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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 9 décembre 2010

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 05

Présidence de M. Jean Mallot, coprésident

Auditions, ouvertes à la presse, sur la lutte contre la fraude sociale, de :

– M. François Gin, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, M. Michel Brault, directeur délégué au financement, agent comptable, Mme Françoise Vedel, directrice de la lutte contre la fraude, et Mme Karine Nouvel, sous-directrice en charge des prestations « famille » et « retraites »

– M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne, et M. Jean Hue, directeur adjoint chargé du contentieux et du contrôle

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 9 décembre 2010

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

(Présidence de M. Jean Mallot, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition de M. François Gin, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, de M. Michel Brault, directeur délégué au financement, agent comptable, de Mme Françoise Vedel, directrice de la lutte contre la fraude, et de Mme Karine Nouvel, sous-directrice en charge des prestations « famille » et « retraites ».

M. François Gin, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Comme vous le savez, la Mutualité sociale agricole gère l’ensemble des branches de la protection sociale pour la population agricole, salariée ou non salariée : c’est un guichet unique. À ce titre, elle détient dans une seule base de données l’ensemble des informations permettant d’identifier les bénéficiaires, d’appeler les cotisations et de verser les prestations, en matière de santé, de famille ou de retraite. Une première originalité du régime de la Mutualité sociale agricole par rapport au régime général est donc qu’il n’est pas nécessaire, pour opérer certains contrôles ou vérifications, de croiser différents fichiers entre eux.

Il s’agit non seulement d’un régime unique, mais aussi d’un régime « fermé » : pour relever du régime agricole, il faut remplir des conditions précises en termes d’activité professionnelle. Un premier filtre est donc appliqué dès le départ quant à l’identification des bénéficiaires.

La caisse centrale joue un rôle primordial dans le pilotage et le contrôle des politiques concernant l’ensemble du réseau. Elle n’exerce toutefois ces responsabilités que depuis les trois dernières lois de financement de sécurité sociale que vous avez votées, pour 2008, 2009 et 2010. Nous sommes donc dans une phase de transition. Jusqu’à présent, les dirigeants d’organisme étaient plutôt préoccupés par des questions de délais à respecter, de prestations de services ou d’accompagnement de personnes en difficulté – notamment quand une filière agricole était confrontée à une catastrophe économique ou naturelle. La Mutualité sociale agricole doit désormais assimiler une nouvelle culture et comprendre la nécessité d’établir des contrôles internes, des actions de vérification et de lutte contre la fraude. Nous nous sommes donc organisés en conséquence.

En 2008, nous avons mis en place une direction de l’audit, dont l’objectif était de mettre en œuvre les actions sur l’ensemble du réseau pour que nos comptes soient certifiés. Comme vous le savez, ils ne l’ont pas été jusqu’à présent. Alors que, pour le régime général, la nouvelle procédure en matière de certification a été instituée par un texte de 1993, en ce qui nous concerne, les règles n’ont été connues qu’en 2003. En matière de contrôle interne, nous avons donc un retard de dix ans à rattraper. Nous nous y employons, notamment avec le concours des commissaires aux comptes qui nous suivent.

En 2009, nous avons mis en place une direction de la maîtrise des risques, pilotée par Mme Françoise Vedel. Elle comprend deux pôles, l’un concernant le contrôle interne, l’autre regroupant – pour être en phase avec les structures nationales comme la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes (DNLF) – la lutte contre le travail illégal et la lutte contre la fraude.

En ce qui concerne la prévention, nous avons créé en 2009 un dispositif de contrôle interne et d’actions de « parade » : nous avons identifié les fraudes et recensé les actions possibles pour les éviter. Nous avons également établi un guichet unique virtuel, équivalent du répertoire national des bénéficiaires (RNB). Ainsi, n’importe quel agent de n’importe quelle caisse de la Mutualité sociale agricole peut aujourd’hui savoir si un assuré bénéficie d’une prestation déjà versée par une autre caisse. Ce dispositif ne concerne pour l’instant que la branche Famille, mais il sera progressivement étendu aux autres branches.

En 2009, nous avons également lancé une expérimentation concernant le paiement des indemnités journalières. Aujourd’hui, l’assurance maladie effectue ce paiement à partir d’une attestation de salaire délivrée par l’employeur, mais nous avons, nous, la possibilité de consulter nos bases afin de connaître, sans attendre de recevoir l’attestation, les déclarations trimestrielles effectuées par les employeurs pour chaque salarié concerné.

Nous avons également organisé un échange de données avec Pôle Emploi. Ce n’était pas une première, puisque nous procédons depuis fort longtemps au recouvrement des cotisations des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC). Toutefois, cette démarche d’échanges reste à approfondir.

En matière de formation, nous avons, avec le concours de la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes, formé cent trente personnes sur les sujets traités habituellement par la direction nationale, comme la fraude documentaire ou les poursuites pénales. Par ailleurs, une trentaine de stagiaires ont bénéficié de formations propres à la Mutualité sociale agricole sur des dispositifs nouveaux relatifs notamment au droit de communication ou à la prise en compte des éléments du train de vie. Notre objectif est de former des formateurs, de façon à placer autant de relais au sein des différentes caisses.

En incluant le travail illégal, le montant de la fraude représentait 8 millions d’euros en 2009. Ce chiffre est relativement stable par rapport aux années précédentes. Notre objectif – nous le négocions dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion – est bien entendu d’améliorer la détection des fraudes. Jusqu’à présent, notre organisation – et même notre système d’information – ne permettait pas d’être exhaustif. Par exemple, dans le cadre du contrôle de la tarification à l’activité (T2A), des rappels importants sont chiffrés par l’Assurance maladie, tous régimes confondus : je ne suis pas certain que les caisses de Mutualité sociale agricole concernées aient le réflexe de faire remonter les renseignements nous concernant.

Des procédures ont été engagées devant des juridictions pénales ou civiles en fonction des branches concernées. Je pourrai y revenir en détail si vous le souhaitez.

Notre plan pour 2010 s’inscrit dans le prolongement des actions effectuées en 2009. Nous souhaitons ainsi poursuivre les échanges de fichier entre la Mutualité sociale agricole et Pôle Emploi et avoir un accès intégré aux données des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC). En 2010, nous avons également fait partie des premiers régimes à alimenter le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Par ailleurs, nous avons prévu un certain nombre d’actions relatives à la domiciliation bancaire ou postale ou concernant la fraude à la résidence. Nous avons demandé aux caisses de vérifier plus précisément la situation des individus ayant changé de relevé d’identité bancaire (RIB) plus de six fois dans l’année ; de comparer les noms des bénéficiaires des paiements avec celui figurant sur les relevés d’identité bancaire ; de vérifier les adresses comportant la mention « chez Untel » ; de contrôler l’utilisation d’un même relevé d’identité bancaire pour des allocataires différents ; de croiser les données concernant les relevés d’identité bancaire avec nos propres informations ; d’opérer des vérifications complémentaires lorsque des virements sont effectués à l’étranger. Nous allons par ailleurs généraliser l’accès au fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Enfin, en 2010, nous avons commencé à étudier la situation des retraités âgés pour lesquels il n’y a pas eu versement de prestations maladie au cours de l’année ou au cours des années précédentes ; certains cas mériteraient un approfondissement, voire une procédure de recouvrement d’indus.

Pour prévenir la fraude interne, c’est-à-dire une fraude qui serait effectuée au bénéfice du personnel de la Mutualité sociale agricole ou de ses administrateurs, l’agent comptable a adressé aux agents des caisses un plan de vérification réclamant qu’un contrôle précis et plus dense soit opéré sur les dossiers du personnel.

Bien entendu, nous poursuivrons le partenariat avec la Direction nationale de la lutte contre les fraudes et avec la Direction de la sécurité sociale.

Nous poursuivons également les actions de lutte contre le travail illégal en appelant les caisses à porter une attention particulière sur trois types d’entreprises : celles qui déclarent le même jour un salarié et un accident du travail ; celles qui se déclarent prestataires de services après qu’on leur a refusé une immatriculation ; et les entreprises à activité saisonnière qui présenteraient de fortes variations dans leurs déclarations de main-d’œuvre.

En termes de prévention, nous avons travaillé sur la qualité de l’identification des adhérents et des entreprises. Plus nous l’améliorerons en amont, plus nous limiterons le risque d’anomalies, voire de fraude.

Enfin, en 2010, la caisse centrale, en tant que tête de réseau, s’est appliquée à renforcer l’accompagnement des trente-cinq caisses locales, notamment en ce qui concerne la qualification de la fraude. Il importe que tous les régimes adoptent la même approche en ce domaine.

