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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 3 mars 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Dominique Tian, rapporteur

–  Audition, ouverte à la presse et au public, sur la lutte contre la fraude sociale, de M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants, de Mme Stéphanie Deschaume, directrice adjointe de la direction de la santé, de Mme Fatoumata Diallo, responsable du pôle audit et du contrôle financier, de M. Jean-Philippe Naudon, directeur du recouvrement, et de Mme Sandrine Toscanelli, chargée de communication

–  Audition, ouverte à la presse et au public, sur la lutte contre la fraude sociale, de M. Michel Fillol, secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins, de M. Francisco Jornet, responsable juridique de l’exercice professionnel, et de Mme Mireille-Andrée Peiffer, greffière en chef de la section des assurances sociales

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 3 mars 2011

La séance est ouverte à neuf heures quinze.

(Présidence de M. Dominique Tian, rapporteur de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition de M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants, de Mme Stéphanie Deschaume, directrice adjointe de la direction de la santé, de Mme Fatoumata Diallo, responsable du pôle audit et contrôle financier, de M. Jean-Philippe Naudon, directeur du recouvrement, et de Mme Sandrine Toscanelli, chargée de communication.

M. Dominique Liger, directeur général du Régime social des indépendants. Je souhaite tout d’abord dire quelques mots sur cette idée répandue selon laquelle les travailleurs indépendants frauderaient davantage que les salariés. Il s’agit tout simplement d’un mythe, comme d’ailleurs l’idée que les indépendants toucheraient de petites retraites : depuis 1973, ces dernières sont alignées sur le régime général et, si elles sont inférieures, c’est tout simplement parce que les indépendants cotisent moins longtemps.

Les administrateurs régionaux et nationaux du Régime social des indépendants souhaitent s’inscrire dans la politique de lutte contre la fraude menée à l’échelle nationale. Parce qu’ils voient dans ce phénomène une distorsion de concurrence, ils y sont particulièrement sensibles, tout comme d’ailleurs à tout ce qui a trait aux exonérations de cotisations salariales et fiscales. Peut-être aurons-nous l’occasion d’y revenir.

Le Régime social des indépendants est récent mais il a hérité de la politique de lutte contre la fraude qui était précédemment menée par les organismes qui ont été fusionnés. Ainsi, si nous gérons désormais, pour le compte de l’État, le recouvrement de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), il s’agit d’un domaine dans lequel la lutte contre la fraude a été développée depuis très longtemps.

Nous exerçons par ailleurs la quasi-totalité de la gamme des métiers de la protection sociale : nous assurons le recouvrement, pour le compte de l’État et pour nous-mêmes ; nous gérons les deux risques principaux que sont la maladie et la retraite, seules les prestations familiales nous échappant. De la sorte nous nous trouvons dans une situation plus proche de celle de la Mutualité sociale agricole (MSA) que de la branche générale.

J’observe d’ailleurs que la lutte contre la fraude concerne la totalité des secteurs de notre activité – recouvrement des cotisations comme versement des prestations –, ainsi que notre mission de service public.

Une autre particularité du régime des indépendants est que nous avons recours à de très nombreux délégataires pour exercer cette mission de service public. Ainsi, l’assurance-maladie est-elle depuis toujours délégué à des organismes conventionnés – mutuelles et assurances – qui traitent pour nous les filières de soins et les remboursements. Pour cette raison, nous ne disposons donc pas d’effectifs importants.

Depuis 2008, nous externalisons également le recouvrement de toutes les cotisations sociales des travailleurs indépendants dont le législateur a souhaité, en vue de mettre en place l’interlocuteur social unique (ISU), confier la collecte et le calcul aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF). Mais cela n’a pas été sans entraîner d’importants problèmes informatiques, qui persistent et dont la résolution mobilise toute l’énergie des agents de nos caisses régionales comme d’ailleurs des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Or, tant que l’on n’est pas capable d’assurer un service public de qualité pour calculer et pour recouvrer les cotisations, l’efficacité de la lutte contre la fraude est moindre. C’est une des raisons pour lesquelles nous souhaitons, dans la nouvelle convention d’objectifs que nous nous apprêtons à signer avec l’État, mettre tout particulièrement l’accent sur la lutte contre la fraude en espérant que ces problèmes de fonctionnement sont désormais derrière nous.

Bien évidemment, nous ne sommes pas pour autant restés les bras ballants : conformément aux directives qui ont été données à tous les organismes de sécurité sociale, nous nous sommes organisés, en interne comme avec nos partenaires, pour élaborer un dispositif permettant de détecter et de combattre la fraude. Nos trente caisses régionales et la caisse nationale sont désormais dotées de collaborateurs spécialisés et le service d’audit, chargé de piloter notre lutte contre la fraude, est directement rattaché au directeur général. Nous réunissons de façon assez systématique l’ensemble de nos correspondants fraude. Le processus est donc désormais bien lancé et il devrait produire des effets dans un délai raisonnable.

Alors que les recouvrements liés à la lutte contre la fraude avaient été assez homéopathiques en 2008, les documents que nous vous avons remis montrent qu’ils ont doublé pour atteindre 6,85 millions d’euros en 2009. Ce montant doit être rapporté à l’assiette des six cotisations collectées par le Régime social des indépendants au titre des six régimes qu’il gère, qui dépasse 9 milliards d’euros. On peut comparer ce recouvrement avec ce que nous faisons depuis des années en matière de lutte contre la fraude à la contribution sociale de solidarité des sociétés. Cette taxe, extrêmement impopulaire chez les chefs d’entreprise et frappant les entreprises dont le chiffre d’affaires excède 900 000 euros, devait à l’origine être supportée par les grandes surfaces et bénéficier au petit commerce. Depuis lors, toutes les entreprises y ont été soumises et son produit a été affecté pour partie au Régime social des indépendants et pour partie à la Mutualité sociale agricole et aux autres organismes de protection sociale. Alors que nous prélevons à ce titre 5 milliards d’euros, nous avons réalisé, pour la seule année 2009, 80 millions d’euros de recouvrements dans le cadre de notre lutte contre la fraude. On voit bien d’une part que, lorsque nous disposons d’outils performants et que nous ne sommes pas perturbés par des problèmes informatiques, nous disposons d’un véritable savoir-faire et nous faisons preuve d’efficacité, d’autre part que nous n’avons nullement l’intention de nous soustraire à la politique nationale de lutte contre la fraude.

Nous sommes également chargés de l’immatriculation des auto-entrepreneurs mais la gestion, en particulier le recouvrement des cotisations, a été confiée aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Pour nous, ce régime fort utile n’est pas davantage générateur de fraude que les autres, même si son succès – nous immatriculons encore aujourd’hui plus de 25 000 auto-entrepreneurs chaque mois – ouvre de nouveaux horizons aux fraudeurs. Ainsi, afin d’alléger leurs charges sociales, certains entrepreneurs demandent à leurs salariés de recourir à ce statut. Il est assez difficile de séparer le bon grain de l’ivraie, ne serait-ce que parce que 45 % des auto-entrepreneurs ne réalisent aucun chiffre d’affaires – ce qui ne fait bien évidemment pas d’eux des fraudeurs. Qui plus est, il est encore un peu tôt pour savoir combien de personnes qui se sont engagées dans cette voie vont développer suffisamment leur activité pour atteindre le plafond de ce dispositif et en sortir. On peut aussi se demander si l’auto-entreprise n’est pas une façon de légaliser des revenus d’appoint : aujourd’hui, un conseiller d’État, un parlementaire ou un directeur de sécurité sociale peuvent se transformer en auto-entrepreneurs… Quoi qu’il en soit, c’est un sujet qui nous préoccupe beaucoup et sur lequel nous travaillons en étroite relation avec l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales.

