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Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale

Mercredi 1er juin 2011

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Bernard Accoyer, président puis de M. Jean-Claude Sandrier, vice-président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Nasser Mansouri-Guilani, responsable confédéral des questions économiques de la Confédération générale du travail (CGT)

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Véronique Descacq, secrétaire nationale en charge des dossiers de la politique de protection sociale et de la politique économique de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et M. Philippe Le Clézio, secrétaire confédéral

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LA COMPÉTITIVITÉ DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

Mercredi 1er juin 2011

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de M. Bernard Accoyer, président de la Mission d’information)

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend, en audition ouverte à la presse, M. Nasser Mansouri-Guilani, responsable confédéral des questions économiques de la Confédération générale du travail (CGT).

M. Nasser Mansouri-Guilani, responsable confédéral des questions économiques de la Confédération générale du travail (CGT). M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, et moi-même vous remercions pour votre invitation.

Le débat sur la compétitivité est d’emblée inscrit dans une perspective de compétition, autrement dit, de mise en concurrence des systèmes socioproductifs, donc des travailleurs. Or pour nous syndicalistes, cette approche n’est pas pertinente : nous pensons que la France aurait intérêt à envisager, non un pacte de compétitivité, mais un pacte pour la solidarité.

Certes, nous n’ignorons pas les réalités de ce monde, en particulier l’intégration de notre pays dans un processus européen et une économie mondialisée. Mais ne pourrait-on voir comment, à partir des expériences du passé, travailler sur une autre problématique ? En effet, l’objectif européen ne pourrait-il pas être de faire de l’économie européenne, non pas la plus compétitive du monde – comme l’a voulu la stratégie de Lisbonne, qui s’est révélée un échec –, mais l’économie la plus solidaire du monde ?

L’approche de la CGT n’est pas seulement microéconomique, liée à l’amélioration de la compétitivité des entreprises ; elle est aussi macroéconomique, par une réflexion sur les moyens d’améliorer l’efficacité globale de notre système productif.

À cet égard, il conviendrait selon nous de travailler sur trois éléments importants.

Le premier est ce que nous appelons « la productivité globale des facteurs ». Dans le débat sur la compétitivité, on insiste beaucoup sur la productivité du travail. Or il faudrait, selon nous, s’interroger également sur la productivité du capital, puisqu’il fait aussi partie du processus productif. La productivité globale des facteurs nous amène à nous interroger sur la capacité du système à produire, avec un minimum de ressources et de pressions sur le monde du travail, un maximum de richesses, tout en respectant l’environnement. Le deuxième élément de réflexion a trait aux prélèvements sur les facteurs de production, y compris sur le facteur capital. Le troisième élément est lié au financement au sens large, notamment au rôle du système bancaire. Dans le cadre de notre débat, d’autres éléments sont souvent avancés. D’abord, le problème de compétitivité de la France est souvent présenté comme celui de notre commerce extérieur. Nous n’acceptons pas cette approche mercantiliste, le solde excédentaire de notre balance commerciale ne pouvant pas être un objectif en lui-même. D’ailleurs, la « bonne performance » de l’Allemagne s’explique surtout par des éléments structurels et non par le seul compromis salarial des années 2000. En effet, non seulement sa modération salariale sévère a provoqué des reculs sociaux importants et des effets négatifs sur la demande intérieure, d’où l’ampleur de la récession dans ce pays, mais il a relevé d’une approche non coopérative dans l’espace européen.

On insiste dans le débat sur la nécessité de l’amélioration de la compétitivité-prix de nos exportations. Or, l’expérience française est éclairante de ce point de vue. Dans les années 1980, la politique de désinflation compétitive a été présentée comme la solution au déficit de notre commerce extérieur. Certes à l’époque, elle a permis à la France d’enregistrer un solde excédentaire, mais celui-ci n’a pu être consolidé dans la mesure où il n’était pas assis sur une base productive solide, comme la CGT l’avait expliqué. De ce fait, notre pays s’est retrouvé confronté dans les années 1990 à 2000 à des pertes importantes d’emplois et de compétences dans l’industrie, c’est-à-dire à une désindustrialisation. Pourtant, on nous propose encore de poursuivre cette politique de désinflation compétitive.

