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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 17 décembre 2009

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 8

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse et au public, sur le fonctionnement de l’hôpital

– Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé et des sports

– M. Christophe Alfandari, président du directoire de la Clinique Saint-Gatien, M. Philippe Choupin, directeur général délégué des Nouvelles cliniques nantaises, et M. Gérard Reysseguier, directeur de la Clinique Sarrus-Teinturiers

– M. Gérard Baron, directeur général de la Clinique Belledonne, M. Philippe Plagès, directeur par intérim de la Polyclinique Majorelle, M. Frédéric Dubois, président-directeur général du groupe Médi-Partenaires, et M. Sami Franck Rifaï, directeur général de la Clinique Tivoli

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 17 décembre 2009

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé et des sports.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Annie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins. Vous connaissez la MECSS et la thématique qu’elle a choisie, le fonctionnement interne de l’hôpital. Nous nous intéressons à un certain nombre d’expériences de terrain dans le but de formuler des préconisations générales tendant à améliorer l’efficience des établissements et à optimiser l’utilisation des fonds publics.

En compagnie de Jean Mallot, coprésident de la MECSS et rapporteur sur ce sujet, je vous propose de commencer par un exposé synthétique.

Mme Anne-Marie Podeur, directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé et des sports. La question de l’efficience des établissements hospitaliers, et plus généralement de l’ensemble des « offreurs » de soins, est au cœur des préoccupations de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS). Nous devons, en effet, assurer la pérennité de notre système de santé, de nature solidaire, en garantissant son équilibre financier à terme.

Je vais essayer d’apporter des réponses aussi factuelles que possible aux questions que vous m’avez transmises, mais il ne me sera pas forcément aisé d’être concise, car ces questions appellent un certain nombre de développements.

La première question portait sur l’existence d’un tableau de bord des établissements hospitaliers. Un tableau de bord de l’efficience hospitalière a effectivement été mis en place en 2007 par la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins. Renseigné en ligne, il est accessible sur le site du système national d’information sur l’hospitalisation (SNATIH) qui est géré par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation. Il comporte une vingtaine d’indicateurs permettant de situer la performance de chaque établissement, sous le rapport aussi bien de la qualité des soins que de l’efficience – les deux choses allant d’ailleurs généralement de pair.

Ces indicateurs portent aussi bien sur l’insertion de l’établissement dans son environnement – parts de marché, positionnement stratégique –, que sur ses finances – capacité d’autofinancement, taux d’endettement, déficit –, sur son organisation, sur la qualité et sur la sécurité. Après avoir pris en compte l’indice composite d’activité de lutte contre les infections nosocomiales (ICALIN), nous avons pour ambition d’intégrer progressivement l’ensemble des indicateurs publiés par la Haute Autorité de santé (HAS) et gérés par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, tels que la tenue du dossier des patients et la sécurité anesthésique. Ce sont autant d’éléments qui permettront de vérifier l’efficience des établissements de santé et la qualité des soins prodigués.

Selon les sondages que nous avons réalisés, certains établissements ne fournissent pas les données permettant de calculer automatiquement les indicateurs du tableau de bord de performance.

M. le coprésident Pierre Morange. Quels sont ces établissements ?

Mme Anne-Marie Podeur. Lors d’entretiens avec la direction de certains centres hospitaliers universitaires (CHU) ou avec la direction de certains établissements en difficulté, nous nous apercevons parfois que les indicateurs de productivité, très révélateurs en matière d’organisation interne, ne sont pas remplis. Nous rappelons alors l’obligation qui est faite de renseigner les données, et j’ai demandé à l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation de relancer les établissements concernés. Ce tableau de bord est, en effet, très instructif : dans chaque catégorie, chaque établissement est classé dans un quartile, allant du plus performant au moins performant. Nous avons fait part des résultats à la Cour des comptes lorsqu’elle a réalisé son travail d’enquête.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Quelle est la proportion des établissements ne renseignant pas les indicateurs ?

Mme Anne-Marie Podeur. Je n’ai pas connaissance du chiffre exact, mais je peux demander à l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, si vous le souhaitez, de calculer le pourcentage des indicateurs de productivité – les plus intéressants – qui ont été effectivement renseignés pour 2008.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Ce serait effectivement très utile. Comme vous le savez, nous avons travaillé sur quelques cas précis, et nous essayons de faire le partage entre les difficultés qui pourraient s’expliquer par un dysfonctionnement ou par une spécificité locale et celles qui pourraient donner lieu à des préconisations générales, valables pour l’ensemble des établissements.

C’est pourquoi nous souhaitons non seulement vérifier auprès de vous un certain nombre de constats que nous avons faits au cours des auditions, mais aussi mieux comprendre comment se réalise l’équilibre entre l’autonomie de gestion des établissements et la nécessaire coordination qu’exercent les différentes autorités de tutelle, dont vous constituez le « chapeau ».

Mme Anne-Marie Podeur. Disons la tête de réseau…

Je vous fournirai les chiffres de l’année 2008, et vous pourrez également consulter directement le système national d’information sur l’hospitalisation.

Le tableau de bord n’ayant été créé qu’en 2007 – nous en sommes à sa deuxième édition –, il faut un peu de temps pour que l’acculturation se fasse. Mais il faudra essayer d’aller très vite.

Nous disposons également d’autres instruments, tels que le suivi des établissements en difficulté financière. Nous suivons 238 établissements engagés dans une procédure de retour à l’équilibre, dont 165 ont déjà signé un contrat de retour à l’équilibre financier (CREF) et font, à ce titre, l’objet d’un tableau de bord spécifique, réalisé par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation.

M. le coprésident Pierre Morange. Les services placés sous votre responsabilité et les autorités de tutelle au niveau régional ont fait état de progrès à réaliser en matière de saisie des informations et d’instruments de mesure, étant entendu qu’il n’est pas forcément nécessaire de disposer d’une comptabilité analytique très pointue dans les établissements de petite taille. Ces interlocuteurs ont également insisté sur la nécessité de moderniser le parc informatique afin d’améliorer la qualité de l’information. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Mme Anne-Marie Podeur. La réalisation des contrats de retour à l’équilibre financier nécessite en particulier l’existence d’une bonne comptabilité analytique. Une enquête diligentée au niveau national en 2008 a révélé que 65 % des établissements publics de santé, hors hôpitaux locaux, qui sont des petites structures, et 100 % des CHU déclaraient s’être dotés d’outils à cet effet.

Cela étant, il faut être conscient qu’il existe différents niveaux de comptabilité analytique. Le premier niveau consiste à produire un compte administratif retraité, c’est-à-dire à procéder à des imputations à peu près correctes des charges générales sur les pôles d’activité. Le second niveau se caractérise par l’utilisation de la base « d’Angers » qui permet de produire des ratios sur des unités d’œuvre bien déterminées et de procéder à un parangonnage, autrement appelé benchmarking. Seuls atteignent le troisième niveau les établissements, peu nombreux, disposant d’un tableau « coût case-mix » (TCCM) et susceptibles de participer, à ce titre, à l’étude nationale des coûts – je les invite à le faire, car cela nous permettrait d’améliorer notre échantillon et de mieux cibler les évolutions de la tarification à l’activité.

Un plan d’action 2010-2011 sera mis en œuvre à la faveur d’une nouvelle organisation de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, qui est aujourd’hui en cours de définition et devrait être effective en mars prochain. L’objectif est d’harmoniser et de mettre en cohérence l’ensemble des outils en publiant une nouvelle édition du guide de comptabilité analytique. Datant de 1997, ce guide a certes été révisé en 2004, puis en 2008 pour tenir compte de la tarification à l’activité, mais nous ne sommes pas encore allés très loin dans l’analyse méthodologique. Cet exercice nous permettra de généraliser la comptabilité analytique. Des différences de niveau subsisteront entre les établissements, mais ceux-ci devront désormais aller plus loin que le seul retraitement comptable.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez indiqué que 65 % des établissements ont mis en place une comptabilité analytique plus ou moins perfectionnée. Quelle est la répartition des établissements selon les trois niveaux que vous avez distingués ?

Mme Anne-Marie Podeur. Je ne suis pas en mesure de vous le dire à l’instant, mais je vous communiquerai cette information si vous le souhaitez.

M. Dominique Tian. Certains pays européens paraissent très en avance sur nous : après avoir procédé à une rationalisation des programmes informatiques, nos voisins allemands ont ainsi développé un système assez original qui consiste à sous-traiter à un organisme central, privé, la gestion analytique d’un certain nombre d’établissements. En revanche, il existe aujourd’hui, dans les hôpitaux français, entre quinze et soixante-dix programmes informatiques distincts et gérés par des personnes différentes, ce qui ne facilite pas le récolement des données. Comptez-vous vous inspirer du modèle allemand pour avancer ?

Nous avons été très impressionnés par la part des actes qui est aujourd’hui non facturée – entre 5 et 10 % du total dans le meilleur des cas. Je rappelle que la délivrance d’une facture de sortie à chaque malade est sans cesse repoussée de projet de loi de financement de la sécurité sociale en projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Mme Anne-Marie Podeur. Le plan d’action 2010-2011 prévoit une redéfinition des méthodes : la révision du guide de comptabilité analytique fournira une ossature commune aux différents éditeurs de logiciels et permettra ainsi d’éviter la multiplication des méthodes comptables.

L’exemple allemand est très intéressant – je lirai d’ailleurs vos conclusions sur ce sujet avec grand intérêt –, mais nous n’avons pas suivi le même chemin : nous ne faisons qu’héberger des données transitant par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, sans les gérer de façon centralisée. L’intérêt d’un système de comptabilité analytique tient beaucoup à la faculté donnée aux établissements et aux pôles d’activité de se l’approprier – la déclinaison de la comptabilité analytique par pôle devant tenir une place essentielle à l’avenir.

