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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 14 janvier 2010

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Auditions, ouvertes à la presse et au public, sur le fonctionnement de l’hôpital

– Mme Nathalie Canieux, secrétaire générale de la Fédération nationale des syndicats des services de santé et services sociaux CFDT, M. Thierry Petyst de Morcourt, chargé de la fonction publique hospitalière à la Fédération française de la santé et de l’action sociale CFE-CGC, M. Philippe Crépel, responsable de la politique revendicatrice de la Fédération de la santé et de l’action sociale CGT, M. Denis Basset, secrétaire fédéral de la branche santé de la Fédération des personnels des services publics et de santé Force Ouvrière, et M. Jean-Yves Daviaud, assistant fédéral de la branche santé, M. Jean-Marie Sala, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale SUD santé sociaux, et M. Dominique Russo, secrétaire général de l’UNSA-Directeur, représentant l’Union nationale des syndicats autonomes santé et sociaux

– M. Pierre Faraggi, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH) et M. Jean-Claude Penochet, vice-président et président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, Mme Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), et M. Alain Jacob, secrétaire général, M. François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), M. Roland Rymer, président du Syndicat national des médecins chirurgiens spécialistes et biologistes des hôpitaux publics (SNAM-HP), M. Jean-Pierre Esterni, secrétaire général, et M. André Elhadad, vice-président

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 14 janvier 2010

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de Mme Nathalie Canieux, secrétaire générale de la Fédération nationale des syndicats des services de santé et services sociaux CFDT, M. Thierry Petyst de Morcourt, chargé de la fonction publique hospitalière à la Fédération française de la santé et de l’action sociale CFE-CGC, M. Philippe Crépel, responsable de la politique revendicatrice de la Fédération de la santé et de l’action sociale CGT, M. Denis Basset, secrétaire fédéral de la branche santé de la Fédération des personnels des services publics et de santé Force Ouvrière, et M. Jean-Yves Daviaud, assistant fédéral de la branche santé, M. Jean-Marie Sala, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale SUD santé sociaux, et M. Dominique Russo, secrétaire général de l’UNSA-Directeur, représentant l’Union nationale des syndicats autonomes santé et sociaux.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cadre de son étude du fonctionnement interne de l’hôpital, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a souhaité recueillir les analyses, les sentiments et les propositions des représentants des personnels hospitaliers. Certes, le fonctionnement de l’hôpital a déjà fait l’objet de très nombreux rapports. Mais notre démarche s’inscrit dans le nouveau cadre législatif institué par la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Nous privilégions en outre une approche pragmatique, quotidienne et « de terrain » des problématiques de l’hôpital. C’est la raison pour laquelle, après avoir auditionné nombre de responsables d’établissements de santé, de représentants des tutelles et du ministère, nous devions entendre également la représentation des différents personnels.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Les auditions que la mission conduit depuis des mois nous ont permis d’accumuler informations, témoignages, avis et propositions sur le fonctionnement de l’hôpital. Notre méthode a été d’étudier le fonctionnement d’établissements particuliers pour en tirer des enseignements valables pour tous, une fois la part faite de ce qui relève de la spécificité de chacun. Mais aucune analyse du fonctionnement hospitalier ne saurait faire l’économie de la parole des personnels qui en ont la charge, d’autant que les charges de personnels représentent 70 % du budget des établissements hospitaliers. Cette seule raison justifierait que nous recueillions vos analyses et vos propositions concernant les questions budgétaires, la gestion des ressources humaines, les conditions de travail, la qualité du service rendu et tous autres éléments tels que l’informatisation à l’hôpital ou la tarification à l’activité (T2A), etc.

Mme Nathalie Canieux, secrétaire générale de la Fédération nationale des syndicats des services de santé et des services sociaux CFDT. Vaste sujet ! Je vais tenter de résumer notre position en quelques points.

Je veux dire d’abord combien les établissements sont déstabilisés par les réformes qui se succèdent depuis des années sans objectif clairement assigné. Chaque réforme s’accompagne de nouveaux outils qui contraignent les équipes, cadres et personnels, à remettre régulièrement en cause leur organisation de travail. Ces constants bouleversements sans objectif clair sont extrêmement difficiles à gérer pour les directeurs, comme pour les cadres et les personnels.

On peut ainsi s’interroger sur la finalité de la T2A, dernière innovation en date, ou sur celle de la réforme de la gouvernance prévue par la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Quand on voit qu’on demande à des équipes qui ne sont pas fédérées autour d’un objectif clair de mettre en place des outils parfois contradictoires, on se demande où on va : quel est le projet de la France pour son hôpital ?

Il faut parler aussi des énormes difficultés qui pèsent sur la gestion du personnel, notamment dans les grands établissements. Au-delà du problème des effectifs, nous mettons très clairement en cause l’organisation du travail, plus précisément l’inadéquation entre l’organisation médicale et l’organisation du travail des personnels.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Pouvez-vous éclairer votre propos d’une illustration concrète ?

Mme Nathalie Canieux. Comment une équipe totalement dépendante de l’organisation du médecin qui prescrit les actes peut-elle travailler si sa propre organisation n’est pas en adéquation avec l’organisation médicale ? Au-delà se pose la question de savoir si la gestion des ressources humaines à l’hôpital fait l’objet d’une attention suffisante de la part de personnels suffisamment qualifiés. Cette question est d’autant plus préoccupante qu’on ne cesse de nous rabâcher que la masse salariale représente 70 % du budget des établissements. Comment justifier dans ce cas l’absence de tout accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ? Comment justifier que le dernier bilan social établi par la direction des hôpitaux date de 2007 ? On ne peut que s’interroger sur l’intérêt réel que l’on accorde à la gestion de 70 % du budget !

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez évoqué la nécessité d’une gestion prévisionnelle des effectifs, dont on connaît le caractère stratégique. Or une des observations que nous avons entendues le plus souvent au cours de nos auditions est l’insuffisance notoire d’outils de mesure et de pilotage permettant une mobilisation optimale des personnels, notamment d’une comptabilité analytique. Partagez-vous ce sentiment ?

Mme Nathalie Canieux. La véritable question est celle de la méthode employée pour mener les réformes : on impose d’emblée de nouveaux outils, sans préparer en amont leur mise en place. Tel a été le cas pour la T2A : il est désormais un peu tard pour s’interroger sur la nécessité d’une comptabilité analytique… C’est en procédant de la sorte que l’on déstabilise profondément les équipes.

En ce qui concerne la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l’échelon des agences régionales de santé (ARS) nous semble aujourd’hui le plus pertinent : il permettrait une gestion territoriale et transversale de l’offre et de la demande d’emplois, que les établissements soient publics ou privés. La formation relevant en grande partie des conseils régionaux, il serait cohérent de confier aux agences régionales de santé la gestion de l’emploi hospitalier.

Il faut enfin mobiliser les instances représentatives du personnel autour de cette question des ressources humaines. Or celles-ci, au contraire, perdent progressivement la faculté d’exercer leur droit de regard sur la gestion des personnels et des effectifs, alors que cela fait partie de leur rôle. Le fait que le comité technique d’établissement (CTE) soit progressivement dépouillé de ses attributions, notamment en matière économique, de gestion et d’utilisation des fonds, me semble particulièrement dommageable.

M. Thierry Petyst de Morcourt, chargé de la fonction publique hospitalière à la Fédération française de la santé et de l’action sociale CFE-CGC. Cela fait des décennies que le financement des hôpitaux publics évolue, passant du prix de journée au budget global puis, aujourd’hui, à la T2A, qu’on pourrait assimiler à un prix de journée amélioré, toutes ces réformes ayant pour objectif de réduire le déficit de la sécurité sociale.

En réalité, ces réformes sans fin constituent en elles-mêmes un problème supplémentaire pour les établissements, notamment sur le plan de la lisibilité financière. Ainsi l’instauration de la T2A a rendu d’une certaine manière caducs les contrats passés sur la base du budget global entre agences régionales de l’hospitalisation et établissements hospitaliers. C’est ainsi que s’explique le déficit structurel dont souffrent certains établissements. Or, s’il est vrai que les charges de personnels représentent aujourd’hui 70 % des dépenses des établissements hospitaliers, les frais d’amortissement et les frais financiers en représentent 7,5 %, soit une part non négligeable d’un déficit, qui atteint 1 à 2 % environ.

La gouvernance hospitalière n’a cessé également d’évoluer, passant du chef de service au département, puis au pôle, et aujourd’hui au pôle avec délégation de gestion. De tels changements ne sont pas de nature à stabiliser l’organisation des établissements, d’autant qu’une réforme succède à l’autre sans que la pertinence de cette dernière n’ait été évaluée. Ainsi, dans le nouveau dispositif institué par la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, qui se déploie autour des pôles, que deviennent les cadres supérieurs de santé, dont on connaît pourtant le rôle essentiel dans le fonctionnement de l’hôpital ?

Il faut aussi parler de l’importance des évolutions médicales et techniques que l’hôpital connaît depuis trente ans et de leur rôle dans l’augmentation des effectifs jusqu’en 2008. Il y a une trentaine d’années, une chambre de réanimation ne comptait que quatre à huit prises électriques ; aujourd’hui, elle peut comporter jusqu’à trente-deux branchements. Cette technicité accrue suppose des personnels paramédicaux aptes à la maîtriser. Or l’impact financier de ces évolutions sur les charges de personnels, et non pas seulement sur le coût du matériel, n’est pas forcément pris en compte.

En outre, de nouvelles contraintes pèsent sur le personnel du fait de la diminution du nombre de lits et de la chute de la durée moyenne de séjour, qui a concentré la charge de travail sur un temps très court, d’où une augmentation du stress et des risques de burn out chez les personnels. Il est établi qu’en moyenne une carrière d’infirmière ne dure que vingt-cinq ans.

Pourtant, aujourd’hui, ce sont les effectifs qui sont utilisés comme variable d’ajustement comptable. Pourquoi ne pas rechercher des économies ailleurs, notamment en réduisant les frais financiers ?

M. le coprésident Pierre Morange. Le dernier rapport de la Cour des comptes consacré à l’hôpital fait état d’écarts considérables, pouvant aller d’un à huit, entre les taux d’encadrement dans des établissements similaires. Quel est votre sentiment à ce propos ?

M. Thierry Petyst de Morcourt. Les variations d’effectifs d’un établissement à un autre sont difficiles à analyser à partir de données chiffrées brutes, sans étudier chaque cas en détail. Plusieurs facteurs peuvent justifier de telles différences. Certains établissements de petite taille peuvent ne pas connaître de pics d’activité…

M. le coprésident Pierre Morange. La Cour des comptes a justement pris soin d’étudier des cas similaires, afin d’éviter les biais statistiques.