D’ailleurs, la pertinence de l’approche mercantiliste trouve une autre limite lorsque nous regardons à quoi sert l’excédent du commerce extérieur. Or, en France, il a été partiellement utilisé pour financer les sorties de capitaux. Enfin, dans le débat, une liaison est opérée entre l’amélioration de la compétitivité et le financement de la protection sociale. De ce point de vue, nous sommes totalement opposés à la « TVA sociale » car, en aggravant le problème du pouvoir d’achat, elle ne permettra pas de résoudre le problème de compétitivité et sera même contre-productive.

En conclusion, l’amélioration de l’efficacité globale du système productif est un impératif. Elle nécessite de renforcer nos capacités humaines, en termes de qualification et de formation des travailleurs, mais aussi les droits sociaux afin que les salariés puissent intervenir dans les choix stratégiques des entreprises.

Afin de faciliter l’accès au crédit bancaire, notamment pour les petites et moyennes entreprises, nous proposons la création d’un pôle financier public.

Nous pensons en outre indispensable d’intensifier l’effort en matière de recherche et développement.

Enfin, la question des relations entre les donneurs d’ordre et les entreprises sous-traitantes doit être traitée, en particulier, au regard des droits des salariés des secondes, qui devraient avoir le même niveau d’information, donc de consultation, que ceux des premiers.

M. le vice-président Jean-Claude Sandrier. Vous préconisez un pacte pour la solidarité plutôt qu’un pacte de compétitivité. Évacuez-vous la concurrence, dont on peut penser qu’elle est bénéfique, ou voulez-vous la réguler et de quelle manière, sachant que très peu de pays sont prêts à un revirement politique ?

Un prélèvement trop lourd sur le capital entraînerait une fuite des capitaux et une sous-capitalisation des entreprises. À l’inverse, un moindre prélèvement permettrait-il d’améliorer l’investissement dans les entreprises et dans l’économie réelle ?

M. Nasser Mansouri-Guilani. Nous n’ignorons pas les réalités de ce monde mais le postulat libéral selon lequel la concurrence est bénéfique à tout le monde est discutable.

La politique doit mettre en place des mécanismes pour contrer la problématique de mise en concurrence des travailleurs. Le législateur devrait instaurer des droits garantissant aux travailleurs la possibilité d’intervenir dans les choix stratégiques des entreprises, afin de promouvoir la coopération et la solidarité.

Nous sommes dans une économie mondialisée et, dans le cadre des comités de groupes européens et mondiaux, on pourrait développer les droits des salariés et de leurs représentants, de telle sorte que la stratégie de ces groupes ne soit pas assise sur la mise en concurrence des travailleurs dans les différents pays. Cette démarche permettrait d’aboutir à des schémas plus coopératifs.

Nous sommes également dans un contexte de globalisation financière. Certes, des mesures d’harmonisation, de coordination et de régulation aux niveaux européen et international s’imposent, mais cette nécessité n’interdit pas des mesures au niveau national. Or, au nom de la mondialisation et de la construction de l’Europe, de tels choix ne sont même pas envisagés.

L’hypothèse selon laquelle la réduction des prélèvements sur le capital entraînera une augmentation de l’investissement est discutable. En France, la réduction des prélèvements sur le capital depuis plusieurs années n’a pas entraîné une hausse notable du taux d’investissement des entreprises.

M. Pierre Morange, rapporteur suppléant. En tant que représentant d’une puissante centrale syndicale, vous nous faites part de la nécessité de prendre en compte la productivité globale. Il est incontestable que votre itinéraire personnel en tant que chef de service dans une grande banque centrale, puis économiste et enseignant, vous a confronté à la réalité du monde économique.

Cette réalité est que le marché mondialisé se traduit par un dumping fiscal et social qui est à la source des différentiels de compétitivité et de nombreux phénomènes de désindustrialisation. Parallèlement, la préservation de notre système de protection sociale, qui est une volonté partagée, nécessite une juste répartition des prélèvements et des dépenses entre chacun des membres d’une communauté nationale.

Le niveau européen pourrait être le plus pertinent. Le traité de Lisbonne avait d’ailleurs clairement fait référence à l’établissement de principes de flexisécurité permettant de concilier non seulement la flexibilité nécessaire à toute structure économique et financière dans le cadre de la compétition internationale, mais aussi la sécurité des travailleurs.

Comment expliquez-vous vos réserves concernant la « TVA sociale » ?

Que pensez-vous de la contribution sociale généralisée comme élément de financement de notre protection sociale ?

Enfin, quelle est votre réflexion sur notre système assurantiel de type bismarckien, sachant que le lien devient de plus en plus ténu entre le produit du travail et les prestations sociales ?

