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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 8 décembre 2011

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 08

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

– Auditions, ouvertes à la presse, sur la prévention sanitaire

– M. René-Paul Savary, vice-président de l’Assemblée des départements de France, sénateur et président du conseil général de la Marne, accompagné de Mme Marylène Jouvien, attachée parlementaire, et Mme Isabelle Maincion, représentant l’Association des maires de France, maire de La Ville-aux-Clercs, accompagnée de Mme Marie-Claude Serres-Combourieu, responsable de l’action sociale, éducative, culturelle et sportive

– Mme Jeanne-Marie Urcun, médecin, conseillère technique auprès du directeur général de l’enseignement scolaire, et Mme Nadine Neulat, chef du bureau de la santé, de l’action sociale et de la sécurité, de la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 8 décembre 2011

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition de M. René-Paul Savary, vice-président de l’Assemblée des départements de France, sénateur et président du conseil général de la Marne, accompagné de Mme Marylène Jouvien, attachée parlementaire, et de Mme Isabelle Maincion, représentant l’Association des maires de France, maire de La Ville-aux-Clercs, accompagnée de Mme Marie-Claude Serres-Combourieu, responsable de l’action sociale, éducative, culturelle et sportive.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans sa communication sur la prévention sanitaire, la Cour des comptes a relevé un défaut d’organisation, lié à la multiplicité des intervenants. Nous souhaiterions connaître les observations des représentants de l’Assemblée des départements de France et de l’Association des maires de France à ce sujet.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Nous avons déjà auditionné des médecins, des pharmaciens, des représentants du ministère de la santé, de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et des assurances complémentaires mais, en matière d’éducation et de prévention sanitaires, les départements jouent également un rôle important. Pourriez-vous le rappeler, monsieur René-Paul Savary ?

M. René-Paul Savary, vice-président de l’Assemblée des départements de France, sénateur et président du conseil général de la Marne. Le département ne joue certainement pas un rôle de premier plan et, de surcroît, tous les départements ne sont pas de la même manière impliqués dans ces actions, car la répartition des compétences est variable de l’un à l’autre. Le champ d’intervention le plus fréquent est la vaccination, qui relève de la protection maternelle et infantile. La vaccination se situe à la jonction du médico-social et du sanitaire, domaine dans lequel les conseils généraux ne souhaitent pas s’impliquer, compte tenu des conséquences financières que cela ne manquerait pas d’occasionner. Cela étant, la moitié des départements ont choisi de conserver cette compétence, qui est exercée d’une manière relativement correcte même si les vaccinations sont effectuées à 80 % par les médecins libéraux. Les enfants bénéficient d’un suivi régulier dans le cadre de la protection maternelle et infantile jusqu’à l’âge de six ans, les médecins généralistes prenant ensuite le relais – à un moment, d’ailleurs, où les maladies se font moins fréquentes.

M. le coprésident Pierre Morange. Qu’en est-il de l’articulation entre les services de la protection maternelle et infantile et ceux de la médecine scolaire ?

M. René-Paul Savary. Elle aussi varie d’un département à l’autre. Même si la médecine scolaire n’est pas de notre compétence, nous menons des actions en ce domaine via la protection maternelle et infantile et, à ce propos, il ne serait pas inutile de clarifier la répartition des tâches entre les deux auteurs concernés. Le bureau de l’Assemblée des départements de France s’est même demandé un moment si les conseils généraux ne devraient pas assumer la compétence de la médecine scolaire, car, s’il est clair que nous ne sommes pas en état d’en assumer le financement, il ne serait pas illogique que nous continuions à suivre les enfants une fois qu’ils sont scolarisés.

Mme Marylène Jouvien, attachée parlementaire de l’Assemblée des départements de France. Lors de l’acte II de la décentralisation, nous avions suggéré un amendement visant à organiser ce transfert, mais nous nous sommes heurtés aux réticences des médecins scolaires qui ne souhaitaient pas relever des départements.

M. le coprésident Pierre Morange. Un tel refus est tout à fait compréhensible mais, avant même de réfléchir à un éventuel transfert, il faudrait se préoccuper d’améliorer une coordination qui apparaît défaillante dans un certain nombre de départements. Par ailleurs, le niveau des prestations de protection maternelle et infantile est variable, ce qui est choquant au regard du principe d’égalité.

M. René-Paul Savary. C’est un effet de la décentralisation : à l’intérieur d’un cadre fixé nationalement, les départements s’organisent comme ils le souhaitent pour exercer les compétences qui leur sont dévolues. S’agissant de la protection maternelle et infantile, les situations sont en effet très diverses, notamment selon la taille des départements. Les plus petits – ceux de moins de trois cent mille habitants – comme les plus gros – au-dessus d’un million d’habitants – ont des difficultés à obtenir des résultats satisfaisants, les premiers parce que la modestie de leurs moyens et la dispersion d’une population majoritairement rurale ne permettent pas une politique efficace, les seconds parce qu’ils sont confrontés à de fortes concentrations de populations, dont une partie en situation précaire. Seuls les départements de taille moyenne – entre cinq cent mille et huit cent mille habitants – peuvent conduire une action bien ciblée grâce à une connaissance relativement bonne des populations.

M. le rapporteur. Comment fonctionne la protection maternelle et infantile, à qui s’adresse-t-elle et quelle proportion d’enfants suit-elle ?

M. René-Paul Savary. J’ai demandé une note à mes services sur le sujet, mais je ne suis pas sûr que nous puissions disposer de données précises pour l’ensemble des départements.

M. le coprésident Pierre Morange. Il serait pourtant opportun de disposer d’un état des lieux relativement exhaustif.

M. le rapporteur. J’espère que nous pourrons recevoir d’utiles précisions avant de publier notre rapport mais, globalement, comment les enfants sont-ils suivis après leur naissance et qui a recours à la protection maternelle et infantile ?

Mme Marylène Jouvien. À ce jour, le service social de l’Assemblée des départements de France n’a pas réalisé une enquête aussi précise, mais je me propose de relayer votre demande.

M. René-Paul Savary. La protection maternelle et infantile de la Marne, en 2010, comptait treize médecins et quarante-six infirmières puéricultrices. Nous avons dénombré 6 500 déclarations de grossesse, 2 500 visites pré- et post-natales effectuées par les sages-femmes, 7 300 avis de naissance et 1 400 consultations « jeunes enfants » organisées dans 44 lieux différents. Ouvertes à tous les publics, celles-ci s’adressent toutefois en premier lieu aux populations vulnérables et défavorisées, même si l’on constate que de plus en plus de jeunes familles ne relevant pas forcément de ces catégories consultent les services de protection maternelle et infantile.

M. le rapporteur. Cela s’explique-t-il par un manque de pédiatres ?

M. René-Paul Savary. Non. Elles éprouvent le besoin de conseils, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ma propre fille, qui a accouché de ses deux enfants à Lyon, s’est ainsi régulièrement rendue aux consultations de la protection maternelle et infantile, comme d’autres parmi ses relations, alors qu’elle ne vient pas d’une famille défavorisée.

M. le rapporteur. Ces services ont-ils connaissance de toutes les naissances ? Une convocation est-elle adressée à tous les nouveaux parents ?

M. René-Paul Savary. Je ne sais pas ce qu’il en est d’éventuelles convocations mais les parents reçoivent en effet les bulletins relatifs aux visites obligatoires et les services connaissent de ce fait le nombre exact de naissances.

M. le coprésident Pierre Morange. Les auditions que nous avons réalisées montrent que la médecine scolaire et l’éducation sanitaire ont un rôle essentiel à jouer depuis les premières années de la vie jusqu’au cours moyen deuxième année (CM2). Le nombre de visites de contrôle de la protection maternelle et infantile afin de dépister les troubles praxiques, sensoriels ou d’acquisition diffère-t-il ou non d’un département à l’autre ?

