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Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale

Mercredi 25 mai 2011

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Bernard Accoyer, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière (FO), et M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Van Craeynest, président de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Voisin, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), et M. Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LA COMPÉTITIVITÉ DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

Mercredi 25 mai 2011

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de M. Bernard Accoyer, président de la Mission d’information)

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend, en audition ouverte à la presse, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière (FO), et M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique.

M. le président Bernard Accoyer. Après avoir reçu il y a quelques semaines les organisations représentatives des employeurs, nous entamons aujourd’hui une série d’auditions des dirigeants des cinq principales centrales syndicales de salariés.

M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière. La compétitivité est par définition une notion relative et multifactorielle : le coût du travail n’en constitue que l’un des éléments. J’en veux pour preuve la brochure « Sept raisons d’investir en France », éditée par Bercy à l’intention des investisseurs étrangers, qui, parmi les atouts de notre pays, met en avant les infrastructures, les services publics, la qualification des travailleurs, le niveau élevé de la productivité, tous participant de la compétitivité hors-coût, au moins aussi importante que la compétitivité coût. On pointe, hélas, trop souvent le seul coût du travail lorsqu’on évalue la compétitivité d’un pays. Des comparaisons, notamment avec l’Allemagne, sont souvent effectuées, mais comparaison n’est pas toujours raison…

Cette approche de la compétitivité focalisée sur le coût du travail relève d’une idéologie néo-libérale, qui fait l’objet d’un rejet grandissant, comme j’ai pu le constater la semaine dernière au congrès de la Confédération européenne des syndicats où le « Pacte pour l’euro plus » et la logique qui le sous-tend ont été unanimement condamnés par les organisations syndicales. C’est dans le même esprit que Force ouvrière s’est opposée à l’inscription dans notre Constitution d’une « règle d’or » budgétaire.

Quels sont pour nous les facteurs déterminants de la compétitivité ? Tout d’abord, une place suffisante de l’industrie dans l’économie. Depuis 2000, notre pays souffre de désindustrialisation. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée ne représente plus que 13 %, contre 17 % en moyenne dans l’Union européenne et 20 % en Allemagne. Notre pays est insuffisamment présent dans le secteur des biens d’équipement de haute technologie et notre tissu industriel ne compte pas assez de grosses PME, à la différence de l’Allemagne.

La stratégie industrielle de l’État est elle aussi insuffisante. La mise en place de la commission nationale de l’industrie et de onze comités de filière avait fait naître de grands espoirs, qui ont été déçus, puisqu’un seul comité, celui des nouvelles technologies de l’information et de la communication, travaille aujourd’hui activement. J’en profite pour indiquer que Force ouvrière souhaiterait la création d’un douzième comité, consacré à la filière nucléaire. Il faut, pour renforcer l’industrie dans notre pays, élaborer une stratégie industrielle, organiser les filières et la sous-traitance et lutter contre les délocalisations. Voilà les défis à relever.

Il faut se garder de certaines idées qui, bien que souvent invoquées, sont fausses. On entend ainsi dire que le taux de l’impôt sur les sociétés serait plus lourd en France que dans les autres pays, mais c’est sans compter les nombreuses « niches » et autres mécanismes d’optimisation fiscale qui permettent de l’alléger considérablement. La comparaison des taux bruts est dénuée de signification.

J’avoue que le titre même de votre mission d’information m’interpelle. Je ne pense pas que notre protection sociale doive être analysée en priorité sous l’angle de la compétitivité de notre économie. Cette question soulève celles des modalités de la construction européenne. Que l’on ne s’y méprenne pas, Force ouvrière est très favorable à la construction européenne, même si elle en conteste les modalités. Mais elle refuse tout dumping social ou fiscal – nous devons garder en tête les abus nés de la directive relative au détachement des travailleurs.

Nous refusons tout aussi fermement que certains pans de la protection sociale collective soient privatisés. Il importe en revanche de clarifier son financement. Les circuits en sont aujourd’hui complexes : une part est financée par l’impôt, une autre par les cotisations salariales et patronales, une autre encore par la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale, à quoi s’ajoutent diverses mesures d’exonérations. Il faudrait tout d’abord dresser un état des lieux précis, puis se mettre d’accord sur ce qui doit relever des cotisations sociales et ce qui doit relever de l’impôt, à charge pour le Parlement de fixer le montant de l’impôt nécessaire pour assumer les charges dites de solidarité nationale. Une clarification des rôles et des responsabilités constitue un préalable à celle du financement. Ce débat important, que nous réclamons depuis longtemps, n’a, hélas, toujours pas eu lieu. La plus large part de la protection sociale, 56 % en moyenne avec des taux qui diffèrent selon les branches, demeure financée par les cotisations. Pour le grand chantier à venir du financement de la dépendance, il faut se demander ce qui doit relever respectivement de la cotisation et de l’impôt.

Un dernier mot sur l’idée d’une « TVA sociale », évoquée ça et là. Quelque nom qu’on lui donne, il s’agirait bien d’un nouvel impôt et je vois mal comment on pourrait, dans le contexte actuel, augmenter de façon significative le taux de la taxe sur la valeur ajoutée. En outre, toute question touchant à la taxe sur la valeur ajoutée exige d’être traitée non à l’échelle de la France, mais de l’ensemble de la zone euro.

M. Christian Estrosi. Vous avez évoqué les comités de filière qui visent à établir des relations loyales et sincères entre donneurs d’ordre et sous-traitants – il vaudrait d’ailleurs mieux dire entre fournisseurs et clients. Je partage votre analyse selon laquelle la perte de quelque 600 000 emplois industriels que nous avons subie depuis 2000 n’est pas due au coût du travail. Celui-ci est aujourd’hui à peu près le même qu’en Allemagne et, en 1999, il lui était même inférieur. La dimension et la stratégie des entreprises à l’international jouent un rôle déterminant. D’une part, on compte davantage d’entreprises intermédiaires outre-Rhin ; d’autre part, celles-ci sont beaucoup plus tournées vers l’exportation. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée y est également plus forte, comme vous l’avez indiqué.