Nous avons également lancé des actions de communication dans plusieurs directions : vers nos agents ; vers les professionnels, pour rappeler aux employeurs les démarches à accomplir et les points de vigilance à respecter ; vers les particuliers. À partir de 2011, nous agirons en direction des partenaires opérationnels et institutionnels.

Je terminerai en revenant sur un dossier qui a défrayé la chronique, celui du rachat des cotisations retraite. À la suite d’une inspection menée en 2008 par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’agriculture et son régime de protection sociale ont été injustement mis en cause. Je ne prétends pas que le régime agricole est à l’abri de toute critique, mais comme l’ont montré les opérations de contrôle menées ultérieurement, ce n’est pas là que les dérives constatées sont les plus nombreuses. En outre, les bénéficiaires de rachats frauduleux n’étaient pas des agriculteurs et avaient un lien ténu, voire inexistant, avec le monde agricole.

À la suite des investigations de l’Inspection générale des affaires sociales, 12 000 dossiers de rachat des cotisations, concernant le régime général et le régime agricole, ont été identifiés comme présentant des risques de fraude. Par ailleurs, 2 000 dossiers ont été sélectionnés de manière aléatoire pour subir un contrôle. En tout, ce sont donc 14 000 dossiers qui ont été réexaminés. L’application de filtres successifs a permis de réduire ce nombre à 6 763 – dont environ 4 000 concernaient le régime de la Mutualité sociale agricole. Puis, des investigations complémentaires ont permis d’identifier 1 196 dossiers potentiellement à risques, dont 641 concernaient le régime général et 555 celui de la Mutualité sociale agricole – soit respectivement 25 % et 13 % du total.

On voit que le taux de dossiers sensibles est moitié moindre pour la Mutualité sociale agricole que pour le régime général. Il ne s’agit pas de s’exonérer de toute responsabilité : des fraudes ont bien été identifiées et sanctionnées. Mais lors d’une demande de rachat de cotisations, les demandeurs font état d’une activité en relation avec une exploitation agricole. Or nos fichiers gardent la trace de toutes les exploitations existantes ou ayant existé. Cela permet des vérifications qui seraient plus difficiles à effectuer dans le régime général : lorsque l’on évoque des cotisations liées à une activité professionnelle exercée dans un hôtel ou un restaurant dans les années 1970, je ne suis pas sûr qu’il soit possible de retrouver la trace de cette activité commerciale. Quoi qu’il en soit, l’organisation de la Mutualité sociale agricole permet de limiter la fraude, même si elle ne permet pas de l’éviter tout à fait.

L’inspection, ainsi que certaines alertes, nous ont conduits à réagir rapidement en plusieurs points du territoire, et les fraudes ont été sanctionnées. Dans la foulée, la Mutualité sociale agricole d’Île-de-France a procédé au licenciement de cinq membres de son personnel, tandis que la caisse centrale licenciait une personne. Indépendamment de la procédure de réexamen des dossiers, soixante-quatorze cas ont fait l’objet de plainte au pénal pour fraude au rachat de cotisations. Les dossiers jugés à risque sont soumis quant à eux à une procédure précise comprenant un envoi de courrier aux demandeurs ainsi qu’aux témoins. En cas de rétractation, nous considérons qu’il y a fraude avérée. Dans le cas contraire, nos contrôleurs se rendent sur place. Selon l’analyse effectuée par la caisse, la procédure débouche soit sur un classement sans suite, soit sur l’annulation du rachat, voire la suspension du versement des pensions. Pour éviter un traitement hétérogène des dossiers par les différentes caisses, nous avons mis en place une cellule nationale destinée à harmoniser l’examen des dossiers.

M. le coprésident Jean Mallot. Vous avez estimé à 8 millions d’euros le montant des fraudes détectées en 2009. Mais certaines fraudes ont conduit à des recouvrements. Ce coût pour la puissance publique est-il brut ou net ? Comment est-il réparti par branche, et en particulier, quelle est la part du travail illégal ? La fraude concerne-t-elle plutôt les prélèvements ou les prestations ?

Par ailleurs, un tel montant doit s’apprécier par rapport au total des prestations versées. La somme de 8 millions d’euros vous paraît-elle importante ?

M. François Gin. Le montant total des prestations servies par la Mutualité sociale agricole s’élève à 28 milliards d’euros. Sur cette somme, quelle peut être la part de la fraude ? Nous n’avons pas, à l’heure actuelle – et c’est une lacune –, d’outil permettant d’apporter une réponse précise à cette question. Je sais que dans le régime général, et plus particulièrement dans la branche Famille, le montant de la fraude est estimé à 1 % des prestations servies. J’aurais tendance à considérer, pour les raisons indiquées tout à l’heure, que la fraude en matière de prestations sociales agricoles est d’une ampleur moins importante. Toutefois, mon approche n’a rien de scientifique. C’est pourquoi nous sommes en train d’élaborer avec le délégué national à la lutte contre la fraude une méthode d’estimation plus sûre. Nous allons le faire de façon progressive, branche par branche, en commençant probablement par les indemnités journalières versées pour l’assurance maladie et les accidents du travail, aux salariés comme aux non-salariés, car je crois que le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) s’apprête à porter une attention particulière sur ce sujet.

Il est vrai que le montant de 8 millions d’euros prend en compte le travail illégal. Dans ce seul domaine, les redressements de cotisations opérés totalisent 1,7 million d’euros.

M. le coprésident Jean Mallot. Il s’agit de la fraude détectée : il est donc logique que le coût net soit peu élevé. S’agissant des autres branches, je suppose que vous procédez au recouvrement des sommes indues. Savez-vous ce qui est récupéré sur les 6,3 millions d’euros restant ?

M. François Gin. Nous mettons en œuvre des procédures de recouvrement classiques, comme l’émission d’un titre exécutoire, ou bien nous prélevons sur le versement des prestations à venir. Nous disposons de chiffres globaux sur le recouvrement des cotisations, mais, à ce jour – et cela fait partie des manques que nous devons combler –, nous n’avons pas de chiffres précis et consolidés sur le recouvrement des prestations servies à tort.

M. le coprésident Jean Mallot. Nous avons besoin de chiffres précis si nous voulons établir des ordres de grandeur incontestables. Mais il nous importe également de bien distinguer la fraude estimée de la fraude détectée. En effet, si dans la branche Famille il est possible de prélever sur les prestations à venir, les choses sont plus compliquées en ce qui concerne la maladie ou la retraite. Nous devons dépasser la notion générale de fraude et aller plus loin, par honnêteté vis-à-vis du public, et parce que les outils de traitement du problème ne sont pas les mêmes selon le type de fraude.

M. François Gin. Une des difficultés vient du fait que, jusqu’à présent, nous ne distinguions pas, en termes de codification, entre l’indu lié à une erreur de la caisse et celui qui résulte d’une fraude de l’assuré.

M. Dominique Tian, rapporteur. À titre de comparaison, pour l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), les redressements au titre du travail illégal et de l’absence de contribution atteignaient l’année dernière la somme de 800 millions d’euros.

Par ailleurs, combien de personnes dépendent de votre régime ?

M. François Gin. Le nombre de personnes bénéficiant d’au moins une prestation de la Mutualité sociale agricole s’élève à 5,8 millions. La branche Maladie concerne 3,5 millions de personnes, la branche Vieillesse, 4,2 millions, et 430 000 familles bénéficient de prestations familiales. Par ailleurs, 810 000 équivalents temps plein de salariés agricoles sont identifiés chaque trimestre en moyenne, soit un peu plus de 2 millions de contrats à gérer.

Il est vrai que l’on peut effectuer des comparaisons avec l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) ou avec le Régime social des indépendants. Mais pour le régime général, l’employeur calcule lui-même, chaque mois ou chaque trimestre, ses cotisations en appliquant un pourcentage aux montants des salaires qu’il a versés. Le contrôle de l’assiette se fait parallèlement, ou du moins dans le cadre d’une autre démarche. À la Mutualité sociale agricole, la procédure est différente : lors de toute embauche, un employeur est tenu d’effectuer une déclaration préalable et de transmettre toutes les informations nécessaires concernant le salarié ; puis il remplit chaque trimestre une déclaration de main-d’œuvre indiquant, pour chaque salarié, le montant du salaire reçu ; à partir de cette déclaration, la Mutualité sociale agricole calcule le montant des cotisations et adresse une facture. Nous pouvons ainsi procéder à des vérifications sur place, par exemple si aucune indication de salaire n’est mentionnée pour un salarié qui a été déclaré.