M. Nasser Mansouri-Guilani. La CGT n’est pas favorable à la flexisécurité. Nous pensons qu’il faudrait plutôt établir ce que nous appelons une « sécurité sociale professionnelle ». Il est nécessaire, non pas de jouer le rôle de « pompier social », mais d’assurer à chaque individu un droit à un emploi ou, à défaut, à une formation qualifiante lui permettant d’accéder à un emploi.

M. Pierre Morange, rapporteur suppléant. Dans le cadre de la mission d’information qui vous avait auditionné, j’avais fait évoluer l’idée de flexisécurité vers la notion d’assurance professionnelle.

M. Nasser Mansouri-Guilani. Pour nous, le travail est le facteur structurant de la vie sociale. Si l’on parvenait à résoudre le problème d’accès au travail pour l’ensemble des individus, on pourrait régler celui du financement de la protection sociale.

Dans les années 1990 et 2000, le taux de croissance moyen de la France a été divisé par 2 à 2,5. Face à ce problème d’affaiblissement de croissance potentielle, il convient de mettre en œuvre un nouveau mode de développement économique qui ne fasse pas du social un facteur d’ajustement comme cela a été alors le cas et comme on nous propose à nouveau de le faire jouer dans le cadre de ce débat sur la compétitivité. D’ailleurs, le « pacte euro plus » reviendrait à imposer encore plus de sacrifices aux travailleurs, notamment à ceux des pays du Sud de l’Europe.

Une croissance potentielle plus forte permettrait de dégager des ressources supplémentaires, mais aussi de réduire ce que nous appelons « les dépenses d’entretien de la crise ». C’est par cette voie que l’on réglera le problème et non par un recours à la fiscalité, dans la mesure où se poserait également le problème du manque de ressources. Cela reviendrait en outre à étatiser la protection sociale : il n’y aurait alors plus de place pour la gouvernance du système par les travailleurs et leurs représentants.

(M. Jean-Claude Sandrier, vice-président, remplace
le président Bernard Accoyer à la présidence de la séance)

M. Éric Woerth. Si vous étiez au gouvernement, quelles décisions prendriez-vous pour améliorer la compétitivité structurelle de l’économie française ?

M. Nasser Mansouri-Guilani. Le financement de notre économie est un problème crucial. Les petites et moyennes entreprises, en particulier, peinent à accéder au crédit bancaire. Notre système bancaire ne finance pas suffisamment l’investissement productif au sens large, y compris en termes de recherche et développement, de qualification des travailleurs, etc. C’est pourquoi nous suggérons que l’on crée, par la mise en réseau des établissements financiers, un pôle financier public qui permettrait à la puissance publique de disposer d’un pouvoir d’intervention. Il s’agirait, par exemple, de profiter du potentiel d’entités comme la Banque de France, la Banque postale, la Caisse des dépôts et consignations, OSÉO, etc.

Nous préconisons également l’instauration d’un système de bonification des crédits bancaires grâce, par exemple, à la création de fonds régionaux.

Ensuite, comme l’a montré la Cour des comptes, les aides accordées aux entreprises au nom de l’emploi et de l’investissement représentent des sommes importantes, plusieurs dizaines de milliards d’euros. Le crédit impôt recherche, par exemple, coûte des milliards d’euros au budget de l’État, mais n’est pas suffisamment performant : il ne bénéficie pas nécessairement à l’industrie, ni aux petites et moyennes entreprises. Nous suggérons donc un meilleur usage de ces aides. Pour ce faire, nous pensons que les représentants des salariés, mais aussi les élus devraient avoir le droit, en amont, de définir les critères d’attribution et, en aval, de décider de la façon dont elles sont utilisées.

M. Gérard Cherpion. La compétitivité est liée aux charges prélevées sur les entreprises.

Faut-il revoir les éléments de calcul de ces charges ? Celles qui sont liées à la politique familiale doivent-elles être prélevées sur les entreprises ou d’une autre manière ?

M. Nasser Mansouri-Guilani. Il y a le discours et la réalité.

La contribution des employeurs à la sécurité sociale a diminué. Les prélèvements sur la part salariale ont, eux, augmenté. Autrement dit, les exonérations accordées aux employeurs ces dernières années n’ont pas réglé le problème de la compétitivité.

Preuve est faite que le problème structurel de la compétitivité n’est pas lié à la notion de charges sociales sur les entreprises.

Je le redis : le problème n’est pas seulement microéconomique, il est aussi macroéconomique. L’ensemble des politiques devrait permettre d’améliorer l’efficacité globale de notre système productif, par exemple, en établissant des liens entre l’industrie et le système financier.

