Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 1er juillet 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, ouverte à la presse, sur la lutte contre la fraude sociale

– Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Laurent Rabaté, conseiller maître : présentation de la communication de la Cour des comptes à la MECSS sur la lutte contre les fraudes aux prestations dans les branches prestataires du régime général

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 1er juillet 2010

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, et de M. Laurent Rabaté, conseiller maître.

M. le coprésident Jean Mallot. La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale engage ce matin ses travaux sur un nouveau thème : la lutte contre la fraude sociale. Il nous a paru opportun de les commencer en invitant la Cour des comptes à nous présenter ceux qu’elle a pu réaliser sur le sujet, notamment à notre demande – à laquelle elle a répondu en nous adressant une communication. Nous avons donc le plaisir d’accueillir Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Laurent Rabaté, conseiller maître, que je remercie de leur présence.

Notre rapporteur sur ce thème important, sensible et assez médiatisé, sur lequel il faudra à la fois améliorer nos informations et dissiper quelques idées fausses, sera notre collègue M. Dominique Tian.

Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. Nous avions décidé de faire ce travail avant même que vous ne nous le demandiez, précisément parce que nous étions un peu exaspérés d’entendre que, si l’on éradiquait la fraude, la sécurité sociale n’aurait plus de problèmes. C’était certes avant la crise, et les déficits à combler étaient inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui. Il reste que la fraude sociale est un sujet important, non seulement en raison de ses conséquences financières, mais aussi parce qu’elle va à l’encontre de l’équité.

La communication que vous nous aviez demandée il y a déjà longtemps vous a été remise en avril dernier. Ce délai nous a permis d’intégrer les premiers effets de la politique volontariste menée depuis quelques années en matière de lutte contre la fraude.

Avec votre accord, nous avons circonscrit le champ de notre enquête à la fraude aux prestations dans le régime général. En effet, lorsque nous avons commencé ces travaux en 2008, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires relatif à la fraude aux prélèvements était relativement récent. Par ailleurs, une étude sur la fraude en matière d’assurance chômage a été publiée en février dernier dans le dernier rapport public annuel de la cour.

Notre bilan est en demi-teinte. La cour, qu’on accuse parfois de ne relever que ce qui est négatif, a souhaité mettre aussi en évidence les progrès réalisés en matière de lutte contre la fraude.

Le Comité de lutte contre la fraude créé en 2006 avait un champ d’action circonscrit à la protection sociale. S’ensuivit la lettre de mission du Président de la République et du Premier ministre visant à l’établissement d’un plan de lutte contre toutes les fraudes et pratiques abusives portant atteinte aux finances publiques ; il y était précisé que les enjeux les plus importants se trouvaient certainement dans les fraudes aux prélèvements. Puis fut instituée la délégation nationale à la lutte contre la fraude, par décret du 18 avril 2008. Celle-ci n’existait donc pas encore lorsque nous avons commencé nos travaux mais nous avons pu voir dans un deuxième temps comment, grâce à elle, la situation avait progressé.

Cette impulsion politique s’est également traduite dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG), signées entre l’État et chaque caisse nationale de sécurité sociale. La troisième génération de COG comportait déjà quelques éléments nouveaux ; mais c’est surtout la quatrième génération – les conventions signées depuis l’année dernière – qui marque la volonté de mieux détecter, mieux évaluer, mieux sanctionner et aussi mieux prévenir les fraudes. Au-delà de ces bonnes intentions, tout réside bien sûr dans la force des objectifs et dans celle des indicateurs permettant de suivre leur réalisation ; or nous avons observé que ces objectifs manquaient d’ambition, étant parfois en deçà des résultats déjà obtenus – mais ce n’est pas seulement en matière de la lutte contre la fraude que nous avons constaté ce phénomène.

Quoi qu’il en soit, les caisses se sont engagées à affecter des moyens à cette lutte, preuve de leur investissement en ce domaine. Elles nous disent cependant que, la première de leurs priorités demeurant de servir les prestations, et à un moment où on leur demande de limiter leurs effectifs, elles auraient bien du mal à affecter des personnels supplémentaires à la lutte contre la fraude. Il reste que toutes doivent maintenant élaborer des plans annuels de lutte contre la fraude aux prestations. Par ailleurs, dans le cadre de la certification des comptes, nous avons pu observer que les plans de contrôle interne s’améliorent et comportent tous des volets anti-fraude.

Mais les organismes sont soumis à des pressions contradictoires – et notamment à la volonté politique de simplifier les procédures et les formalités administratives imposées aux citoyens. Ainsi, un décret de 2000 a supprimé la fiche d’état civil, assoupli la procédure de fourniture de justificatifs et admis les photocopies – plus faciles à falsifier.

