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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 25 novembre 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 04

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

Audition, ouverte à la presse, sur la lutte contre la fraude sociale, de :

– M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et président du comité exécutif de l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS), Mme Pascale Robakowski, agent comptable, Mme Annie Rosès, directrice juridique et de la réglementation nationale, et Mme Brigitte Langlois-Meurinne, référent national en matière de fraude au département de prévention et de lutte contre les fraudes

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 25 novembre 2010

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition de M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et président du comité exécutif de l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS), accompagné de Mme Pascale Robakowski, agent comptable, de Mme Annie Rosès, directrice juridique et de la réglementation nationale, et de Mme Brigitte Langlois-Meurinne, référent national en matière de fraude au département de prévention et de lutte contre les fraudes.

M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et président du comité exécutif de l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS). Je formulerai trois observations liminaires sur la lutte contre les fraudes dans la branche Vieillesse, pour souligner tout d’abord leur caractère spécifique, puis pour rappeler les efforts importants réalisés depuis 2008, enfin pour présenter le rôle de détonateur qu’ont joué les fraudes portant sur les régularisations de cotisations prescrites, ou fraudes aux carrières longues.

Les fraudes liées aux retraites ont un caractère spécifique par rapport à celles qui concernent d’autres branches de la protection sociale. Elles portent sur l’identité, sur la carrière, sur la constitution du droit – car certains avantages sont soumis à des conditions de ressources, de résidence ou de situation familiale – ou sur les paiements.

La Cour des comptes a souligné à la page 37 de son rapport que le système d’information de la branche Vieillesse est adossé à un processus d’identification strict, le numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques (NIR), sur lequel elle a construit deux principaux référentiels uniques et nationaux : le système national de gestion des identifications (SNGI) et le système national de gestion des carrières (SNGC), lequel bénéficie d’une alimentation automatique, sans intervention humaine, à partir des déclarations des employeurs. Je précise à ce propos que la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) est investie, bien que cela ne soit reconnu par aucun texte précis, d’une responsabilité en matière de droit d’immatriculation, et qu’il convient de ne pas fragiliser cet acquis, notamment pour ce qui concerne les numéros identifiants d’attente (NIA). Un lien direct avec l’Institut national de la statistique et des études économiques permet une information quasi-immédiate en cas de décès survenu en France, ce qui permet d’interrompre la prestation. Le système connaît néanmoins quelques fragilités, liées notamment aux cas de décès à l’étranger et au fait que, dans certains cas, l’immatriculation soit possible sur la base d’un certificat de naissance.

La fraude présentant peu de bénéfice immédiat pour les personnes qui sont encore éloignées de la retraite, la branche Vieillesse a pris conscience de ce problème plus tard que d’autres branches de la protection sociale et la lutte contre les fraudes ne faisait, jusqu’à une date récente, pas partie de sa culture et n’a pas fait l’objet d’investissement de temps et de moyens à la hauteur de l’enjeu. En outre, l’anticipation du défi industriel du « papy boom », qui a fait passer en quelques mois de 450 000 à 700 000 ou 800 000 le nombre annuel de liquidations de retraites, a considérablement absorbé les efforts de la branche Vieillesse, occultant quelque peu la question de la fraude.

Des efforts importants ont néanmoins été réalisés depuis 2008, notamment par mon prédécesseur et par Mme Pascale Robakowski, agent comptable national. Tout d’abord, nous nous sommes dotés d’outils réseau et avons mis en place une structure de pilotage nationale – le département « prévention et lutte contre les fraudes » qu’anime Mme Brigitte Langlois-Meurinne –, un plan annuel, des indicateurs mesurant semestriellement l’activité des structures dédiées à la lutte contre les fraudes, une animation du réseau et des formations. Nous avons également renforcé, avec l’agent comptable, le contrôle interne au moyen des instructions nationales de contrôle, de la procédure « carrières à risque », destinée à signaler les éventuels problèmes que pourrait révéler une carrière, et du pilotage de l’audit dans le réseau.

La convention d’objectifs et de gestion pour 2009-2013, signée en avril 2009, se conforme à la priorité qu’accorde désormais la nouvelle génération de conventions de ce type à la lutte contre la fraude. Des recrutements sont prévus à ce titre et les effectifs chargés de la lutte contre la fraude pour la branche Vieillesse, déjà passés de vingt-huit personnes à la fin de 2008 à quarante-quatre à la fin de 2009, étaient de soixante et une personnes en juin 2010, avec un « référent fraude », qui, dans chaque caisse régionale, pourra faire remonter au niveau national l’ensemble des informations et animer la lutte contre les fraudes, qui concerne tous les agents de la branche. Un autre profil des agents est celui des agents de contrôle agréés et assermentés.

Nous avons également développé une politique de communication interne et externe. Ainsi, nous avons consacré toute la matinée d’une réunion des directeurs de caisses régionales, en juin 2010, à la lutte contre les fraudes, avec la participation de M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude. De même, le 14 juin 2010, la caisse nationale d’assurance vieillesse a organisé sur ce thème un point de presse qui a donné lieu à l’élaboration d’un dossier de presse diffusé sur notre site internet et d’affichettes distribuées dans le réseau, portant le slogan : « Garantir les retraites, c’est aussi agir et lutte contre la fraude ».

Nous avons en outre pris l’engagement, qui sera tenu courant 2011, de réaliser une évaluation globale – chiffrée avec prudence – du taux de fraude à l’assurance vieillesse dans le cadre des travaux de la Délégation nationale de lutte contre les fraudes.

Nous avons aussi voulu utiliser les outils législatifs pour lutter contre les fraudes et avons recouru à cette fin au dispositif des échanges inter régimes de retraite (EIRR), en vue de la majoration des pensions de réversion. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoyait une majoration des pensions de réversion pour les personnes percevant moins de 800 euros d’avantage de retraite. Afin d’éviter les inconvénients d’un système traditionnel de questionnaire rempli par les assurés, nous avons recouru à un système qui a permis de faire remonter automatiquement l’information depuis tous les régimes de retraite afin d’identifier les personnes dont des pensions de retraite étaient réellement inférieures à 800 euros et nous avons ainsi pu être certains de réserver la majoration à ceux dont la situation le justifiait. Dans le cadre de la loi de 2010 sur les retraites, nous avons étendu l’EIRR aux avantages non contributifs, afin d’intégrer les pensions de réversion et le minimum vieillesse – désormais allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) –, en vue d’une plus grande efficience.