M. René-Paul Savary. Probablement. Le suivi est surtout intense entre zéro et neuf mois, le nombre des consultations décroissant ensuite jusqu’au vingt-quatrième mois. C’est donc durant cette période que l’on peut procéder aux dépistages. Mais, dès le premier mois de grossesse, le médecin de famille peut prescrire une consultation de protection maternelle et infantile, auquel cas les médecins de ce service en sont avertis et peuvent prendre contact avec la future mère.

Les familles défavorisées fréquentent volontiers ces consultations, et y sont de toute façon incitées par les travailleurs sociaux.

S’agissant précisément des dépistages que vous avez mentionnés, je n’ai pas de statistiques globales mais on pourrait envisager une enquête, même si l’on en demande déjà beaucoup aux départements.

M. le rapporteur. Comment les vaccinations sont-elles organisées ? À ma connaissance, les départements peuvent prendre en charge les vaccinations contre les maladies tropicales et les vaccinations contre les maladies de l’enfant et, dans ce dernier cas, ils peuvent soit confier la tâche à leurs services, soit fournir le vaccin aux médecins libéraux qui procéderont ensuite aux injections.

M. René-Paul Savary. Les départements ne sont pas tous impliqués dans la vaccination contre les maladies infectieuses ; ainsi, dans la Marne, nous préférons nous en remettre à un excellent centre qui existe au centre hospitalier universitaire de Reims. Les pratiques diffèrent : certains viennent avec leur vaccin, ou bien le produit peut être commandé, puis remboursé par la sécurité sociale. Les tarifications peuvent alors être différentes d’un département à l’autre.

M. le rapporteur. Êtes-vous satisfaits d’une participation de 50 % des femmes concernées au dépistage du cancer du sein – action menée le plus souvent par des associations départementales – et, si tel n’est pas le cas, comment améliorer ce taux ?

M. René-Paul Savary. Les départements, en effet, sont en principe impliqués dans ce type d’associations et nous ne saurions bien évidemment nous satisfaire du taux de participation actuel. Cela étant, si nous ne pouvons nous désintéresser de la question, elle relève avant tout la sécurité sociale qui en retirera tout le bénéfice économique et qui doit donc en assumer la responsabilité financière. Le département de la Marne a été pionnier pour le dépistage du cancer du sein mais, dès que le dispositif a bien fonctionné, nous nous en sommes retirés : nous n’avons pas les moyens de financer de telles actions, qui relèvent au surplus du domaine sanitaire pour lequel nous n’avons pas compétence.

Les conseils généraux peuvent en revanche – et ils y ont même tout intérêt – conduire des actions de prévention en faveur des publics relevant de leur champ de compétence : les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées. Nous nous préoccupons ainsi de prévenir les accidents domestiques, qui peuvent avoir des répercussions médico-sociales ; chez les personnes âgées, ils conduisent souvent à la dépendance, et donc à une prise en charge par le département.

Même si le conseil général de la Marne a arrêté les actions de prévention du cancer du sein ou du colon, nos services n’en sont pas moins attentifs à ce que les personnes défavorisées soient contactées dans le cadre des actions que nous menons dans le domaine social. Un dépistage leur est alors proposé dès lors qu’elles correspondent aux critères établis. Nous contribuons donc à augmenter le taux de dépistage parmi le public qui nous est connu.

Cela dit, je le répète, la situation varie d’un département à l’autre.

M. le rapporteur. En effet, puisque certains subventionnent de nombreuses associations de dépistage ou de prévention de l’alcoolisme ou du tabagisme, notamment dans le cadre des comités départementaux d’éducation pour la santé…

M. René-Paul Savary. Il est très difficile d’avoir une idée exacte des actions menées dans les départements, mais il est certain que nombre d’entre eux se préoccupent, par exemple, de la prévention des grossesses ou de la lutte contre le tabagisme, en particulier dans les collèges dont ils ont la responsabilité. Comme ces actions relèvent de l’initiative de chaque département, et présentent des formes diverses selon les territoires visés, que ce soit des grandes villes ou des espaces ruraux, une analyse globale est à peu près impossible : on en restera forcément au stade de l’énumération. Quant à en évaluer le coût…

Les départements ont eu la liberté de mener des actions dépassant le cadre strict de leurs compétences officielles, mais ils n’en possèdent plus aujourd’hui les moyens financiers, ceux-ci étant absorbés par le versement des prestations de solidarité. Même si au sein des départements le projet politique domine largement sur les préoccupations purement comptables, ils devront opérer des choix douloureux et ces actions de prévention en quelque sorte « facultatives », dont ils ne tireront pas le bénéfice, seront les premières à en pâtir. C’est pourquoi j’insiste pour qu’on s’attache à déterminer plus clairement les responsabilités de chacun dans la prise en charge de la prévention.

M. le rapporteur. À défaut de pouvoir nous informer sur les actions des autres départements, pouvez-vous préciser quelles actions vous menez pour prévenir les accidents des enfants et des personnes âgées ou handicapées ?

M. René-Paul Savary. Il s’agit de la prévention des accidents de la vie quotidienne et, notamment, des chutes. Il est parfois difficile de faire comprendre aux personnes âgées qu’elles ont intérêt à enlever les tapis pour ne pas trébucher, ou à faire de la place dans une pièce encombrée pour pouvoir y circuler facilement avec leur déambulateur. Ce genre de prévention, qui relève vraiment de la responsabilité des conseils généraux, permet de les maintenir à domicile – et donc d’économiser sur les dépenses d’allocation personnalisée d’autonomie. Dans le même esprit, je m’efforce de développer la télésurveillance. La sécurité sociale, quant à elle, devra s’intéresser à la télémédecine pour rationaliser certains dispositifs, ce qui allégera d’autant la charge des organismes d’assurance maladie.

Ce qui me guide en l’occurrence, ce n’est pas un souci sanitaire, mais celui de prévenir la dépendance. L’agence régionale de santé peut avoir là un rôle de supervision, étant entendu que chacun doit, dans le cadre de loi actuelle, rester dans le champ de ses compétences – mais c’est peut-être là que réside la difficulté, la frontière entre le sanitaire et le médico-social n’étant pas clairement tracée.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous évalué ces actions de prévention des accidents ?

M. René-Paul Savary. Pas suffisamment. D’une manière générale d’ailleurs, les collectivités manquent d’une culture de l’évaluation – et, de surcroît, les actions menées, je le répète, sont très différentes d’un territoire à l’autre. Quoi qu’il en soit, il conviendra de renforcer cette évaluation après avoir déterminé les compétences de chacun. Nous aurions tout intérêt à nous doter à cet effet d’une grille, qui pourrait être appliquée aux actions comparables.

M. le coprésident Pierre Morange. S’il est difficile de distinguer entre le sanitaire et le médico-social, je note aussi que la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires vise à améliorer l’articulation entre les deux domaines, grâce à une coordination au niveau régional qui serait garante de politiques plus rationnelles, et la prévention pourrait être emblématique de cette nouvelle logique. Comment cette évolution est-elle perçue dans votre département et au sein de l’Assemblée des départements de France ?

M. René-Paul Savary. Je ne peux m’exprimer sur le sujet au nom de l’Assemblée des départements de France, au sein de laquelle je m’occupe principalement d’insertion.

Au niveau départemental, je ne suis pas certain que la situation ait été simplifiée : l’agence régionale de santé est en effet formée par l’association d’organismes qui préexistaient tandis que les départements – dont les compétences sont bien affirmées dans le domaine médico-social – disposaient déjà de schémas de prévention dédiés par exemple aux personnes âgées ou handicapées. Cette superposition est un facteur de complexité.