Le rapport donne l’exemple de la fraude au départ anticipé à la retraite : des personnes se sont efforcées de faire valider des trimestres en produisant des pièces justificatives plus que légères et en faisant appel à des témoins qui, parfois, n’étaient pas nés au moment où elles étaient censées travailler… Des agents des caisses ont été impliqués dans cette affaire, les procédures sont en cours ; depuis, le système a été durci.

Quant aux déclarations sur l’honneur, elles ont longtemps été considérées comme un grand progrès simplifiant la vie des assurés, mais elles comportent des risques : on évalue à 40 à 50 % la part des fraudes qui proviennent de la production de fausses pièces ou de fausses déclarations.

Les textes ont certes été modifiés et permettent, depuis la loi de financement pour 2006, de suspendre le paiement des prestations dès lors que l’on soupçonne une fraude et que les pièces ne paraissent pas suffisamment probantes. Mais il n’est pas aisé pour les organismes de recourir à ce moyen.

Nous avons constaté que la situation était très variable d’une branche à l’autre. Les fraudes en matière de retraites sont – ou en tout cas étaient – certainement moins nombreuses, en raison du processus d’alimentation du compte individuel, souvent de manière automatisée, et d’assez nombreux contrôles jusqu’à la liquidation de la retraite. Mais s’il y a fraude, elle peut être très coûteuse, dans la mesure où la pension est viagère. Dans la branche Maladie, les fraudes sont plus ponctuelles – sauf lorsqu’il s’agit de fraude « industrielle », c’est-à-dire de détournements organisés – mais les risques sont plus diffus, la gamme des prestations étant très vaste. Enfin, c’est dans la branche Famille, qui sert des prestations sous conditions de ressources à des familles souvent fragiles, que se trouvent les risques les plus importants.

Nous avons également fait le recensement des dispositions que vous avez votées. La loi de 2004 sur l’assurance maladie a donné aux caisses d’assurance maladie le pouvoir d’infliger des sanctions administratives aux fraudeurs, ce qui est extrêmement important. Ensuite, les lois de financement successives, à partir de 2006, ont toutes comporté des dispositions relatives à la lutte contre la fraude, celle-ci faisant, depuis 2008, l’objet d’un titre spécial ; le code de la sécurité sociale lui-même comprend un chapitre spécialisé. Au total, nous avons compté une trentaine d’articles ; nous nous sommes demandé si ce n’était pas un peu trop, mais ces articles se modifiant souvent les uns les autres, on n’arrive pas à trente dispositifs différents. Le problème est que la mise en œuvre de ces dispositions suppose des décrets et circulaires ainsi que des processus informatisés, voire un passage devant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ce qui peut prendre du temps. Nous avons formulé dans notre rapport le souhait d’un suivi plus fin de la mise en œuvre de toutes ces dispositions.

Les sanctions ont été diversifiées. Après l’assurance maladie, les autres branches ont également été autorisées par la loi à infliger des pénalités administratives. Les sanctions pénales sont limitées en nombre, les procédures étant très longues, et les parquets classent très souvent les affaires ; or ce qui compte, c’est la rapidité de réaction.

La réforme de la loi « informatique et libertés », en 2004, a également été favorable à la lutte contre la fraude. Je me rappelle l’époque où l’on n’avait pas le droit de constituer un fichier d’assurés sociaux : en 1982, pour les seules élections organisées à la sécurité sociale, il avait fallu créer de toutes pièces un fichier électoral, que la CNIL nous a obligés à supprimer ensuite. Ce fichier d’assurés sociaux aurait pourtant été bien pratique car, à l’époque, on savait déjà que des gens pouvaient être inscrits dans plusieurs caisses primaires et recevoir des prestations à plusieurs endroits. Du chemin a été parcouru depuis.

Dans la branche Famille, tout d’abord, le répertoire national des bénéficiaires, qui est enfin opérationnel, a contribué à nous permettre de certifier, pour la première fois, les comptes de la branche. Jusque là, faute de répertoire, il était possible de recevoir des prestations familiales de plusieurs caisses d’allocations familiales.

La levée du secret professionnel a constitué une autre avancée importante, mais nous avons constaté certaines réticences de la part des organismes : face à de multiples textes définissant les cas précis de levée du secret professionnel, ils ont peur d’être en infraction et sont un peu frileux. Peut-être faudrait-il aller vers des dispositions plus générales, précisant néanmoins, bien sûr, les finalités poursuivies.

Les moyens informatiques doivent évidemment aider fortement à lutter contre la fraude. Grâce à ceux dont nous disposons actuellement, il a été possible de créer les fichiers dont je viens de parler. Les caisses peuvent non seulement interroger les administrations pour obtenir des informations, mais aussi échanger directement avec elles. C’est ainsi que la branche Famille reçoit directement de la Direction générale des finances publiques les données sur les ressources des familles ; celles-ci ne sont donc plus obligées de remplir deux déclarations, et l’on ne risque plus de constater de divergence entre la déclaration au fisc et la déclaration à la caisse d’allocations familiales – ce qui générait chaque année un grand nombre d’indus.

