Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale

Mercredi 9 février 2011

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 01

Présidence de M. Marc Laffineur, vice-président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Taly, président de la commission fiscale de l’Institut de l’entreprise, avocat associé chez Arsène Taxand, et M. Eudoxe Denis, directeur des études, M. Henri Lachmann, vice-président et trésorier de l’Institut Montaigne, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, et M. Nicolas Baverez, économiste, avocat, M. Olivier Ferrand, président de Terra Nova, et M. Thomas Chalumeau, coordinateur du pôle économie et finances

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LA COMPÉTITIVITÉ DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

Mercredi 9 février 2011

La séance est ouverte à seize heures dix.

(Présidence de M. Marc Laffineur, vice-président de la Mission d’information)

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend, en audition ouverte à la presse, M. Michel Taly, président de la commission fiscale de l’Institut de l’entreprise, avocat associé chez Arsène Taxand, et M. Eudoxe Denis, directeur des études, M. Henri Lachmann, vice-président et trésorier de l’Institut Montaigne, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, et M. Nicolas Baverez, économiste, avocat, M. Olivier Ferrand, président de Terra Nova, et M. Thomas Chalumeau, coordinateur du pôle économie et finances.

M. Marc Laffineur, président. Je vous prie d’excuser l’absence du Président de l’Assemblée nationale, qui défend la candidature olympique d’Annecy. Notre mission, créée par la Conférence des Présidents à l’initiative du Président de l’Assemblée nationale, s’est fixée pour objectif d’analyser l’évolution de la compétitivité de notre économie au regard de la situation de nos principaux partenaires et concurrents, et de s’interroger sur le niveau des charges sociales en France, lesquelles pèsent sur les entreprises et le pouvoir d’achat des salariés, donc sur l’emploi, sans assurer pour autant l’équilibre financier de la sécurité sociale.

Nous recevons aujourd’hui des représentants de « laboratoires d’idées ». L’Institut de l’entreprise et l’Institut Montaigne ont produit de nombreux documents de travail sur la compétitivité économique de la France, et Terra Nova conduit, depuis plus d’un an, une réflexion sur la protection sociale française au XXIe siècle.

M. Michel Taly, président de la commission fiscale de l’Institut de l’entreprise, avocat associé chez Arsène Taxand. Nous sommes heureux de pouvoir nous exprimer, à travers cette mission d’information, sur le lien entre la compétitivité et le financement de la protection sociale. Lors des dernières campagnes électorales, la maîtrise de la dépense apparaissait comme une priorité inséparable de la structure de la fiscalité. Or il semble que le niveau de nos dépenses publiques soit désormais considéré comme une donnée a priori, un choix de société qu’il convient d’accepter comme tel, de sorte que le débat ne porte plus que sur le financement de la protection sociale. Ce consensus se retrouve non seulement dans les débats publics, mais aussi, par exemple, dans les derniers rapports du Conseil des prélèvements obligatoires, que sa proximité avec la Cour des comptes devrait pourtant rendre soucieux de maîtrise budgétaire.

Dès lors, l’Institut de l’entreprise considère que la différence entre notre niveau de dépenses publiques et celui d’autres pays doit être financée par les seuls ménages, qui en sont les bénéficiaires, et ce pour deux raisons. La première est que nos entreprises sont en concurrence avec les entreprises de pays où les prélèvements obligatoires sont moins élevés ; la seconde est que, même si des services publics de qualité peuvent offrir un avantage compétitif, comme le soutient le Conseil des prélèvements obligatoires, cet avantage ne compense pas le handicap que représente le surcroît fiscal.

Quoi qu’il en soit, les assiettes reposant sur la comptabilité des entreprises ne sont pas souhaitables. Je pense par exemple à la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), taxe à effet de cascade sur le chiffre d’affaires qui, avec un taux de 0,16 %, rapporte plus de 5 milliards d’euros. De tels impôts, d’appréhension difficile en comptabilité analytique, sont particulièrement pernicieux sur le plan économique.

De même, si la valeur ajoutée participe à la création de richesses au niveau national, elle ne peut être l’instrument de mesure de la capacité contributive d’une entreprise : toute autre imputation que le bénéfice représente une charge ; en d’autres termes, un impôt sur la valeur ajoutée reste un prélèvement sur les coûts. C’est aussi le cas de la taxe professionnelle, dont la réforme a été bien accueillie par les entreprises car elle a permis de diminuer la part assise sur le capital physique au profit d’une répartition sur la valeur ajoutée – dont les salaires et les charges sociales constituent la majeure partie. Cependant, appliquer la même logique au financement de la protection sociale reviendrait à taxer, plutôt que les revenus du bénéficiaire de cette protection, les amortissements et les provisions, aux dépens des investissements et donc du développement de l’entreprise.

Si les ménages doivent assumer le surcroît de dépenses publiques qu’exige notre système de protection sociale, la taxation peut porter soit sur les revenus – auquel cas il est sans doute préférable de viser la contribution sociale généralisée (CSG), qui est devenue plus large que l’impôt sur le revenu –, soit sur la consommation, via la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Du point de vue macroéconomique, que l’on prélève 10 milliards d’euros par des cotisations sociales, de la taxe sur la valeur ajoutée ou de la contribution sociale généralisée ne change pas grand-chose pour les entreprises : leur capacité de vente s’en trouvera diminuée d’autant. Aussi bien de nombreux rapports ont-ils conclu que le choix entre l’une ou l’autre de ces solutions avait peu d’effet sur l’emploi.

Du point de vue microéconomique, en revanche, un transfert de prélèvement des cotisations sociales vers la taxe sur la valeur ajoutée entraîne des effets variés – augmentation des prix, répercussions sur le salaire minimum –, car tous les agents ne diminueront pas leur prix hors taxes à hauteur du montant de l’allégement de cotisations. De même, si certains restaurateurs ont répercuté la baisse de taxe sur la valeur ajoutée en augmentant les salaires, d’autres l’ont fait en augmentant leurs marges.

M. Henri Lachmann, vice-président et trésorier de l’Institut Montaigne, président du conseil de surveillance de Schneider Electric. Les occasions de faire entendre le point de vue des chefs d’entreprise du secteur industriel sont rares ; je me réjouis donc d’être entendu par la mission aujourd’hui. De surcroît, la plupart d’entre eux se sentent très mal représentés par leurs organisations professionnelles.

Premièrement, s’il ne peut y avoir de puissance économique sans industrie, il ne peut y avoir d’industrie sans un certain amour des entreprises. L’entreprise industrielle est mal aimée des Français, qui l’imaginent telle que la décrivait Zola et ignorent que les cols blancs sont désormais plus nombreux que les cols bleus.

Deuxièmement, les rigidités du droit du travail et l’archaïsme du dialogue social freinent davantage notre compétitivité que les charges sociales. À titre personnel, je suis défavorable aux contrats à durée déterminée (CDD), qui, en plus de rompre le lien social entre l’individu et l’entreprise, créent des citoyens de seconde zone.

Troisièmement, la France est un pays trop individualiste, où subsistent de nombreux cloisonnements : entre le secteur public et le secteur privé, entre les politiques et les chefs d’entreprise, entre Paris et la Province, entre le système éducatif et le monde de l’entreprise, et, au sein de celui-ci, entre les grandes entreprises et les moins grandes. Ainsi, les entreprises appartenant à la cotation assistée en continu (CAC 40) n’ont jamais pu entraîner les petites et moyennes entreprises (PME) dans leur développement, de façon que celles-ci atteignent la taille intermédiaire critique.

