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Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale

Mercredi 15 juin 2011

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Bernard Accoyer, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation

– Présences en réunion

MISSION D’INFORMATION SUR LA COMPÉTITIVITÉ DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

Mercredi 15 juin 2011

La séance est ouverte à seize heures dix.

(Présidence de M. Bernard Accoyer, président de la Mission d’information)

La Mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale entend, en audition ouverte à la presse, M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Au préalable, je vous prie d’excuser Mme Christine Lagarde, qui, ne pouvant participer à cette audition, m’a demandé de la remplacer.

Je voudrais également féliciter l’Assemblée nationale d’avoir créé une mission d’information sur un sujet d’une importance majeure pour le Gouvernement et pour l’ensemble de l’économie française. Il est essentiel que tous les acteurs économiques puissent participer à la définition de notre politique économique, en abordant tous les sujets, sans tabou.

Si un consensus semble à notre portée sur le constat, il y aura certainement débat sur les solutions. À cet égard, je salue la contribution que plusieurs syndicats et le patronat ont apportée conjointement, sous la forme d’un document intitulé « Approche de la compétitivité française », dont je partage un certain nombre de conclusions.

Plusieurs études ont mis en évidence un décrochage de la France par rapport à l’Allemagne, en termes de compétitivité et de performances à l’exportation, dans les années 2000. Il convient toutefois de préciser que, si la France a perdu des parts de marché, elle l’a fait à peu près au même rythme que le reste de la zone euro, hors Allemagne.

Si notre compétitivité prix s’est moins dégradée que notre compétitivité coût – sur la période 2000-2008, la première a baissé de 5 %, la seconde de 15 % –, c’est au prix d’un effort important de nos entreprises sur les marges à l’exportation, qui a pesé sur leurs capacités financières ; le recul de 1,3 point du produit intérieur brut (PIB) de la France est à rapporter à la progression de 6,8 points de celui de l’Allemagne. La bonne santé financière des entreprises allemandes leur a probablement permis d’augmenter leurs dépenses en recherche et développement et, plus généralement, d’améliorer leur compétitivité hors prix.

Au fond, en matière de compétitivité, l’exception serait plutôt l’Allemagne. Cette observation ne nous autorise cependant pas à évacuer le problème. Bien que nous disposions de secteurs économiques très dynamiques à l’exportation, comme l’aéronautique, l’agroalimentaire ou le secteur de la santé et de la pharmacie, l’effritement de nos performances dans ces domaines montre que nous avons du pain sur la planche !

Le décrochage de la France par rapport à l’Allemagne s’explique aussi par l’évolution divergente des coûts salariaux. Dans l’industrie manufacturière, le coût salarial horaire est désormais à un niveau quasiment identique dans les deux pays : environ 33 euros en 2008. Mais il faut intégrer dans l’analyse le fait que ces entreprises recourent à des services ; or, dans cette branche, le coût salarial horaire est plus élevé en France – 32 euros – qu’en Allemagne – 26 euros.

Sur la base de ce constat, comment peut-on améliorer la compétitivité de l’économie française ? Il convient de replacer la question dans un contexte plus large.

Le modèle économique allemand a dû faire face, dans les années 1990, au choc de la réunification, qui a provoqué une augmentation des salaires réels beaucoup plus rapide que dans notre pays ; à l’inverse, l’Allemagne a mené, dans les années 2000, une politique de modération salariale. La France a connu une évolution plus conforme à celle de ses autres partenaires économiques.

Par ailleurs, la question du pouvoir d’achat ne peut être balayée d’un revers de la main. Dans notre pays, la consommation a toujours été le moteur de la croissance – y compris dans la période difficile que nous venons de traverser, avec une crise économique mondiale sans précédent. Or, si la divergence des rythmes de progression des salaires en France et en Allemagne a eu des effets négatifs sur notre compétitivité, elle a permis de soutenir durant la crise de 2008-2010 le pouvoir d’achat des ménages français, qui a continué de progresser malgré l’ampleur de la récession mondiale.