M. Thierry Petyst de Morcourt. Il restera toujours des différences d’organisation. Il peut arriver, par exemple, que des personnels interviennent dans des services dans lesquels ils ne sont pas affectés. C’est pourquoi il est difficile de se prononcer sans descendre dans le détail des actes médicaux.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous n’avez donc pas le sentiment que cet écart d’un à huit reflète une réalité observable sur le terrain ?

M. Thierry Petyst de Morcourt. Ce n’est pas mon sentiment, en effet. Il faut comparer ce qui est comparable, tant sur le plan des établissements que sur celui des activités, et pour cela il faut des analyses plus précises.

Je voudrais enfin évoquer les difficultés de la psychiatrie. Depuis une dizaine d’années, le nombre de lits psychiatriques a été divisé par deux. Aujourd’hui, leur taux d’occupation est proche de 100 %, et la proposition de créer des établissements médico-sociaux spécifiques, un moment évoquée, est finalement restée lettre morte. Cela pose des problèmes de prise en charge, et des personnes relevant de la psychiatrie se retrouvent « dans la nature ». Il s’agit là d’un problème de santé publique, même si les personnels hospitaliers n’en supportent pas directement la charge.

M. Philippe Crépel, responsable de la politique revendicatrice de la Fédération de la santé et de l’action sociale CGT. La politique en matière d’emploi hospitalier est marquée par l’absence d’anticipation et de pilotage national. Ainsi la dernière enquête sur les départs en retraite dans la fonction publique hospitalière date de 2003. Cette absence d’anticipation se retrouve en matière de numerus clausus des médecins ou de quotas de personnels paramédicaux, ce qui explique les graves tensions qui pèsent sur le recrutement de ces personnels dans certains territoires, s’agissant notamment des infirmières ou des manipulateurs en radiologie.

En ce qui concerne le financement ou la gouvernance des établissements, on saute de réforme en réforme, sans jamais dresser le bilan de l’étape précédente. J’en veux pour exemple la T2A. Le problème de ce dispositif, c’est qu’il s’agit d’une enveloppe fermée, fixée au niveau national, invariable quelle que soit l’activité de l’établissement. C’est pourquoi nous jugeons quelque peu fallacieuse l’appellation de « tarification à l’activité » : en réalité, ce n’est pas l’activité qui guide le financement, mais le financement qui détermine le tarif. Si notre syndicat souhaite que l’Assemblée nationale continue à arbitrer en la matière, nous demandons qu’une révision complète de l’évaluation des besoins réels de chaque territoire lui permette d’avoir connaissance de ces besoins au moment de voter le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce serait le seul moyen de pallier les disparités régionales, puisque la péréquation semble avoir été abandonnée depuis quelques années, les enveloppes affectées aux missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (MIGAC), pourtant censées y remédier, aggravant même ces disparités, au détriment des régions les plus en difficulté.

Peu de gens se penchent sur le financement du médicament, alors que sa part progresse chaque année de 1 à 2 %, jusqu’à représenter plus de 20 % des dépenses hospitalières. Or, cette question centrale ne fait pas l’objet d’une réponse coordonnée, puisqu’il existe cinq modes différents de financement. Aucun contrôle n’est exercé sur le prix de certaines molécules. C’est pourtant ce dernier qui rend structurellement déficitaires certains services, comme ceux d’hématologie. C’est pour éviter que les hôpitaux servent à abonder les caisses des industries pharmaceutiques que nous sommes favorables à ce que les établissements d’un même territoire constituent des groupements d’achat.

M. le coprésident Pierre Morange. Cette disposition figure déjà dans la loi de 2004, qui autorise les établissements à mutualiser leurs achats.

M. Philippe Crépel. Certes, mais elle n’a été mise en œuvre que par les centres hospitaliers universitaires (CHU), qui se sont regroupés pour acheter moins cher. Encore une fois, ils sont les seuls à tirer leur épingle du jeu.

Nous dénonçons également le caractère très autoritaire du fonctionnement hospitalier. Alors que le contrat est au cœur de ce fonctionnement, liant l’État à la région, la région à l’établissement, et l’établissement au pôle, les relations contractuelles sont marquées par l’absence de transparence. Nous voulons que le contenu de ces contrats soit accessible à tous, afin d’assainir le fonctionnement de l’hôpital. En outre, l’État ne respecte pas toujours les engagements pris dans le cadre des contrats passés avec les établissements. Nous nous retrouvons de fait dans une relation dissymétrique, où une partie au contrat – l’établissement – consent aux efforts auxquels elle s’est engagée, alors que l’autre – l’État – n’assure pas l’accompagnement financier qui devait être la contrepartie de ces efforts. C’est là aussi un problème de gouvernance des établissements hospitaliers, que l’on prive ainsi de lisibilité.

S’agissant de la gouvernance hospitalière, sur laquelle une enquête de l’inspection générale des affaires sociales est en cours, nous proposons que les personnels puissent être consultés sur la plupart des sujets, avec un droit de veto sur les questions qui les concernent directement. Il n’est pas normal que le personnel d’encadrement soit aujourd’hui réduit au rang de simple exécutant et ne soit pas consulté sur les orientations de l’établissement et sur sa propre feuille de route.

Nous dénonçons également l’absence de dialogue social dans les établissements : faire du budget le seul guide des relations sociales, c’est inévitablement nourrir les conflits sociaux. En la matière, notamment sur les effectifs, les carrières et l’organisation du travail, l’État devrait être exemplaire au niveau national, comme aux niveaux régional et local. Or le dialogue social est totalement absent au niveau régional, même dans le nouveau cadre législatif institué par la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires : ce ne sont pas les conférences de santé régionales qui vont créer un réel dialogue social de proximité. Au sein du ministère lui-même, on se heurte à cette absence totale de dialogue qu’on retrouve à tous les échelons. L’exemple le plus récent nous en a été donné par la négociation sur la revalorisation du statut infirmier : alors que tous les syndicats étaient opposés à la remise en cause de la possibilité d’une retraite anticipée, le ministère persiste dans cette voie.

M. Denis Basset, secrétaire fédéral de la branche santé de la Fédération des personnels des services publics et de santé Force Ouvrière. L’hôpital aujourd’hui, c’est 2 500 établissements publics de santé, 1,26 million de personnels non médicaux et 45 000 médecins ; un maillage territorial important, puisque c’est le premier employeur et le premier donneur d’ordre dans beaucoup de nos communes.

Or l’hôpital a connu un véritable empilement de réformes, jusqu’à la nouvelle gouvernance et la T2A en 2005, sans qu’aucune n’ait été évaluée avant de passer à l’étape suivante – aujourd’hui la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires et la mise en place des agences régionales de santé.

L’hôpital connaît en outre des tensions budgétaires importantes, dues notamment à la fixation d’un objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM).

Nous sommes dans une situation véritablement schizophrénique : une majorité d’établissements, du fait du déficit dont souffre leur budget, se voient imposer par les agences régionales de l’hospitalisation (ARH) un plan de retour à l’équilibre qui pèse sur leur masse salariale, alors que la démographie médicale est extrêmement tendue : toutes les études statistiques, notamment celle du Conseil national de l’ordre des médecins, montrent qu’à l’horizon 2015, certaines spécialités hospitalières seront gravement déficitaires et qu’environ 200 000 à 300 000 postes vont disparaître. Il faudrait lancer aujourd’hui pour l’hôpital un « Plan Marshall » de la formation, qui serait aussi une chance pour la Nation.

Ce déficit va conduire à accélérer les restructurations hospitalières et à réduire l’activité pour des raisons budgétaires ou du fait de l’absence de personnels compétents : d’où des fermetures et des délocalisations d’activités de pointe sans qu’on ait réfléchi à leurs conséquences sur le plan de la santé publique. Aujourd’hui, on n’est pas soigné de la même manière, selon que l’on habite dans le VIIe arrondissement de Paris ou au fin fond de la Lozère.

M. le coprésident Pierre Morange. Notre rapporteur est particulièrement sensible à cette dernière remarque…

M. Denis Basset. Les établissements ont dû affronter seuls ces problèmes, faute d’une volonté politique nationale de favoriser une réponse de santé publique cohérente sur le plan territorial. Actuellement, les établissements d’un même territoire sont en concurrence sur les mêmes activités ; il faudrait au contraire mutualiser l’activité médicale dans le cadre de projets médicaux de territoire construits autour de pôles de compétence. Ainsi, dans un territoire donné, chaque établissement public de santé pourrait devenir un pôle d’excellence dans une activité donnée, doté des moyens suffisants et d’un plateau technique de référence.

C’est d’ailleurs une des finalités de la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dont nous attendons avec impatience les décrets d’application. Mais cela ne suffit pas : il faut aussi la volonté politique de donner aux agences régionales de santé, aux établissements et aux partenaires sociaux un véritable rôle de proposition, de contrôle et de participation à la définition des orientations et des choix stratégiques de l’établissement, alors qu’aujourd’hui nous sommes limités à un rôle de constat. Si la population hospitalière s’implique dans la réflexion et dans le projet d’établissement, des contraintes purement budgétaires et organisationnelles imposées de l’extérieur réduisent cet investissement à zéro.

Sans faire de catastrophisme, nous pensons que l’hôpital est à la croisée des chemins. Certes, je comprends combien la position d’un parlementaire peut être schizophrénique : en tant que maire, il défend l’établissement hospitalier dont il préside le conseil d’administration et qui est souvent le premier employeur de sa commune ; au Parlement, il doit voter le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mais l’hôpital mérite un véritable « arrêt sur images », afin d’analyser la réponse de santé publique qu’il dispense sur l’ensemble du territoire.

M. Jean-Marie Sala, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale SUD santé sociaux. J’ajouterai aux précédentes interventions les difficultés créées par l’empilement de réformes sans qu’un bilan en soit fait. Nous avons été très étonnés que le Président de la République affirme l’an dernier que l’hôpital n’avait pas connu de réformes depuis vingt ans : celle qui vient d’être lancée est la cinquième !

Les réformes liées aux plans hôpital 2007 et hôpital 2012, encore en cours, se télescopent avec la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. De ce fait, les responsables d’établissement se trouvent contraints d’agir sur des bases nouvelles alors que les réformes précédentes ne sont pas encore entièrement entrées en vigueur. Cela pèse aussi sur la motivation des personnels.