Les premiers résultats, même modestes, apparaissent déjà : les signalements à nos partenaires se multiplient et, réciproquement, nous traitons les signalements de plus en plus nombreux qu’ils nous adressent. Le montant des préjudices constatés est en hausse, même si, là aussi, les chiffres sont modestes en valeur absolue. L’effort accompli a été clairement reconnu par la Cour des comptes, tant dans le processus de certification – car la lutte contre les fraudes n’est nullement en cause dans le fait que les comptes de la branche Vieillesse n’aient pas été certifiés pour les années 2008 et 2009 – que dans le rapport sur la fraude qui sert de fondement à vos travaux.

J’évoquerai enfin la question de la régularisation des cotisations prescrites dans le cadre des carrières longues, qui a servi de détonateur et d’accélérateur dans la lutte contre les fraudes. Le problème que nous avons rencontré tient à l’articulation malheureuse entre une nouvelle législation – la loi de 2003 qui permet aux personnes ayant accompli une carrière longue, donc cotisé sur une longue durée, de partir à la retraite avant l’âge de soixante ans, et parfois dès cinquante-six ans – et une lettre ministérielle de 1976 qui permettait de régulariser des cotisations prescrites sur la base du témoignage de deux personnes. Ce dernier dispositif était du reste très peu utilisé, car les personnes concernées, ne pouvant partir en retraite avant soixante ans, avaient généralement atteint à cet âge la durée de cotisation requise. Pour les carrières longues, la régularisation des cotisations prescrites permettait des départs anticipés.

Si cette mesure est parfaitement justifiée dans bien des cas, des fraudes ont eu lieu. Elles s’expliquent d’abord par le fait que le processus était partagé entre deux branches de la sécurité sociale – après régularisation par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), l’assuré faisait valoir ses droits auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés –, ce qui responsabilisait peu les acteurs du système.

Dès le 2 décembre 2005, mon prédécesseur, M. Patrick Hermange, a écrit à la tutelle pour l’alerter d’un nombre de régularisations qui paraissait trop élevé et portait sur un nombre de trimestres lui-même apparemment exagéré. Après cette alerte, cependant, la maturation a sans doute été un peu longue et ce n’est qu’à partir de 2007-2008 qu’un rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales a fait apparaître les fraudes. Un travail très lourd a ensuite été engagé, sous la direction d’un comité de pilotage coordonné par la direction de la sécurité sociale, pour réviser les dossiers les plus risqués en fonction de critères d’alerte pertinents. Le ciblage a porté sur 701 dossiers de régularisation de cotisations concernant les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et 500 à 600 dossiers de rachat agricole.

Les caisses ont ensuite mené une action sans précédent. Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) ont demandé par courrier aux personnes concernées si elles se rétractaient, après quoi, si ce n’était pas le cas, a été réalisé un travail d’enquête très lourd, complexe et chronophage, qu’il a en outre fallu apprendre car il s’agissait d’un savoir-faire, d’un métier nouveau. Ce travail, salué par la commission des suites de l’Inspection générale des affaires sociales, a déjà produit des résultats : 80 % des 701 dossiers ont fait l’objet d’une décision, 20 % restant à traiter d’ici à la fin de 2010. Dans un peu plus de 60 % des cas, la régularisation de cotisations prescrites a été annulée, du fait d’éléments objectifs permettant d’établir la fraude.

Il ne s’agit pas alors d’une simple suspension de pension car, la pension versée étant indue, l’indu constaté, parfois d’un montant très important, doit être remboursé, ce qui peut placer les personnes concernées dans des situations très difficiles. Ainsi, s’il était constaté que la régularisation de cotisation prescrite dont elle a bénéficié était entachée de fraude, une personne de cinquante-neuf ans retraitée depuis l’âge de cinquante-six ans verrait le versement de sa pension arrêté et devrait rembourser l’intégralité des pensions perçues depuis sa retraite : c’est loin d’être neutre.

Pour ce qui est des dossiers agricoles, la caisse nationale d’assurance vieillesse, qui est aussi, je le rappelle, caisse régionale pour l’Île-de-France, a reçu de la Mutualité sociale agricole de cette même région 71 dossiers sur 250 en cours de régularisation. Je précise qu’en cas de fraude, l’application de pénalités est systématique. Quatorze dossiers ont été traités par la Caisse nationale d’assurance vieillesse-Île-de-France depuis septembre et huit doivent l’être au début de 2011. En matière de pénalités, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 avait mis en place un dispositif assez complexe. Celle de 2009 a prévu un dispositif allégé, pour lequel le décret d’application a été publié voici environ un mois. La branche Vieillesse était peu avancée dans l’application de ce dispositif, notamment parce que le mécanisme prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 subordonnait l’application de sanctions à la constatation de l’indu. Nous utiliserons désormais sans complexe cet outil. Le nombre de dossiers ayant fait l’objet de pénalités, qui était de 13 en 2009, atteint déjà le chiffre de 27 en 2010.

S’il est évident que la lutte contre les fraudes est une exigence pour la branche Vieillesse, la prévention des dispositifs « fraudogènes » n’en est pas moins importante. En effet, certains dispositifs qui ouvrent des droits à la retraite sont plus exposés que d’autres à la fraude, car les justificatifs qu’ils exigent consistent en une déclaration sur l’honneur ou des documents plus faciles à fabriquer que par le passé, comme les bulletins de salaire. Peut-être les dispositifs législatifs et réglementaires devraient-il évoluer en conséquence. Une réflexion s’impose en la matière.

M. le coprésident Jean Mallot. Quelle part des 701 dossiers de régularisation de cotisations prescrites détectés fait-elle l’objet de contestations de la part des intéressés ? Où en sont ces dossiers ?

Par ailleurs, pourriez-vous indiquer à la MECSS quelle est votre évaluation de l’ampleur de la fraude, en pourcentage des prestations versées ou en valeur absolue ? Cette évaluation pouvant varier d’une caisse à l’autre, disposer d’ordres de grandeur nous serait utile.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelle est la proportion de saisines de la justice ?

M. Pierre Mayeur. L’évaluation de la fraude est un chantier en cours et je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre. À la suite de l’impulsion donnée par la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, nous avons défini un cadrage méthodologique pour ce calcul. Nous devrions disposer d’un chiffre pour le taux global de fraude en juin 2011.