Un mot du secteur de l’aéronautique, notamment du pôle constitué à Toulouse et en région Midi-Pyrénées autour d’Airbus, filiale de l’European Aeronautic Defence and Space Company N.V. (EADS). On se récrie devant les délocalisations hors d’Europe mais on n’en dénonce pas assez d’autres, encore plus critiquables me semble-t-il, surtout quand il s’agit d’un grand groupe franco-allemand, de petites et moyennes entreprises françaises qui se sont volontairement repositionnées autour du pôle Airbus en Allemagne. Pourriez-vous nous faire le point sur la situation, Force ouvrière étant très représentée dans ce secteur ? Le pire serait, au lieu de chercher à additionner les forces au sein de l’Union européenne pour faire face à la compétition internationale, de délocaliser la sous-traitance d’un pays de l’Union dans un autre, en l’espèce de la France vers l’Allemagne, avec les fermetures de petites et moyennes entreprises et les pertes d’emplois qui ne peuvent que s’ensuivre pour notre pays.

Lorsqu’on évoque la compétitivité de nos petites et moyennes entreprises qui, rappelons-le, sont les plus importantes créatrices d’emploi, comment oublier qu’elles paient l’impôt sur les sociétés à son taux maximal ou en tout cas à un taux très élevé, quand beaucoup d’entreprises du CAC 40 peuvent s’en exonérer – en toute légalité ? Qu’en pensez-vous ?

Il a été un moment question d’affecter une part des 1 300 millions d’euros déposés sur les contrats d’assurance-vie au financement de l’industrie par le biais de livrets d’épargne industrie ou innovation. Quel est votre avis sur le sujet ?

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Parmi les facteurs de compétitivité, nous avons, au long de nos auditions, clairement identifié le coût du travail, qui n’en est en effet que l’un des éléments, la flexibilité, la capacité d’adaptation et la capacité d’innovation des entreprises. Le président de Nestlé disait récemment qu’il lui fallait si longtemps pour fermer en France une usine ne correspondant plus aux besoins du marché qu’il n’avait plus de temps pour en créer de nouvelles ! Entre la nécessaire sécurisation des parcours professionnels, en particulier des ouvriers qui n’ont pas à faire les frais des mutations industrielles, et la nécessaire capacité d’adaptation des entreprises, où placez-vous le curseur ? Les contraintes des plans de sauvegarde de l’emploi ne défavorisent-elles pas, à terme, l’emploi en France ?

M. Michel Issindou. La faiblesse actuelle de notre industrie ne s’explique pas par un coût du travail supérieur à celui de nos concurrents. Il n’est que de voir les succès de l’Allemagne où ce coût est à peu près identique.

L’intitulé même de cette mission d’information qui lie par un raccourci compétitivité et protection sociale, peut introduire un biais, laissant penser que si, au nom de la compétitivité, on abaissait le coût du travail, cela se ferait nécessairement au détriment soit du salaire, soit de la protection sociale. Il faut dépasser cette alternative. Les exonérations de charges sur les salaires de 1 à 1,6 fois le salaire minimum représentent aujourd’hui quelque 30 milliards d’euros. Et elles perdurent alors même qu’on est tous les ans à la recherche de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour boucler le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Certains assurent que supprimer ces exonérations ferait s’effondrer encore davantage notre compétitivité. D’autres, dont je suis, pensent que même si elles ont pu avoir un léger effet positif sur l’emploi, elles ont constitué dans la plupart des cas un effet d’aubaine. Selon les sources, on parle de 300 000 à 1,5 million d’emplois préservés : la fourchette est si large qu’elle n’a pas de sens ! Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait d’envisager de supprimer progressivement ces exonérations de cotisations sociales ? Avec les 30 milliards d’euros qu’elles représentent, nos comptes sociaux seraient quasiment à l’équilibre.

M. Jean-Claude Mailly. L’un des atouts de l’Allemagne en matière industrielle, au-delà du secteur aéronautique, est qu’il y existe une véritable stratégie de filière entre donneurs d’ordre et sous-traitants et que les banques jouent un rôle très actif dans le financement de l’industrie. Lorsqu’une décision est prise dans un groupe franco-allemand comme EADS, elle est déclinée de façon différente dans les deux pays. Il est plus difficile de diminuer les effectifs en Allemagne qu’en France : souvenons-nous du plan Power 8 de restructuration d’Airbus. On assiste en effet, monsieur Christian Estrosi, à des transferts d’activité. Nous jugeons urgent dans le domaine aéronautique de créer en France une grosse entreprise de premier rang, dont le capital serait majoritairement détenu par EADS mais auquel pourraient être associées des entreprises comme Latécoère et Sogerma, à l’instar de Premium Aerotec en Allemagne. Voilà une décision de stratégie que l’État, actionnaire d’EADS, devrait soutenir. Il en va de la préservation sur notre territoire d’un secteur industriel clé en matière de technologie, de chiffre d’affaires et d’exportations.

S’agissant de fiscalité, il n’est pas normal, en effet, que de grandes entreprises du CAC 40 puissent en toute légalité échapper, en tout ou partie, à l’impôt sur les sociétés – pour certaines, son taux ne dépasse pas 8 % – alors que les petites et moyennes entreprises sont taxées au taux maximal. Cette inégalité de traitement n’en rend que plus nécessaire la grande réforme fiscale d’ensemble que Force ouvrière appelle de ses vœux, sachant que l’impôt doit permettre de financer à hauteur nécessaire le fonctionnement de l’État et des services publics, mais aussi tendre à l’équité.

En ce qui concerne le financement de l’industrie, vous avez évoqué le projet d’un livret d’épargne industrielle individuel avec garantie de l’État, sur lequel nous étions, pour notre part, prêts à discuter. Dans cette même logique de stratégie industrielle, nous souhaiterions que l’ensemble des structures concourant aujourd’hui au financement de l’industrie de façon dispersée – Fonds stratégique d’investissement (FSI), OSEO… – coordonnent mieux leurs interventions, sous la responsabilité du ministère de l’industrie.