M. le vice-président Jean-Claude Sandrier. Je vous remercie.

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend ensuite, en audition ouverte à la presse, Mme Véronique Descacq, secrétaire nationale en charge des dossiers de la politique de protection sociale et de la politique économique de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et M. Philippe Le Clézio, secrétaire confédéral.

Mme Véronique Descacq, secrétaire nationale en charge des dossiers de la politique de protection sociale et de la politique économique de la CFDT. Ma présentation tient en cinq points principaux.

En premier lieu, le défaut de compétitivité de l’industrie française n’est pas essentiellement lié aux éléments de coût – salariaux ou de protection sociale – mais aux éléments hors coûts constitués par le manque de recherche ou d’innovation, de qualification, d’organisation et d’orientation des filières.

Pour autant, la question du coût du travail se pose dans certains cas : lorsqu’il n’existe pas de salaire minimum chez nos concurrents, allemands notamment ; dans des filières industrielles ou de services où l’offre n’est pas encore solvabilisée, comme dans les start-up, les nouvelles technologies ou les services à la personne ; ou s’agissant de la rémunération des salariés sans qualification ou à faible niveau de qualification.

Pour la CFDT, les allègements de coût du travail devraient être plus ciblés, et conditionnés à certaines exigences, et répondre à des objectifs de formation et de qualification, de pouvoir d’achat et d’emploi à temps plein notamment.

En deuxième lieu, il existe déjà de nombreux dispositifs d’allègements du coût du travail, désordonnés et jamais ou rarement évalués. Il s’agit en particulier des exonérations « Fillon », de la défiscalisation des heures supplémentaires et des dispositifs de défiscalisation pour les services d’aide à la personne. Il est difficile d’en mesurer l’efficacité réelle tant sur la compétitivité que sur l’emploi et le pouvoir d’achat.

La CFDT estime qu’il faudrait mettre un terme à cet empilement désordonné, évaluer ce qui donne des résultats, ce qui suscite des effets d’aubaine, et étudier les effets pervers de certains dispositifs, en particulier les trappes à bas salaire, ou la désincitation à l’embauche à temps plein.

En troisième lieu, mieux partager les revenus et améliorer l’efficacité de la protection sociale sont non seulement des impératifs de justice et de cohésion sociales, mais aussi d’efficacité économique. Il convient, d’une part, de promouvoir une économie de la connaissance, de la haute technologie, du développement durable et, d’autre part, de solvabiliser les emplois de service. Une telle conversion passe par une amélioration du niveau de vie, laquelle exige une meilleure protection sociale.

Il faut sortir de la mécanique duale, qui, d’un côté, maintient les minima sociaux, et, de l’autre, permet aux hauts revenus de capter une grande partie de la valeur ajoutée dans certains secteurs. Il résulte de cette distorsion que l’essentiel du coût de la charge du financement de la protection sociale, comme d’ailleurs de la fiscalité, pèse sur les classes moyennes. Cette situation porte en germe un sentiment de rejet vis-à-vis de la protection sociale, dont le caractère universel est mis en doute. Il faut donc revoir ce financement dans le sens d’une plus grande équité et d’une plus grande progressivité des prélèvements.

En quatrième lieu, on ne peut pas disjoindre la question du financement de celle des garanties offertes par la protection sociale. Les besoins de celle-ci risquent de croître, quels que soient les efforts mis en œuvre pour maîtriser les coûts, en matière de santé du fait du vieillissement de la population. Il faut dès lors repenser le niveau et le contenu des garanties : veut-on notamment maintenir des garanties très contributives ou au contraire les réduire au profit d’une plus grande solidarité ?

Face à ces défis, il faut réfléchir au financement. Les financements ne doivent pas brider la croissance, remettre en cause la cohésion sociale et traiter le problème de la dette.

On pourrait transférer une partie des cotisations vers la contribution sociale généralisée (CSG) en ce qui concerne la santé et la famille, sachant que des contreparties doivent être prévues. Ainsi, le transfert total des cotisations de santé vers la CSG ne peut se faire que si on règle avec les employeurs la question de la pénibilité du travail. De même, s’agissant de la famille, ce transfert doit s’accompagner d’une réflexion sur l’organisation du travail, notamment sur la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle et le droit de garde : une entreprise choisissant par exemple d’avoir des horaires décalés pourrait être responsabilisée compte tenu des modes de garde qui en découlent.

La fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu présente des avantages, mais nous sommes opposés à une réforme qui ferait disparaître la sanctuarisation du financement de la protection sociale. Si cette fusion devait avoir lieu, il faudrait conserver deux mécanismes suffisamment différents pour garder la maîtrise des ressources de la protection sociale.

Nous sommes par ailleurs contre l’instauration d’une « TVA sociale ». D’abord, parce que nous doutons de son efficacité économique – cette mesure ne marche qu’une fois et offrirait des marges de manœuvre limitées par rapport à nos principaux concurrents. De plus, elle pénalise les personnes ayant les revenus les plus faibles, qui consomment la totalité de ceux-ci.

Nous sommes en revanche favorables à une réforme globale de la fiscalité qui se traduirait par une suppression du quotient conjugal et une forfaitisation du quotient familial – préalables indispensables à une refonte des tranches d’imposition de l’impôt sur le revenu –, une progressivité plus grande de ces tranches, et une révision de la fiscalité de l’épargne, tendant à supprimer les prélèvements libératoires et à encourager une épargne longue.

M. Jean-Claude Sandrier, président. Est-il possible d’inverser la tendance à la désindustrialisation de notre pays – laquelle a une incidence évidente sur notre compétitivité ? Le pacte de compétitivité européen peut-il concourir à améliorer la compétitivité de l’économie française ?

Vous avez déploré que les classes moyennes soient largement mises à contribution pour le financement de la protection sociale – ce qui est vrai ; or, vous souhaitez renforcer la part de la CSG, qui concerne l’ensemble des classes sociales et sort le financement de la protection sociale du lieu de la création de richesse, c’est-à-dire des entreprises : n’est-ce pas contradictoire ?

M. Hervé Novelli. Depuis la Libération, le financement de la protection sociale repose sur les cotisations portant sur les revenus du travail. Cela était justifié à l’époque par le fait que l’essentiel des besoins de protection sociale concernait les salariés. Il en a découlé une gestion paritaire des organismes de sécurité sociale entre le patronat et les salariés. Or, depuis quelques années, notamment avec la création de la CSG, la part des cotisations sur les salaires dans le financement de la protection sociale diminue au point d’en représenter 70 % environ, au lieu de la totalité initialement.

Si l’on renonce à l’assiette salariale, il faudra remettre en cause le paritarisme, qui n’aurait dès lors plus de raison d’être. Envisageriez-vous dans ce cas de ne plus participer à la gestion des caisses ?

Quant au transfert des cotisations vers la contribution sociale généralisée ou la taxe sur la valeur ajoutée, il demande au préalable de faire la distinction entre les dépenses assurantielles et les dépenses de solidarité, ce qui n’a pas été fait. Une telle réforme implique un changement complet de philosophie et de régime.

Mme Véronique Descacq. On peut préserver une industrie en France, à condition de faire le contraire de ce qu’on a fait jusqu’à présent.

En soutenant un travail rémunéré au salaire minimum ou proche de celui-ci, les entreprises ont été encouragées à ne pas assez payer et former leurs salariés. Ce faisant, on a tiré l’industrie vers le bas, même si le manque d’organisation des filières industrielles et d’investissement dans la recherche et l’innovation a également joué un rôle. Il faut régler ce problème de manière coordonnée avec nos partenaires européens, en particulier s’agissant de l’organisation des filières industrielles.

Il convient par ailleurs de mettre fin au dogme selon lequel la compétitivité est exclusivement liée au coût du travail. En opérant des allègements généraux, non ciblés – sans considérer les filières ni la concurrence des autres pays –, un mécanisme infernal de bas salaires et de faibles qualifications a été enclenché et a empêché notre économie de s’adapter aux exigences de compétitivité.

Le pacte de compétitivité européen a le défaut de trop se focaliser sur la question du coût du travail. Ce n’est pas ainsi que nous serons en mesure de battre les pays émergents dans la compétition internationale.

S’agissant de la protection sociale, nous souhaitons bien distinguer ce qui relève du volet contributif et ce qui relève de la solidarité. Ce travail préalable est effectivement nécessaire. Il est hors de question de transférer vers la contribution sociale généralisée des cotisations servant à financer des revenus de remplacement, comme l’assurance chômage ou la retraite. Si les politiques familiales relèvent en grande partie de la solidarité, ce n’est pas toujours le cas. Le Haut conseil de la famille a engagé un travail intéressant sur ce point : il faut examiner avec plus de finesse l’architecture d’ensemble de ces politiques. Il convient de différencier les risques et, pour chacun d’eux, distinguer ce qui peut être transféré vers les dépenses de solidarité et ce qui doit rester de la responsabilité des employeurs.

