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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 13 octobre 2011

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 01

Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, ouverte à la presse, sur la prévention sanitaire

– M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, Mme Marianne Lévy-Rosenwald, conseillère maître, et Mme Carole Pelletier, rapporteure : présentation de la communication de la Cour des comptes à la MECSS sur la prévention sanitaire

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 13 octobre 2011

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Jean Mallot et M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, de Mme Marianne Lévy-Rosenwald, conseillère maître, et de Mme Carole Pelletier, rapporteure, sur la prévention sanitaire.

M. le coprésident Pierre Morange. Monsieur le président, mesdames, nous sommes heureux de vous accueillir pour entendre les conclusions de votre rapport sur « la prévention sanitaire ».

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Au terme de son enquête, la Cour a trois messages à vous transmettre.

En premier lieu, la prévention sanitaire étant multiforme, il n’existe pas de définition rigoureuse de la notion. Certes, une définition de la politique de prévention a été arrêtée par la loi il y a quelques années, mais elle a été remise en cause depuis lors. Nous en rappelons toutefois les termes dans l’introduction de notre rapport, dans la mesure où le périmètre ainsi circonscrit est à la fois vaste et relativement précis. Dans cette acception, la politique de prévention vise à empêcher la survenue d’épisodes de santé défavorables et à influencer les comportements grâce à une action résolue sur les facteurs de risque, en utilisant une approche à la fois collective et individuelle. Même si le concept reste flou, il existe un consensus sur ces points fondamentaux.

Nous avons porté une attention particulière à la question de la dépense, que nous avons cherché à éclairer de manière transversale. Premier constat : son montant est mal connu. Les crédits inscrits au titre du programme budgétaire 204, Prévention et sécurité sanitaire, ne concernent pas uniquement la prévention, et la direction générale de la santé (DGS) s’avère incapable de distinguer, au sein de cette enveloppe budgétaire – qui s’élevait à 389 millions d’euros en 2010 –, ce qui correspond à de la prévention au sens strict du terme et ce qui relève, plus largement, de l’action sanitaire. En outre, d’autres programmes budgétaires, relevant d’autres ministères – comme le programme 230 Vie de l’élève –, contribuent à la politique de prévention, et il n’existe pas de document de politique transversale donnant une vision consolidée de l’effort budgétaire de l’État dans ce domaine.

Nous avons par ailleurs constaté que, si l’action de prévention de l’assurance maladie est importante, elle est elle aussi extrêmement difficile à évaluer. La dotation du Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaires (FNPEIS) a doublé en dix ans, passant de 200 à 400 millions d’euros ; elle est aujourd’hui légèrement supérieure à celle du programme 204. Cependant, les dépenses imputées sur ce fonds sont très hétérogènes et ne rendent pas compte de l’effort de prévention de l’assurance maladie, l’essentiel de ce dernier étant financé au titre du risque maladie. Une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) montre d’ailleurs que les actions de prévention financées par l’assurance maladie, tous régimes confondus, représentaient déjà en 2002 quelque 5,5 milliards d’euros, soit dix fois plus que les dépenses actuelles du seul Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaires.

Une approche en termes de comptabilité nationale ne permet pas de lever ces incertitudes. Les études disponibles font en effet apparaître des imprécisions dans la méthode de collecte des informations ainsi que dans l’agrégation des données, avec des estimations fort variables.

En résumé, le bilan financier de la prévention ne peut être fait avec certitude. Si l’on s’en tient à une approche restrictive, en ne prenant en considération que les crédits de l’État et ceux de l’assurance maladie explicitement destinés cet emploi, la dépense s’élève à 1 milliard d’euros ; mais si l’on privilégie une conception plus large, on arrive à un montant qui dépasse les 10 milliards d’euros.

M. le coprésident Pierre Morange. Je crois savoir que la troisième chambre a présenté récemment un rapport sur l’évaluation de la médecine scolaire. Pourriez-vous nous en dire quelques mots, afin que nous puissions en tenir compte dans notre réflexion ?

M. Antoine Durrleman. Sur ce sujet, au-delà des problèmes d’effectifs et de positionnement des services de santé scolaire au sein des établissements mis en lumière par ce rapport, il convient de déplorer la faiblesse des liens actuels entre les personnels de la santé scolaire et les acteurs de la santé publique. Par le passé, des conventions avaient été conclues entre le ministère de l’éducation nationale et celui de la santé, mais elles n’ont pas été reconduites. Les services de santé scolaire sont impliqués dans la vie de l’établissement et l’accompagnement des élèves, mais il est essentiel de développer leurs relations avec l’extérieur, car la prévention commence dès le plus jeune âge, et c’est dans le milieu scolaire que l’on peut agir sur les comportements et faire acquérir les bons réflexes. C’est pourquoi il est à déplorer que le programme Vie de l’élève ne soit pas relié, sous la forme d’un document de politique transversale, aux autres dimensions de l’effort budgétaire de l’État en matière de prévention.

En second lieu, nous avons étudié comment étaient fixées les priorités de la politique de prévention.

La loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique entendait donner des perspectives stratégiques aux politiques de santé publique. Des objectifs ont été définis et déclinés sous la forme de plans de santé publique – une trentaine au total –, qui comportaient tous un volet de prévention.

À l’analyse, ces objectifs s’avèrent insuffisamment hiérarchisés ; ils ont d’ailleurs été mal suivis. La cause en est leur statut ambigu et peu contraignant : il s’agit d’indicateurs plutôt que d’objectifs. De surcroît, leur définition ne résulte pas d’une analyse médico-économique. Bref, on n’a pas cherché à retenir les actions potentiellement les plus efficaces pour un résultat donné. De ce point de vue, la démarche française contraste avec celle adoptée par d’autres pays, où l’on a retenu un petit nombre d’objectifs, mais fortement étayés, avec une mobilisation de l’ensemble des acteurs. Par comparaison, la loi de 2004 avait défini pas moins de 100 objectifs : il y avait un risque évident de dispersion.

En troisième lieu, le pilotage de la politique et des acteurs de la prévention s’avère insuffisant. Au plan national, il n’existe pas d’autorité interministérielle chargée de la politique de prévention, alors que celle-ci est par nature extrêmement large et nécessite la mobilisation de plusieurs administrations. Le directeur général de la santé, loin d’être le primus inter pares, n’est qu’un directeur d’administration centrale parmi d’autres, qui doit essayer de convaincre ses collègues de s’associer aux objectifs dont il a la responsabilité.

Ce manque de coordination est d’autant plus à déplorer que l’on note une multiplication des structures d’expertise, parfois concurrentes, voire redondantes. Se pose notamment la question de la bonne articulation des périmètres de la Haute Autorité de santé et du Haut Conseil de la santé publique.

Par ailleurs, les organismes d’assurance maladie ne se sont engagés que tardivement dans une politique coordonnée avec l’État, essentiellement sous l’effet des dernières conventions d’objectifs et de gestion ; la convention d’objectifs et de gestion 2010-2013, en particulier, a défini des objectifs en matière de prévention. L’assurance maladie a introduit une dimension de prévention dans plusieurs dispositifs conventionnels, en particulier celui du médecin traitant, qui se veut un dispositif d’accompagnement, d’orientation et de conseil aux patients, et celui des contrats d’amélioration des pratiques individuelles, qui prévoient explicitement la participation des médecins contractants à des actions de prévention ; pour l’heure, ce sont au total 16 000 médecins qui ont accepté de prendre un tel engagement. Même s’il est encore trop tôt pour dresser le bilan de ce dispositif, cela nous paraît un signal intéressant.

La nouvelle convention médicale entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins, signée le 26 juillet dernier, a renforcé cette dynamique, puisque des actions de prévention seront incluses dans les objectifs pouvant donner lieu à des formes particulières de rémunération pour les médecins contractants. Sur un total de 1 300 points, 250 seront ainsi consacrés spécifiquement à des actions de prévention. Le dispositif entrera en vigueur en 2012, et les premières évaluations pourront être faites à partir de 2013.

L’assurance maladie a également engagé des actions propres, notamment en matière d’accompagnement des patients ; le programme SOPHIA, qui concerne les diabétiques, accompagne ainsi de manière spécifique 103 000 patients dans dix-neuf départements.

La cour a par ailleurs noté avec intérêt qu’à la suite des observations qu’elle avait émises à l’occasion d’un rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés a décidé de réorienter l’activité des centres d’examens de santé vers l’éducation thérapeutique, au bénéfice en particulier des personnes en situation de précarité, auprès desquelles il est souvent difficile de mener des actions de prévention.

Enfin, l’organisation régionale, en cours de recomposition du fait de la création des agences régionales de santé (ARS), demeure extrêmement complexe. Les agences régionales de santé reprennent non seulement les compétences des agences régionales de l’hospitalisation (ARH), mais également celles des groupements régionaux de santé publique, fortement engagés dans la prévention. Dans ce domaine, de nouvelles responsabilités ont donc été attribuées aux agences régionales de santé, en particulier au travers des schémas régionaux de prévention, qui doivent s’intégrer dans les projets régionaux de santé. Les contractualisations avec les collectivités territoriales, en particulier avec les départements, sont essentielles ; ce sera une des clés du succès de l’action des agences régionales de santé en la matière.

Au-delà, la cour a noté que les dispositifs locaux d’observation et de participation à l’effort de prévention étaient extrêmement importants. Nous avons analysé plus particulièrement deux réseaux associatifs. Les comités départementaux et régionaux d’éducation pour la santé (CODES et CRES), qui se transforment progressivement en instances régionales, constituent un réseau important, mais insuffisamment piloté, de même que les observatoires régionaux de santé, qui ne s’articulent pas toujours très bien avec les autres structures intervenant dans le secteur. Au total, 1 215 structures interviennent au niveau local : preuve que la prévention est prise en charge par une multiplicité d’acteurs, emportant de ce fait des risques de dispersion. C’est pourquoi la question du pilotage de la politique de prévention nous semble centrale, aussi bien au niveau interministériel qu’au niveau régional.