Pour autant, tout n’est pas idyllique. Le dispositif est complexe, la CNIL fait peur et les organismes craignent toujours d’être en infraction. On a l’impression qu’ils ne savent jamais très bien s’ils sont dans une procédure de demande d’avis, d’avis tacite, d’autorisation tacite ou d’autorisation expresse. Les caisses s’abriteraient-elles derrière la CNIL pour ne pas avancer ? Le problème vient-il du flou qui entoure les exigences de la CNIL ? Sans doute y a-t-il un peu des deux. Quoi qu’il en soit, il serait bon que, sous l’égide de la direction de la sécurité sociale ou de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, un point soit fait périodiquement avec la CNIL sur les demandes des caisses, afin de dissiper les malentendus.

La lutte contre la fraude passe aussi, bien sûr, par des moyens humains. La Délégation nationale à la lutte contre la fraude est un outil puissant, permettant de mettre en relation des administrations et des organismes qui, spontanément, ne travailleraient peut-être pas ensemble. Les comités locaux, qu’un texte récent a généralisés dans les départements, avec des groupes de travail spécialisés, jouent un rôle notable. Toutes les caisses nationales ont créé un service dédié pour piloter le dispositif et tenter d’entraîner l’ensemble du réseau dans la démarche. Mais dans les caisses locales, du fait des différences de taille, de la diversité des modes d’organisation et de la tradition de non-intervention des caisses nationales, il est plus difficile de savoir qui se consacre à la lutte contre la fraude. Seuls les gros organismes peuvent avoir des référents dédiés ; il reste que normalement, tous les personnels des caisses devraient avoir le souci de débusquer les fraudes et d’alerter en cas de suspicion.

Après avoir examiné les moyens de la lutte contre la fraude, nous nous sommes interrogés sur l’ampleur des fraudes potentielles, en nous demandant si les caisses s’étaient préoccupées de l’évaluer, sachant qu’elles communiquent sur la fraude détectée, ce qui peut avoir un effet préventif, mais qu’il serait intéressant d’en savoir plus.

Seule la branche Famille a commencé à mettre en place une procédure d’évaluation, sur la base d’un échantillon représentatif. Cette procédure a permis d’évaluer la fraude à un peu plus de 1 %, ce qui, par extrapolation, représenterait 675 millions d’euros pour l’ensemble de la branche. Mais il ne s’agit pas du montant du préjudice financier puisque, lorsque les fraudes sont détectées, on tente de récupérer les indus – même s’il n’est pas toujours facile de le faire lorsqu’il s’agit de personnes fragiles.

Pour le moment, les autres branches n’ont pas encore mis en place de procédure analogue. Le 14 juin, la Caisse nationale d’assurance vieillesse a annoncé avoir constaté le versement de 3,3 millions de prestations indues en 2009, soit 22 % de plus qu’en 2008, mais ce faisant, elle a surtout voulu montrer ses progrès dans la détection des fraudes. De la même façon, la branche Maladie communique sur la fraude détectée, mais cela ne permet pas d’avoir un ordre de grandeur de la fraude réelle. Cependant les caisses ont bien compris qu’elles vont devoir faire des efforts en ce domaine, comme le leur imposent les conventions d’objectifs et de gestion.

Au total, nous considérons que beaucoup de progrès ont été faits. L’existence d’un dispositif juridique et de capacités techniques, associée à une sensibilisation accrue, permet de passer au stade du chiffrage du vrai risque de fraude.

Encore faut-il, cependant, s’entendre sur ce qu’est la fraude. Dans les branches Famille et Vieillesse, on s’en tient essentiellement à cette notion, mais dans la branche Maladie on utilise aussi celles d’abus, d’erreur, de faute, entre lesquelles les frontières sont poreuses. Et les caisses adoptent souvent des modalités de comptage qui leur sont propres : ainsi dans la branche Vieillesse, on calcule la « fraude évitée » – la détection d’une fraude permettant d’éviter le service de la prestation indue pendant les années restant jusqu’au décès de la personne.

Pour approcher d’un peu plus près la réalité de la fraude, une bonne solution serait de sélectionner les organismes les plus diligents en matière de détection de fraudes et de procéder par extrapolation à l’ensemble du réseau.

M. le coprésident Pierre Morange. Sur les 675 millions d’euros que pourrait représenter la fraude dans la branche Famille, nous avez-vous dit, avez-vous une estimation du montant récupéré ?

M. Laurent Rabaté, conseiller maître à la Cour des comptes. Dans la branche Famille, les taux de récupération des indus sont traditionnellement assez élevés car, le plus souvent, la récupération se fait sur les prestations – ils sont de l’ordre de 80 %. Mais sur les 675 millions, le préjudice est d’environ 170 millions, une part étant en admission en non-valeur et une part étant prescrite.