De plus, si là encore les situations diffèrent d’un département à l’autre, nombre de conseils généraux déplorent les actions de leur directeur d’agence régionale de santé. Dans la Marne, les relations sont satisfaisantes mais nous devons lui rappeler fermement nos compétences : la montée en puissance des agences régionales de santé, je le répète, amène ces dernières à travailler sur des schémas concurrents des nôtres, ce qui entraîne des actions redondantes – je songe en particulier, dans le domaine médico-social, à l’implantation des structures d’hébergement ou aux nouveaux services rendus aux personnes. En revanche, la légitimité de ces agences est incontestable s’agissant de la coordination des actions de prévention et la nécessité de leur donner des moyens à cette fin est unanimement reconnue. Néanmoins, les agences régionales de santé ont été créées récemment et il reste encore à chacun de trouver ses marques.

M. le rapporteur. Cela ne relève pas à proprement parler du domaine de la prévention mais il est vrai que les agences régionales de santé se sont dotées de responsables du secteur médico-social et disposent, dans les départements, de personnels pour assurer les liens entre les différents acteurs.

Les départements étant responsables de la gestion des collèges, que proposent-ils afin de prévenir l’obésité ? Ont-ils, à l’instar de certaines municipalités, signé des accords avec des associations en vue de promouvoir une alimentation équilibrée ?

M. René-Paul Savary. Aucune enquête, là encore, n’a été réalisée, mais des actions spécifiques sont menées car les présidents de conseils généraux sont très sensibles aux questions de nutrition. Cependant, si nous pouvons inciter les collèges, par exemple, à recourir aux productions locales pour leurs cantines, nous leur demandons également de passer des appels d’offres afin de réduire le coût des repas, ce qui se traduit par une moindre qualité diététique…

Dans la Marne, nous menons avec les associations de lutte contre l’obésité des actions en quelque sorte « facultatives », qui risquent d’être abandonnées en raison des restrictions budgétaires mais qui sont efficaces parce que nous ciblons un public précis – vingt-deux mille collégiens –, à la différence des bilans de santé pour lesquels les caisses primaires d’assurance maladie ont dépensé argent et énergie en vain.

M. le coprésident Pierre Morange. Madame Isabelle Maincion, quelle est l’implication des maires dans les actions de prévention – en particulier dans l’enseignement primaire, qui relève de leur responsabilité ?

Mme Isabelle Maincion, maire de La Ville-aux-Clercs, représentant l’Association des maires de France. Maire d’une commune de mille trois cent quarante habitants, je suis depuis déjà quelques années membre du comité de pilotage du programme national Nutrition santé pour l’Association des maires de France, et je préside le pays vendômois qui regroupe 105 communes pour lesquelles nous essayons d’élaborer un contrat local de santé, afin d’aider l’agence régionale de santé à coordonner les actions de prévention mais, également, à favoriser l’accès aux soins.

Il y a autant de façons d’aborder la question de la prévention qu’il existe de communes en France ! Certaines municipalités importantes comme Besançon, Rennes ou Marseille se sont engagées depuis longtemps sur ce terrain et l’Association des maires de France a commencé en 2004 à réfléchir aux actions à mener dans ce domaine. Il reste que les différences demeurent importantes entre les « villes Santé » de l’Organisation mondiale de la santé et les petites communes qui essaient de faire selon leurs moyens. J’ajoute que de tels projets dépendent également de la motivation des élus.

Il reste que des actions intéressantes ont ainsi été conduites, en particulier par plusieurs communes du nord de la France dans le cadre du programme « Ensemble prévenons l’obésité des enfants ». À ce propos, il est compréhensible que nombre d’entre elles aient été choquées qu’on les accuse de « faire grossir » les enfants quand tant de maires – j’en suis – s’emploient à améliorer la restauration scolaire.

Pourquoi les enfants sont-ils en surpoids ? L’alimentation n’est pas seule en cause : il faut également incriminer le manque d’exercice, aggravé par la prolifération des écrans. Mais le goût de la facilité, qui mène à une « américanisation » des comportements, induit aussi un abus de boissons sucrées ou de plats préparés. D’autre part, un enfant qui ne mange pas correctement à la cantine ou chez lui est porté à grignoter toute la journée.

Les communes ont toute latitude pour adapter les menus des cantines aux besoins des enfants et à ce qu’ils peuvent accepter, mais – et c’est tout l’enjeu du programme national d’alimentation – elles doivent aussi former leur goût, leur apprendre à manger ! Un autre travail consiste à former les personnels de cantine. L’Association des maires de France a, quant à elle, pour mission d’encourager les bonnes pratiques et d’empêcher que des maires ne reculent devant cette mission supplémentaire. Nous sommes à peu près tous réticents à l’accumulation des réglementations contraignantes, incompréhensibles, inapplicables et donc mal appliquées : d’ailleurs, il a fallu trois ans pour que celle qui régit la restauration scolaire devienne à peu près intelligible pour tous !

Il est évidemment plus facile de proposer des repas variés quand on sert 3 000 ou 4 000 repas par jour qu’une centaine. Quoi qu’il en soit, le chantier est ouvert mais je ne sais pas ce qu’il en adviendra : son sort dépendra des intérêts et des moyens de chacun.

Il revient également aux communes d’organiser et de coordonner les associations sportives pour favoriser l’accès au sport du plus grand nombre.

La conclusion avec les agences régionales de santé de contrats locaux de santé, quant à elle, est plus facile dans les grandes agglomérations qui disposent d’un atelier Santé Ville, comme à Marseille, première ville à s’en être dotée. Dès 2003, j’ai participé pour la région Centre aux réflexions menées dans le cadre du schéma régional d’organisation sanitaire. II devait définir un territoire de santé pertinent, car il importe de travailler à une échelle inférieure à celle du département. Mais nous n’avons pas réussi, et nous en sommes donc restés à l’échelon départemental, avec toutes les incohérences que cela implique quand on défend une vision régionale de l’organisation des soins et de la prévention.

En la matière, comme l’association des communautés de communes de France s’en est d’ailleurs rendu compte, les situations diffèrent d’une région à l’autre. La région Bretagne, par exemple, semble très en avance alors que, dans la région Centre, seuls six ateliers Santé Ville et deux pays disposeront d’un contrat local de santé en 2012.

Cette coordination est pourtant d’autant plus nécessaire que les communes, les départements et les régions méconnaissent les différents intervenants : nous ignorons les compétences de chacun. En tant que membre du groupement régional de santé publique, je me faisais parfois remplacer aux réunions du comité technique par l’un de mes collègues, par ailleurs pharmacien : quelle n’a pas été sa surprise de découvrir qu’une association de sa commune – de deux mille habitants – avait déposé une demande de subvention pour une action de prévention ! Il en ignorait son existence… Le domaine de la santé est organisé en tuyaux d’orgue depuis longtemps, d’où une situation complexe pour les collectivités qui tentent de travailler de façon transversale. Avec des moyens financiers limités, nous essayons quant à nous de nous organiser, dans notre pays du Loir-et-Cher, avec l’observatoire régional de santé et avec un observatoire des territoires unique en France.

M. le rapporteur. Comment ces deux observatoires travaillent-ils ensemble ?

Mme Isabelle Maincion. Notre pays a été l’un des premiers territoires à bénéficier d’un diagnostic territorial de santé, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales ayant envisagé d’en faire une zone un peu expérimentale en raison des graves problèmes d’accès aux soins qu’y a entraînés la chute de la démographie médicale. Nous nous sommes très rapidement aperçus que l’échelle – cent cinq communes, soixante-dix mille habitants – était trop petite pour mener à bien ce diagnostic quantitatif sur certaines pathologies, et qu’un diagnostic qualitatif était nécessaire. L’observatoire régional de santé n’ayant pas pu nous l’offrir, nous nous sommes tournés vers l’observatoire des territoires, dont la mission est à la fois économique et sociale – en ce moment, nous essayons d’ailleurs de constituer une base de données de développement durable. Cela étant, on m’a assuré la semaine dernière que l’observatoire régional de santé proposait maintenant ce type de diagnostic, mais ces observatoires sont de petites structures…

M. le rapporteur. Celui des Pays de la Loire donne toute satisfaction.

Mme Isabelle Maincion. La directrice de l’observatoire régional de santé de la région Centre est également très compétente !