Pour finir, il convient de souligner que l’évaluation de la politique de prévention sanitaire est délicate, car il n’existe pas de dispositif permettant de suivre en permanence les actions engagées. Les expertises existantes sont fragiles, parfois contradictoires. Cela est en partie dû à une approche pluridisciplinaire trop limitée.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Comme vous l’avez dit, la prévention est un vaste domaine, et votre rapport a le mérite d’essayer d’en faire le tour.

Le premier problème qui se pose est celui de sa définition. Avez-vous des propositions en la matière ?

La prévention, à laquelle on peut ajouter l’éducation à la santé, est considérée comme le parent pauvre de notre système, notamment par rapport aux soins. La difficulté, c’est qu’un grand nombre d’acteurs y participent, chacun avec peu de moyens, sans qu’il y ait un ministre responsable. Chaque caisse, chaque organisme d’assurance maladie complémentaire possède sa propre politique de prévention – notamment les associations de prévoyance. Quelles propositions feriez-vous pour améliorer la coordination ? Devrait-elle être plutôt régionale ou plutôt nationale ? Quelle est votre opinion sur la prévention en milieu scolaire et sur la médecine du travail ? Disposez-vous d’informations sur l’action de la Mutualité sociale agricole (MSA) ?

Vous avez évoqué les cent objectifs de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et noté que, contrairement aux Britanniques, nous n’avons pas privilégié un petit nombre de priorités. Faudrait-il changer d’orientation ?

Pourriez-vous nous dire un mot des centres d’examens de santé de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ? Qui les fréquente ? Quelles sont les conséquences des examens qui y sont pratiqués ?

Vous distinguez, dans votre rapport, le dépistage organisé et le dépistage spontané ; quelles conséquences en tirez-vous, en particulier sur le dépistage du cancer du sein, du cancer de la prostate – que la Haute Autorité de santé déconseille au-delà de soixante-quinze ans – et de l’hypertension artérielle ?

Reprenant les conclusions du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, vous estimez que le Haut Conseil de la santé publique n’est pas très utile. Iriez-vous jusqu’à en proposer la suppression ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission des affaires sociales. Personnellement, je crois aux politiques de prévention ; je suis d’ailleurs sur le point de signer un contrat local de santé publique. Toutefois, comme l’a souligné le rapporteur, la multiplicité des structures et des objectifs ne facilite pas la compréhension du dispositif actuel. Je pense, pour ma part, que les politiques de proximité sont les plus efficaces. Quel est selon vous le meilleur niveau d’action : la région, le département, le bassin d’emploi ou la communauté d’agglomération ? Ne devrait-il pas y avoir une autorité responsable ?

Les citoyens doivent par ailleurs prendre conscience de leurs propres responsabilités en la matière. Comment assurer la diffusion des bonnes pratiques ?

M. Antoine Durrleman. S’agissant de la définition de la prévention, il est clair qu’il faut associer l’approche individuelle et l’approche populationnelle : loin de se contredire, elles sont l’une et l’autre nécessaires. Nous avons rappelé un certain nombre de définitions scientifiques, afin de montrer que le concept est en cours d’affinement, et que l’on tend de plus en plus à considérer que la prévention a un impact à la fois personnel et collectif. Il reste, bien entendu, qu’il existe des recoupements avec d’autres concepts, comme l’éducation thérapeutique ou l’éducation à la santé, qui, sans être de la prévention stricto sensu, y participent.

S’agissant du pilotage, nous estimons qu’il est nécessaire de se doter d’une autorité interministérielle stable et aisément identifiable, et nous proposons que le directeur général de la santé soit, ès qualités, délégué interministériel à la prévention sanitaire, ce qui lui attribuerait l’autorité nécessaire pour mobiliser l’ensemble des administrations impliquées dans cet effort collectif.

En effet, beaucoup d’initiatives sont réalisées à l’extérieur du ministère de la santé. De ce point de vue, la question de l’environnement, au sens large, est essentielle. Rappelons que les grandes avancées en matière de santé publique ont été obtenues, au début du XXsiècle, grâce aux progrès de l’hygiène et de l’urbanisme, ainsi qu’à une politique de prévention très stricte en matière de lutte contre la tuberculose.

Par ailleurs, la santé au travail relève d’un autre ministère – même si le ministre est parfois commun aux deux administrations. Les services de la santé au travail dépendent ainsi des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Or ces dernières ont peu de moyens à y affecter ; il y a bien des médecins inspecteurs, qui tentent d’encourager les synergies entre les services interentreprises de santé au travail, mais ils sont peu nombreux, se heurtent à des obstacles et, globalement, peinent à peser sur ces services. La faiblesse des moyens rend la politique d’agrément difficile à conduire ; plusieurs responsables régionaux ont bien essayé d’aller plus loin, mais les résultats s’avèrent inégaux.

Autre acteur important, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) dépend, elle aussi, du ministère du travail. Il s’agit pourtant d’un aspect déterminant de la prévention. Les troubles musculo-squelettiques, par exemple, sont fréquemment liés à de mauvaises postures de travail. Il faudrait engager une réflexion sur l’ergonomie générale des installations, sans se contenter du regard porté par le médecin du travail au sein de chaque entreprise. Pour toutes ces raisons, un point de convergence, y compris pour la médecine scolaire et l’éducation à la santé en milieu scolaire, est nécessaire.