M. le rapporteur. Justement, combien de fois procédez-vous à des vérifications sur place ? Combien de personnes, au sein de votre organisme, sont chargées du contrôle ? Quel est le taux de redressement ? La presse cite souvent des exemples de travail illégal, saisonnier ou non saisonnier, dans le secteur agricole. Disposez-vous de données précises à ce sujet, et quels moyens mettez-vous en place pour lutter contre cette fraude ?

M. François Gin. L’ensemble des caisses de la Mutualité sociale agricole emploie 270 contrôleurs, mais ces derniers interviennent dans le cadre du guichet unique, et ne sont donc pas spécifiquement affectés à la lutte contre le travail illégal et au redressement d’assiette. Ils peuvent par exemple intervenir en matière familiale, pour vérifier qu’une personne est en situation isolée. Toutefois, aux termes de la convention d’objectifs et de gestion qui se termine en 2010, chaque contrôleur doit consacrer dans l’année au moins dix journées à la lutte contre le travail illégal – ce qui fait un total de 2 700 jours.

Cela étant, l’engagement de la Mutualité sociale agricole dans la lutte contre le travail illégal est variable et ne dépend pas de sa seule volonté : très souvent, il dépend aussi de l’impulsion donnée par les pouvoirs publics, dans le cadre des comités de lutte départementaux, pour mener des actions précises et ciblées dans tel ou tel domaine d’activité. Bien entendu, nous pourrons vous communiquer des chiffres plus précis dans ce domaine, département par département.

M. le coprésident Jean Mallot. À ce propos, l’organisation de la Mutualité sociale agricole en matière de lutte contre la fraude est-elle départementale ou régionale ?

M. François Gin. La caisse centrale, tête de réseau, exerce des responsabilités particulières en ce domaine. Elle a pour mission de déterminer des politiques et de veiller à leur mise en œuvre sur le terrain par les différentes caisses. Depuis le 1er avril 2010, le réseau a été restructuré : il comprend trente-cinq caisses, contre quatre-vingt au début des années 2000. Une douzaine correspondent au périmètre de la région administrative ; la compétence des autres s’étend sur plusieurs départements – sauf deux caisses monodépartementales, celle du Maine-et-Loire et celle de la Gironde.

Les politiques commanditées par l’échelon central sont donc mises en œuvre par les caisses locales dans le cadre de différents plans. J’ai cité le plan de vérification comptable, mais d’autres actions visent à maîtriser les risques grâce à un contrôle interne ou externe – dans ce dernier cas, il s’agit de cibler les populations et les domaines sur lesquels des contrôles devront être effectués. Jusqu’à présent, ces plans de contrôle devaient être soumis à l’approbation de l’autorité de tutelle – c’est-à-dire, jusque récemment encore, des services régionaux de l'inspection du travail, de l'emploi, et de la politique sociale agricole (SRITEPSA), lesquels sont désormais intégrés à la Mission nationale d'audit, d'évaluation et de contrôle des organismes de protection sociale agricole (MAECOPSA). Aujourd’hui, ces plans doivent être approuvés par la caisse centrale. Il existe par ailleurs un socle d’actions dans lesquelles les caisses vont puiser pour élaborer leurs plans de contrôle.

M. le rapporteur. Que voulez-vous dire par là ?

M. François Gin. Deux options étaient possibles : soit la caisse centrale imposait un plan de contrôle externe normalisé, soit on laissait aux caisses locales toute liberté pour les élaborer. C’est une solution intermédiaire qui a été retenue : la caisse centrale dresse une liste d’actions – ce que j’appelais le socle – dans laquelle les caisses puisent, domaine par domaine, celles qu’elles mettront en œuvre. Une fois élaboré, le plan de contrôle devait être soumis à l’approbation de la tutelle, puis à celle de la caisse centrale. Cependant, nous négocions une nouvelle convention d’objectifs et de gestion pour la période 2011-2015, et nos différentes autorités de tutelle semblent avoir, en matière de contrôle et de lutte contre la fraude, des exigences sans commune mesure avec celles de l’ancienne convention.

M. le coprésident Jean Mallot. Je comprends comment sont élaborés les plans de contrôle. Mais sous l’autorité de qui les 270 contrôleurs sont-ils placés ?

M. François Gin. Sous l’autorité du directeur de chaque caisse.

M. le coprésident Jean Mallot. Pourtant, vous avez évoqué des statistiques élaborées par département.

M. François Gin. Dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, les actions sont départementales, et les équipes de contrôleurs doivent être réparties en fonction des actions décidées dans chaque département.

M. le rapporteur. Votre réorganisation interne vous permettra-t-elle d’espérer la certification de vos comptes ?

M. François Gin. La non-certification de nos comptes en 2008 a été vécue comme un cataclysme par l’ensemble de l’institution. Auparavant, les comptes de chaque caisse avaient toujours été approuvés. Il résultait du texte de 2003 dont j’ai parlé de mettre en place un contrôle interne au sein de la Mutualité sociale agricole. Or, dans le cadre de cette nouvelle procédure, les commissaires aux comptes nous ont fait savoir que notre travail de contrôle interne correspondait à des bonnes pratiques, mais pas à leurs attentes. Ils n’ont donc pu certifier nos comptes, non que ceux-ci étaient mal tenus, mais parce qu’ils ne pouvaient pas certifier que nous maîtrisions les risques, en raison d’un contrôle interne défaillant.

En conséquence, il y a eu une réaction, qui a été facilitée par les responsabilités qui ont été confiées à la tête du réseau par les lois de financements de la sécurité sociale que j’ai évoquées. C’est ainsi que nous avons mis en place une direction de l’audit et une direction de la maîtrise des risques, qui structurent l’activité des caisses en la matière, et qu’un travail important a été effectué depuis dix-huit mois dans le but d’atteindre la certification des comptes.

M. Michel Brault, directeur délégué au financement, agent comptable à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. La politique mise en œuvre entre 2004 et 2008 a été qualifiée par les commissaires de « démarche qualité » et non « de démarche d’appréhension des risques ». Elle consistait à décrire les processus de travail et à définir des bonnes pratiques, sans élaboration préalable d’une cartographie des risques. Il nous a donc fallu tirer un trait sur cette pratique, et nous avons défini une nouvelle démarche en 2009. Elle consiste, à partir de chaque activité, à faire une analyse des risques potentiels ; à identifier pour chacun d’entre eux des actions de contrôle interne à conduire, que nous élaborons au plan national en associant cinq caisses de la Mutualité sociale agricole ; à diffuser ces actions de contrôle interne dans les caisses, à charge pour elles de les mettre en œuvre dans les trois mois suivants ; enfin, à diligenter des contrôles, des audits pour nous assurer que la mise en œuvre s’effectue correctement.

Dans la mesure où nous balayons l’ensemble des branches de sécurité sociale, il s’agit d’un travail de grande ampleur, mais nous pensons l’achever en juin prochain pour une diffusion totale dans le réseau à la fin de l’année 2011. Notre espérons que les comptes 2011 seront certifiés, sans nous faire d’illusion sur ceux de 2010 puisque la démarche actuelle n’a pas encore abouti.

Dans le cadre de cette démarche d’analyse des risques, nous intégrons l’analyse de nos produits informatiques. En effet, le contrôle interne étant aujourd’hui mal vécu car perçu dans les caisses comme un frein à la productivité, nous devons intégrer les contrôles le plus en amont possible, c’est-à-dire au niveau informatique, afin qu’ils soient considérés comme des éléments permettant de faciliter le travail.

Parallèlement, nous travaillons avec Délégation à la lutte contre la fraude pour intégrer ces éléments.

J’ajoute que j’ai été conduit à ne pas valider les comptes de cinq caisses en 2008 et de trois caisses en 2009 en raison de carences en termes de contrôle interne.

M. le rapporteur. Quelle est l’évolution du montant de la fraude par rapport aux années précédentes ?

En matière d’allocation de parent isolé (API), devenue revenu de solidarité active majoré (RSA majoré), combien de cas de fausses déclarations avez-vous enregistrés ?

Un seul retraité aurait indûment perçu des prestations. Il semblerait que la fraude soit moindre dans les campagnes…

M. François Gin. Dans le cadre de notre expérimentation, nous ferons le bilan à la fin de l’exercice 2010 des cas de retraités âgés n’ayant pas eu recours à des soins de santé, mais pour lesquels un remboursement a été demandé. Cette fraude est liée à des prestations qui continuent d’être perçues, alors que le retraité est décédé.

M. le rapporteur. En cette matière, les organismes que nous avons reçus citent des chiffres beaucoup plus élevés. Pouvez-vous nous fournir des éléments statistiques ?