M. le rapporteur. Comment les contrats locaux de santé sont-ils élaborés ? Quelle est la part respective de l’initiative locale et de l’initiative régionale ? Sur quels thèmes portent-ils et à combien s’élève la participation financière de la collectivité ?

Mme Isabelle Maincion. Nous avons souhaité signer un contrat local de santé dès que ce dispositif a été institué mais nous avons dû attendre, ses promoteurs n’étant pas convaincus de la pertinence de l’outil pour un territoire de soixante-dix mille habitants – bien que cela représente tout de même le tiers du département.

L’accès aux soins constitue un enjeu primordial pour tous les territoires et, en milieu rural, le problème se pose dans les mêmes termes qu’à la périphérie des grandes agglomérations ; c’est d’ailleurs moins un problème de démographie médicale que de répartition des médecins sur le territoire. Quoi qu’il en soit, lorsque les médecins font défaut, la population est désespérée, je peux en témoigner, et à ce désespoir succède celui des maires. Avec les élus les plus sensibilisés à cette question, nous avons donc souhaité rencontrer les professionnels afin d’élaborer la demande de diagnostic et de préparer des solutions, les sujets les plus préoccupants étant les addictions et la santé mentale ; en dix ans de mandat, en effet, j’avoue que les internements d’office ont été pour moi le fardeau le plus lourd à porter. Nous avons alors eu, médecins compris, la bonne surprise de constater que les acteurs de terrain étaient nombreux et souvent de qualité.

Aujourd’hui, nous élaborons un plan de financement avec l’ensemble des communes du pays et avec la contribution des fonds européens puisque nous avons la chance de bénéficier d’un programme LEADER. Nous réalisons également un annuaire, qui sera régulièrement actualisé, dans lequel chacun trouvera l’information nécessaire. Nous pourvoyons donc à la coordination qui faisait défaut…

M. le rapporteur. Fort bien mais, en pratique, quelles mesures de prévention avez-vous prises contre les addictions ?

Mme Isabelle Maincion. Cela dépend des communes.

Comme nous n’avions pas le personnel compétent, nous avons demandé à la Fédération régionale des acteurs en promotion de la santé de nous aider à rédiger le contrat local de santé et, dans la mesure où elle a précisément pour vocation de fédérer les associations de prévention, de diriger les comités de pilotage.

Le repérage des situations d’addiction incombe à tous les partenaires de santé, notamment aux médecins. La médecine du travail joue, en la matière, un rôle irremplaçable au sein de l’entreprise.

Notre champ de compétence couvre notamment la détection de ces addictions d’un type nouveau que sont les addictions à l’écran. Nous en sommes aux balbutiements : toutefois, notre communauté de communes ayant la chance de disposer d’un service Jeunesse et de points d’information jeunesse, chaque commune peut bénéficier du travail que ceux-ci réalisent sur ces addictions qui sont malheureusement en plein essor. Nos animateurs sont régulièrement formés en conséquence.

Les addictions touchant les adolescents demeurent la principale difficulté, l’alcool n’est pas seul en cause, et, dans ce domaine aussi, nous souffrons d’une mauvaise connaissance des intervenants. La région Centre et l’agence régionale de santé ont compris la nécessité d’améliorer la communication – ainsi, dans le Vendômois, s’agissant de l’éducation à la sexualité, aucun jeune ne vient plus rencontrer la gynécologue qui est à leur disposition tous les mercredis. Pour combattre les addictions, l’idée nous est donc venue de faire appel, sur le modèle des éco-délégués dans les lycées, à des adolescents référents qui acceptent d’être sensibilisés et formés en matière d’accès à la santé et à la prévention. Il est notoire en effet qu’auprès d’un jeune, la parole d’un autre jeune est cent fois plus efficace que celle d’un adulte.

Je déplore d’autant plus le manque d’infirmières dans les écoles – mais le phénomène touche également les collèges et les lycées – que la médecine scolaire n’existe pratiquement plus. C’est un accompagnement qui nous fait cruellement défaut. On pourrait utiliser les personnels dont les collectivités disposent à tous les niveaux et qui sont volontaires pour une formation, étant entendu que ces mêmes collectivités ne peuvent assumer à elles seules la charge de la prévention. Des ateliers Santé Ville réalisent un travail remarquable mais l’organisation verticale nuit à la mise en commun de nos efforts. Les contrats locaux de santé devraient permettre de travailler de manière plus transversale.

M. le rapporteur. Pourriez-vous donner un exemple de travail réalisé par des adolescents référents en matière d’addiction ?

Par ailleurs, comment les communes s’intègrent-elles au programme national Nutrition santé ?

Mme Isabelle Maincion. Les adolescents référents sont, comme je l’ai mentionné, inspirés des éco-délégués, qui sont élus par leurs camarades et formés par un enseignant volontaire aux gestes quotidiens du développement durable comme éteindre la lumière quand on sort de la classe ou utiliser les feuilles recto verso. Leur action auprès de leurs camarades permet de réaliser des économies de fonctionnement, même s’il faut recommencer cette formation chaque année.

En place, à titre expérimental, depuis septembre, les adolescents référents, qui ont reçu une formation en matière de santé, ont pour rôle d’entrer en contact avec un camarade qui se drogue ou qui est rivé à un écran pour l’inciter, par exemple, à pratiquer un sport. L’agence régionale de santé soutient l’initiative et la région Centre a alloué un petit budget pour encourager ces jeunes à se mobiliser sur les problèmes de nutrition, de drogue ou d’alcool car il n’est pas rare en milieu rural qu’un jeune rentre le mercredi soir ivre mort à l’internat. Nous envisageons d’étendre cette prévention à l’éducation sexuelle, car nous constatons une recrudescence des grossesses précoces – dont quelques-unes sont voulues, car c’est aussi une façon de s’opposer aux parents.

S’agissant de la nutrition et de la santé, le programme national Nutrition santé I ne concernait que les professionnels de santé et les ministères parties prenantes au programme. Or tous ces acteurs se sont aperçus que l’appui des collectivités locales leur était indispensable pour mener des actions emblématiques comme par exemple la distribution d’un fruit à la récréation. L’Association des maires de France m’a alors demandé de participer à un groupe de travail sur la façon dont nos collectivités pourraient s’impliquer dans ce programme, ce qui, accessoirement, m’a permis de réaliser que, comme M. Jourdain de la prose, je faisais depuis longtemps de la prévention sans le savoir – en particulier dans la maison de retraite gérée par le centre communal d’action sociale, où je luttais contre la dénutrition des personnes âgées en formant le personnel en conséquence.

Il convenait en premier lieu de déterminer les compétences respectives des collectivités locales et de l’État en matière de santé, car ces champs se recoupent. À partir de ce constat, nous avons créé, au sein du programme national Nutrition santé II, le label « Villes actives » destiné aux communes qui s’engagent à mettre en œuvre chaque année une des priorités du programme, que ce soit les maisons de retraite, l’alimentation ou le sport.

Un colloque est prévu tous les deux ans – le premier s’est déroulé à Nancy et le second cette année à Marseille – pour évaluer l’engagement des collectivités. Cela commence par l’urbanisme. L’organisation de notre espace de vie contribue en effet à la préservation de la santé : cheminements doux afin d’améliorer la sécurité des piétons et des cyclistes, aménagements divers, cages d’escaliers rendues plus attractives pour diminuer le recours à l’ascenseur – je pense au travail réalisé en la matière par un architecte à Bordeaux et à Nancy dans le cadre de la réhabilitation ou de la construction d’immeubles. En matière d’alimentation, l’accent a été mis non seulement sur l’équilibre des repas servis dans les restaurants scolaires, mais également sur la consommation effective de ces repas par les enfants, en vue de réduire la quantité de déchets. Il convient également de promouvoir l’achat de produits locaux et la consommation des fruits et légumes de saison.