La question de sa transposition à l’échelon local est bien évidemment cruciale. À quel niveau doit-on définir les objectifs d’une politique locale de prévention ? La création des agences régionales de santé répondait à l’idée qu’une politique de santé publique doit s’exercer au niveau régional, mais aussi se décliner à un niveau inférieur – quant à savoir lequel, la décision est laissée à l’appréciation de chaque agence. Celles-ci ont opéré des choix très divers ; certaines ont divisé leur territoire d’après les circonscriptions administratives existantes, en général les départements ; d’autres ont opté pour une segmentation plus fine, en fonction de bassins territoriaux. Il est encore trop tôt pour faire le bilan de ces approches. Il semble néanmoins envisageable que les objectifs conventionnels liant l’assurance maladie et les médecins soient déclinés selon une approche territoriale plus fine que celle adoptée jusqu’à présent. On pourrait ainsi imaginer que les objectifs nationaux définis par la convention médicale du 26 juillet soient transposés en fonction de problématiques locales, celles-ci étant tantôt transversales, tantôt spécifiques.

S’agissant des centres d’examens de santé, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés tend à réorienter leur mission vers la prise en charge des populations précaires. Il se trouve que la cour a récemment contrôlé la Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis, département confronté à des problèmes de santé importants, mais où le nombre de médecins libéraux est, proportionnellement, le plus faible. L’effort de réorientation de l’activité des centres d’examens de santé y est réel, mais il ne va pas sans difficultés, dans la mesure où il convient d’abord, d’identifier les personnes en situation de précarité, de leur adresser ensuite une convocation individuelle, enfin, qu’elles répondent à cette convocation. Or on note une déperdition entre le nombre de convocations envoyées, le nombre de rendez-vous pris et le nombre de personnes se présentant effectivement au centre. Plutôt que de convoquer ces gens, ne devrait-on pas aller vers eux ? Il reste que ces centres ont une histoire, une légitimité et un poids qui rend leur évolution nécessairement lente.

Les organismes d’assurance maladie complémentaires conduisent eux aussi des actions de prévention importantes. La Fédération nationale de la mutualité française a créé un fonds national de prévention et développe plusieurs initiatives en ce sens ; les institutions de prévoyance font de même, ainsi que les sociétés d’assurance ; en outre, dans le cadre des contrats responsables, a été intégrée l’obligation pour les assurances maladie complémentaires de prendre en charge au moins deux prestations de prévention figurant sur une liste allant du détartrage dentaire au dépistage des troubles de l’audition, en passant par l’ostéodensitométrie.

Quant à la Mutualité sociale agricole, elle conduit un programme financé par son propre fonds national de prévention, qui mobilise chaque année quelque 54 millions d’euros. Elle met notamment en œuvre, depuis 2008, une action appelée « Les instants santé », qui vise à proposer aux assurés âgés de seize à soixante-quatorze ans six examens de santé au cours de leur vie, avec des objectifs variables suivant la classe d’âge concernée. Cela nous semble une tentative intéressante d’affiner les notions de consultation de prévention et d’examen de santé, qui mériterait de faire école au sein du régime général.

Mme Marianne Lévy-Rosenwald, conseillère maître à la Cour des comptes. Nous avons essayé de montrer, d’une part, que la mise en œuvre d’un dépistage organisé tout en autorisant le maintien parallèle d’un dépistage individuel réduisait l’efficacité du premier et, d’autre part, qu’un dépistage individuel trop poussé pouvait engendrer plus d’effets négatifs que d’effets positifs en termes de santé publique.

Dans le premier cas, nous avons pris l’exemple des deux dépistages organisés existants, c’est-à-dire le dépistage du cancer du sein et celui du cancer colorectal. Pour mesurer l’efficacité d’un dépistage organisé, il faut un taux d’adhésion au programme de plus de 70 %, ce qui n’est pas le cas pour le moment. La persistance du dépistage individuel conduit certaines personnes à privilégier cette démarche, ce qui affaiblit l’adhésion au programme collectif et empêche de tirer des conclusions en termes de santé publique et de politique de prévention. La dualité des dépistages limite en définitive l’efficience des politiques de prévention se fondant sur une approche populationnelle.

Lorsqu’il n’est pas prévu de dépistage organisé, ce qui est le cas du dépistage du cancer du sein avant cinquante ans ou du dépistage du cancer de la prostate, on observe que les dépistages individuels proposés par les médecins – souvent acceptés car le dépistage bénéficie d’une image positive auprès des patients –, non seulement contribuent à accroître les dépenses d’assurance maladie, mais peuvent entraîner des inconvénients pour les patients. Par exemple, dans le cas du cancer du sein, un dépistage crée nécessairement une angoisse ; par ailleurs, les patientes ne sont pas toujours dûment informées des conséquences des examens ultérieurs et elles peuvent être amenées à subir des soins qui, en définitive, n’auraient pas été nécessaires : d’après les études médicales que nous avons consultées, il existe des cancers du sein non évolutifs, qui auraient pu rester en l’état, mais dont le dépistage conduit à des ablations du sein traumatisantes.