La législation française relative aux plans de sauvegarde de l’emploi est-elle trop contraignante ? Je ne le pense pas. La flexisécurité, notion très en vogue à une époque, est aujourd’hui critiquée, notamment de la part d’organisations syndicales qui la défendaient auparavant. Au Danemark où elle a été expérimentée, les syndicats disent qu’en a surtout résulté de la flexibilité, et fort peu de sécurité. La crise a bouleversé la donne. L’organisation du travail est aujourd’hui déjà très flexible en France. Je l’ai dit, il est en fait plus difficile de fermer une entreprise en Allemagne. Un grand patron français m’expliquait que les contraintes en matière d’emploi étaient bien supérieures aux Pays-Bas par exemple à ce qu’elles sont chez nous. La négociation ouverte en 2004 sur les garanties réciproques que pouvaient apporter organisations syndicales et employeurs afin de cadrer les délais a échoué. Mais je ne pense pas que cet aspect obère notre compétitivité.

Force ouvrière a, comme d’autres organisations syndicales, demandé à plusieurs reprises que les exonérations de charges sur les bas salaires fassent l’objet d’une évaluation. Un premier problème tient à ce que toutes ne sont pas compensées : 2,5 à 3 milliards d’euros font ainsi défaut chaque année à la Sécurité sociale, ce qui représente près de 10 % de son déficit. Il faudrait réformer progressivement ce dispositif, comme l’a d’ailleurs préconisé la Cour des comptes dans un rapport, suggérant que l’on ramène le salaire maximal ouvrant droit à exonération de 1,6 à 1,3 SMIC. Les économies seraient considérables pour le budget de l’État. Tout dispositif de ce type entraîne en effet inévitablement des effets d’aubaine.

M. le président Bernard Accoyer. Je vous remercie, monsieur le secrétaire général d’être venu exprimer devant nous le point de vue de Force ouvrière, dont notre mission d’information ne manquera pas de creuser les analyses et les propositions originales.

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend ensuite, en audition ouverte à la presse, M. Bernard Van Craeynest, président de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC).

M. Bernard Van Craeynest, président de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres. Qu’est-ce que la compétitivité d’un pays ? Selon le rapport Jacquemin-Pench « Pour une compétitivité européenne » paru en 1997, elle ne constitue « ni une fin en soi, ni un objectif. Elle est un moyen efficace de relever le niveau de vie et d’améliorer le bien-être social. C’est un outil (…) ». Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) définit la compétitivité à long terme d’une nation comme sa capacité à améliorer le niveau de vie de ses habitants. Pour l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), elle se définit comme « la mesure dans laquelle un pays peut, dans un contexte de marché libre et loyal, produire des biens et services qui répondent aux normes des marchés internationaux tout en assurant et en augmentant le revenu réel de sa population à long terme ». Cette organisation vient de lancer, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, un indicateur « Vivre mieux », destiné à mesurer le bien-être des citoyens de ses trente-quatre pays membres, incluant onze dimensions : logement, revenus, emploi, liens sociaux, éducation, environnement, gouvernance, santé, sécurité, satisfaction générale et équilibre famille-travail. Les priorités diffèrent selon les pays. En France, l’emploi et la santé sont jugés prioritaires.

L’emploi constitue un sujet récurrent dans notre pays depuis plus de trente ans, au regard notamment de l’évolution du taux de chômage. Notre système peine à inclure les jeunes, signe d’un problème à la fois d’orientation et de formation. La CFE-CGC propose depuis longtemps un passeport emploi-formation, inspiré de ce qui a été mis au point dans l’accord national interprofessionnel sur la formation. Il importerait que dès le collège, puisse être recueilli chaque année l’avis des quatre parties prenantes que sont l’élève, ses parents, ses enseignants, mais aussi les conseillers d’orientation. Il faut, en effet, sortir de la spirale infernale d’un système éducatif qui, bien que mobilisant le premier budget de l’État et d’une qualité indéniable, n’en laisse pas moins sortir tous les ans 150 000 jeunes sans qualification ni donc réelles perspectives d’intégrer le marché du travail. La CFE-CGC est très favorable à la formation en alternance, au développement duquel elle prend d’ailleurs toute sa part. C’est le meilleur moyen d’apprendre à connaître le monde professionnel, son fonctionnement et ses codes, et d’éliminer un critère aujourd’hui très discriminant à l’embauche, le manque d’expérience.

La compétitivité d’un pays comme le nôtre repose largement sur sa capacité à créer des emplois à forte valeur ajoutée et à progresser dans le secteur des hautes technologies. Or, depuis longtemps, les quarante à cinquante mille ingénieurs formés chaque année, y compris dans nos grandes écoles, donnent la préférence au secteur financier. Il faudrait renforcer l’attractivité de certaines filières professionnelles et du secteur industriel.

Aborder parallèlement compétitivité de l’économie et protection sociale n’est pas sans risque car les deux ne s’opposent pas, bien au contraire. Nous avons pu constater depuis 2008 que les stabilisateurs automatiques et les dépenses sociales ont amorti le choc de la crise et aidé à maintenir la cohésion sociale. Elles ont contribué à hauteur de 50 % à la sauvegarde des revenus de nos concitoyens et, partant, à la bonne tenue de la consommation des ménages, principal pilier de la croissance dans notre pays. Notre protection sociale constitue clairement un facteur de compétitivité.

Le niveau de la productivité horaire en France demeure tout à fait concurrentiel par rapport à celui des principaux pays avec lesquels nous sommes en compétition.

L’investissement en recherche et développement représente dans notre pays 2,1 % du produit intérieur brut, niveau qui n’est pas négligeable et même assez élevé par rapport à nos voisins européens. La stratégie de Lisbonne de mars 2000 fixait cependant un objectif de 3 %. La recherche-développement issue des entreprises présente tout particulièrement des faiblesses.

Le niveau des salaires n’obère pas la compétitivité de notre pays. C’est même un facteur d’attractivité pour les emplois des secteurs à forte valeur ajoutée et de haute technologie.