Cela est dû, non seulement au plan de relance, dont les mesures ont été ciblées sur les ménages les plus modestes, mais également à la loi de modernisation de l’économie qui a permis à la France d’avoir de meilleurs résultats que l’Allemagne en matière d’évolution des prix. Ainsi, la hausse des prix à la consommation des produits alimentaires est, en glissement annuel, de 0,8 % en France entre février 2010 et février 2011, contre 2,5 % en Allemagne et 2 %, en moyenne, dans la zone euro. Le résultat a été que, durant la crise, le pouvoir d’achat s’est mieux tenu en France que dans le reste de la zone euro, où il était en légère régression.

Il a été émis l’idée d’un transfert de la charge du financement de la protection sociale du travail vers la consommation ; c’est un débat qu’il faut avoir, car, comme je l’ai dit, il ne peut y avoir de sujet tabou. Cependant, le Gouvernement doit prendre en considération le rôle joué par la consommation dans notre pays, ainsi que les attentes de nos compatriotes en matière de pouvoir d’achat. Une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée provoquerait obligatoirement une hausse des prix, ce qui aurait un impact négatif sur le pouvoir d’achat des ménages. Dans le contexte actuel, marqué par un risque inflationniste lié au contexte international, il ne me semble pas opportun de s’engager dans cette voie.

Par ailleurs, avec l’adoption du projet de loi de finances rectificative, nous venons d’achever une longue séquence dominée par d’importantes réformes fiscales et sociales. Nos entreprises aspirent à la stabilisation de leur cadre d’activité – c’est une demande récurrente de leur part. Il convient de ne pas changer en permanence les règles du jeu. En outre, plusieurs dispositions incluses dans la réforme de la fiscalité du patrimoine concourront au renforcement de la compétitivité de notre économie.

En premier lieu, le Gouvernement a veillé à répondre au besoin de financement des petites et moyennes entreprises, ainsi qu’à la nécessité de renforcer leurs fonds propres et de stabiliser l’actionnariat familial, de manière à éviter les délocalisations. L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été en grande partie responsable du départ de certaines de nos entreprises hors du territoire national, de leur vente, ou de leur faible croissance, faute d’investissement suffisant – autre différence avec le système économique allemand. C’est pourquoi nous avons décidé de laisser inchangé le dispositif de réduction de cet impôt pour souscription au capital d’une PME – qui a permis près d’1,4 milliard d’euros d’investissements dans les petites et moyennes entreprises en 2010 –, tout en allégeant le barème de l’ISF.

Par ailleurs, nous avons assoupli le régime des « pactes Dutreil », qui prévoit, en cas de signature d’un engagement de conservation des titres d’une société, une exonération de 75 % des droits de succession ou de donation, ainsi que de l’impôt de solidarité sur la fortune applicable aux titres concernés : l’entrée de nouveaux actionnaires dans les pactes sera facilitée et les avantages fiscaux seront maintenus en cas de sortie d’un actionnaire.

La suppression de la taxe professionnelle, impôt antiéconomique dont les bases risquaient de s’effriter à moyen terme, et son remplacement par un financement plus stable et plus dynamique contribueront également à améliorer la compétitivité de nos entreprises. Cette réforme sans précédent, qu’aucun gouvernement n’avait osé entreprendre, a été saluée par le Fonds monétaire international, par l’Organisation de coopération et de développement économique et par la Commission européenne. Elle permet d’alléger de quelque 4,7 milliards la charge fiscale globale des entreprises, en priorité au bénéfice des PME et des entreprises industrielles, avec des allégements de charges allant jusqu’à 40 % voire 60 % dans certains secteurs.