De même, un dépistage trop poussé du cancer de la prostate peut s’avérer néfaste, dans la mesure où il conduit à mettre en œuvre des soins, alors qu’un homme de soixante-quinze ans a de toute façon 80 % de chances de devenir centenaire. En d’autres termes, il est parfois préférable de ne rien faire.

Mme Carole Pelletier, rapporteure à la Cour des comptes. Nous avons retenu la prise en charge de l’hypertension artérielle comme exemple d’une action de prévention individuelle d’un problème de santé publique particulièrement grave. Vu le nombre de personnes concernées et les risques encourus, il importe de choisir les traitements les mieux évalués. Selon l’étude Antihypertensive and Lipid-Lowering Treatment to Prevent Heart Attack Trial, portant sur 42 000 patients, les traitements par diurétiques sont les seuls pour lesquels on peut apporter la preuve d’une réduction de la morbimortalité cardiovasculaire. Or cette classe de médicaments ne représente que 20 % des traitements ; dans le reste des cas, on utilise les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les sartans, pourtant vingt fois plus chers. Cela montre que les préoccupations économiques peuvent recouper les critères d’efficacité.

Mme Catherine Lemorton. L’hypertension artérielle modérée et sévère a été retirée il y a quelques mois de la liste des affections de longue durée. Les personnes qui en souffrent ne bénéficient donc plus du dispositif de prise en charge à 100 % – de même que celles atteintes d’un cancer depuis plus de cinq ans. Il faut mettre en œuvre des actions de prévention sur le capital santé qui leur reste, alors même que les organismes d’assurance maladie complémentaire ne leur appliquent plus le tarif de base. Avez-vous évalué la déperdition dans le suivi médical, dans la prévention, et, partant, les dégâts en termes de santé publique qui en résultent ? Ces personnes se font-elles moins suivre ? Que pensez-vous du retrait de certaines maladies de la liste des affections de longue durée ?

À la page 118 de votre rapport, vous mettez en parallèle une observation de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et une étude de l’Association nationale des industries agroalimentaires sur la prévention de l’obésité chez les enfants. Pour ma part, j’aurais plutôt tendance à faire confiance à l’organisme public qu’est l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, quand il note une plus grande prévalence de l’obésité quand on maintient les publicités en faveur des produits trop sucrés, trop salés ou trop gras – sachant que d’autres facteurs entrent en jeu. Ce qui m’inquiète, c’est que le Conseil supérieur de l’audiovisuel considère que « si la suppression de la publicité alimentaire dans les programmes pour enfants est loin d'être un instrument efficace dans le combat contre l'obésité, ses conséquences économiques seraient en revanche certaines sur notre secteur audiovisuel structurellement sous-financé » ! Il est certain que nous utiliserons votre rapport pour appuyer notre lutte contre l’obésité chez les enfants, épidémie qui touche particulièrement les milieux sociaux défavorisés.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Le rapport de la cour relève que la multiplication des plans risque de nuire à leur articulation, à leur lisibilité, voire à leur efficacité. Comment améliorer la situation ? Aurions-nous à intérêt à accompagner la personne dans les différentes étapes de la vie ? Les campagnes de dépistage et les différents plans ne devraient-ils pas plutôt être centrés autour de la personne, et ce dès le plus jeune âge ?

S’agissant du vieillissement, qui est un véritable enjeu de société, il reste beaucoup de progrès à faire, notamment de la part des médecins qui ne sont apparemment pas suffisamment informés de certains risques, en dehors des plans bien connus. Ainsi, je ne suis pas sûre que les médecins connaissent le plan « Bien vieillir » qui pourrait pourtant prévenir certaines difficultés.

La Mutualité sociale agricole a souvent fait preuve d’une perception fine dans son approche des problématiques de santé. Proposer, entre seize et soixante-quatorze ans, six examens de santé pourrait constituer une réponse à la question que je vous ai posée. Il faut en effet accompagner les personnes dès le plus jeune âge. Dans cette tranche de la population, les dépistages doivent être améliorés même si la double compétence de la médecine scolaire et de la santé complique l’action.

Dans les territoires, certaines expériences locales peuvent être mises à profit. Il reste à résoudre la question du pilotage et de la coordination. Il me semble que le niveau régional serait adapté, mais les actions doivent aussi se décliner au niveau départemental. Une des premières choses à faire est de recenser les acteurs.

Mme Gisèle Biémouret. Le dépistage organisé du cancer rencontre des difficultés sur le terrain, et peine avant tout à obtenir l’adhésion des médecins. C’est sans doute là l’une des raisons pour lesquelles les patients restent indifférents. Il faudrait aussi sensibiliser davantage les hommes, car les femmes sont plus réceptives en matière de santé – les très bons résultats du dépistage du cancer du sein sont là pour l’attester. Mais, s’agissant du cancer colorectal, nous devons mieux faire, et surmonter le manque d’adhésion des médecins. Très peu de gens vont jusqu’au bout des tests, malgré l’importance des sommes investies. Comment améliorer les choses ? Enfin, comment aller vers les publics précaires ?

