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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mercredi 18 mai 2011

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Jean Mallot, coprésident

–  Audition, ouverte à la presse et au public, sur la lutte contre la fraude sociale, de Mme Odile Soupison, directrice adjointe de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères et européennes, M. Renaud Collard, sous-directeur adjoint des conventions et de l’entraide judiciaire, et M. Étienne Léandre, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’aide sociale

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mercredi 18 mai 2011

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

(Présidence de M. Jean Mallot, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition de Mme Odile Soupison, directrice adjointe de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères, M. Renaud Collard, sous-directeur adjoint des conventions et de l’entraide judiciaire, et M. Étienne Léandre, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’aide sociale.

Mme Odile Soupison, directrice adjointe de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères. En matière sociale, notre activité présente deux volets.

Nous servons à nos ressortissants à l’étranger des prestations sociales. Le versement de ces prestations au titre de la Convention de Vienne et dans le cadre d’un budget contraint est organisé par des circulaires internes. Une dotation d’environ 16 millions d’euros nous permet de servir des aides à des personnes âgées, des personnes handicapées et des enfants en détresse. Nous versons également des aides à la scolarité pour un budget de 119 millions d’euros, les bourses étant ouvertes de la maternelle à la terminale, des bourses complémentaires pouvant être versées pour les classes de seconde, première et terminale. Cette partie de nos prestations est très spécifique au ministère des affaires étrangères.

En matière de versement de prestations des régimes de sécurité sociale, le rôle des consulats est très limité. Ainsi, les remboursements de soins ou les pensions de retraite sont versés directement par les caisses aux bénéficiaires qu’ils soient français ou étrangers.

S’agissant du premier volet, c’est-à-dire les « prestations hors sécurité sociale », les contrôles prennent la forme d’enquêtes réalisées sur place par les agents des consulats. Ils vérifient le dossier et les pièces justificatives des personnes demandant à bénéficier d’une aide, en essayant d’apprécier un éventuel décalage entre le train de vie de ces dernières et les éléments contenus dans le dossier. Après ce premier examen individuel des dossiers, des commissions locales composées de membres du consulat, du consul, de représentants élus à l’Assemblée des Français de l’étranger et, éventuellement, de personnalités extérieures nommées procèdent à un deuxième examen individuel. Un troisième contrôle est effectué en administration centrale sur la base du travail réalisé par les commissions locales. Enfin, nous présentons l’ensemble des demandes à une commission nationale.

Ce mécanisme à quatre niveaux existe à la fois pour les prestations d’aide sociale et les aides à la scolarité.

Pour ce faire, nous disposons d’outils d’enquête sur place, mais aussi, depuis quelques mois, de l’article L. 158 du livre des procédures fiscales qui permet à nos consulats, en cas de doute sur un dossier, de vérifier avec les services fiscaux qu’une déclaration mentionnant l’absence de revenu ne cache pas des éléments de revenus hors du pays.

Dans la mesure où notre enveloppe financière est contrainte et n’évolue pas au rythme de l’inflation, nous devons prendre en compte des situations nouvelles. Cette année encore, des personnes sont sorties du dispositif car leurs ressources ou les aides qu’elles recevaient localement dépassaient les plafonds fixés par pays.

S’agissant du deuxième volet – des prestations versées par les organismes de sécurité sociale à leurs bénéficiaires dans le cadre des régimes de sécurité sociale –, le consulat a un rôle de facilitateur des contrôles. D’abord, nous disposons d’un réseau de conventions de sécurité sociale assez important qui nous permet, surtout grâce aux plus récentes, de développer la coopération administrative entre régimes de sécurité sociale. Les nouvelles conventions que nous négocions conjointement avec la direction de la sécurité sociale intègrent systématiquement cette dimension de coopération administrative, essentielle pour la lutte contre la fraude. Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’une convention se négocie sur le long terme. Ensuite, le décret du 5 octobre 2009 relatif à l’agrément des personnes physiques ou morales pouvant réaliser des enquêtes en matière de sécurité sociale permet à nos consulats d’agréer des organismes spécialisés après avis du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). L’agrément conduit à la conclusion d’une convention entre le ou les organismes de sécurité sociale qui le souhaitent et l’organisme agréé, l’objectif étant de contrôler telle ou telle prestation dans le pays concerné. Une circulaire parue au mois de janvier explicite ce mécanisme d’agrément et de convention. Nous avons commencé à le tester pour la Tunisie : l’organisme est d’ores et déjà agréé, mais le processus de convention est interrompu depuis les événements politiques récents. Il devrait reprendre fin juin à la faveur d’une mission de la direction de la sécurité sociale à Tunis.