Afin que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), soit en mesure d’effectuer un contrôle ex ante, avant paiement, et non pas seulement un contrôle ex post comme c’est le cas aujourd’hui, il convient de développer la facturation directe. Plusieurs raisons contribuent à expliquer qu’elle ne soit aujourd’hui effective que dans les établissements privés, et non dans les établissements publics. Tout d’abord, les volumes ne sont pas comparables : les caisses primaires d’assurance maladie, qui traitent aujourd’hui 6,5 millions de factures, devront en gérer 60 millions, ce qui nécessitera une dématérialisation complète des procédures. Il existe en outre, au sein de l’hôpital public, un plus grand nombre d’acteurs, réalisant des actes beaucoup plus divers que dans le secteur privé. Une autre difficulté, tout aussi essentielle, résulte de la multiplicité des logiciels de gestion comptable.

Pour sortir de la situation actuelle – la facturation directe a été reportée à plusieurs reprises, comme vous l’avez indiqué –, nous allons mener une expérimentation sous la conduite d’un chef de projet rattaché à ma direction, en liaison directe avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et avec les éditeurs de logiciels. Nous souhaitons engager cette expérimentation dès 2010 en vue d’une généralisation ultérieure. Il faut rappeler que le rapport – très nuancé – remis l’an dernier par l’inspection générale des affaires sociales et par l’inspection générale des finances a pointé un certain nombre de difficultés techniques, résultant non seulement de la diversité des logiciels employés mais aussi de l’absence d’interopérabilité entre les systèmes d’information du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et du Système national d'information inter-régimes de l’Assurance maladie (SNIIRAM).

Il faudra mener une réflexion approfondie, en toute objectivité, pour vérifier si notre système, qui consiste à effectuer une valorisation à partir du programme de médicalisation des systèmes d’information, n’est pas finalement opérant, étant entendu qu’il empêche tout contrôle de facturation ex ante, ce qui pose un problème à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Nous allons donc travailler ensemble sur ce sujet en vue de retenir, au terme de l’expérimentation, un système réaliste, tant du point de vue de l’efficience que de celui de la gestion des ressources humaines – il ne faudrait pas aggraver les coûts de l’Assurance maladie.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous avez rappelé les diverses difficultés auxquelles se heurte la facturation : la multiplicité des logiciels utilisés et celle des modes de saisie des données, à quoi s’ajoutent probablement des biais dans le codage – nous y reviendrons peut-être plus tard. Mais il y a aussi un problème en amont : dans certains établissements, une part variable des actes échappe à toute facturation, ce qui réduit d’autant leurs ressources. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Mme Anne-Marie Podeur. C’est toute l’histoire de nos hôpitaux. Le système de la dotation globale, qui consistait en un pilotage en fonction des dépenses, avec une « rallonge » régulièrement accordée en fin d’année, a pu conduire à ne pas être très vigilant en matière de facturation.

Alors que la chaîne de facturation est un process sous contrôle dans les établissements privés, tout l’intérêt de la facturation directe étant de parvenir à l’exhaustivité, ces préoccupations sont récentes au sein des établissements publics : c’est la tarification à l’activité qui a conduit à une plus grande vigilance en matière de facturation. Jusqu’à une période récente, les meilleurs éléments du personnel n’étaient pas affectés à ce genre de tâches. Nous allons donc devoir réaliser un saut qualitatif en matière de qualification et de formation des personnels pour assurer la facturation et le recensement de l’information.

Le programme de médicalisation des systèmes d’information permet d’arriver à un taux d’exhaustivité proche de 100 % dans tous les établissements. Cela étant, il suffit de voir le temps d’adaptation que requiert le changement d’une classification pour prendre conscience des difficultés. Nous avons constaté, en 2007, un creux dans les consultations externes quand nous avons demandé, pour la première fois, un appariement des données de l’activité médicale et des données administratives pour chaque bénéficiaire : il a fallu que les établissements revoient leur process pour parvenir à atteindre cet objectif. Toute évolution nécessitera un recalibrage.

Je n’ai pas connaissance des chiffres qui ont été cités en matière de non-facturation, et j’aimerais bien savoir à quoi ils correspondent exactement.

M. le coprésident Pierre Morange. Les responsables des agences régionales de l’hospitalisation (ARH) et des chambres régionales des comptes que nous avons auditionnés nous ont indiqué que les insuffisances constatées dans la facturation ne les étonnaient pas : loin d’être le seul fait de certains établissements présentant des dysfonctionnements spectaculaires, ce problème serait fréquent.

Il résulte soit de l’absence d’identification des patients, soit du non-recouvrement de factures en raison de difficultés informatiques ou de problèmes d’interopérabilité. Ajoutons à cela que le financement actuel des hôpitaux repose sur un état statistique fourni aux agences régionales de l’hospitalisation, et non sur un retraitement par l’Assurance maladie des facturations, ce qui n’est sans doute pas sans incidence.

Il en résulte, au total, des pertes de recettes comprises entre 5 et 15 % des dépenses.

Mme Anne-Marie Podeur. Si c’était avéré, nous pourrions combler les déficits des hôpitaux !

M. le coprésident Pierre Morange. Une telle hémorragie financière a de quoi laisser perplexe. Elle contribue certainement aux difficultés des 238 hôpitaux que vous avez évoqués – cela représente tout de même près d’un quart du parc hospitalier.

Les auditions nous ont permis de constater que des progrès considérables restent à faire dans le domaine des outils de mesure, notamment en ce qui concerne la comptabilité analytique, ainsi que dans le domaine de la facturation. Des audits réalisés par les services de l’État en charge du contrôle de légalité ont également révélé des dysfonctionnements spectaculaires en matière de passation des marchés publics, lesquels nécessitent, selon les responsables que nous avons auditionnés, une grande maîtrise de la part des personnels et donc une formation adaptée.

Ne pensez-vous qu’une action particulière s’impose, dans ces différents domaines, à l’égard des 238 hôpitaux en difficulté financière ? Il y a peut-être des marges de manœuvre budgétaires à exploiter.

Mme Anne-Marie Podeur. Je crois qu’il faut distinguer clairement les objectifs et l’apport des différents outils.

L’objectif de la comptabilité analytique est d’assurer la traçabilité des coûts et de favoriser le parangonnage : il s’agit d’identifier les gains de productivité potentiels par rapport à d’autres établissements appartenant à une même catégorie. C’est une question d’analyse et de constat.

La chaîne de facturation est un autre sujet, qui concerne la capacité des établissements à recouvrer les recettes correspondant à une activité donnée.

Une première difficulté tient au codage du programme de médicalisation des systèmes d’information. Des avancées considérables ont été réalisées dans ce domaine, mais il y a encore des progrès à faire dans certains établissements, où l’on pourrait améliorer l’exhaustivité et la qualité du codage. Les problèmes constatés résultent d’une structuration ou d’une professionnalisation insuffisante des équipes concernées, et c’est en général dans les établissements en difficulté que des progrès peuvent être réalisés, comme vous l’avez suggéré. Cela étant, je mets en garde les établissements contre les risques de surcodage.

Une fois que la traçabilité de l’activité est assurée, il faut réaliser un appariement avec des données administratives, lesquelles doivent avoir été enregistrées au préalable. C’est là un deuxième niveau.

En troisième lieu, les établissements doivent être en mesure de facturer à des tiers – organismes complémentaires ou usagers – les restes à charge, notamment le forfait de 18 euros applicable aux actes dont le coefficient est supérieur à K50. Comme il s’agit de très petites sommes, cela implique une grande mobilisation et une bonne structuration de la chaîne de facturation.

Une quatrième exigence, qui présente un intérêt manifeste aussi bien pour l’ordonnateur que pour le comptable, est la capacité à recouvrer les créances. Chacun sait qu’il s’agit d’un sujet particulièrement douloureux dans certains départements où la précarité est plus importante qu’ailleurs. En tout état de cause, les créances irrécouvrables doivent être considérées comme telles : il ne faut pas les conserver dans la comptabilité comme des recettes à percevoir aux calendes grecques.

J’en viens aux marchés publics, dont le contrôle de légalité relevait jusqu’à présent de la responsabilité des préfets et n’incombait pas directement aux agences régionales de l’hospitalisation. Certains marchés publics étant particulièrement complexes, ce contrôle est essentiel, mais le contrôle de régularité exercé par le comptable ne l’est pas moins. Et surtout, les vrais gains d’efficience portent sur les politiques d’achat : il faut définir les besoins, accepter une limitation des référencements, puis procéder à des groupements de commandes afin d’obtenir les meilleurs prix auprès des fournisseurs.

M. le coprésident Pierre Morange. J’en suis bien d’accord. C’est pourquoi je suggérais que les 238 établissements connaissant actuellement des difficultés financières fassent l’objet d’une attention particulière sur ces différents volets : les outils de mesure, la facturation, ainsi que le respect du code des marchés publics. Il pourrait être utile de réaliser des audits de contrôle portant non seulement sur la forme, mais aussi sur le fond.

Mme Anne-Marie Podeur. Tout à fait.

M. le coprésident Pierre Morange. Les directions départementales des affaires sanitaires et sociales ayant mis en évidence des dysfonctionnements dans certains cas, on pourrait envisager une approche plus sélective, en fonction des déficits constatés.

Mme Anne-Marie Podeur. Je rappelle que l’élaboration des contrats de retour à l’équilibre est fondée sur un diagnostic. Lorsque les dépenses du titre III, notamment certains achats externes, sont plus élevées que la moyenne, il faut réagir. Mais cela ne dispense pas de prendre en considération d’autres dépenses, notamment les dépenses médicales du titre II. La réflexion à mener en matière de référencement et l’implication des médecins dans les prescriptions sont, en effet, au moins aussi importantes que la bonne application du code des marchés publics. En général, les prix sont quasiment administrés, ce qui ne permet pas de réaliser des gains considérables, sauf dans quelques domaines particuliers, et le marché est parfois constitué de quasi-oligopoles – je pense notamment à la gaze médicale.

M. Dominique Tian. L’une des spécificités du secteur hospitalier public en matière d’achats publics est d’avoir peu recours à la sous-traitance. Or, cela peut être un moyen de rétablir un peu de concurrence et de dégager des marges.