M. Hervé Novelli a rappelé que tous nos régimes de protection sociale sont issus du travail : au cours de l’histoire, des compromis entre les salariés et les employeurs ont conduit à considérer qu’il fallait sécuriser les parcours de vie des premiers – et ce, bien avant le Conseil national de la Résistance –, les uns et les autres y trouvant un intérêt. Les allocations familiales trouvent notamment leur source dans le souhait du patronat de limiter des revendications salariales généralisées. On ne peut donc dissocier financement de la protection sociale et travail. Mais, depuis le XIXe siècle et la Libération, de nouveaux risques et de nouvelles niches de pauvreté sont apparus, engendrant de nouveaux besoins de solidarité. Ceux-ci exigent effectivement de nouveaux modes de financement et de nouvelles ressources, qui ne peuvent reposer seulement sur les revenus du travail. Le débat sur la dépendance en est un exemple. Nous souhaitons d’ailleurs que l’on recoure à un financement plus universel en la matière.

Le paritarisme doit être conservé parce que le lien entre le travail et le financement de la protection sociale demeure, soit en raison de la persistance de régimes essentiellement ou partiellement contributifs, soit du fait de notre légitimité à représenter les salariés en tant que bénéficiaires des prestations. D’ailleurs, le paritarisme a largement évolué depuis la création de la contribution sociale généralisée.

Se pose aussi la question, trop négligée, de la sécurisation des parcours professionnels, laquelle suppose par définition un haut niveau de protection sociale.

M. Philippe Le Clézio, secrétaire confédéral chargé de la fiscalité et du financement de la protection sociale de la CFDT. Le différentiel de coût horaire du travail entre la France et l’Allemagne n’est pas dû à une dérive de notre pays mais aux réformes entreprises outre-Rhin pour réduire ce coût et dont a pâti l’ensemble des autres pays européens.

Mais en termes de coût par unité produite, la France est beaucoup mieux placée que des pays comme l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni.

Le rapport de la Cour des comptes sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne a montré qu la France a, pendant plusieurs décennies, pu pallier les faiblesses de notre industrie par des mesures extérieures au coût du travail, telles que la dévaluation. Avec la mise en place de l’euro, nous ne pouvons plus y recourir.

Parallèlement, le rapport du Coe-Rexecode publié au début de l’année, sur la divergence de compétitivité entre la France et l’Allemagne, souligne qu’au-delà du coût du travail, la compétitivité de notre économie tient à d’autres facteurs, concernant en particulier à l’organisation de notre industrie.

Lorsque je travaillais au ministère de l’industrie, voici trente-cinq ans, on invoquait déjà à peu près les mêmes facteurs, à savoir l’insuffisance de montée en gamme, de recherche, d’innovation et de formation notamment. À cet égard, l’instauration d’une « TVA sociale » n’améliorerait que ponctuellement le coût du travail, mais ne résoudrait pas les problèmes de fond.

Mme Véronique Descacq. Dans un document, qui devrait être publié très prochainement, portant sur la compétitivité, le coût du travail et le financement de la protection sociale, les partenaires sociaux – MEDEF, CFDT, CGC et CFTC – se sont accordés à dire que d’autres facteurs que le coût du travail devaient être pris en compte.

M. Pierre Morange. Nous sommes heureux – bien qu’étonnés – de ce consensus en forme d’« union sacrée » entre le MEDEF et les centrales syndicales et avons hâte de lire ce document.

Dans quelle mesure la réglementation du travail en France explique-t-elle le différentiel de compétitivité avec l’Allemagne ? Qu’en est-il en particulier des dispositifs de sécurisation des parcours professionnels, de la formation initiale et continue, qui sont plus étoffés outre-Rhin ?

Mme Véronique Descacq. Le document adopté par les partenaires sociaux ne résulte pas d’une « union sacrée » mais du produit normal du dialogue social, ce qui lui confère d’autant plus d’intérêt.

Les partenaires sociaux ont commencé un travail important sur la modernisation du marché du travail, qui a déjà porté ses fruits, tant en termes de souplesse – avec le dispositif de rupture conventionnelle – que de sécurisation.