Le montant des fraudes constatées, qui figure dans le dossier de presse, est de 3 millions d’euros. Quant aux fraudes évitées, elles s’élèvent à 22 millions d’euros.

M. le coprésident Pierre Morange. De quand vos chiffres datent-ils ?

Mme Brigitte Langlois-Meurinne. De 2009.

M. le coprésident Pierre Morange. Des montants beaucoup plus élevés ont pourtant été évoqués récemment.

Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Au 30 juin, le montant était de 3,3 millions d’euros, rejoignant donc celui de l’ensemble de l’année 2009. La part de cette somme attribuable à la carrière est de l’ordre de 900 000 euros. L’impact tient essentiellement au rachat de cotisations prescrites. Nous n’avons cependant pas la totalité des indus qui ont été générés : nous ne disposons ainsi que de 55 % des dossiers ayant fait l’objet d’une décision et pour lesquels il a été procédé à l’annulation. Il me semble que le montant des indus liés au rachat des cotisations prescrites devrait aisément atteindre 2 millions ou 2,5 millions d’euros.

M. Pierre Mayeur. Sur les 701 dossiers évoqués, au terme d’un travail très long reposant sur des critères de doute, la fraude est avérée dans 60 % à 61 % des cas.

M. Jean Mallot, coprésident. Le caractère intentionnel de la démarche est ce qui distingue la fraude de l’erreur.

M. Pierre Mayeur. Il n’y a aucun doute.

Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Parallèlement au préjudice constaté, nous calculons également la perte évitée en mettant fin à la fraude : pour un montant constaté de 3 millions d’euros, le préjudice évité, en ayant mis un terme à cette fraude, représente globalement le quadruple.

M. Pierre Morange, coprésident. Disposez-vous d’un chiffre pour les saisines de la justice ?

Mme Annie Rosès, directrice juridique et de la réglementation nationale. En dehors de l’Île-de-France, on a dénombré treize contentieux devant les commissions de recours amiable : dix à Marseille, deux à Montpellier et un à Bordeaux. Dans tous les cas, les commissions de recours amiable ont rejeté les demandes, confirmant les éléments initialement retenus. Dans deux cas, les tribunaux des affaires de sécurité sociale ont ensuite été saisis.

Dans la région Île-de-France, où la Mutualité sociale agricole a plus particulièrement été en charge des dossiers, quatorze recours ont été déposés. Le tribunal des affaires de sécurité sociale a été saisi deux fois, après rejet des demandes par la commission de recours amiable.

M. le coprésident Pierre Morange. Compte tenu du ratio de fraude évoqué par la Cour des comptes, toutes branches confondues, on peut s’étonner des données concernant la branche Vieillesse – le montant des fraudes ne dépasserait pas 3, voire 20 millions d’euros, sur 150 milliards d’euros au total.

M. le rapporteur. Pouvez-vous nous dire si des agents de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ou des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) ont été poursuivis en justice ? Avez-vous été amenés à radier certains d’entre eux ?

M. Pierre Mayeur. Le rapport entre les fraudes constatées – 3 millions d’euros – et les prestations versées par la branche Vieillesse du régime général – 92 milliards – est effectivement très faible.

À la page 37 de son rapport, la cour précise que ces résultats « ont pu alimenter un optimisme marqué des responsables de la branche, qui ont indiqué ainsi ne pas être concernés au même degré par la problématique de la fraude. Ce diagnostic est sans doute en partie exact ». La cour estime toutefois qu’on peut nuancer ce raisonnement, comme je l’ai fait dans mon propos liminaire, en particulier à la lumière des fraudes constatées en matière de reconstitution des carrières longues : ont été recensés dans ce domaine entre 2 510 et 10 000 cas de fraudes, pour un coût potentiel compris entre 10 et 45 millions d’euros.

Cela étant précisé, la cour n’a pas fourni d’estimation de la fraude pour la branche Vieillesse. Conformément aux orientations qui nous ont été données, nous allons procéder à une évaluation du taux global de fraude dans le cadre d’un travail conjoint avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude. Cette évaluation devrait être connue avant juin 2010.

M. le coprésident Pierre Morange. Je précise que je faisais référence à un ratio toutes branches confondues. Mais nous allons maintenant écouter votre réponse à la question posée par notre rapporteur.

M. Pierre Mayeur. Il serait absurde de nier l’existence de fraude à la retraite. Des cas existent. Il n’en demeure pas moins que les métiers, les activités et les systèmes d’information sont différents d’une branche à l’autre. Comme l’a reconnu la Cour des comptes, la question se pose en des termes spécifiques selon les branches concernées.

Les fraudes commises par les agents des organismes de sécurité sociale peuvent s’expliquer par deux raisons principales : certains d’entre eux sont plus susceptibles que d’autres salariés de bénéficier du dispositif relatif aux carrières longues, car ils sont entrés très jeunes dans les cadres ; en outre, des phénomènes de circulation d’informations de bouche à oreille ont pu se produire. Parmi les 1 200 dossiers faisant l’objet de suspicions – et non de certitudes, je tiens à le rappeler –, 130 agents des organismes de sécurité sociale sont concernés.

Il n’est plus possible de prononcer de sanctions disciplinaires contre les agents déjà partis à la retraite ; pour les autres, les sanctions peuvent aller jusqu’au licenciement. Plusieurs éléments d’appréciation ont été retenus par le comité de pilotage animé par M. Michel Thierry, inspecteur général des affaires sociales, à l’issue du rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales : la position hiérarchique des agents et leur implication dans le processus « retraite ». Il revient toutefois à chaque employeur, c’est-à-dire chaque caisse, d’exercer ses responsabilités.

M. le rapporteur. Nous aimerions quelques précisions supplémentaires sur le nombre des sanctions administratives.

Nous avons appris, par ailleurs, que certains agents faisaient l’objet de poursuites judiciaires : deux affaires sont en cours, dont une à Marseille, et la police a procédé à des mises en examen. Pouvez-vous nous dire combien d’agents sont concernés, et combien de radiations ont été prononcées par les organismes de sécurité sociale ?

M. Pierre Mayeur. Je le répète : nous n’avons pas de certitudes dans ces 130 dossiers. Tous les agents concernés ne sont pas nécessairement coupables.

Je peux vous dire, en revanche, que six licenciements ont été décidés. Pour les agents déjà à la retraite, nous déposons systématiquement plainte et des sanctions administratives peuvent être prononcées.