Notre critique de la tarification à l’activité ne concerne pas seulement « l’enveloppe fermée » qu’elle institue ; la T2A prend en compte essentiellement les pathologies et non pas les patients. Or, les besoins de patients souffrant de la même pathologie peuvent être différents.

La T2A privilégie aussi les actes techniques au détriment des soins au long cours. Aujourd’hui, c’est pourtant à des maladies chroniques que nous devons majoritairement faire face.

Elle entraîne des actes inutiles. Certains établissements abusent ainsi visiblement des opérations de la cataracte, des appendicectomies, des césariennes, au détriment de réels besoins. Ce comportement provoque une inflation des coûts.

L’effort de raccourcissement à tout prix de la durée moyenne des séjours a souvent pour conséquence de nouvelles hospitalisations pour une autre cause, avec un surcoût par rapport à une hospitalisation initiale plus longue.

La réforme impose aussi des regroupements d’activités ; aujourd’hui nous parlons d’usines à soins, et – pour les maternités – d’usines à bébés. L’expression « humanisation de l’hôpital », longtemps employée, est tombée en désuétude. Pourtant, au-delà des actes, nous devons prendre en compte les patients ! Nombre de collègues considèrent que l’obligation de produire des actes à la chaîne, en négligeant les patients, leur fait perdre le sens de leur travail et les soignants sont démotivés, de jeunes professionnels très investis perdant même très rapidement courage en raison de leur charge de travail.

De plus, alors que la démocratie doit être au cœur des réformes, la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires instaure un mode de gestion autoritaire. Les critères de qualités des soins ne pèsent désormais que peu au regard des critères comptables.

L’essentiel des dépenses étant constitué des charges de personnel, c’est sur ce poste que l’on recherche des économies rapides, au prix d’horaires de plus en plus variables, établis sans concertation, de charges de travail totalement déséquilibrées par rapport à la vie personnelle, et, finalement, d’une démotivation des personnels ; quelle que soit leur envie de travailler à l’hôpital, ils veulent pouvoir mener une vie personnelle et non être entièrement soumis aux besoins du service, comme c’est aujourd’hui le cas !

Nous constatons aussi que l’emploi est de plus en plus précaire. Des personnels affectés à des emplois permanents restent pendant des années sous statut de contractuel. Outre que les équipes ont besoin de stabilité, la motivation ne viendra pas seulement de la revalorisation salariale mais aussi d’une vie au travail intéressante. Les idées du personnel ne sont absolument pas prises en compte. Le malaise est réel et il hypothèque ainsi l’avenir.

M. Dominique Russo, secrétaire général de l’UNSA-Directeur, représentant l’Union nationale des syndicats autonomes santé et sociaux. Je rejoins nombre des propos qui viennent d’être tenus. À l’hôpital, l’humain est essentiel. Si la T2A permet de contrôler le bien-fondé de la dépense, sa mise en œuvre amène à perdre quelque peu de vue les objectifs de l’hôpital. Ne comprenant plus tout à fait le sens de leur métier, les personnels se démotivent.

J’entendais récemment sur les ondes le représentant du Médiateur de la République chargé des difficultés à l’hôpital détailler l’accroissement phénoménal du nombre de plaintes de personnes soignées à l’encontre du personnel soignant. L’accent mis sur les actes techniques, l’accroissement de la productivité – l’hôpital effectue désormais plus d’actes avec moins de personnel – se sont accompagnés d’une perte de la qualité de l’accueil et de l’écoute. Traiter la maladie, notamment dans les phases de fin de vie, ce n’est pas seulement prodiguer des soins. L’écoute fait partie des vocations de l’hôpital public. La T2A a pour le moins sous-estimé les dotations affectées au financement des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation. Le coût de certains patients de l’hôpital public, les personnes sans domicile fixe par exemple, ne peut qu’entraîner son échec. Leur accueil ne pouvant que déséquilibrer profondément le budget d’un établissement, ils seront donc sommairement soignés avant d’être rapidement renvoyés.

L’hôpital fait aussi partie d’un réseau de soins. Or, au contraire de ceux de l’hôpital, les modes de fonctionnement de ce dernier n’ont pas été modifiés. Si les patients sont désormais rapidement renvoyés chez eux, les médecins sont-ils formés à traiter des personnes qui ne sont pas parfaitement guéries ? Le service de soins infirmiers à domicile est-il à la hauteur des attentes de la population ? Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les maisons de retraite – je suis chef d’établissement de l’une d’elles – sont-elles structurées pour accueillir des personnes encore en cours de traitement ? L’ensemble du champ doit être pris en compte : la maladie ne s’arrête pas à la sortie de l’hôpital. Les agences régionales de santé devraient apporter une solution.

C’est à l’hôpital, en psychiatrie notamment, qu’aboutissent les personnes socialement déficitaires. Comme le côté social des activités de l’hôpital public a été sous-estimé, on les en fait sortir très vite. La réforme se fait donc au détriment de la population.

L’empilement des réformes, une tous les deux ans environ – même si, nous dit-on, il n’en aurait pas été conduite depuis vingt ans… – a aussi désorienté les personnels. Alors qu’il y a vingt ans, ils étaient très heureux d’effectuer quarante ans de carrière en milieu hospitalier, désormais, on entre à l’hôpital comme à l’usine, et on est très heureux d’en partir. Si la productivité s’est accrue, la qualité a diminué. Au-delà des questions financières, il faut donc sans doute repenser l’accueil, la prise en charge, la formation, la motivation des personnels.

Sans parler de la création de l’Ordre des infirmiers – une ineptie – nombre de mesures, sources de clivages, ont suscité des malaises qui font aujourd’hui les choux gras de la presse. Avant-hier, le représentant du médiateur recevait des appels de personnes qui avaient patienté pendant sept heures aux urgences avant d’être renvoyées chez elles sans soins et sans explications. Ce type d’exemples fait forcément douter de l’intérêt des milliards d’euros dépensés. Alors que plus de 90 % des personnels font bien leur travail, les 4 % ou 5 % mentionnés devant le médiateur font la une des journaux pendant des semaines. Or, l’hôpital reste un dispositif bien structuré et bien organisé. Si des économies y sont possibles, il ne doit pas perdre sa vocation humaine.

M. le coprésident Pierre Morange. S’agissant du traitement du thème de l’hôpital dans les médias, notre mission n’est sans doute pas pour vous le bon interlocuteur…

Nous avons déjà procédé à des auditions sur l’amélioration des pratiques médicales. Sur les formations, la motivation, la gestion prévisionnelle des effectifs et la masse salariale - 70 % du budget d’un hôpital – des préconisations et recommandations ont été formulées par les agences régionales de l’hospitalisation et par la Haute Autorité de santé. En tant que responsables syndicaux, quelle est votre analyse ? Dans le cadre du dialogue social, quelles améliorations méthodologiques pourriez-vous proposer pour l’amélioration de la santé de nos concitoyens ?

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Quelle est votre perception de la recherche de bonnes pratiques ? Quel est leur impact sur les établissements ? Comment les personnels peuvent-ils se les approprier ?

Comment voyez-vous les rôles respectifs des secteurs public et privé ?

Certains considèrent que les statuts bloquent l’amélioration de la gestion. Qu’en pensez-vous ?

Comment percevez-vous l’idée d’une rémunération liée à l’intéressement ? Quels devraient être ses critères ?

Enfin, quelles propositions concrètes pourriez-vous faire afin d’améliorer le fonctionnement de l’hôpital ?

Mme Nathalie Canieux. En matière de bonnes pratiques, il faut d’abord faire confiance aux salariés. Des expériences engagées ici où là méritent bien sûr d’être mutualisées, ou au moins mises en valeur. À cette fin la concertation avec les salariés doit être dynamisée dans les établissements : qui sait mieux qu’eux comment organiser le travail au sein des services ? Il faut demander leur avis sur ces expériences, qui doivent en outre être conduites en adéquation avec l’organisation médicale.

Quant à la convergence, nous ne savons pas aujourd’hui comment sont calculées les tarifications – et ce n’est pas faute d’avoir posé, à plusieurs reprises, la question. Autrement dit, nous ne connaissons pas le coût de production d’un soin dans le secteur privé ou le secteur public. Si nous savons que les facteurs – charges, salaires, conventions collectives – divergent, nous ne sommes pas en mesure de prendre en compte la formation du personnel, la qualité du soin, le temps de personnel requis. Les bases de comparaison ne peuvent pas non plus être les mêmes selon qu’un soin est effectué dans un service de semaine ou un service ouvert en continu à tous les types de public : la charge du service public entre évidemment en compte dans le calcul du coût de production de la santé.

Payer mieux les salariés n’améliore pas leurs conditions de travail. La souffrance au travail ne se résoudra pas par l’intéressement ou des augmentations de salaire, pour nécessaires qu’elles soient. Ce dont les personnels ont d’abord besoin, c’est de pouvoir venir travailler avec le sourire et d’appliquer ce qu’ils ont appris durant leur formation. Aujourd’hui, une infirmière diplômée qui sort de l’école s’est fait beaucoup d’illusions durant sa formation, et a rêvé d’un métier qu’elle ne peut pas exercer à l’hôpital. Le nombre des étudiants qui quittent la formation lors de la troisième année, celle où ils commencent à effectuer des stages dans les services, est particulièrement inquiétant : en découvrant l’hôpital, ils comprennent que ce n’est pas ainsi qu’ils veulent travailler ! L’intéressement n’y changera rien.

Nous avons déjà exposé nos propositions : obliger les établissements à revoir l’organisation du travail, en adéquation avec l’organisation médicale, faire participer à cette revue les équipes, qui connaissent le détail de leur métier et leurs besoins, et, en collaboration avec les partenaires sociaux, ouvrir un chantier sur la gestion prévisionnelle des emplois dans le territoire.

M. Thierry Petyst de Morcourt. Faut-il entendre par amélioration des bonnes pratiques des transferts d’activités médicales vers des personnels tels que les sages-femmes ou les infirmiers anesthésistes diplômés d’État ? De tels transferts ne pouvant être effectués que dans le respect des règles déontologiques des professions concernées, l’impact qu’on peut en attendre est limité. Dans certains secteurs comme la gynécologie et l’obstétrique, nous allons au-devant de difficultés de démographie médicale. La modification consécutive du champ d’activité des personnels – dans ce cas, les sages-femmes – devra alors se traduire en termes de rémunération.

Le statut des personnels de la fonction publique n’a aucun impact sur l’éventuelle réallocation des tâches entre le secteur public et le secteur privé. La base de discussion des conventions collectives du secteur privé est en général constituée par les rémunérations du secteur public. C’est tout particulièrement vrai pour les infirmières. Le statut n’est donc pas un point de blocage. De plus, les contractuels sont nombreux dans les établissements hospitaliers publics ; la variable d’ajustement, c’est eux !