En lançant la révision générale des politiques publiques (RGPP), le Président de la République souhaitait simplifier et réorganiser notre administration. Dès que j’ai été nommé, j’ai décidé d’instituer, dans chaque département, un « correspondant PME » – à qui j’ai demandé de réaliser un stage en entreprise –, et j’ai lancé des « Assises de la simplification » ; inutile de vous dire que les premières réunions ont provoqué quelques sourires ironiques chez les acteurs économiques : le coup de la simplification, on leur avait déjà fait plusieurs fois ! Et pourtant, je n’ai pas sorti des projets tout faits des tiroirs de l’administration : les quatre-vingts décisions qui ont été présentées le 29 avril dernier répondent vraiment aux attentes des acteurs Elles résultent d’une démarche nouvelle, à laquelle ont été associés tant le Parlement que le secteur économique. D’ailleurs, le président Jean-Luc Warsmann – à qui le Président de la République a confié une mission de simplification – et M. Jean-Michel Aulas ont coprésidé ces assises. Bref, le 29 avril, les acteurs économiques n’arrivaient pas à y croire : on annonçait enfin des mesures qu’ils réclamaient en vain depuis des années !

Il m’est impossible de toutes les citer. Une circulaire, parue il y a quelques jours, prévoit qu’à partir du 1er octobre prochain, les textes réglementaires concernant les entreprises n’entreront en vigueur que deux fois par an, le 1er janvier et le 1er juillet ; alors que, lors des discussions interministérielles, cette mesure s’était initialement heurtée à une opposition, tout le monde s’y est finalement rallié et travaille à la rendre applicable au jour dit ! Les acteurs économiques et les salariés se plaignaient de ne rien comprendre aux bulletins de paye : à partir du 1er janvier prochain, leur nombre de lignes sera divisé par deux. Au titre des investissements d’avenir, on étudie la mise en place d’une « armoire sécurisée numérique », qui permettra aux acteurs économiques de ne donner qu’une fois par an des informations sur leur entreprise. Enfin, la déclaration sociale nominative permettra de remplacer les trente déclarations différentes aujourd’hui requises.

Toutes ces dispositions permettront d’améliorer la compétitivité de notre économie, notamment par rapport à l’Allemagne. À l’occasion de ces Assises, de nombreux acteurs économiques m’ont signalé que la transposition des directives européennes était souvent plus compliquée en France qu’en Allemagne. Il serait bon de renforcer la cohérence entre les pays européens dans ce domaine.

Au total, le cabinet Ernst & Young estime que ces mesures permettront de rendre aux acteurs économiques l’équivalent de 1 milliard d’euros ; chaque fois que l’on supprime une déclaration sociale, cela représente une économie de 27 millions d’euros pour le secteur concerné !

On pourrait évoquer aussi le crédit d’impôt recherche, qui, dans toutes les enquêtes, est cité comme la première source d’attractivité de la France. Les entreprises allemandes ont pu investir dans la recherche et le développement grâce à leurs marges élevées. Nous, nous avons décidé de mettre en place un crédit d’impôt de 30 % des dépenses de recherche et développement jusqu’à 100 millions d’euros, et de 5 % au-delà de ce montant ; les entreprises entrant pour la première fois dans le dispositif bénéficient d’un taux de 40 % la première année, puis de 35 % la deuxième année. Cette mesure a eu des effets significatifs sur le niveau d’investissement en recherche et développement ; comme 1 euro investi génère une augmentation de 2 euros du produit intérieur brut dans un délai de quinze ans, elle contribue à créer des emplois, du pouvoir d’achat et des ressources pour les collectivités publiques. En 2008, 3 000 entreprises ont bénéficié du dispositif, dont 60 % n’avaient pas d’activité de recherche et développement auparavant. Les PME, qui représentent les deux tiers des nouveaux entrants, sont les principales bénéficiaires de la réforme. L’Allemagne commence d’ailleurs à s’intéresser à cet outil.

Avec le Grand emprunt, le Gouvernement a là encore fait le choix d’investir dans l’avenir, ce qui pouvait paraître risqué au moment de la crise. La contribution de l’État s’élève à 35 milliards d’euros, mais, si l’on tient compte du secteur privé, ce sont au total 60 milliards d’euros qui seront investis, parfois dans l’humain, massivement dans le numérique, dans le développement durable, et, plus généralement, dans tout ce qui concerne la recherche et l’enseignement supérieur. Cela aussi peut contribuer à réduire l’écart de compétitivité avec l’Allemagne.