En matière de contrôles, nous nous heurtons à un problème juridique fondamental : beaucoup de personnes de nationalité étrangère présentent des documents émanant des autorités locales. Or l’autorité consulaire française peut rencontrer des difficultés pour obtenir l’accord des autorités locales en vue de contrôler ces documents. Nous connaissons déjà cette difficulté pour des demandes de transcription d’actes d’état civil lorsque nos services souhaitent faire des levées d’acte dans les registres locaux : dans de nombreux cas, ils n’arrivent pas à obtenir l’accord des autorités locales pour faire ces levées d’acte.

L’intérêt d’un organisme agréé est d’avoir des autorités locales l’autorisation d’exercer. Nous vérifions son objet social et il agit à titre privé pour le compte d’un organisme de sécurité sociale. Pour choisir un organisme, nous lançons un appel à candidatures, réceptionnons les dossiers, nous assurons qu’ils sont complets, les transmettons au Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale après l’expertise duquel nous procédons à l’agrément.

M. Renaud Collard, sous-directeur adjoint des conventions et de l’entraide judiciaire au ministère des affaires étrangères et européennes. Cette procédure d’agrément est née d’une volonté de la direction de la sécurité sociale de lutter plus efficacement contre la fraude, mais sans aller au-delà de l’article L. 114-11 du code de la sécurité sociale désignant les consulats pour l’agrément des personnes morales ou physiques. La direction de la sécurité sociale a toujours estimé que les consulats ne sont pas en mesure d’utiliser les constatations recueillies sur le terrain par les personnes morales ou physiques et faisant état d’une fraude manifeste à la sécurité sociale. Les entités compétentes en la matière sont le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, les caisses et l’administration centrale de sécurité sociale. Le rôle du consulat est de diffuser l’information et de se déterminer sur l’honorabilité et le professionnalisme des acteurs qui constatent sur le terrain des manquements avérés ou apparents à la réglementation. Autrement dit, nous recevons les dossiers mais ne les instruisons pas.

Les dossiers de fraude à la sécurité sociale concernent essentiellement des surfacturations de soins à l’étranger – la Tunisie faisant l’objet d’une suspicion de fraude très importante en matière de dialyses. Ils portent également sur les pensions, dans la mesure où nous n’avons pas toujours la preuve que les bénéficiaires qui ont travaillé en France et sont revenus dans leur pays sont toujours vivants. Ils portent enfin sur des soins inopinés à l’occasion de voyages touristiques de résidents ; en l’occurrence, un grand nombre de Tunisiens résidant en France se rendent en Tunisie et y bénéficient de soins.

M. le coprésident Jean Mallot. Je suppose que les organismes de sécurité sociale ont des estimations précises des prestations versées à des ressortissants résidant à l’étranger, qu’ils soient français ou étranger.

Pouvez-vous clarifier le rôle du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale ? Si j’ai bien compris, vous agréez des organismes qui procèdent aux contrôles sur la base d’orientations fournies par les organismes de sécurité sociale.

M. Renaud Collard. Le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale donne son avis pour l’agrément, lequel émane du consulat.

Les organismes agréés ne jugent pas de la mauvaise application de la législation sociale française : ils constatent des faits dont ils informent, via le consulat, les organismes de sécurité sociale.

Le consulat examine la régularité des dossiers au regard d’une série de conditions – absence de condamnation pénale, nombre d’années d’exercice dans la profession, etc. – et les transmet au Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, qui les instruit.