Nous avons appris, au cours des auditions, que l’activité des CHU est pour 80 % celle d’hôpitaux généraux. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Mme Anne-Marie Podeur. Les CHU n’ont pas été exclusivement conçus pour exercer une activité de recours : ce sont également des établissements de santé de proximité. Certains pays ont fait le choix d’une gradation complète des activités, faisant appel à des entités juridiques différentes, mais ce n’est pas la voie que nous avons empruntée. Les CHU exercent, en effet, trois missions : les soins, l’enseignement et la recherche.

Ces deux dernières activités sont, pour l’essentiel, financées par les dotations au titre des missions d’enseignement, de recherche, de référence et innovation (MERRI), pour un montant de deux milliards d’euros. Selon une étude réalisée par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, les activités de recours relevant spécifiquement des CHU représentent environ 15 % de leur activité. Le chiffre est d’ailleurs plus faible si l’on considère seulement le nombre des séjours, peu nombreux, mais très hautement valorisés, car exigeant un environnement médico-technique très sophistiqué, et donc coûteux.

Il faut accepter cette situation et en tirer toutes les conséquences : pour une fraction importante de leur activité, les CHU doivent répondre aux mêmes impératifs d’efficience que les autres hôpitaux, leurs missions d’enseignement étant compensées par le mécanisme des dotations MERRI. Pour les activités de recours, nous devons veiller à bien prendre en compte le surcoût de l’environnement dans certains cas, notamment les greffes et certains traitements très spécifiques, tels que les curiethérapies. Le principe de gradation des soins implique d’offrir aux patients ce que l’on peut faire de mieux dans un nombre limité d’établissements en s’efforçant d’amortir raisonnablement les surcoûts.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Merci pour toutes les réponses que vous venez d’apporter sur ces différents sujets. Je dois avouer, pour ma part, que je suis frappé par la lenteur de certaines évolutions, notamment quand il s’agit de généraliser les bonnes pratiques : on peut se demander si l’on ne pourrait pas aller un peu plus vite dans certains cas.

Nous sommes bien sûr intéressés par tout document complémentaire que vous pourriez nous faire parvenir afin de continuer à nourrir notre réflexion : nous devrons étayer nos recommandations par des éléments incontestables.

J’aimerais maintenant revenir sur les ressources humaines, qui constituent l’un des principaux coûts à l’hôpital – près de 70 % des charges. En la matière, il existe de grandes différences selon les établissements, les pôles, mais aussi les activités concernées. La Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (MEAH), désormais intégrée dans l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), et la Cour des comptes ont établi des comparaisons qui appellent l’attention. Comment expliquer ces différences et comment améliorer la situation ?

M. le coprésident Pierre Morange. Et surtout selon quel calendrier ?

Mme Anne-Marie Podeur. Je rappellerai tout d’abord que nous avons remis au Parlement plusieurs rapports sur l’application de la tarification à l’activité, notamment sur les dotations MERRI. Les évolutions vous paraissent peut-être lentes, mais elles sont en réalité rapides si on les rapporte à celles des décennies précédentes. Le rythme s’accélère singulièrement aujourd’hui.

En ce qui concerne le titre I des dépenses hospitalières, à savoir les ressources humaines, il y a effectivement des écarts de productivité, qui font l’objet d’une analyse dans le cadre des tableaux de bord. La direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, qui a été chargée de piloter la mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers, puis d’agir en tant que chef de file de la commande publique à l’égard de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, ne s’est pas contentée d’établir des constats : elle a également été à l’origine d’un certain nombre d’initiatives – je pense à « Horizon blocs », mais aussi aux travaux portant sur les consultations externes et sur l’organisation du temps de travail médical.

Il faut maintenant aller plus loin en généralisant la collecte de données et en utilisant celles-ci concrètement : nous devons parvenir à établir des indicateurs d’encadrement – et non des normes. Le piège serait de raisonner en termes de lits, comme nous l’avons fait jusqu’à présent. Certains lits étant vides, il faut prendre en compte la productivité, c’est-à-dire le ratio entre les équivalents temps plein employés et l’activité.

La réduction des écarts passe par la redéfinition de l’offre hospitalière sur un territoire donné, afin d’éviter les doublons. À l’échelle des établissements, il faut assurer une bonne structuration des pôles d’activité, dont l’existence ne traduit pas une remise en cause de la structuration, retenue dans une approche médicale, en entités internes, en services ou en unités fonctionnelles ; c’est un moyen de mutualisation, en particulier pour les effectifs soignants.

Au sein de ces pôles et de ces unités, nous avons besoin d’une formation des cadres infirmiers à la gestion des plannings : il faut en effet raisonner en termes de « présentéisme », veiller à adapter la présence des soignants à l’intensité des soins à prodiguer au fil de la journée – celle-ci est variable, sauf dans le cas de certaines unités travaillant en soins continus, comme les urgences, les services de réanimation et quelques services de soins critiques.

La structuration des séjours importe également : il est possible de réaliser des gains de productivité considérables en développant la prise en charge ambulatoire et l’hospitalisation de semaine à la place de l’hospitalisation conventionnelle.

Pour redresser la situation d’un établissement en difficulté, le plan de retour à l’équilibre ne doit pas se contenter de prévoir quelques actions à réaliser en parallèle des économies : il faut définir un plan d’action et une méthode pour l’appliquer. Il ne saurait exister de bon contrat de retour à l’équilibre, produisant des résultats proportionnés aux enjeux, sans des actions d’appui diligentées par l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux ou pilotées demain par les agences régionales de santé – celles-ci devront comporter des pôles d’efficience, composés de professionnels capables d’apporter un accompagnement. Mais cela n’exonère pas les établissements eux-mêmes, notamment les plus grands d’entre eux, de la responsabilité de développer des structures de contrôle interne et d’audit, capables de faire des constats, mais aussi d’apporter des correctifs.

M. le coprésident Pierre Morange. Le rôle de la MECSS est de s’assurer du bon usage des budgets votés par la représentation nationale. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le calendrier d’application des contrats de retour à l’équilibre, comme sur celui de la mise en œuvre des préconisations relatives à l’ensemble du parc hospitalier, qu’il s’agisse des outils de mesure, de la facturation ou de la gestion des ressources humaines ?

Mme Anne-Marie Podeur. Le calendrier a été fixé par le Président de la République : le retour à l’équilibre doit être effectif en 2012.

M. le coprésident Pierre Morange. Confirmez-vous que les 238 établissements concernés seront à l’équilibre à cette date ?

Mme Anne-Marie Podeur. Nous avons constaté une amélioration de la situation financière des établissements de santé l’an dernier – je pourrai vous communiquer des données précises à ce sujet, si vous le souhaitez. Cette amélioration a été sensible aussi bien en ce qui concerne le recouvrement des recettes que la maîtrise des dépenses, en particulier celles de personnel. L’année 2008 a été marquée par une rupture dans ce domaine.

Les directeurs d’agences régionales de l’hospitalisation se voient fixer, chaque année, un objectif de réduction des déficits d’exploitation. Hormis certaines régions handicapées par un niveau de déficits élevé, les objectifs ont été tenus – 20 % en 2008 et 25 % en 2009. En Île-de-France, le déficit global est passé de 148 à 108 millions en 2008, ce qui est un résultat considérable. L’effort va se poursuivre dans les années à venir : les écarts vont se résorber progressivement et la pression pour atteindre les objectifs va s’accroître à mesure que nous nous rapprocherons de l’année 2012.

Cela étant, il ne faut pas se cacher que nous rencontrerons de graves difficultés avec les établissements dont la structure d’exploitation est déséquilibrée par des investissements trop massifs et par un endettement excessif, et dont les dépenses du titre IV sont très supérieures à un niveau habituellement supportable. Cela fait des années que la part de ces dépenses dépasse 5 %, voire 10 % du budget dans certains établissements. Or, il est très difficile de s’en sortir en jouant sur d’autres dépenses, comme celles du titre I, qui concernent les effectifs soignants présents au chevet des malades. Il importe de ne pas altérer la qualité des soins.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Je me garderai bien de commenter la date de 2012…

Mme Anne-Marie Podeur. C’est un objectif que j’assume parfaitement.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. La méthode que vous appliquez consiste à partir des besoins, puis à rationaliser et à améliorer l’organisation. Il faut parvenir à expliquer les différences entre les établissements, ce qui doit permettre à la fois de réaliser des économies et d’améliorer le service rendu – je fais partie de ceux qui considèrent qu’un service mieux géré n’est pas de moins bonne qualité, bien au contraire. Mais il faut aussi du temps pour appliquer les solutions retenues. À cet égard, on peut craindre que l’échéance de 2012 ne conduise à tailler à la serpe dans le titre I, ce qui tendrait à dégrader la qualité du service, en contradiction avec l’objectif ultime. Un certain nombre d’éléments dans l’actualité accrédite malheureusement cette hypothèse.

Mme Anne-Marie Podeur. Les situations sont très contrastées selon les régions et selon les établissements considérés. Au niveau national, le déficit du compte de résultat principal, hors budgets annexes, s’élevait à 592 millions en 2008, contre 679 millions en 2007. L’amélioration a donc été notable.

Afin d’optimiser les ressources du titre I, il faut distinguer les dépenses de personnel médical et les autres dépenses – il faut d’ailleurs différencier les personnels soignants et les personnels administratifs et techniques. Il faut également prendre en compte le turn over dans les établissements, notamment les départs « naturels » en retraite et les départs programmés. Les départs seront massifs dans les dix années qui viennent, même s’ils n’auront pas lieu immédiatement, beaucoup d’agents différant leur retraite. Ce sera l’occasion de réaliser un recalibrage à terme. Dans l’immédiat, nous disposons également de marges de manœuvre : il faut commencer par limiter le recours à l’intérim et aux contrats à durée déterminée en redéployant les effectifs existants. Les effectifs concernés sont très variables, mais ils peuvent atteindre jusqu’à 30 % du total dans certains cas, ce qui signifie que l’on ne parvient pas à stabiliser les équipes dans certains services. Ces dépenses sont en général faciles à modifier, mais il existe une viscosité plus importante pour les personnels techniques et logistiques, qui ont été recrutés en nombre dans certaines régions à une époque où l’on ne posait guère de questions.