Nous avons eu raison d’aller jusqu’au bout de la réforme des retraites : l’INSEE l’a montré, il s’agit d’un facteur de compétitivité pour notre pays. Nous ne pouvions pas regarder nos voisins allemands faire des réformes sans réagir ! L’INSEE table aujourd’hui sur une augmentation continue de la population active jusqu’en 2060, alors que les projections précédentes prévoyaient une stagnation.

Enfin, il est essentiel de parvenir à une meilleure maîtrise de la dépense publique, comme les ministres du budget successifs s’y sont employés. Le désengagement de l’État est un facteur important d’amélioration de la compétitivité de notre économie.

J’espère vous avoir convaincu qu’il existe de multiples leviers permettant de réduire l’écart de compétitivité existant entre la France et l’Allemagne – qui est le meilleur élève de la zone euro. Soyez assurés que, depuis quatre ans, le Gouvernement s’applique à tous les utiliser.

M. Paul Giacobbi. J’approuve globalement ces propos.

Cela étant, on a trop tendance à parler de la compétitivité-coûts alors que cette approche est très partielle et sans grande signification économique – à moins que l’on ne considère que le Soudan est le pays le plus compétitif au monde et que la Suède est un pays très défavorisé.

S’agissant de la compétitivité-prix, je rappelle que le prix résulte de nombreux facteurs, dont la variation des changes nette des différentiels d’inflation. C’est ainsi qu’un abaissement de prix de 20 % peut en réalité, sur une durée courte, dépasser ce taux.

La compétitivité des territoires doit également être relativisée. On peut attirer de très nombreuses entreprises mais très peu de valeur ajoutée et assez peu d’emplois : ce sera le cas, par exemple, s’il s’agit de sièges sociaux et non d’unités de production, ou encore s’il y a beaucoup d’input pour beaucoup d’output. Ce qui compte, en dernière analyse, est la concurrence dans la localisation de la valeur ajoutée. À cet égard, on peut se demander si l’Allemagne localise autant de valeur ajoutée que cela. À l’inverse, la Chine en localise beaucoup, mais pour le compte d’entreprises dont le siège est en général au Japon.

Des travaux que j’ai menés à ce sujet, il ressort trois traits dominants concernant la France.

Premièrement, on nous reproche de ne pas être favorables à l’entreprise : les Français ne sont pas business friendly.

Deuxième reproche, nous ne sommes pas stables. Le système du crédit d’impôt recherche est par exemple reconnu, notamment par les think tanks de Washington, comme le meilleur au monde, à ceci près qu’une incertitude pèse sur sa pérennité. Les investissements concernés étant de long terme, la moindre modification inquiète car elle fait présager des changements plus profonds. La France est également perçue comme socialement instable, au point que l’on craint d’y être confronté à des phénomènes violents. Les séquestrations de chefs d’entreprise – le bossnapping – ont eu des effets dévastateurs.

Troisièmement, nous ne sommes pas flexibles. « We don’t want to be trapped in France », ai-je entendu dire à plusieurs reprises aux États-Unis : nous ne voulons pas rester prisonniers en France ! C’est ainsi que M. Azim Premji, une des plus grosses fortunes de la planète, créateur d’une des plus grandes entreprises de logiciels au monde, se trouve confronté à de grosses difficultés pour trois salariés protégés dont il ne peut se défaire, alors qu’il a décidé de faire de la France une de ses cibles d’investissement – ce qui représente 5 000 emplois potentiels au minimum dans les prochaines années.

Cela étant, un article paru récemment dans le Financial Times invoque le Grand emprunt et le Grand Paris pour conclure que la France est un pays qui bouge encore.

M. le président Bernard Accoyer. Le temps du secrétaire d'État étant contingenté, je pense qu’il répondra globalement aux questions que nous lui poserons.

M. Pierre Méhaignerie, corapporteur. Monsieur le secrétaire d'État, je partage votre appréciation au sujet du rapport sur la compétitivité signé par trois organisations patronales et trois organisations de salariés. Ce document indique par exemple – en cette semaine où nous avons beaucoup parlé de l’impôt de solidarité sur la fortune – que, parmi les éléments qui ne permettent pas aux petites et moyennes entreprises de grandir, figure la difficulté liée aux modalités de fiscalité de l’ISF dans le transfert de génération.