M. Antoine Durrleman. Nous n’avons pas les moyens de vous répondre au sujet des personnes qui ne sont plus prises en charge au titre des affections de longue durée (ALD) : le réaménagement des dispositifs est trop récent pour faire une évaluation. Manifestement, une des réponses à vos interrogations réside dans l’éducation thérapeutique du patient. Elle doit viser en priorité les personnes atteintes de maladies chroniques, quelles que soient les modalités de prise en charge par l’assurance maladie, et être adaptée selon les pathologies, leur chronicité, la complexité du suivi du traitement, qui peut ne pas être que médicamenteux, de façon à préserver le capital santé résiduel. L’action conduite par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés dans la prévention du diabète est très intéressante, bien qu’elle reste encore expérimentale. C’est sans doute une forme d’accompagnement indispensable. Même si le concept reste un peu flou, l’expérimentation lui confère une définition concrète.

La santé bucco-dentaire illustre bien la bonne articulation qui peut exister entre les différents modes d’intervention. On ne peut que constater l’amélioration de la santé de nos concitoyens dans ce domaine, du fait d’une action précoce financée en particulier par l’assurance maladie – la campagne « M’T dents » en milieu scolaire – qui a été relayée par les professionnels libéraux. Une information a aussi largement été diffusée sur les règles d’hygiène bucco-dentaire. Et les progrès ont été considérables. Cette réussite montre que des actions bien articulées entre elles, adaptées aux différents âges de la vie, font bouger les lignes, même si elles ne font pas disparaître tous les problèmes, notamment ceux du vieillissement.

Pour centrer autour de la personne les multiples plans qui sont mis en œuvre, sans doute faut-il agir aux différents âges de la vie en se fixant quelques priorités. La multiplication des plans de santé publique est la conséquence de la volonté de n’oublier personne, ni aucun facteur de risque, mais se focaliser sur certains objectifs n’interdit pas d’agir aussi sur d’autres. Cela implique seulement de mobiliser tous les acteurs, pour obtenir des progrès dans des domaines précis. L’exemple de la santé bucco-dentaire peut paraître modeste, mais c’est un enjeu pour la vie professionnelle, dans la vie quotidienne. Elle conditionne la relation à l’autre, et c’est, avec les problèmes dermatologiques, un des marqueurs de la précarité.

Comme dans d’autres domaines de la prévention, le rôle des professionnels est central dans l’accompagnement du vieillissement. Les médecins prennent en compte cette dimension dans le dialogue singulier qu’ils nouent avec leur patient. Mais on ne peut pas en rendre compte car il n’est pas possible de faire la part, dans chaque consultation, de ce qui relève de la prévention de ce qui n’en relève pas. L’un des intérêts des nouveaux modes conventionnels sera d’expliciter cette action de prévention, de la rendre visible, voire mesurable.

M. le coprésident Jean Mallot. Vous avez souligné la difficulté qu’il y a à mesurer l’effort de prévention réalisé par les praticiens. Dès lors, comment appliquer la nouvelle convention médicale censée pourtant rémunérer le travail de prévention ? Sur quel fondement ?

Vous dénoncez le défaut de pilotage des actions de prévention et vous souhaitez confier au directeur général de la santé un rôle particulier dans ce domaine. Or, votre recommandation n° 4 préconise de « mettre en pratique les recommandations du guide méthodologique produit par la DGS, lors de l’élaboration des plans de santé publique ». Si ses instructions ne sont pas appliquées, la direction générale de la santé aura encore du chemin à faire avant d’être en mesure de coordonner l’ensemble des acteurs. À quelles conditions lui confier ce rôle ?

Quels sont les « éventuels conflits d’intérêt » que vous visez dans la recommandation n° 7 et qui pourraient faire obstacle à la politique de prévention ?

M. le rapporteur. Je m’étonne, en dépit de votre mise en garde contre les difficultés d’évaluation, que la Cour des comptes ait fixé une fourchette de dépenses aussi large de un à dix milliards d’euros, voire davantage, d’après ce que vous venez de dire ! Il est vrai que le médecin traitant fait de la prévention tous les jours, et que le contrat d’amélioration des pratiques individuelles qui comportera de nombreux indicateurs, devra en tenir compte.

Le président Didier Migaud, en présentant il y a quelques jours le rapport consacré à la médecine scolaire, a insisté sur l’absence à la fois de moyens humains et financiers mais aussi de pilotage et de hiérarchisation des objectifs. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Rien n’a été dit non plus sur la protection maternelle et infantile (PMI), qui est importante pour la prévention. Comment associer les départements à la prévention générale ?

Comment demander à la prévention d’être financièrement rentable ? Il est probable qu’elle coûtera plus cher dans un premier temps. Lors de la mise en place de SOPHIA, il est apparu que les diabétiques ne faisaient pas tous les examens qu’il faudrait – fond d’œil, suivi rénal… S’ils le faisaient, cela coûterait plus cher, même si cela évite par la suite des complications.