Des externalisations permettraient de réduire les effectifs, c’est l’évidence, mais peut-être pas de réduire les dépenses dans tous les cas. Une étude a en effet montré que certains établissements ont été conduits à ré-internaliser certaines dépenses, le véritable enjeu n’étant pas tant les effectifs employés que leur productivité. La question est de savoir si l’on est capable, dans le service public, de faire preuve de la même efficience que des acteurs du secteur privé. Si une externalisation permet de faire un meilleur usage des deniers publics, sans mettre à mal la qualité du service, cette voie doit être suivie. Si l’on est en revanche capable, grâce à une redéfinition du process, grâce à une meilleure organisation et grâce à un meilleur management, de produire le même service au même coût, la question ne se pose pas.

On peut difficilement envisager de remettre en cause des postes de fonctionnaires en place, car ces derniers bénéficient de garanties statutaires. Mais il serait faux de croire qu’il n’existe pas de marges de manœuvre dans l’attente des départs en retraite à venir, et que la réduction des déficits et la maîtrise des dépenses de personnel conduisent inexorablement à une dégradation de la qualité du service. Il faut savoir utiliser les marges disponibles, en particulier en matière d’intérim.

Je rappelle également que la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a permis de recourir à des contrats de cliniciens hospitaliers, certes attractifs mais assortis d’objectifs en matière d’activité et de qualité des soins, dans certaines spécialités souffrant de problèmes de recrutement – on sait, en effet, que les revenus des praticiens exerçant à titre libéral peuvent atteindre le double de celui des praticiens hospitaliers – je pense, par exemple, aux radiologues.

M. le coprésident Pierre Morange. Faire ou faire faire, c’est effectivement un grand débat, qui n’est pas propre au secteur sanitaire.

M. Dominique Tian. La gestion des ressources humaines à l’hôpital mériterait, à elle seule, une séance de travail spécifique de la MECSS.

Parmi les problèmes souvent évoqués figure le manque d’attractivité de l’hôpital pour les médecins français ayant effectué leurs études dans les universités françaises. De leur côté, de nombreux médecins étrangers se plaignent de leur statut, voire de leur absence de statut, et considèrent qu’on exige d’eux ce qu’on n’exigerait pas de nationaux. La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) s’est émue de cette situation, qui constitue une véritable bombe à retardement pour les hôpitaux. N’ayant pas le droit de s’installer, ces médecins ont pour seule possibilité d’exercer à l’hôpital dans des conditions de travail assez différentes de celles d’autres catégories de personnel. N’y a-t-il pas là de quoi s’interroger ?

Mme Anne-Marie Podeur. Il faut distinguer le cas des ressortissants européens, désormais nombreux à travailler dans nos hôpitaux et jouissant de possibilités identiques à celles des ressortissants français, et celui des praticiens qui ne sont pas originaires de l’Union européenne. Ces derniers ont un statut différent.

Même si nous avons considérablement relevé le numerus clausus au cours des dernières années, ce qui signifie plus d’internes à former, nous avons également considéré qu’il fallait apporter une réponse aux personnels exerçant depuis très longtemps dans notre pays – il existe pour eux des procédures adaptées, reposant soit sur des examens professionnels, soit sur des concours, qui leur permettent ensuite d’exercer en tant que praticiens hospitaliers.

Il faut également distinguer le cas des praticiens qui souhaitent seulement être formés dans notre pays et qui ont vocation, non à rester sur notre territoire, mais à rejoindre les rangs des élites médicales de leur pays d’origine.

Je précise que les relations avec les médecins concernés sont désormais excellentes. Les syndicats qui les représentent savent que les portes de ma direction leur sont ouvertes, et la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a prévu des modalités d’intégration répondant aux attentes. Un problème a peut-être existé il y a quelques années, mais les règles du jeu sont désormais clairement établies – c’est d’ailleurs une nécessité bien au-delà de ce problème particulier, quand on vise à l’efficience et à la performance.

Vous trouverez peut-être que le processus est un peu lent, mais il faut admettre que nous avons établi des règles du jeu, et que les premiers résultats sont là en matière d’efficience et de redressement de la santé financière des établissements hospitaliers.

M. le coprésident Pierre Morange. Merci, madame la directrice, pour ces propos chargés d’espoir à la veille de l’année 2010. Vous savez que nous prêterons une attention particulière à leur mise en œuvre.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition de M. Christophe Alfandari, président du directoire de la Clinique Saint-Gatien, M. Philippe Choupin, directeur général délégué des Nouvelles cliniques nantaises, et M. Gérard Reysseguier, directeur de la Clinique Sarrus-Teinturiers.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à MM. Christophe Alfandari, président du directoire de la clinique Saint-Gatien, Philippe Choupin, directeur général délégué des Nouvelles cliniques nantaises et Gérard Reysseguier, directeur de la clinique Sarrus-Teinturiers.

Dans le cadre de ses travaux portant sur le fonctionnement de l’hôpital – de l’hôpital public en particulier – et visant, à partir de constats précis, à formuler des préconisations généralisables à l’ensemble des établissements de santé, la MECSS a souhaité aujourd’hui examiner la situation singulière de trois structures que je vous laisse dans un premier temps, Messieurs, le soin de présenter.

M. Christophe Alfandari, président du directoire de la clinique Saint-Gatien. Plus ancien établissement hospitalier de Tours, la clinique Saint-Gatien est située dans le cœur historique de la ville. Clinique privée à vocation médico-chirurgicale, elle est spécialisée dans les pathologies cardio-vasculaires, dispose d’un service d’urgence cardiologique et a été autorisée, dans le cadre du schéma interrégional d’organisation sanitaire (SIOS), à ouvrir la seule antenne de chirurgie cardiaque du grand Ouest. Le groupe Saint-Gatien, que je dirige, est également propriétaire de la clinique de l’Alliance, au nord de Tours, qui comporte notamment un service d’urgences.

En outre, nous sommes en train de procéder au regroupement de plusieurs établissements au nord d’Orléans – sur un bassin de 439 000 habitants – afin de créer un pôle de cliniques privées offrant 500 lits, qui sera le pendant du centre hospitalier régional d’Orléans et qui remplira des missions de service public, notamment dans le domaine des urgences – SOS Main, SOS Cœur, urgences générales – et de l’obstétrique, avec une maternité de niveau II.

Enfin, dans le cadre d’un rapprochement entre les secteurs public et privé, notre clinique médico-chirurgicale de Melun s’est associée au Centre hospitalier Marc-Jacquet pour créer une nouvelle plateforme dont la première pierre sera posée en 2011.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Nous sommes également intéressés par la question des fusions d’établissements dont MM. Choupin et Reysseguier peuvent peut-être nous entretenir.

M. Philippe Choupin, directeur général délégué des Nouvelles cliniques nantaises. L’établissement que je dirige est en effet issu d’une restructuration : si, en 1991, l’agglomération nantaise comptait 17 cliniques, on n’y dénombre plus aujourd’hui que cinq pôles de santé. Créée voilà onze ans, la société Nouvelles cliniques nantaises résulte du regroupement, par fusion ou absorption, de trois établissements de santé privés, lucratifs et non lucratifs. Appartenant exclusivement aux médecins qui y travaillent, le groupe est indépendant ; il comprend 95 médecins, 750 salariés, 350 lits de médecine et de chirurgie, un service d’urgences. Nous avons également des activités « phares », correspondant à des missions de service public : cardiologie interventionnelle et urgences cancérologiques sont les principales. J’ajoute que, chaque année, nous accueillons 62 000 patients et procédons à 41 000 interventions chirurgicales.

M. Gérard Reysseguier, directeur de la clinique Sarrus-Teinturiers. Propriété d’un praticien, située au centre de Toulouse, la clinique Sarrus-Teinturiers est quant à elle issue de la fusion, en 1990, de deux établissements spécialisés, l’un dans les pathologies vasculaires, l’autre dans l’obstétrique. Elle comporte 165 lits et places, emploie 280 équivalents temps plein, une soixantaine de praticiens y travaillent et elle accueille 15 000 patients par an ; par ailleurs, 3 400 accouchements s’y déroulent chaque année dans le cadre d’une maternité de niveau II, à laquelle est adjoint un service de néonatologie. Outre l’obstétrique et la chirurgie cardio-vasculaire, elle est spécialisée dans la chirurgie pédiatrique, ORL et cancérologique. Par ailleurs, une fusion est en cours avec la clinique ophtalmologique Saint-Nicolas qui comprend 35 lits et places.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Qu’en est-il de la santé financière de vos établissements ? Comment l’améliorer ou la préserver ? Quid de la gestion des personnels ainsi que des systèmes de facturation et de codage ?

M. Christophe Alfandari. Compte tenu du nombre de projets en cours, la santé financière de notre établissement est évidemment cruciale. Par la force des choses, nous sommes donc très attachés à l’amélioration de la productivité, laquelle passe par l’amélioration de notre organisation : en effet, outre que depuis deux ou trois ans la revalorisation des tarifs prévus dans le cadre de l’objectif national des dépenses de l’Assurance maladie (ONDAM) est extrêmement basse – en particulier au regard de l’inflation, la T2A a accru la concurrence avec le secteur public, ce qui est d’ailleurs tout à fait normal. En conséquence, notre chiffre d’affaires stagne. Afin de remédier à cette situation, nous sommes particulièrement attentifs au développement de la médecine ambulatoire et à la gestion des lits, ce qui appelle une adaptation du planning des personnels.

M. Philippe Choupin. Le regroupement d’établissements de santé privés est motivé par le souci d’améliorer l’offre de soins, d’intensifier les échanges entre les différents spécialistes, mais aussi d’accroître les capacités d’investissement.