Mme Françoise Vedel, directrice de la lutte contre la fraude à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Sur les 8 millions d’euros de fraudes, 1 million concerne la branche Famille, la moins importante en termes de population pour la Mutualité sociale agricole.

À l’heure actuelle, le taux de fraude de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) est de 104,7 pour 100 000 allocataires et celui de la Mutualité sociale agricole est de 42,4 pour 100 000 allocataires.

La mise en place des relations automatisées avec la direction générale des impôts (DGI) pour la prise en compte des ressources a permis une diminution des anomalies.

M. Michel Brault. Compte tenu du rapprochement des fichiers de Pôle Emploi avec ceux relatifs aux prestations familiales, la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes a été surprise que notre taux de détection des prestations indues soit faible. Mais s’il en est ainsi, c’est parce que nous avions historiquement des relations avec Pôle Emploi, les périodes de chômage déclarées nous servant pour l’ouverture des droits en matière de maladie et de retraite. Le fait de connaître déjà certains éléments explique que le rapprochement n’ait pas donné lieu à la détection d’un grand nombre d’anomalies. Ce qui est frappant, c’est qu’il y ait eu quatre fois plus de dossiers de rappels de prestations que de dossiers de prestations indues : environ 4 400 contre un peu plus de 800.

M. le rapporteur. En ce qui concerne la fraude en matière de carrières longues, cinq personnes de vos services ont été licenciées ; je suppose que d’autres ont été sanctionnées par plusieurs jours de mise à pied, des mutations, ou encore des mises à la retraite comme cela a été pratiqué dans d’autres organismes.

Quel est le montant des préjudices ? Combien de personnes ont-elles été sanctionnées ? Comment avez-vous sélectionné les dossiers douteux ? Je suppose que les agents de la Mutualité sociale agricole licenciés l’ont été non en raison d’une erreur d’attention, mais parce qu’ils avaient reçu de l’argent en échange de la construction de dossiers…

M. François Gin. Dès le début, nous avons été très clairs : nous avons dit que si un agent d’une caisse de la Mutualité sociale agricole avait favorisé l’octroi injustifié de prestations ou agi pour son bénéfice, nous mettrions en œuvre les sanctions prévues par la convention collective. Ainsi, nous n’avons pas cherché à savoir s’il valait mieux se contenter d’un blâme ou d’une mise à pied, comme cela a été fait dans d’autres organismes : nous avons procédé à des licenciements car les éléments dont nous disposions étaient suffisamment graves et avérés.

La question de savoir comment des données peuvent être transférées entre organismes de protection sociale afin de vérifier si le personnel des organismes de sécurité sociale a bénéficié de rachats ou pas est plus générale et dépasse le cadre même de la Mutualité sociale agricole au regard des précautions juridiques qui doivent être prises.

S’agissant de la nature même des actes frauduleux, des plaintes ont été déposées, principalement dans la région d’Île-de-France. Nous attendons le résultat de ces actions en cours, et je n’ai pas d’éléments précis à vous fournir pour l’instant.

La méthode de détection des fraudes, élaborée par plusieurs régimes sous le pilotage de l’inspection générale des affaires sociales et de la direction de la sécurité sociale, est assez sophistiquée, mais il fallait vérifier plusieurs éléments, en particulier l’âge des personnes prétendant aux droits à la retraite et celui des témoins.

M. le rapporteur. Quand avez-vous pu détecter les dossiers suspects et grâce à quels types de vérifications ?

M. François Gin. Nous avons élaboré en inter-régimes des critères de présélection : nous avons décidé de regarder tous les dossiers qui avaient fait l’objet de plus de 14 trimestres de rachat pour le régime général et de plus de 21 trimestres pour le régime agricole. Grâce à nos bases, nous sommes en mesure d’identifier toutes les personnes pour lesquelles le rachat était égal ou supérieur à 21 trimestres. Nous avons extrait les dossiers et procédé, caisse par caisse, à une sélection en fonction de plusieurs éléments que nous avons vérifiés – âge des témoins, du bénéficiaire, existence de l’exploitation, entre autres –, ce qui nous a permis progressivement de détecter les dossiers dits « sensibles ».

Une concentration des dossiers problématiques sur un certain nombre de caisses du régime général et du régime agricole est apparue. Pour le régime général, je crois que la priorité a été de travailler sur ces dossiers. Pour notre part, nous avons demandé de reprendre l’ensemble des dossiers identifiés comme sensibles, selon la procédure que j’ai évoquée tout à l’heure : envoi de lettres, convocation par les agents de contrôle assermentés, décision validée au niveau national par la cellule. Sur les 600 dossiers que nous devions reprendre, un peu plus de 200 ont été examinés par la cellule nationale. Pour 58 d’entre eux, il s’en est suivi une annulation, pour 65 un ajournement – des précisions complémentaires étant nécessaires – et pour 92 un classement sans suite car les éléments laissaient apparaître une absence de fraude.

M. le coprésident Jean Mallot. Comment expliquez-vous la concentration des fraudes sur certaines caisses ?

M. François Gin. Il faut se souvenir que le dispositif prévu à l’origine était simple : une attestation sur l’honneur contresignée par deux témoins. En outre, dans les années 1960-1970, en milieu rural, il n’était pas inhabituel que les jeunes travaillent quelque temps sur l’exploitation pendant les vacances scolaires ou avant ou après le service militaire.

Il se peut que, selon les départements ou les entreprises, la nouvelle législation prévoyant des conditions plus restrictives ait été plus ou moins bien relayée auprès des intéressés.

M. le rapporteur. Selon la presse, le préjudice en ce qui concerne les carrières longues s’élève à plusieurs centaines de millions d’euros. Avez-vous procédé à une analyse de bon sens en regardant dans les dossiers les éléments invraisemblables ?

Vous évoquez vous-même un phénomène régional. Cette fraude est-elle une escroquerie qui a conduit des agents à s’enrichir ? Pouvez-vous estimer le montant du préjudice ? Votre contrôle interne est-il satisfaisant ? Quel est le nombre de personnes mises en cause ? Combien ont remboursé les sommes indûment versées ? Des directeurs ont-ils été licenciés ? Je suppose que, en portant plainte, vous avez fourni des éléments à la justice.

M. François Gin. Cinq personnes n’ont pas, dans le cadre de leur activité, appliqué les textes : il est apparu qu’il y avait une connivence entre elles et les bénéficiaires des rachats frauduleux. Peut-on qualifier ces agissements d’escroquerie ? Je me garderai bien de me substituer aux autorités judiciaires qui auront à trancher. Jusqu’à présent, aucun directeur n’a été licencié.

Je pourrai vous communiquer le nombre de personnes qui ont pu, sur la période concernée, partir à la retraite grâce à ces rachats.

Aujourd’hui, nous ne connaissons pas le montant global du préjudice, car il existe deux cas de figure.

Dans le premier, les prestations ont déjà été versées à tort. Il faut donc cesser le versement des prestations, mais aussi récupérer l’indu, ce qui n’est pas simple juridiquement car la responsabilité de la caisse pourrait être mise en cause.

Dans le second cas de figure, la retraite n’a pas encore été servie. Faut-il alors parler de préjudice pour les finances publiques dans la mesure où le rachat de cotisations est annulé ?

En revanche, nous pouvons vous donner le nombre des personnes ayant bénéficié d’une retraite à la suite du rachat de cotisations.

Mme Karine Nouvel, sous-directrice en charge des prestations « famille » et « retraites » à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Sur la période 2004-2007, sur 192 800 départs à la retraite d’exploitants agricoles, 9,5 % ont été rendus possibles grâce à un rachat ; sur 466 000 départs à la retraite de salariés agricoles, le taux est de 5,75 %. Ces pourcentages permettent de relativiser les données globales.

M. Michel Brault. Pour la plupart des dossiers traités, notamment ceux considérés comme délicats, la période rachetée concernait uniquement une activité agricole.

M. le coprésident Jean Mallot. Le guichet unique de la Mutualité sociale agricole en fait un modèle qui peut servir d’exemple à l’ensemble du système.

Un directeur d’organisme auditionné précédemment a évoqué des dispositifs « fraudogènes », c’est-à-dire des réglementations ou des législations qui, par leur nature ou leur rédaction, facilitent la fraude. De ce fait, une meilleure rédaction, un dispositif simplifié ou une disposition supplémentaire permettrait de combattre le mal à la racine. Avez-vous des préconisations à formuler en la matière ?

M. François Gin. Nous connaissons nous aussi le problème de la fraude documentaire.

Ce qui nous préoccupe, c’est la difficulté à se lancer dans la simplification des relations avec les assurés et la dématérialisation et, dans le même temps, à lutter contre la fraude. Cette situation complexe nécessite des arbitrages.