Il faut aussi fixer les termes de la convergence entre le secteur public et le secteur privé. Le mode de fonctionnement et d’organisation, y compris comptable, des établissements du secteur privé, est totalement différent de celui du secteur public. Ainsi, dans les cliniques privées, il peut arriver que des anesthésistes soient rémunérés par des voies qui ne passent pas par la clinique et même qu’ils rémunèrent eux-mêmes les infirmières qui les assistent. Au contraire, dans un établissement hospitalier public, tous les coûts sont comptabilisés. Les comparaisons nécessitent donc des études très fines.

L’investissement est un élément central de l’amélioration du fonctionnement de l’hôpital. Ce sont les investissements, notamment ceux prévus par le plan hôpital 2012, qui ont creusé les déficits et la dette de l’hôpital. Pour y remédier, ne faut-il pas créer une structure parallèle à l’hôpital ? La proportion de 7,5 % pour les frais d’amortissement et les frais financiers que j’ai citée doit être comparée aux 4 % retenus par la T2A. Le remboursement de la dette entraînée par ce différentiel est financé par des contraintes sur le fonctionnement de l’hôpital : l’effectif des personnels hospitaliers devient un instrument d’ajustement pour le traitement de la dette.

M. Philippe Crépel. Dans les années 1990, les établissements ont réalisé de nombreux travaux sur les bonnes pratiques, auxquels les personnels ont consacré du temps. Ils sont aujourd’hui consignés dans des classeurs et il convient donc désormais de les traduire dans les faits, en s’appuyant sur les moyens et sur l’organisation.

En 2002, ces éléments avaient été l’un des enjeux de la réduction du temps de travail, des médecins et des autres personnels. En dépit des efforts accomplis dans nombre d’établissements, où l’on a recentré le pouvoir sur quelques acteurs, la coordination n’a pas été entièrement réussie.

La réorganisation permanente est une constante de l’hôpital. Nous devons sans cesse retravailler les plans de soins ! L’activité ne peut être programmée précisément : les évolutions et les conséquences de la maladie – complications, crises d’angoisse – sont imprévisibles.

Clarifier les rôles respectifs des secteurs public et privé est indispensable. Un pôle public fort est nécessaire. Aujourd’hui, il se compose des établissements hospitaliers publics mais aussi des établissements à but non lucratif. Nous verrions avec faveur un regroupement de ces deux composantes sous le statut de la fonction publique. Le pôle privé doit rester additionnel et optionnel, et les financements publics qui y sont consacrés minimes, à l’exception des quelques cas où ces établissements sont devenus indispensables : le code de la santé publique leur a donné une place claire dans l’offre de soins, avec une délégation de service public contractualisée sur dix ans, sans concurrence du public. La séparation doit être plus tranchée entre le secteur public et un secteur privé qui – de manière choquante – gagne de l’argent et dépend d’actionnaires dont l’objectif est la rentabilité. Certaines négociations salariales y aboutissent même à l’attribution d’actions au personnel ! Alors que la santé ne doit pas être l’instrument de tels objectifs, ce modèle se développe de façon considérable dans la prise en charge des personnes âgées et de plus en plus de places sont créées dans le secteur lucratif au lieu de l’être dans des maisons de retraite publiques. Certains appellent même l’accueil des personnes âgées « l’or blanc »… Le financeur public ne doit pas participer à cette évolution, qui aboutit à servir des actionnaires qui sont dans certains cas des fonds de pensions américains.

Nous sommes opposés à l’intéressement. Il est pour nous contradictoire avec une mission de service public. Comment un intéressement, collectif ou personnel, peut-il être recherché sur la base des moyens mis à disposition du service public ?

Nos propositions sont simples, ouvrir l’enveloppe, et faire en sorte que les choix de ceux qui décident de son affectation soient éclairés, transparents et faits en conscience.

Il faut aussi cesser d’importer dans le secteur public les méthodes de gestion du secteur privé, marchand et industriel. Elles ne sont pas faites pour lui : alors que l’hôpital aujourd’hui n’a la liberté de décider ni de ses moyens ni de son organisation, comment peut-on lui donner la liberté de fonctionnement d’une entreprise privée ?

La productivité nous paraît un objectif un peu surprenant, alors qu’il conviendrait plutôt de viser l’efficacité et la réponse aux besoins. Contrairement à ce que titrent certains médias, la satisfaction des usagers de l’hôpital public reste grande. Même s’ils se rendent compte des difficultés de l’hôpital, ils continuent à lui faire confiance et à venir y consulter. Autrement, sa place dans la permanence des soins ne serait pas aussi centrale.

Aujourd’hui – c’est une boutade – le premier établissement d’hébergement psychiatrique de France est le métro de Paris ! Nous souhaitons la création d’établissements départementaux de financement de la psychiatrie car, si la psychiatrie a été de plus en plus intégrée au sein des hôpitaux généraux, elle n’est pas au cœur de leur métier. Son financement est bien souvent traité sous forme de budget annexe ou complémentaire. Au moins pour le financement et l’organisation du soin, un pilotage départemental indépendant de l’hôpital général serait préférable et permettrait une meilleure organisation de la prise en charge dans chaque territoire. Cela dit, que les centres de traitement soient implantés dans les hôpitaux généraux n’est pas pour nous un souci : nous sommes favorables à la proximité des soins.

Nous devons aussi rendre un sens au travail des personnels – le débat d’aujourd’hui n’a du reste pas pu y échapper. Ils deviennent de véritables machines à produire du soin, sans plus avoir l’occasion de s’interroger sur le sens de leur action. Cette évolution est en contradiction avec les raisons qui fondent leur mission.

Enfin, s’agissant du dialogue social, toute parole est bonne dans l’hôpital. De l’agent d’entretien, qui peut se rendre compte de lourds dysfonctionnements, au premier responsable de la commission médicale d’établissement ou aux directeurs de service, chacun doit disposer d’un droit à l’expression. Nous devons travailler de nouveau sur la parole des agents et, surtout, sur sa prise en compte. Si les agents sont beaucoup mis à contribution, leur travail n’est pas pris en compte. Leurs suggestions sont rejetées par manque de moyens. Dans l’hôpital où je travaille, 1 000 agents avaient travaillé à un projet d’établissement ; une seule personne a pris la décision. Ce mode de gouvernance est un souci.

M. Denis Basset. Je voudrais faire preuve d’optimisme. Quinze millions de nos concitoyens fréquentent l’hôpital au moins une fois par an, pas toujours pour une hospitalisation mais aussi pour une consultation ou un acte biologique. Les Français se reconnaissent largement dans leur hôpital public. Celui-ci est aussi largement à l’origine de la puissance mondiale des industries pharmaceutique et de l’équipement médical français.

L’évolution depuis vingt ans des professions, des actes et des relations entre les médecins et le personnel paramédical ont mis de plus en plus les compétences partagées à l’ordre du jour. Le moment est celui de la « ré-ingénierie » et de « l’universitarisation » des formations initiales. Des groupes de travail sur les compétences partagées et les pratiques avancées ont été créés. Nous y avons délégué des professionnels qualifiés. Pour nous, les pratiques avancées doivent se traduire par une formation initiale adaptée aux actes qui seront demandés aux futurs professionnels, par la délivrance d’un diplôme et bien entendu ensuite par une reconnaissance statutaire.

Les métiers du secteur public et du secteur privé ne sont pas tout à fait identiques. Au sein du secteur privé, le secteur non lucratif exerce souvent des missions concourant au service public. Son personnel, médical ou non médical, a droit au regard attentif des élus et des organisations syndicales. Nous devons travailler avec lui à l’instauration d’une relation intelligente et constructive en faveur d’une organisation cohérente du soin.

Nous formulons deux propositions. La première est l’élaboration à l’échelle nationale d’un plan de formation majeur : d’ici cinq ans, 300 000 personnels vont libérer leur emploi. Ce plan devra être décliné à l’échelon régional. Il serait sans doute bon d’effectuer un « arrêt sur image » sur les transferts effectués en application des lois de décentralisation. Quelle est la situation de la gestion des instituts de formation des professions paramédicales, transférée aux exécutifs régionaux ? Quel est l’état d’avancement des synergies mises en place par l’exécutif régional entre les instituts de formation aux soins infirmiers et leur université de référence ? Les régions ont-elles toutes avancé d’un même pas ?

Par ailleurs, l’hôpital – c’est une de ses particularités – compte plus 80 % de personnel féminin. Le personnel médical lui-même se féminise de plus en plus : aujourd’hui, les femmes sont majoritaires parmi les étudiants en médecine ; les modes de fonctionnement et d’organisation du travail à l’hôpital vont en être – et c’est tant mieux – profondément modifiés. Il est indispensable de mener dès à présent une réflexion qui évitera d’être confronté à une situation dans laquelle il faudra prendre des décisions en urgence.

Notre deuxième proposition est la tenue d’états généraux aux échelons national et régional, en vue d’une planification régionale des coopérations entre établissements permettant une cohérence des projets dans chaque territoire.

M. Jean-Marie Sala. Les bonnes pratiques doivent se diffuser partout. Leur objectif ne doit pas être seulement de déterminer des protocoles de soins destinés à assurer la traçabilité des actes techniques. Elles doivent aussi traiter de la mise en place de personnels qualifiés et en nombre suffisant. Une telle démarche est loin d’être généralisée aujourd’hui, notamment en gériatrie.

Loin d’être un carcan, le statut de fonctionnaire est un instrument qui permet aux personnels de se projeter dans l’avenir et d’être acteur de leur profession. C’est donc un élément à la fois de protection et d’évolution. Ces trente dernières années, le statut n’a pas été un frein à l’évolution du monde hospitalier public. Dans la mesure où elle empêche un engagement plein et la projection dans l’avenir, c’est au contraire la précarisation de l’emploi qui nuit à la qualité.

Nous sommes opposés à l’intéressement. Pour nous, l’une des conditions de la qualité des soins, c’est le travail en équipe. Au lieu de mettre les personnels en concurrence, il faut souder les équipes, à l’inverse de la tendance aux clivages et à la « balkanisation » de l’hôpital observée ces dernières années. Un renforcement du dialogue entre les catégories, y compris les médecins, sera un gage de qualité.

Par ailleurs, seules les activités dites rentables pourront servir de base à un intéressement. Quel que soit leur intérêt éminent pour la population, les autres seront laissées pour compte.