Mme Odile Soupison. La caisse de sécurité sociale conclut une convention avec l’organisme agréé. Elle peut ainsi lui demander de procéder à tel type de contrôle et le rémunère.

M. le coprésident Jean Mallot. Je suppose que les conventions de sécurité sociale sont passées entre États.

Mme Odile Soupison. Les conventions de sécurité sociale entre États prévoient que les ressortissants d’un pays ayant travaillé dans l’autre peuvent par exemple cumuler des années pour faire valoir leur retraite. Dans les conventions que nous négocions actuellement, nous introduisons des clauses de coopération administrative entre États.

Les conventions dans le cadre du décret du 5 octobre 2009 sont des contrats de droit privé. Je tiens à votre disposition la circulaire d’application de ce texte qui précise la mécanique de conclusion des conventions.

M. le coprésident Jean Mallot. Quels pays ont conclu de telles conventions avec la France ?

M. Renaud Collard. Trente-six conventions intergouvernementales, signées avec des pays d’Amérique latine, d’Asie, d’Afrique, sont en vigueur.

Les conventions traditionnelles ne prévoient qu’une réunion de commission mixte, d’où une coopération embryonnaire, voire impossible à réaliser.

Avec le Togo, par exemple, une convention ancienne contient un article sibyllin prévoyant que les assurés sont soumis aux mêmes conditions en matière de preuves. Cela n’est pas probant pour nos dossiers.

Les nouvelles conventions, par exemple avec le Brésil et l’Uruguay, dont la négociation est achevée, contiennent des articles qui permettront de contrôler notamment la qualité de résident, les conditions de ressources du bénéficiaire, etc. Celle négociée avec le Brésil prévoit en outre un contrôle sur les certificats de vie et de décès. Il sera détaillé dans le cadre d’un arrangement administratif conclu entre ministres, que la direction de la sécurité sociale négocie actuellement. Cette nouveauté sera à peu près équivalente au dispositif particulier pour la Tunisie.

Les conventions récentes prévoient également la reconnaissance des décisions de justice en matière de prestations indûment versées ou de cotisations impayées, c’est-à-dire l’exequatur. C’est une nouvelle avancée.

Les nouvelles conventions semblent donc être la voie à suivre.

Au sein de l’Union européenne, des conventions bilatérales en matière de sécurité sociale – avec la République tchèque et le Luxembourg notamment – prévoient des coopérations en matière de preuves de décès, de conditions de résidence, de ressources, etc., plus poussées que celles prévues par le règlement communautaire de 2010, lequel ne va guère au-delà d’une coopération administrative.

M. le coprésident Jean Mallot. Au sein de l’Union européenne, les conventions diffèrent selon les États. Hors Union européenne, elles sont peu nombreuses et de nature différente. Des progrès restent donc à accomplir.

Si j’ai bien compris, le dispositif prévu par le décret du 5 octobre 2009 est expérimenté uniquement en Tunisie.

Mme Odile Soupison. Nous reprendrons le test en juin. Nous souhaitons mettre en place le dispositif en Tunisie et en tirer, quelques mois après, un premier bilan avec la direction de la sécurité sociale, notre objectif n’étant pas de le généraliser, mais de le cibler sur les pays et les prestations pour lesquels le contrôle s’impose.

Si nous parvenions à étendre le réseau des conventions de sécurité sociale « nouvelle formule », nous n’aurions pas besoin du dispositif du décret. Celui-ci présente néanmoins l’intérêt de dépendre de la France, alors qu’un accord international nécessite l’accord de deux États. Il constitue donc une solution intermédiaire qui, à mon sens, peut être efficace.

La plupart des conventions sont ciblées géographiquement et correspondent à une évolution historique. Or dans ce contexte de fraude, il faudrait renégocier certaines conventions et non des moindres, ce qui n’est pas chose facile. À cet égard, je pense à l’Algérie. Il ne suffit pas de proposer à un État de renégocier, encore faut-il que celui-ci apporte une réponse…

M. Dominique Tian, rapporteur. Certains pays ont-ils réussi à signer davantage de conventions que la France ?

M. Renaud Collard. Beaucoup ont un réseau de conventions de sécurité sociale, mais pas forcément plus étendu que celui de la France : l’Allemagne n’en a pas conclu plus de trente.