Quatrièmement, notre système de formation pourtant tant vanté reste défaillant. Si la ressource humaine constitue la force stratégique d’une entreprise, comment accepter que 150 000 jeunes, dont 100 000 ne savent ni lire ni calculer, sortent tous les ans du système éducatif sans qualification ni diplôme ? Cet échec collectif pénalise notre compétitivité, et ce ne sont pas des demi-mesures ou de court terme qui résoudront ce problème.

Cinquième et dernier point : la financiarisation de l’économie conduit les gens à privilégier le court terme, alors que l’entreprise ne raisonne pas à trois mois ou un an, mais à cinq ou dix ans. La finance devient reine alors qu’elle devrait être au service de l’économie, et elle impose son diktat aux entreprises. Il est indispensable de faire marche arrière et de montrer que les entreprises ont une utilité sociale indépendamment de leurs résultats financiers.

Nous devrions nous inspirer du Mittelstand allemand, qui sort plus facilement de la crise que nos entreprises car il a davantage investi en recherche et développement, maintenu le lien social entre les salariés et les entreprises, et les grandes entreprises s’appuient sur les petites dans un réel partenariat.

Nos entreprises, notamment les grandes, investissent 30 à 40 % de moins que les allemandes en recherche et développement. Pourtant, le moteur de notre croissance réside dans l’innovation bien plus que dans la diminution des coûts salariaux – d’autant qu’en ce domaine, la marge est sans doute très réduite. Nous avons besoin de savoir et de savoir-faire.

Enfin, il faudrait une vraie politique industrielle, à l’échelle non seulement française mais aussi européenne. Nous sommes un peu les enfants sacrifiés de M. Mario Monti et de Bruxelles, dont la politique d’ouverture à la concurrence, destinée à protéger le consommateur – ce qui est par ailleurs légitime – se fait au détriment de l’industrie. On a ainsi empêché Schneider de fusionner avec Legrand au motif que leurs chiffres d’affaires respectifs se recoupaient à hauteur de 10 % sur le seul marché français. Les États-Unis ne s’embarrassent pas de règles aussi strictes en matière de monopole.

M. Nicolas Baverez, économiste, avocat. Notre pays affronte depuis vingt-cinq ans trois problèmes fondamentaux : la compétitivité, la dette et le chômage structurel, la compétitivité ayant ceci de particulier qu’elle est la clé des deux autres. S’il n’existe aucune hiérarchie morale entre le secteur public et le secteur privé, la dette ne pourra être remboursée que grâce à la richesse produite par le secteur privé, qui ne représente plus que 44 % de notre produit intérieur brut (PIB). De même, seul un secteur marchand dynamique permettra de réduire de manière significative le chômage.

Le moteur de la croissance française, depuis un quart de siècle, est la consommation, laquelle est soutenue par des transferts sociaux eux-mêmes financés par de l’endettement public. Ce modèle atteint aujourd’hui ses limites. Il faut lui en substituer un autre qui associe production, investissements, innovation et exportations, ce qui ne sera possible qu’à un horizon de dix ou quinze ans. Consensus politique et forte volonté politique pour mener à bien cette évolution indispensable sont donc nécessaire.

Notre pays, tous les partis politiques doivent en être conscients, vit un « Sedan économique » en matière de compétitivité. Pour commencer par des données macroéconomiques, nous créons 1,5 % de croissance au prix d’un déficit structurel de 6 %. Par ailleurs, la part du secteur privé dans le produit intérieur brut ne cesse de diminuer. Enfin, pour la huitième année consécutive, notre balance commerciale est déficitaire – à hauteur de 51 milliards d’euros cette année – ; elle l’est d’ailleurs non seulement vis-à-vis de l’Allemagne, mais aussi de la Belgique – pour 6 milliards –, des Pays-Bas ou de l’Italie. Autrefois, nous étions faibles avec les forts mais forts avec les faibles. Aujourd’hui, nous sommes faibles vis-à-vis de tous, la part de nos exportations dans la zone euro étant passée de 18 % en 1990 à 16 % en 2000 et 12 % aujourd’hui.

L’aspect micro-économique est tout aussi préoccupant. Si la France a une population de 65 millions d’habitants, elle ne compte plus que 195 entreprises de plus de 5 000 salariés et 4 195 entreprises de 250 à 5 000 salariés – 300 ayant été supprimées en 2008 et 2009. De même, le nombre de nos entreprises exportatrices est passé de 105 000 il y a dix ans à 91 000 aujourd’hui.

Si notre pays ne parvient pas à inverser ces tendances, il rencontrera bientôt un problème de solvabilité, d’autant qu’il n’y a pas de raison de croire à une diminution du chômage. Dans ces conditions, notre pays risque d’être mis sous tutelle non seulement par l’Allemagne – ce qui est déjà partiellement le cas, puisque notre notation tient au fait que les marchés notent le couple franco-allemand – mais aussi par la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI).

S’agissant du financement de la protection sociale, il n’existe aucune alternative à la politique de maîtrise des dépenses sociales – lesquelles représentent quelque 35 % du produit intérieur brut –, non seulement parce que nous ne pouvons durablement financer la consommation par de la dette, mais aussi parce que ces dépenses, en cannibalisant l’État régalien, affectent son bon fonctionnement.

Si la taxe sur la valeur ajoutée sociale a renforcé les entreprises en Allemagne, c’est que sa mise en œuvre a été précédée, en 2002 et 2003, par un rétablissement de la compétitivité structurelle, donc d’une offre nationale productive. Sans une telle politique de l’offre, une telle mesure fiscale risquerait de ne profiter qu’aux importations. Il n’y a pas de remède miracle, et il ne faut pas attendre une révolution fiscale : la réforme n’a de sens que si elle est progressive et s’attaque d’abord au problème de la compétitivité des entreprises.

Quant à la protection sociale elle-même, il convient de distinguer ce qui relève de l’assurance et ce qui relève de la solidarité. La famille, qui contribue au capital humain, relève de la solidarité, donc de l’impôt. Les retraites, elles, relèvent assurément du contributif ; elles doivent donc être liées aux salaires ; de même, les accidents du travail concernent directement les entreprises. Quant à la santé, son statut est plus hybride ; elle n’a pas vocation, en principe, à être majoritairement financée par le travail.

Si l’assurance peut être financée par la rémunération et le travail, la solidarité relève plutôt de l’impôt. Pour la partie assurantielle, une partie des cotisations patronales pourraient être transférées vers un salaire brut étendu, quitte à verser les prélèvements à cet assureur public qu’est la sécurité sociale. Pour ce qui concerne la fiscalité, on peut envisager, d’une part, une fusion de la contribution sociale généralisée – en mettant fin au taux privilégié dont bénéficient les retraités – et de l’impôt sur le revenu, et, de l’autre, une légère augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée pour compenser la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés.

Le fil conducteur est d’articuler la compétitivité des entreprises à une organisation cohérente de notre protection sociale, élément fondamental de notre contrat politique.

M. Olivier Ferrand, président de Terra Nova. Le cercle vertueux du modèle français, fondé sur une croissance forte qui finançait la redistribution, laquelle soutenait la consommation qui elle-même générait la croissance, a été cassé par la mondialisation, les gains de productivité des salariés ayant par ailleurs atteint leurs limites. Désormais, la protection sociale gêne la compétitivité internationale de nos entreprises, et la faible croissance empêche son bon financement. La question est de savoir comment sortir de ce cercle vicieux.