Les cinq ou six plus grands groupes de cliniques privées commerciales sont détenus par des fonds spéculatifs. S’ils trouvent demain des activités plus rentables, ils y transféreront leurs investissements. Voilà bien une interrogation pour l’avenir de la santé.

Nous proposons d’abord que l’on réintroduise plus de démocratie à l’intérieur des établissements. Les personnels doivent pouvoir s’exprimer. Des espaces de parole doivent être réinstallés, ainsi qu’un dialogue social mature, au contraire de la gestion à la hussarde qui prévaut aujourd’hui, qui fait peut-être gagner du temps mais pas d’efficacité. Nous sommes très inquiets des ouvertures qu’offre la loi pour la réduction de la parole et de l’intervention des personnels et de leurs représentants. S’il est légitime qu’il y ait « un pilote dans l’avion », un dialogue permanent est nécessaire. L’hôpital n’est pas une usine. Ses personnels y sont en permanence en contact avec la population, dont les besoins évoluent.

M. Dominique Russo. La diffusion des bonnes pratiques s’effectuant essentiellement par le biais de la formation, celle-ci doit bénéficier d’un investissement significatif.

Au cours des cinq à dix prochaines années, près de la moitié du personnel hospitalier sera renouvelé. Il faudra accompagner ce renouvellement : la motivation des nouveaux embauchés n’est pas forcément à l’égal de celle des partants. Il faut aimer l’hôpital public !

Prévoir au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale une enveloppe spécifique pour la formation continue est un signe fort envers les personnels, marquant une reconnaissance de leur travail et de la progression de leur carrière.

Les dispositifs de validation des acquis de l’expérience doivent également être renforcés et pilotés sur un mode stratégique.

La représentation des personnels au sein des comités techniques d’établissement, mise à mal par la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, doit être restaurée. Le rétablissement de leur confiance envers la gouvernance suppose la possibilité pour eux de s’exprimer, au moins par la voix de leurs représentants. Un comité technique d’établissement, c’est une agora ; faire l’économie de la communication n’est pas raisonnable.

Enfin, nous pensons, comme Thierry Petyst de Morcourt, que la création d’un office public de gestion du patrimoine hospitalier est une piste intéressante pour distinguer ce qui va au soin et identifier le poids du bâti sur la santé. Le bâti doit pouvoir être géré au niveau national, le soin seul faisant l’objet d’une enveloppe spécifique.

M. le coprésident Pierre Morange. Merci, messieurs, pour la précision de vos propos. N’hésitez pas à nous communiquer par écrit les observations complémentaires ou les propositions que vous voudriez formuler, dans l’esprit de l’approche pragmatique qui est celle de la mission.

*

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition de M. Pierre Faraggi, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH) et M. Jean-Claude Penochet, vice-président et président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, Mme Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), et M. Alain Jacob, secrétaire général, M. François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), M. Roland Rymer, président du Syndicat national des médecins chirurgiens spécialistes et biologistes des hôpitaux publics (SNAM-HP), M. Jean-Pierre Esterni, secrétaire général, et M. André Elhadad, vice-président.

M. le coprésident Pierre Morange. Bienvenue à l’Assemblée nationale.

Dans le cadre des travaux de notre mission, nous avons déjà entendu nombre de responsables de l’hôpital. Notre objectif est d’élaborer un état des lieux du fonctionnement interne de ce dernier. Celui-ci a fait l’objet de nombreux rapports. La législation est très riche ; pour certains, elle est même parfois une source d’instabilité. À la lueur de la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dont l’approche est transversale, notre réflexion est marquée par le pragmatisme et le souci du terrain. Grâce aux avis des différents représentants des personnels, nous espérons pouvoir tirer, à partir d’exemples précis, des préconisations susceptibles d’améliorer de façon très concrète le fonctionnement de l’hôpital au profit de nos concitoyens, et de faire en sorte que les personnels de santé puissent s’y investir d’une façon aussi efficiente que possible.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. Selon une démarche un peu différente de nos habitudes, nous nous sommes penchés, au cours de la présente mission, sur le fonctionnement d’un certain nombre d’établissements. Dans la phase actuelle de nos travaux, nous essayons de mettre en perspective nos premiers constats et d’en tirer des enseignements et des préconisations générales.

Quels sont à vos yeux les principaux dysfonctionnements de l’hôpital ? Quelles réponses proposez-vous d’y apporter pour qu’il puisse rendre un service meilleur encore ? Quelles propositions pouvez-vous faire quant aux relations entre les secteurs public et privé, le monde médical et les autres, les systèmes informatiques, la tarification à l’activité ? Comment analysez-vous les effets sur le fonctionnement de l’hôpital des conditions de travail, des statuts, de l’intéressement, de la gestion des personnels, de la formation, du codage des actes et de ses conditions ?

M. Pierre Faraggi, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH). La question du statut est essentielle pour la qualité de la distribution des soins de nos établissements. Nous sommes soumis à un assaut de critiques. Notre statut, avec ce qu’il peut représenter de garanties pour la pérennité de chaque carrière et de sécurité pour l’exercice d’une profession qui comporte souvent de hauts risques, serait un handicap pour la dynamisation et la remise en question régulière des missions entre établissements. Il est même fait parfois mention de blocages liés à cette garantie statutaire.

Si nous-mêmes et les décideurs publics continuons à souhaiter que l’hôpital reste, au cœur de notre système de santé, un moteur de performance pour la distribution des soins et l’accès à ceux-ci de nos concitoyens – en particulier les plus défavorisés – nous devons nous pencher sur la démographie médicale.

Les insuffisances que celle-ci comporte déjà dans la plupart des disciplines sont appelées à se développer. Actuellement, le sous-effectif des praticiens hospitaliers, qui varie selon les disciplines et les régions, est en moyenne de 20 %. Depuis quelques années, il ne cesse de s’accroître.

Comment rénover l’attractivité d’un corps professionnel composé en majorité de praticiens au moins quinquagénaires et entrant en fin de carrière ? Attirer les plus jeunes vers les carrières hospitalières est essentiel.

Aujourd’hui, de façon générale comme en matière de permanence des soins – cette mission fait partie des charges et des responsabilités des médecins hospitaliers – le différentiel des rémunérations avec le secteur libéral est dissuasif. Précariser le statut ou le contractualiser serait donc une erreur grave. Après les évolutions plutôt peu favorables de ces vingt dernières années, le statut a au contraire besoin d’être revalorisé. Il doit permettre le maintien de perspectives attractives de carrière, de sécurité d’emploi et de retraite – même si ce point n’est pas l’objet de la présente réunion, il est crucial. Ces éléments sont indispensables pour attirer à l’hôpital de jeunes praticiens, par ailleurs intéressés par le caractère stimulant et la qualité des tâches qui y sont proposées, la dynamique du travail en équipe, la prise de responsabilité. Les conditions aujourd’hui ne sont pas remplies. Une rémunération davantage contractualisée, établie sur la base d’indicateurs de performance, serait à l’opposé de la revalorisation nécessaire. Bien sûr, rien n’interdit que, ici où là, à la marge, des dispositifs complémentaires soient mis en place. Mais les dimensions de pérennité et de non-précarité du statut sont essentielles. Comme l’hôpital public n’aura jamais les moyens d’offrir les rémunérations contractuelles du secteur privé, et que nos jeunes collègues radiologues ou chirurgiens ne rencontreront aucune difficulté s’ils choisissent les cliniques privées ou le secteur libéral, la question du statut est au cœur des mesures à prendre en faveur de l’hôpital public.

M. Jean-Claude Penochet, vice-président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH), président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux. Il n’est pas exagéré de dire que les réformes successives de l’hôpital ont provoqué chez les praticiens hospitaliers un grand désenchantement, pouvant confiner à l’amertume, et des difficultés d’exercice au quotidien. De façon certaine, ces éléments vont être accrus par les modifications induites par la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Les praticiens ont en effet l’impression d’une perte de reconnaissance, et éprouvent des difficultés à se repérer dans la nouvelle organisation.

Certes, sa mise en place n’étant pas entièrement achevée, certains espèrent que sa progression amènera une amélioration de la situation. Tel n’est cependant pas mon avis. Un mode de fonctionnement et d’exercice, fondé sur ce qu’on appelle l’équipe médicale, l’unité à taille humaine que représentait le service, travaillant dans une dimension quasi-familiale, a été brisée. La mise en place de pôles d’une échelle beaucoup plus large a dispersé entre médecins les repères anciens qui étaient fondés sur la compétence, notamment celle dont était dépositaire le chef de service en matière d’organisation ou de savoir.

À cet ancien repérage s’en substitue aujourd’hui un autre, plus bureaucratique et disciplinaire. Certes, l’hôpital – l’avion – est désormais dirigé par un seul pilote. Mais celui-ci sera-t-il en situation de le piloter ? La machine n’est pas seulement administrative ou financière, elle doit produire des actes médicaux. Or la production d’actes médicaux est fondée sur l’organisation et la conduite d’une équipe médicale.

Dans les années 1970, les spécialistes ont réalisé des études sur le management de l’hôpital. Nous savions, que, de manière irréductible, il comportait deux zones de pouvoir qui devaient marcher de front, le management administratif et financier et le travail médical. Le mode de management imposé à l’hôpital n’est pas conforme à cette organisation. La responsabilité et l’organisation médicales doivent être respectées ; elles ont une légitimité parallèle à celle de l’administration.

C’est un mode de management calqué sur celui de l’entreprise qui a été plaqué sur l’hôpital. Pourtant l’avenir montrera bien que l’hôpital n’est pas une entreprise comme les autres. Peut-être est-il encore temps de prendre en considération ses éléments spécifiques… Il est essentiel de retrouver la possibilité d’une équipe médicale valorisée et cohérente. La légitimité du fonctionnement de l’hôpital ne doit pas découler essentiellement d’une hiérarchie administrative. Ce point est, au quotidien, extrêmement délicat.

Les différents rapports publiés sur l’hôpital ont mis en évidence les variations sensibles que comporte l’application du statut. La part variable de la rémunération des praticiens présente des différences considérables selon les spécialités et les types d’activités, - activité libérale à l’hôpital, gardes… Nous sommes favorables à un plateau statutaire unique assorti de possibilités de modulation. La contractualisation ne nous paraît pas un mode de rémunération satisfaisant. Aller trop loin dans cette direction et dans l’institution d’une rémunération à l’activité supprimera tout intérêt pour les praticiens de demeurer à l’hôpital ; ils préféreront alors l’activité libérale, où les contraintes qui leur seront imposées seront moins fortes. L’hôpital doit y réfléchir. Indépendamment du montant des rémunérations, il ne peut pas être suscité d’intérêt de travailler à l’hôpital à travers la rémunération à l’activité et la contractualisation.