Mme Rolande Ruellan. La branche Famille a tendance à traiter les indus frauduleux comme les autres indus. De ce fait, il n’y a pas de réelle différence de procédure, même si en principe le délai de prescription n’est pas le même dans les deux cas.

Dans la branche Maladie, le fait que les frontières ne soient pas nettes entre fraude, abus et faute s’explique sans doute par le fait que face aux caisses, il y a non seulement les assurés, mais aussi les professionnels de santé. Il n’est pas toujours facile d’apprécier le comportement des uns et des autres et de savoir s’il est frauduleux ou si l’on a « optimisé » les imprécisions ou les failles de la réglementation.

Dans la branche Famille, et le rapport en donne de nombreux exemples, le principe était de considérer les bénéficiaires comme insoupçonnables. Il fallait que la qualification pénale puisse être établie pour que l’on admette qu’il y avait fraude. Les choses sont en train d’évoluer ; la Caisse nationale des allocations familiales rappelle aujourd’hui que ce critère pénal n’est pas le bon.

On nous a dit, et nous y avons été sensibles, que la réglementation, par sa complexité et ses caractéristiques, prêtait à la fraude, ou en tout cas rendait le contrôle difficile. On pense bien sûr à la condition d’ « isolement » sur laquelle repose le bénéfice de certaines prestations familiales. Pose également problème le fait que les conditions de ressources soient définies différemment d’une prestation à l’autre, ce qui ne simplifie ni la compréhension des assurés ni les contrôles des organismes. Sans doute y a-t-il là un peu de nettoyage à faire.

Bref, il faudrait aussi que l’on arrive à une définition plus opérationnelle de la fraude, dans laquelle l’ensemble des caisses se retrouverait plus aisément.

Enfin, nous avons cherché à savoir comment ce qui se faisait au niveau national se traduisait au niveau des caisses locales.

À cet égard, nous avons constaté que les caisses nationales ont encore un rôle de coordination et d’impulsion insuffisant, malgré tous les outils qui sont maintenant en place. Elles restent dans l’idée qu’elles ne doivent pas attenter à l’autonomie de gestion des organismes de leur réseau. Or le fait de récupérer l’information au niveau national, de la traiter, de faire redescendre ensuite les bonnes pratiques, d’évaluer et de comparer les performances des caisses locales pourrait avoir un effet d’aiguillon. En ce domaine, les caisses nationales sont encore trop timides. Le rapport donne un exemple d’absence d’exploitation et de diffusion de bonnes pratiques : l’affaire du Subutex, à Toulouse, où la caisse a décidé, pour éviter le trafic, qu’elle ne rembourserait ce produit que s’il était, pour une même personne, prescrit par le même médecin et délivré dans la même pharmacie. Pourquoi n’a-t-on pas assuré la diffusion de cette bonne pratique dans l’ensemble du réseau, alors que son effet a été notable ? L’accompagnement des caisses locales, donc, est encore insuffisant.

Les actions de prévention sont certainement, elles aussi, insuffisantes, notamment au niveau de la communication.

C’est d’abord le cas dans la communication interne. Les agents sont considérés, par définition, comme insoupçonnables ; or on a vu, dans la branche Vieillesse, que le désir de partir très vite à la retraite avait pu être plus fort que la déontologie. La communication interne existe néanmoins, et quelques efforts sont faits – même si ce n’est pas toujours facile : il faut essayer d’éviter qu’une personne liquide sa propre retraite ou celle de son conjoint, mais on ne connaît pas toujours les liens de parenté ou d’amitié qui peuvent exister.

Quant à la communication externe, à destination du public, elle est diverse. La publicité d’une condamnation est une peine supplémentaire qui doit être prononcée par le juge – les caisses ne peuvent pas décider d’elles-mêmes de publier dans les journaux le nom des fraudeurs. En revanche, elles pourraient afficher dans les locaux des caisses, dans un but préventif, une liste anonyme des sanctions infligées. Cela commence à se faire, mais il faudrait développer cette pratique.

Nous nous sommes penchés aussi sur la question des dénonciations et de l’exploitation des signalements. Dans les pays anglo-saxons, la dénonciation est encouragée et parfois même rémunérée, mais en France, on n’aime pas la délation, surtout s’il s’agit d’une dénonciation anonyme. Tout dépend, en fait, de la culture de l’équipe de direction ou des agents. La situation commence à progresser, mais globalement ces dénonciations devraient être mieux exploitées.

Nous avons par ailleurs regretté qu’il n’existe pas de fichier des fraudes constatées. Nous donnons dans le rapport des exemples, certes anciens et un peu caricaturaux, mais parlants : une personne peut avoir à un endroit un comportement réellement frauduleux, éventuellement passible de condamnation pénale, puis changer de région et recommencer… Sans doute les caisses nationales n’ont-elles pas le droit de constituer ce genre de fichiers, mais il faudrait examiner les moyens de réunir de telles données.