Enfin, même si nous ne disposons pas des outils nécessaires pour l’analyser, nous nous intéressons, en étroite liaison avec l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales de Paris, au développement du commerce par internet. Bien évidemment, nous ne sommes pas concernés lorsque des particuliers procèdent de façon raisonnable à des achats et à des ventes sur des sites comme ebay. Mais on trouve aussi dans ce domaine un certain nombre de professionnels du commerce qui commencent à intéresser sérieusement les services fiscaux et les organismes de protection sociale. En effet, le commerce électronique est une nouvelle façon de développer son chiffre d’affaires, sur laquelle il est extrêmement difficile d’asseoir des cotisations sociales, ne serait-ce que parce que l’on ne sait pas à partir de quel seuil de chiffre d’affaires et d’activité une personne peut être qualifiée de commerçant par internet.

Mme Stéphanie Deschaume, directrice adjointe de la direction de la santé du Régime social des indépendants. S’agissant de la branche Maladie, nous nous distinguons assez nettement du régime général. C’est aussi un domaine dans lequel nous avons été mis moins en difficulté par l’institution de l’interlocuteur social unique, ce qui nous a permis de nous intégrer parfaitement dans la dynamique des politiques de lutte contre la fraude menées depuis 2006, année où 688 000 euros ont été collectés à ce titre. En 2009, les résultats de la lutte contre la fraude représentaient 5,217 millions d’euros, toutes actions – régime en lui-même et organismes conventionnés – confondues. Cette forte progression est similaire à celle qui est enregistrée dans les autres régimes. S’il est difficile de dire à quel pourcentage de la fraude globale ce total correspond, on peut toutefois noter qu’il représente 0,1 % de notre objectif national des dépenses de l’assurance maladie (ONDAM), qui atteint 6,5 milliards d’euros.

Notre action s’insère dans un plan national qui comporte notamment le contrôle de la tarification à l’activité (T2A) des établissements de santé ainsi que le contrôle des assurés, en particulier des indemnités journalières, qui font l’objet d’une réglementation spécifique. Au total, 4,625 millions d’euros sont ainsi collectés.

S’y ajoutent 340 000 euros au titre des fraudes individuelles, à la suite notamment de dénonciations, ainsi que 252 000 euros liés aux préjudices constatés dans le cadre de l’important accroissement de l’activité des organismes conventionnés.

En raison notamment du très fort accroissement du nombre des auto-entrepreneurs, la population couverte par notre régime s’est accrue de 13 % entre 2009 et 2010, tandis que le Régime social des indépendants enregistrait une progression de 2,7 % de l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie, soit moins que ce qui était prévu.

M. Dominique Tian, rapporteur. La Cour des comptes estime la fraude, au minimum, à 1,5 % des dépenses. Un résultat représentant 0,1 % des dépenses reste donc limité.

Nous connaissons bien vos problèmes d’organisation, dont nos électeurs nous font part régulièrement. Mais la période de transition que vous avez évoquée paraît bien longue… Comment pensez-vous pouvoir progresser ?

Pourriez-vous par ailleurs préciser à quels types de fraude vous êtes confrontés ?

Enfin, j’aimerais que vous nous apportiez quelques précisions sur le tableau que vous nous avez fourni car les sommes collectées paraissent très faibles.

Mme Stéphanie Deschaume. Tout comme le régime général, avec lequel nous travaillons dans le cadre des agences régionales de santé (ARS), nous contrôlons la tarification à l’activité des établissements de santé, pour lesquels la fraude consiste pour l’essentiel en un usage abusif de nomenclatures favorisantes.

Chez les professionnels de santé, la fraude passe surtout par des actes fictifs ou surcotés. Là aussi, elle se rapproche de ce que constate le régime général. Vous trouverez dans le dossier l’exemple d’une infirmière qui dépasse régulièrement la limite réglementaire quotidienne des actes infirmiers de soins (AIS), atteignant parfois 61 actes par jour…

Dans le cadre de ce contrôle, nous utilisons un système d’information décisionnel, qui nous permet d’émettre des requêtes et de dégager des profils atypiques présentant des dysfonctionnements quantitatifs. L’analyse du dossier entraîne un échange avec le professionnel avant que l’on aille éventuellement plus loin.

Au titre des soins infirmiers, les indus émis ont atteint 111 000 euros en 2009 et devraient dépasser 500 000 euros en 2010.

Pour les assurés, la principale problématique est celle des prestations en espèces. La réglementation est un peu différente de celle qui prévaut pour les salariés mais la loi de finances pour 2010 a élargi notre champ d’intervention. Nous pouvons désormais mieux contrôler les indemnités journalières des indépendants, notamment leur sortie de domicile, et donc une éventuelle poursuite de l’activité pendant l’arrêt de travail. Nous avons ainsi pu percevoir 776 000 euros en 2009, le montant pour 2010 n’étant pas encore connu. Je rappelle que, juridiquement, les indemnités journalières sont des prestations supplémentaires pour lesquelles nous avons une obligation d’équilibre financier, que nous vérifions mois après mois. De la sorte, les droits sont moins importants que dans le régime général, avec des délais de carence et un plus faible plafond de montant journalier. De la sorte, ce risque est aujourd’hui financièrement contenu.

M. Dominique Liger. N’oublions pas que, lorsqu’un travailleur indépendant est sous indemnités journalières, son activité s’interrompt. Les indemnités journalières sont d’ailleurs de création très récente dans le Régime social des indépendants.

Mme Stéphanie Deschaume. En effet, elles ont été instituées en 1995 pour les artisans et en 2001 pour les commerçants ; elles n’existent toujours pas pour les professions libérales. Par ailleurs, pour obtenir une indemnité journalière, il faut être à jour de ses cotisations pour ce risque. Le risque financier est donc contenu.

Nous exerçons aussi dans ce cadre une activité de contrôle médical et nous constatons que les arrêts de travail sont très souvent justifiés par des raisons médicales, en particulier chez des personnes de cinquante à soixante ans présentant des signes d’usure physique après des années de travail dans le bâtiment.

Mme Fatoumata Diallo, responsable du pôle audit et contrôle financier du Régime social des indépendants. S’il est fréquemment indiqué dans le tableau qui vous a été remis en annexe 2 et présentant les différentes fraudes détectées en 2009 que la somme finalement récupérée suite à la détection d’une fraude est égale à zéro, c’est tout simplement parce que l’estimation globale n’est pas encore disponible. Cela vaut en particulier pour les cas de travail dissimulé, pour lesquels nous rencontrons de sérieuses difficultés de liaison avec les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, le montant ne pouvant être établi pour l’instant en raison de problèmes liés aux systèmes d’information de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.

L’estimation de 1,8 million d’euros de fraudes liées aux cotisations est donc très en deçà du montant réel des fraudes détectées, qui atteint plus probablement des dizaines de millions. Nous ne pouvons donc ni estimer correctement ni réclamer ces cotisations, faute des outils nécessaires, alors que les personnes concernées ont pourtant été condamnées pénalement pour une fraude à l’assiette ou une activité non déclarée.

M. le rapporteur. On comprend mal pourquoi il serait plus difficile de combattre la fraude que lorsque l’informatique n’existait pas…

Mme Fatoumata Diallo. Certes, mais dès lors que nous avons pris l’engagement d’entrer dans le système de l’interlocuteur social unique et de déléguer le recouvrement aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, nous sommes totalement liés à notre partenaire.