S’il fallait établir une hiérarchie entre les actions prioritaires en matière de compétitivité – coût salarial, innovation, rigidités excessives du code du travail, formation professionnelle –, quel point feriez-vous ressortir comme le plus important ?

S’il fallait, pour réduire le poids des cotisations sur le travail, transférer les 5,4 points de cotisations familiales, qui représentent 33 milliards d’euros, à quelles recettes de substitution votre préférence irait-elle ?

En matière d’investissements étrangers en France, on a tendance à beaucoup s’autocongratuler alors que le système fiscal français favorise les achats d’entreprises. J’aimerais pour ma part qu’une étude montre ce que celles-ci deviennent cinq ans après. Quel est le solde des emplois réellement créés ? Peut-être arrêterions-nous alors de nous féliciter d’être le deuxième pays pour ce qui est des investissements étrangers.

M. Nicolas Forissier. Par rapport aux pays comparables, les petites entreprises françaises ont des difficultés à se financer dans la période qui suit leur création – c’est ce que l’on appelle l’equity gap. Les fonds propres nécessaires correspondent en général à des sommes limitées – 200 000 euros à 500 000 euros –, mais ils permettent à l’entreprise de prendre son envol et de créer de l’emploi. On a créé un très grand nombre d’entreprises à statut d’auto-entrepreneur ou d’entreprise personnelle, mais très peu qui recrutent par la suite des salariés. Toutes les comparaisons le montrent, et la Commission des finances y a consacré une étude précise.

Une mesure simple pour renforcer les fonds propres de ces entreprises consisterait à harmoniser la réduction d’impôt sur le revenu pour les personnes qui investissent dans une petite entreprise au sens communautaire – chiffre d’affaires ou total du bilan inférieur à 10 millions d’euros. Un couple peut actuellement bénéficier de 22 % de réduction d’impôt pour un investissement maximum de 100 000 euros. Mais, au Royaume-Uni, ce seuil est passé à 1 million d’euros, et les États-Unis sont en train d’affecter beaucoup de moyens à une mesure du même ordre. En dépit d’avancées – la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune et du « bouclier fiscal » notamment –, nous accusons encore un certain retard. La mesure que je préconise n’aurait presque aucune incidence budgétaire puisqu’elle resterait dans le cadre du plafonnement global des niches. Il faut que les personnes se dirigent d’abord vers l’investissement dans l’entreprise et non vers des incitations fiscales moins productives en matière d’emploi.

Pour ce qui est du principal moyen d’aider les exportateurs, à savoir le soutien à la présence des petites entreprises dans les foires et salons, l’effort public français est depuis longtemps trop faible par rapport à celui de nos concurrents, y compris les pays réputés en difficulté comme l’Espagne, le Portugal ou l’Italie. Je m’interroge sur la capacité de l’appareil d’État et du monde politique à comprendre la nécessité de dégager plus de moyens, quitte à faire des choix budgétaires, pour soutenir nos petites entreprises sur les marchés internationaux et émergents. À titre d’exemple, 67 % de nos exportations agroalimentaires se font en direction de l’Union européenne alors que ce marché est saturé et de plus en plus concurrentiel, alors que l’on devrait plutôt se renforcer dans des pays comme l’Inde ou la Chine.

M. Marc Goua. Il faut ajouter à ces arguments que le système bancaire français ne facilite pas le démarrage et la consolidation des entreprises.

En matière de simplification, monsieur le secrétaire d'État, je vous suggère de passer aux travaux pratiques. J’ai reçu une lettre d’une entreprise employant 110 personnes et bénéficiant du crédit d’impôt recherche dans le domaine de l’artisanat. Celle-ci est confrontée au zèle de l’administration fiscale, à tel point que le dépôt de bilan interviendra dans les jours qui viennent si la situation n’est pas débloquée. Je vous remettrai le dossier avant que vous ne partiez.