J’ai cru voir dans votre rapport que l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé manquait d’indépendance et qu’il servait surtout de courroie de transmission à la communication au Gouvernement. Que proposez-vous pour y remédier ? J’avais suggéré de s’appuyer sur la fédération des comités départementaux et régionaux d’éducation pour la santé de l’époque, car il faut trouver les moyens de rendre la prévention efficace sur le terrain. Les associations peuvent-elles être regroupées dans des comités départementaux d’éducation pour la santé ou au niveau régional ? Peut-on s’appuyer sur les très nombreuses associations, comme celles réunissant les insuffisants rénaux ou celles qui luttent contre le tabac et l’alcool par exemple ? Comment les associer au niveau départemental et coordonner leur action ?

Parmi les priorités, ne va-t-on pas retenir logiquement les mortalités prématurées évitables ? Une fois que l’on aura désigné la lutte contre l’alcool, le tabac et le cancer, y aura-t-il autre chose ? Et tout ce que l’on fait déjà depuis des années est-il vraiment efficace ?

M. Antoine Durrleman. La contradiction entre la suggestion de confier à la direction générale de la santé un rôle interministériel et le constat qu’elle n’applique pas elle-même ses propres recommandations n’est qu’apparente. Judicieusement, la direction générale de la santé s’est efforcée de tirer du bilan en demi-teinte des plans de santé publique un retour d’expérience qui ne peut qu’être positif et opérationnel pour les nouveaux plans de santé publique qu’elle est en train de préparer. Nous lui rappelons seulement de s’appliquer à elle-même les conclusions qu’elle a tirées au cas où l’urgence risquerait de les lui faire oublier.

M. le rapporteur. À propos du pilotage, comment s’articulera, dans le champ de la prévention, le rôle de la secrétaire générale du comité de pilotage des agences régionales de santé, qui est important, et celui de la direction générale de la santé ?

M. Antoine Durrleman. La secrétaire générale pilote la mise en place des agences régionales de santé, ce qui lui confère des fonctions de mécanicienne, plus que d’animatrice de la politique de prévention. Elle est chargée de coordonner à la fois la direction générale de la santé, la direction générale de l’offre de soins, la direction générale de la sécurité sociale et la participation de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés en ce qui concerne le financement, avec, en particulier la création, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, du fonds d’intervention régionale qui mettra 1,5 milliard d’euros à disposition des directeurs généraux des agences régionales de santé. Elle assure le pilotage des agences régionales de santé, mais non le pilotage de la politique de santé publique même si les agences régionales de santé ont été conçues pour mailler les différents acteurs de la chaîne de soins, que ce soit les hôpitaux, le médico-social ou la médecine de ville. Il n’est pas antinomique qu’un directeur d’administration centrale ait une casquette interministérielle. Par exemple, la sécurité routière prouve qu’une politique de prévention peut être efficace dès lors qu’elle est construite, coordonnée et assortie d’objectifs précis, ainsi que portée par l’ensemble des ministères concernés.

Il arrive que les administrations représentent des intérêts liés à leur sphère de compétence. Dès lors qu’il existe des intérêts concurrents, il faut un arbitrage. Sinon, soit les plans risquent d’être flous, soit restent inexécutés. Cet arbitrage doit être exercé au niveau interministériel pour que toutes les administrations travaillent dans le même sens. C’est la raison pour laquelle nous avons traité en détail la politique de prévention de l’obésité de l’enfant qui est l’enjeu de conflits entre intérêts sanitaires et intérêts économiques au sein de l’administration.

La médecine scolaire souffre pour partie d’un manque de moyens, dans la mesure où elle est un parent pauvre de l’éducation nationale. Le programme Vie de l’élève comporte de multiples actions. Son action Santé scolaire est faiblement dotée, outre qu’elle n’est pas pilotée – le responsable de la mission n’y voit pas un objectif principal et les relations entre le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la santé se sont distendues au fil du temps.

La protection maternelle et infantile est un remarquable vecteur de prévention, mais elle a été décentralisée au niveau de chaque département et les écarts en termes de moyens et de stratégie sont considérables. A-t-on maintenu le système historique de la visite à domicile, qui peut garder tout son sens pour certains types de famille, ou bien a-t-on opté pour la consultation ? Le sujet reste peu exploré. Pourtant, il mériterait de l’être car nous constatons avec inquiétude la détérioration des indicateurs de périnatalité. Grâce à un effort de plus de trente ans, la France avait enregistré une amélioration substantielle de ces indicateurs, mais elle a tendance à reculer, au moins en termes relatifs, certains pays progressant plus vite que nous. Certains indicateurs ne sont pas bons, notamment ceux relatifs à la mortalité dans les premiers mois de la vie. Pour le coup, cela justifierait une politique de santé publique beaucoup plus forte et mieux articulée. Nous sommes d’ailleurs en train d’y travailler.