Mme Annie Rosès. Une action pénale est effectivement en cours à Marseille, sur la base d’une plainte déposée par l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), mais nous n’avons pas de retour précis en qualité de caisse nationale. S’agissant de l’Île-de-France, nous nous sommes associés aux plaintes déposées par la Mutualité sociale agricole. Nous n’avons pas encore reçu de convocation, mais l’affaire suit son cours.

M. le rapporteur. Il me semblerait utile que la caisse nationale, à laquelle revient un rôle de pilotage, s’intéresse au cas des agents mis en examen. Il serait bon que nous puissions connaître les chiffres en la matière. Nous aimerions également savoir combien de radiations et de retraites anticipées ont eu lieu.

Par ailleurs, pouvez-vous nous dire en quoi consistent les fraudes ? Les agents ont-ils reçu de l’argent pour fermer les yeux sur certains dossiers ? Ont-ils avantagé leur famille ? Existe-t-il des complicités internes avec des grandes entreprises ? Y a-t-il eu un réseau qui aurait « vendu » des dossiers fabriqués de toutes pièces ? De fait, des éléments parus dans la presse le laissent penser.

Mme Annie Rosès. Mise à part l’affaire de Marseille, dans laquelle des entreprises sont susceptibles d’être concernées, nous n’avons pas détecté de filières organisées dont l’existence se traduirait par des versements d’argent à des agents appartenant aux organismes de sécurité sociale – les travaux du comité de pilotage et de l’Inspection générale des affaires sociales confirment cette analyse. Il semblerait plutôt que des informations aient été transmises de bouche à oreille et que des dossiers aient été instruits avec un certain laxisme, sans véritable vérification des informations apportées par les témoins ou par les intéressés. L’affaire est entre les mains de la justice, mais il ne semble pas qu’il y ait eu des fraudes massives, impliquant des reversements d’argent : on est plutôt dans le cadre d’informations circulant au sein des entreprises, sans que leur implication soit établie pour l’instant, faisant état de la facilité avec laquelle la régularisation des situations pouvait être obtenue : deux témoins et une déclaration sur l’honneur suffisaient. Le dispositif était, en effet, très peu encadré par les organismes qui étaient alors en charge de le gérer, à savoir les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et la Mutualité sociale agricole.

M. le rapporteur. Si l’on en croit la presse, certains intéressés auraient commencé à travailler à l’âge de deux ou trois ans, voire avant d’être nés… N’y a-t-il pas un problème de contrôle interne ?

Mme Annie Rosès. Certains éléments laissent penser que les dossiers auraient dû être instruits différemment, ce qui renvoie effectivement à la question du contrôle interne et de la vigilance exercée.

Jusqu’au 1er janvier 2010, les dossiers étaient gérés par la branche Recouvrement, dont ce n’était pas le cœur de métier. Ils ont été suivis de façon assez hétérogène par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et le contrôle interne a été défectueux dans certains cas. Suite aux alertes que nous avons adressées dès le mois de décembre 2005, le dispositif de vérification a été recadré en janvier 2008 par voie de circulaire ministérielle, puis un décret est venu apporter des éléments complémentaires.

Depuis le 1er janvier 2010, c’est la branche Vieillesse qui est en charge de la question : tous les dossiers en cours lui ont été transférés et les demandes de régularisation des cotisations prescrites sont désormais gérées par les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT).

J’ajoute que nous appliquons de façon extrêmement stricte les procédures de vérification : très peu de dossiers aboutissent en matière de régularisation de cotisations prescrites.

M. le rapporteur. Permettez-moi de revenir un instant sur le rapport de la Cour des comptes. Il est indiqué, page 37, que « l’estimation fournie par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés paraît fortement sous-estimée ».

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Le dispositif relatif aux carrières longues a posé un certain nombre de difficultés. Nous sommes parfois amenés à intervenir, en tant que parlementaires, pour aider nos concitoyens à trouver le bon interlocuteur quand il s’agit de reconstituer les carrières. On peut imaginer que le nombre des intéressés tend maintenant à se réduire. Pouvez-vous nous indiquer si beaucoup de personnes sont encore concernées ?

Pour avoir aidé une personne qui se trouvait dans cette situation, j’ai pu constater qu’il n’est pas toujours facile de reconstituer sa carrière en l’absence de déclarations de cotisations et de fiches de salaire. Vous avez indiqué qu’une attestation sur l’honneur pouvait suffire. Il m’a semblé que la situation s’était améliorée en matière de reconstitution de carrière et que l’on disposait maintenant de tous les éléments nécessaires pour vérifier que la situation de la personne correspondait bien aux relevés. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes exactement ?

M. Pierre Mayeur. Nous avons enregistré en 2009 une forte diminution des départs à la retraite dans le cadre du dispositif des carrières longues. L’augmentation de la durée de cotisation, passée à 164 trimestres, a réduit les entrées dans le dispositif ; la sécurisation et le durcissement des procédures en matière de régularisation a également joué un rôle ; nous arrivons, par ailleurs, à une génération qui a connu la scolarisation obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans. Ces trois facteurs expliquent que le nombre d’entrées dans le dispositif de carrières longues soit passé de plus de 120 000 en 2008 à 25 000 en 2009.

Nous anticipons une certaine remontée en puissance du dispositif en 2010, car certaines personnes pourraient liquider leur pension cette année en raison de la modification des règles applicables. Le nombre des intéressés pourrait alors s’élever à 35 000 ou 40 000, ce qui reste tout de même limité. Je précise, par ailleurs, que sur les 600 000 dossiers de carrières longues, moins de 100 000 font l’objet d’une régularisation de cotisations prescrites.

En ce qui concerne la reconstitution des carrières, nous avons effectivement amélioré le processus de gestion des dossiers, et c’est heureux. Nous allons également bénéficier, de façon croissante, des progrès réalisés en matière de droit à l’information. En effet, dans le cadre du groupement d’intérêt public (GIP) Info Retraite, les personnes nées en 1975 ont reçu un relevé de situation individuelle qui leur permet de vérifier dès maintenant si certaines périodes d’activité, telles que les emplois d’été ou le travail étudiant, ont bien été prises en compte.