M. Marc Laffineur. Il est dommage que nous n’ayons pas davantage de temps pour discuter de sujets aussi importants.

M. le président Bernard Accoyer. Ce n’est pas notre fait.

M. Marc Laffineur. En matière de compétitivité, tout ne va pas mal dans notre pays, loin de là. Des améliorations sont intervenues depuis quelques années et il important de le souligner.

Ma question porte sur la concurrence fiscale au niveau européen. L’harmonisation comptable pose une difficulté évidente : s’agissant notamment de l’impôt sur les sociétés, les bases fiscales des filiales d’un même groupe dans différents pays ne sont pas les mêmes, ce qui est un facteur de rigidité et d’accroissement des coûts de fonctionnement.

Par ailleurs, quelles priorités dégagez-vous pour permettre à la France de combler sa différence de compétitivité avec l’Allemagne ?

Outre l’insuffisance de la taille des PME françaises, n’y a-t-il pas aussi un manque de coopération avec les grandes entreprises ? Les pôles de compétitivité apportent une amélioration mais sans doute faut-il faire plus.

M. Gérard Cherpion. Vous êtes en charge des entreprises peu ou pas délocalisables, monsieur le secrétaire d'État. Les petites et moyennes entreprises, l’artisanat et le tourisme, qui sont des secteurs importants à la fois en termes d’emploi et en termes de développement économique, créent une compétitivité de nature endogène.

Le problème de la sous-capitalisation des PME et celui de leur transmission ont déjà été évoqués. Faute de repreneurs, 60 000 entreprises disparaissent chaque année à l’occasion d’une succession.

L’application des normes soulève également de grandes difficultés. Dans le secteur du tourisme, elle risque même de faire disparaître l’hôtellerie familiale tant les délais imposés sont brefs. De même, certains jeunes ne peuvent avoir accès à une formation du fait des règles imposées. Ils ne peuvent travailler en hauteur, par exemple, ce qui rend difficile l’apprentissage du métier de charpentier !

Enfin, le crédit d’impôt recherche est un outil remarquable mais l’administration doit se montrer beaucoup plus réactive pour répondre aux besoins des entreprises.

Mme Marie-Hélène Thoraval. Pour les petites entreprises, l’investissement passe généralement par le concours bancaire et force est de reconnaître que les banques restent frileuses.

En matière de trésorerie, M. Nicolas Forissier souligne à juste titre la difficulté considérable que représente le besoin en fonds de roulement lors des premières années de l’entreprise. Quel accompagnement mettre en place ?

S’agissant des grandes entreprises, les aides à l’investissement dans les outils de production sont nettement moins élevées en France qu’en l’Allemagne, en particulier si l’on pense aux dispositifs mis en place après la réunification. Et cette différence de compétitivité ne tient pas à la compétitivité-coûts, notion qu’il conviendrait à mon sens d’écarter.

Pour ce qui est de l’innovation, la France n’a pas à rougir par rapport à l’Allemagne : les Français sont nettement plus innovants que leurs voisins, et j’aimerais que l’on mette plus souvent cet élément en exergue.

M. Jean Grellier. La faiblesse du tissu des entreprises de taille intermédiaire (ETI) est souvent dénoncée. Quelle est votre appréciation à ce sujet ? Quelles sont les mesures envisageables pour remédier à ce problème structurel ?

Par ailleurs, le développement économique et industriel de la France ne passe-t-il pas par une nouvelle étape de la construction européenne ? Seules des politiques économiques fortes au niveau européen permettront d’équilibrer les effets de la mondialisation. Quelle est la position du Gouvernement ?

Enfin, à l’inverse de Paul Giacobbi, je pourrais produire l’exemple de « salariés protégés » qui, il y a un an, ont sauvé leur entreprise de la défaillance du repreneur, chose bien trop commune dans notre pays.

M. le président Bernard Accoyer. Je ne doute pas, monsieur le secrétaire d'État, que vous saurez répondre de façon synthétique et claire à ces nombreuses questions dans le temps qui nous reste.