Enfin, et c’est un point fondamental, la décision de confier des activités de service public au secteur privé modifie l’ensemble des paramètres. Elle impose l’élaboration, en quelque sorte, d’une philosophie du service public. Dans quelles conditions des objectifs lucratifs et des comptes à rendre aux actionnaires peuvent-ils être conciliés avec une problématique de santé publique ? Une réflexion est à conduire. Des règles doivent être établies pour l’attribution de missions de santé publique au secteur privé. Elles devront tenir compte des risques de santé publique qu’induit à nos yeux, pour la population, une démarche lucrative. L’attribution de missions de santé publique au secteur privé doit-elle être la résultante de marchés confiés aux mieux offrants ? Faut-il au contraire instituer d’autres règles ?

Mme Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). Dans une récente enquête, 45 % des 2 000 praticiens que nous avons interrogés afin de connaître l’attractivité du statut de praticien hospitalier, se disent satisfaits d’avoir choisi l’hôpital public, contre 60 % il y a dix ans.

Cette audition tombe à pic, car 2010 sera l’année d’une nouvelle loi de santé publique. À ce titre, nous ouvrirons prochainement des négociations statutaires.

Quant à la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, nous n’y étions pas totalement favorables, car l’hôpital a connu en vingt ans vingt-six réformes, qui écartent souvent les médecins, pourtant partie prenante du fonctionnement de l’hôpital. Cela étant, la réforme initiée par M. Jean-François Mattei était intéressante.

Nous savons que l’hôpital connaît des difficultés. À l’Intersyndicat, nous n’avons rien contre les réformes, à condition qu’elles soient nécessaires. Mais la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires n’est pas la réponse que nous attendions. S’agissant de la gouvernance, par exemple, il est clair que trop de management tue le management. Les règlements tatillons gênent les praticiens, qui se voient comme des prestataires de services. C’est dommage. Nous essaierons de proposer certaines améliorations lors de l’examen de la prochaine loi afin d’accroître la place des praticiens au sein de la commission médicale d’établissement et du directoire.

Selon notre enquête, les praticiens choisissent l’hôpital public pour l’engagement de service public, le fait de faire partie d’une équipe et l’implication au sein d’un système qui permet de construire des projets. Ils doivent donc être intégrés au management de l’hôpital. Sur ce point, nous devons être prudents. Les praticiens ont l’impression que le système fonctionne avec deux têtes – d’un côté ceux qui gouvernent, de l’autre ceux qui soignent – ce qui provoque un turn over très regrettable. J’ai rencontré cette situation au sein du pôle que je dirige au Centre hospitalier universitaire de Nantes, et il est extrêmement difficile, dans ces conditions, de mener à bien nos projets, d’autant que le centre hospitalier universitaire connaît des difficultés financières majeures.

La place du praticien et l’existence d’un contre-pouvoir sont donc primordiales, et sur ce point la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires n’est pas satisfaisante. Comme vous le savez, l’hôpital est administré de façon verticale : le ministre nomme le directeur, qui lui-même nomme le directeur de pôle, qui choisit ses collaborateurs. Ce système comporte des risques, d’autant plus grands que le système hospitalier est complexe.

La deuxième préoccupation importante des praticiens est la logique comptable qui prévaut dans les établissements hospitaliers. Les praticiens, qui sont conscients et responsables, savent bien que l’argent est compté, mais il leur est difficile d’admettre des suppressions de postes uniquement justifiées par le retour à l’équilibre financier, sans que l’on tienne compte de la nécessité d’apporter les soins nécessaires à tous les patients. Cette logique est très préoccupante, car l’hôpital public a vocation à soigner tout le monde et, sauf si nous n’avons plus de lit disponible, nous ne laissons jamais un malade au bord de la route. Ce n’est pas la même chose dans le système libéral. Le risque de cette logique purement comptable est de voir l’hôpital pratiquer la sélection des patients et réduire la qualité des soins, ce qui, pour les médecins que nous sommes, est insupportable. Si cette logique perdure, nous nous tournerons vers un système qui nous donnera la possibilité de soigner en accord avec notre idéologie, notre éthique et notre indépendance professionnelle.

Il faut veiller à associer le maximum d’acteurs, en particulier les médecins, aux projets de l’établissement. La logique comptable nous conduit à supprimer quarante postes, soit, mais encore faut-il savoir où les supprimer ! Contrairement à d’autres domaines de la fonction publique, l’hôpital est confronté, s’il veut assurer la permanence des soins, à la précarité et à des obligations qui renvoient les médecins à leur vocation, qui consiste à soigner tous les patients. Nous avons fini par accepter la réforme initiée par M. Jean-François Mattei. Pourquoi la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires remet-elle en cause les conseils de pôle, qui sont indispensables ? Comment faire fonctionner un pôle si les médecins n’y sont pas associés ? Le rapport remis à la ministre de la santé et des sports, au mois de juillet 2009, par M. Élie Aboud sur la promotion et la modernisation des recrutements médicaux à l’hôpital public comporte un certain nombre de propositions intéressantes, mais il y a urgence, compte tenu des difficultés démographiques dont souffrent certaines spécialités.

Nous, médecins publics, n’avons pas vocation à être les parents pauvres du système de santé. Nos jeunes collègues, internes et chefs de clinique, ne comprennent pas pourquoi ils seraient privés d’une telle manne. Nous aimons notre métier, nous avons envie de faire partie d’une équipe. La question de la rémunération, si elle n’est pas essentielle, est réelle, dans un monde où l’argent tient une place importante. En matière d’harmonisation et d’évolution statutaire, nous devons avancer. Nous sommes attachés à un statut national des praticiens, comportant des responsabilités et des rémunérations contractuelles, sur la base du volontariat et de l’indépendance professionnelle. L’enquête que nous avons menée montre que 80 % des praticiens sont défavorables à une rémunération exclusivement à l’activité. Nous estimons que l’intéressement lié à l’activité et une rémunération prévoyant une part forfaitaire et une part contractuelle peuvent être acceptés, à condition que cela soit effectué en toute transparence et en toute indépendance.

Dans notre système actuel de management, le directeur occupe la « pole position » en matière de recrutement. De par ma fonction à l’Intersyndicat, je travaille depuis fort longtemps avec les directeurs : j’entretiens avec eux un dialogue responsable. Ce n’est pas en nous opposant les uns aux autres que nous avancerons, et c’est bien le reproche que je fais à la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Le directeur n’est rien sans les médecins. S’il assume correctement son rôle de manager, il peut être d’une grande utilité. Mais ne lui donnons pas tous les pouvoirs. Il faut instaurer des contre-pouvoirs.

Pour assurer le parcours du patient, les agences régionales de l’hospitalisation jouent parfaitement leur rôle. Le domaine de la santé compte différents acteurs : l’hôpital, mais également les soins ambulatoires. Ceux-ci doivent être développés. Notre système de soins est trop hospitalo-centré. Il faut développer les articulations entre médecine générale et spécialiste, entre les soins médicaux et paramédicaux, entre les structures sanitaires et médico-sociales. Les praticiens souhaitent être davantage impliqués au sein des agences régionales de santé, pour donner à celles-ci une plus grande tonalité médicale, éviter les doublons et faciliter les restructurations.

M. Alain Jacob, secrétaire général de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers. Dans l’offre de soins nationale, l’hôpital public, en dépit des problèmes auxquels il doit faire face, joue un rôle très important. Il correspond à ce qui se fait actuellement de mieux en termes de permanence des soins, d’accueil, d’équité et d’accès aux soins. Il était important de le rappeler. Il est de la responsabilité de tous de défendre une telle qualité. L’hôpital est également le lieu de l’enseignement et de la recherche médicale. Là encore, nous avons le devoir de maintenir cette qualité, enviable, et enviée dans de nombreux pays.

Pour cela, la démographie médicale joue un rôle important. Si elle est affectée par le creux du numerus clausus et le départ à la retraite des papy et mamy-boomers, le nombre de praticiens hospitaliers a pourtant augmenté de manière considérable. Cela dit, les activités des praticiens ne sont pas toutes équivalentes. Depuis quelques années, on voit des médecins généralistes occuper à l’hôpital des postes de médecins urgentistes ou de gériatres. Ceci est dû à la réduction du temps de travail et à la mise en œuvre de la permanence des soins.

La question de la démographie va devenir primordiale. Nous ne devons pas nous contenter de chiffres généraux, mais évaluer les besoins pour chaque spécialité. Certaines sont de plus en plus assurées par le secteur privé. Les spécialités liées au cancer - chimiothérapeutes, radiothérapeutes, anatomopathologistes – souffriront bientôt du départ à la retraite d’un grand nombre de praticiens : il est impératif de recruter des praticiens dans ces disciplines.

Si l’on veut attirer les praticiens à l’hôpital, il faut qu’ils se sentent acteurs de leur activité et que leur place à l’hôpital soit valorisée. Hélas, leurs efforts ne sont pas toujours reconnus, et le départ d’un praticien vers le secteur privé correspond souvent à une accumulation d’incidents et de vexations.

Cette reconnaissance doit s’accompagner d’une valorisation, à la fois financière et professionnelle. En outre, il faut faire en sorte que les trajectoires professionnelles des praticiens soient plus lisibles. Pour les sécuriser, l’hôpital doit assurer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences médicales. L’avancement ne doit pas être uniquement lié à la démographie ou au départ du chef de service, mais à une formation continue de qualité, à un projet médical mené à bien. Cette lisibilité serait à mon avis de nature à attirer les praticiens à l’hôpital, à les fidéliser et à leur donner une place enviable dans la société.

M. le coprésident Pierre Morange. Le codage des actes est l’interface entre les soins délivrés et les problématiques organisationnelles qui résultent notamment de la tarification à l’activité. Quelle est votre approche de ce sujet ?

M. François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH). Je souhaite aborder devant vous les questions du financement – l’argent est le nerf de la guerre –, des structures, des hommes qui les animent et des malades.