Hormis les actions dans le cadre des cantines, c’est notamment dans le cadre de « Villes actives » qu’a été généralisée la formule des pédibus, expérimentée en centre-ville. Mais, d’une part, il n’est pas besoin d’avoir le label pour s’emparer des bonnes pratiques et, d’autre part, se pose la question de la transposition du dispositif en milieu rural. Nous réfléchissons à un système de vélobus, ce qui implique de créer des accès cyclables pour les enfants et de prévoir des abris à vélos dans les écoles. Nos politiques d’aménagement sont désormais pensées en fonction de préoccupations tournant autour de la santé – il en est ainsi, dans ma commune, de la réorganisation du restaurant scolaire.

L’Association des maires de France a créé un groupe de travail sur la restauration collective et sur les achats responsables. Avec son soutien, notre commune a répondu à l’appel à projets national relatif au programme national d’alimentation : nous prévoyons de réaliser des fiches sur nos pratiques en vue de les diffuser auprès de toutes les mairies de France.

M. le rapporteur. La prévention se décline habituellement en prévention primaire, secondaire et tertiaire, mais il est vrai qu’aucun domaine n’y échappe : c’est aussi affaire de qualité de l’air, de l’eau ou de la vie. Le risque est alors de devenir responsable de tout !

La médecine scolaire étant en déshérence, pouvez-vous prendre des responsabilités en la matière alors même que vous avez déclaré vouloir laisser les siennes à l’État ? Assurer la prévention dans les établissements primaires est nécessaire pour garantir aux enfants le meilleur développement possible, mais les collectivités locales peuvent-elles combler le vide existant, même si cela ne relève pas de leur compétence directe ?

Mme Isabelle Maincion. Malheureusement, la majorité des communes sont contraintes de s’y employer. C’est une évolution, toutefois, que nous récusons : il n’est pas normal que nous devions effectuer des signalements parce que les visites médicales obligatoires à l’école primaire ne sont plus assurées. Les enseignants nous aident en nous signalant les problèmes sociaux et sanitaires qui peuvent se poser.

Pour une petite commune, toutefois, la réponse ne peut être que collective : c’est pourquoi il faut des lieux où élaborer des projets communs.

M. le rapporteur. Les addictions à l’alcool et à la drogue induisant des problèmes de délinquance et de sécurité publique, on ne saurait en effet cloisonner.

M. René-Paul Savary. Le pragmatisme des propos de Mme Isabelle Maincion, élue de terrain, me réjouit.

Il est clair que personne ne peut plus s’enfermer dans son rôle spécifique mais la disparition de la médecine scolaire et la désertification médicale en milieu rural, qui empêchent la prévention, la rendent dans le même temps encore plus nécessaire pour pallier ce manque de médecins !

Puisque les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ont des difficultés à disposer d’un médecin coordinateur, qu’il est délicat d’organiser la prévention dans les maisons départementales des personnes handicapées, et que la médecine scolaire et les services de la protection maternelle et infantile ne trouvent pas de médecins en nombre suffisant, pourquoi ne pas s’organiser par bassin de vie en y créant un pôle de médecins de prévention pour intervenir dans tous ces lieux ? Nous sommes condamnés à innover.

M. le rapporteur. Des départements ont bien mis en place des animateurs culturels par canton : pourquoi ne pas imaginer un animateur Prévention par territoire, qu’il s’agisse d’un médecin ou d’une infirmière formée à cette fin ? L’idée des adolescents référents va d’ailleurs dans ce sens – et leur message porte davantage auprès de leurs camarades que celui d’un ancien alcoolique ou d’un ancien fumeur.

Mme Isabelle Maincion. Je connais une très grosse entreprise de la région parisienne – huit mille cinq cents salariés – qui a embauché un salarié dont la fonction consiste non seulement à lutter contre les addictions mais également à accompagner le retour des anciens dépendants à une vie normale, ce qui est un point essentiel. J’ai moi-même été confrontée en tant qu’élue au décès dû à l’alcool de deux salariés, un employé de la maison de retraite et un agent territorial spécialisé des écoles maternelles. Nous n’avons pas nécessairement besoin de spécialistes : ce qui est nécessaire, c’est accompagner ceux qui acceptent de se soigner. Je fais partie de la commission de coordination dans les domaines de la prévention, de la santé scolaire, de la santé au travail et de la protection maternelle et infantile au sein de l’agence régionale de santé : il est dommage qu’au lieu d’effectuer un travail de fond, cette commission se contente de répartir les subventions entre les différentes associations.

M. le rapporteur. La communication de la Cour des comptes dénonce une absence de pilotage de la politique de prévention, mais qui peut selon vous assurer ce pilotage ? La cour propose de le confier à un délégué interministériel : qu’en pensez-vous et souhaitez-vous être associés à ce travail ?

M. René-Paul Savary. Les acteurs sont trop nombreux. Du reste, selon la cour, le budget de la prévention serait compris entre un et dix milliards d’euros…

M. le rapporteur. Tout dépend si on prend en compte le budget directement dédié à la prévention ou toutes les actions de prévention réellement menées, comme celles qu’effectue normalement le médecin généraliste chaque fois qu’il reçoit un patient.

M. René-Paul Savary. Mon expérience de médecin m’a appris qu’une personne qui se montre réfractaire à un message de prévention peut y devenir réceptive à un moment donné : c’est ce moment qu’il ne faut pas manquer. C’est vrai aussi bien pour les adultes que pour les jeunes. C’est pourquoi il faut réorganiser les actions de prévention à partir du terrain, des territoires, pour être à même de détecter ce moment et de le mettre à profit.

M. le rapporteur. Les anciens alcooliques évoquent le « déclic ».

M. René-Paul Savary. La communication évoque des modèles étrangers : on pourrait s’en inspirer mais je crains qu’ils ne soient incompatibles avec le modèle social français.

Mme Isabelle Maincion. Les collectivités locales doivent assumer le poids des réglementations et, de plus, les maires reçoivent des sollicitations de toutes sortes. Nous avons donc besoin de priorités claires et ce ne sont pas les acteurs de terrain qui peuvent les définir : au sein du comité de pilotage du plan national Nutrition santé, chaque acteur – et il y en a beaucoup – est persuadé que son domaine d’intervention est primordial, de sorte que son programme est devenu un catalogue !

Si possible, commençons par simplifier ! Nous essayons de le faire à notre échelon car, même à ce niveau, il y a des redondances. C’est du reste la raison pour laquelle nous avions tenu à réaliser un diagnostic territorial.

M. le rapporteur. Je suis d’accord avec vous : c’est dans le même esprit que j’ai critiqué les cent objectifs de la loi de santé publique.

M. le coprésident Pierre Morange. Je constate une convergence des constats entre les départements et les communes : la multiplicité des acteurs et le fonctionnement de notre protection sanitaire et sociale en tuyaux d’orgue rendent impérative une coordination, pour parvenir à une action transversale. Dans le cadre de ses compétences régaliennes, l’État stratège doit définir des objectifs clairs et peu nombreux : nous n’avons pas besoin en effet d’un « inventaire à la Prévert ». S’attaquer aux quatre fléaux que sont le tabac, l’alcool, la surcharge pondérale et la sédentarité suffirait pour faire reculer les trois quarts des pathologies.

Il est donc nécessaire de faire prévaloir une logique de coordination nationale au travers d’une délégation interministérielle et de décliner cette rationalisation des efforts dans les départements, par l’intermédiaire de la médecine scolaire, de la médecine du travail ou des caisses primaires d’assurance maladie.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition de Mmes Jeanne-Marie Urcun, médecin, conseillère technique auprès du directeur général de l’enseignement scolaire, et Nadine Neulat, chef du bureau de la santé, de l’action sociale et de la sécurité, de la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale.