Faut-il s’inspirer du modèle allemand ? La politique mise en œuvre par Gerhard Schröder et Angela Merkel depuis dix ans repose sur une compétitivité-prix extrême. Elle a conduit à un gel nominal des salaires pendant sept ans, à la suppression d’une part des cotisations sociales – avec une diminution des prestations correspondantes –, et au transfert d’une autre part de ces cotisations vers la taxe sur la valeur ajoutée – qui a augmenté de 3 points –, ce qui, à taux de change fixe, s’apparente à une dévaluation compétitive.

Cette politique a été efficace pour la balance commerciale, qui, de déficitaire au début des années 2000, est devenue excédentaire d’environ 150 milliards d’euros. L’Allemagne peut ainsi conserver ses parts de marché dans le commerce international – 16 %, ce qui est un exploit compte tenu de la montée en puissance des pays émergents –, alors que les nôtres, qui atteignent aujourd’hui 6 %, ne cessent de chuter.

Toutefois, la balance commerciale n’est pas un objectif en soi : ce qui l’est, c’est la croissance durable. Or, de ce point de vue, la politique allemande est un échec. Si le taux de croissance a atteint cette année 3,6 %, il s’agit d’un rebond technique après la récession de près de 5 % l’année précédente – l’Allemagne ayant été plus exposée, par son ouverture au commerce international, aux effets de la crise mondiale de 2008. En réalité, sur dix ans, le taux de croissance annuel de l’Allemagne est resté l’un des plus faibles de la zone euro : moins de 1 %, contre 1,5 % en France.

Par ailleurs, la politique allemande a consisté à appauvrir les citoyens pour gagner en compétitivité : même avec des syndicats de bonne volonté, cela ne peut constituer un programme durable.

Enfin, cette politique est non coopérative. La balance commerciale allemande reste déficitaire vis-à-vis de la Chine – pour 30 milliards d’euros –, et cette tendance s’aggrave car la compétitivité des prix a un effet marginal au regard des énormes différences de coûts. L’amélioration de la balance commerciale allemande se fait donc au détriment de pays ayant des coûts de production similaires : les pays européens, et tout particulièrement la France. Dans un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE), M. Lionel Fontagné a montré que, sur la période concernée, l’amélioration de la balance commerciale allemande est gagée à hauteur de 60 % sur une dégradation bilatérale de la balance commerciale française. Cette politique non coopérative est difficilement soutenable en Europe à moyen terme.

La compétitivité peut être améliorée de deux manières : par les prix, selon le modèle allemand, ou par la qualité technologique et la valeur ajoutée, selon la voie suivie par les pays d’Europe du Nord, une partie des États-Unis, la Corée du Sud ou le Japon. Dans la mesure où la France ne peut concurrencer les pays émergents sur les prix, elle doit s’efforcer de s’imposer selon la seconde voie. Aussi, plutôt que de geler les salaires ou de diminuer les cotisations sociales, il convient, comme le préconisait la commission Juppé-Rocard, de trouver des marges au profit des investissements d’avenir, pour lesquels, selon MM. Jacques Delpla et Charles Wyplosz, nos retards accumulés depuis vingt ans atteignent 400 milliards d’euros.

Les investissements publics restent insuffisants : 97 % du budget de l’État sont consacrés au fonctionnement, dont la moitié financée à crédit. En la matière, les collectivités locales ont pris le relais de l’État de manière très partielle : la rénovation d’une salle des fêtes, par exemple, n’entre pas dans la catégorie des investissements d’avenir. Une première idée simple consisterait à consacrer, chaque année, 1 % ou 2 % de produit intérieur brut supplémentaires aux investissements d’avenir – soit un programme comparable à celui envisagé par la commission Juppé-Rocard –, en isolant cette enveloppe dans le budget de l’État pour la rendre non fongible.

L’investissement privé s’étiole également en raison de la faiblesse du taux de profitabilité des entreprises en France. Aussi proposons-nous un impôt sur les sociétés différencié, avec un taux moindre pour les bénéfices réinvestis.

L’effort d’investissement doit porter sur trois domaines prioritaires. Le premier est l’enseignement supérieur, encore insuffisamment démocratisé puisque seulement 40 % d’une classe d’âge en sont diplômés en France, contre 60 %, voire plus, aux États-Unis, dans les pays nordiques et en Corée du Sud. Nous n’y consacrons de surcroît que 1,5 % de notre richesse nationale, contre 3 %, par exemple, aux États-Unis pour rattraper ceux-ci, 30 milliards d’euros par an sont nécessaires. Je rappelle que le grand emprunt a permis d’investir 11 milliards en une seule fois, soit, en intérêts, quelque 300 millions par an ; soit 1 %. La deuxième priorité est l’innovation. Le crédit d’impôt recherche a permis quelques progrès dans le domaine de la recherche, mais le retard français en matière de recherche et développement est énorme.

Troisième priorité : les grands investissements industriels innovants. La commission Juppé-Rocard a identifié sept grands axes qu’il nous faut développer.

Pour résumer, la première solution en matière de compétivité, bas de gamme, consiste à diminuer le coût du travail par le gel des salaires et la baisse des cotisations sociales ; la seconde, à augmenter les qualifications. Le modèle à suivre est donc bel et bien le modèle allemand existant depuis quarante ans – et non la politique Schröder-Merkel de compétitivité-prix qui s’est greffée sur lui –, fondé sur la recherche et l’investissement industriel.

M. Thomas Chalumeau, coordinateur des questions économiques de Terra Nova. Depuis 2003, la France a amorti la baisse de sa compétitivité-prix en utilisant trois leviers : l’effondrement des marges des entreprises – qui ont diminué de 20 à 25 % depuis 1995 – ; l’explosion du volume des exonérations de cotisations sociales – 22 milliards au sens strict et 38 milliards au sens large – ; enfin, l’ajustement salarial.

Il faut donc réinventer un modèle, tout d’abord en réorientant les moyens de la compétitivité-prix vers la compétitivité-volume, selon la description qu’en a donnée Olivier Ferrand.

Le deuxième levier concerne nos choix budgétaires et fiscaux, qui, depuis 2002, ont été peu favorables à la compétitivité française, en prix comme en volume. Nous devons non seulement colmater les brèches du navire fiscal, notamment en revenant sur certaines niches, mais aussi privilégier, dans nos orientations budgétaires, les investissements d’avenir.

La réforme du financement de la protection sociale est plus complexe. Le modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie, dit Mésange, avait montré, en 1995, que l’instauration d’une taxe sur la valeur ajoutée sociale ne créait, sur la base d’un transfert technique de 2,1 %, que 23 000 emplois en deux ans et en détruisait 32 000 en cinq ans, compte tenu de la rétroaction négative sur l’investissement et la croissance. La taxe sur la valeur ajoutée sociale n’est donc pas un sujet politique mais technique : ses éventuels bénéfices doivent être analysés comme tels.

Le financement de la protection sociale doit être revu dans ses principes mêmes, comme l’a suggéré M. Nicolas Baverez. Dans le cadre d’une vaste réforme fiscale, greffer une part substantielle de ce financement – notamment pour les dépenses non contributives – sur un grand impôt républicain, fusionnant l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée, est une piste particulièrement intéressante : cela assurerait un meilleur équilibre entre la taxation du travail et celle des autres facteurs de production, tout en contribuant à la justice sociale.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. L’intérêt d’une telle mission est de faire converger les positions au-delà des sensibilités politiques – toute la question est de savoir si la chose est réalisable à quelques mois d’échéances électorales.