Nous appelons par ailleurs l’attention sur le fait qu’une chose est de détecter une fraude, mais qu’une autre est de la poursuivre. Les poursuites peuvent demander des compétences juridiques et des capacités proches de celles d’un juge d’instruction ; bien souvent, les petits organismes ne savent pas comment procéder sans risquer d’être contestés devant le tribunal.

S’agissant des sanctions, les caisses ont parfois tendance à considérer que récupérer les indus suffit. Or si l’on s’en contente, la fraude ne coûtera rien de plus à celui qui l’a commise que s’il n’avait pas cherché à frauder. Les sanctions que la loi a permis de prononcer sont encore très peu utilisées par les caisses, et c’est dommage. Pour beaucoup de fraudes, les sanctions administratives sont beaucoup plus rapides et mieux adaptées que les sanctions pénales.

En conclusion, notre constat est, comme je le disais, en demi-teinte : il y a des progrès, notamment au niveau national, dans la prise de conscience et dans les outils, mais l’appropriation de ces derniers est un peu lente. Elle progresse néanmoins, et les caisses communiquent sur la fraude plus qu’on aurait pu l’imaginer il y a quelques années ; il faut espérer qu’elles ne se contenteront pas de le faire sur les fraudes détectées, mais qu’elles iront plus loin dans l’évaluation, la sanction et la prévention de la fraude. Mais la prévention ne dépend pas que d’elles : il faut aussi que les textes ne soient pas des « pièges à fraudes ».

M. le coprésident Pierre Morange. Merci d’avoir évoqué les travaux législatifs sur l’interconnexion des fichiers. Mais avez-vous le sentiment que les systèmes informatiques des caisses sont suffisamment élaborés, suffisamment opérationnels, compte tenu des objectifs fixés dans les conventions d’objectifs et de gestion ?

M. le rapporteur. Je crois que des retards sont annoncés, notamment à la Caisse nationale d’assurance maladie.

M. le coprésident Pierre Morange. En 2004, la précédente convention d’objectifs et de gestion prévoyait que le système serait opérationnel en 2009-2010. Or on nous a dit qu’il faudrait plutôt attendre 2013. Avez-vous fait le même constat ?

Mme Rolande Ruellan. Le décret relatif à cet échange de données venant d’être publié, nous n’avons pas encore audité les caisses sur ce point. La mise en œuvre du dispositif ne devrait pas être trop complexe, puisqu’il s’agit simplement de répertorier les prestations auquel un même assuré a droit.

M. le coprésident Jean Mallot. L’exposé très complet que vous venez de faire sur la base de la communication que la cour nous a transmise nous permet de démarrer nos travaux. Lors de nos échanges préalables, nous avons bien sûr noté la nécessité de bien faire la distinction non seulement entre les fraudes sur les prélèvements et les fraudes sur les prestations, mais aussi entre ce qui relève respectivement de la fraude, des abus, des erreurs et des dysfonctionnements, et enfin, s’agissant des actions menées, entre la prévention de la fraude et sa sanction. Les éléments que vous venez de nous exposer nous permettent d’avancer dans ces distinctions, en évitant les amalgames. Avez-vous des éléments chiffrés qui nous permettent de mesurer le poids de ces différentes réalités, et par voie de conséquence d’adapter les outils ?

Mme Rolande Ruellan. Dans le cadre de la certification, nous déterminons le taux d’erreur dans les branches Maladie et Vieillesse. En ce qui concerne la fraude, en revanche, nous ne disposons pas d’autres éléments que ceux que nous vous avons indiqués ; nous avons beaucoup hésité à avancer un chiffrage, mais nous arrivons aux alentours de 1 % des dépenses, tant dans la branche Famille que dans la branche Maladie. Certains pensent que la fraude est infiniment supérieure ; c’est peut-être le cas, mais nous n’avons pas d’éléments pour le dire. L’évaluation est d’autant plus difficile que les caisses peuvent requalifier une fraude. Dans la branche Maladie, par exemple, un comportement a priori frauduleux comme la mauvaise utilisation de l’ordonnancier bizone, s’il est très répandu, devient une erreur ou un abus. Les textes eux-mêmes sont flous ; le plan gouvernemental visait à la fois les fraudes et les abus. La fraude se définit comme la violation intentionnelle d’un texte, mais pour les caisses, il est très difficile de démontrer le caractère intentionnel de la violation. C’est le problème, également bien connu du fisc, de la bonne foi. Si celle-ci est établie, on se contentera de récupérer l’indu, la pénalité ne s’appliquant qu’en cas d’intention délibérée de ne pas respecter les textes.