La CFE-CGC souhaiterait qu’on évalue de manière précise l’efficacité des allègements de charges sur les bas salaires. Cela paraît indispensable, compte tenu des montants en jeu et de la part de ces exonérations non compensées à nos organismes de sécurité sociale. Il nous semblerait utile de réfléchir à d’autres mécanismes que ceux existant aujourd’hui, ciblés sur les salaires de 1 à 1,6 SMIC. Nous proposons, pour notre part, un allègement général pour tous les salariés, par exemple sur les trois cents premiers euros de salaire, quitte à maintenir un dispositif spécifique pour les emplois des secteurs soumis à la concurrence internationale. Pour des emplois non délocalisables, comme beaucoup d’emplois de services, tout allègement de charges n’est qu’une aubaine, comme l’a été l’abaissement du taux de la taxe sur la valeur ajoutée dans la restauration.

Notre pays ne manque pas d’attrait, comme en atteste la bonne tenue des investissements directs étrangers en France.

Notre système de protection sociale, qui redistribue 416 milliards d’euros par an, a le mérite de maintenir les solidarités, à commencer par la solidarité intergénérationnelle. Au principe fondateur de notre sécurité sociale posé en 1945, selon lequel chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, il semble pourtant qu’on cherche subrepticement à substituer un système dans lequel, aussi bien en matière d’assurance maladie, d’assurance chômage, d’assurance dépendance que de retraite, au-delà d’un certain socle – dont resterait d’ailleurs à déterminer précisément le contenu –, chacun serait invité à se débrouiller en fonction de ses moyens. Une telle évolution ne nous paraît pas envisageable à brève échéance. Il faudrait à tout le moins réfléchir auparavant sur la transition à opérer et sur la nature des protections pour lesquelles un tel modèle pourrait s’appliquer.

Si la CFE-CGC considère notre système de protection sociale comme un investissement qui ne doit pas être remis en cause au motif qu’il coûterait trop cher, elle n’exclut pas une réflexion sur des ajustements possibles et une remise à plat de son financement. Du fait du vieillissement de la population, les dépenses sociales croissent, en effet, plus vite que la richesse nationale et la masse salariale sur laquelle repose encore majoritairement leur financement. Nous proposons, pour notre part, la mise en place d’une cotisation sociale sur la consommation – préférable à un impôt, lequel n’est pas affecté. Or, en l’espèce, nous souhaiterions que cette ressource soit réellement dévolue à la protection sociale.

La CFE-CGC souhaiterait que les entreprises soient mieux informées des dispositifs de financement existants au-delà du secteur bancaire traditionnel : fond stratégique d’investissement, comités de filière, OSEO, Caisse des dépôts et consignations (CDC) Entreprises… Beaucoup de chefs d’entreprise ignorent toutes les possibilités existantes ou, en tout cas, jugent ces outils si complexes qu’ils préfèrent ne pas se lancer dans certaines opérations, trop aléatoires à leurs yeux.

La CFE-CGC souhaiterait aussi qu’on facilite la transmission des entreprises familiales. Celles-ci représentent plus de 80 % des entreprises dans notre pays mais seules 10 % d’entre elles – contre 50 % en Allemagne ou aux Pays-Bas – se transmettent aujourd’hui dans le cadre d’une continuité familiale. Avec le départ en retraite prochain d’un très grand nombre de chefs d’entreprise, le problème prend une acuité particulière. Chacun sait que lorsque la transmission se passe mal, des emplois risquent d’être détruits.

En conclusion, certaines initiatives ont été prises qui vont dans le bon sens. Nous soutenons sans réserve la mise en place d’une commission nationale de l’industrie et de comités de filière. Nous avons récemment demandé au ministre de l’industrie de créer un comité de filière supplémentaire relatif à l’énergie. Nous estimons pertinent le travail réalisé sur le made in France et la création d’un label « Origine France garantie ». Tout cela est positif. Beaucoup reste néanmoins à faire.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Votre proposition d’allègement des charges sur les 300 premiers euros de salaire est audacieuse. Le coût du travail s’en trouverait abaissé de 4 % à 5 % pour un cadre gagnant 3 000 euros par mois mais alourdi de 20 % pour un salarié rémunéré au salaire minimum ou juste un peu au-dessus. Comment une telle mesure pourrait-elle être appliquée ?

M. le président Bernard Accoyer. Vous ne semblez pas hostile à une évolution de l’assiette du financement de notre protection sociale, à laquelle, est-il besoin de le rappeler, nous sommes tous attachés. Il n’est pas question ici de la mettre en balance avec la compétitivité, mais seulement de réfléchir aux moyens de son financement. Celui-ci repose aujourd’hui largement sur les cotisations acquittées par les employeurs et les salariés, pesant donc sur l’appareil productif, alors que chacun s’accorde sur la nécessité de préserver la compétitivité de nos entreprises, afin notamment de conforter l’emploi. Comment envisageriez-vous l’évolution de cette assiette ? Sinon, comment pensez-vous que pourrait être assurée la pérennité de notre protection sociale, dont le coût est appelé à s’accroître du fait de l’allongement de l’espérance de vie et des progrès médicaux ?

M. Bernard Van Craeynest. L’idée d’une exonération de charges sur les 300 premiers euros de salaire reste à approfondir. Cela n’exclurait pas que puissent continuer d’exister des allègements spécifiques sur les bas salaires – sachant que la Cour des comptes elle-même préconise qu’ils soient dégressifs et limités aux salaires jusqu’à 1,3 fois le salaire minimum.

Si on déplore depuis des années la délocalisation des usines, il faut prêter également attention à celle de la matière grise, facilitée par l’essor des nouveaux moyens de communication. Nous sommes en compétition avec des pays qui n’ont plus d’émergents que le nom, je pense aux « BRIC » – Brésil, Russie, Inde et Chine. L’Inde et la Chine forment chaque année dix fois plus d’ingénieurs que nous, sur les salaires desquels nous ne pouvons pas nous aligner. Certains secteurs de haute technologie, comme ceux des cartes à puce ou des semi-conducteurs, ne créent quasiment plus aucun emploi dans notre pays. Il ne suffira pas de restaurer l’attractivité des filières industrielles auprès des jeunes diplômés de ces secteurs : il faudra trouver le moyen de favoriser leur emploi à un niveau satisfaisant de rémunération. Enfin, est-il normal que des entreprises bénéficient du crédit d’impôt-recherche alors qu’elles délocalisent leur recherche et développement à Singapour, en Inde ou en Chine ? Une évaluation s’impose.