Par ailleurs, la gestion de projets telle qu’elle se pratique dans le secteur privé peut avoir une valeur exemplaire pour l’hôpital public : en effet, non seulement toute entreprise médicale doit se fixer un certain nombre d’objectifs à atteindre à court ou moyen terme, mais les médecins doivent y être intéressés économiquement et juridiquement. En ce qui nous concerne, la restructuration a été l’occasion de modifier les règles de fonctionnement préexistantes et de fixer un nombre de patients précis, une durée moyenne de séjour ainsi qu’un objectif de développement de la médecine ambulatoire – à ce dernier égard, nous sommes encore loin du taux de 80 % atteint aux États-Unis, ce qui nous laisse une grande marge de progression, au bénéfice de l’Assurance maladie comme des établissements.

J’ajoute que la question du management des personnels est fondamentale : si, dans le secteur public, les charges salariales absorbent 75 % du financement, le pourcentage est encore de 50 % à 55 % dans le secteur privé – la différence tenant à ce que nous n’avons pas à prendre en charge les honoraires des médecins.

M. Gérard Reysseguier. Si la fusion dont notre clinique est le fruit s’est faite à partir de deux petits établissements qui fonctionnaient au mieux, les médecins qui en étaient propriétaires se sont néanmoins rendu compte qu’ils ne pourraient pas garantir longtemps la même qualité de soins, compte tenu de la progression des dépenses d’investissement et de personnel.

J’ai eu naguère l’occasion de comparer notre gestion des effectifs et des plannings avec celle de l’hôpital des enfants de Toulouse et j’ai pu constater combien les différences étaient importantes : outre que nous savons combien l’obstétrique requiert de personnel, nous sommes particulièrement attentifs à l’efficience de nos investissements – notamment en ce qui concerne les locaux – et au non-dépassement des budgets dont nous disposons. Le roulement de nos équipes s’effectue d’une manière relativement souple, nos cadres sont proches de l’ensemble des salariés et les praticiens sont intéressés au bon fonctionnement de « leur » service.

M. le coprésident Pierre Morange. La maîtrise des systèmes d’information et, notamment, du codage des actes médicaux est stratégique. Considérez-vous que ce codage doit être effectué par un praticien spécialisé ou par chacun d’entre eux, « au lit du malade » ?

Par ailleurs, votre démarche de rationalisation s’est-elle inspirée des préconisations de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé (ANAP) – anciennement Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (MEAH) – ou bien résulte-t-elle de votre seule pratique ?

M. Philippe Choupin. Ces agences sont parfaitement adaptées aux objectifs que le Parlement leur a fixés.

En ce qui concerne le codage, le secteur hospitalier privé a deux avantages sur le secteur public : nous avons toujours pratiqué un mode de facturation à l’activité – « à la journée », disait-on autrefois – et nos médecins sont rémunérés à l’acte, de sorte qu’ils procèdent eux-mêmes au codage – leur rémunération en dépend – afin de prévenir toute inexactitude ou omission ; dans chaque zone, une « salle Sécu » est réservée à cet effet. J’ajoute que nous avons fusionné les deux équipes du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et de facturation.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Les processus de rationalisation ou de fusion ayant leurs limites, la tentation n’est-elle pas grande, quand elles sont atteintes, de sélectionner certains types d’activité ? La tarification à l’activité pousse-t-elle en ce sens, ou en sens contraire ?

M. Gérard Reysseguier. En tant que directeur administratif de deux établissements de soins, je me contente de gérer et je laisse aux médecins la pleine responsabilité des soins. Il n’a jamais été question de faire des choix : parmi nos patients, plus de 10 % bénéficient de la couverture maladie universelle (CMU) et 40 % de nos médecins relèvent du secteur 1.

Un établissement de soins est une entreprise. Dire cela n’implique nullement une obligation de résultats économiques, mais signifie qu’un processus de gestion est nécessaire : notre première contrainte, en effet, est de soigner toute la population. C’est à cette fin que nous constituons des alliances tout en veillant à rechercher les équilibres nécessaires – si les charges augmentent chaque année de quatre points sans qu’il en aille de même des tarifs, les établissements de santé privés ferment leur porte, comme le ferait n’importe quelle entreprise. En 2003, l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) nous a demandé de créer en deux mois un service de néonatologie. Même si, compte tenu de la tarification actuelle, c’est un gouffre financier – la clinique perd 500 000 euros par an, nous disposons néanmoins de neuf lits et de quatre infirmières. Je n’envisage d’ailleurs pas un instant qu’il en soit autrement car cela fait partie de la mission d’une maternité de niveau II à Toulouse. En revanche, je me dois de trouver des marges de manœuvre ailleurs afin de parvenir à équilibrer notre projet médical.

M. Christophe Alfandari. Je pense qu’il nous est encore possible d’aller plus loin dans la rationalisation – en améliorant, par exemple, une informatisation encore balbutiante –, ce qui interdit un pessimisme excessif, quelles que soient les tensions que nous connaissons.

Par ailleurs, la croissance de nos structures nous conduit à prendre en charge des bassins de population plus importants et nous considérons que c’est là notre mission, qui implique d’adapter notre organisation en conséquence.

M. Philippe Choupin. Lorsque nous avons demandé, dans les années 2000, l’autorisation de mettre en place un service d’urgence, aucune tarification n’était prévue pour le secteur privé. Néanmoins, tous les médecins membres du conseil d’administration et, donc, défenseurs au premier chef des intérêts de leur entreprise, se sont prononcés en faveur de cette création tant il leur paraissait incongru qu’un établissement de cette taille soit dépourvu d’un tel service. Il appartient ensuite à nos instances représentatives de faire valoir auprès du Gouvernement ou du Parlement les effets de cette non-tarification ou de la sous-tarification de telle ou telle pathologie – à moins que nous ne cessions de traiter celle-ci au cas où la concurrence ferait mieux. Cela étant, la notion de territorialité incluse dans la loi nous permet de travailler en synergie avec les établissements voisins. Le secteur privé ne se trouve plus « en marge ».

Si les cliniques privées se cantonnaient autrefois dans certaines spécialités, c’est que la tarification les y obligeait. Lorsque j’étais directeur d’un établissement de la Croix-Rouge, mon supérieur hiérarchique avait attiré mon attention sur le secteur de la cardiologie, qui était déficitaire : « Je vous donne six mois, m’avait-il dit alors, pour trouver une solution ou pour le fermer ». C’était pourtant la Croix-Rouge française…

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Compte tenu de ce que les établissements privés peuvent prendre en charge des missions d’intérêt général et que tous les hôpitaux sont progressivement soumis au même système de tarification, comment concevez-vous précisément cette convergence et, en particulier, que pensez-vous de l’évolution de la T2A ? Ne va-t-on pas vers une quasi-assimilation ?

M. Philippe Choupin. Je suis ravi que les établissements de santé soient rémunérés pour ce qu’ils font, et non pour ce qu’ils sont – publics ou privés.

Par ailleurs, des enveloppes spécifiquement dédiées permettent chaque année de faire face aux missions d’intérêt général.

M. Dominique Tian. Lorsque nous les avons entendus, les présidents de la Fédération hospitalière de France et de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne semblaient pessimistes quant à l’avenir financier d’un certain nombre d’établissements. Qu’en est-il plus précisément des vôtres ?

M. Gérard Reysseguier. Je suis inquiet, en ce qui me concerne, pour l’avenir de ma maternité. Il est tout de même aberrant et préoccupant que les mêmes soins apportés à un nouveau-né de 2,5 kg coûtent tant à tel endroit et 25 % de plus à tel autre. Comment expliquer cette différence de tarifs ? Sur chaque accouchement pratiqué à la clinique Sarrus-Teinturiers, à la clinique Ambroise-Paré ou à l’hôpital Joseph-Ducuing, la Sécurité sociale économise 281 euros. Si je ne conteste pas les différences de structures, par exemple, avec le CHU de Toulouse ou l’hôpital de Castres, je ne suis pas moins surpris d’une telle différence de traitement.

Alors que notre chiffre d’affaires s’élève à 21 millions par an – dont 18 millions issus de la T2A – et que notre clinique a investi sept millions en sept ans, nous avons eu un résultat net de 400 000 euros et le prochain sera immanquablement négatif. Outre que nous réalisons 3 400 accouchements par an et que nous accomplissons nos missions de service public, l’État est si convaincu de notre raison d’être que nous fonctionnons aujourd’hui sous réquisition ! Par ailleurs, lorsque j’ai élaboré mon budget, je n’avais pas envisagé que la nouvelle version de la tarification – la « V11 » – entraînerait une baisse de 10 % des recettes sur une activité majeure – en peu de temps, le nombre de maternités privées est d’ailleurs passé de 218 à 180. En l’état et en dépit du soutien de deux millions de l’agence régionale de l’hospitalisation à la fusion avec la clinique Saint-Nicolas – qui en coûte 20 –, nous avons été contraints de bloquer nos investissements.

Par ailleurs, si je regrette que Mme la ministre de la santé et des sports ne soit pas venue s’exprimer dans le cadre de nos rencontres professionnelles, je n’en demeure pas moins convaincu que les éléments sont en place pour accélérer la convergence sur la majorité des groupes homogènes de séjours (GHS). Cependant, s’il y avait augmentation parallèle des dotations au titre des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (MIGAC), l’économie serait nulle. Enfin, il me semble que la convergence doit d’abord s’organiser autour d’un certain nombre d’actes simples, qui sont les mêmes pour tous.

M. Christophe Alfandari. S’il est vrai que la situation nous contraint à faire preuve d’inventivité, les plans Hôpitaux 2007 et 2012 nous ont considérablement aidés, notamment afin que l’immobilier n’absorbe pas plus de 10 % des coûts d’exploitation.