M. le rapporteur. Sont-elles différentes des nôtres ?

Mme Odile Soupison. C’est le degré d’homogénéité des systèmes sociaux qui détermine l’étendue du réseau de conventions. Il est difficile de se mettre en phase avec un pays dont la structure juridique est très éloignée de la nôtre, par exemple si son système de retraite repose uniquement sur un régime complémentaire. Comme tous nos principaux partenaires, nous nous heurtons à cette limite pour toutes les branches.

M. le rapporteur. Vous ne parvenez pas à conclure une convention avec l’Algérie. Quelles sont les raisons invoquées par les autorités algériennes ?

M. Renaud Collard. Elles ne donnent pas de raison particulière. Elles ne sont pas contre le principe dans l’absolu, mais ne nous transmettent pas les informations sur les possibilités de coopération entre les systèmes dont nous avons besoin pour préparer la négociation. La direction de la sécurité sociale elle-même ne semble pas certaine que les propositions actuelles ne marquent pas une régression : pour l’instant, le compte n’y est pas.

Pour des raisons différentes, nous avons beaucoup de mal à progresser dans la négociation avec l’Australie : les autorités de ce pays ne veulent pas lâcher du terrain sur leur conception en matière de risques couverts. De notre côté, nous ne souhaitons pas un texte plus défavorable à nos détachés.

M. le rapporteur. Sur un million de pensionnés des régimes français de retraites dans le monde, 440 000 se trouvent en Algérie. Or, selon la Cour des comptes, le nombre de retraités algériens centenaires indemnisés est supérieur à ce que déclare l’état civil algérien…

Comment la fraude en Tunisie a-t-elle été découverte ? De quelle manière les choses ont-elles été résolues sur le terrain ?

M. Renaud Collard. J’ignore comment la direction de la sécurité sociale a détecté cette fraude en Tunisie. Selon des estimations qui m’ont été communiquées par oral et dont j’ignore quelle période elles couvrent, la fraude – soit par facturation de soins non effectués, soit par surfacturation de soins très bon marché en Tunisie et facturés sur une base de remboursement française – atteindrait plusieurs centaines de millions.

La Société tunisienne d’assurances et de réassurances a été agréée. Les acteurs du système devraient être en contact fin juin ou début juillet. Le recueil des informations en est donc à un stade très embryonnaire.

En ce qui concerne l’Algérie, la direction de la sécurité sociale est assez réservée sur la renégociation d’un accord de sécurité sociale en raison d’un problème d’impayés, la partie algérienne refusant d’intégrer à la négociation des créances hospitalières importantes qui représentent plusieurs centaines de millions d’euros. Nous recherchons des améliorations via des communications plus directes entre le consulat et les hôpitaux.

Mme Odile Soupison. La direction de la sécurité sociale doit pouvoir nous communiquer les chiffres précis. Les impayés hospitaliers constituent depuis plusieurs années une question que nous n’arrivons pas à traiter avec les autorités algériennes.

M. le rapporteur. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le cadre européen ?

M. Renaud Collard. Outre un accord avec la Belgique, que ce pays n’a pas encore ratifié pour les raisons que l’on sait, deux accords, l’un avec la République tchèque, signé le 11 juillet 2008 et entré en vigueur le 1er avril 2011, l’autre avec le Luxembourg, qui sera signé prochainement, vont au-delà du règlement de 2010 : comme dans le dispositif tunisien, nous nous entendons avec l’autre partie pour pratiquer une série de vérifications : détermination des droits à prestation, appréciation des ressources, vérification du cumul des prestations, conditions d’affiliation et d’éligibilité liées à la résidence, etc.

M. le rapporteur. De telles conventions sont-elles prévues avec l’ensemble des pays européens ? Une attention particulière est-elle portée aux nouveaux entrants ?