M. le secrétaire d’État. J’essaierai d’être compétitif, monsieur le président !

Je partage une grande partie de votre constat, monsieur Paul Giacobbi, et je vous remercie d’avoir salué la politique menée. En effet, sur certains points comme le crédit d’impôt recherche, notre pays est cité en exemple dans le monde entier.

Concernant le risque social, également pointé par le président Pierre Méhaignerie, j’ai bien noté votre appel à plus de flexibilité. Lorsque des groupes ont à arbitrer sur une implantation, ils y regardent à deux fois avant de venir dans notre pays. Nous devrons donc examiner les différentes questions – notamment celle des seuils – avec les partenaires sociaux.

Parmi les priorités que me demande de dégager le président Méhaignerie, je privilégierai peut-être la question de la rigidité du code du travail et celle de la flexibilité. C’est en effet le point sur lequel il est le plus compliqué d’agir car il correspond à un problème de société. Nous sommes très actifs dans tous les autres domaines mais, quel que soit le gouvernement, il faudra fournir un effort considérable pour trouver avec les partenaires sociaux le point d’équilibre en matière de flexibilité. Je n’ai pas retenu la question des seuils dans mes 80 décisions mais il faut y travailler car c’est un sujet très important aux yeux des acteurs économiques et des investisseurs.

Il me semble difficile, je l’ai dit, de transférer les recettes des cotisations familiales vers la taxe sur la valeur ajoutée, tant le pouvoir d’achat et la consommation sont un moteur essentiel. Un transfert vers la contribution sociale généralisée entamerait également le revenu disponible des ménages. Face à cette difficulté, le Gouvernement attend de votre mission d’information qu’elle ouvre des perspectives.

Je remercie M. Nicolas Forissier d’avoir affirmé que beaucoup a été fait en matière d’effort public en faveur des petites et moyennes entreprises. Son intervention et celle d’autres membres éminents de la Commission des finances n’y sont pas étrangères. Nous devons poursuivre dans cette voie. La réforme de la fiscalité du patrimoine représente une avancée considérable pour les PME.

Je suis de ceux qui pensent que l’on doit étudier également les solutions existant aux États-Unis ou en Israël : au lieu de multiplier les dispositifs publics complexes, ces pays favorisent l’« investissement à l’aveugle » via un business angel ou un fonds qui risque son propre argent dans l’investissement et en qui on peut, par conséquent, avoir confiance. Cela permettrait d’aider des acteurs viables et de développer les ETI, dont vous êtes nombreux à avoir relevé qu’elles sont en nombre insuffisant en France. Les entreprises qui se créent dans notre pays sont de taille réduite puisqu’elles comprennent en moyenne seulement 2,8 salariés, alors qu’on en compte 4,5 en Allemagne et 6 aux États-Unis.

En quatre ans, l’effort d’aide à la création d’entreprises a donné des résultats. Nous devons maintenant donner la priorité à l’accompagnement de leur développement. Je suis en train de réfléchir à des outils destinés, par exemple, à faciliter le choix du statut au moment de la création ou de la fusion et à aider l’entreprise à atteindre une taille critique.

Lors de mes fréquents déplacements dans les départements, les artisans, les commerçants et les petits entrepreneurs que je rencontre se plaignent toujours de leurs difficultés à obtenir du crédit, alors même que le médiateur du crédit annonce que les prêts aux petites et moyennes entreprises sont repartis à la hausse. Je me suis penché sur la question et me suis aperçu que les crédits inférieurs à 25 000 euros ne faisaient l’objet d’aucun suivi de la Banque de France. Madame Christine Lagarde et moi-même avons donc missionné le médiateur du crédit pour qu’il établisse un indicateur pour cette tranche. Devant mon insistance, la Banque de France a d’ores et déjà mené une recherche, et il apparaît que les petits crédits évoluent beaucoup moins à la hausse que les autres.

Le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limité – EIRL –, que vous avez bien voulu voter, nous aidera à remédier à ce problème dans la mesure où il protège les petits acteurs et met fin à une inégalité devant le risque. Il aura néanmoins fallu que je me batte pour obtenir un accord avec OSÉO et la société interprofessionnelle artisanale de garantie des investissements (SIAGI) sur des garanties à hauteur de 70 %. En outre, j’ai signé il y a dix jours, avec l’ensemble des réseaux bancaires, un accord par lequel ceux-ci s’engagent à ne pas prendre de garanties supplémentaires sur les acteurs économiques.