M. Philippe Choupin. Outre que nos salariés sont en moyenne rémunérés 10 % de moins que dans le secteur public et que nos salaires sont bloqués depuis deux ans, nous avons dû harmoniser trois conventions collectives de trois cliniques et faire face aux 35 heures. Or tout cela a eu lieu sans que nous ayons à supporter un seul jour de grève jusqu’à l’année dernière.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Que proposeriez-vous afin d’améliorer la gestion de l’hôpital public ?

M. Gérard Reysseguier. Tout d’abord, faire en sorte que les Français connaissent le coût de leur santé personnelle. Il serait si simple de leur envoyer à chacun une facture quand, à la clinique, nous disposons tous les matins des montants facturés la veille à l’Assurance maladie ! Aller à l’hôpital, ce n’est pas gratuit !

Ensuite, que ce soit dans le public ou dans le privé, beaucoup dépend de la qualité des managers et des moyens dont ils disposent.

Enfin, une rationalisation s’impose sans doute en matière d’effectifs. Nous avons coutume de dire en petit comité que le maire ne devrait plus présider le conseil d’administration de l’hôpital public. En tout cas, il faudrait réfléchir à cette question – à tout le moins connaître le nombre exact des personnels.

M. Philippe Choupin. Les gestions de projet, des ressources humaines et des flux me semblent fondamentales pour bénéficier d’un management efficient – nous devons en particulier avoir une vision globale du parcours du patient, depuis la prévisite avec l’anesthésiste jusqu’à l’après-sortie.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie.

N’hésitez pas à nous faire part d’autres préconisations précises permettant d’améliorer le fonctionnement de nos hôpitaux au profit de l’ensemble de nos concitoyens.

*

(M. Dominique Tian remplace M. Pierre Morange à la coprésidence.)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède enfin à l’audition de M. Gérard Baron, directeur général de la clinique Belledonne, de M. Philippe Plagès, directeur par intérim de la polyclinique Majorelle, accompagné par M. Frédéric Dubois, président-directeur général du groupe Médi-Partenaires, et de M. Sami Franck Rifaï, directeur général de la clinique Tivoli.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Je souhaite la bienvenue à M. Gérard Baron, directeur général de la clinique Belledonne, à M. Philippe Plagès, directeur par intérim de la polyclinique Majorelle, accompagné par M. Frédéric Dubois, président-directeur général du groupe Médi-Partenaires, et à M. Sami Franck Rifaï, directeur général de la clinique Tivoli.

Dans le cadre de nos travaux sur le fonctionnement interne de l’hôpital, nous avons souhaité examiner la situation précise de quelques établissements en France, dans le but de mettre en perspective les éléments recueillis et d’en tirer des enseignements généralisables.

Je vous propose tout d’abord, messieurs, de présenter vos établissements respectifs.

M. Gérard Baron, directeur général de la clinique Belledonne. Située dans l’agglomération grenobloise, la clinique Belledonne compte 281 lits et places ; nous avons également, à l’autre bout de l’agglomération, un établissement de 59 lits et places, soit un total de 330. Nous accueillons environ 35 000 patients par an en médecine, chirurgie et obstétrique. La maternité assure près de 3 000 accouchements par an et nous sommes dotés depuis 2003 d’un service de néonatologie. En ce domaine, nos préoccupations rejoignent celles que le directeur de la clinique Sarrus-Teinturiers a exprimées lors de l’audition précédente. La clinique pratique la chirurgie cardiaque et comprend également, depuis 2007, un service de réanimation polyvalente. Au total, notre activité est assez large.

M. Philippe Plagès, directeur par intérim de la polyclinique Majorelle. La polyclinique Majorelle est un établissement nancéen de 146 lits issu de la fusion, il y a quinze ans, de deux établissements, la clinique de l’Espérance et la clinique Majorelle. Elle est essentiellement tournée vers la femme et l’enfant, avec une importante maternité – 2 100 accouchements – et des activités de traitement des cancers féminins. Son chiffre d’affaires s’élève à 17 millions d’euros. Elle traite environ 13 000 patients par an. Elle se situe dans un pôle relativement concentré d’établissements privés.

M. Sami Franck Rifaï, directeur général de la clinique Tivoli. La clinique Tivoli, à Bordeaux, est un établissement indépendant qui appartient aux médecins et dont la création remonte à 1922. Son activité se répartit entre la chirurgie, pour 75 %, et la cancérologie, pour le reste. Elle réalise environ 13 500 chimiothérapies par an, pour une file active de 8 500 patients. La moyenne d’âge des chirurgiens de la clinique est une des plus basses d’Aquitaine : 41 ans.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Quelle est la santé financière de vos établissements et quels outils utilisez-vous pour la surveiller ? La logique du privé n’est pas la même que celle du secteur public. Pour autant, la tarification à l’activité vous rend passible du même traitement à terme et introduit une forme de concurrence, tant en ce qui concerne les personnels qu’en ce qui concerne les patients. Dans cet environnement, quelles méthodes et quelles stratégies mettez-vous en œuvre pour atteindre vos objectifs d’entreprise ?

M. Sami Franck Rifaï. En matière de gestion, nous devons faire preuve de beaucoup de créativité. En effet, le schéma régional d’organisation sanitaire nous enferme dans un quota d’activité réparti entre les différentes spécialités que nous exerçons. Nous sommes « capés », nous n’avons pas la possibilité de nous développer comme n’importe quelle entreprise commerciale.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. C’est l’activité globale qui ne peut augmenter. En revanche, vous pouvez capter des parts de marché en les prenant à la concurrence.

M. Sami Franck Rifaï. Non, notre activité est capée : nous ne pouvons aller au-delà d’un certain nombre d’interventions chirurgicales par an…

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. À structure donnée…

M. Sami Franck Rifaï. Oui, en ce qui concerne les établissements. Le contrat d’objectifs pluriannuel que nous signons avec l’agence régionale de l’hospitalisation enferme notre activité dans un certain nombre de critères, si bien que notre chiffre d’affaires n’a pas varié durant les quatre ou cinq dernières années et que nos marges se réduisent comme peau de chagrin. Les tarifs ne sont pas revalorisés alors que nos charges augmentent. Pris dans cet étau, nous devons être très inventifs pour trouver des leviers de gestion. La seule possibilité est de jouer sur les coûts de production. Le levier le plus important, mais aussi le plus fragile socialement, est la masse salariale – 45 à 47 % du chiffre d’affaires pour les meilleurs gestionnaires, autour de 60 % pour ceux qui ont le plus de mal.

Nous sommes également contraints de trouver les ressources nécessaires pour renouveler notre matériel et pour répondre à toutes les contraintes imposées par les tutelles – Haute Autorité de santé, agence régionale de l’hospitalisation –, en matière de traçabilité notamment.

En tant que gestionnaire et directeur d’établissement, j’ai du mal aujourd'hui à trouver ces ressources.

M. Philippe Plagès. Une clinique privée est une entreprise comme une autre, mais nous devons affronter plusieurs soucis, au premier rang desquels le fait que subissons les tarifs. La V11, entrée en vigueur cette année, est encore plus complexe que la tarification précédente. Nous aurons mis un an à nous adapter, en attendant que l’on nous sorte une V12 ou une V11 bis ! Bien souvent, la rentabilité des cliniques est assurée par les suppléments hôteliers – quand on est parvenu à se doter d’une capacité importante en chambres individuelles –, et non par le cœur du métier.

Par ailleurs, les cliniques sont des entreprises qui ont des besoins considérables en investissements, notamment pour l’entretien et le renouvellement des plateaux techniques. Une très bonne clinique privée, c’est d’abord une très bonne équipe médicale, et, pour attirer les meilleurs praticiens, il faut que les plateaux techniques soient à la pointe de la technologie. Assurer la rentabilité de ces investissements devient très délicat pour nous.

Nous rencontrons également des difficultés sociales. À travail identique, la rémunération de nos personnels paramédicaux est de 10 à 15 % inférieure à celle des personnels du public. Nous sommes donc soumis à une pression permanente susceptible de fragiliser nos entreprises.

C’est en termes d’organisation que notre apport a été le plus important. Une étude de la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitalier (MEAH) a ainsi démontré que nous étions très en avance pour ce qui est de l’utilisation des blocs opératoires. Ces capacités, ainsi que les domaines d’excellence de chaque établissement, nous permettent de trouver des ressources pour tenter de rendre nos activités un peu plus pérennes.

M. Gérard Baron. Nous recherchons tous l’efficience pour gommer cet « effet tarif » qui nous pénalise et nous préoccupe. L’efficience repose sur le parangonnage ou benchmarking, donc sur des systèmes d’information. La comptabilité analytique est vitale pour le secteur privé puisque celui-ci doit maîtriser ses coûts. Elle utilise à la fois la base de données du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), ce qui suppose que les actes soient cotés et codés, et la facturation. Nous ne pourrions imaginer de fonctionner sans disposer quotidiennement de renseignements fiables nous permettant de savoir où nous en sommes en temps réel. Si l’hôpital public se révèle incapable de produire des factures, il n’est pas à même de maîtriser ses coûts – et, sans facture, le patient a tendance à penser que tout cela est gratuit…

Comme les intervenants de l’audition précédente, je considère que c’est le médecin qui doit coter les actes au plus près du malade. Le système mis en place avec la V11 est d’une grande complexité. Nous sommes passés de 800 à près de 2 500 groupes homogènes de malades (GHM) et de 2 500 comorbidités associées (CMA) à presque 5 000. Il serait aberrant de charger un médecin responsable du département d’informations médicales (DIM) de coter et de coder l’ensemble de l’activité hospitalière : selon l’abord chirurgical, le GHM sera différent et seul le médecin ou le chirurgien qui a soigné ou opéré le patient peut effectivement coter.

Dès lors, la meilleure façon de nous assurer la participation active des praticiens est de leur fournir un outil informatique efficace leur permettant de coter leurs actes et de coder les pathologies. La clinique Belledonne a développé son propre système d’information : la page de cotation – qui détermine le versement des honoraires – se situe juste derrière la page du codage, et ces deux éléments permettent d’établir la facture.