M. Jean-Philippe Naudon, directeur du recouvrement du Régime social des indépendants. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale gère le système d’information. En vertu des textes fondateurs de l’interlocuteur social unique et du Régime social des indépendants, ce dernier a en charge le recouvrement : à partir du moment où la personne n’a pas payé, il relève du système d’information de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale. En cas de travail illégal, un constat de l’infraction est dressé, le plus souvent par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, qui ont la compétence de ce contrôle. Le travail mené sur le terrain avec les caisses régionales du Régime social des indépendants se traduit in fine par la nécessité d’intégrer la fraude dans ce que nous appelons le parcours du recouvrement puisque nous ne pouvons pas immatriculer une personne si nous n’avons pas respecté une procédure contradictoire qui impose certains délais. On pourrait donc le faire à la main mais, pour procéder au recouvrement, il est impératif de recourir au système d’information, sinon nous sommes incapables de le gérer. Procéder à l’immatriculation immédiate d’un fraudeur reviendrait à le faire entrer dans le parcours normal. Or en la matière, dès lors qu’il y a eu fraude, on peut revenir non pas trois mais cinq ans en arrière ; il y a des pénalités particulières et une procédure contradictoire à respecter. Nous savons qu’un certain nombre de dossiers importants sont pendants, en particulier en Aquitaine à propos de ferrailleurs, mais ils ne peuvent pour l’instant être intégrés dans le système d’information, qui seul nous permet d’opérer le recouvrement.

M. Dominique Liger. Pour ce motif, on pourrait parler d’accident industriel informatique lourd.

On a découvert que les systèmes d’information du Régime social des indépendants et de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale étaient totalement incompatibles, lorsqu’une première vague de cotisations a été appelée en 2008, avec des problèmes pour pas moins de 20 % des cotisations ! Depuis lors, les deux organismes s’efforcent de les résoudre, avec comme première priorité d’appeler des cotisations exactes, puis d’éviter des anomalies. Le système d’information de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale n’a pas été en mesure de nous fournir les outils pour procéder au recouvrement et nous sommes donc totalement démunis. Les difficultés de la lutte contre la fraude peuvent être considérées comme des dommages collatéraux et ce n’est pas à cela que l’on s’est efforcé de remédier en premier lieu.

M. le rapporteur. On peut quand même espérer que les choses ont progressé depuis 2008. La situation s’est-elle rétablie en 2010 ou l’incompatibilité des systèmes d’information perdure-t-elle ?

M. Jean-Philippe Naudon. En 2010, nous avons travaillé en priorité sur ce que nous appelons dans notre jargon les « singletons », c’est-à-dire des gens connus mais pour lesquels on n’avait pas émis ce que l’on appelle les risques manquants, c’est-à-dire que l’on avait procédé à l’appel de cotisations pour un risque mais pas pour les autres. Cette opération n’a pas été réalisée avant 2010, les années antérieures ayant été consacrées en priorité à rétablir un équilibre dans les systèmes d’information. Ainsi, ce n’est qu’en 2009 que le Régime social des indépendants a pu envoyer les premières mises en demeure aux cotisants n’ayant pas versé leurs cotisations alors que leur compte était juste. En 2011, nous allons demander en priorité absolue à disposer du module de gestion permettant de traiter les dossiers liés à la lutte contre le travail illégal. Nous récupérerons bien entendu tous les dossiers qui auraient dû être traités précédemment et qui n’ont pas été frappés de forclusion.

Mme Fatoumata Diallo. Pour les cas de travail dissimulé constatés, les cas de cotisations non recouvrées concernent notamment des bandes organisées exerçant dans la vente de ferraille. Des plaintes ont été déposées et des condamnations sont intervenues, même si le calcul des cotisations n’a pas pu aboutir. L’action à l’encontre des fraudeurs se poursuit donc.

M. le rapporteur. On peut ainsi espérer récupérer une partie des sommes, du moins pour ceux qui n’ont pas disparu dans la nature. Surtout, ces bandes organisées, qui sont promptes à s’engager dans les brèches de la réglementation, doivent savoir qu’elles ne sauraient le faire impunément. Il ne faudrait pas que certains, convaincus que le Régime social des indépendants ne fonctionne pas parfaitement, s’y inscrivent délibérément afin de se soustraire à leurs obligations de cotisations…

M. Jean-Philippe Naudon. Nous avons identifié des personnes qui auraient dû relever du Régime social des indépendants et qui n’y étaient pas immatriculées parce que le système d’information de l’un ou l’autre des partenaires n’avait pas permis, via le numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques (NIR), de s’assurer qu’il s’agissait bien de la même personne. Dans ces conditions et dans le contexte économique des années 2008-2009, nous n’avons pas voulu prendre le risque d’appeler deux fois les cotisations, pas plus que celui d’un amalgame informatique, opération qui consiste à réunir deux dossiers sous une seule identité. Nous avons donc pris beaucoup de précautions. Nous avons traité l’an dernier plus de 150 000 comptes ; nous avons émis des risques manquants pour 70 000 d’entre eux. C’est une opération énorme qui a mobilisé de nombreux informaticiens. En dépit de ce travail considérable, il nous reste environ 30 000 dossiers à traiter, mais les informaticiens sont désormais disponibles et nous nous fixons bien pour objectif de mettre en place en 2011 le module de gestion des cotisations dans le cadre de la lutte contre le travail illégal.

M. le rapporteur. Comment ciblez-vous les personnes à risque : par comparaison avec les fichiers des services fiscaux ?

M. Jean-Philippe Naudon. Non, en comparant nos propres fichiers. Nous savions par exemple que des personnes apparaissant comme professionnels libéraux chez nous étaient répertoriées comme artisans-commerçants auprès de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ce qui signifie que les risques n’étaient pas les mêmes. Mais cela peut tenir à une erreur et ne peut être assimilé aux fraudes délibérées que j’évoquais à l’instant : les ferrailleurs n’étant même pas immatriculés, ils ne pouvaient pas être repérés par comparaison des fichiers informatiques.

Mme Fatoumata Diallo. Ces cas nous ont été signalés dans le cadre des opérations de contrôle des inspecteurs de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, le Régime social des indépendants exploitant les fiches de signalement qui lui ont été transmises. Mais, je le répète, même si les montants peuvent être estimés, ils ne peuvent pas encore être intégrés dans le système d’information.

M. Dominique Liger. Le contrôle des cotisations des travailleurs indépendants n’appartient pas au Régime social des indépendants : il a été confié aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, dont les outils informatiques sont insuffisants. Seule la mise en service d’outils automatisés permettrait de détecter les fraudes à la cotisation des travailleurs indépendants, mais encore faut-il que cela soit une priorité pour l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Nous avons délégué à cette dernière la compétence du contrôle : ou bien ils ne sont pas en mesure de le faire, ou bien ce n’est pas leur priorité car ce n’est pas là qu’il y a le plus d’argent à récupérer.

M. le rapporteur. Cela représente tout de même quelques dizaines de millions d’euros !

M. Dominique Liger. Certaines unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales ont sans doute procédé à des arbitrages, mais il n’existe pas, à l’heure actuelle, de consolidation nationale. Il ne m’appartient pas de demander à M. Pierre Ricordeau de faire tel ou tel choix.

M. le rapporteur. Qu’en dit M. Benoît Parlos ?

M. Dominique Liger. Il regarde attentivement ce que font le Régime social des indépendants et tous les organismes de protection sociale. Nos correspondants l’ont auditionné afin de montrer aux caisses régionales que nous sommes particulièrement impliqués dans le dispositif national. Je rappelle que nous avons à traiter, en plus des fraudes aux cotisations, les fraudes aux prestations maladie et retraite. M. Benoît Parlos constate comme nous un accroissement des fraudes, même si les montants restent relativement faibles.