M. Laurent Rabaté. Le référentiel nécessaire pour qualifier les comportements observés n’existe que depuis mars 2010 pour la branche Vieillesse, celui de la branche Famille est en cours de diffusion et la réflexion n’est qu’entamée pour la branche Maladie. Tant que nous ne disposons pas de ces référentiels, il nous est difficile de procéder à un chiffrage distinguant les différentes notions. Cependant nous sommes à même de mesurer les erreurs, dans le cadre de la certification des comptes sociaux ; le taux d’erreurs important a d’ailleurs été longtemps l’un des motifs du refus de certifier les comptes de la branche Famille. Quant à la fraude, nous considérons qu’il est possible de la caractériser sans distinctions trop raffinées, l’objectif étant que toute fraude soit sanctionnée.

M. le coprésident Pierre Morange. La France est en retard dans la construction de ces référentiels. Les travaux de nos amis anglo-saxons ont servi de base à une estimation – qu’il faut certes manier avec beaucoup de prudence –, selon laquelle la fraude atteindrait 12 à 15 milliards d’euros.

M. le rapporteur. L’estimation de la Cour des comptes est plus basse, puisqu’elle est de 3 milliards d’euros environ. C’est déjà beaucoup !

M. Laurent Rabaté. Le chiffrage du Conseil d’analyse stratégique, obtenu en extrapolant les données britanniques, est plus que fragile, étant donné la différence entre les deux systèmes sociaux. Les prestations anglaises sont davantage soumises à des conditions de ressources. La transposition n’a pas vraiment de sens.

Quant au taux de 1 % de fraude – correspondant aux 3 milliards –, il doit encore être confirmé pour la branche Famille, mais il paraît assez fondé pour les autres branches. La branche Maladie commence à avancer quelques évaluations à partir des données des caisses locales. En tout état de cause, il semble que le niveau de fraude soit inférieur à celui de la Grande-Bretagne, où d’ailleurs les premières évaluations ont été assez fortement remises en cause – à la baisse – par le National Audit Office.

M. le rapporteur. Ce qui est gênant, c’est qu’on ne sait pas quelles méthodes statistiques sont utilisées. Ainsi les caisses d’allocations familiales qui, il y a un an, estimaient le montant de la fraude à 90 millions d’euros, parlent aujourd’hui d’un montant situé entre 650 et 900 millions d’euros sur la base d’une analyse de 10 000 dossiers. Je lisais hier dans la presse que, à la suite de la demande du Président de la République, la Caisse nationale d’assurance maladie évaluait à 2 milliards d’euros les économies qui pourraient être réalisées, allant même jusqu’à évoquer des « spécialités régionales ». Tout le monde sait pourtant depuis des années que ces différences entre les régions existent… Le sentiment général de malaise s’accentue quand on entend parler d’un taux de fraude à la retraite anticipée qui atteindrait 50 % ! Dans ces conditions, on ne peut que remettre en cause l’organisation même du système, se demander s’il y a un pilote dans l’avion et constater qu’il y a eu des complicités internes. Un guide des bonnes pratiques ne devrait-il pas être établi d’urgence ? Ne pourrait-on s’inspirer de pays européens plus efficaces, tels que la Belgique, qui est en avance dans le stockage des données individuelles ? Ne constatez-vous pas, de la part des organismes sociaux, notamment la Caisse nationale d’assurance maladie, la volonté de ne pas partager l’information, ainsi que de s’affranchir d’obligations simples qui, souvent, suffiraient à endiguer la fraude ? À l’occasion de la mission d’information sur les moyens de contrôle de l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC) et des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC), j’avais observé que la simple vérification des pièces d’identité aurait permis d’éviter 95 % des fraudes.

Enfin, j’aimerais avoir votre sentiment sur le serpent de mer de la carte Vitale sécurisée. La possibilité de vérifier l’identité et l’établissement d’un dossier médical personnel ne seraient-ils pas le moyen d’empêcher un grand nombre de fraudes ?

Mme Rolande Ruellan. Notre pays part de loin : jusqu’à une période récente, il n’était pas concevable que les assurés sociaux soient des fraudeurs. Telle était la culture des organismes sociaux, du fait de la composition de leurs conseils d’administration.

Les choses évoluent doucement. Les progrès se constatent notamment sur le plan organisationnel : désormais, toutes les caisses nationales ont créé une structure dédiée à la lutte contre la fraude ; mais elles doivent maintenant se montrer plus dynamiques dans la mobilisation du réseau des caisses locales. On peut regretter le manque d’incitation des agents à la lutte contre la fraude, le calcul des primes d’intéressement des personnels ne tenant pas compte de cet élément. La délégation nationale à la lutte contre la fraude et la direction de la sécurité sociale devraient encourager les caisses nationales à mettre les caisses locales sous tension.

