces dysfonctionnements dans la passation des marchés ?

M. Luc Paraire. Je m’inquiète surtout du montant considérable des dommages qu’il faudrait verser aux prestataires lésés au cas où ces marchés seraient annulés.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Ces dysfonctionnements n’expliquent pas le déficit structurel de l’établissement, qui est fort ancien. Comment l’analysez-vous ? Quelles sont les mesures à prendre ?

M. Luc Paraire. À mon avis, le choix de maintenir une structure bicéphale constituée de deux établissements distants de cinq kilomètres seulement n’était pas viable : ils couvrent des bassins de population trop proches, d’où les surcoûts, les doublons. Ces difficultés ont été aggravées par la désorganisation de certains services et une méconnaissance totale de l’activité réelle de l’établissement, dont on ne pouvait avoir qu’une connaissance fragmentaire, lacunaire, non exhaustive. On ne sortira pas de cette situation tant qu’on n’aura pas un programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), fiable et exhaustif. Des actes n’étaient pas facturés ; de 8 à 10 millions d’euros de créances non recouvrables étaient systématiquement admis en non-valeur. L’ensemble de ces éléments n’a fait qu’aggraver les conséquences de l’erreur initiale.

M. le coprésident Pierre Morange. Il n’est pas rare de trouver des établissements aussi proches : si l’on devait appliquer votre raisonnement aux hôpitaux de Paris, c’est la moitié du parc hospitalier parisien qu’il faudrait supprimer !

Ce qui nous a frappés, c’est que les comptes des deux établissements qui ont été fusionnés dans le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye étaient équilibrés. Quand l’admission en non-valeur concerne chaque année de 8 à 10 millions d’euros de créances, à quoi s’ajoute le fait que de nombreuses journées d’hospitalisation n’étaient même pas facturées – apparemment à cause de problèmes informatiques ou de codage, mais cela reste injustifiable –, toutes ces recettes non perçues finissent par représenter une part du déficit qui n’est pas marginale : cela représente un tiers d’un déficit moyen annuel de 20 à 25 millions d’euros, déficit qui a même dépassé 30 millions d’euros.

M. Luc Paraire. Tout à fait.

M. Jean-Luc Préel. Quelle a été la réaction de la tutelle quand elle constatait de tels montants non recouvrés chaque année ?

M. Luc Paraire. Il me semble que des solutions auraient pu être trouvées, comme l’apport ponctuel de personnels auprès du trésorier pour assurer le recouvrement de la dette. Je ne sais pas pourquoi rien n’a été fait.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous nous avez indiqué le coût du non-recouvrement de créances ; pouvez-vous estimer celui des actes non facturés ? Y a-t-il des documents ?

M. Luc Paraire. Je ne peux pas vous répondre sur ce point.

M. le coprésident Pierre Morange. Pouvez-vous nous indiquer le taux moyen d’actes non facturés pour l’Île-de-France ? La chambre régionale des comptes nous a dit qu’un tel pourcentage n’avait rien d’exceptionnel, ce qui interpelle quelque peu les élus de la Nation que nous sommes. Pouvez-vous nous indiquer au moins une fourchette ?

M. Luc Paraire. Le coût des actes non facturés pour le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye est de 15 % environ pour 200 millions d’euros de recettes, soit 30 millions d’euros.

M. Jean-Luc Préel. Vous voulez parler des soins d’urgence et des consultations ?

M. Luc Paraire. Non : de l’ensemble des actes non facturés.

Mme Carole Pelletier, rapporteure à la Cour des comptes. 15 % des facturations ?

M. Luc Paraire. Non : 15 % du montant total des recettes. C’est un chiffre approximatif, à repréciser. C’est un ordre de grandeur.

M. le coprésident Pierre Morange. Un taux de 10 % d’actes non facturés représenterait déjà un coût de 20 millions d’euros ! Si l’on y ajoute 10 millions d’euros de créances non recouvrées, on peut dire que les comptes seraient à l’équilibre si les recettes étaient correctement perçues ?

M. Luc Paraire. Dans une très large mesure.

M. Jean-Luc Préel. Qu’en est-il de l’ensemble des établissements français ?

M. Luc Paraire. Beaucoup ont de gros efforts à faire en matière de PMSI, de facturation et de connaissance de leur activité, mais j’ai rarement vu un tel niveau de dysfonctionnement.

M. le coprésident Pierre Morange. Je reprécise la question : quel est le pourcentage moyen de recettes non perçues par les établissements hospitaliers ?