Je pense au mot de Jean-Claude Junker : « Ne me dites pas ce que je dois faire : je le sais. Dites-moi comment le faire. » Quand on parle d’une grande réforme fiscale, je reste prudent. Notre modèle social est aujourd’hui le plus puissant du monde. Nous avons même dépassé la Suède. Son budget atteint 600 milliards d’euros, dont près de 70 % proviennent des cotisations pesant sur le travail, et nous avons fixé l’objectif de progression des dépenses à 2,9 % en 2011 et à 2,8 % en 2012. Cet objectif doit-il selon vous être réexaminé ?

N’est-il pas plus facile de convaincre l’opinion en jouant sur plusieurs leviers ? Je pense à une taxe sur la valeur ajoutée intermédiaire, qui nous donnerait un peu d’oxygène, à l’impôt sur la fortune (ISF) pour rétablir la confiance, à une augmentation de l’impôt sur le revenu – puisqu’il est en moyenne plus élevé de 2,5 % chez nos voisins –, à la maîtrise des dépenses publiques et, suivant les observations de M. Henri Lachmann, à certains assouplissements de notre marché du travail.

M. Marc Laffineur, président. Depuis dix ans, qu’est-ce qui a, selon vous, empiré, et qu’est-ce qui s’est amélioré ?

M. Nicolas Baverez. La croissance potentielle de l’économie française étant de 1,5 %, les dépenses sociales progressent à un rythme bien supérieur.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Non, depuis deux ans, les dépenses sociales ont progressé moins vite que la richesse nationale.

M. Nicolas Baverez. Après un choc tel que celui de la crise de 2008, les économies se relancent toujours à partir des modèles anciens : en l’occurrence l’économie de bulles aux États-Unis, qui ont l’intention de faire évoluer le système dans un second temps. Pour ce qui nous concerne, il n’est pas illogique d’avoir recouru aux stabilisateurs automatiques.

Mais à présent que nous sortons de la récession, il faut évoluer vers un modèle davantage fondé sur la production, l’investissement et l’innovation.

Dans un pays où les dépenses publiques représentent 56 % de la richesse et les prélèvements obligatoires réels 47 %, l’idée d’un grand soir fiscal est illusoire. Il faut donc jouer sur plusieurs leviers : non seulement les dépenses, mais aussi les différents systèmes d’imposition.

Si nous avons constaté de nombreuses difficultés, nous peinons, Monsieur le Président, à percevoir des améliorations. L’augmentation du coût du travail n’est pas liée à celle des rémunérations mais au financement de la protection sociale, lequel a « mangé » les faibles gains de productivité de notre économie, en l’occurrence 0,7 % par an, à rapporter à notre taux de croissance de 1,5 % et aux 2,5 à 3 % de progression annuelle des dépenses sociales. Globalement, notre système économique s’est beaucoup dégradé et il atteint aujourd’hui ses limites, qu’il s’agisse de la compétitivité, des prélèvements ou du financement de la protection sociale.

L’instabilité de la législation sociale et fiscale est enfin un problème majeur. Le crédit d’impôt recherche était une excellente mesure, qu’il est dommage d’avoir dénaturée dans la loi de finances pour 2011, moins de deux ans après sa mise en œuvre, alors qu’elle devait être évaluée en 2013 ou 2014. Pour prendre leurs décisions, les investisseurs, notamment étrangers, doivent s’appuyer sur un système fiscal stable.

M. Henri Lachmann. Nous n’avons pas pris toute la mesure de la globalisation : le monde a changé, pour les entreprises et les personnes morales comme les personnes physiques. Il s’agit d’une vraie révolution, les délocalisations n’étant que la partie émergée de l’iceberg.

Par ailleurs, il me semble absolument nécessaire et urgent de repenser l’entreprise en profondeur, car la financiarisation, le « court-termisme », l’âpreté au gain conduiront notre économie à sa perte. Une entreprise n’est pas seulement conçue pour rémunérer les actionnaires.

M. Olivier Ferrand. S’agissant des dépenses liées à la protection sociale, deux axes sont possibles. Le premier concerne les économies de gestion : la révision générale des politiques publiques (RGPP) a été mise en œuvre pour l’État de manière sévère ; il serait peut-être temps de l’appliquer aux collectivités locales et à la sécurité sociale.

Le second axe, ce sont les politiques publiques elles-mêmes. Or les grandes marges de manœuvre se trouvent au niveau de la sécurité sociale, que l’on attaque en général de façon injuste, par le bas, en rabotant les dépenses destinées aux plus modestes.

On peut inverser la perspective. Notre système est particulièrement luxueux pour les plus aisés car il est, non pas redistributif, mais fondamentalement assurantiel : les prestations dépendent du niveau des revenus. Notre pays est, de loin, celui dans lequel ces prestations sont les plus élevées : les pensions de retraite versées par le système public peuvent atteindre 20 000 euros par mois, et les indemnités de chômage 7 000 euros ! Ne peut-on envisager, dans ces conditions, d’intégrer une dose de redistributivité dans notre système de protection sociale, en d’autres termes d’abaisser le plafond plutôt que de gratter le plancher ? Les partis politiques, chacun pour des raisons différentes, rejettent tous cette idée. Sur les 265 milliards d’euros versés chaque année pour les retraites, seuls les 15 milliards du Fonds de solidarité vieillesse sont de nature redistributive ; le reste est assurantiel. On pourrait augmenter le volume de redistribution, ce qui permettrait au passage une refiscalisation.

S’agissant des recettes, si toutes les niches sociales ont leur légitimité, peu d’entre elles se justifient au regard de nos déficits sociaux. Par ailleurs, ne peut-on envisager de redéployer certaines sommes vers les emplois plus qualifiés, d’autant qu’une partie des 40 milliards d’euros de subventions aux emplois peu qualifiés était destinée à assurer le passage aux trente-cinq heures ?

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le Président, vous avez commencé cette audition en expliquant que les charges sociales qui pesaient sur les entreprises constituaient un lourd handicap pour notre compétitivité. Ne faisons pas fausse route : 172 milliards d’euros de niches sociales et fiscales aux entreprises ont été supprimés ; la croissance a-t-elle cessé de se réduire pour autant ? La Cour des comptes avait d’ailleurs jugé, il y a quelques années, que l’efficacité en termes d’emploi des exonérations de cotisations sociales – qui atteignent aujourd’hui 38 milliards – restait à prouver.

Il eût été bon d’expliciter préalablement ce qu’on entend par « compétitivité ». Il me semble qu’il y a, derrière ce mot, la notion de concurrence, une concurrence dont M. Joseph Stiglitz estime qu’elle tourne au délire. Alors, comment arrêter le délire ?

La compétitivité, ce sont d’abord des hommes et des femmes ; elle ne se mesure pas à leur coût, mais à leur qualification, à leur niveau de salaire, à leur protection sociale, à la qualité de leur contrat, à la recherche – nous avons beaucoup de retard dans ce domaine, notamment par rapport à l’Allemagne – et aux investissements publics. Aujourd’hui, tout le monde pleure sur l’industrie, mais, il y a vingt ans, on prétendait qu’il ne fallait plus s’en préoccuper, parce que l’avenir de notre économie était dans les services et l’innovation.