M. Dominique Tian, suppléant M. le coprésident Pierre Morange. On reproche souvent au secteur privé de choisir ses malades en privilégiant les plus « rentables » et en laissant les autres à la charge de l’hôpital public.

M. Philippe Plagès. Une clinique privée, c’est d’abord un projet médical susceptible de rassembler les meilleurs praticiens. Nous développons nos activités en fonction de ce projet. Il est impossible de sélectionner les patients en fonction de l’âge ou de la pathologie, par exemple, pour s’assurer d’une quelconque rentabilité. La gestion des établissements privés est une gestion de flux, l’activité de certains permettant le développement d’autres activités. L’important est de donner un sens au projet médical et d’assurer la prise en charge des patients quelle que soit la filière : lorsque l’on a une maternité, on a aussi un service de néonatologie. Nous ne sélectionnons en aucun cas des activités plus « performantes » que d’autres en termes de tarifs : ce serait mettre en péril la pérennité de l’entreprise.

M. Sami Franck Rifaï. Lorsqu’un établissement a regroupé une équipe médicale autour d’un projet, il ne va pas se mettre à choisir ses malades. D’abord, c’est éthiquement inconcevable. Ensuite, que ferions-nous des médecins spécialisés dans des pathologies que le hasard des tarifications rendrait moins « intéressantes » ? La réalité est que notre case-mix – la cartographie de l’ensemble des pathologies que nous soignons – reste le même d’une année sur l’autre.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Je comprends que vous n’entriez pas dans cette logique, mais la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires permet un tel choix.

Beaucoup de cliniques remplissent certaines missions d’intérêt général, si bien que, de ce point de vue, la frontière entre public et privé se trouve atténuée. Pour autant, les logiques de gestion sont différentes. Pensez-vous que l’on peut se diriger vers une convergence où tout le monde exercerait des missions d’intérêt général, avec un système unique de tarification ?

M. Sami Franck Rifaï. En soignant les personnes malades, nous contribuons au service public et nous le revendiquons. Nous sommes capables d’assurer toutes les missions de service public.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Toutes ?

M. Sami Franck Rifaï. Si l’on nous en donne les moyens.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Telles qu’énumérées dans la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, certaines paraissent a priori éloignées de l’objectif premier d’une clinique privée.

M. Sami Franck Rifaï. Les médecins qui exercent dans nos établissements viennent du service public. Ils ont été formés dans les CHU, où ils assuraient toutes les missions de service public et où ils pratiquaient l’enseignement et la recherche. Ils sont parfaitement capables de reproduire ce schéma.

M. Philippe Plagès. Dès lors que le financement existe, nous pouvons tout faire. Je pense néanmoins que toutes les cliniques privées ne sont pas à même de faire de la recherche ou d’assurer les urgences, par exemple. Il existe certains seuils.

Cela dit, nous ne sommes absolument pas considérés comme de vrais acteurs du système de santé lorsque nous discutons des tarifs. La convergence voudrait que le même acte traitant la même pathologie nous vaille la même rémunération qu’au secteur public, c’est un fait, mais comment l’hôpital, qui a déjà tellement de mal à gérer ses budgets, pourrait-il supporter cette différence de 30 % ? Pour nous, l’important est de pouvoir continuer notre évolution en assurant des missions de service public dans nos domaines. Il faut nous en donner les moyens et, pour cela, nous prendre plus en considération et faire évoluer différemment l’approche tarifaire des pathologies. La rémunération doit correspondre à ce que nous faisons et nous permettre de retrouver les moyens de travailler correctement et de réinvestir dans nos outils.

M. Gérard Baron. La convergence tarifaire est prévue et souhaitée. En 2000, un journal économique de la région Rhône-Alpes avait mené une enquête consacrée à « ce que coûte réellement l’hôpital public », en mettant en avant la notion de « coût idéal par séjour ». L’idée de convergence entre public et privé pour améliorer la prise en charge des patients était déjà dans l’air. Le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation Rhône-Alpes, M. Philippe Ritter, avait notamment démontré que le coût d’un accouchement dans un établissement privé concurrent de la région permettait une économie de 150 francs par jour. J’avais alors fait le calcul pour mon établissement, où le coût s’est révélé encore inférieur. Le désir de se comparer les uns aux autres existe depuis longtemps.

La T2A devrait permettre de rémunérer de façon égale le public et le privé, indépendamment des missions d’enseignement et de recherche. Il est nécessaire de se diriger vers cette convergence, ne serait-ce que par souci de bonne gestion. Par quels moyens ? La question est posée.

M. Frédéric Dubois, président-directeur général du groupe Médi-Partenaires. La coexistence des secteurs public et privé est une chance pour la France. Elle est enviée par tous et reste inégalable : nous sommes le seul pays de l’OCDE qui arrive à conjuguer la solidarité à l’extrême – avec l’aide médicale d’État – et la liberté de choix du patient.

Cette coexistence a été rendue possible par le grand dynamisme du secteur privé depuis quarante ans, d’abord à l’initiative des praticiens libéraux. Tout le problème de ce secteur, qui a connu une mutation considérable depuis les années 1980, est de rationaliser l’offre de soins pour la mettre en adéquation avec la demande de soins. À l’inverse de l’hôpital public, qui a toujours fonctionné comme un centre de coûts – au temps de la dotation globale du moins –, il ne peut investir que sur ses propres moyens de financement, en quête d’une efficience optimale.

Le rôle des pouvoirs publics, en l’espèce, est d’organiser la production de soins de qualité au meilleur coût possible. Il est établi que le secteur privé a montré la voie depuis une vingtaine d’années en se distinguant du secteur public par sa faculté d’anticipation et par sa réactivité. La base de son fonctionnement est le projet médical, dont chaque clinique est dotée et qui fixe des objectifs à cinq ou dix ans. Lors du débat sur la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, on a essayé d’étendre ce principe à l’hôpital public, malheureusement sans grand succès. Pourtant, toute l’organisation sanitaire des régions et des territoires dépend du projet médical, qui est d’abord construit par le corps médical.

Il faut désormais organiser l’ensemble des ressources, publiques ou privées, de façon à utiliser le mieux possible l’environnement de travail mis à la disposition des médecins. À partir du projet médical, on construit un projet d’entreprise qui nécessite une stabilité dans le temps. La force actuelle du privé est de disposer de ces projets à moyen terme, mais il nous manque la visibilité nécessaire.

Lorsque votre mission a demandé à M. Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France, ce qu’il fallait faire pour améliorer la gestion de l’hôpital, il a estimé que la seule variable d’ajustement était la masse salariale mais que, par définition, on ne pouvait y toucher, en raison des garanties statutaires. La réponse n’est donc pas là. Alors que tous les rapports – Cour des comptes, inspection générale des affaires sociales, directions régionales des affaires sanitaires et sociales… – établissent clairement que le secteur privé est le bon élève, qu’il montre la voie et est capable d’arriver au meilleur coût de production, le problème est maintenant de faire correspondre un tarif à ce coût. Or on sait que le coût de production est difficilement contrôlable dans le public. Si certains hôpitaux, en appliquant des méthodes du privé, réalisent un effort de gestion considérable et arrivent à dégager un excédent, les autres restent en déficit.

En l’état, la T2A ne correspond pas véritablement à la recherche du meilleur tarif adapté au véritable coût : c’est seulement un moyen de forcer l’hôpital public à s’améliorer. Repousser la convergence de 2012 à 2018 revient à donner du temps au temps mais sans visibilité sur un projet, faute de coercition ou de sanction. Le directeur d’hôpital pourra toujours répondre qu’il ne peut faire mieux, à moins de mettre des centaines de salariés dans la rue.

Le privé est accoutumé à optimiser l’utilisation de ses ressources, mais il est ici confronté au caractère arbitraire des tarifs fixés. La ministre de la santé a beau jeu de faire valoir un objectif national des dépenses de l’assurance maladie en progression de 3 % alors que tous les autres secteurs d’activité sont en crise, et de constater que nous arrivons à survivre. C’est prendre des risques. Le bon élève va se retrouver la tête sous l’eau, et cela à cause d’une marge de manœuvre – la progression de l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie – qui n’est absolument pas significative pour ce qui est des tarifs. Pendant ce temps, les dotations au titre des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation continuent de croître et protègent l’hôpital public au prétexte d’une différenciation des activités qui n’a plus aucune réalité.

Si, dans les années 1970 et 1980, les cliniques disposaient de l’atout du libre choix des pathologies, ce n’est plus le cas. Certaines sont devenues de petits CHU. Il faut qu’elles puissent continuer à montrer la voie pour rendre le meilleur service possible à la population. Or ce n’est pas le cas. On nous a indiqué il y a quelques jours que la loi permet certes de passer des appels d’offres, mais seulement « en cas de carence de l’hôpital public ». À chaque fois, on place un écran destiné à cantonner les cliniques dans un certain rôle, pour mieux affirmer par la suite qu’elles ne font pas la même chose que l’hôpital public !

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous soulignez l’importance du projet médical et de la réactivité dans le secteur privé, tandis que le secteur public buterait sur le statut des personnels. Est-ce à dire qu’en levant le verrou du statut, on résoudrait tous les problèmes ?

Vous semblez dénoncer aussi un certain arbitraire des tarifs, pourtant censés être construits à partir de l’analyse de la réalité par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation et par d’autres instances. La mise en place d’outils de suivi analytique dans les établissements devrait permettre des comparaisons et un pilotage.

M. Sami Franck Rifaï. J’ai demandé à Mme Martine Aoustin quelles avaient été les modalités du calcul aboutissant au montant qu’elle annonçait pour des actes effectués en dehors du bloc opératoire. Elle a décompté un peu de temps d’infirmière, un peu de matériel, etc., comme s’il s’agissait d’une recette de cuisine. Lorsque je lui ai demandé ce qu’elle faisait du reste – l’établissement, l’entretien du bâtiment, le personnel administratif, etc., l’expression de son visage montrait bien que cela n’avait pas été pris en compte !