S’agissant de la contribution sociale de solidarité des sociétés, les chiffres sont plus significatifs. J’ai pris devant M. Benoît Parlos l’engagement de faire de la lutte contre la fraude un objectif quantifiable et un indice d’efficience et d’efficacité dans la nouvelle convention d’objectifs que je m’apprête à négocier avec les mutuelles et les assureurs.

M. le rapporteur. Combien de personnes se consacrent à la lutte contre la fraude au sein de votre organisme ?

Mme Fatoumata Diallo. Environ deux cents, dont une bonne partie est affectée au contrôle de la contribution sociale de solidarité des sociétés. Les contrôles à proprement parler occupent près de 72 équivalents temps plein, dont 51 au sein des 30 caisses régionales, qui comptent chacune un référent « fraude » et un référent suppléant, qui, à la différence de leurs homologues des organismes conventionnés, exercent parallèlement d’autres activités et qui ne peuvent pas non plus être comparés aux contrôleurs et aux inspecteurs des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales.

Les quelque cent agents agréés et assermentés du Régime social des indépendants ont obtenu leur assermentation avant la mise en place du Régime social des indépendants et disposent des cartes des anciens réseaux. L’arrêté du 6 mai 1995 qui régissait leur statut ayant été abrogé, nous n’avons pu leur délivrer de nouvelles cartes, ce qui entrave la promotion des actions de lutte contre la fraude. Un nouvel arrêté ministériel nous permettrait d’assainir cette situation.

M. le rapporteur. M. Benoît Parlos fera sans nul doute le nécessaire.

Sans remettre en cause vos méthodes de contrôle, je constate que les chiffres sont extrêmement faibles. On voit aussi que l’apnée du sommeil vous a permis d’économiser 1,7 million d’euros : frappe-t-elle particulièrement les commerçants et les artisans ?

Mme Stéphanie Deschaume. Nous identifions a priori certaines thématiques comme problématiques et sources potentielles de fraude. Elles sont inscrites au plan national et font l’objet d’une méthodologie, construite par un groupe d’experts, que toutes les caisses appliquent ensuite à l’ensemble du champ de dépenses considéré. L’apnée du sommeil avait fait l’objet en Languedoc-Roussillon d’une étude expérimentale qui, ayant mis en relief des dysfonctionnements majeurs – c’est-à-dire des cas d’entente entre un médecin prescripteur et un laboratoire –, a été généralisée à l’ensemble du territoire. Le régime général a ensuite engagé la même action. Désormais, cette pathologie n’est plus source de fraude particulière.

Les cas individuels sont en effet peu nombreux, les caisses et les organismes conventionnés reçoivent des dénonciations ou identifient des dysfonctionnements. Ces cas sont traités, même s’ils ne rapportent rien au sens macro-économique, et nous établissons des profils grâce à notre système d’analyses statistiques afin de nous assurer qu’ils ne se reproduiront pas ailleurs.

M. le rapporteur. Vous dites n’être pas en mesure de vérifier l’identité des personnes et leur numéro d’inscription au répertoire. Cela a-t-il un rapport avec la fraude à la carte Vitale ?

Mme Stéphanie Deschaume. Notre système d’information n’est pas mûr car il n’a pas été mis en cohérence parfaite avec celui de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Pour la branche Maladie, nous obtenons toutefois avec le système précédent un bon niveau d’identification des personnes. Il subsiste néanmoins des usages abusifs d’une carte Vitale par un tiers. Notre système nous permet de suivre quantitativement la consommation de chaque carte et nous procédons à une vérification lorsqu’un certain montant est dépassé. Certains professionnels conservent abusivement la carte Vitale d’une personne vivante ou, plus rarement décédée. Ainsi, un pharmacien a utilisé abusivement la carte Vitale de sa fille pour un montant de 252 000 euros !

Pour contrôler l’usage de la carte Vitale des personnes décédées, nous avons engagé l’action « soins post mortem ».

M. Dominique Liger. Ces derniers cas nous intéressent doublement, car il y a alors un cumul du paiement de la retraite et de l’utilisation de la carte Vitale !

Mme Stéphanie Deschaume. Nous ne sommes pas toujours informés du décès d’une personne. Si la déclaration passe par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et le régime social, il est techniquement possible pour un tiers d’utiliser la carte Vitale pendant un certain temps. C’est pourquoi notre action se poursuit quelques mois après le décès.

M. le rapporteur. Se peut-il que le Régime social des indépendants ne soit pas informé du décès des personnes ?

Mme Stéphanie Deschaume. Cela peut arriver. Lorsque les personnes sont détentrices d’un numéro d’inscription au répertoire certifié et rattaché, l’information du décès nous parvient en quelques jours ; en revanche, quand le numéro d’inscription au répertoire n’est pas certifié, il faut recourir à l’Institut national de la statistique et des études économiques et l’information nous est parfois transmise après plusieurs mois, surtout si les ayants droit n’ont pas déclaré le décès.

M. le rapporteur. Quelle est la différence entre le numéro d’inscription au répertoire certifié et le numéro d’inscription au répertoire non certifié ? Quelles en sont les proportions ?

Mme Stéphanie Deschaume. Le numéro d’inscription au répertoire certifié nous permet d’identifier de façon certaine la personne et, d’un point de vue technique, d’accélérer les échanges de flux.

M. Jean-Philippe Naudon. Les numéros d’inscription au répertoire non certifiés concernent des personnes nées à l’étranger, dont nous devons reconstituer l’identification par le biais de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Ces cas sont traités par le service administratif national d’identification des assurés de la caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés à Tours. L’Institut national de la statistique et des études économiques communique les dates de décès au Régime social des indépendants et au centre de Tours. La généralisation des numéros d’inscription au répertoire certifiés est indispensable, mais, du fait de la structure de notre population, 5 % de personnes n’en disposent pas.

Depuis la création du Régime social des indépendants, nous menons une politique très active en la matière pour atteindre 100 % de numéros d’inscription au répertoire certifiés, non sur l’année en cours – pour différentes raisons, liées notamment aux cas des personnes nées à l’étranger – mais sur l’année précédente. À la fin de l’année dernière, nous avions atteint de 97 % pour la population des artisans, 96,74 % pour les commerçants et 80 % pour les ayants droit. L’objectif très clair affiché par le Régime social des indépendants est de parvenir à une population certifiée à 100 %, ce que nous devrions obtenir en 2011 pour l’année 2010.

M. le rapporteur. Venons-en aux fraudes en matière de retraite.

M. Dominique Liger. Je rappelle que nous avons la compétence pour les retraites des commerçants et des artisans et non pour celles des professions libérales.

Environ 90 % des retraités du Régime social des indépendants sont polypensionnés : les artisans commencent souvent leur vie professionnelle en tant qu’apprentis, donc salariés, avant de créer leur entreprise et de retrouver parfois ensuite le salariat. Cette situation rend le dispositif de liquidation plus complexe.

La crise de l’informatique des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales et du Régime social des indépendants a eu des effets collatéraux en bloquant l’automatisation des deux ou trois dernières années de cotisation. Nous ne disposions pas des sommes exactes affectées à l’ouverture des droits, ce qui a fortement ralenti les délais de liquidation, et nous avons dû reconstituer à la main les cotisations payées depuis 2008. Ce problème est fort heureusement réglé.

Le Régime social des indépendants connaît le même type de fraudes que le régime général, mais nous n’avons détecté qu’un nombre infime de fraudes comme celle des faux trimestres dont a souffert la Mutualité sociale agricole.

Mme Fatoumata Diallo. Pour lutter contre la fraude à la retraite, les organismes sociaux ont engagé des actions récurrentes, portant notamment sur les certificats de vie. Des contrôles sont effectués chaque année auprès des retraités, sur notre territoire comme à l’étranger. Comme le régime général, nous adressons au domicile de la personne retraitée un courrier lui demandant de nous retourner le certificat de vie. Mais nous n’avons pas à ce jour les moyens de vérifier sur place que les personnes sont toujours en vie.