Par ailleurs, on n’évoque jamais le coût de la financiarisation. Combien nous coûtent les actionnaires ? Une entreprise fonctionnant uniquement pour eux crée-t-elle beaucoup de valeur ? Que font les actionnaires de l’argent ainsi récolté ? Tant que l’on refusera de poser ces questions, on en reviendra à la diminution des charges sociales et au financement de la protection sociale par d’autres voies que la création de richesses ; et on taxera donc davantage les ménages.

M. Éric Woerth. Pour des raisons culturelles, le niveau des dépenses publiques restera toujours élevé en France, mais cela ne doit pas nous empêcher de rester compétitifs dès lors que les qualifications sont de haut niveau.

Je ne crois pas que l’on puisse augmenter encore les prélèvements obligatoires. On peut réfléchir à d’autres répartitions entre le travail et le capital, entre les niveaux de revenus, rechercher une plus grande équité, mais la pression fiscale et sociale globale a atteint son niveau maximal dans notre pays. La seule solution réside dans la réduction de la dépense publique.

Le sujet n’est guère abordé. Quand on entre dans le détail, on s’aperçoit qu’il est très difficile de trouver des solutions politiquement acceptables, car la population s’est habituée à un haut niveau de dépenses publiques et aux prestations sociales qui en découlent.

La meilleure des solutions serait de geler la dépense publique, ce qui, associé à des transferts de dépenses – car vous avez raison, il faut augmenter les dépenses d’investissement et de formation –, provoquerait en quelques années une réduction substantielle des déficits. Toutefois, sa mise en œuvre s’avère difficile, car l’on a toujours de bonnes raisons de penser que les pensions de retraites et les allocations de logement doivent progresser. Pourtant, cette solution me semble plus douce que la suppression brutale de certaines dépenses.

Une autre solution serait, comme l’a suggéré M. Olivier Ferrand, de réévaluer un certain nombre de nos politiques sociales, car même si l’on essaye d’économiser sur la gestion, notamment grâce à la révision générale des politiques publiques, la plupart des dépenses sont structurelles. Nous fonctionnons aujourd’hui à guichets ouverts : dès lors qu’il y a des droits, les gens les utilisent. Pour reprendre l’image de M. Nicolas Baverez, les politiques sociales ont « cannibalisé » les fonctions régaliennes de l’État. La société française a fait ce choix. Il convient donc de réfléchir au contenu des politiques sociales mais ce sujet est une bombe politique !

On peut sans doute réfléchir à votre proposition de lier le niveau de prestations au niveau de revenu, mais je ne crois pas que cela suffira pour financer la protection sociale. L’incitation à sortir des prestations sociales a déjà été expérimentée avec le revenu de solidarité active (RSA). Le problème, c’est que le dispositif est entré en vigueur en pleine crise, au moment où le chômage augmentait. Il est très difficile d’évaluer le revenu de solidarité active « chapeau » pour le moment.

Quant aux exonérations de charges, on peut considérer qu’il existe une progressivité des charges sociales en fonction du salaire, et qu’il convient de diminuer les charges sociales sur les bas salaires si l’on veut que les personnes les moins qualifiées puissent trouver un emploi. Il s’agit donc plutôt d’une « barémisation » des charges en fonction des qualifications.

M. Alain Vidalies. Cette mission a été créée dans un objectif politique précis : l’harmonisation avec l’Allemagne, pour que la France soit aussi compétitive qu’elle. Cette première réunion est particulièrement intéressante, dans la mesure où elle montre que c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire, car la croissance n’est pas au rendez-vous en Allemagne.

On ne peut pas continuer à faire l’impasse sur la dette souveraine issue de la crise. Le niveau de nos dépenses publiques a des causes non seulement structurelles, mais également conjoncturelles, liées à la crise. La problématique adoptée aujourd’hui conduit à présenter la facture à l’ensemble de la population ; on semble avoir oublié les discours de l’époque, notamment ceux du Président de la République, lorsqu’il appelait à réformer le capitalisme financier. Si l’on continue à accepter la tyrannie des agences de notation, comment voulez-vous que l’on parvienne à renforcer l’industrialisation et à créer des richesses, afin de mieux les répartir ensuite ? Il faut revoir la problématique générale de notre mission. On ne peut pas se contenter de chercher comment payer la facture !

Il existe pourtant des marges de manœuvre, qui résultent, du point de vue du groupe SRC, de l’inefficacité des politiques menées par le Gouvernement. Par exemple, il ne nous semble pas opportun, vu la gravité de la situation, de dépenser chaque année 3 ou 4 milliards pour financer la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée dans la restauration. De même, la défiscalisation des heures supplémentaires pour un montant s’élevant à plusieurs milliards d’euros est considérée à l’étranger comme une folie pure et simple.

Si l’on veut à la fois créer des richesses, soutenir les entreprises et assurer une bonne protection sociale, et si l’on considère que le mérite individuel, quelle que soit la place de chacun dans la société, est un objectif républicain, la marge de manœuvre ne se situe-t-elle pas au moment de la naissance ? Nous devons donc examiner le problème de la transmission du patrimoine. Ce qui aura été prélevé sur les patrimoines importants sera autant de moins à prélever sur l’activité courante des entreprises, et cela n’aura pas le moindre impact sur la conjoncture internationale. Vivre dans une société où certains n’auraient d’autre effort à faire que de naître n’est pas un projet collectif ! Je suis étonné qu’aucun d’entre vous n’ait évoqué cette possibilité.

M. Henri Lachmann a raison : les entreprises sont confrontées à des rigidités. Mais, là encore, il existe des marges de manœuvre. Par exemple, si toutes les entreprises paient des cotisations pour l’assurance chômage, certaines n’ont jamais licencié personne, et ne génèrent pas de droits ; d’autres, en revanche, ont érigé l’embauche en contrat à durée déterminée ou en intérim en mode de management. Ne pourrait-on pas considérer que cette mutualisation aveugle est absurde et qu’il faut, comme pour les accidents du travail, adopter des taux différenciés, de manière à récompenser les entreprises citoyennes et pénaliser celles qui font financer par la société les effets de la précarité de leurs salariés ?

Enfin, il est vrai que la France manque de petites et moyennes entreprises performantes ; comme l’a souligné M. Henri Lachmann, cela relève de la responsabilité non seulement des politiques, mais aussi des grandes entreprises à la différence de ce qui se passe en Allemagne.

M. Michel Taly. Si l’on examine le taux d’efficacité de la taxe sur la valeur ajoutée, qui met en relation son rendement effectif à ce qu’elle rapporterait sans réductions de taux, on constate une grande différence entre la France et l’Allemagne. En effet, l’écart est très important en France entre le taux normal et le taux réduit, à 5,5 %, alors qu’il existe d’autres moyens, dont des taux intermédiaires, qui permettraient d’atteindre les mêmes objectifs. Il est vrai que cela poserait des problèmes de faisabilité, par rapport au corps social ou aux activités professionnelles concernées, mais, d’un point de vue purement technique, il y a en France un problème de rendement de la taxe sur la valeur ajoutée.

S’agissant des niches fiscales et sociales, je suis frappé par le glissement sémantique observé depuis quelques années. Autrefois, on considérait comme des « niches » des dispositifs dérogatoires très ciblés, qui représentaient quelques centaines de millions d’euros. Il s’agissait d’un enjeu d’équité. Aujourd’hui, tout est appelé « niche », y compris des mécanismes très lourds de calcul de l’impôt, portant sur 30 ou 40 milliards d’euros. Les niches sont devenues un enjeu de rendement.