Vous avez raison, madame Marie-Hélène Thoraval, nous n’avons pas à rougir en matière d’innovation. Nos savoir-faire et notre système de formation sont reconnus dans le monde entier. Il faut y ajouter le crédit d’impôt recherche et le Grand emprunt, qui a permis, pour la première fois depuis bien longtemps, de lancer de grands investissements d’avenir.

Bref, nous avons des atouts. C’est peut-être une maladie française que de toujours essayer de compenser ses faiblesses et d’oublier qu’il faut soutenir ce qui fait notre force : les secteurs qui marchent, les personnes qui entreprennent et qui réussissent.

M. Marc Laffineur soulève à juste titre le grave problème de la concurrence fiscale. Pour ce qui est de l’Irlande, le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés à ce qu’une concurrence déloyale ne mette pas à mal nos entreprises et notre système économique. À mon sens, il faut aller vers une harmonisation des assiettes fiscales, comme le prévoit d’ailleurs une directive en cours de discussion. En matière de fiscalité, nous avons besoin de plus d’Europe. Ce n’est pas un hasard si la France et l’Allemagne sont en pointe dans cette évolution.

Les acteurs économiques évoqués par M. Gérard Cherpion ne sont pas délocalisables, en effet, et c’est peut-être ce qui explique que les administrations omettent souvent de les soutenir. Pourtant, les artisans, les commerçants, les métiers du tourisme, jouent un rôle essentiel : aussi faut-il leur donner les moyens d’être concurrentiels et compétitifs. On doit en particulier prendre en compte la mutation profonde que la mondialisation et l’internet ont imprimée à nos modes de consommation : on consomme désormais tous les jours de la semaine.

La question du travail le dimanche a fait l’objet d’un compromis, mais l’équilibre n’est pas toujours satisfaisant. Dans le quartier des Abbesses, à Paris, qui est à l’évidence très touristique, certains commerçants ont le droit d’ouvrir le dimanche parce que la mairie les a classés en zone d’affluence touristique exceptionnelle, mais pas les autres, alors qu’ils sont dans la même rue. Le montant des baux ayant été multipliés par trois, le seul moyen de s’en sortir est pourtant d’ouvrir le dimanche, y compris en embauchant un salarié.

Bref, nous devons garder les yeux ouverts et être réactifs et modernes.

Je vous propose, monsieur le président, que nous poursuivions ultérieurement ce dialogue, soit dans cette enceinte, soit directement avec les parlementaires qui le souhaiteraient. Permettez-moi de saluer encore le travail que votre mission accomplit sur un sujet essentiel pour le pays.

M. le président Bernard Accoyer. Nous aurions naturellement encore des questions à vous poser. Je regrette que nous ne puissions le faire car cette mission d’information est très importante. C’est bien souvent parce que l’on traite les sujets trop rapidement que l’on ne résout pas les problèmes dans notre pays.

M. le secrétaire d'État. C’est bien pourquoi j’ai tenu à être présent devant la mission.

M. le président Bernard Accoyer. Nous vous transmettrons les questions qui n’ont pu être posées aujourd'hui et nous souhaiterions que les différents départements du ministère y répondent car ces éléments sont importants pour nos deux rapporteurs.

La séance est levée à dix-sept heures dix.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 15 juin 2011 à 16 heures

Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Christian Blanc, M. Olivier Carré, M. Gérard Cherpion, M. Nicolas Forissier, M. Paul Giacobbi, M. Marc Goua, M. Jean Grellier, M. Marc Laffineur, M. Pierre Méhaignerie, M. Alain Moyne-Bressand, Mme Marie-Hélène Thoraval, M. Éric Woerth

Excusés. – M. Jérôme Cahuzac, Mme Laure de La Raudière, M. Pierre-Alain Muet, M. Hervé Novelli