Nous allons ouvrir le deuxième volet du débat sur la modernisation du marché du travail. Il faut permettre aux entreprises de reconvertir leurs salariés en favorisant la mobilité géographique et professionnelle tout en faisant en sorte, en contrepartie, que ceux-ci se sentent sécurisés. Les discours tendant à souligner le coût élevé de la protection sociale ou à vitupérer la fraude ne sont pas de nature à les rassurer sur la pérennité du système de protection sociale. Il revient au contraire aux partenaires sociaux comme aux parlementaires de donner confiance aux salariés et aux citoyens dans la solidité de ce système. Sinon, on risque d’encourager chacun à se crisper sur sa position et à le dissuader d’évoluer.

Nous souhaitons par exemple aller plus loin dans la mutualisation de la formation professionnelle et mettre en œuvre des moyens de financement plus transversaux à cet effet, pour permettre aux salariés d’envisager des parcours professionnels entre les filières de même qu’entre le chômage, l’emploi et la formation, sans risquer de perdre par exemple leur assurance complémentaire santé ou leur droit individuel à la formation.

Il faut donc approfondir le travail engagé en 2008 dans le cadre de l’accord sur la modernisation du marché du travail. Nous souhaitons également que dans les prochaines étapes de l’agenda social, nous avancions davantage sur la formation professionnelle mais aussi, s’agissant des complémentaires santé, sur la portabilité des droits et de nouveaux systèmes de mutualisation du financement permettant une accessibilité plus large aux personnes recherchant un emploi ou en formation.

M. Pierre Morange. La représentation nationale réfléchit aussi à ces questions, compte tenu des quelque 500 milliards d’euros alloués au financement du système sanitaire et social. Par ailleurs, je rappelle que j’ai présenté l’an dernier un rapport d’information sur la flexisécurité à partir d’un travail sur le concept d’assurance professionnelle dans une approche de mutualisation des prestations et de portabilité des droits, passant ainsi d’une logique de statut à une logique de droits.

M. Hervé Novelli. Le différentiel de compétitivité avec l’Allemagne n’est-il pas dû à d’autres facteurs que les réformes structurelles menées dans ce pays dans les années 2000 ? La réduction du temps de travail conduite en France à la même époque et la politique d’unification des SMIC – qui s’est traduite par une augmentation du SMIC et a pesé sur l’échelle des salaires – n’y ont-elles pas contribué ?

La politique d’allègement des charges, commencé dans les années 1990 avec le gouvernement d’Édouard Balladur, coûte aujourd’hui plus de vingt milliards d’euros, pour une efficacité relative : ne faut-il pas la repenser ?

Mme Véronique Descacq. S’agissant de la réduction du temps de travail, vous aurez du mal à convaincre la CFDT qu’elle a nui à notre compétitivité. De tels propos relèvent du slogan. Je rappelle que malgré les tentatives de la remettre en cause, la réduction du temps de travail a été conservée dans les entreprises.

L’unification des SMIC est une des conséquences de la réduction du temps de travail, mais cela ne saurait remettre en cause à nos yeux le principe de cette réduction, qui est une avancée pour les salariés. D’ailleurs, ceux-ci y sont très attachés. Toutes les enquêtes d’opinion le prouve.

Sans le SMIC, on n’arrive pas, au travers des négociations de branche, à avoir des politiques salariales suffisamment dynamiques pour donner de la visibilité aux salariés sur leurs évolutions professionnelles. Le problème du SMIC ne tient pas à son coût, mais au fait qu’on y reste toute la vie, les grilles de classification n’étant pas suffisamment négociées dans les branches et les minimums de branche n’évoluant pas eux-mêmes de façon dynamique et stimulante.

De surcroît, en France, les employeurs sont réticents à faire progresser un salarié dans la grille de rémunération et de classification en fonction de son parcours professionnel, de sa formation et de l’acquisition des compétences.

Beaucoup de salariés ont ainsi le sentiment d’avoir des difficultés à progresser dans leur rémunération, la reconnaissance de leur expérience et de leurs qualifications, et qu’ils supportent seuls le coût de la protection sociale et de la fiscalité, lequel est insuffisamment redistribué.

Le Premier ministre nous a interrogés sur la barémisation de l’allègement des charges. Nous y sommes opposés car nous estimons qu’il faut d’abord évaluer les effets de celui-ci par secteurs – certains ayant bénéficié d’effets d’aubaine, d’autres donnant lieu à des phénomènes contre-productifs comme les trappes à bas salaires. Il serait souhaitable de conditionner cet allègement en fonction des secteurs, au regard, par exemple, d’un effort de formation répondant à un besoin particulier de reconversion dans un domaine donné.