En ce qui concerne l’assiette du financement de la protection sociale, si l’institution de la contribution sociale généralisée a permis de diminuer la part issue des cotisations sociales, 60 % continuent de reposer sur les salaires. C’est d’ailleurs ce qui rend difficiles les comparaisons internationales, notamment avec l’Allemagne, car nos systèmes sociaux sont différents. Nous proposons, pour notre part, d’instituer une cotisation sur la consommation, qui se substituerait aux cotisations maladie et serait totalement affectée à la branche Maladie. Nous ne refusons pas de réfléchir à des recettes alternatives aux cotisations sociales mais posons comme exigence un réexamen global du financement de notre protection sociale. Nous ne pourrions pas, par exemple, cautionner un tour de passe-passe qui aboutirait à réduire les recettes de la branche Famille et donc à en minorer les prestations.

Je voudrais en conclusion insister sur la situation des classes moyennes, encore qu’il faille s’entendre sur ce qu’elles recouvrent. On s’accorde généralement à considérer comme faisant partie des classes moyennes supérieures les personnes gagnant de 2 500 à 4 000 euros par mois. Cette tranche de la population bénéficie fort peu de la redistribution opérée par notre système de protection sociale, alors même qu’elle contribue largement à son financement. S’il est indispensable d’assainir nos finances publiques, les classes moyennes ne peuvent porter seules le poids du redressement.

En dépit d’un effort, indispensable, de maîtrise et d’une lutte renforcée contre la fraude, nos dépenses de protection sociale continuent d’augmenter de 3 % par an. Comment assumer cette augmentation sans diminuer les prestations servies ? Voilà le défi à relever.

M. le président Bernard Accoyer. Nous vous remercions, monsieur le président. Vous avez ouvert des perspectives intéressantes qui ne manqueront pas de nourrir nos échanges à venir.

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend enfin, en audition ouverte à la presse, M. Jacques Voisin, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), et M. Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint.

M. Jacques Voisin, président de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Pour nous, la compétitivité ne peut être appréciée que dans un marché libre et loyal. C’est la première condition dont il faut s’assurer. La CFTC, convaincue qu’aucun sujet n’est tabou et qu’il convient dans tous les champs du dialogue social de consolider la position des partenaires sociaux, a tenu à participer à la délibération économique lancée avec le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) sur le sujet. Les travaux en sont quasiment terminés.

La première priorité est la compétitivité de notre industrie. La part de l’industrie est passée de 26,5 % du produit intérieur brut en 1970 à 16 % aujourd’hui. Cela s’explique en partie par un défaut d’investissements productifs. Pour restaurer notre compétitivité, il faut sortir de la logique de court terme qui a conduit, au nom de la rentabilité immédiate, à privilégier les dividendes au détriment des investissements – de production, de recherche et d’innovation – et, partant, à détourner les profits de l’économie réelle. La part des revenus financiers dans les profits est ainsi passée de 15 % en 1993 à 27 % aujourd’hui.

M. Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint de la CFTC. Le coût du travail serait un facteur-clé, nous dit-on. Le problème demeure que, pour l’appréhender, on ne peut se fonder que sur des statistiques. Or, celles-ci sont parfois faussées, parfois même contradictoires, ce qui ne permet pas d’en tirer des conclusions univoques. Ainsi pour l’industrie manufacturière, selon les sources, le coût salarial horaire moyen en 2007 variait de 24,5 euros à 32,2 euros, soit une différence de 25 % ! De même, selon Eurostat, le taux apparent des cotisations patronales aurait augmenté de 0,4 point entre 1996 et 2004, alors que d’après les données de la comptabilité nationale, il aurait diminué de deux points sur la même période. Enfin, d’une manière générale, on ne dispose de statistiques que pour les entreprises de plus de dix salariés, alors que la taille de l’entreprise influe sur le niveau de rémunération des salariés et le niveau des aides dont peut bénéficier l’employeur. Comment, dans ce flou, se prononcer sur le coût du travail ? Qui croire ? Une difficulté de même nature se retrouve pour l’évaluation du temps de travail.

M. Jacques Voisin. Innover, valoriser le capital humain, tirer le meilleur profit de notre situation au niveau européen, dégager les moyens nécessaires au financement de la croissance, dynamiser notre tissu économique : telles sont les cinq priorités que nous retenons. Il faut rattraper notre retard et trouver un équilibre, délicat, entre stimulation de l’économie et rigueur budgétaire. Si la discipline budgétaire demeure indispensable, il l’est tout autant de s’engager sur des perspectives de long terme, susceptibles de rassurer, alors que la reprise économique est encore balbutiante. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons soutenu, en son temps, le grand emprunt.

On ne peut traiter de politique budgétaire sans traiter de fiscalité. La CFTC tient à réaffirmer la légitimité de l’impôt, s’il poursuit un objectif de justice. On entend trop souvent dire qu’il pèse sur la compétitivité. Vous trouverez dans le document que nous vous remettrons, nos propositions en ce domaine. L’impôt sur le revenu doit, selon nous, être l’un des principaux leviers fiscaux. S’agissant de la fiscalité des entreprises, plusieurs pistes méritent d’être examinées. Tout d’abord, des réductions d’impôt pour les entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices dans des investissements productifs. Ensuite, le crédit d’impôt recherche. Enfin, l’intégration progressive des objectifs de croissance dans la stratégie de la Banque centrale européenne.

Il faut privilégier les dépenses d’avenir et investir massivement dans l’éducation, la formation, y compris l’apprentissage, la recherche et la recherche et développement, notamment dans le cadre des pôles de compétitivité, et poursuivre la modernisation de nos infrastructures.

M. Joseph Thouvenel. Venons-en à la compétitivité prix. Le coût du travail en France est à peu près le même qu’en Allemagne : il ne saurait donc expliquer la différence de compétitivité entre les deux pays. Celle-ci tient essentiellement à la compétitivité hors prix, avec les services liés au produit – service après-vente, accompagnement du client, maintenance, innovation, design, bon usage des nouvelles technologies… 58 % des entreprises françaises seulement ont un site internet contre 84 % des entreprises allemandes et 13 % seulement utilisent les nouvelles technologies dans leurs relations avec leurs clients. Depuis des années, nous avons cherché en France à tirer les prix vers le bas. Nos entreprises ont donc dégagé moins de marges et moins investi, d’où, in fine, une impossibilité de garantir la même qualité que leurs concurrentes allemandes.