De mon expérience à la direction de la législation fiscale, je retire que les niches ne constituent pas une perte de recettes, mais sont le moyen d’augmenter les taux d’imposition jusqu’à des niveaux objectivement déraisonnables, en utilisant ce que les transporteurs aériens appellent la gestion fine (yield management), c’est-à-dire en faisant payer à chacun ce qu’il est capable de supporter. Si l’on supprime les niches, on sera obligé de baisser les taux.

Cela signifie que, contrairement à ce qui est dit, le meilleur moment pour supprimer les niches, c’est quand on baisse les impôts. Mais penser que l’on trouvera des recettes supplémentaires en supprimant les niches est, à mon avis, une grave erreur.

S’agissant de la redistribution et d’un éventuel système contributif assurantiel, je rappelle qu’entre 1981 et 1990, on a déplafonné la quasi-totalité des cotisations sociales en France, alors que les cotisations des Allemands et les Britanniques sont restées plafonnées – ce qui explique l’enjeu des stocks options en France : un dirigeant qui dispose d’un revenu de 2 millions d’euros paye la cotisation maladie sur la totalité de la somme, ce qui n’est pas le cas de son collègue allemand. Il faut en tenir compte lorsque l’on compare les barèmes de l’impôt sur le revenu.

M. Henri Lachmann. L’Allemagne est, selon moi, le meilleur exemple d’une compétitivité qui s’exprime en d’autres termes que les prix. La compétitivité, qu’il s’agisse d’un produit, d’une entreprise, d’un employeur ou d’un territoire, doit s’entendre de manière globale.

Je déplore l’existence des contrats à durée déterminée, mais je condamne surtout les rigidités administratives et l’archaïsme du dialogue social qui sont à leur origine. Il faut corriger le mal en amont.

La financiarisation est un phénomène extrêmement grave, et dangereux pour le système capitaliste. On ne se rend pas compte à quel point les entreprises se sont financiarisées – et pas seulement celles cotées en Bourse. Dans ce contexte, le conseil de surveillance est appelé à jouer un nouveau rôle, qui est de conseiller les dirigeants sur des stratégies de long terme, et les aidant à refuser la dictature court-termiste des marchés. Le temps de l’entreprise n’est ni le trimestre, ni l’année.

Le monde financier a beaucoup trop d’influence de nos jours, notamment sur le monde politique. Il est parfaitement anormal que M. Jérôme Kerviel ait été condamné à verser 5 milliards d’euros de dommages et intérêts tandis que la Société générale était exonérée de toute responsabilité ! Cela signifie que le lobbying de cette banque auprès des pouvoirs publics a été très efficace.

Si je défends l’industrie, ce n’est pas par corporatisme, c’est dans l’intérêt général, parce que je suis persuadé qu’une économie ne peut pas se développer sans une industrie forte. L’économie virtuelle, cela n’existe pas par définition.

S’agissant de la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée sur la restauration, il me semble que quand on a fait une bêtise, on doit la réparer. C’est une simple question de bon sens – mais cela suppose un minimum de courage politique.

Les grandes entreprises ont une réelle responsabilité dans le non-développement des petites et moyennes entreprises. Nous ne savons pas chasser en meute et nous n’avons pas su mettre en place un environnement favorable à la croissance, avec un tissu dense de petites et moyennes entreprises en bonne santé.

Pour conclure, la France a suffisamment de génie pour ne pas avoir besoin d’un modèle quelconque, mais il ne me paraîtrait pas idiot de s’inspirer de ce qui a été fait en Allemagne, notamment pour ce qui concerne le modèle industriel fondé sur l’innovation, la qualité et le maillage.

M. Nicolas Baverez. Le terme de « compétitivité » recouvre deux notions : la compétitivité prix et la compétitivité hors prix. Il ne faut pas les opposer de manière trop systématique ; il est inexact de dire que les Allemands ont amélioré uniquement leur compétitivité prix. Ils sont devenus le premier exportateur du monde, en compétition avec la Chine, parce qu’ils ont fait d’énormes efforts sur le hors prix et qu’ils ont considérablement restructuré leurs activités.

Monsieur Éric Woerth, la question n’est pas de savoir comment la France peut rester compétitive, puisqu’elle ne l’est plus du tout ! Nous avons un problème à la fois de compétitivité prix – une heure de travail coûte 37,20 euros en France contre 30,20 en Allemagne – et de compétitivité hors prix, car nous sommes très peu spécialisés. Toutefois, la City de Londres et l’industrie allemande ne se sont pas faites en un jour ! L’économie française repose à la fois sur l’agriculture, l’industrie, les services et le tourisme. Nous devons trouver une formule qui permette de faire fonctionner tous ces facteurs performants en synergie, tout étant attentifs à toujours comparer notre situation avec l’étranger.

Il ne pourra y avoir de convergence rapide avec l’Allemagne, tant les écarts sont importants : les dépenses publiques représentent 48 % du produit intérieur brut chez eux, 56 % chez nous ; le taux de prélèvements obligatoires est de 47 % du produit intérieur brut en France, et 39,5 % en Allemagne.

Monsieur Alain Vidalies, la partie de la dette liée à la crise est réduite puisque, sous l’action des stabilisateurs automatiques, le plan de relance a été limité à 1,2 % du produit intérieur brut. Notre dette est structurelle ; elle est passée de 20 % du produit intérieur brut en 1980 à 88 % aujourd’hui, et elle est appelée à dépasser les 100 %. Il s’agit d’un choix politique : depuis un quart de siècle, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont choisi la dette plutôt que l’inflation.

S’agissant de la financiarisation, tout le monde est impressionné par les 40 milliards de dividendes distribués par les entreprises du CAC 40, mais il faut garder à l’esprit que cela ne concerne, par définition, que 40 entreprises sur plus de 2 millions que compte la France. Selon les statistiques de l’INSEE sur l’ensemble des entreprises françaises, on s’aperçoit que le taux de marge est, au contraire, en forte baisse. La plupart des petites et moyennes entreprises et la totalité des très petites entreprises (TPE) ne sont pas concernées par la financiarisation, qui ne touche qu’une minorité d’entreprises.

M. Henri Lachmann. C’est faux !

M. Nicolas Baverez. En ce qui concerne le patrimoine, M. Alain Vidalies a raison : si on doit laisser les gens faire fortune – l’impôt sur la fortune étant une absurdité –, il ne faut pas que la fortune puisse se reproduire. L’imposition sur les successions me paraît normale. Il reste que la fiscalité du patrimoine représente déjà 3,4 % du produit intérieur brut en France, contre 0,9 % en Allemagne. Il faut en tenir compte – même si le dispositif actuel peut être amélioré.

Pierre Mendès-France disait que gouverner, c’est choisir. En l’espèce, quelle que soit la configuration politique, on ne pourra pas éviter deux décisions difficiles : d’abord, maîtriser la dépense publique, voire la baisser ; ensuite, compte tenu du déficit, et sachant que l’on ne peut pas augmenter davantage les prélèvements sur les entreprises, demander aux ménages de faire un effort supplémentaire.

Cela ne sera possible que si le projet politique laisse entrevoir un équilibre à moyen terme qui, en échange de cette nouvelle donne économique et fiscale, ouvre de nouvelles perspectives en termes d’emploi, pour les jeunes notamment, et de cohésion sociale.