M. Luc Paraire. Probablement plus de 5 %.

M. le coprésident Pierre Morange. Voilà un élément à prendre en compte dans notre réflexion sur le contrôle et l’évaluation de l’utilisation des deniers publics.

M. Jean-Luc Préel. Cela dit, si ces actes étaient facturés, cela aggraverait encore le déficit de la sécurité sociale !

M. le coprésident Pierre Morange. La dépense est là de toute façon. C’est un jeu de dominos, qui entraîne des dysfonctionnements sur le plan sanitaire.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Il y a en outre le coût des dotations que les pouvoirs publics doivent verser pour combler les déficits.

À votre avis, le passage à la T2A a-t-il permis de mettre en évidence cette situation de sous-facturation ?

M. Luc Paraire. Le système antérieur de la dotation globale masquait en effet la sous-facturation, alors que la T2A a fait apparaître ce déficit, tout en faisant progresser la connaissance réelle de l’activité de chaque établissement. Or, sans connaissance précise de l’activité de l’établissement, il n’est pas possible de mener une politique intelligente de recrutement ni de travailler convenablement.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. L’ancien directeur général incrimine certaines décisions politiques dans son incapacité à gérer plus efficacement l’établissement. Il assure qu’il a tiré la sonnette d’alarme auprès de ses tutelles, sans que celles-ci ne réagissent s’agissant des doublons et des problèmes de gestion.

M. Luc Paraire. Je n’ai pas connu cette période. Il est clair cependant que, dans ce dossier, certains paramètres échappent largement à la compétence de la DDASS, voire de l’agence régionale de l’hospitalisation car elles ne relèvent pas de la politique de santé publique, mais plutôt, dans le cas d’espèce, de considérations d’aménagement du territoire. Nous sommes en effet sur un territoire socialement hétérogène, où il s’agit de préserver des équilibres complexes.

Je ne doute pas que les prédécesseurs de M. Chodorge aient alerté ponctuellement l’agence régionale de l’hospitalisation, qui exerce la tutelle depuis 2000, mais je suis incapable de dire comment ces alertes ont été traitées. Je constate simplement le manque de détermination des directions successives. Les paramètres politiques ne dispensaient pas la direction d’avoir un PMSI impeccable, des procédures de marché tirées au cordeau, une bonne gestion et un bon recrutement des personnels.

M. le coprésident Pierre Morange. Si les recettes avaient été correctement collectées, il n’y aurait quasiment pas de déficit.

M. Luc Paraire. Disons qu’il y aurait un déficit moins « malsain », de 10 à 15 millions d’euros.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Le plan de redressement est-il de nature à remettre l’établissement sur de bons rails ?

M. Luc Paraire. Je crois que M. Chodorge et son équipe ont pris la mesure des problèmes et que les dysfonctionnements les plus courants sont en voie de règlement. Dans le cas contraire, la DDASS n’aurait pas émis un avis favorable à la signature du contrat de retour à l’équilibre, qui engage l’agence régionale de l’hospitalisation à accorder au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye une dotation qui représente tout de même la moitié de l’aide destinée à toute l’Île-de-France.

Les axes du contrat sont les suivants : fiabilisation, bonne connaissance de l’activité et poursuite de son augmentation, valorisation des séjours et diminution des dépenses – sur ce dernier point, M. Chodorge a déjà pris des mesures de compression de la masse salariale et de réduction des doublons. L’équipe fait également tout son possible, dans un contexte difficile, en matière de connaissance de l’activité et de réorientation de l’activité de l’établissement sur son cœur de métier, même si les résultats ne sont pas encore tout à fait au rendez-vous sur le plan financier. Mais ce redressement demande une vigilance de tous les instants.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Réalisez-vous des bilans d’étape ?

M. Luc Paraire. Nous faisons un point d’étape tous les deux mois au moins, voire tous les mois, dans le cadre du comité de pilotage tripartite mis en place à l’occasion du contrat de retour à l’équilibre.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous exercez votre tutelle, en un mot ?

M. Luc Paraire. Oui.

M. Jean-Luc Préel. Votre plainte a-t-elle été déposée au nom de la DDASS ?

M. Luc Paraire. Elle l’a été au nom du préfet, qui était alors compétent en matière de légalité des marchés publics.

M. le coprésident Pierre Morange. La chaîne de responsabilité va donc de la préfecture à la direction de l’hôpital, en passant par la DDASS ?

M. Luc Paraire. Á condition que le préfet soit en possession de tous les éléments.

M. le coprésident Pierre Morange. Monsieur Paraire, nous vous remercions.

La séance est levée à onze heures.