Autre différence entre les deux pays : en France, les entreprises étranglent leurs sous-traitants, lesquels sont contraints de travailler le plus vite possible pour le moins cher possible. Ne peut qu’en résulter une baisse de la qualité. En Allemagne, au contraire, les petites et moyennes entreprises travaillent « en meute », se positionnant par exemple de concert à l’exportation. Les sous-traitants y sont considérés comme des partenaires. D’où les meilleurs résultats en matière de qualité et d’exportations.

M. Jacques Voisin. On entend trop souvent dire que le travail est un coût, une charge. Comment, dans ces conditions s’étonner, que certains salariés s’en désintéressent ou souhaitent partir le plus tôt possible en retraite ? Pour nous, le travail reste un élément essentiel de la performance de l’entreprise. Il faudrait se focaliser sur sa valeur ajoutée plutôt que sur son coût, valoriser les qualifications et les compétences, investir davantage dans la formation. C’est leur performance qui différencie les entreprises les unes des autres, et celle-ci est directement liée à la qualité du travail.

Il faudrait aussi renforcer les liens entre l’école et l’entreprise : chacune doit faire un pas vers l’autre. Les mentalités doivent évoluer sur le sujet. Qui pourrait nier qu’il existe un lien étroit entre diplôme et emploi ? La CFTC a toujours été favorable aux formations en alternance : il ne devrait pas y avoir de formation diplômante sans alternance. Il faut aussi poursuivre l’effort engagé en matière d’apprentissage. Tout cela participe de la revalorisation du travail que nous appelons de nos vœux.

On ne peut traiter de la question du coût du travail sans aborder celle de la redistribution. Nous vous remettrons nos propositions détaillées sur le sujet. Est-on bien conscient de la situation des classes moyennes aujourd’hui dans notre pays et de l’évolution de leur pouvoir d’achat ? Les revenus en 2007 ne représentent qu’une fois et demie ceux de 1983, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas progressé de plus de 1,2 %, alors que dans le même temps, le produit intérieur brut augmentait de 225 milliards à 1 894 milliards d’euros. Les richesses produites et la valeur ajoutée doivent être redistribuées de manière plus équitable, comme s’y est d’ailleurs engagé le Président de la République. Dès 2003 et la réforme des retraites intervenue cette année-là, la CFTC avait formulé le souhait d’une réflexion sur l’avenir du financement de notre protection sociale. Mais personne n’a vraiment voulu depuis lors ouvrir ce dossier. Le Président de la République de l’époque avait souhaité qu’on s’attelle au chantier de la valeur ajoutée et de l’assiette du financement de notre protection sociale. Cela n’a pas été fait. Même si la solution ne réside pas entièrement là, ces pistes restent à creuser.

Il faut aussi trouver les moyens d’endiguer la dégradation continue de l’emploi et la précarité croissante des salariés : il faut évaluer nos politiques de l’emploi, tout comme nos dispositifs d’aides et d’exonérations de charges.

M. Joseph Thouvenel. Les exonérations de charges au bénéfice des entreprises représentent au minimum 25 milliards d’euros par an. Il n’est pas normal que ces dispositifs ne fassent l’objet d’aucune évaluation et que l’on ne sache pas quelle part de ces aides a réellement contribué au maintien d’emplois et quelle part n’a conduit qu’à des effets d’aubaine. Il y a, en outre, fort à parier que les entreprises qui tirent le mieux profit du dispositif, c’est-à-dire les plus grandes d’entre elles, ne sont pas celles qui en auraient le plus besoin. Il y a là un gisement d’économies potentielles.

On ne peut pas, enfin, faire abstraction de l’environnement international. La France et l’Union européenne sont aujourd’hui les marchés les plus ouverts au monde. Comment songer à préserver notre compétitivité à l’avenir si nous abandonnons tous nos secteurs stratégiques à la Chine, qui dispose d’importantes réserves monétaires ? Ce sont les marchés qui ont dicté la reprise de Péchiney par le Nord-américain Alcan, sans qu’on se demande si n’étaient pas en jeu des secteurs stratégiques pour l’aéronautique et la défense, notamment pour Airbus.

Le niveau de l’euro également pose question. La monnaie européenne a été réévaluée de 30 % depuis 1999 et est vraisemblablement aujourd’hui surévaluée. Comment dans ces conditions s’étonner d’avoir perdu en compétitivité ?

Il faudrait, enfin, exiger une réciprocité pour ce qui est de l’ouverture des marchés. À défaut, les conditions d’une compétition libre et loyale ne sont pas réunies.

M. Jacques Voisin. La CFTC considère que l’Union européenne constitue l’échelon le plus pertinent de pilotage de la sphère économique et sociale. Celle-ci doit s’efforcer de faire converger les économies des différents pays membres, ainsi que leurs règles fiscales, comptables et sociales. De manière plus générale, la CFTC porte un projet de traçabilité sociale qui pourrait répondre aux distorsions de concurrence.

M. Joseph Thouvenel. Les coûts d’une entreprise qui respecte les droits fondamentaux des salariés sont nécessairement supérieurs à ceux d’une entreprise qui les enfreint. Or, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) interdit aujourd’hui les clauses sociales : il n’est pas possible par exemple de refuser les importations en provenance de pays qui font encore travailler les enfants. Nous proposons, pour notre part, d’informer le consommateur sur ces aspects, alors qu’il ne peut aujourd’hui arbitrer qu’entre les prix et la qualité.