M. Renaud Collard. Je ne dispose pas d’informations de la direction de la sécurité sociale quant à de nouveaux chantiers de négociation.

M. le rapporteur. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les certificats de vie ?

Mme Odile Soupison. Conformément au principe de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, les certificats de vie sont demandés aux autorités locales, selon une périodicité de six à douze mois selon les pays ou les régions. La réalité des certificats de vie est un problème récurrent.

Face à cela, le consulat peut, à la limite, vérifier que l’autorité ayant délivré le certificat existe bien et que la personne ayant signé détient bien une délégation de signature. Cela ne signifie pas pour autant que le contenu de l’acte correspond à la réalité. Lorsque nous sommes saisis d’une demande de transcription d’un acte, nous pouvons bien sûr envisager des vérifications en cas de doute. Néanmoins, cela est possible à la seule condition que les autorités locales nous laissent faire ou que nous trouvions les registres locaux. Cela peut prendre des mois, voire des années. Beaucoup de pays, notamment africains, ne nous laissent pas consulter les registres. J’ajoute que les registres d’état civil peuvent ne pas contenir l’acte recherché ou dévoiler une série d’actes d’état civil ajoutés au 31 décembre…

Outre ces difficultés, les effectifs des consulats ne permettent pas de faire des vérifications systématiques.

M. le rapporteur. Que pensez-vous de la proposition de M. Xavier Bertrand de confier aux consulats les contrôles des certificats de vie ? Cela semble une grande ambition…

Mme Odile Soupison. En effet… Même si nos effectifs évoluaient de façon très positive, je ne vois pas comment nous pourrions mettre en place un tel système : les autorités locales, qui nous envoient les certificats de vie par la poste, n’accepteraient pas que nous mettions en doute leur parole, dès lors nous borner à attester qu’elles sont bien compétentes, n’a aucun intérêt, cette légalité externe ne nous prémunissant pas contre un faux contenu. Il est également inenvisageable que les demandeurs se déplacent en personne au consulat, où il serait de toute façon bien difficile de vérifier leur identité.

Le dispositif que nous mettons en place en Tunisie nous semble efficace. Conformément au décret du 5 octobre 2009 et à sa circulaire d’application, les organismes doivent avoir la capacité juridique d’exercer leur activité. Autrement dit, ils ont indirectement l’agrément des autorités locales pour exercer ces contrôles.

M. le rapporteur. Pour la Tunisie, la Société tunisienne d’assurances et de réassurances se déplacera, même dans des contrées très éloignées, pour constater auprès des autorités locales que les personnes sont toujours vivantes.

M. Renaud Collard. Selon le cahier des charges, elle a les moyens matériels de se déplacer dans l’ensemble de la circonscription consulaire unique que constitue la Tunisie.

M. le rapporteur. Selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse, cela n’est pas possible en Algérie, le consulat lui-même demandant aux Français de rester dans les grandes métropoles algériennes. Selon elle, concevoir un processus de contrôle différent est susceptible de poser des problèmes administratifs et politiques et il paraît très difficile de procéder à des convocations une fois par an dans les consulats.

Il faudra donc passer par un prestataire, ce qu’elle recommande, susceptible de se déplacer partout, à condition qu’une convention soit signée.

Mme Odile Soupison. Une fois le dispositif expérimenté, il nous faudra développer ce type d’organismes agréés en Algérie, probablement en fonction du lieu de résidence des bénéficiaires – l’Algérie comportant trois circonscriptions consulaires, Alger, Annaba et Oran.

M. le rapporteur. Il n’est pas très difficile, dans le cadre d’un accord de coopération internationale, premièrement, d’entrer en contact avec la sécurité sociale du pays pour savoir si des personnes de quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-dix ans continuent à bénéficier de prestations payées par l’État ; deuxièmement, de procéder à des rapprochements de fichiers pour savoir si les gens sont décédés.

M. Renaud Collard. En Tunisie, une directive présidentielle de 2009 a rappelé la prudence nécessaire en matière de communication de données personnelles et les autorités sont assez réticentes à divulguer des données relatives à l’état civil. Certes, elles ont accepté les procédures d’agrément en toute transparence, mais nous ne serions certainement pas arrivés au même résultat si nous avions négocié un avenant à la convention franco-tunisienne.