Le retour sur investissement – plutôt que la rentabilité financière – dépend de l’organisation du système de soins. La politique de prévention passe par les acteurs libéraux, les acteurs spécialisés, mais rarement par le système hospitalier. Cela ne veut pas dire qu’il reste en dehors du circuit de prévention, mais, si des économies peuvent être faites à l’hôpital, elles doivent être redéployées sur d’autres acteurs pour mieux articuler son action en matière de prévention. Ne pas agir en prévention, c'est-à-dire ne pas se préoccuper de l’accompagnement thérapeutique du patient, se traduira par des pathologies aggravées que l’hôpital devra plus tard prendre en charge à des coûts très élevés.

Nous avons légèrement égratigné l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Il a néanmoins le mérite d’être désormais clairement identifié comme un acteur de la prévention sanitaire. Il serait utile d’avoir un pilote interministériel mais il est aussi utile de disposer d’un outil dédié qui apporte son expertise et peut organiser une communication cohérente sur les problématiques de prévention. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé a donc sa valeur, et qu’il s’agisse d’un établissement public n’est pas anormal. La prévention relève de la santé publique qui est de la responsabilité de l’État. Il ne doit pas s’en défausser.

M. le coprésident Pierre Morange. S’agissant des indicateurs de mortalité et de morbidité périnatales, avez-vous relié leur déclin à la hausse de la précarité dans notre pays et procédé à une analyse régionale ?

Mme Catherine Lemorton. À propos des conflits d’intérêt, je déplore que l’Assemblée ait repoussé une proposition de loi le 11 octobre dernier tendant à prohiber la différence de taux de sucre entre la composition des produits manufacturés et vendus dans les régions d’outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l’hexagone.

S’agissant de la mesure du retour sur investissement, la vaccination ROR (rougeole, oreillons, rubéole), écrivez-vous, ne fait sentir ses gains substantiels qu’après vingt-cinq ans. Il en sera de même pour les conséquences d’un relâchement…

Vous dites à juste titre que la politique de prévention doit rester dans les mains de l’État. Or, la campagne de vaccination contre le papillomavirus – laquelle coûte 400 euros par adolescente vaccinée et rend très difficile un quelconque retour sur investissement – est largement prise en charge par les industriels. Je ne suis pas sûre non plus qu’elle cible des populations qui en ont le plus besoin. De toute façon, si j’en crois la Haute autorité de santé, ce vaccin ne dispense pas de faire un frottis annuel du col de l’utérus toute sa vie, à partir de vingt-cinq ans. Dans un tel contexte, je m’interroge sérieusement sur l’opportunité d’un investissement aussi lourd.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce vaccin pourrait avoir des effets neurologiques – il provoquerait notamment des états de narcolepsie – selon une publication internationale.

M. Antoine Durrleman. La Cour des comptes n’a pas les moyens d’évaluer un quelconque retour sur investissement. Nous nous sommes fondés sur des études scientifiques internationales qui concluent que 20 % des mesures de prévention ont un retour sur investissement quantifiable. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y en ait aucun, mais ce constat montre la nécessité d’entreprendre ex ante une démarche d’évaluation médico-économique. Il faut systématiquement s’interroger sur le rapport coût/efficacité des actions engagées, sans préjuger d’ailleurs de la réponse apportée. Mais il faut qu’elles aient été documentées. D’une manière générale, notre pays a des progrès considérables à faire sur ce point. Nous l’avons signalé dans le rapport que nous vous avons présenté sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, à propos de l’évaluation des nouvelles molécules médicamenteuses. Une démarche symétrique est nécessaire avant de définir les stratégies de santé publique, même si ce ne doit pas être le seul critère de décision.

Nous sommes en train d’examiner les raisons des mauvais indicateurs de périnatalité. Outre la précarité, on trouve le recul de l’âge de la mère à la naissance. Mais il n’existe aucune étude disponible dans le temps qui puisse éclairer cette problématique. Cela étant, les indicateurs sont suffisamment alarmants pour déclencher des mesures fortes.

Mme Marianne Lévy-Rosenwald. Quand la précédente ministre de la santé avait demandé à la direction générale de la santé de réfléchir à ce que pourrait être le contenu d’une nouvelle loi de santé publique, un des thèmes qui avait émergé à l’époque était la question des inégalités sociales en matière de santé. En apparence, le sujet est à la marge de la politique de prévention, mais il s’agit d’un facteur déterminant.

M. le coprésident Pierre Morange. Les dernières enquêtes sur les inégalités d’espérance de vie tendent à montrer que le paramètre le plus influent est le capital culturel et éducatif, qui n’est pas sans lien avec la précarité.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. La précarité est devenue un problème très important pour notre société. Les études montrent également que 30 % des Français environ diffèrent des soins, voire y renoncent. Ce ne sont pas forcément des gens qui sont dans la précarité, mais une autre fraction de la population est touchée. On en ignore encore les effets, mais il faudra mesurer les conséquences sur la santé publique.

M. le coprésident Pierre Morange. Vos remarques rejoignent les propos de Mme Catherine Lemorton sur le coût d’adhésion à une mutuelle et sur l’impact d’un reste à charge qui risquent de faire obstacle à l’accès aux soins.

Mesdames, monsieur le président, nous vous remercions.

La séance est levée à dix heures quarante.