Il faudrait instituer un label, simple, compréhensible par tous, permettant de s’assurer du respect de quelques grands principes : interdiction du travail des enfants et du travail forcé, niveau décent des salaires et existence d’une protection sociale minimale – selon le niveau de vie du pays –, liberté syndicale. Une telle labellisation serait favorable à notre économie et nos emplois, mais aussi au développement social dans l’ensemble du monde. Le Maroc par exemple, qui a essayé de créer un embryon de protection sociale et institué un salaire minimal, y serait très favorable. Dix centimes d’euros sur le prix d’un tee-shirt, ce n’est rien pour le consommateur, mais cela fait toute la différence entre la production au Maroc ou en Chine. Lorsque les quotas d’importation ont été supprimés dans le secteur textile, tous les efforts marocains se sont trouvé réduits à néant. Une réponse à la mondialisation passe par l’information des consommateurs.

Nous n’avons bien sûr rien contre la « marque France » mais il sera difficile de la faire porter par nos amis allemands, espagnols, italiens ou québécois, alors qu’un projet de traçabilité sociale pourrait être soutenu par tous les pays développés, car il est un moyen de progrès social, poussant par exemple à l’éradication du travail des enfants et du travail forcé. Si les consommateurs ne pèsent pas sur la mondialisation, quoi qu’on fasse pour gagner en compétitivité, cela ne sera jamais assez face à des pays où le travail n’est quasiment pas rémunéré.

M. Jacques Voisin. La CFTC souhaiterait que soit créé dans notre pays un véritable conseil du dialogue social. La qualité du dialogue social, que l’on envie parfois à l’Allemagne ou aux pays d’Europe du Nord, constitue, en effet, un facteur de compétitivité. Nous avons souhaité inscrire la question de l’avenir de notre protection sociale et de son financement dans l’agenda social ouvert avec le mouvement des entreprises de France, estimant que les partenaires sociaux devaient s’en saisir sans tabou.

Sur la question récurrente de la durée du travail, nous ne nous sommes pas montrés rigides, nous efforçant plutôt de rechercher des solutions adaptées à chaque situation. L’abaissement de la durée du travail, nous dit-on, pèse sur la compétitivité de nos entreprises. Là encore, il faudrait savoir exactement de quoi on parle. Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié l’intervention du Président de la République devant le Conseil économique, social et environnemental sur le sujet, où il a affirmé que le plus important était de « regarder le travail autrement » et de « repenser la qualité du travail ». Travailler autrement, c’est penser une meilleure organisation du travail, améliorer sa qualité, permettre de mieux concilier les différents temps de la vie. Autant de sujets que nous souhaitons voir mis en avant et sur lesquels nous sommes prêts à dialoguer.

D’une manière générale, nous souhaiterions que l’on porte un autre regard sur l’entreprise. Pour nous, la finalité d’une entreprise repose d’abord dans son projet social et les profits ne constituent qu’un levier au service de ce projet. Dans cette optique, les salariés doivent être mieux associés aux résultats et à la gestion des entreprises : il faut renforcer la participation et l’intéressement, les deux grands mécanismes d’association des salariés à la performance des entreprises. Bref, il faut repenser la gouvernance économique et sociale des entreprises. Vous trouverez nos propositions sur le sujet dans le document que nous vous remettrons.

M. Joseph Thouvenel. Peut-être vous étonnera-t-il que sur les deux thèmes de votre mission d’information, nous n’ayons parlé quasiment que de compétitivité. C’est tout simplement que sans entreprises en bonne santé, notre protection sociale, qui elle-même en retour aide au développement des entreprises, ne pourrait être financée. La priorité reste donc bien d’assurer le meilleur fonctionnement possible de notre économie.

Enfin, gardons-nous de certaines idées reçues, hélas assez répandues. Un rapport sénatorial vantait ainsi il y a quelques années la réussite d’un pays où les charges salariales et les prélèvements sociaux étaient faibles, la flexibilité maximale, les contraintes quant à la durée légale du travail minimales, les licenciements faciles, le taux de l’impôt sur les sociétés très bas. Quel était ce magnifique pays donné en exemple ? L’Irlande, aujourd’hui en faillite.

M. Olivier Carré. Je pense comme vous que ses salariés constituent la première richesse d’une entreprise. Mais les enquêtes montrent qu’en France, les salariés entretiennent une relation avec leur entreprise différente de ce qu’elle est dans d’autres pays. Ils y sont à la fois très attachés – cet attachement s’est d’ailleurs renforcé durant la crise, comme le montrent certaines enquêtes – et doutent d’elle, certaines dérives financières ayant accentué ces doutes. Finalement, leurs rapports à l’entreprise sont assez conflictuels. Comment pourrait-on les pacifier ?

Vous avez souligné la difficulté d’obtenir la réciprocité dans les échanges commerciaux et évoqué le projet d’une traçabilité sociale. Les normes sur l’investissement socialement responsable (IRS) progressent à l’échelle mondiale. Comment les grandes entreprises en tiennent-elles compte ? Comment voient-elles l’évolution des processus de production à travers le monde ? Nous sommes concernés au premier chef car nous faisons partie des premiers producteurs au monde de valeur ajoutée, mais celle-ci est menacée. Pourrait-on, à votre avis, s’appuyer sur ces normes ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu’il serait normal que les salariés soient représentés dans les comités de rémunération des grands groupes, à l’heure où l’écart entre les rémunérations les plus élevées et les plus faibles se creuse ?

M. Marc Goua. La prétendue surévaluation de l’euro est un faux problème. L’exemple de l’Allemagne le montre tous les jours, sans compter que l’essentiel de nos échanges commerciaux se font au sein de la zone euro. En outre, un euro faible renchérirait le coût de nos importations d’énergie et de matières premières.

Le label Fabriqué en France constitue l’exemple-type de la fausse bonne idée. Il peut très rapidement conduire à l’asphyxie de nos entreprises, comme j’ai pu le constater dans le secteur de la confection ou bien encore de l’ardoise, puisque dans ma commune on extrait encore du schiste. Les concurrents se sont très vite alignés sur la norme du made in France et cela n’a fait qu’accélérer les destructions d’activités.

M. Joseph Thouvenel. Sur la question, centrale, des relations conflictuelles entre les salariés et leur entreprise, je tiens à dire qu’à nos yeux, le mouvement marxiste aujourd’hui le plus puissant en France n’est autre que le mouvement des entreprises de France, du moins au niveau national, où il en est toujours, au quotidien, à la lutte des classes. J’en veux pour preuve son attitude lors des négociations sur la pénibilité.