M. le coprésident Pierre Morange. Mesdames, M. Jean-Luc Préel, notre rapporteur, vous posera des questions. Mais auparavant, nous aimerions avoir votre appréciation sur le rapport de la Cour des comptes et sur celui du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale sur la médecine scolaire.

Mme Nadine Neulat, chef du bureau de la santé, de l'action sociale et de la sécurité. Le directeur général de l’enseignement scolaire a été auditionné par la Cour des comptes et son sous-directeur par l’Assemblée nationale. Nous disposons désormais de deux rapports nous permettant de réfléchir de nouveau sur les progrès à réaliser en termes d’organisation et de mission dévolues à la santé scolaire. Une des difficultés du sujet tient à son caractère multiforme, si bien que chacun a une interprétation différente de ce que recouvre l’expression « médecine scolaire ».

Nous ne sommes chargés que d’une partie du suivi des élèves au sens strict, le code de l’éducation prévoyant des visites médicales dans le cadre scolaire et un suivi de la santé des élèves.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur. Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les visites obligatoires ?

Mme Nadine Neulat. Le code de l’éducation prévoit quatre visites obligatoires : la première à avoir été mise en place est celle de la sixième année, lors du cours préparatoire, au commencement des apprentissages proprement dits. Les trois autres visites, prévues par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance à neuf, douze et quinze ans, nous posent des difficultés. En effet, la loi ne prévoit pas stricto sensu que l’Éducation nationale prend complètement en charge l’organisation de ces visites puisqu’elles peuvent être effectuées à l’initiative des parents : dans ce cas, elles doivent être gratuites. Cela suppose que l’assurance maladie les prenne en charge, ce qui se révèle assez problématique.

Nous avons examiné les questions soulevées par ces trois visites complémentaires avec le ministère de la santé. La première concerne l’âge de ces visites. Le ministère de la santé partage notre avis sur l’absence de pertinence des visites des neuf ans et des quinze ans ; seule la visite des douze ans pourrait avoir un intérêt du point de vue de la santé publique. La seconde question est liée à l’impossibilité où nous sommes d’assurer la réalisation de ces trois visites, compte tenu du nombre des médecins de l’Éducation nationale disponibles.

Mme Jeanne-Marie Urcun, médecin conseillère technique auprès du directeur général de l’enseignement scolaire. Il existe une autre visite médicale obligatoire : c’est la visite d’aptitude aux travaux normalement interdits aux mineurs par le code du travail. Cette visite est passée par les élèves qui suivent un enseignement technologique ou professionnel et ont, de ce fait, accès, au sein des ateliers, à des machines dont l’utilisation leur est normalement interdite.

M. le rapporteur. Un compte rendu de la visite des six ans et des douze ans est-il adressé aux parents et au médecin traitant ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. Les parents sont toujours prévenus du déroulement de ces visites. Entre 85 % et 90 % d’entre eux sont présents à la visite des six ans. De plus, les conclusions du bilan sont transcrites sur le carnet de santé. Si, à la suite de la découverte d’une pathologie, un examen supplémentaire est nécessaire, un courrier est adressé au médecin généraliste par l’intermédiaire de la famille – c’est à elle que revient d’effectuer cette démarche.

M. le coprésident Pierre Morange. Qu’en est-il du suivi ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. Il dépend des informations renvoyées par la famille. Sans ces informations, nous n’aurons connaissance du suivi que de manière fortuite, par exemple si un enfant qui avait besoin de lunettes en porte désormais en classe.

Mme Nadine Neulat. S’agissant du retour des avis donnés par les médecins scolaires, les données dont nous disposons ne sont pas satisfaisantes. Il faut donc mettre en place des dispositifs permettant de mieux connaître les suites données aux avis des médecins scolaires.

Plusieurs études ont été conduites sur le sujet d’où il ressort que seulement 30 % à 40 % des visites ont été suivies d’effets. Certains départements ont mené des expérimentations de travail en partenariat avec des accompagnants santé, rémunérés par l’assurance maladie : leur rôle est d’accompagner les familles pour aider celles-ci à acheter des lunettes ou à prendre un rendez-vous chez leur médecin traitant. Nous voudrions amplifier cet accompagnement.

Nous étudions également les dispositifs de réussite éducative instaurés dans le cadre de la politique de la ville, dispositifs mis en œuvre par des partenaires évoluant autour de l’école dans différents domaines. Ils prévoient des accompagnements santé pour les élèves qui en ont besoin.

M. le coprésident Pierre Morange. Conviendrait-il de prévoir des dispositifs d’ordre réglementaire ou législatif instaurant une automaticité du suivi, voire un pouvoir d’injonction, dès lors que la logique de dépistage de la médecine scolaire est déficiente et qu’il existe des parents laxistes ?

Dans l’intérêt de l’enfant, un financement du système assurantiel ne devrait-il pas se substituer à une carence parentale, notamment pour des raisons de précarité ?

M. le rapporteur. Lors de la visite des six ans, l’enfant présente normalement son carnet de santé : celui-ci est-il bien tenu ? C’est important car le médecin traitant pourra y prendre connaissance de l’avis donné par le médecin scolaire.

Mme Jeanne-Marie Urcun. Le carnet de santé permet au médecin scolaire d’avoir connaissance des bilans des visites obligatoires de la petite enfance, réalisées dans le cadre de la protection maternelle et infantile. Le lien avec la protection maternelle et infantile est ainsi assuré, le dossier protection maternelle et infantile étant envoyé aux services de l’Éducation nationale. Nous avons donc une connaissance de base de l’état de santé de l’enfant.

Quant au courrier indépendant du carnet de santé, il devrait permettre un aller-retour nous informant du suivi.

Les parents ne se désintéressent pas tant de l’état de santé de leurs enfants qu’ils ne comprennent pas toujours l’utilité de l’avis du médecin scolaire. Parfois, également, ils ne peuvent pas accéder facilement aux soins. À cet égard, on observe que dans les zones d’éducation prioritaire, l’offre de soins est plus importante que dans les secteurs ruraux : le suivi orthophonique ou dentaire d’un enfant n’est pas facile à assurer lorsqu’on doit parcourir vingt à trente kilomètres. Il faut accompagner certaines familles dans leurs démarches auprès du spécialiste concerné ou du médecin généraliste, qui doit orienter le parcours de soins de l’enfant.

Dans certaines municipalités, les services sociaux réalisent encore ce travail d’accompagnement des enfants du premier degré. La problématique du second degré est multifactorielle et donc plus compliquée : je ne l’évoquerai pas.

Mme Nadine Neulat. Prévoir des mesures d’ordre législatif pour imposer aux familles le suivi médical ne me semble pas approprié. Il est préférable de s’orienter vers une amélioration du soutien à la parentalité, qui est d’ailleurs lié à d’autres politiques auxquelles nous participons, d’autant que les études ont montré que les causes de non-suivi de la part des parents se posent moins en termes financiers qu’en termes d’accessibilité de l’offre de soins ou de non-compréhension de l’importance du suivi demandé pour le déroulement de la scolarité de l’enfant.

M. le rapporteur. Quel rôle joue la médecine scolaire dans le diagnostic et le suivi d’un handicap, d’ordre psychomoteur notamment, pouvant donner lieu à l’intervention d’un auxiliaire de vie scolaire ? Quelles sont les relations avec le spécialiste ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. Le médecin scolaire participe à l’accueil de la famille, bien souvent à l’annonce du handicap, et construit avec l’enseignant référent un projet personnalisé de scolarisation. Ce travail en amont permet de transmettre à la maison départementale des personnes handicapées une proposition de scolarisation spécifique. C’est la maison départementale des personnes handicapées qui décide des attributions particulières, notamment en termes de moyens humains comme les auxiliaires de vie scolaire. L’accompagnement des enfants malades ou handicapés représente une part importante du travail du médecin de l’Éducation nationale.