Mme Annie Rosès. Grâce à la déclaration annuelle des données sociales, à laquelle les employeurs sont astreints, nous reportons automatiquement les salaires soumis à cotisation dans les comptes individuels. C’est une procédure qui fonctionne bien – et cela depuis longtemps. Il peut toutefois arriver qu’une déclaration ne soit pas faite en bonne et due forme ou qu’elle comporte des anomalies – un numéro de sécurité sociale erroné, par exemple –, ce qui empêche le report des données sur le compte individuel du salarié. Lorsque ce dernier demande la régularisation de sa carrière, nous commençons par effectuer des recherches plus approfondies dans les fichiers. Si nos techniciens ne retrouvent pas les données correspondantes, ou bien si elles ne paraissent pas suffisantes au salarié, nous demandons la production des bulletins de salaire, que les assurés ont l’obligation de conserver. C’est le seul document faisant foi du précompte des cotisations.

Cette solution peut comporter des failles, car il n’est pas très difficile de confectionner de faux bulletins de salaire à l’aide de logiciels disponibles dans le commerce. Pour y remédier, nous avons instauré une procédure dite de « carrière à risque » : lorsque la période à régulariser pour un même employeur est significative et que rien ne figure dans nos fichiers à ce titre, nous procédons à des vérifications très fines : nous nous assurons de la conformité des bulletins de salaire en testant leur cohérence à partir d’une liste d’éléments probants qui doivent figurer et nous diligentons une enquête auprès de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), ainsi qu’éventuellement auprès de l’employeur et des services fiscaux.

La difficulté dans ce domaine est qu’il faut régulariser des carrières sur vingt ou trente ans : les autres documents que les bulletins de salaires, comme les avis d’imposition, ne sont pas conservés suffisamment longtemps, en particulier par les services administratifs, pour servir de mode de preuve.

En ce qui concerne le droit à l’information, je précise que des relevés de situation individuelle sont adressés tous les cinq ans aux assurés à partir de l’âge de trente-cinq ans. Cette mesure présente un grand intérêt pour notre branche, car l’assuré pourra vérifier que les informations figurant sur son compte individuel correspondent à son activité professionnelle. En cas d’anomalie, il devra contacter la caisse de retraite en vue d’une régularisation. Celle-ci est d’autant plus facile à réaliser qu’on est proche de la période d’emploi : il est plus simple de vérifier que l’employeur existe, de s’assurer auprès de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) que les déclarations sociales ont bien été exploitées et d’effectuer des recherches dans nos fichiers. Le droit à l’information est un élément important pour la fiabilisation des carrières tout au long de la vie.

M. Patrick Lebreton (usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres). L’outre-mer est régulièrement pointé du doigt pour l’intensité de la fraude sociale qui y aurait lieu. La reconstitution des dossiers peut présenter des difficultés particulières dans ces territoires, car l’administration s’est parfois déployée tardivement dans certaines terres lointaines. Un comité stratégique de la maîtrise des risques a été créé en 2009 au plan national, et des cellules « fraudes » ont été implantées localement, avec des moyens humains spécifiques. Après quelques mois d’application de ce dispositif, on peut penser que le moment est venu de procéder à une première évaluation. A-t-on constaté un taux de fraude supérieur dans les collectivités d’outre-mer en matière de retraite ? Sont-elles affectées par des types de fraude spécifiques ? Dans l’hypothèse où la fraude serait plus importante dans ces territoires, seriez-vous prêts à renforcer les moyens disponibles pour les activités de contrôle ?

M. le coprésident Pierre Morange. Qu’en est-il du rapport entre les sommes récupérées grâce à la détection de la fraude et les moyens consacrés à cette mission ?

M. Pierre Mayeur. Comme nous avons eu l’occasion de le préciser le 14 juin dernier, dans un dossier de presse qui est à votre disposition, le bilan est très favorable. Il ne faudrait pas non plus oublier le rôle important de la lutte contre la fraude en matière de prévention.

Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Nous n’avons pas constaté, à ce stade, une intensité particulière de la fraude outre-mer.

Les cellules que vous citez sont en train de se déployer. On constate, en revanche, des difficultés organisationnelles au niveau des caisses générales de sécurité sociale (CGSS), qui sont chargées de gérer différentes branches. Il semble que la coordination de la lutte contre la fraude soit un peu plus complexe outre-mer qu’en métropole.

M. le coprésident Pierre Morange. La logique du guichet unique étant spécifique au droit ultramarin, il est difficile de procéder à des comparaisons entre la métropole et l’outre-mer dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire quand le dispositif évoqué sera opérationnel ?

Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Nous devrions avoir les premiers chiffres dès 2010. Un équivalent temps plein a été attribué à toutes les caisses générales de sécurité sociale, auxquelles il revient, par ailleurs, de recruter un agent de contrôle agréé et assermenté afin de réaliser les enquêtes. J’ajoute que des objectifs ont déjà été fixés aux directeurs.

M. Patrick Lebreton. Nul ne peut ignorer la prégnance de certains problèmes dans nos territoires, notamment en matière d’immigration. Il peut en résulter des confusions et des critiques un peu faciles. C’est pourquoi nous souhaitons qu’un travail approfondi soit réalisé. En cas de difficultés spécifiques, il conviendra d’engager les moyens nécessaires.

Le nombre des dossiers de retraite à instruire a commencé à augmenter à partir de la fin des années 1970. Il me semble aujourd’hui nécessaire de procéder à des contrôles a posteriori, sans oublier la prévention, comme l’a rappelé à juste titre M. Pierre Mayeur.

Mme Pascale Robakowksi, agent comptable. Les caisses générales de sécurité sociale transmettent les mêmes données que les caisses de métropole, et elles ont reçu les mêmes instructions en ce qui concerne l’indicateur destiné à mesurer de façon aléatoire le taux de fraude au sein de notre branche. Cette opération ayant commencé en septembre dernier, nous serons probablement en mesure de fournir un premier résultat vers mars 2011. Nous pourrons alors comparer la situation des caisses générales de sécurité sociale avec celle de la métropole.

M. le rapporteur. À la page 89 de son rapport, la Cour des comptes appelle l’attention sur l’âge de décès des cotisants en fonction de leur pays de résidence. Il semble que les pensionnés nés en Algérie meurent plus tard que ceux des autres pays méditerranéens considérés… La structure par âge comporte des anomalies : la part des décès après quatre-vingt-dix ans et après cent ans des pensionnés résidant en Algérie est supérieure à celle qui est observée dans les autres pays du Maghreb. D’autres anomalies ont été constatées en matière de domiciliation : on a compté jusqu’à trente-neuf personnes déclarant habiter à la même adresse.