M. Jean-Philippe Naudon. Si le courrier ne nous revient pas, nous suspendons la pension. S’il nous revient avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée », nous la maintenons. Qui plus est, nous ne pouvons être certains de l’identité du signataire.

Mme Fatoumata Diallo. Le contrôle des fraudes liées aux prestataires eux-mêmes est intégré au dispositif de contrôle interne.

M. le rapporteur. Quel est le montant des pensions que vous versez à l’étranger et quelle en est la répartition par pays ?

Mme Fatoumata Diallo. Nous servons environ 36,8 millions d’euros de prestations, soit 0,46 % de la totalité des 8 milliards de prestations retraite, pensions de droit direct et de réversion.

70 % des retraites sont versées à des artisans et commerçants résidant dans l’Union européenne et 30 % à des ressortissants d’autres pays, sachant que les artisans sont très majoritairement installés dans l’Union européenne.

M. le rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes indique que nous versons en Algérie plus de prestations à des centenaires qu’il n’en existe…

De quels moyens disposez-vous pour contrôler la véracité du décès d’une personne et donc cesser le versement de la pension ?

M. Jean-Philippe Naudon. Dans le cas d’un numéro d’inscription au répertoire certifié, nous sécurisons le paiement de la pension dès que nous apprenons le décès via la base de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Mais, lorsque nous envoyons un courrier à une personne qui vit dans un pays étranger, si c’est une autre personne qui répond à sa place, nous sommes totalement démunis.

M. le rapporteur. L’Algérie se distingue-t-elle uniquement par la longévité de ses retraités ?

Mme Fatoumata Diallo. Les retraités sont essentiellement installés en Espagne, en Italie et au Portugal. Si l’Algérie se distingue, c’est surtout pour le montant des prestations retraite qui y sont versées. Je ne dispose pas d’analyses précises sur l’âge des retraités, mais je peux vous dire que l’Algérie représente à peu près 3 % des prestations versées aux personnes vivant à l’étranger, soit 520 000 euros, versés à 428 artisans et 3 000 commerçants.

M. le rapporteur. Vous serait-il possible de nous adresser un tableau présentant les chiffres pays par pays et l’âge moyen auquel les prestations sont versées, de façon à ce que nous puissions vérifier les distorsions relevées par la Cour des comptes ?

Quelle procédure utilisez-vous pour vérifier la date du décès ? Le recours à une société qui effectue la vérification des identités auprès de l’état civil du pays vous paraît-il efficace ?

Mme Fatoumata Diallo. Vous évoquez l’expérimentation menée en Tunisie.

M. le rapporteur. Ce n’était pas le pays le plus ciblé mais celui où il était le plus facile de vérifier l’état civil et les décès.

Mme Fatoumata Diallo. La Tunisie ne représente en effet que 142 artisans et 484 commerçants.

M. le rapporteur. Cela me surprend, car les commerçants sont en grande majorité originaires de Tunisie. Avez-vous ciblé la Chine ?

Mme Fatoumata Diallo. Nous vous fournirons les éléments statistiques demandés.

S’agissant des fraudes transnationales, nous souhaitons nous rapprocher davantage du Comité national de lutte contre la fraude. Nous devrions y parvenir en 2011.

Nous n’avons pas envisagé de participer à l’expérimentation réalisée en Tunisie à l’initiative de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) – ce que nous ferons certainement dans un deuxième temps – car les pays où les risques nous paraissent les plus importants restent l’Union européenne et l’Algérie.

M. le rapporteur. Votre système est-il plus sécurisé en Espagne et au Portugal ?

Mme Fatoumata Diallo. Nous n’allons pas vérifier sur place si les personnes sont réellement ce qu’elles prétendent être et si elles sont toujours en vie. Ces contrôles, nous en sommes conscients, devront être développés dans un avenir proche, éventuellement par l’intermédiaire d’un prestataire comme dans l’expérimentation en Tunisie.

M. Dominique Liger. Je suis moi-même surpris du faible nombre de retraités tunisiens, algériens et chinois, mais je rappelle que nous ne versons de pensions qu’aux anciens travailleurs indépendants, les salariés de leur propre société à responsabilité limitée (SARL) étant affiliés au régime général : pour avoir une vision exhaustive, il faudrait recouper ses fichiers avec ceux du Régime social des indépendants.

M. le rapporteur. Mesdames, messieurs, je vous remercie.

La Mission d’évaluation et de contrôle procède ensuite à l’audition de M. Michel Fillol, secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins, de M. Francisco Jornet, responsable juridique de l’exercice professionnel, et de Mme Mireille-Andrée Peiffer, greffière en chef de la section des assurances sociales.

M. Dominique Tian, rapporteur. Après deux ou trois mois de travail, nous sommes convaincus que la fraude sociale est une réalité. Certaines données sont impressionnantes et la Cour des comptes, dans son rapport d’avril 2010, relève de nombreux dysfonctionnements, dont certains intéressent les médecins et l’Ordre national.

Les cas les plus fréquents sont ceux des médecins « superactifs » : 1 347 praticiens effectuent plus de 12 000 consultations par an, 120 allant jusqu’à 18 000 consultations ! Est-ce là une bonne pratique médicale ?

Les arrêts maladie sont un autre sujet de préoccupation. Récemment une compagnie républicaine de sécurité (CRS) entière se trouvait en congé maladie… Et que dire des petites filles d’origine musulmane qui obtiennent systématiquement un certificat médical pour éviter d’aller à la piscine ? Selon une étude récente de l’éducation nationale, les maladies surviennent le plus souvent le vendredi, voire le jeudi. À l’évidence, des praticiens délivrent donc des certificats de complaisance. L’Ordre des pharmaciens mène un important travail pour dénoncer certaines pratiques, mais sur tous ces sujets, nous aimerions connaître votre sentiment.

M. Michel Fillol, secrétaire général adjoint de l’Ordre national des médecins. Je suis médecin, secrétaire général adjoint du Conseil national de l’Ordre, en charge du contentieux. Mon expérience est celle d’un spécialiste qui a pratiqué la médecine libérale et hospitalière. J’ai présidé pendant de nombreuses années un conseil départemental de l’ordre ainsi que la commission médicale d’établissement d’un hôpital général.

J’ai demandé à deux de nos juristes de m’accompagner : Mme Mireille-Andrée Peiffer, en charge du contentieux auprès du Conseil national, en particulier de la section des assurances sociales, et M. Francisco Jornet, responsable de la section d’exercice professionnel.

Parce que l’une de ses missions est de sanctionner les médecins fautifs et d’assurer le maintien de la qualité des soins aux patients, l’Ordre national des médecins est bien évidemment très concerné par le problème de la fraude.

L’ordre comprend deux structures. Tant au niveau régional de première instance, où elles sont adossées au conseil régional, qu’en appel, les sections des assurances sociales ont pour mission de traiter du contentieux du contrôle technique – j’insiste sur cette formulation – à travers les dispositions de l’article L. 141-1 du code de la sécurité sociale relatif aux fraudes, aux abus et aux fautes. Les patients ne peuvent les saisir directement.

Pour leur part, les sections disciplinaires traitent surtout des questions de déontologie en s’appuyant sur quelques articles de notre code de déontologie, qui interdisent « toute fraude, abus de cotation, indications inexactes des honoraires perçus et des actes effectués », ainsi que « tout acte de nature à procurer au patient un avantage matériel injustifié ou illicite », et qui traitent également des certificats de complaisance et des bonnes pratiques.