Parfois, la date d’effet des textes législatifs ou réglementaires ne nous laisse pas le temps d’organiser nos outils, notamment informatiques. En voulant aller vite pour respecter les échéances prévues, certains contrôles peuvent ne pas être pris en compte.

M. le rapporteur. Êtes-vous souvent victimes de faux papiers, d’usurpation d’identité, ou confrontés à des états civils suspects ?

Mme Françoise Vedel. Déceler les faux papiers pose le problème de l’obtention de l’original auprès de la mairie puisque, aujourd’hui, on accepte les photocopies. Un travail très important a été mené avec le Bureau de la fraude documentaire. Des détecteurs de faux papiers sont installés dans les Mutualités sociales agricoles, des personnes relais sont formées et forment elles-mêmes des collaborateurs, et une action en matière de détection des faux papiers est mise en œuvre dans le cadre du contrôle interne.

M. le rapporteur. Vous détectez les fausses photocopies ?

Mme Françoise Vedel. Le Bureau de la fraude documentaire nous adresse des alertes sur des faux papiers qui circulent en provenance de différents pays. Mais c’est un travail de fourmi.

M. le rapporteur. Du point de vue réglementaire, rien ne vous empêcherait de créer une carte de la Mutualité sociale agricole comportant l’identité de la personne, son numéro, etc. Cela faciliterait le travail de vos contrôleurs.

Mme Françoise Vedel. Le problème se situe en amont, au moment de l’immatriculation de la personne, car il faut s’assurer que la fiche d’état civil est la bonne et que les papiers d’identité ne sont pas falsifiés.

M. François Gin. S’agissant du projet de carte, nous sommes dans la même situation que le régime général. Aujourd’hui, la seule carte utilisée au sein de la Mutualité sociale agricole est la carte Vitale.

Par ailleurs, la question se pose de savoir si l’on ne délivre pas trop facilement de cartes Vitale à des saisonniers. Lors de l’ouverture de droits à des saisonniers, des vérifications sont réalisées en amont, notamment sur la validité et la durée d’autorisation du séjour, la régularité de la situation de la personne. Pour cette catégorie particulière de salariés, nous éditons une carte Vitale seulement si une demande de remboursement de soins nous parvient, à l’occasion de laquelle nous vérifions si la personne remplit toutes les conditions pour pouvoir entrer dans le cadre du dispositif de l’assurance maladie.

M. le rapporteur. Aujourd’hui, beaucoup de personnes travaillent de manière saisonnière et bénéficient du revenu de solidarité active (RSA) quasi automatiquement. Il est important de s’assurer de l’identité des personnes, car celles qui viennent d’autres pays d’Europe pour travailler en France quelques mois sur une exploitation agricole acquièrent ainsi des droits très importants.

M. François Gin. Je vous ai exposé notre démarche pour les saisonniers venant de pays étrangers. Pour les autres personnes, nous vérifions si des droits auprès d’autres régimes de protection sociale leur sont ouverts, et l’édition d’une carte Vitale pour ces travaux de courte période n’est pas non plus automatique.

M. le rapporteur. Sauf si elles se mettent en arrêt maladie…

M. François Gin. En cas de demande de remboursement de soins, nous n’éditons pas automatiquement la carte Vitale : nous vérifions si les conditions administratives et de durée d’activité sont remplies pour que la personne puisse bénéficier de l’assurance maladie.

En revanche, la question se poserait en cas d’accident du travail car le salarié a droit à une couverture.

M. le coprésident Jean Mallot. Il nous reste à vous remercier, mesdames, messieurs, d’avoir participé à cette audition.

N’hésitez pas à nous faire part, dans les semaines à venir, d’éléments complémentaires ou de suggestions qui pourraient nous aider à formuler des préconisations.

*

La MECSS procède ensuite à l’audition de M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris et de la région parisienne, et de M. Jean Hue, directeur adjoint chargé du contentieux et du contrôle.

M. Vincent Ravoux, directeur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Paris et de la région parisienne. Quelques considérations tout d’abord sur l’action de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). Nous sommes présents dans toute la région d’Île-de-France, à l’exception de la Seine-et-Marne, et nous avons procédé cette année à 76 milliards de recouvrements, ce qui représente tout de même la moitié du budget de l’assurance maladie… Notre mission consiste en effet à recouvrer les cotisations sociales et à faire en sorte qu’elles soient régulièrement acquittées, sachant que notre système – quérable – est fondé sur le principe de la déclaration, par l’employeur, de son activité et de la masse salariale de son entreprise ; c’est également lui qui effectue le calcul de sa cotisation et qui doit bien évidemment s’en acquitter à une date donnée – ce qui est le cas dans 95 % à 96 % des cas, avec un léger fléchissement en raison de la crise économique.

Afin que cette démarche citoyenne perdure, il nous faut à la fois améliorer la qualité du service – mais tel n’est pas l’objet de cette audition – et lutter contre la fraude. Cela passe, en particulier, par ce que j’appelle « la logique du ticket de métro » : si les contrôles visent à sanctionner quelques contrevenants, ils ont surtout pour objectif de montrer aux usagers vertueux qu’ils doivent continuer à bien se comporter. Moralisation et prévention sont à la base de notre action. Il en va de même en matière de redevance audiovisuelle. Son recouvrement a été beaucoup mieux assuré depuis que la déclaration de possession d’un téléviseur a été couplée avec la taxe d’habitation.

À ce jour, 300 inspecteurs du recouvrement travaillent en région parisienne, lesquels consacrent 15 % de leur temps à la lutte contre le travail illégal ce qui représente une quarantaine d’équivalents temps plein (ETP). En 2009, 6 000 contrôles ont été effectués avec un taux de redressement équivalent de 75 %. Le montant des sommes redressées devrait s’élever quant à lui, cette année, à 65 millions d’euros environ, le taux de récupération effective étant de 15 % à 20 % en fonction des dossiers et des départements.

Plus précisément, nous disposons d’une équipe d’inspecteurs spécialisée dans la lutte contre le travail illégal, tous les inspecteurs de recouvrement étant par ailleurs amenés à conduire des actions ponctuelles en la matière. En outre, nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires des comités opérationnels départementaux anti fraude (CODAF) – l’inspection du travail, la police, la gendarmerie, la justice – dans le cadre d’un dispositif permettant de traiter très rapidement les procès-verbaux qui nous sont transmis, la « pédagogie du portefeuille » se révélant souvent efficace. À ce propos, je tiens à dire combien nous sommes satisfaits de la mesure dite du redressement forfaitaire votée par le Parlement voilà quelques années, laquelle nous permet d’accélérer le traitement des dossiers et d’éviter que les entreprises ne se volatilisent.

M. le coprésident Jean Mallot. À combien peut-on évaluer l’écart entre les redressements et la fraude non seulement détectée mais aussi estimée ?

M. Vincent Ravoux. La branche Recouvrement s’apprête à lancer l’année prochaine un sondage aléatoire permettant de déterminer la prévalence du risque de fraude parmi l’ensemble des cotisants, l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Paris ayant quant à elle engagé une action spécifique auprès des auto-entrepreneurs – en effet, nous avons été surpris par un rapport remis à M. Hervé Novelli il y a quelques semaines évaluant la fraude à seulement 1 %. En l’occurrence, nous avons constitué un échantillon de 1 000 auto-entrepreneurs représentatifs de la région afin d’avoir une idée du nombre précis de fraudes et de mieux cibler les facteurs de risque.

J’ajoute que nous avons souvent l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau : par exemple, nos inspecteurs débusquent régulièrement des ateliers clandestins au cœur du quartier du Sentier dont les travailleurs ne sont d’ailleurs pas forcément en situation irrégulière mais dont les activités sont en revanche sous-déclarées ; plus, nous mettons la main sur des produits de confection de grandes marques, ce qui tend à montrer que le secteur de l’habillement est fondé sur un modèle économique impliquant nécessairement le recours à de tels ateliers. Faute de pouvoir placer un inspecteur derrière chaque cotisant, nous ne nous sortirons donc pas de ces difficultés à moins de les traiter globalement comme l’ont fait la Fédération française du bâtiment ou les entreprises de travail temporaire.