M. Philippe Plagès. La T2A est la résultante des tarifs précédents, qui correspondaient aux frais de salle d’opération, à des actes cotés en K et à des prix de journée pour chaque pathologie. L’étude nationale des coûts permettra peut-être la prise en compte des pathologies dans les tarifs mais ce n’est pas le cas aujourd'hui. On ne veut pas entendre parler de marges à l’intérieur des tarifs ; pourtant, c’est bien un prix de revient que l’on étudie et il faut que l’on assure à l’entreprise son développement et sa rentabilité.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. En somme, le système de tarification est selon vous grossier et arbitraire et ne tient pas compte de vos caractéristiques. C’est assez différent de ce que l’on nous a dit jusqu’à présent. Comment pouvez-vous gérer dans ces conditions ? On est dans l’impasse !

M. Philippe Plagès. La comptabilité analytique nous servirait si nous étions à même de générer un prix de vente et si l’Assurance maladie lançait des appels d’offres pour certains traitements de patients en fonction des pathologies.

Les nouvelles techniques de cœliochirurgie, par exemple, permettent d’éviter d’ouvrir le patient. Le coût des matériels utilisés, qui faisait auparavant l’objet d’une facturation en sus, a été intégré dans le tarif mais à partir d’une moyenne calculée sur l’ensemble de la France, ce qui fait que le chirurgien utilisant les techniques les plus récentes est perdant et celui qui opère à l’ancienne est bénéficiaire ! Il s’agit donc plus d’une dotation transformée en tarif que d’un tarif correspondant au coût réel.

M. Sami Franck Rifaï. Comme nous nous devons d’être attractifs vis-à-vis des praticiens et d’utiliser des techniques moins invasives et douloureuses pour le patient – et donc moins coûteuses pour la sécurité sociale –, nous nous plaçons dans une démarche d’innovation, mais au prix de l’autofinancement. Le traitement des varices, par exemple, suppose trois à quatre jours d’arrêt maladie avec la technique usuelle, un seul avec le laser vasculaire qui pourtant n’est pas reconnu par la sécurité sociale.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. On peut comprendre un certain délai entre l’innovation et sa prise en compte dans le système de tarification. Mais ce que vous dénoncez aussi, c’est la déconnexion avec la réalité. Pensez-vous que l’évolution du système permettra de résoudre la question sous ces deux aspects ?

M. Philippe Plagès. L’Assurance maladie pousse tous les établissements, publics et privés, à faire de l’ambulatoire – c’est d’ailleurs une pratique que les cliniques privées ont développée depuis longtemps. Or l’analyse de la V11 montre que l’on est mieux rémunéré si l’on garde un patient deux ou trois jours au lieu de le traiter en ambulatoire ! C’est bien la preuve que l’on est déconnecté des techniques modernes d’anesthésie et de chirurgie qui permettent aux personnes d’être opérées dans les meilleures conditions et de reprendre plus rapidement leur activité.

M. Frédéric Dubois. La T2A devrait être l’outil permettant d’assurer l’efficience de l’offre de soins en France. La recherche du juste coût du GHS est un processus très complexe et empirique. On aboutit forcément à un coût médian : c’est l’objet même de l’étude nationale de coûts à méthodologie commune (ENCC), qui était au départ intersectorielle. Or, comme il existe un écart initial sensible entre les deux secteurs, on a progressivement introduit la notion de convergence intrasectorielle. Comme deux entreprises ne sont jamais les mêmes, l’une pourra dégager une marge par rapport à un forfait de coût de production, l’autre pas.

Il faut du temps pour organiser la convergence intersectorielle. Si on l’appliquait brutalement, beaucoup d’hôpitaux publics ne pourraient plus faire face. Néanmoins, ce qui compte à l’arrivée est la production de GHS de qualité dans des conditions de sécurité égales. Cela, les établissements privés le revendiquent sur tout le spectre des soins.

On passe donc par des étapes intermédiaires et, chaque année, l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie « cape ». Du fait de l’existence des déficits et de l’attribution de 99 % de l’enveloppe des dotations au titre des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation au secteur public, on laisse dériver une partie des dotations vers les MIGAC, dont la masse correspond à celle de l’objectif des dépenses d'assurance maladie commun aux activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologique (ODMCO) des établissements de santé du secteur privé. On ne peut forcer le bon élève à améliorer encore son efficience sans lui permettre un niveau de revenu qui couvre son coût de production. Or les revenus issus de la sécurité sociale ne couvrent pas ces coûts pour le secteur privé. Celui-ci ne peut que s’en remettre à ses compléments, à sa réactivité et à son inventivité pour survivre, parfois pour dégager les marges nécessaires à l’investissement. L’étau se resserre dangereusement et notre secteur risque l’étouffement. Certes, on aura forcé l’hôpital à se moderniser progressivement, mais on aura aussi tué celui par qui l’émulation est arrivée.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. C’est un point de vue…

Pourriez-vous décrire les modes de gestion – intérim, CDD, etc. – et de rémunération – intéressement compris – des personnels dans vos entreprises ?

M. Sami Franck Rifaï. Nous avons la chance d’avoir des équipes dévouées et motivées, même si le nerf de la guerre reste l’argent. Le taux de rotation témoigne de la fidélité de nos personnels et de leur attachement aux établissements. Nous menons en effet des politiques de gestion sociale au plus près du terrain. Pourtant, nous avons les plus grandes difficultés à répondre à des besoins primaires, tout en bas de la pyramide de Maslow. On rémunère nos salariés au lance-pierres. C’est honteux !

La promesse faite par M. Xavier Bertrand en 2006, alors qu’il était ministre de la santé, n’a pas été tenue. Il est pourtant impératif que nos salariés puissent vivre normalement. Beaucoup de nos infirmières ou de nos aides-soignantes sont des femmes qui élèvent seules leurs enfants. Elles appartiennent à une population fragile et il faut pouvoir les aider. Leur qualification est reconnue, mais pas par la rémunération.

Nous aimerions bien sûr verser un intéressement, mais sur quelle base ? Nous n’avons pas de résultat à distribuer.

Bref, nous sommes sur la corde raide et le climat social risque de se dégrader fortement. Il est urgent de revaloriser une partie de nos tarifs pour nous permettre de répondre à un besoin salarial vital.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Vous avez souligné pourtant la nécessité d’être attractif en offrant des rémunérations convenables. J’imagine que les praticiens bénéficient de telles rémunérations, et que l’écart se creuse entre le haut et le bas de l’échelle.

Par ailleurs, le statut des personnels du secteur public semblait tout à l’heure faire difficulté pour vous. Faire sauter ce verrou ne reviendrait-il pas à généraliser la situation que l’on déplore dans le privé ?

M. Philippe Plagès. On en revient toujours à la question des tarifs. Certes, comme mon établissement est rentable, il a passé des contrats d’intéressement avec le personnel. Nous faisons également beaucoup d’efforts en matière de formation et nous nous montrons très souples dans l’élaboration des plannings, de manière à nous démarquer des rigidités de l’hôpital. Mais il s’agit d’artifices liés aux conditions de travail. Pour ce qui est de la rémunération elle-même, nous sommes soumis à une vraie pression. Lorsque l’hôpital embauche du personnel, nous avons de grandes difficultés à recruter. L’enveloppe promise par M. Xavier Bertrand aurait été une bonne chose.

M. Gérard Baron. Mme Roselyne Bachelot-Narquin a annoncé hier un budget de 500 millions d’euros pour la revalorisation de la profession d’infirmière. Cette mesure, qui correspond grosso modo à un treizième mois, sera prochainement mise en place dans le public. Il est paradoxal d’affirmer que le public doit agir sur sa masse salariale et d’accroître dans le même temps la différence entre les salaires du public et ceux du privé. Dans le secteur public, une infirmière gagne en moyenne 10 % de plus que dans le privé, et les charges salariales sont de 10 %, contre 24 % dans le privé.

Si nous arrivons à conserver nos salariés, c’est en effet parce que nous leur offrons de bonnes conditions de travail. Nous avons moins de strates de décision, ce qui nous permet de mieux prendre en compte les besoins de chacun. Mais arrivera un moment où la différence de salaire sera si importante que nous ne pourrons plus gérer la situation.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Si vous aviez une seule suggestion à faire pour améliorer le fonctionnement des hôpitaux en France, quelle serait-elle ?

M. Philippe Plagès. Comme la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires semble le prévoir, il faut un patron à l’hôpital. La partition entre le pouvoir médical et le pouvoir administratif a toujours été un obstacle à la mise en place d’une organisation performante. Mais il est à craindre que la disposition n’ait d’ores et déjà été revue et corrigée. La multiplication des pouvoirs et des strates est un handicap énorme.

M. Frédéric Dubois. J’émettrai une revendication politiquement iconoclaste : confier au secteur privé, à titre expérimental, la gestion de plateaux techniques au sein des hôpitaux. Certaines restructurations donnent lieu à des ouvertures intéressantes de ce point de vue. De jeunes directeurs dynamiques essaient d’appliquer nos méthodes dans leur hôpital et nous suggèrent de créer des plateaux techniques communs et de partager l’activité… avant de solliciter l’agence régionale de santé pour financer les équipements sur fonds publics.

Pour ce qui est de la responsabilité de la gestion, voilà un certain temps que le secteur privé a démontré qu’il est le plus efficient. Il serait dommage de ne pas lui donner la possibilité d’aider à l’amélioration de l’offre de soins et de la productivité dans l’hôpital.

M. Gérard Baron. Comme M. Reysseguier dans la précédente audition, je pense que la production d’une facture est une priorité. C’est la partie émergée de l’iceberg. Lorsque l’hôpital en sera capable, cela signifiera qu’il maîtrise la structure des coûts, la chaîne de prise en charge du patient et les flux financiers.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Il me reste à vous remercier pour cette contribution très détaillée à nos travaux.

La séance est levée à midi cinquante-cinq.