Je commencerai par les hommes – et plus précisément par les femmes – en soulignant le rôle important des infirmières. Je voudrais dénoncer une ambiguïté. La notion de suppression de postes est une boîte de Pandore pleine de préjugés et de sous-entendus. À l’hôpital travaillent 82 000 médecins et 94 000 personnels administratifs. Les infirmières sont la cheville ouvrière de la qualité des soins, même si cette dernière est imprévisible. Il me paraît important de le souligner, dans un contexte de contraintes financières durables. Les récents propos tenus par le Président de la République à Perpignan, le 12 janvier 2010, qui engagent tous les hôpitaux publics à équilibrer leurs comptes en 2012, sont quelque peu irréalistes car il faudrait d’abord équilibrer le budget de l’État… Parce qu’ils mettent une pression considérable sur l’hôpital ces propos sont aussi contre-productifs. La Coordination médicale hospitalière considère les effectifs, l’évolution, la promotion et les formations des infirmières comme une chasse gardée. Si nous voulons apporter sinon de la sérénité, tout au moins du sens au principe de réduction des effectifs, disons-le clairement : aucun poste d’infirmière ne doit être supprimé à l’hôpital.

J’en viens aux médecins. L’hôpital n’est pas la somme des statuts, bien que le rapport demandé par la ministre de la santé et présenté par M. Élie Aboud porte sur « la promotion et la modernisation des recrutements médicaux à l’hôpital public ». Sur les 41 000 praticiens hospitaliers en exercice, beaucoup ont déjà de nombreuses années de carrière. Ce qui importe aujourd’hui, c’est l’avis des jeunes médecins. Les éléments qui doivent prévaloir pour attirer l’excellence à l’hôpital sont moins quantitatifs que qualitatifs. La modularité de la carrière est un élément important. Imaginer que l’on occupera la même fonction pendant près de trente ans est forcément démotivant. Est-il supportable pour un médecin urgentiste d’imaginer qu’il restera aux services des urgences de l’hôpital de Poissy toute sa vie ? Il faut donc s’intéresser davantage à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Il faut également ouvrir des chantiers tabous, comme le temps de travail, et faire évoluer un statut qui date de 1983 et n’a d’unique que le nom. Ce statut prévoit des rémunérations variables, mais qui sont attribuées de manière totalement opaque, ce qui entraîne des rapports de force permanents entre les spécialités, les disciplines et les situations locales.

J’en viens aux structures. Notre organisation n’a pas condamné la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. La création des agences régionales de santé et l’organisation territoriale de la santé étaient indispensables. Ce n’est pas au niveau d’un établissement que l’équilibre financier doit être obtenu, mais au niveau d’un territoire. C’est le seul moyen de bien répartir les missions, les plateaux techniques, les équipes et les hommes. Certains établissements sont contraints à des dépenses plus importantes que d’autres, qui réaliseront de meilleures recettes. D’où l’intérêt d’une gestion territoriale.

Je reviens sur le caractère boiteux de la tarification à l’activité, qui tient compte uniquement des actes techniques. Quant à la classification commune des actes médicaux (CCAM) cliniques, elle n’a cessé de péricliter, du fait des groupes de pression et intérêts divers. À l’hôpital, il n’y a pas que des actes techniques et cliniques : les échanges entre le malade et le soignant ne relèvent pas de l’acte marchand. Cet élément, très subtil, doit également être pris en compte. D’autant que si l’hôpital bénéficie d’un financement socialisé – dont vous êtes, en tant que parlementaires, les garants – le secteur privé a la capacité de sélectionner à la fois les pratiques, les praticiens et les patients, ce qui, naturellement, rend la comparaison impossible.

Le temps de travail est un sujet tabou. Mais là encore, nous sommes devant un paradoxe : les médecins qui travaillent pendant leur temps de RTT côtoient les mercenaires, ceux qui font des heures supplémentaires, et, parmi les personnels non médicaux, de jeunes retraités qui reviennent travailler à l’hôpital en tant qu’intérimaires. Cette incohérence est préoccupante. Il faut mettre à plat les temps de travail des uns et des autres, sans toutefois remettre en cause les principales garanties. Mais notre système est mourant, il faut le remettre sur pieds.

Je terminerai par les malades. À l’hôpital, même si elle est imprévisible, la qualité est au centre du management. Mais nous ne disposons pas d’indicateurs suffisants pour garantir aux patients cette fameuse « bientraitance » à laquelle nombre d’acteurs travaillent actuellement. De quelle façon traduire dans les engagements des équipes médicales la qualité des prestations, des compétences, des services rendus ? Les recertifications pourront-elles garantir cette qualité durant toute une carrière ? Un jeune chef de clinique qui, à un moment donné, choisit de s’établir en secteur 2, dans un établissement privé, disposera d’un droit de tirage tout au long de sa carrière. À l’hôpital comme en ville, que l’on utilise ou non le terme de recertification, il faudra bien un jour évaluer la qualité, la compétence et l’engagement des médecins.

M. Roland Rymer, président du Syndicat national des médecins chirurgiens spécialistes et biologistes des hôpitaux publics (SNAM-HP). Je souscris à tout ce qui vient d’être dit. En 2003, alors que l’hôpital était en crise – crise démographique, l’hôpital se vidait de ses meilleurs éléments, crise des vocations et crise financière – le budget global était à bout de souffle. La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, initiée par M. Jean-François Mattei, a marqué un progrès important. Nous l’avons soutenue et avons même participé à sa promotion. La création du conseil exécutif et des pôles a permis de décloisonner l’hôpital, même si ceux-ci auraient été plus efficaces en étant plus centrés sur le métier. Mais nous sommes restés au milieu du gué et la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie nous a partiellement déçus. Le principe de la délégation de gestion aux pôles n’a pas été réellement appliqué. Même si des contrats ont été signés, ceux-ci n’ont pas été appliqués et la réforme a finalement été vidée de son sens. Elle est en grande partie responsable de l’échec partiel de la loi.

Fallait-il pour autant une loi supplémentaire ? Rien n’est moins sûr, mais la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a été votée et il nous reste à en supporter les conséquences. Elle ne correspond pas tout à fait à nos attentes, même si les discussions en cours sur les décrets d’application pourraient aller dans le bon sens.

Trois problèmes cruciaux se posent encore à l’hôpital. Le premier concerne la performance technique : l’hôpital en a longtemps eu l’apanage, ce n’est désormais plus le cas, il la partage avec le secteur privé. C’est une bonne chose pour la population, mais il ne faudrait pas que l’équilibre s’inverse et que les hôpitaux deviennent les parents pauvres de la santé. L’hôpital accueille des malades lourds et doit pouvoir les traiter dans les meilleures conditions.

Autre problème de l’hôpital, l’entretien du patrimoine. Sur ce point, nous sommes extrêmement inquiets car ce patrimoine est depuis longtemps délaissé et les contraintes financières ne peuvent qu’aggraver cette situation. Nous sommes confrontés à des problèmes de gestion des risques et de sécurité et les conditions d’accueil deviennent désastreuses. Cette situation a un impact sur la démographie médicale.

J’en viens justement à la démographie médicale. L’hôpital doit être capable de garder les médecins, en particulier ceux qui répondent le mieux à leur mission. Ce n’est pas uniquement un problème de rémunération. L’exercice hospitalier est pénible. Le problème majeur est celui de la masse critique : les équipes trop petites sont insuffisamment équipées et les médecins sont isolés. La recherche en pâtit, notamment dans les centres hospitaliers universitaires. Ceux-ci connaissent une crise des médecins hospitaliers universitaires due en partie aux contraintes hospitalières qui se sont accrues considérablement au cours des dernières années, au détriment de la recherche. Les jeunes générations de médecins sont beaucoup plus ouvertes à la recherche que les précédentes mais l’hôpital, de plus en plus prégnant, en gêne l’exercice. Tout ceci suscite un malaise important.

Par ailleurs, s’agissant des points positifs de la loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, nous attendons avec beaucoup d’intérêt les textes d’application du volet territorial de la loi, concernant les agences régionales de santé, les communautés hospitalières de territoire et les mises en réseau d’établissements qui nous paraissent de nature à sortir l’hôpital de son isolement. Encore faut-il que les communautés hospitalières de territoire soient suffisamment intégrées. Il ne faudrait pas qu’elles ne soient qu’un échelon administratif de plus.

J’en viens au malaise des praticiens hospitalo-universitaires, dû en particulier à la question de leur retraite. Comme vous le savez, ceux-ci dépendent de l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (IRCANTEC). Or, cette institution se trouve dans une situation très inquiétante. Cela met en danger la recherche, car les praticiens hospitalo-universitaires ne bénéficient, pour leur retraite, que d’un complément minime sur la part hospitalière, l’hôpital n’étant pas leur employeur principal.

M. le coprésident Jean Mallot, rapporteur. L’instauration de bonnes pratiques ne fonctionne pas au mieux. Peut-on aller plus loin en ce sens ? Quelles propositions concrètes pouvez-vous faire ?

M. André Elhadad, vice-président du Syndicat national des médecins chirurgiens spécialistes et biologistes des hôpitaux publics. La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie avait trouvé un bon équilibre entre le service, lieu de haute technicité, dirigé par un chef de service reconnu pour sa compétence, et le pôle, dont le responsable est un chef de pôle, sorte de manager médical, conformément au fameux principe de subsidiarité. La définition de pôles avait une vocation pédagogique et visait à décloisonner l’hôpital. Cet objectif n’a pas été atteint en raison de l’échec de la délégation de gestion, dont les directeurs des hôpitaux sont, en grande partie, responsables. La loi du 29 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a presque fait disparaître les services, mais les députés les ont sauvés en prévoyant dans la loi que les pôles peuvent comporter des « structures internes » de prise en charge des malades. La difficulté est maintenant de les faire exister dans les textes réglementaires, et pas uniquement dans le règlement intérieur de l’hôpital.

La légitimité du management au niveau du pôle se rattache aux devoirs éthiques du médecin. Nous sommes passés de la médecine de la contemplation, qui ne pouvait prodiguer aux patients que de l’humanité, à une médecine terriblement efficace, avec pour corollaire la iatrogénie et les dégâts qu’elle peut entraîner. Il faut donc assurer la sécurité aux patients, et c’est le premier devoir éthique des médecins, le deuxième étant l’efficacité des soins. Pour cela, il convient d’utiliser le plus possible les résultats des recherches scientifiques et la médecine fondée sur la preuve – Evidence based-medicine. Nous ne disposons malheureusement que de 15 à 20 % de ces preuves : utilisons-les.

Le troisième devoir éthique est la performance. Lorsque l’efficacité peut être atteinte à un moindre coût, pourquoi s’en priver ? En tant que médecin, je considère que le management – la recherche de la performance – est un élément d’efficacité et de sécurité, et par conséquent un devoir éthique. C’est cette pédagogie qu’il faut introduire dans les hôpitaux. Nos collègues doivent accepter cette nécessité, sans pour autant nier l’importance du service. Le chef de pôle, qui, bien que n’étant pas le chef hiérarchique, est formé pour le management, pour mener des projets médicaux au nom de la communauté des chefs de service, doit rechercher la performance. Nous sommes, au sein de notre syndicat, sensibles à cet argument, mais cette pédagogie ne pourra être mise en place que s’il existe une véritable délégation de gestion. À cet égard, nous attendons avec impatience les textes réglementaires.