Reste le problème des textes. Ce sont les pouvoirs publics qui ont imposé la procédure de la déclaration sur l’honneur, dont les agents connaissaient les risques. Ainsi dans le cas de la retraite anticipée, la présence physique des témoins n’était pas exigée. En acceptant une simple déclaration sur l’honneur, les personnels des caisses n’étaient donc pas en infraction par rapport à ce qui leur avait été demandé. Depuis, des circulaires ont durci la procédure. Il y a eu un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances – non public – sur le sujet.

M. le rapporteur. Il y a quand même eu des agents mis en examen…

Mme Rolande Ruellan. Oui, pour les cas de fraude interne – tellement facile qu’il était tentant d’en profiter, pour soi ou pour ses proches. Pour le reste, la Caisse nationale d’assurance vieillesse avait très vite signalé que le dispositif était une vraie passoire, mais l’administration a tardé à le durcir ; c’est l’une des observations que nous avons formulées l’année dernière dans le rapport de certification.

M. Laurent Rabaté. La procédure de certification des comptes a contribué à faire progresser très significativement le contrôle interne, notamment par le déploiement de référentiels nationaux. Désormais, la plupart des faiblesses apparaissent : ainsi l’insuffisance du dispositif de retraite anticipée avait bien été détectée. On ne peut cependant pas encore garantir, s’agissant notamment de la branche Vieillesse, que toutes les procédures sont pleinement appliquées ; mais il ne faut pas considérer que le système est une passoire et que les risques sont très importants.

S’agissant de la fraude à l’identité, et au-delà du problème de la carte SESAM-Vitale, sur lequel la Cour s’est déjà exprimée, il faut signaler l’importance du chantier de l’AGDREF (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France), qui a mis beaucoup de temps à démarrer – la CNIL n’a d’ailleurs pas encore donné toutes les autorisations. En permettant d’interroger les fichiers nationaux quand il y a un doute sur l’identité des demandeurs de prestations, ce dispositif constituera un élément de sécurisation très utile.

Mme Rolande Ruellan. Ce chantier a été lancé en 1993, quand la loi a fait obligation aux caisses de vérifier la régularité du séjour en France des étrangers demandeurs, non seulement au moment de leur affiliation, mais également au moment du versement des prestations, ce qui est impossible sans accéder au fichier du ministère de l’intérieur. Je me souviens que les personnels des caisses trouvaient alors scandaleux de se faire ainsi les auxiliaires de la police.

Actuellement, le principal blocage vient de ce que les caisses ne souhaitent pas que les informations dont elles disposent aillent au ministère de l’intérieur et puissent servir à la police. S’il arrive que des caisses signalent des faits au procureur de la République, la plupart des agents considèrent qu’il est absolument scandaleux d’aller dénoncer un assuré social à la police.

Ce dont la Caisse nationale d’assurance maladie a fait état il y a quelques jours ne relève pas à proprement parler de la fraude : la prescription et la consommation de soins diffèrent très fortement d’une région à l’autre, d’une ville à une autre, voire d’un établissement à un autre. Le phénomène est ancien et bien connu de la Caisse nationale d’assurance maladie. Pour juguler la croissance des dépenses, il faut dans ce cas agir sur les comportements, ce qui passe par la définition de référentiels et de recommandations de bonnes pratiques et par un contrôle de leur respect – sans encadrer à l’excès la liberté de prescription des médecins.

M. Jean-Luc Préel. Il est indispensable de lutter contre la fraude, ne serait-ce qu’au titre de la solidarité, le fraudeur pénalisant l’ensemble des assurés sociaux ; mais penser qu’on résoudra ainsi les problèmes financiers de notre protection sociale est un pur fantasme. Comme cela a été dit, la fraude ne représenterait que 1 % des dépenses de sécurité sociale ; et la nature humaine étant ce qu’elle est, il est vain de penser qu’on l’éradiquera un jour. Par ailleurs, il faut distinguer la volonté délibérée de violer la règle et les problèmes de gestion des caisses.

On n’a pas encore évoqué ce matin l’incidence, sur les recettes, du travail dissimulé – qu’on ne parvient pas à juguler.

S’agissant des retraites, la possibilité de valider des trimestres sur témoignage, qui a été plus rigoureusement encadrée, reste cependant précieuse, notamment pour les aides familiaux agricoles.

En ce qui concerne la branche Famille, la vérification de la réalité de la situation de parent isolé est effectivement complexe. Concernant l’aide personnalisée au logement, il n’est pas toujours facile de savoir si la déclaration des revenus a été établie avec la volonté de frauder ou en omettant involontairement certains éléments.

Pour la branche Maladie, je ne reviens pas sur le problème de la carte Vitale. Un obstétricien m’a parlé d’une femme qui aurait accouché trois fois dans l’année, ce qui est effectivement un peu beaucoup ! Concernant les indemnités journalières, les arrêts de travail abusifs, le mauvais usage des ordonnanciers bizone, le codage des actes, les actes indus ou l’auto-prescription d’actes techniques, on voit bien que des économies sont possibles. Mais comment déterminer si ces pratiques relèvent de la fraude, de la complaisance, de la facilité, voire de l’application du principe de précaution ? Quel est le rôle de la caisse en matière de contrôle médical ? Quelles sont les sanctions ? La définition de bonnes pratiques, avec un contrôle médical, ne suffirait-elle pas à résoudre ces problèmes ?