M. le rapporteur. Quels liens celui-ci entretient-il avec les centres médico-psycho-pédagogiques ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. Le centre médico-psycho-pédagogique est un partenaire naturel. À la suite du bilan des six ans, où peuvent être décelées d’éventuelles difficultés d’apprentissage, les partenaires le plus souvent sollicités sont, pour 15 % à 20 % des cas, le centre médico-psychologique, le centre médico-psycho-pédagogique, le psychologue scolaire, les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté et les centres de référence, ces derniers n’étant sollicités que dans 2 % à 3 % des cas.

Mme Nadine Neulat. Une enquête a été réalisée il y a quelques années, avec l’aide de Mme Marie Choquet, sur les liens entre les établissements scolaires, les centres médico-psychologiques et les centres médico-psycho-pédagogiques. Il ressort de cette enquête que des progrès importants peuvent encore être réalisés en termes non seulement de connaissance des deux dispositifs par les établissements scolaires mais également de délais : trop souvent, même en cas de difficulté grave, les élèves attendent six mois pour obtenir un rendez-vous, si bien que toute l’année scolaire ou presque est écoulée quand ils s’y rendent. Ce problème de disponibilité des réseaux de proximité en soutien des établissements scolaires s’ajoute à celui du dépistage par nos personnels dans l’établissement.

M. le rapporteur. Quel est le nombre de médecins et d’infirmières scolaires ? Combien y a-t-il de postes disponibles ? Existe-t-il des difficultés de recrutement ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. Les chiffres dont je dispose proviennent de la réponse à une question de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2012 : la situation en 2011 est de 7 449 équivalents temps plein délégués pour les emplois d’infirmières, 1 488,64 équivalents temps plein délégués pour les emplois de médecins, et 2 560,50 équivalents temps plein délégués pour les emplois d’assistances sociales.

M. le rapporteur. Pour quel nombre d’établissements scolaires ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. Pour environ 7 400 collèges, 2 500 lycées et 60 000 écoles. Il faut noter qu’il s’agit du nombre d’équivalents temps plein délégués, et non pas d’équivalents temps plein effectivement consommés. Certaines académies sont très déficitaires en personnels de santé.

Mme Nadine Neulat. L’Éducation nationale compte actuellement 185 postes de médecins vacants. La chute générale de la démographie médicale sévit également dans l’Éducation nationale, notamment dans les académies de Reims, d’Amiens, d’Orléans-Tours. L’académie de Clermont-Ferrand commence également à être touchée par le phénomène.

M. le rapporteur. N’y a-t-il pas un problème spécifique de manque d’attractivité de la carrière d’infirmière scolaire, qui relève toujours du cadre B de la fonction publique, alors que les infirmières de la fonction publique hospitalière sont passées en catégorie A ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. La question se pose à la direction des relations humaines du ministère de l’Éducation nationale. Le corps des infirmières étant un corps interministériel, il est géré par le ministère chargé de la fonction publique. Notre propre ministère est actuellement engagé dans des négociations difficiles pour obtenir de ce ministère le passage des infirmières scolaires en catégorie A, soit de manière progressive, sur une période qui pourrait être de quinze ans, soit de manière beaucoup plus rapide. Je ne sais pas si nous y arriverons : nous attendons la réponse du ministère chargé de la fonction publique.

M. le rapporteur. La communication de la Cour des comptes fait état d’un défaut de pilotage de la politique nationale de prévention sanitaire. Elle propose que cette mission soit confiée à une délégation interministérielle qui relèverait de la direction générale de la santé. Comment pourrait-on assurer la coordination au niveau national entre les différents acteurs de la prévention : Éducation nationale, Sécurité sociale, etc. ? Qui pourrait être chargé de cette coordination ? Comment en assurer l’efficacité ?

M. le coprésident Pierre Morange. La médecine scolaire est-elle engagée dans un processus d’identification et de généralisation des bonnes pratiques en matière de prévention sanitaire ? D’une manière générale, quelles sont les modalités d’évaluation des programmes de prévention sanitaire en milieu scolaire ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. Il faut, pour répondre à vos questions, distinguer au préalable entre ce qui relève du suivi de la santé des élèves, notamment à travers les visites médicales, et tout ce qui est du domaine de l’éducation à la santé : ces deux domaines ne se recouvrent pas totalement et n’impliquent pas nécessairement les mêmes personnels. Si le suivi de la santé des élèves relève exclusivement de la compétence des personnels de santé, à savoir les médecins et les infirmières scolaires, le ministère entend impliquer de manière beaucoup plus significative les enseignants dans l’éducation à la santé. En effet, 1 500 médecins et 7 000 infirmières ne suffiront pas pour assurer l’éducation à la santé de la maternelle aux lycées. Cette implication de l’ensemble des équipes éducatives se justifie d’autant plus que l’éducation à la santé et à la prévention relève du socle commun de connaissances et de compétences que tout élève doit savoir et maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. L’éducation à la santé est une mission qui doit être largement partagée avec les enseignants et les partenaires de l’Éducation nationale.

M. le coprésident Pierre Morange. Sur ce point nous sommes tous d’accord. Cela étant, avez-vous identifié, parmi les actions menées par les différentes académies en matière d’éducation à la santé, des programmes particulièrement efficaces ?

Mme Jeanne-Marie Urcun. Certaines actions autour de thématiques de prévention, développées par les académies en partenariat avec différents acteurs comme les agences régionales de santé ou les associations nous semblent particulièrement fécondes. Je pense par exemple à une action d’éducation à la sexualité engagée dans l’académie de Lyon et qui a réuni, autour de ce thème assez sensible, des formateurs partageant la même philosophie et porteurs des mêmes messages auprès des élèves et des personnels. L’académie de Lille a vu également se développer des formations associant différents acteurs sur le même thème. Les académies de Limoges et de Poitiers ont lancé des actions du même type, cette fois dans le domaine de la prévention des conduites addictives.

M. le coprésident Pierre Morange. Ces actions ont-elles été évaluées ? Quels publics scolaires visaient-elles ? Ces actions ont-elles permis d’échanger des informations et d’élaborer un recueil des bonnes pratiques au niveau du ministère ?

Mme Nadine Neulat. Si on veut impliquer la communauté éducative dans des projets de ce genre, il faut d’abord s’adresser aux adultes, et non aux élèves, même si ceux-ci sont le public ciblé. En effet, c’est cette formation préalable des adultes qui permet d’accompagner la réflexion des élèves.

Les académies évaluent la satisfaction des adultes ayant participé à ces stages de formation et ces évaluations donnent généralement des résultats très positifs. En revanche, évaluer une éventuelle évolution des comportements des élèves est beaucoup plus difficile : un comportement change sur du long terme. Certes, la dernière enquête sur la santé des Français révèle une petite amélioration, à laquelle nous avons sans doute contribué. Toutefois, il est difficile de savoir ce qu’on mesure réellement. Il faut comprendre, en outre, que certains objectifs sont par nature inatteignables. Ainsi, on ne peut pas viser un objectif « zéro grossesse non désirée » chez les adolescentes, sachant que certaines de ces grossesses précoces répondent à un réel désir d’enfants, qu’il soit conscient ou non. De même, viser une absence de consommation d’alcool ne saurait constituer un horizon crédible. Une véritable étude des changements de comportements ne pourra porter que sur de grandes cohortes populationnelles, suivies pendant des années. Ainsi, le tassement de l’augmentation de l’obésité auquel on assiste actuellement, notamment chez les élèves de cours moyen, peut être perçu comme le résultat des grandes campagnes d’éducation à la santé.