On peut avoir le sentiment d’y trouver un copié-collé de l’article L. 141-1 du code de la sécurité sociale. En réalité, notre vision des choses n’est pas strictement superposable à celle de la sécurité sociale car nous nous intéressons davantage à la déontologie, à la morale et au comportement des médecins. Ces deux structures se complètent donc, même si la question de leur maintien mérite d’être posée.

Les motifs de nos saisines sont multiples, comme le sont souvent les griefs contre un médecin. Sans être exhaustif, il s’agit des actes fictifs – le médecin emprunte la carte Vitale d’un patient un peu faible pour facturer des actes ; des actes facturés à tort – une femme demande à un médecin une intervention de chirurgie esthétique, souvent mammaire, qui n’est pas remboursée : le médecin transforme cette intervention en chirurgie réparatrice pour la facturer à l’assurance maladie ; des actes non réalisés par le médecin lui-même – un dermatologue demande à son assistant de pratiquer des soins esthétiques mais les facture à son nom. Nos saisines portent également sur les certificats médicaux, notamment les arrêts de travail non justifiés ; sur les fautes, volontaires ou non, relatives à la nomenclature et aux prescriptions comme le mésusage de médicaments, notamment les thérapeutiques de substitution, les prescriptions faites à un tiers ou destinées à envoyer des médicaments à l’étranger… Elles portent enfin sur les abus d’actes, ce qui introduit le débat sur ce qu’on appelle le délit statistique : on ne peut sanctionner un médecin au plan disciplinaire simplement à partir de chiffres, il nous faut les analyser pour déterminer s’il y a véritablement une intention du médecin ou si un nombre important de consultations résulte de la démographie médicale, par exemple lorsqu’un médecin se retrouve seul dans un cabinet alors que trois médecins étaient présents auparavant.

En 2010, la section des assurances sociales a enregistré 208 saisines en première instance et 132 en appel. Auprès des sections disciplinaires, il est plus difficile d’identifier les véritables griefs ; les statistiques font toutefois ressortir 60 ou 70 cas sur 1 200 plaintes disciplinaires enregistrées chaque année en première instance. Cela peut paraître peu au regard des 90 000 médecins libéraux et des 55 000 médecins hospitaliers en exercice : soit les médecins sont particulièrement vertueux, soit les mailles du filet sont trop larges…

En dehors de ces contentieux déclarés, les caisses d’assurance maladie ou les conseils départementaux de l’ordre convoquent de nombreux médecins pour discuter avec eux de leur conduite avant d’entamer des poursuites. Il est difficile de donner des chiffres en la matière.

S’agissant des saisines, je dois dire un mot de nos relations avec nos partenaires institutionnels et avec les conseils départementaux de l’ordre.

Bien qu’ils en aient l’obligation, les parquets n’informent pas toujours les conseils départementaux des sanctions pénales devenues définitives à l’encontre d’un médecin en cas de fraude et nous avons souvent la mauvaise surprise de les apprendre par la presse…

M. le rapporteur. Se peut-il que l’ordre ne soit pas informé automatiquement en cas de plainte ?

M. Michel Fillol. Une plainte pénale peut être diligentée par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sans que l’ordre ne soit consulté.

M. le rapporteur. C’est l’un des reproches que la Cour des comptes a adressés à la caisse.

M. Michel Fillol. L’article L. 162-1-19 du code de la sécurité sociale, issu de l’article 56 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires dispose que « les directeurs des organismes locaux d’assurance maladie et les services médicaux de ces organismes sont tenus de communiquer à l’ordre compétent les informations (…) susceptibles de constituer un manquement à la déontologie ». Or, j’insiste sur ce point, bien qu’aucun décret ne soit nécessaire, cette disposition n’est pas appliquée. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés nous promet depuis plusieurs mois d’adresser à toutes les caisses une lettre sur les termes de laquelle nous nous sommes entendus. Mais elle n’est toujours pas arrivée. Des démarches locales sont entreprises à l’initiative de quelques directeurs de caisse et médecins conseils, mais elles sont très parcellaires et largement insuffisantes.

J’en viens à l’attitude des conseils départementaux. Lorsqu’ils sont saisis d’une plainte de l’assurance maladie, la procédure est très claire : ils doivent organiser une conciliation et si elle échoue, transmettre la plainte à la chambre disciplinaire. S’il s’agit de faits graves, qui peuvent relever de la fraude, le conseil départemental a le devoir de se saisir de ces faits et de porter plainte – et il le fait en règle générale. Les conseils s’intéressent aussi à toutes sortes de doléances et de récriminations, qui portent sur des faits qui ne sont pas forcément d’une particulière gravité, dont un certain nombre passent à travers les mailles du filet. Au Conseil national, nous incitons régulièrement les conseils départementaux à se montrer plus vigilants et à examiner de façon rigoureuse les faits qui leur sont signalés.

En 2010, les sections d’assurances sociales de première instance ont prononcé 203 sanctions, dont 134 interdictions d’exercice de courte durée ou définitives, les premières pouvant être assorties d’un sursis ou accompagnées d’une demande de remboursement en cas d’abus d’actes. Ce nombre est relativement important, car l’interdiction d’exercice est très lourde de conséquences pour un médecin. Une affaire peut toujours être dirigée vers le pénal et la section disciplinaire.

M. le rapporteur. Pouvez-vous préciser de façon chiffrée la nature des sanctions ?

M. Michel Fillol. Vous trouverez dans le dossier que nous vous avons transmis des statistiques très complètes.

Les sections disciplinaires prononcent plus d’interdictions d’exercice que d’avertissements ou de blâmes, même pour des faits qui ne paraissent pas très graves.

M. le rapporteur. Ce qui nous intéresse, ce n’est ni la qualité professionnelle des médecins ni la moralité de leur comportement vis-à-vis de leurs patients, mais la lutte contre la fraude. Or la Cour des comptes a relevé qu’un grand nombre de professionnels étaient en situation d’abus sans faire l’objet de la moindre sanction. Un médecin qui pratique 18 000 actes par an est-il sanctionné par l’ordre ? Le fait de travailler 18 heures par jour, tous les jours de l’année, relève-t-il pour vous de la faute professionnelle ?

M. Michel Fillol. Les abus d’actes sont sanctionnés. Un médecin qui avait pratiqué 488 consultations et visites en une semaine et effectué des prescriptions thérapeutiques injustifiées a été sanctionné par une interdiction d’exercer de quatre mois. Je pourrais citer d’autres sanctions de même type, émanant des sections des assurances sociales ou des sections disciplinaires.

M. le rapporteur. Je ne m’intéresse qu’à ce qui relève de la fraude sociale. Le rapport de la Cour des comptes fait état de 1 347 praticiens hyperactifs, qui effectuent 12 000 consultations par an. Une telle activité n’est pas normale et ne permet pas de faire de la bonne médecine. Certains médecins vont jusqu’à 20 000 consultations annuelles, ce qui signifie, à raison de 20 minutes par consultation, qu’ils travaillent plus de 6 000 heures par an, à raison de 18 heures par jour, y compris les dimanches et jours fériés ! La Cour des comptes y voit une fraude sociale. Ces 120 praticiens dont le nombre de consultations est trois fois supérieur à la moyenne annuelle ont-ils été convoqués par l’ordre et sanctionnés ? Leur a-t-on dit que leur conduite était incompatible avec de bonnes pratiques médicales ?

Les responsables du Régime social des indépendants, que nous venons d’auditionner, nous ont signalé le cas de praticiens ayant rédigé des ordonnances post mortem. L’ordre en a-t-il été saisi ? Combien de sanctions a-t-il prononcées au cours des années précédentes, et pour quelles raisons ? En bref, fait-il bien son travail et contribue-t-il à la lutte contre la fraude sociale ?