Poursuivre le travail de moralisation de ces secteurs passe par ce que nous appelons l’« action systémique » : lutter efficacement contre le travail illégal suppose de mobiliser l’ensemble des branches professionnelles et de faire en sorte qu’elles « fassent leur propre police ». Avant-hier, j’ai lu dans un entretien paru dans un grand journal du soir, à propos de la responsabilité sociale des entreprises, que les commissaires aux comptes certifiaient désormais les « données » sociales. Or, à aucun moment n’y figurent de données relatives par exemple à la sous-traitance. Sans doute les pouvoirs publics et les branches professionnelles pourraient-ils œuvrer afin que l’obligation citoyenne de paiement social ou le non-recours au travail dissimulé soient au cœur de la responsabilité sociale des entreprises – je pense, en particulier, aux obligations pesant sur le donneur d’ordre. De ce point de vue là, nous nous réjouissons hautement que le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoie le durcissement du dispositif des attestations de comptes à jour en généralisant celui qui est en vigueur à Paris.

En définitive, nous considérons d’une part qu’il n’est possible de se faire une idée précise de l’ampleur de la fraude qu’en mobilisant l’ensemble des branches professionnelles – et pas seulement dans les secteurs du bâtiment, du gardiennage ou du nettoyage – d’autre part, qu’il convient d’utiliser pleinement les dispositifs votés par le Parlement.

M. Dominique Tian, rapporteur. La situation, en l’occurrence, s’est me semble-t-il améliorée sensiblement grâce, notamment, aux contributions de la MECSS au projet de loi de financement de la sécurité sociale et, plus généralement, au travail parlementaire.

M. Vincent Ravoux. Absolument ! Que nous nous en félicitions, comme vous, ne dispense cependant pas de s’interroger lorsque nous constatons que des amendements votés par exemple par la commission des affaires sociales ne figurent plus dans le texte final – je songe, en particulier, à celui qui concernait la transmission universelle de patrimoine : en effet, si cette dernière est globalement très utile, je considère qu’il faudrait néanmoins faire en sorte qu’elle soit rendue vraiment publique de manière à ce que les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) puissent en avoir connaissance. En l’état, non seulement la publication n’est obligatoire que dans les trente jours seulement de la transmission mais rien n’oblige à ce qu’elle figure parmi les grands titres des annonces légales. Certaines d’entre elles, parfois curieuses et dont les enjeux financiers sont importants sont annoncées dans… L’Auvergnat de Paris dont chacun sait combien les administrations sont friandes. En l’occurrence, l’amendement n’a pu être examiné en séance car il ne relevait pas du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. Il serait souhaitable qu’il soit adopté lors de l’examen d’un texte ultérieur.

J’ajoute que l’application du droit de communication est quant à elle satisfaisante même si des ajustements sont parfois nécessaires avec tel ou tel partenaire comme les banques ou certaines plateformes Internet.

Parmi d’autres mesures particulièrement efficaces figurent la transmission des procès-verbaux concernant la lutte contre le travail illégal aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) décidée par le Parlement il y a quelques années – même si cela a entraîné l’apparition de contentieux nouveaux, lesquels mobilisent nos commissions de recours amiable (CRA) – mais également des redressements forfaitaires qui ont donc permis d’accélérer les procédures ou encore l’annulation des réductions d’exonération de cotisations sociales ainsi que le signalement aux caisses prestataires. J’insiste : ces points sont particulièrement importants parce que la fraude passe toujours par le travail illégal qu’organisent de véritables réseaux maffieux : les fameux « kits ASSEDIC » circulent toujours.

M. le rapporteur. Hélas !

M. Vincent Ravoux. En matière de signalement, j’ai également en tête l’exemple d’une personne interdite de gestion… gérant pourtant plus de 70 entreprises ; si, en l’occurrence, l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et le tribunal de commerce de Paris y ont mis bon ordre, les organismes de protection sociale doivent travailler cependant – en particulier depuis le développement de la révision générale des politiques publiques (RGPP) – sur des processus industriels précis et tout ce qui n’en ressort pas directement perturbe l’ensemble du système et, au final, demeure peu ou mal traité.

Un autre exemple en atteste : l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) découvre une personne non déclarée en situation de travail dissimulé ; elle adresse une information à la caisse primaire d’assurance maladie. Dans le même temps, un technicien gérant une rente pour accident du travail, une pension d’invalidité ou des indemnités journalières peut être amené à travailler sur le même cas, mais faute de lien « industriel » entre nos remarques et son travail quotidien, la perte d’information peut être sensible. Nous souhaiterions donc un véritable partage des outils et l’intégration de la lutte contre la fraude dans lesdits processus.

En outre, pour contrôler les revenus mondiaux des avocats – domaine où les évasions sont considérables – nous devons nous déplacer dans chaque centre des impôts alors qu’une consultation électronique sécurisée des fichiers – entourée bien évidemment des précautions nécessaires – serait beaucoup plus facile et efficace.

J’ajoute que les règles de consultation des déclarations préalables à l’embauche (DPAE), des déclarations uniques d’embauche (DUE) ou des déclarations annuelles sociales (DAS) devraient être assouplies : rien n’est plus facile, en effet, que de créer une entreprise fantôme afin de se faire verser des indemnités journalières. L’utilisation de notre fichier employeurs par la caisse primaire d’assurance maladie constituerait sur ce plan-là une sécurité supplémentaire.

La modification parlementaire de la notion de solidarité financière constitue un outil précieux dont les professionnels des marchés, par exemple, devraient être mieux informés car ils ignorent parfois les risques qu’ils prennent.

S’agissant de l’abus de droit, nous attendons la parution d’un décret mais nous fourbissons déjà nos armes. La décision du Parlement de sanctionner pénalement toute incitation au non-paiement des cotisations sociales et à la désaffiliation nous a déjà permis de faire diminuer chaque année un peu plus le nombre des contentieux à ce propos.

Grâce à l’ensemble de ces dispositions, nous avons pu réaliser des opérations qui auraient été impensables voilà à peine quatre ou cinq ans.

Afin d’améliorer encore l’efficacité du système je considère que, à l’instar de ce qui a été fait pour prévenir les accidents de la route, la lutte contre la fraude doit être déclarée grande cause nationale de manière à fédérer l’ensemble des actions qui sont menées notamment, je l’ai dit, celles – systémiques – qui concernent les branches professionnelles mais aussi l’éducation : il est tout de même curieux que l’éducation civique ne fasse pas état de ce que représente la protection sociale pour l’ensemble de la société.

En conclusion, je tiens à revenir sur les différents outils qui nous sont nécessaires : sur un plan juridique, je songe à la modification de la transmission universelle du patrimoine mais, également, à la flagrance « sociale » ; sur un plan plus pratique, alors que se mettent en place le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) et la déclaration sociale nominative (DSN), il convient d’améliorer encore le croisement des fichiers ; enfin, avec 45 à 50 d’équivalents temps plein chargés de la lutte contre le travail illégal en Île-de-France, nos effectifs doivent être impérativement renforcés.

M. le rapporteur. Monsieur Ravoux, depuis votre venue devant la mission d’information sur les fraudes massives dont sont victimes les associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC), je note que la situation ne s’est hélas guère améliorée et que le fichier national des interdits de gérer n’est quant à lui toujours pas opérationnel alors qu’il s’agissait de l’une de nos douze préconisations. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cadre de nos travaux actuels.

Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, le coût du travail illégal s’élèverait entre huit et dix milliards. Dispose-t-on de chiffres nationaux précis ? À cet égard, que représentent les 780 millions de recouvrement opérés par l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) en 2010 ?

M. Vincent Ravoux. Cette dernière somme inclut les sommes collectées depuis les redressements consécutifs à une erreur jusqu’aux fraudes massives ou à des non-déclarations. Ainsi, avons-nous procédé à un redressement de 15 millions d’euros à la suite de la découverte, avec la gendarmerie, d’une fraude organisée impliquant des travailleurs polonais.

Quoi qu’il en soit, nous ignorons la prévalence globale de la fraude, les seuls éléments dont nous disposons relevant, sur un mode global, du Conseil des prélèvements obligatoires et, sur un mode particulier, d’enquêtes ciblées – à l’instar de celle que nous avons menée il y a deux ou trois ans dans les hôtels-cafés-restaurants (HCR), laquelle a témoigné d’une prévalence de la fraude relativement importante. Nous ne disposons donc que d’une vision fragmentaire.

M. le rapporteur. Quid, plus précisément, de la fraude aux associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC) et de la fraude identitaire même s’il s’agit là de combats peut-être désespérés ?