Vous avez indiqué que vous pouviez procéder aux recoupements nécessaires pour les personnes décédées en métropole ; la Cour des comptes semble douter que vous puissiez faire de même pour les décès à l’étranger.

Mme Pascale Robakowksi. Nous ne pouvons pas nous appuyer sur le même dispositif en France et à l’étranger. En France, nous bénéficions d’une remontée automatique des informations transmises par les mairies en cas de décès via les fichiers de l’Institut national de la statistique et des études économiques. À l’étranger, notre dispositif repose sur les certificats d’existence, qui permettent de contrôler le lieu de résidence de l’assuré ainsi que son existence ; ce certificat est obligatoire lors du premier paiement à l’étranger, puis il est régulièrement demandé à l’assuré, qu’il soit un étranger ou un Français vivant hors de nos frontières. Le certificat doit être visé par les autorités administratives compétentes, dont une liste a été établie.

Suivant la situation géopolitique des 233 pays dans lesquels nous versons des retraites, le certificat d’existence est demandé tous les ans, tous les six mois ou tous les trois mois. Il est ensuite examiné par un technicien des services compétents. En l’absence de communication du document dans un délai de deux mois, le paiement est automatiquement suspendu.

Je précise toutefois que le certificat d’existence n’est pas le seul moyen à notre disposition pour avoir connaissance des décès survenus à l’étranger. Dans un certain nombre de cas, les plus fréquents, le certificat de décès nous est adressé par la famille de l’assuré. Nous pouvons également être informés par l’intermédiaire de nos correspondants bancaires, qui sont tenus de signaler les décès dont ils ont connaissance. Le certificat d’existence n’est qu’un moyen de contrôle supplémentaire.

M. le coprésident Pierre Morange. Lors d’une précédente audition, il a été question à plusieurs reprises d’une expérimentation consistant à mandater des sociétés pour vérifier le respect des critères d’éligibilité – il s’agit en particulier de vérifier que les bénéficiaires potentiels sont toujours en vie. Nous avons été saisis de plusieurs cas dans lesquels des prestations allaient en réalité à la famille d’assurés qui avaient travaillé sur notre territoire avant de retourner dans leur pays d’origine, et la Cour des comptes s’est étonnée de l’extraordinaire proportion de centenaires dans certains pays. Il y a là une véritable question à laquelle nous devons répondre afin de ne pas alimenter certains fantasmes.

M. Pierre Mayeur. Ce sujet particulièrement sensible, qui alimente en effet bien des fantasmes, impose d’être particulièrement attentif. D’évidence, le dispositif adopté pour les bénéficiaires de prestations servies hors de notre pays, auxquels nous demandons périodiquement un certificat d’existence, est moins sécurisé que le système en vigueur en France où les informations relatives aux décès collectées par l’Institut national de la statistique et des études économiques nous sont transmises systématiquement. C’est pourquoi, tout en notant qu’« à elles seules ces atypies ne permettent pas de conclure que des paiements significatifs soient effectués à des personnes décédées résidant en Algérie avant leur décès », la Cour des comptes appelle à des contrôles renforcés. Cela étant, nous ne pouvons demander à tous les bénéficiaires de se présenter chaque mois dans les consulats de France pour prouver qu’ils sont en vie.

Mme Pascale Robakowski. Je précise que nous servons des prestations à 1 100 000 bénéficiaires résidant à l’étranger, par le biais de 12 800 000 virements. Imaginez la charge qui serait imposée aux consulats de France si c’est à eux que ce contrôle devait échoir…

Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Nous allons procéder à une expérimentation en Tunisie, avec l’aide d’un prestataire externe. Mais encore devra-t-il vérifier physiquement l’existence des assurés, sans s’en tenir à examiner ce qui figure sur les registres de l’état-civil.

M. le rapporteur. Après avoir noté que le nombre de centenaires pensionnés du régime général en Algérie est supérieur à celui de l’ensemble des centenaires recensés dans tout le pays par les services chargés du recensement, la cour observe qu’en dépit de cette anomalie c’est en Tunisie, pays « qui ne se signale pas particulièrement par une atypie statistique » que la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a décidé de procéder à un contrôle ciblé. Pourquoi ce choix ?

Mme Brigitte Langlois-Meurinne. Ce choix n’est pas le nôtre mais celui de notre tutelle. Outre que la Tunisie est favorable à l’expérimentation, le ministère pense que cet essai aura un effet d’entraînement sur les autres pays du Maghreb. Par ailleurs, l’absence d’indices de fraude apparents n’empêche pas de soupçonner des anomalies, en Tunisie comme dans certains autres pays d’Afrique.

M. Pierre Mayeur. Lancer une expérimentation de ce type dans un petit pays où nous servons moins de prestations qu’ailleurs et qui en accepte le principe présente des avantages.

Mme Pascale Robakowski. Nos techniciens sont très entraînés à la lecture des certificats d’existence. C’est d’ailleurs une des raisons des réticences de l’agent comptable à l’hypothèse de la dématérialisation : il arrive que l’on mette fin à des versements après examen de certains documents sur papier qui nous parviennent comme certificats d’existence.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel est le nombre des arrêts de paiement ?

Mme Pascale Robakowski. Je puis vous répondre pour l’Île-de-France : on y dénombre quelque 1 500 arrêts de paiement liés au non-retour du certificat d’existence chaque mois.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous serons particulièrement attentifs aux conclusions de cette expérimentation, qui devra en même temps faire la part de ce qui relève du fantasme pour éviter toute instrumentalisation et mettre fin à toute omerta éventuelle sur des pratiques frauduleuses avérées.

M. le rapporteur. Les amendements aux projets de lois de financement de la sécurité sociale successifs vous ont-ils permis de gagner en efficacité ? Facilitent-ils les contrôles comme vous le souhaitez ?

M. Pierre Mayeur. Les choses vont dans le bon sens. J’attends beaucoup, en particulier, des pénalités financières instituées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, à la condition que le dispositif soit souple et simple. Mais si de telles dispositions sont tout à fait nécessaires, il convient avant toute chose de réfléchir aux moyens de sécuriser les documents en amont, les bulletins de salaire par exemple.