Impliquer dans ces démarches d’éducation à la santé des personnels dont ce n’est pas le cœur de métier – un enseignant peut considérer que sa mission est de transmettre des savoirs, non des savoir-faire, et encore moins des « savoir-être » – suppose tout un travail de persuasion auprès des établissements scolaires. On peut considérer cependant que l’éducation à la santé est devenue un élément incontournable du paysage de l’Éducation nationale, même si les méthodes ont évolué : on travaille moins désormais à transmettre directement des notions de prévention sanitaire, au sens premier du terme, qu’à conduire les élèves à réfléchir sur leurs choix et leurs comportements.

Mme Jeanne-Marie Urcun. À titre personnel, j’ai quelque réticence à l’instauration d’un pilotage interministériel de la prévention sanitaire. Nous avons déjà l’expérience de la gouvernance interministérielle dans certains domaines. Dans le domaine de la prévention de la toxicomanie, par exemple, nous travaillons avec la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie aujourd’hui rattachée au Premier ministre. Une structure interministérielle placée sous l’autorité de la direction générale de la santé permettrait peut-être un meilleur suivi sanitaire, au sens strict, des élèves, en assurant notamment une meilleure coordination avec la médecine générale. Je crains cependant que la création d’une telle structure n’aboutisse à déporter l’éducation à la santé vers le ministère de la santé, l’éloignant encore davantage du monde enseignant, qui peine déjà à assumer cette mission.

Mme Gisèle Biemouret. On parle beaucoup d’une recrudescence des grossesses précoces. Est-ce une réalité ? J’ai été surprise d’apprendre que quatre élèves appartenant au même lycée dans mon département étaient enceintes.

Mme Nadine Neulat. Ce n’est pas d’exceptionnel. Cependant, même si nous ne disposons pas de chiffres pour l’ensemble des académies, il ne semble pas que le nombre des grossesses précoces augmente notablement, excepté dans certaines franges de la population et dans certains territoires. Il faut remarquer aussi, quoi qu’on en pense, que ces grossesses sont parfois désirées par des adolescentes en quête de reconnaissance sociale. C’est toute la difficulté de l’éducation à la santé, et tout particulièrement de l’éducation à la sexualité : un jeune informé ne modifiera pas forcément ses comportements. C’est pourquoi, au-delà de l’éducation sexuelle proprement dite, il convient de faire réfléchir les élèves sur les conséquences de conduites qui peuvent nous sembler irrationnelles et, en l’occurrence sur ce que signifie le fait de devenir parent.

Mme Jeanne-Marie Urcun. La distribution de la contraception d’urgence par les infirmières scolaires est un moyen favorable de faire de la prévention, puisque c’est pour elles l’occasion d’entamer un dialogue avec les adolescentes. L’autorisation du renouvellement par les infirmières des contraceptifs oraux constituera de ce point de vue un moyen supplémentaire de prévention des grossesses chez les adolescentes.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous mesuré l’incidence sur le nombre d’interruptions volontaires de grossesse des programmes d’éducation à la sexualité que vous avez cités ? Il est notoire que le taux d’interruptions volontaires de grossesse reste désespérément stable, en dépit de la multiplicité des moyens de contraception.

Mme Jeanne-Marie Urcun. À ma connaissance, le ministère de l’éducation nationale ne dispose pas de données sur le sujet. D’une façon générale, il faut se montrer très prudent dans l’interprétation du résultat de ces actions via des indicateurs du comportement des élèves, ceux-ci étant très influencés par leurs pairs ou par leur famille. Il est de ce fait très difficile d’imputer un comportement à une action. C’est toute la difficulté pour évaluer la prévention : s’il est facile de décrire les actions menées et le ressenti des publics ayant participé à ces formations, il est délicat d’en mesurer les effets sur les comportements. Je ne sais même pas s’il serait possible d’évaluer cette incidence, à moins de suivre des cohortes populationnelles sur du long terme. Une telle étude suppose des moyens qui ne sont dévolus qu’à la recherche.

Mme Nadine Neulat. C’est la problématique de l’évaluation de la prévention sanitaire, quel que soit l’âge de la population visée et quelles que soient les thématiques. On peut tout de même observer que l’état de santé de la population française s’est amélioré depuis qu’elle bénéficie d’une éducation à la santé. Je répète en outre qu’on ne parviendra jamais à réduire totalement certains comportements qui relèvent de l’irrationnel.

Mme Jeanne-Marie Urcun. L’utilisation du préservatif, aujourd’hui banalisée, est un indicateur assez objectif de l’incidence de l’éducation à la santé.

M. le rapporteur. Les représentants des communes et des conseils généraux que nous avons auditionnés se sont plaints d’une certaine déshérence de la médecine scolaire dans le domaine de l’éducation à la santé. Certes, l’enseignement primaire relève de la compétence des communes et l’enseignement dans les collèges de celle des départements, mais ceux-ci n’ont pas les moyens de se substituer à l’État dans cette mission indispensable. Par ailleurs, les médecins libéraux ne pourraient-ils pas participer à la médecine scolaire ?

Mme Nadine Neulat. Cette vision des choses prouve la confusion qui règne sur cette question. L’éducation à la santé n’est pas réservée aux personnels de santé : nous sommes des conseillers techniques chargés de valider la démarche d’une réflexion sur la santé, mais nous n’avons ni la prétention, ni mêmes les moyens, d’être les seuls acteurs légitimes à assurer l’éducation à la santé : les citoyens et les élus peuvent eux aussi participer à cette démarche. Les personnels de santé de l’éducation nationale sont en quelque sorte les médecins du travail de l’élève. C’est la spécificité de la médecine scolaire, qui justifie l’existence d’un corps à part entière, où on entre par la voie d’un concours particulier et où on reçoit une formation spécifique. Le bilan de santé réalisé lors de la visite médicale obligatoire des élèves de six ans et de douze ans a pour objectif de repérer tout trouble qui pourrait constituer une difficulté pour suivre les apprentissages, à faciliter l’accueil de l’enfant malade ou handicapé, où à s’assurer que l’état de santé de l’élève est compatible avec l’orientation choisie. Cet accompagnement individuel de l’enfant-élève diffère de l’éducation à la santé en général. Il suppose, outre des connaissances médicales, la connaissance du milieu où l’enfant évolue en tant qu’élève, c’est-à-dire du monde de l’Éducation nationale.

L’obligation d’une visite médicale à six, neuf, douze et quinze ans relève d’une autre logique qui est de suivre l’état de santé général de l’enfant, et non de l’élève. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que les visites médicales obligatoires à neuf et quinze ans, si elles doivent être maintenues en dépit de leur peu d’intérêt en termes de santé publique, soient effectuées par un médecin ou une infirmière de l’Éducation nationale. C’est dans cette perspective que nous avons longuement débattu avec le ministère de la santé et la direction de la sécurité sociale de la question de la prise en charge de ces visites médicales.

Mme Jeanne-Marie Urcun. La participation des médecins généralistes aux missions de la médecine scolaire pourrait être en effet un moyen de pallier l’insuffisance des personnels. Il resterait à en définir le cadre et les modalités, notamment en ce qui concerne la prise en charge de ces visites, aujourd’hui gratuites pour les familles. On pourrait même envisager, conformément à une suggestion de la direction générale de la santé, de rationaliser le système de ces visites obligatoires, dont le nombre est ahurissant. Il s’agirait de déterminer leur opportunité, de redéfinir leur contenu et de préciser les compétences de chacun, dans cet ensemble dont nous ne sommes qu’un maillon.

Mme Nadine Neulat. Le dossier médical personnel de l’enfant pourrait, dans l’intérêt de l’enfant-élève, devenir une plateforme commune d’échanges d’informations.

M. le coprésident Pierre Morange. Mesdames, je vous remercie.

La séance est levée à douze heures cinq.