Mme Mireille-Andrée Peiffer, greffière en chef de la section des assurances sociales de l’Ordre national des médecins. Les juridictions placées auprès de l’ordre ne peuvent se prononcer que lorsqu’elles ont été saisies d’une plainte. Si les organismes d’assurance maladie ne portent pas les faits à la connaissance du conseil départemental ou du conseil national, l’ordre ne peut s’autosaisir et, bien évidemment, le patient qui bénéficie de la fraude ne le saisira pas non plus.

Les griefs qui nous parviennent sont multiples. L’assurance maladie relève souvent ceux d’abus d’actes, d’abus de soins, d’actes fictifs, de soins de mauvaise qualité, ainsi que de prescriptions hors spécialité ou de prescriptions non conformes aux conditions de remboursement. Et, pour la plupart des praticiens en cause, c’est en général un ensemble de griefs que fait ressortir le contrôle d’activité. Aussi est-il très difficile, lorsque l’on analyse les décisions, de recenser celles qui ne relèvent que de l’abus d’actes.

M. Michel Fillol. Comme je l’ai dit, nous sommes bien loin d’être systématiquement saisis des récriminations de l’assurance maladie envers les praticiens. C’est là que se situe la difficulté affectant la quantité et la qualité de notre travail.

M. le rapporteur. Le rôle de l’Ordre des médecins n’est-il pas de veiller à ce qu’une bonne médecine soit pratiquée dans notre pays ? Il appartient bien entendu aux caisses d’assurance maladie de vous signaler les cas aberrants, mais êtes-vous suffisamment en relation avec les caisses ? N’avez-vous pas aussi à réaliser un travail disciplinaire préventif ?

M. Michel Fillol. Qu’entendez-vous par « travail disciplinaire préventif » ?

M. le rapporteur. Les médecins dont l’activité est aberrante sont connus. Ce sont des choses qui se savent et qui peuvent être vérifiées.

M. Michel Fillol. Je le répète : lorsque les conseils départementaux ont connaissance de ces cas, ils se saisissent des faits et portent plainte eux-mêmes, mais, alors que le volume le plus important de plaintes transite par l’assurance maladie, nous ne sommes pas suffisamment informés ou saisis de ces situations. Or, nous ne pouvons nous prononcer que sur ce qui nous est rapporté.

M. le rapporteur. Nous avons là un point de divergence. Les syndicats médicaux eux-mêmes admettent qu’il existe des abus et que certains praticiens sont pour le moins laxistes. L’Ordre des pharmaciens semble s’inscrire dans une démarche assez différente de la vôtre : il a signé avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés une convention visant à faciliter la transmission d’informations sur les pharmaciens et il a accepté des opérations pilotes pour des produits faisant l’objet d’abus manifestes, comme les substituts de drogue. De plus, il est favorable au développement du dossier pharmaceutique, alors que les médecins s’opposent depuis longtemps au dossier médical personnel (DMP) – dont le dernier avatar est le dossier médical personnel masqué ! Bref, on n’a pas l’impression que votre ordre souhaite pousser les choses très loin.

M. Michel Fillol. Je respecte tout à fait l’appréciation quelque peu négative que vous portez sur notre action. Une fois encore, nous ne pouvons traiter des faits que nous ignorons, et nous en ignorons beaucoup pour les raisons que je vous ai exposées. Mais il peut être prouvé que nous ne sommes pas laxistes vis-à-vis des médecins, y compris de ceux qui effectuent des actes en nombre excessif.

Pour ce qui est de la signature d’une convention entre l’Ordre des pharmaciens et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, je ne puis que répéter que nous avons nous aussi tenu plusieurs réunions de travail avec cet organisme. Nous nous sommes mis d’accord sur la rédaction d’une lettre-cadre devant être adressée aux caisses primaires. Nous attendons toujours que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés l’envoie.

Quant au dossier médical personnel, l’ordre n’y a jamais été opposé. Il a au contraire rendu un avis favorable, sous certaines conditions de confidentialité et de respect du droit des patients, et il s’active pour que ce dispositif prenne enfin forme, sachant que ce dossier est conçu pour améliorer la coordination des soins, et non pour combattre la fraude. Bien entendu, l’examen des données peut amener à formuler des remarques sur certaines redondances dans les prescriptions d’examens techniques, mais l’objectif essentiel n’est pas celui-là.

M. le rapporteur. Pourquoi ?

M. Michel Fillol. Le dossier médical personnel n’est pas fait pour lutter contre la fraude mais pour améliorer la coordination des soins et pour guider le patient dans son parcours. En outre, l’accord de ce même patient est nécessaire pour que soit créé son dossier personnel et il lui est reconnu un droit à l’oubli ainsi qu’un droit au retrait de certaines informations, cependant que la possibilité de consultation de ce dossier par tous les professionnels de santé est encadrée…

M. le rapporteur. Tout cela, nous le savons bien. Nous attendons depuis dix ans la mise en œuvre du dispositif.

M. Michel Fillol. Ce n’est pas notre fait.

M. le rapporteur. J’en conviens, mais on ne peut dire que vous ayez fortement soutenu la démarche.

M. Michel Fillol. Si !

M. le rapporteur. Le dossier pharmaceutique existe depuis des années et c’est un bon outil pour les professionnels, qui permet de détecter certains problèmes.

Plus généralement, nous sommes confrontés à un problème de société récurrent : on consomme beaucoup de médicaments en France, nous sommes de plus en plus interpellés sur des questions de santé publique et la crédibilité des médecins est parfois mise en cause. Tout cela ne devrait pas laisser l’ordre indifférent.

Par ailleurs, quel peut bien être l’intérêt d’un dossier médical masqué ?

M. Michel Fillol. Peut-être y a-t-il là une entrave, en effet, mais le dossier médical est celui du patient, lequel doit être protégé par le secret médical, comme le précise la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Face aux associations de patients qui insistent en faveur du droit à l’oubli et du masquage, que voulez-vous que nous objections ?

M. le rapporteur. La démarche des pharmaciens paraît un peu différente, et sert mieux la protection du malade.

M. Michel Fillol. Le dossier pharmaceutique est d’un maniement relativement simple : sa transmission se fait uniquement de pharmacien à pharmacien et de pharmacien à patient. Dans le cas du dossier médical, les intervenants potentiels sont bien plus nombreux.

M. le rapporteur. D’après une enquête menée par M. Yves Bur, il existe 1 800 faux dossiers médicaux dans les réseaux d’information des médecins, en France. La profession a devancé l’institution du dossier médical personnel ! Les médecins savent communiquer entre eux par des moyens modernes, ne serait-ce que pour gagner du temps, même si, du point de vue légal, cette pratique est discutable dans la mesure où il ne s’agit pas exactement d’un dossier médical partagé.

M. Francisco Jornet, responsable juridique de l’exercice professionnel au sein de l’Ordre des médecins. Tout comme pour le dossier médical, le patient peut demander qu’une prescription ne figure pas dans son dossier pharmaceutique – pour peu qu’il connaisse l’existence de celui-ci et que le pharmacien l’informe de cette possibilité. Il n’y a pas de différence d’architecture, de ce point de vue, entre ces deux dossiers : c’est le patient qui décide de ce qui doit y figurer.

M. le rapporteur. Il peut même s’opposer à la création d’un dossier pharmaceutique.

M. Michel Fillol. Je ne voudrais pas que l’on me fasse dire ce que je n’ai pas dit. L’Ordre des médecins n’a jamais été opposé à la création d’un dossier médical personnel. Tout prouve qu’il y a même beaucoup contribué. Et l’on ne peut me faire dire non plus qu’il est impossible de tirer de ce dossier des signes d’alerte concernant par exemple la surconsommation d’actes techniques. Je note simplement qu’il n’a pas été créé pour cela et que ce n’est pas une arme dont on pourrait user en première ligne dans la lutte contre la fraude.