Par ailleurs, le droit à l’information des futurs pensionnés ayant progressé puisque des relevés de situation leur sont désormais adressés tous les cinq ans, on pourrait imaginer qu’ils aient en contrepartie le devoir de vérifier l’exactitude de ces relevés dans un certain délai. De cette manière, après un temps donné, on pourrait considérer que les périodes de la carrière décrites dans chaque relevé successif sont consolidées sans que l’on puisse par la suite revenir en arrière au lieu que, comme c’est le cas à présent, les futurs retraités régularisent à 58 ou à 59 ans des anomalies dont ils n’avaient jamais fait état auparavant.

M. le coprésident Pierre Morange. D’une manière générale, considérez-vous suffisante la sécurité en amont ? L’interconnexion des fichiers ne permettrait-elle pas de l’améliorer ? Où en est-on, à ce sujet, de l’alimentation du serveur de Tours depuis août dernier ?

M. Pierre Mayeur. Vous me donnez l’occasion de rendre hommage ainsi au formidable travail accompli par tous ceux qui ont mis au point le répertoire national commun de la protection sociale à partir du système informatique de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés, opérateur de ce registre qu’elle met à la disposition des autres organismes de protection sociale.

Mme Annie Rosès. Il est en effet indispensable, pour renforcer la sécurisation du système, de croiser les informations mais il faut aussi le faire au plus près de la situation à vérifier. C’est pourquoi nous recommandons, en corollaire du droit à l’information des futurs retraités, de leur faire obligation de vérifier les relevés de situation dans un délai donné, pour que les régularisations éventuelles soient faites au plus tôt. Actuellement, nous éprouvons les plus grandes difficultés à procéder à des vérifications qui nous obligent à remonter vingt, trente ou quarante ans dans le temps pour retrouver des informations qui, souvent, n’existent pas ou n’ont pas été conservées. Il faudrait créer une sorte de « droit de la carrière » prévoyant des vérifications par périodes successives. Au moment de prendre sa retraite, le futur pensionné saurait ainsi que toute sa carrière, les cinq dernières années exceptées, est sécurisée. C’est aussi important pour les assurés que pour les organismes.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans une logique de continuum et de sécurisation des parcours professionnels, on pourrait en effet imaginer une sorte de « compte social », colligeant l’ensemble des droits rattachés à chaque salarié.

Mme Annie Rosès. M. Pierre Mayeur a évoqué la responsabilité particulière de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés dans l’identification des bénéficiaires des prestations et avantages de toute nature servis par les divers régimes de protection sociale. En notre qualité de gestionnaire de ce fichier, nous attribuons les numéros d’inscription au répertoire (NIR) et, dans certains cas, on peut s’interroger sur la validité des pièces, notamment venues de l’étranger. Conformément au décret, aussi longtemps que nous ne disposons pas des pièces corroborant l’état civil, nous attribuons au demandeur un numéro identifiant d’attente (NIA) afin qu’il ne soit pas privé de droits aux soins, ni de prestations familiales. Nous souhaitons que la validité du numéro identifiant d’attente (NIA) soit limitée dans le temps : ainsi, soit les pièces demandées seront fournies et le numéro identifiant d’attente (NIA) sera transformé en numéro d’inscription au répertoire (NIR), soit elles ne le seront pas et l’on en tirera les conséquences qui s’imposent en suspendant les prestations.

M. le coprésident Pierre Morange. Cela relèverait du domaine législatif me semble-t-il.

M. Pierre Mayeur. Le sujet appelle une réponse différenciée selon les organismes de la protection sociale. Pour notre part, nous considérons que ne pas prolonger outre mesure les numéros identifiants d’attente et que tirer les conséquences de la non-production des pièces requises seraient des éléments de sécurisation essentiels.

M. le rapporteur. Tout en vérifiant si les conditions de régularité du séjour sur le territoire français sont remplies.

Mme Annie Rosès. Vérification de l’identité et droit au séjour sont deux choses différentes. Dans un cas on s’assure que l’ouverture des droits concerne la bonne personne, dans l’autre que les conditions administratives d’ouverture des droits sont remplies. Le système national de gestion des identifications (SNGI) doit être le plus fiable possible, puisque c’est la porte d’entrée dans le dispositif de protection sociale ; nous nous attachons donc à ne pas introduire ni conserver dans le répertoire national commun de la protection sociale d’éléments à la fiabilité douteuse, et c’est pourquoi nous souhaitons limiter la durée de validité des numéros identifiants d’attente (NIA).

M. le rapporteur. C’est aussi pourquoi, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, j’avais souhaité la production des originaux des pièces d’identité pour le service des prestations sociales.

M. le coprésident Pierre Morange. Cette approche me paraît très pertinente mais, dans les faits, il semble que le versement d’une prestation conduise à sa pérennisation.

Mme Annie Rosès. Nous demandons qu’un délai raisonnable soit fixé au cours duquel tous les organismes de sécurité sociale feront toutes diligences pour obtenir les pièces d’état civil requises, procéder aux vérifications nécessaires et pouvoir ainsi transformer le numéro identifiant d’attente (NIA) en numéro d’inscription au répertoire (NIR). Nous avons évalué ce délai à neuf mois, voire à douze mois, compte tenu des possibles échanges de correspondances et du fait que certains services d’état-civil étrangers ne sont pas très faciles à joindre. Si, à l’échéance de ce terme, les organismes concernés n’ont pas obtenu la corroboration de l’identité de la personne concernée, le versement des prestations sera suspendu. Le processus est plus compliqué en matière d’assurance maladie – et nous préconisons de distinguer l’accès aux soins des prestations en espèces – et pour les prestations familiales. Pour ce qui la concerne, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés instruit le droit mais suspend tout paiement concernant les numéros d’attente lorsqu’elle ne reçoit pas les pièces requises.

M. le coprésident Pierre Morange. Combien de « numéros d’inscription au répertoire (NIR) d’attente » recensez-vous à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ?