Avec l’Algérie, beaucoup plus sensible à ces questions, nous n’arrivons pas à reprendre les négociations. Nous souhaitons faire dans ce pays ce que nous avons fait en Tunisie, mais cela semble très difficile aujourd’hui…

M. le rapporteur. Entre l’Algérie et les Pays-Bas, les négociations sont au point mort depuis très longtemps. Ce dernier pays rencontre également des difficultés avec la Turquie en matière d’échanges d’informations.

Un dossier qui comprendrait une empreinte biométrique des personnes qui, après avoir travaillé en France, prendraient leur retraite dans leur pays de naissance, vous paraît-il envisageable sur un plan technique ?

Mme Odile Soupison. Ce serait donc pour les nouveaux bénéficiaires. Mais encore faut-il arriver à récupérer les données biométriques de chaque personne.

Pratiquement, cela signifierait que la prestation ne serait versée qu’après vérification de la donnée biométrique. Techniquement, ce mécanisme est séduisant.

M. Étienne Léandre, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’aide sociale au ministère des affaires étrangères et européennes. Il faudrait alors que les personnes se présentent au consulat.

M. le rapporteur. Cela viendrait compléter le certificat de vie. Un système de reconnaissance biométrique permettrait de savoir si la personne est vivante et si elle est la bonne personne. Cela pourrait se faire par le prestataire que vous auriez agréé dans le cadre du décret du 5 octobre 2009, par exemple.

M. Étienne Léandre. Ce serait un certificat de vie informatique. La personne passerait devant une borne, et l’information serait renvoyée à la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Sur le plan technique, cela n’est pas irréaliste.

M. le rapporteur. Cette technique est déjà utilisée par plusieurs pays, notamment africains comme la Mauritanie.

Mme Odile Soupison. Qui dit contrôle biométrique dit présentation de la personne. Pour la délivrance des passeports biométriques dans nos consulats, par exemple, nos concitoyens doivent faire 2 000 kilomètres, ce qui n’est pas sans poser des problèmes pratiques.

En outre, je ne suis pas certaine que l’État du ressortissant étranger verrait d’un bon œil ce type de contrôle, alors même que nous pouvons être liés par des conventions de sécurité sociale.

M. Étienne Léandre. Cela ne pose pas de problème pour les visas. Cela étant, il n’est pas facile de faire accepter la biométrie à certains pays et cela nécessitera probablement quelques négociations.

Mme Odile Soupison. Les données biométriques recueillies localement devront être transmises aux organismes idoines, par exemple la Caisse nationale d’assurance vieillesse, pour vérification. Or leur caractère très sensible suppose des canaux de transmission suffisamment sécurisés.

En outre, compte tenu de leur nature, ces données ne seront pas transmises en clair, mais de façon chiffrée. Or certains États n’acceptent pas la transmission de données chiffrées.

M. Étienne Léandre. Sauf si on leur donne les clés de déchiffrement.

M. le coprésident Jean Mallot. Le système biométrique ne pourrait être appliqué qu’aux nouveaux entrants dans le système. Il ne produirait donc ses effets qu’après plusieurs décennies.

En outre, nous devons nous interroger sur une possible rupture d’égalité : pouvons-nous imposer ce dispositif à des Français ou étrangers vivant à l’étranger, et non aux Français et étrangers vivant en France ?

Enfin, il faudrait évaluer le coût de ce dispositif par rapport au montant de la fraude qu’il permettrait d’éviter.

M. le rapporteur. À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer la fraude.

Si notre pays n’arrive pas à signer des accords bilatéraux, il faudra bien trouver une solution pour sécuriser les dispositifs : la biométrie peut en être une.

Ce système pourrait être appliqué dans un premier temps à ceux qui partent à la retraite, puis aux personnes de soixante-cinq à soixante-quinze ans.

Je vous remercie d’avoir participé à cette audition fort intéressante.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.