M. Olivier Ferrand. Il convient en effet de distinguer la compétitivité prix et la compétitivité qualité. Par exemple, l’iPhone est le leader du marché des téléphones intelligents (smartphones), alors que c’est le plus cher. De même, la société chinoise Hua Wei, numéro un mondial sur le marché de la fibre optique et des dérivations (switchs) du réseau internet, vend ses produits extrêmement cher, mais ce sont les meilleurs.

En matière de compétitivité hors prix, la position de la France s’est considérablement dégradée. Il faut remonter aux années 1960 pour trouver de grandes entreprises françaises de taille mondiale apportant de fortes valeurs ajoutées. Les grandes entreprises actuelles ont été fondées par les États-Unis et par les petits pays du nord de l’Europe, qui n’avaient pourtant pas, a priori, la taille critique nécessaire.

Monsieur Éric Woerth, vous avez raison, lorsque les dépenses publiques atteignent 56 % du produit intérieur brut – le record mondial ! –, on peut difficilement continuer dans cette voie. Il serait bon d’adopter un train de vie légèrement décroissant, qui soit conforme à notre richesse nationale. Et cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à la nature de nos dépenses. Dans les pays nordiques, la qualité des services publics est telle que le niveau élevé de dépenses fait consensus.

Par ailleurs, vu les niveaux de la dette et du déficit, on peut difficilement se contenter de réduire les dépenses, sans chercher à accroître les recettes. D’ailleurs, le Gouvernement a procédé dans la loi de finances pour 2011 à la plus grande augmentation d’impôts depuis vingt ans, avec 11 milliards d’euros d’impôts nouveaux, et la programmation des finances publiques présentée à Bruxelles prévoit une augmentation de 20 milliards d’euros des recettes d’ici à 2013.

Dans le domaine de la protection sociale, comment augmenter les recettes d’une manière qui soit socialement acceptable ? D’abord, en supprimant les niches. Je suis en désaccord sur ce point avec M. Michel Taly : cette méthode a permis au Gouvernement de dégager 11 milliards d’euros de recettes supplémentaires sans soulever un vent important de mécontentement, alors qu’une augmentation du barème de l’impôt sur le revenu mettant en jeu un montant équivalent été très difficile à faire accepter politiquement !

M. Éric Woerth. Il n’y a pas 11 milliards d’impôts en plus, mais un rééquilibrage de la fiscalité.

M. Olivier Ferrand. Qui passe par une augmentation des prélèvements !

M. Éric Woerth. Certes, mais sur une base très différente d’une augmentation structurelle !

M. Olivier Ferrand. Tout à fait, et l’on peut faire la même chose sur les niches sociales : la Cour des comptes estime leur valeur à plus de 60 milliards d’euros !

M. Éric Woerth. Ce montant ne correspond à rien : cela reviendrait à supprimer l’assiette !

M. Olivier Ferrand. Pour ne prendre que ces deux exemples, les courtiers en Bourse ne paient pas de cotisations sociales, et les mannequins non plus. Certes, la suppression de ces niches ne rapporterait pas énormément d’argent, mais si l’on veut vraiment moraliser le capitalisme, on pourrait peut-être commencer par ce type de mesure symbolique !

De même, l’intéressement et la participation bénéficient d’avantages fiscaux et sociaux, mais les contraintes budgétaires actuelles devraient peut-être nous conduire à réviser nos priorités. Quant au dispositif d’exonération sur les stocks options et les bonus, sa suppression rapporterait 3 milliards d’euros.

La fiscalité du capital doit être revue : une augmentation de la contribution sociale généralisée sur les revenus du capital jusqu’à 10 % rapporterait 3 milliards d’euros. Cela permettrait par ailleurs d’élargir l’assiette au-delà des revenus du travail, ce qui n’est pas illogique dans la mesure où les prestations sociales peuvent être considérées comme des revenus différés.

Enfin, on pourrait remettre en cause les avantages dont bénéficient les retraités sur la contribution sociale généralisée et l’impôt sur le revenu, car ce qui était parfaitement justifié hier, lorsqu’ils étaient les pauvres de la société, ne l’est plus aujourd’hui : le taux de pauvreté est actuellement de 8 % parmi les retraités, contre 11 % dans l’ensemble de la population française et 21 % chez les jeunes. Voilà pourquoi nous proposons d’aligner la fiscalité des retraités aisés sur celle des actifs, ce qui permettrait de dégager 5 milliards d’euros supplémentaires par an.

M. Olivier Carré. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur Olivier Ferrand, que la contribution sociale généralisée s’applique déjà aux revenus du capital, à l’exception des livrets populaires.

En France, les classes moyennes inférieures ont beaucoup de mal à s’élever dans la hiérarchie sociale, alors que dans les pays à forte croissance, l’ascenseur social fonctionne très bien. Ainsi la crainte du déclassement est très forte. Comment y remédier ? La logique de la compétitivité peut-elle être bénéfique pour nos concitoyens ? Quels leviers actionner ?

Vous n’avez pas évoqué la question de la durée du travail. Pourtant, en nombre d’heures travaillées sur la totalité de la vie, il semblerait que l’on travaille moins en France que dans les autres pays. Comment rattraper ce retard ?

M. Jean-Marie Sermier. Si l’on veut augmenter le niveau général de qualification, cela suppose non seulement d’améliorer les formations supérieures, mais aussi de traiter avec une plus grande vigilance les jeunes les moins diplômés.

Par ailleurs, je n’ai entendu parler ni d’environnement, ni d’écologie. Des solutions à nos problèmes de compétitivité peuvent-elles être apportées par la croissance verte ? La prise en considération des émissions de CO2 par l’industrie et par les transports qu’elle induit serait-elle de nature à bouleverser les attitudes économiques, voire l’ensemble des paramètres concernés ?

M. Christian Blanc. M.  Nicolas Baverez a évoqué avec raison un « Sedan économique ». Comme la commission Pébereau l’a montré, la dette finance les transferts sociaux, lesquels financent à leur tour la consommation ; si, par je ne sais quel miracle, l’on ne s’endettait plus, nous nous dirigerions tout droit vers la révolte. Il resterait à savoir qui aurait la tête coupée !

De surcroît, M. Henri Lachmann l’a rappelé, du fait de la globalisation, la concurrence est aujourd’hui mondiale ; la France ne peut pas se mettre à l’abri ; la situation est donc bloquée, il faudrait en être conscient.

Ce qui fait notre richesse, ce sont les hommes et les femmes de notre pays, avec leur compétence, leur culture, leur histoire, leur potentiel de qualification et leur sens des responsabilités. C’est vraisemblablement ce qui nous permettra de faire valoir notre différence dans la compétition internationale. Encore faut-il que les priorités soient clairement affichées, qu’elles bénéficient d’une légitimité politique et qu’elles trouvent une concrétisation.

Quelles sont les régions qui tirent l’Allemagne ? Le Bade-Wurtemberg et la Bavière. Pourquoi ? Parce que ces territoires ne fonctionnent pas suivant une logique exclusivement économique, mais qu’ils y associent une dimension culturelle, qu’ils encouragent la responsabilisation et la formation des salariés et qu’ils se dotent d’outils de recherche appliquée, à travers des instituts spécialisés ou l’innovation. Il s’agit d’un mode d’organisation territoriale, que l’on retrouve d’ailleurs au Pays basque et en Catalogne.