Durant deux ans, les syndicats se sont efforcés de faire valoir que la pénibilité avérée de certains métiers use prématurément ceux qui les exercent, lesquels devraient donc se voir reconnu le droit de partir en retraite plus tôt. Le mouvement des entreprises de France a systématiquement objecté, cherchant à couper cour au débat, que la pénibilité était ressentie différemment par chacun et qu’on ne disposait pas, de toute façon, de statistiques sur le sujet. Une attitude responsable aurait été de coopérer à l’élaboration d’une définition, acceptable par tous, de la pénibilité, et d’examiner concrètement avec les syndicats le coût du départ en retraite anticipée des salariés ayant exercé des métiers pénibles. Voilà qui aurait été la marque de relations sociales adultes qui nous font tant défaut en France.

Or un malaise grandissant est perceptible dans les entreprises. Une enquête menée auprès de nos délégués syndicaux en région parisienne a confirmé que l’écart des rémunérations entre dirigeants et salariés ne cessait de se creuser. Tous nous ont dit que cela leur semblait profondément injuste car ce sont les salariés qui supportent les plus gros efforts. Une telle remontée, aussi massive, du terrain, ne peut qu’inquiéter.

Cela étant, tout n’est pas négatif avec le mouvement des entreprises de France. D’une part, il est en général plus facile de discuter avec ses représentants au niveau local ou au niveau des branches qu’au niveau national. D’autre part, certains sujets sont l’occasion d’un véritable échange entre partenaires sociaux. Cela a été le cas de la délibération sur la politique économique et la compétitivité. Les organisations syndicales peuvent elles aussi porter leur part de responsabilité dans le blocage du dialogue social lorsque, privilégiant la posture, elles en arrivent à un déni de réalité. Mais d’une façon générale, l’attitude du mouvement des entreprises de France est handicapante.

M. Jacques Voisin. Sur tous ces points, rappelons-nous comment ont été traités les salariés de Continental à Compiègne.

Pour un dialogue social de qualité dans l’entreprise, il faut une transparence totale. Si une entreprise risque de rencontrer des difficultés, les salariés doivent en être informés. Ils peuvent l’entendre. Hélas, aujourd’hui, on le leur cache.

Au nom du même souci de transparence, il serait normal que les salariés soient représentés – pourquoi pas par le secrétaire du comité d’entreprise– au comité des rémunérations. Pour que puissent s’engager un dialogue et des négociations de bonne foi, il faut d’une part que la transparence soit garantie et, d’autre part, que les salariés soient considérés comme de véritables acteurs de l’entreprise, associés à son projet et à sa gestion.

M. Joseph Thouvenel. Les normes sur l’investissement socialement responsable vont dans le bon sens. Attention toutefois à ne pas créer d’usine à gaz ! L’instabilité juridique nuit considérablement à notre compétitivité. L’inflation des normes tue les normes. Si le dispositif est trop complexe, il est inefficace, incitant aux déclarations d’intention davantage qu’à des actions concrètes. Visons avant tout le pragmatisme.

Pour ce qui est du niveau de l’euro, je suis en désaccord total avec la position exprimée par M. Marc Goua. La France, qui a bâti sa compétitivité sur les prix les plus bas, se trouve très affectée par la surévaluation de la monnaie européenne, alors que l’Allemagne, qui a bâti la sienne sur le hors-prix, y échappe. Les entreprises allemandes peuvent vendre un produit cher car lui sont associés le service après-vente, l’accompagnement du client, la maintenance, le design, la qualité… Nous ne pouvons pas nous battre sur le même terrain.

Nous ne sommes pas du tout favorables au label Fabriqué en France, trop limitatif et qui enferme. Ce que nous proposons est beaucoup plus large.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. L’Allemagne a aussi gagné en compétitivité par le blocage des salaires, au risque d’ailleurs d’une aggravation des inégalités. Les mesures prises par le chancelier Gerhard Schröder ont été extrêmement dures pour les salariés.

M. Joseph Thouvenel. Les écarts ont varié dans le temps mais aujourd’hui le coût du travail est quasiment le même en Allemagne et en France. Et de fortes revendications salariales se font aujourd’hui jour outre-Rhin. Force est aussi de dire que l’engagement des entreprises à ne pas licencier y était une contrepartie de la rigueur salariale. Nous n’avons jamais pu obtenir une telle contrepartie en France.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Le Parlement va bientôt examiner dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale la mesure consistant à verser une prime aux salariés des entreprises de plus de cinquante salariés servant à leurs actionnaires des dividendes en hausse par rapport à la moyenne des deux années précédentes. Ces conditions font que peu de salariés en fin de compte en bénéficieront. Quelles sont les attentes dans les entreprises et comment pensez-vous qu’on pourrait y répondre ?

M. Jacques Voisin. Lorsque le Président de la République avait ouvert le débat sur la répartition de la valeur ajoutée, nous avions demandé que ce sujet figure dans l’agenda social. Son examen a été sans cesse reporté, si bien que le Président de la République a fini par décider unilatéralement qu’une prime devrait être versée. Nous sommes totalement d’accord sur le principe, moins sur les modalités puisque seuls quatre millions de salariés devraient en bénéficier, ce qui n’est pas acceptable. Il faut rouvrir sans délai avec le mouvement des entreprises de France le chantier de la participation et de l’intéressement – ce dernier étant accessible aux entreprises de moins de cinquante salariés et aux entreprises artisanales.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Le président Accoyer ayant dû nous quitter avant la fin de votre audition, c’est à moi que revient l’honneur de vous remercier, messieurs. C’est avec grand intérêt que nous examinerons plus en détail vos propositions.

La séance est levée à dix-huit heures cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 25 mai 2011 à 16 h 15

Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Christian Blanc, M. Jérôme Cahuzac, M. Olivier Carré, M. Christian Estrosi, M. Marc Goua, M. Pierre Méhaignerie, M. Alain Moyne-Bressand, M. Hervé Novelli, M. Éric Woerth

Excusé. – M. Paul Giacobbi

Assistait également à la réunion. – M. Michel Issindou