M. Jean-Pierre Esterni, secrétaire général du Syndicat national des médecins chirurgiens spécialistes et biologistes des hôpitaux publics. Je vais tenter de répondre à votre question concernant la qualité et l’hétérogénéité des référentiels. J’aborderai trois points : la motivation et l’organisation du travail à l’hôpital, la gouvernance territoriale et les statuts.

S’agissant de la motivation, l’environnement dans lequel nous travaillons a considérablement changé. J’exerce la médecine hospitalière depuis près de trente-cinq ans : je suis devenu un médecin interactif. Je suis désormais confronté à des priorités de santé publique, à une concurrence de plus en plus aiguë entre les plateaux techniques, publics et privés. Au sein de ma structure, je dois faire face à des disciplines et à des métiers de plus en plus nombreux, notamment avec les fameux codages et les nouveaux systèmes d’information.

Le système d’information hospitalier, à la fois balbutiant et très sophistiqué, souffre d’un manque d’harmonisation. J’ai pour ma part du mal à m’y intégrer, bien que la collecte des informations à la source fasse partie de ma fonction. Mais je me trouve dans une chaîne de production. Centrer la tarification à l’activité sur certains actes médicaux a une conséquence : les actes cliniques et intellectuels ne sont absolument pas valorisés, et moins encore les actes de coordination, qui assurent pourtant la qualité des soins à l’hôpital. L’acte médical n’est qu’un des éléments d’une chaîne de production ; le secrétariat, l’accueil, l’administration, l’écoute téléphonique sont tout aussi importants pour assurer l’efficience. Pourquoi, dans ces conditions, avons-nous un codage au tarif, et non à l’efficience ?

Quant au système d’information, il n’est absolument pas optimisé. Certains établissements utilisent la base d’Angers, d’autres codent à la main, d’autres encore pratiquent le case-mix. Tout cela est très opaque, et il est difficile d’effectuer des comparaisons et de faire évoluer les tarifs au juste prix.

Si, en matière de référentiel qualité, les choses ne vont pas assez vite, c’est que l’obligation concerne uniquement la profession médicale. Or, les médecins ne sont pas les seuls acteurs de la qualité au sein de l’hôpital. Pour que la qualité augmente dans tous les établissements, il faut réduire l’hétérogénéité territoriale. En l’absence de politique territoriale et d’harmonisation des communautés hospitalières, nous ne pourrons améliorer la qualité. Tant que le pôle sera situé à l’intérieur d’une structure hospitalière, il ne s’intéressera pas à la structure voisine, se contentant d’être compétitif.

La fameuse interactivité est déséquilibrée. Moi qui exerce depuis trente ans, j’ai subi une régression en matière de pouvoir de décision, et je me demande si je ne deviens pas un simple agent d’exécution en matière de permanence des soins ou de tarification. Pour un jeune médecin, ce n’est pas très motivant !

Pour ce qui est de la gouvernance territoriale, nous avons soutenu les réformes tendant à instaurer une gouvernance médico-administrative. La tendance à une gouvernance verticale que nous constatons aujourd’hui ne nous paraît pas aller dans le bon sens, car elle priorise la mise en œuvre de projets qui ne sont ni des projets d’établissement ni des projets médicalisés, mais des projets de retour à l’équilibre. Cette tendance n’est pas un bon modèle de gouvernance. Si j’osais un parallèle, je dirais que le pilotage vertical du plan grippe n’a pas été un modèle, pas plus au plan de l’efficacité qu’au plan économique. En bref, il faut mettre en place une véritable délégation de gestion et nous appuyer sur les projets médicalisés, en partant de ceux-ci au lieu de les adapter aux objectifs. Les agences régionales de santé nous en donneront peut-être l’occasion.

J’en viens aux statuts. Il faut, dans ce domaine, diversifier et reconnaître la diversité des parcours. Il est impensable pour un praticien d’envisager une carrière linéaire. Il faut par ailleurs revoir la politique d’intéressement, tant sur le plan matériel qu’en termes d’autonomie. Un médecin autonome éprouve plus d’intérêt pour son métier.

Il faut valoriser les actes intellectuels et cliniques, associer les personnels non médicaux, dont chacun reconnaît l’importance, à l’intéressement et valoriser le professionnalisme. Le médecin doit rester un manager. Pour cela, il faut admettre la délégation de gestion et de responsabilité.

M. Roland Rymer. S’agissant du passage d’un établissement à l’autre, nous attendons beaucoup de la communauté hospitalière de territoire, nouvelle organisation territoriale et régionale de l’hôpital, à condition qu’elle ne soit pas un échelon administratif supplémentaire.

M. le coprésident Pierre Morange. La Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (MEAH) et, désormais, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) réalisent un travail de grande qualité. Nous regrettons que les bonnes pratiques concernant les motivations du personnel, le rapport coût-efficacité et les dimensions éthiques, sanitaires et financières, ne soient pas généralisées. Savez-vous qu’à l’hôpital Beaujon, nous avons réussi, par des mesures simples, à réduire de 40 % en quelques mois le délai d’attente aux urgences ? Les solutions existent donc. Nous regrettons l’inertie qui prévaut en matière d’organisation du travail.

M. Roland Rymer. Je partage votre analyse. À l’hôpital dans lequel je travaille, nous avons utilisé très largement des référentiels de la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers.

M. François Aubart. Je suis d’accord avec les intervenants précédents. Les structures de qualité font le miel de l’Administration, mais il existe un hiatus entre ces structures et le réseau matriciel de l’hôpital. En bref, nous sommes allergiques à l’Administration…

M. le coprésident Pierre Morange. Merci pour votre sincérité !

M. François Aubart. Je ne nie pas la place de l’Administration, mais il importe de médicaliser la décision sans multiplier les structures tutélaires et les strates intermédiaires. Il faut mobiliser les structures professionnelles et référentes qui nous sont naturelles – collèges, sociétés savantes et scientifiques –, responsabiliser les équipes et les doter de chefs d’équipe leaders. Comme l’a fort bien dit Freud : « Il y a un délire beaucoup plus grand que celui de l’incohérence, c’est le délire de la cohérence ». N’abusons pas de l’homogénéité !

M. Mallot a posé une question essentielle : que sera l’hôpital en 2020 ? Certes, les législateurs n’investissent, notamment à travers les lois de financement de la sécurité sociale, que dans l’immédiateté. Mais si nous n’engageons pas une réflexion sur ce que seront notre système de santé et l’hôpital en 2020, comment saurons-nous si nous avançons dans la bonne direction ?

M. Jean-Claude Penochet, vice-président et président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux. Vous nous avez demandé d’indiquer nos préconisations pour améliorer les pratiques et la qualité à l’hôpital. Celui-ci est devenu une véritable usine à gaz, en particulier à cause des accréditations. Nous avons bureaucratisé la qualité, ce qui est le meilleur moyen d’aboutir à un échec. Il faut revenir à des pratiques plus simples. Ce sera peut-être difficile, pourtant nous savons qu’un simple questionnaire avant une intervention chirurgicale réduit de 40 % le nombre des conséquences malheureuses. Il faut adopter des procédures simples, qui sont au demeurant peu coûteuses.

Qu’est-ce, d’ailleurs, que la qualité ? Il convient tout d’abord d’encourager certaines pratiques, notamment à travers les rémunérations. Mais il y a un écueil : la préoccupation de qualité se limite aux secteurs qui ont décidé de l’appliquer, elle ne concerne pas le patient qui attend dans le couloir ! La qualité doit être comprise dans sa globalité, et l’ensemble des acteurs doivent se l’approprier.

Les médecins sont naturellement intéressés par la qualité, mais lorsque les procédures d’accréditation parviennent à l’hôpital, on voit bien qu’ils ne se les sont pas appropriées, ce qui pose la question de l’organisation et du management à l’hôpital. Un médecin qui appartient à une équipe est heureux de participer aux actions de soins. Entre le pôle et la cellule de base, il manque un échelon que l’on a cassé : le service. Il faut absolument le recomposer, sur une base médicale. Un médecin doit pouvoir décider à quel poste, à l’intérieur du service, il veut affecter les infirmières. Or, la décision ne lui appartient plus. Et l’échelon du pôle, beaucoup trop important, ne permet pas au chef de pôle de gérer ces affectations au quotidien.

Par ailleurs, il faut financer la formation des médecins, et ce financement doit être totalement déconnecté des intérêts de l’industrie pharmaceutique. Si la République veut des hôpitaux qui fonctionnent bien, elle doit en garantir la qualité et donner aux médecins les moyens d’être financés. Or, la formation médicale continue représente 1 % de la masse salariale !

Il est essentiel de réévaluer la rémunération de base, car 20 % des postes sont budgétisés mais ne sont pas occupés. Il nous manque aujourd’hui un médecin sur cinq ! Comment, dans ces conditions, proposer une médecine de qualité ? Certaines populations de 70 000 à 100 000 habitants n’ont pas de psychiatre ! N’est-ce pas là qu’il faut améliorer la qualité ? Nous ne nous en sortirons pas sans engager une réflexion sur la place du praticien au sein de l’hôpital.

M. Pierre Faraggi, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux. Je suis parfaitement d’accord avec ce qui vient d’être dit. Je rappelle que la qualité et l’accessibilité des soins à l’hôpital se réfèrent d’abord à la démographie professionnelle. François Aubart a eu raison de souligner le rôle des infirmières. Le déficit des effectifs médicaux se réfère à l’attractivité des carrières médicales à l’hôpital, qui repose sur la responsabilité des praticiens, l’initiative et la promesse d’un parcours professionnel exaltant. Nous sommes issus de spécialités différentes, mais chacun d’entre nous reconnaît qu’il exerce un métier passionnant. Il faut qu’il le reste, et l’attractivité de notre métier passe par l’indépendance professionnelle et les capacités d’initiative. Pour assurer la qualité des soins et la cohérence des pratiques, il faut médicaliser la décision. C’est incontournable.

L’attractivité de la carrière médicale à l’hôpital public repose également sur des conditions de rémunération attractives. Cette attractivité doit être renforcée, ou tout au moins préservée.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie d’avoir répondu de façon précise sur un sujet aussi vaste, et je vous invite à nous faire part de toute proposition complémentaire.

La séance s’achève à treize heures.