M. Vincent Ravoux. Mais néanmoins nécessaires : en effet, nous nous devons d’agir et de le faire savoir.

M. Jean Hue, directeur adjoint chargé du contentieux et du contrôle de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Paris et de la région parisienne. Si, une fois l’infraction constatée et la procédure pénale engagée, une sanction pénale est finalement prononcée – en droit jusqu’à trois ans de prison et une amende de 45 000 euros – il s’avère que celle-ci intervient tard et qu’elle est d’ordinaire clémente : les peines de prison sont rares et le sursis quasi-systématique. La véritable sanction financière, c’est donc l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) qui l’applique mais comme nous mesurons uniquement les cotisations dissimulées relevant du régime général et des associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC) et non celles des retraites complémentaires, la sanction demeure encore avantageuse en n’étant pas à la hauteur des gains réalisés par l’entreprise.

Si le recouvrement s’effectue dans des délais extrêmement rapides, les moyens dont nous disposons sont aussi encore limités : après l’établissement du procès-verbal et le chiffrage, le code de la sécurité sociale nous contraint d’envoyer tout d’abord à l’entreprise une lettre d’observation indiquant les constats effectués et le montant des cotisations redressées puis, après un mois, une mise en demeure et ce n’est que trente jours après que le directeur de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) peut prendre un titre exécutoire contraignant, signifié par un huissier. Étant systématiquement confrontés à des oppositions à contrainte devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, nous devons en fait attendre un jugement qui ne survient à Paris qu’au bout de deux ans en moyenne – deux ans et demi pour le tribunal de Versailles – ce qui laisse tout le temps à l’entreprise pour s’évanouir dans la nature. C’est pourquoi nous insistons pour que les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) bénéficient du régime de la flagrance « sociale » afin de permettre à l’inspecteur du recouvrement, dès la constatation de l’infraction, d’établir un procès-verbal concernant la lutte contre le travail illégal qui aura été signifié par voie d’huissier pour que l’ensemble des mesures conservatoires puissent être prises. Lutter contre la fraude organisée suppose d’agir prestement !

M. le coprésident Jean Mallot. Que vous est-il d’ordinaire opposé par vos différents interlocuteurs à l’encontre de l’adoption d’une telle mesure ?

M. Jean Hue. L’amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 prévoyant l’instauration de cette flagrance « sociale » n’a pas été adopté au Sénat.

M. le coprésident Jean Mallot. Pourquoi ?

M. Vincent Ravoux. Outre que la mesure aurait été insuffisamment préparée, elle n’aurait prévu aucune possibilité de recours. Quoi qu’il en soit, le parallélisme avec la flagrance « fiscale » n’est pas tout à fait exact. Si, en la matière, sécurisation juridique et respect des droits de la défense sont impératifs, la mise en place de mesures conservatoires ne l’est pas moins car les praticiens de la fraude organisée sont fins juristes. Je me propose de vous faire parvenir une argumentation globale à ce propos.

M. le coprésident Jean Mallot. Le débat doit bien entendu se poursuivre mais nous sommes intéressés par tout élément permettant de surmonter les obstacles.

M. Jean Hue. Je vous donne un autre exemple précis. Une société de gardiennage avait son siège social de 150 mètre carrés environ près de la Gare de Lyon, à Paris. Avec une secrétaire, une triple comptabilité, 200 ou 300 employés dispersés sur différents sites, la vitrine était parfaitement légale. Constituée sous forme de société à responsabilité limitée (SARL), elle comprenait différents associés – dont des personnes physiques mais… de paille ainsi qu’une entité juridique de droit allemand. Proposant des prix plus qu’attractifs, elle obtenait des marchés importants auprès de différentes collectivités locales ou de services publics : si l’ensemble du personnel était déclaré, la fraude consistait à verser une rémunération en espèces – provenant de la drogue et de la prostitution – en complément du salaire officiel. Les salariés s’estimaient ainsi gagnants puisqu’ils étaient socialement protégés tout en bénéficiant d’une rémunération défiscalisée.

Nous avons donc adressé un procès-verbal de travail illégal à l’entreprise mais la procédure a été systématiquement contestée par des cabinets d’avocats. Les grands fraudeurs se livrent souvent à des procédés d’intimidation via des interventions multiples et variées – y compris, je dois vous le dire, en faisant appel à des parlementaires qui ne savent pas vraiment à qui ils ont à faire. Ne disposant pas de titre exécutoire ni de preuve de la cessation des paiements, nous avons en l’occurrence pris l’initiative, avec le procureur adjoint de Paris, d’assigner en liquidation judiciaire la société. Le jour de l’audience, l’avocat de la partie adverse nous a indiqué que notre assignation visait une société qui n’existait plus en raison d’une transmission universelle de patrimoine ! Les associés s’étaient réunis et avaient transféré toutes les parts dans la société – fictive – de droit allemand. Qui détient donc réellement les fonds ? Nous l’ignorons mais sans doute sont-ce les mafias des ex-pays de l’Est.

Quoi qu’il en soit, même si la publicité de cette transmission a été faite dans L’Auvergnat de Paris sans que nous formions opposition, nous avons développé un certain nombre d’arguments juridiques – fraus omnia corrumpit – et nous avons été suivis par le tribunal de commerce, ce dernier ayant donc considéré que la transmission universelle de patrimoine était frauduleuse. À ce jour, nous ne disposons toujours pas de titre exécutoire et nous ne pouvons récupérer auprès des clients les factures qui n’ont pas été réglées même si j’ai bon espoir que cela se fera. J’ajoute, à ce propos, que si les fraudeurs répugnent à disparaître purement et simplement pour recréer ensuite une nouvelle société c’est que, précisément, des sommes très importantes ne leur ont pas été versées par leurs clients – que nous avertissons. La société allemande essaye donc aujourd’hui de les récupérer. Moralité, si vous me passez l’expression : la mafia n’abandonne jamais de l’argent.

M. Vincent Ravoux. Cette affaire illustre parfaitement la nécessité d’une action systémique. Il faut, premièrement, comprendre pourquoi des clients, dont le nom est très connu, ont accepté des prix en dessous du prix normal, au mépris de l’équité et même de la déontologie. Un texte de loi ne réglerait rien, il faut une prise de conscience générale. Deuxièmement, la société devait être connue, ne serait-ce que de ses concurrents qui ont été évincés. La profession aurait pu faire le ménage chez elle. Troisièmement, sur le plan juridique, nous étions condamnés à l’impuissance faute d’un dispositif légal nous permettant de prendre immédiatement des mesures conservatoires. Il est probable qu’on ne récupérera jamais rien car les circuits sont d’une extrême complexité. Quatrièmement, l’affaire a des ramifications européennes, voire internationales. Les cas sont de plus en plus fréquents. Or nous ne connaissons pas suffisamment le droit allemand, même si nous faisons des progrès… Plus compliquée encore est la fraude chinoise. Si nous voulons faire des recherches sur l’internet chinois, il nous faudrait des experts connaissant à la fois la langue et le pays. Nous aurions tout intérêt à unir nos efforts avec d’autres services chargés de contrôler pour mener des actions en faisant appel à des experts. Nous butons sur les limites nationales.

M. le rapporteur. Vous n’êtes pas les seuls dans ce cas, les juges d’instruction notamment ont les mêmes problèmes. Ainsi, a été mise au jour à Paris une filière chinoise qui rachetait des bars-tabacs en produisant de faux documents obtenus auprès d’un notaire chinois. Ce qui nous inquiète, ce sont les brèches qui profitent à la fraude intentionnelle et mafieuse, laquelle s’amplifie. Les greffes des tribunaux font-ils vraiment leur travail ? Comment est-il possible d’immatriculer des dizaines de sociétés gérées par des individus douteux sans rencontrer le moindre problème ?

M. Jean Hue. Pour le moment, le fichier national n’existe pas. Nous avons cherché à comprendre pourquoi des individus interdits de gérer peuvent continuer leur activité dans d’autres sociétés. Les sanctions prévues sont lourdes : jusqu’à cinq ans de prison et 350 000 euros d’amende, sans parler de la dissolution de la société dans laquelle l’interdit exerce. Mais il faut identifier les fraudeurs, ce qui, en l’absence de fichier, n’est pas facile.

L’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) de Paris a essayé de contourner la difficulté en créant, avec l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), un outil appelé PARADE qui recense tous les interdits de gérer à la suite d’une décision judiciaire. Nous recherchons ensuite les sociétés dirigées par des interdits de gérer. Un jour, nous avons gagné le gros lot en dénichant un individu à la tête d’une soixantaine de sociétés. Nous enrichissons la base avec les informations que nous détenons sur les sociétés en question : liquidation judiciaire, existence d’un passif envers l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF)… Notre stratégie consiste à communiquer au procureur de la République la liste des entreprises dirigées par des personnes interdites de gérer pour qu’il prenne des sanctions et décide éventuellement la radiation du registre du commerce, laquelle n’est pas toujours simple surtout si la société emploie du personnel. Nous avons aussi lancé des assignations groupées à l’encontre de toutes les sociétés d’un même dirigeant ayant un passif envers nous, et le tribunal de commerce de Paris les a acceptées alors que nous n’avions pas toujours les titres exécutoires correspondants, autrement dit la preuve de la cessation des paiements.