Mme Annie Rosès. Cent cinquante seulement sur 12 000 000 de bénéficiaires, car nous avons réalisé un travail considérable de gestion des identifiants. Pour fiabiliser le fichier au mieux, nous avons demandé des pièces supplémentaires à tous les bénéficiaires de prestations âgés de moins de soixante-quinze ans – nous ne voulions pas inquiéter les bénéficiaires les plus âgés – pour lesquels nous n’avions pas la certitude de la parfaite fiabilité des pièces en notre possession. Le système national de gestion des identifications (SNGI) a ainsi été mis à jour. Le principe qui nous guide est que les contrôles doivent être faits a priori, à chaque demande d’entrée dans le dispositif de protection sociale, que ce soit par le biais de l’assurance maladie ou par celui des allocations familiales, car si l’on nourrit le système d’éléments non fiables, ils mettront en péril la fiabilité du répertoire national commun de la protection sociale lui-même. Le contrôle en amont est, pour l’avenir, un fort élément de prévention de la fraude.

M. le coprésident Jean Mallot. J’aimerais vous entendre confirmer que le nombre de numéros identifiants d’attente (NIA) vaut pour l’ensemble des organismes.

Mme Pascale Robakowski. En effet. Les cent cinquante dossiers auxquels il a été fait référence correspondent aux prestations d’assurance vieillesse encore versées à ce jour sous « numéro d’inscription au répertoire (NIR) d’attente ».

M. le coprésident Jean Mallot. La prévention est toujours préférable à la sanction. Or, M. Pierre Mayeur a parlé de dispositifs « fraudogènes ». Quels sont-ils ? Les connaître nous permettrait d’en limiter le nombre.

Mme Annie Rosès. Ce sont, par exemple, les bulletins de salaire. D’une manière générale, il s’agit de dispositifs qui prévoient pour s’appliquer des conditions fondées sur des informations dont nous ne sommes pas en mesure de vérifier les justificatifs. Ainsi des dispositions prévues en faveur des assurés ayant élevé des enfants – comme on en trouve encore dans la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Chacun comprend ce que signifie « avoir élevé des enfants », mais quelle preuve tangible avons-nous qu’un assuré a effectivement élevé des enfants de leur naissance à leur majorité ? Aucune – pas même les déclarations fiscales, que nul n’est tenu de conserver plus de trois ans. La preuve apportée sera donc de l’ordre de la déclaration sur l’honneur. Nous essayons de réduire au maximum ce type de dispositifs et nous sommes aussi vigilants que nous pouvons l’être, mais il serait souhaitable, au moment d’adopter de nouvelles dispositions, de songer aux éléments de preuve possibles – soit la vérification d’une situation, soit la vérification d’une période – autres que la déclaration sur l’honneur, qui est un élément d’insécurité.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je suis stupéfaite d’apprendre qu’aucun moyen ne permet de vérifier qu’un assuré a effectivement élevé des enfants pendant une longue période. Qu’en est-il des prestations familiales ?

Mme Annie Rosès. Le terme n’a pas de signification précise, et il est particulièrement difficile d’apporter la preuve, au moment où l’on prend sa retraite, que l’on a effectivement élevé des enfants pendant une longue période, quarante ans auparavant. Après avoir cessé de verser les prestations dues à un assuré, la branche Famille ne garde pas d’archives à ce sujet sur une telle durée car c’est inutile à sa gestion.

M. le rapporteur. Selon moi, il revient à ceux qui souhaitent bénéficier d’une prestation d’apporter la preuve qu’ils y ont droit. À propos des numéros d’identification, pourquoi servez-vous des prestations avant que la personne considérée ait produit l’original de sa pièce d’identité ?

Mme Pascale Robakowski. Nous ne versons pas de prestations si nous n’avons pas de numéro d’inscription au répertoire (NIR) certifié. Un numéro identifiant d’attente (NIA) n’est attribué qu’en cas de manque extrême de ressources ; un délai de deux mois est alors fixé au-delà duquel la prestation est suspendue si les pièces corroborant l’identité de l’intéressé n’ont pas été fournies.

M. le rapporteur. Deux mois, ou neuf mois comme dit précédemment, ce qui me paraît un peu long ?

Mme Pascale Robakowski. Nous avons évoqué le délai de neuf mois comme la durée limite au-delà de laquelle soit le numéro identifiant d’attente (NIA) devrait être transformé en numéro d’inscription au répertoire (NIR) si les pièces requises ont été produites, soit les prestations suspendues.

M. Pierre Mayeur. La confusion naît sans doute de ce que la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés a plusieurs casquettes. En notre qualité de branche Vieillesse, nous ne servons pas de prestations à des personnes qui ont un numéro d’identification d’attente. En tant qu’opérateur du répertoire national commun de la protection sociale et du système national de gestion des identifications (SNGI), nous avons une responsabilité particulière à l’égard de toutes les branches et de tous les organismes de la protection sociale ; dans ce cadre, nous suggérons que les organismes servant des prestations familiales ou d’assurance maladie limitent le versement de ces prestations à neuf mois si le numéro identifiant d’attente (NIA) n’est pas transformé en numéro d’inscription au répertoire (NIR) à cette échéance.

M. le rapporteur. Si l’on n’est pas sûr de l’identité de la personne à laquelle on a affaire, comment peut-on être sûr de son absence de ressources ?

Mme Pascale Robakowski. Cette question doit être posée aux autres branches ; pour notre part, nous ne versons rien aux personnes auxquelles un numéro d’inscription au répertoire (NIR) n’a pas été attribué.

M. le coprésident Pierre Morange. J’aimerais des précisions sur l’état d’avancement de l’interconnexion des fichiers, dont j’ai compris qu’elle n’était pas entièrement opérationnelle.

M. Pierre Mayeur. La Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés n’a de retard ni en sa qualité d’opérateur, ni en sa qualité de « chargeur » alimentant le serveur en données. Il est vrai que les délais sont peut-être plus longs qu’annoncé pour les autres organismes de protection sociale, mais je puis vous dire que les fichiers de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, dont l’informatique est particulièrement complexe, sont en cours de chargement.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est une excellente nouvelle. Quand ce chargement spécifique sera-t-il achevé ?

Mme Brigitte Langlois-Meurinne. En juin 2011.

M. le coprésident Pierre Morange. Et qu’en est-il des autres organismes ?

M. Pierre Mayeur. La direction de la sécurité sociale, où un directeur de projet suit au jour le jour l’avancement de l’interconnexion des fichiers, est très attentive à la mise en œuvre du répertoire national commun de la protection sociale. Sans doute devriez-vous l’interroger.

M. le coprésident Pierre Morange. Mesdames, monsieur, je vous remercie pour ces réponses précises et je vous invite à nous faire part de toutes suggestions, en particulier opérationnelles, que vous jugeriez utiles.

La séance est levée à onze heures dix.