En France, du fait de notre histoire, nous ignorons tout de l’économie territoriale et de cette réconciliation de l’économique, du technique et du culturel dans une même volonté collective. De telles modes d’organisation existent, notamment dans la région Rhône-Alpes, autour de Grenoble ou de Lyon, et, dans une moindre mesure, en Bretagne. Je pense par conséquent qu’il est indispensable d’intégrer cette dimension territoriale dans nos travaux.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Monsieur Christian Blanc, il existe déjà de petites Bavière en France – qui pourraient bien essaimer. En outre, prenons garde à ne pas sombrer dans le pessimisme des chefs d’entreprise ! Les chiffres cités plus haut sur le coût de l’heure de travail – 37 euros en France contre 30 en Allemagne – ne valent que pour l’agro-alimentaire et quelques industries utilisant de la main-d’œuvre étrangère ; la grande majorité des entreprises allemandes sont soumises à des conventions collectives, avec des salaires de 10 à 15 % plus élevés que chez nous. Il ne faudrait pas faire accroire que le coût du travail serait beaucoup plus élevé en France qu’en Allemagne.

M. Henri Lachmann. Monsieur le rapporteur, le pessimisme est d’humeur, l’optimisme d’action : les chefs d’entreprise ne sont pas pessimistes !

Personnellement, le coût du travail m’indiffère assez. Ce n’est pas le facteur le plus important ; comme je l’ai dit, la compétitivité ne s’exprime pas exclusivement, ni même prioritairement, en termes de coût.

Il est évident que la dimension territoriale est essentielle. Par exemple, Schneider Electric est une locomotive à Grenoble et cette région se développe grâce à un élan collectif indéniable.

D’ailleurs, pour le Grand emprunt, les projets de campus d’excellence se partagent, pour 90 %, entre les régions d’Île-de-France et Rhône-Alpes. Est-ce parce que les élites ne se rencontrent qu’au Siècle sur la place de la Concorde ? Je pense que le Siècle devrait être supprimé, car la province en pâtit. Il faudrait au contraire soutenir le dynamisme des territoires, en créant un environnement favorable à la croissance et à la compétitivité, sur l’exemple de la région Rhône-Alpes et de Grenoble – où l’on compte de nombreuses locomotives, dont certaines, comme le Commissariat à l’énergie atomique, appartiennent au secteur public : M. Jean Therme est tout sauf un pessimiste !

M. Nicolas Baverez. Un système économique fonctionne sur trois jambes : la consommation, l’investissement et l’exportation ; s’il n’y a pas grand-chose à attendre de la première, on peut agir sur les deux autres.

Les sources de croissance du futur existent : il y a non seulement la croissance verte, mais aussi la consommation des pays du sud – où la classe moyenne atteindra les 2,5 milliards de personnes dans le prochain quart de siècle –, le grey business, c’est-à-dire l’économie du vieillissement dans les pays occidentaux et en Chine, et l’économie de la connaissance. Pour se redévelopper, la France doit se positionner sur ces marchés. Parmi nos atouts, on compte l’épargne très importante en France – qui devrait être davantage orientée vers les entreprises –, les pôles d’excellence et les infrastructures : tout n’est pas à notre désavantage.

La première menace pour les classes moyennes, aujourd’hui, est le chômage : la France est le seul des grands pays développés à n’être jamais sorti de la crise des années soixante-dix. Le taux de chômage n’est plus redescendu sous la barre des 7 % depuis 1977 ! Il faut donc recréer de l’emploi marchand et lutter contre le chômage structurel.

Ce qu’il faut offrir aussi aux classes moyennes, c’est davantage d’éducation et de formation ; je n’y reviendrai pas, car M. Olivier Ferrand en a abondamment parlé. Quand il y a beaucoup de chômage et pas de croissance, non seulement on ne peut plus monter dans l’échelle sociale, mais on risque de descendre. Or tous les gains de productivité ont été absorbés, non par les salaires, mais par l’État, via les augmentations de charges.

M. Olivier Ferrand. La hausse des salaires pour les classes moyennes inférieures ne peut passer que par l’augmentation du niveau de qualification, grâce à la formation initiale et à la formation continue. Dans le secteur de la formation professionnelle, les moyens existent, mais ils sont dépensés en pure perte ! Une réforme rapide s’impose.

Dans un contexte de croissance, on peut demander à ceux qui ont un emploi de travailler davantage pour accroître leur pouvoir d’achat. Mais la France connaît au contraire depuis trente ans une atonie de sa croissance, sur laquelle vient de se greffer une récession majeure.

L’absence de croissance pèse sur l’emploi. Soit l’on ne fait rien, et le chômage augmente : ce fut le choix de la France jusqu’en 1997, la fameuse « préférence française pour le chômage » ; soit l’on partage le travail : c’est ce que tout le monde a fait durant la dernière décennie. Avec les 35 heures, la France a diminué de 154 heures le temps de travail annuel moyen par actif. Les Allemands n’ont pas touché au temps de travail à temps plein, mais ils ont augmenté le temps partiel, ce qui leur a permis de réduire le temps de travail annuel de 154 heures également au cours de la même période.

M. Marc Laffineur, président. Faudrait-il donc réduire encore le temps de travail ?

M. Olivier Carré. Les deux pays n’ont pas tout à fait la même organisation !

M. Olivier Ferrand. Peut-être, mais examinez les conséquences de la crise de 2008 dans les deux pays : alors que la France a perdu 1 million d’emplois privés, en Allemagne, le nombre d’emplois est resté quasiment stable, parce qu’ils ont partagé massivement le travail, grâce à une politique de chômage partiel.

Lorsqu’il faut réduire de 20 % la masse salariale d’une entreprise, il y a deux solutions : soit on licencie 20 % du personnel, soit tout le monde travaille 20 % de moins. La France a choisi la première solution, tandis que les Allemands faisaient le choix inverse. Ce n’est certes pas la panacée, car personne n’a envie de partager son travail et ses revenus, mais la lutte contre le chômage, en période de crise, ne peut passer par une augmentation du temps de travail.

M. Henri Lachmann. Le plus important, pour une entreprise, ce n’est pas le temps de travail, mais la valeur du travail. Or, les 35 heures ont détruit la valeur travail : on parle désormais en termes de réduction de temps de travail et de temps libre. Nous devons revaloriser le travail, qui, loin d’aliéner, libère et protège.

Par ailleurs, les Allemands n’ont pas « partagé le travail », mais leur variable d’ajustement a été le coût salarial, qui permet de conserver un lien social entre le salarié et l’entreprise. Les Français raisonnent toujours en termes d’effectifs, mais cela ne recouvre aucune réalité dans le compte d’exploitation !

M. Marc Laffineur, président. Messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 9 février 2011 à 16 heures

Présents. - M. Christian Blanc, M. Olivier Carré, M. Gérard Cherpion, M. Nicolas Forissier, M. Jean Grellier, Mme Monique Iborra, M. Marc Laffineur, M. Jean-Marie Le Guen, M. Pierre Méhaignerie, M. Pierre Morange, M. Alain Moyne-Bressand, M. Hervé Novelli, M. Bernard Reynès, M. Jean-Claude Sandrier, M. Jean-Marie Sermier, Mme Marie-Hélène Thoraval, M. Jacques Valax, M. Alain Vidalies, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Bernard Accoyer, M. Jérôme Cahuzac, M. Gérard Charasse, M. Jean-Charles Taugourdeau