Le texte que vous avez voté ne sera pleinement appliqué que le jour où le fichier existera et où les greffiers auront l’obligation, au moment de l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, de vérifier que le dirigeant n’est pas interdit de gérer. Or cette formalité ne fait pas partie aujourd’hui des missions des greffes. Nous avons de très bons contacts avec le greffe de Paris qui, avec l’accord du procureur, a accepté de prendre en considération les listes de dirigeants interdits de gérer qu’on lui communiquait mais il n’y était pas obligé.

M. le rapporteur. Les greffes des tribunaux continuent-ils à se contenter de photocopies non certifiées conformes des pièces d’identité des personnes désignées comme dirigeantes des entreprises dont l’immatriculation est demandée ? C’était, paraît-il, une pratique courante.

M. Vincent Ravoux. Il ne nous est pas possible de vous répondre. En revanche, il faudrait être vigilant à l’égard des « formalistes », ceux qui accomplissent des formalités pour le compte des autres. Ils rendent un véritable service mais peuvent faciliter la fraude en évitant à leur client de se présenter en personne. Le procédé se répand à Paris, même pour avoir sa carte grise ou son permis de conduire.

M. Jean Hue. La liste des interdits de gérer que nous avons constituée est composée de dirigeants de sociétés qui faisaient toutes appel à des entreprises de domiciliation. Et pas n’importe lesquelles. On décèle manifestement des fraudes avec la complicité de certaines entreprises de domiciliation.

M. le rapporteur. Ce système est également destiné à obtenir des prestations auxquelles les fraudeurs n’ont pas droit : indemnités journalières, rentes d’accidents du travail et droits à la retraite. On m’a indiqué que l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) commençait à verser des pensions à des gens qui ont fait des faux mais qui n’ont pratiquement jamais travaillé.

M. Vincent Ravoux. Les fraudes initiées par des organisations mafieuses sont conçues pour rapporter gros, avec des détournements de prestations en espèces, à savoir des indemnités journalières, des allocations chômage et bientôt des pensions de retraite. J’ai lu, je crois dans un compte rendu de la MECSS, que l’on observait un « vieillissement » spontané des bénéficiaires des plans sociaux. C’est une autre façon de dire les choses. L’enjeu de ce type de fraude, c’est de se créer des revenus et de blanchir de l’argent. Nous sommes loin du contexte de celui qui fait travailler un voisin au noir. Cette fraude organisée, mafieuse, est peu sanctionnée et elle peut rapporter énormément.

M. le coprésident Jean Mallot. La mondialisation aggrave-t-elle le phénomène ?

M. Vincent Ravoux. Les détachements de personnels sont des opérations complexes à gérer. Nous attendons beaucoup de l’informatisation du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). Elle nous donnera plus de visibilité, et plus de rapidité. La législation européenne évolue dans le bon sens mais notre travail est compliqué du fait que l’Europe n’est plus la seule en cause. Quand nous contrôlons spontanément une entreprise chinoise, nous décelons très peu de fraudes, ce qui est tout de même surprenant. Nous avons l’impression de rester à la surface des choses. Il n’est pas question de dire que tout le monde fraude, mais l’absence de fraude est suspecte. Y a-t-il des problèmes d’identité ? C’est possible. Il est difficile de vérifier que l’employé qui travaille correspond à celui qui est déclaré. Même pour un employeur. Une entreprise de nettoyage est-elle sûre que le travailleur est celui qui a signé le contrat de travail, sauf si on le croise tous les jours ?

M. Jean Hue. La mondialisation occasionne aussi des comportements d’optimisation sociale qui n’ont rien à voir avec l’aspect pénal. Une multinationale peut récompenser son personnel implanté en France en lui versant des primes par l’intermédiaire d’une de ses filiales installée à l’étranger. M. Vincent Ravoux a aussi évoqué dans son introduction un phénomène qui prend de l’ampleur et qui nous inquiète beaucoup, c’est la mobilité des travailleurs à l’intérieur de l’Europe. Il y a de plus en plus de travailleurs indépendants qui exercent à la fois en France et à l’étranger, qu’il s’agisse de professions libérales, d’artisans ou de commerçants. Il y a des cabinets d’avocats, mais aussi des agences immobilières.

Comme vous le savez, nous avons eu à traiter un contentieux qui est allé jusqu’à la Cour de justice des Communautés européennes. Cette juridiction a pris une position ambiguë, et les pouvoirs publics ont décidé que la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) – qui représentent tout de même 8 % du revenu –seraient dues uniquement sur les revenus français. Maintenant, un contentieux du même type porte sur les cotisations d’allocations familiales : les plaignants essaient d’obtenir que les cotisations soient calculées uniquement sur les revenus français, et non sur les revenus mondiaux. Dans ces cas précis, il s’agit de revenus considérables dont 95 % sont obtenus à l’étranger. Les plaignants sont majoritairement de nationalité française et bénéficient de la sécurité sociale française. C’est la raison pour laquelle nous avons fait une proposition de bon sens consistant à introduire dans le code de sécurité sociale un article qui subordonnerait le bénéfice de la sécurité sociale française à une contribution assise sur la totalité des revenus de l’ayant droit, qu’ils proviennent d’une activité en France ou à l’étranger. Force est de reconnaître qu’il y a une dérive dans les pratiques : on veut bénéficier de la sécurité sociale française, mais on ne veut pas cotiser en fonction de la totalité des revenus.

M. le rapporteur. À quels fichiers avez-vous accès ? La collaboration avec les services fiscaux est-elle bonne ? Et quelles mesures de bon sens, outre celles que vous avez déjà citées, pouvez-vous nous suggérer ?

M. Vincent Ravoux. Les relations avec les services fiscaux sont bonnes, mais fonctionnent sur un mode archaïque car elles se font sous forme papier ou par déplacement physique des personnes. Il faudrait moderniser les procédures, d’autant que nous travaillons ensemble au sein des comités opérationnels départementaux anti fraude. Cela étant, des partenariats se nouent et nous nous connaissons de mieux en mieux.

Nous avons un accès direct à deux grands fichiers : celui des déclarations uniques d’embauche, et celui des déclarations annuelles de données sociales. Nous avons également un accès indirect au fichier des comptes bancaires et aux renseignements fournis par les plates-formes de services internet. Dans ce cas, on ne peut pas parler de mauvaise volonté, mais la pratique manque de fluidité. Comme les contacts ne sont pas fréquents, nos partenaires sont parfois surpris de nos demandes.

Un point n’a pas été évoqué, qui, pourtant, mériterait réflexion. Il s’agit de l’exploitation des signalements, des dénonciations, qui sont envoyés parfois à plusieurs services publics. Ils auraient donc intérêt à mieux les gérer. Les signalements sont utilisés, mais de façon fragmentaire. Or ils sont très efficaces.

M. Jean Hue. La plupart des signalements qui nous sont adressés ne sont pas anonymes. Ils proviennent souvent de salariés qui ont des soupçons, par exemple quand ils ne trouvent pas de numéro de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) sur leurs fiches de paie, ou encore de concurrents ou de syndicats patronaux qui signalent des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations. Il y a aussi des dénonciations anonymes, mais nos méthodes de traitement sont extrêmement précautionneuses. Nous procédons à des vérifications préalables. Si par exemple un restaurant fait l’objet d’une dénonciation, il ne nous est pas difficile de vérifier s’il existe, s’il est immatriculé, le nombre de salariés déclarés et le montant des cotisations versées. Si nos vérifications ne décèlent rien d’anormal, nous n’allons pas plus loin. Mais si un restaurant est dans l’annuaire téléphonique sans être déclaré à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), c’est suspect.

M. Vincent Ravoux. Nous avons même trouvé des entreprises qui faisaient de la publicité sur internet mais qui n’avaient pas d’existence légale. Nous en faisons maintenant un critère de tri.

Quand on a fusionné les fichiers du Régime social des indépendants et de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), avec les déboires que l’on sait, on a constaté que certains cotisants payaient leurs cotisations retraite, mais ne versaient rien à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), ou l’inverse.

M. le président Jean Mallot. Il ne me reste plus qu’à vous remercier d’avoir répondu à nos questions. Si vous avez d’autres suggestions pour nous aider dans nos travaux, n’hésitez pas. Nous vous en remercions par avance.

La séance est levée à onze heures quarante.