M. le rapporteur. Le Régime social des indépendants, dont nous venons de recevoir les représentants observe la consommation médicale par patient et dispose d’un système d’alerte en cas de surconsommation. Il y a là une inégalité…

M. Michel Fillol. Nous ne sommes pas aveugles face aux surconsommations médicamenteuses ou aux prescriptions inappropriées. Nous les sanctionnons.

M. le rapporteur. Combien de sanctions prononcez-vous ? Je vois dans vos documents que 33 sanctions ont été prononcées en 2010 pour fraude en matière de prescription. Pourtant, la Cour des comptes dénombre quelque 1 800 médecins en situation de surrégime et de fraude manifeste, et quelques autres milliers dont l’activité est considérée comme exagérée. En somme, ces pratiques ne font pas courir un grand risque !

M. Francisco Jornet. Nous traitons 100 % des dossiers. Aussi avons-nous pris connaissance avec un certain étonnement de cette convention passée par l’Ordre des pharmaciens avec l’assurance maladie et M. Pierre Fender : en effet M. Michel Legmann, président de notre conseil national, avait écrit à M. Frédéric Van Roekeghem pour demander que la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés signale à l’ordre les pratiques déviantes, et il lui a été répondu que l’assurance maladie n’avait à signaler que le manquement au tact et à la mesure !

Par ailleurs, quels sont les chiffres précis de la Cour des comptes concernant les médecins ?

M. le rapporteur. La cour distingue 1 347 médecins qualifiés de « super-actifs », qui facturent plus de 12 000 consultations par an, et 120 médecins qualifiés de « hyperactifs », qui en facturent plus de 18 000.

M. Francisco Jornet. Ce qu’il faudrait demander à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, c’est combien de fois elle a alerté l’ordre au sujet de ces 120 médecins !

M. Michel Fillol. Quand les dossiers nous sont transmis, nous nous employons à sanctionner réellement les médecins déviants. Tout le problème tient à la transmission de l’information par les caisses d’assurance maladie. C’est ce qui explique l’écart choquant entre, d’une part, les chiffres fournis par la Cour des comptes et, d’autre part, le nombre des dossiers qui nous parviennent et des sanctions que nous prenons.

Une fois encore, nous ne pouvons sanctionner que les comportements dont nous avons connaissance. Nous nous montrons à cet égard très pressants auprès de l’assurance maladie mais celle-ci ne répond pas à nos demandes. Je regrette d’avoir à porter cette accusation grave, mais le problème se situe là.

M. le rapporteur. C’est un peu notre sentiment. Nous en reparlerons avec M. Frédéric Van Roekeghem.

M. Michel Fillol. Nous n’avons pas à exprimer de points de vue subjectifs mais nous sommes quelque peu amers d’entendre sans cesse demander : « Mais que fait l’Ordre des médecins ? » L’ordre fait ce qu’il peut avec ce qu’il a, et il ne le fait pas si mal que cela !

Pour améliorer le système et réduire les abus et les fraudes, un travail préventif est d’abord nécessaire. La formation initiale des médecins est notoirement insuffisante, qu’il s’agisse de la thérapeutique, de la pharmacologie ou des modalités d’exercice. Quant à la formation médicale continue, c’est un serpent de mer depuis vingt-cinq ans. Les textes précis que le Parlement avait élaborés en la matière ont été abandonnés. Le plus récent dispositif, celui du développement professionnel continu, n’a pas été mis en œuvre, si bien que les médecins sont livrés à eux-mêmes ou tributaires d’une « formation » délivrée par les laboratoires pharmaceutiques, avec toutes les conséquences que l’on a pu récemment constater.

L’amélioration doit également porter sur la communication institutionnelle, en particulier de l’assurance maladie vers l’ordre.

M. le rapporteur. Les députés essaient de répondre aux questions que la rue se pose. Comment se fait-il que l’on indique à une personne intégrant tel ou tel organisme qu’elle a droit à 35 jours d’arrêt maladie par an ?

M. Michel Fillol. Ce ne sont pas les médecins qui le disent.

M. le rapporteur. Mais ce sont eux qui délivrent l’arrêt maladie. Pour prendre un autre exemple que celui des compagnies républicaines de sécurité, la Cour des comptes relève que ce sont les personnels des caisses d’assurance maladie qui sont le plus souvent en arrêt maladie ! Ces choses ne peuvent échapper à de bons professionnels. Est-ce de la bonne médecine que de mettre en arrêt maladie tous ces patients qui, visiblement, ne sont pas très malades ?

M. Michel Fillol. Certainement pas.

M. le rapporteur. De même, il est abusif de coter une consultation pour une visite médicale d’aptitude au sport scolaire. Tous ces abus sont largement connus, y compris des médecins.

M. Michel Fillol. Je pourrais même vous donner des exemples d’interdictions temporaires prononcées pour des certificats médicaux justifiant des absences scolaires. Pourtant, le préjudice pour l’assurance maladie est nul. Bien entendu, l’ordre sanctionne également la facturation à l’assurance maladie des actes destinés à la délivrance d’un certificat de non contre-indication à la pratique du sport.

M. le rapporteur. À ce propos, les certificats d’interdiction de piscine non justifiés que certains médecins délivrent systématiquement à des jeunes filles de religion musulmane posent un problème d’éducation que la société ne pourra ignorer longtemps. Alors que ces jeunes filles ont le droit et les capacités physiques d’aller à la piscine comme les autres, on crée une ségrégation.

Pour en revenir à notre sujet, est-il supportable que 15 % à 20 % des personnes soient en arrêt maladie dans certains services ? Ce sont des questions que l’on pose aux députés. Un médecin a une autorité mais il a aussi des responsabilités.

M. Francisco Jornet. Les certificats de non contre-indication à la pratique du sport sont un exemple intéressant. Alors que les publications de l’ordre rappellent aux médecins que certains certificats ne doivent pas faire l’objet d’une feuille de soins, nous recevons des kyrielles de doléances ou de plaintes de la part de patients s’indignant de ce que leur médecin ait respecté la loi ! La pression des patients complique singulièrement l’exercice vertueux de la médecine.

De même, les employeurs se plaignent quotidiennement auprès de l’ordre de la mise en arrêt maladie de tel ou tel salarié. Tous ces courriers sont traités. Le conseil départemental interroge le médecin mis en cause et recueille ses explications. Mais, si l’on donnait systématiquement suite aux plaintes, il y aurait actuellement 50 000 médecins devant les juridictions disciplinaires. Pour les employeurs, en effet, tout arrêt de travail est de complaisance et tout médecin le délivrant doit être poursuivi. C’est pourquoi le conseil départemental effectue à la fois un travail d’écoute du médecin et de recoupement. Au niveau national, le bulletin de l’ordre rappelle que les certificats de complaisance sont prohibés par la déontologie médicale et qu’ils peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires. À l’inverse, les médecins font valoir qu’ils sont soumis à une pression d’autant plus forte que nous sommes en période de crise.

M. le rapporteur. C’est certain. Cela étant, la MECSS observe ce qui se passe dans les autres pays européens. Le système allemand, fondé sur la responsabilité des médecins et sur leur capacité à gérer eux-mêmes le dispositif de santé, est très différent du nôtre mais il fonctionne. Le nôtre a certes ses spécificités, mais cela justifie-t-il des indicateurs aussi divergents de ceux du reste de l’Europe, sur les sujets qui nous préoccupent ?

Je vous remercie pour votre contribution.

La séance est levée à onze heures quarante.