Enfin, dans quelle proportion pensez-vous que la fraude puisse être réduite ? Si l’on passe de 1 % à 0,50 %, les problèmes financiers de notre protection sociale ne seront pas résolus, monsieur le rapporteur.

M. le rapporteur. Il ne s’agit pas de résoudre le problème du déficit des comptes sociaux, mais de mettre fin au sentiment très fort d’injustice que ressentent nos concitoyens devant les dérapages. Notre objectif est d’établir des guides de bonnes pratiques, afin de réintroduire de la logique, du bon sens et de l’efficience dans un système qui semble aujourd’hui ne plus avoir de pilote.

Mme Rolande Ruellan. Les caisses ont d’ores et déjà l’obligation d’établir des plans de lutte contre la fraude. Il reste évidemment à les appliquer. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il n’y a pas de pilote ; la prise de conscience est réelle au niveau national et doit maintenant irriguer l’ensemble du réseau. Et il faut que chaque agent soit vigilant ; même si de nombreuses procédures sont désormais informatisées, l’intuition et l’expérience gardent toute leur importance dans le traitement des dossiers les plus compliqués.

La vérification de la condition d’isolement a toujours posé de gros problèmes aux caisses. Nous faisons état dans notre rapport des différents moyens de la contrôler ; ce peut être l’envoi sur place d’agents assermentés, ou encore le recoupement des informations des caisses avec celles d’autres administrations. Les comités locaux de lutte contre la fraude permettent cette mise en commun d’informations, en même temps que la réalisation d’actions communes. Des groupes de travail essaient, sur des sujets particuliers, de trouver les meilleures solutions pour éviter la fraude.

Il faudrait aussi que les caisses utilisent mieux les données dont elles disposent et soient plus actives face à certaines anomalies statistiques. Notre rapport cite par exemple l’étonnante longévité des ressortissants algériens bénéficiant d’une retraite française en Algérie : le nombre de pensionnés centenaires, selon les chiffres de la direction de la sécurité sociale, serait supérieur au nombre de centenaires recensés par le système statistique algérien… Certes il est difficile d’aller contrôler dans le monde entier s’il y a « fraude à l’existence » des pensionnés auxquels est servie une retraite française, mais il est néanmoins possible d’agir.

En ce qui concerne les différentes pratiques évoquées par M. Jean-Luc Préel au sujet de l’Assurance maladie, nous avons observé de la part de la Caisse nationale d’assurance maladie une très grande mansuétude à l’égard des professionnels de santé, alors que les textes prévoient qu’en cas de non-respect des règles de tarification ou de facturation, le professionnel ou l’établissement peut être contraint au remboursement de l’indu dont il est responsable. Cette indulgence vise peut-être à préserver de bonnes relations conventionnelles entre les caisses et les syndicats de médecins. Les tableaux figurant dans notre rapport montrent pourtant qu’il est beaucoup plus rentable de poursuivre les fraudes et abus des professionnels de santé que de s’attaquer à ceux des assurés. Les difficultés tiennent souvent aux problèmes de frontières ; je pense au cas de ce médecin de Seine-Saint-Denis, le docteur Poupardin, qui a récemment fait parler de lui dans la presse en revendiquant ouvertement son choix de ne pas respecter l’ordonnancier bizone, afin que ses patients modestes puissent bénéficier d’une prise en charge à 100 %.

M. Laurent Rabaté. La grande difficulté en matière de fraude est de passer d’une définition théorique à une définition opérationnelle. La branche Famille a décidé de prendre en compte l’élément de récidive, qu’elle considère comme une présomption de fraude : l’oubli de communiquer une information est considéré comme une erreur la première fois, mais la transmission répétée d’informations erronées est présumée être une fraude. À l’inverse, sur l’ordonnancier bizone comme sur d’autres sujets, l’Assurance maladie s’est contentée d’adresser des mises en garde aux praticiens, sans passer à l’étape suivante de la caractérisation de la fraude et de sa sanction.

M. le coprésident Jean Mallot. Il nous reste à vous remercier de cet échange, en formant le vœu que la collaboration entre la Cour des comptes et la MECSS continue d’être exemplaire.

M. le coprésident Pierre Morange. À ce sujet, nous serions reconnaissants à la Cour de nous fournir, à partir du constat qu’elle a établi, une liste précise des mesures d’ordre législatif ou réglementaire qui pourraient être prises pour progresser dans la lutte contre la fraude.

La séance est levée à dix heures quarante.