Par ailleurs, dans certains secteurs, l’activité est réduite et le temps partiel contraint. Cela conduit certaines familles – monoparentales notamment – à des situations de pauvreté. Il convient donc de conditionner aussi l’allègement des charges à l’emploi à temps plein. Nous réfléchissons d’ailleurs à des propositions de financement de la protection sociale, notamment pour l’assurance chômage, incitant à l’embauche à plein temps.

M. Philippe Le Clézio. Les questions des 35 heures et de l’allègement des charges – qui représente un peu plus de 22 milliards d’euros portant sur des salaires compris entre 1 et 1,6 fois le SMIC – sont indissociables et doivent être traitées en même temps.

L’effet des 35 heures sur la compétitivité des entreprises françaises a été largement amorti par l’allègement des charges sociales. Je rappelle à cet égard que le temps de travail en Allemagne est toujours inférieur au temps de travail en France.

S’agissant du différentiel de compétitivité coût avec l’Allemagne, il résulte d’un socle industriel bien meilleur et deux fois plus important qu’en France, dont les réformes engagées après la réunification ont accru les performances. La spécialisation de ce pays sur les biens d’équipement lui permet notamment d’être mieux placée dans la concurrence internationale pour répondre aux besoins des pays émergents au sortir de la crise.

Mais l’envers de la médaille est constitué par la forte croissance des « minijobs » outre-Rhin, qui correspondent à des emplois précaires et mal payés. Et c’est en Allemagne que le taux de pauvreté s’est le plus accru au cours des cinq dernières années en Europe, avec une augmentation de 20 %.

M. Hervé Novelli. Les 10 milliards d’euros d’allègement de charges tendant à compenser la perte de compétitivité liée à la réduction du temps de travail vous paraissent-ils encore justifiés aujourd’hui, au regard notamment des progrès d’organisation et de productivité de l’économie française ?

M. Jean-Claude Sandrier, président. S’agissant du partage des revenus, que pensez-vous de la question du décalage entre la rémunération du travail et celle du capital ?

Mme Véronique Descacq. On observe un décalage certain entre la fiscalité du travail et celle du capital. Nous souhaitons que la seconde ne soit pas plus favorable que la première. À cet égard, nous préconisons la suppression des prélèvements libératoires sur les placements financiers.

Nous rejoignons globalement les observations du rapport Cotis sur le partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail. S’il n’y a pas de déformation considérable dans cette répartition, se pose, à l’intérieur même du salariat, la question de la rémunération des dirigeants, mais aussi celle des métiers de la finance, où on a l’impression qu’une extrême minorité des salariés – 0,01 % d’entre eux – profite de sa situation pour déformer à son avantage le partage de la valeur ajoutée des entreprises. Cet état de fait n’est plus tolérable pour des raisons économiques – on a vu sa part dans la crise financière –, mais aussi de cohésion sociale, dans le pays comme à l’intérieur des entreprises. Elle est malsaine et participe au sentiment d’exaspération et de déclassement des couches moyennes.

Le partage de la valeur ajoutée doit être réalisé en fonction de toute la chaîne de production, de l’entreprise maison mère au fournisseur, en passant par les sous-traitants et l’ensemble des parties prenantes. La question du partage de la valeur ajoutée se pose aussi dans l’entreprise au travers des négociations salariales, qui doivent être plus dynamiques. Enfin, elle se pose pour l’État dans le cadre de la politique fiscale globale, qui devrait être plus progressive.

M. Philippe Le Clézio. Nous sommes favorables à une réorientation des allègements de charges. La réorganisation du travail a, en dix ans, produit beaucoup de gains de productivité et d’effets d’aubaine dans certaines branches. Mais cette réorientation doit se faire de façon progressive ; elle doit aussi reposer sur des contreparties, par exemple en termes de formation ou de reconnaissance des qualifications, même si ce n’est pas toujours simple.

Mme Véronique Descacq. Il faut veiller notamment aux emplois non qualifiés. Une remise en cause trop brutale des allègements pourrait avoir des effets négatifs sur ces emplois ainsi que sur certains secteurs tels que les services d’aide à la personne. Elle doit être conduite avec mesure et assortie de certaines conditions.

M. Jean-Claude Sandrier, président. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 1er juin 2011 à 16 heures

Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Gérard Cherpion, M. Pierre Morange, M. Hervé Novelli, M. Jean-Claude Sandrier, M. Éric Woerth

Excusés. – M. Jérôme Cahuzac, M. Pierre Méhaignerie