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Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Vendredi 2 septembre 2011

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Armand Jung, Président, puis de M. Philippe Houillon, Rapporteur

Table ronde, ouverte à la presse, sur l’aptitude à la conduite

– MM. Alain Dômont, professeur de médecine, auteur d’un rapport sur les contre-indications médicales à la conduite, Bernard Delorme de l’unité de l'information des patients et du public de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, et Joël Valmain, conseiller technique Europe-International auprès de la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR

– Docteur Xavier Zanlonghi, membre du service de l’exploration fonctionnelle de la vision à la clinique Sourdille et membre de la Société française d’ophtalmologie (SFO)

– Mme Sylvie Bonin-Guillaume, professeur de gériatrie (Marseille) et membre de la Société française de gériatrie et de gérontologie

– MM. Claude Marin-Lamellet et Bernard Laumon, directeurs de recherche à l’IFSTTAR (ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Table ronde, ouverte à la presse, sur l’aptitude à la conduite en présence de :

- MM. Alain Dômont, professeur de médecine, auteur d’un rapport sur les contre-indications médicales à la conduite, Bernard Delorme de l’unité de l'information des patients et du public de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, et Joël Valmain, conseiller technique Europe-International auprès de la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR),

- Docteur Xavier Zanlonghi, membre du service de l’exploration fonctionnelle de la vision à la clinique Sourdille et membre de la Société française d’ophtalmologie (SFO),

- Mme Sylvie Bonin-Guillaume, professeur de gériatrie (Marseille) et membre de la Société française de gériatrie et de gérontologie,

- MM. Claude Marin-Lamellet et Bernard Laumon, directeurs de recherche à l’IFSTTAR (ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche)

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Armand Jung, président.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Nous procédons depuis plusieurs mois non seulement à des auditions de personnalités politiques et scientifiques sur l’accidentologie routière, mais également à des tables rondes, qui sont une formule dynamique pour faire avancer notre réflexion.

À plusieurs reprises, lors des auditions, l’âge, la vue et, plus généralement, la question de l’aptitude à la conduite ont été évoqués.

Je vous demande de bien vouloir vous présenter puis, lors d’une brève intervention, de nous donner votre point de vue sur le sujet.

M. Claude Marin-Lamellet, directeur de recherche à l’IFSTTAR (ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche). Directeur de recherche à l’IFSTTAR, mes travaux en psycho-ergonomie et sciences cognitives portent sur les phénomènes de vieillissement et de handicap, notamment dans la conduite automobile.

M. Bernard Laumon, directeur de recherche à l’IFSTTAR (ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche). Également directeur de recherche à l’IFSTTAR, j’y suis l’animateur scientifique de la thématique « transports et santé ».

M. Alain Dômont, professeur de médecine, auteur d’un rapport sur les contre-indications médicales à la conduite. Professeur de santé publique et de santé au travail, j’ai été, en 2003, l’auteur d’un rapport sur les contre-indications médicales en matière d’obtention du permis de conduire.

Docteur Xavier Zanlonghi, membre du service de l’exploration fonctionnelle de la vision à la clinique Sourdille et membre de la Société française d’ophtalmologie (SFO). Je suis ophtalmologiste, spécialiste des déficients visuels. Je me suis également spécialisé dans les examens complémentaires et l’exploration fonctionnelle de la vision. J’ai participé au rapport du professeur Dômont.

Mme Sylvie Bonin-Guillaume, professeur de gériatrie (Marseille) et membre de la Société française de gériatrie et de gérontologie. Professeur de gériatrie à la faculté de Marseille et responsable d’unité de gériatrie, je suis parallèlement enseignante chercheur en neurosciences, spécialisée notamment dans la conduite automobile des personnes âgées et très âgées.

Bernard Delorme de l’unité de l'information des patients et du public de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Je suis pharmacien à l’AFSSAPS, devenue depuis peu l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, où je suis responsable de la cellule « Information des patients et du public ». Je suis également chargé, depuis 2003, d’une mission d’évaluation des effets des médicaments sur l’aptitude à la conduite.

Joël Valmain, conseiller technique Europe-International auprès de la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR). Je suis le conseiller technique du délégué interministériel à la sécurité et à la circulation routières pour les questions européennes et internationales. Je souhaite vous apporter l’éclairage européen sur le dossier de l’aptitude, nos voisins se posant les mêmes questions que nous mais y répondant parfois de manière différente.

M. le président Armand Jung. Pouvez-vous maintenant exposer votre point de vue sur le sujet qui nous réunit.

M. Claude Marin-Lamellet. En matière d’aptitude à la conduite, nous évitons, dans le cadre de nos recherches, de nous focaliser sur l’aptitude au sens médical du terme pour considérer, plutôt, la capacité de la personne à réaliser l’activité de conduite. L’aptitude n’est pas le seul élément : il faut également prendre en considération les savoir-faire du conducteur, acquis lors de son parcours, et ses comportements. Ce sont ces trois éléments – aptitude, savoir-faire et comportement – qui définissent la « compétence de conduite », l’important étant leur régulation. Une réduction de l’aptitude fonctionnelle peut être compensée par des stratégies d’adaptation, ce qui permet au conducteur de conserver une compétence suffisante pour conduire en toute sécurité. Ainsi, une personne qui a été victime d’un traumatisme crânien pourra s’adapter en adoptant un comportement approprié, par exemple en réduisant sa vitesse.

Toutefois, cette adaptation suppose que la personne concernée ait non seulement connaissance, mais également conscience de la réduction de ses capacités. Nous nous efforçons donc d’objectiver les stratégies de régulation et d’adaptation et d’analyser la façon dont elles s’expriment en situation de conduite automobile. Nous menons ainsi des expérimentations avec des patients débutant une maladie d’Alzheimer, avec des parkinsoniens ou encore avec des traumatisés crânien, qu’ils soient à peine sortis du centre de réadaptation ou qu’ils aient repris, après deux ans, une activité quotidienne et qu’ils se soient remis à conduire régulièrement : nous voulons comprendre comment ces personnes, si elles y sont arrivées, ont compensé leur nouvel état fonctionnel.

Toutefois, la variabilité individuelle entraîne une grande diversité de situations : l’approche au cas par cas reste la plus efficace même si nous essayons d’établir des groupes cohérents de personnes qui surcompensent, qui ne compensent pas ou qui compensent de manière correcte.

M. Bernard Laumon. Je donnerai quelques chiffres pour situer l’enjeu : l’alcool est responsable d’un tiers des tués sur la route, le téléphone au volant de 10 %, le cannabis de 4 % et les médicaments de quelque 3 %.

La question des médicaments concerne la table ronde de cet après-midi sur les pathologies et l’aptitude à conduire, puisqu’ils sont rarement indépendants de la pathologie. En matière d’insécurité routière, un équilibre est à trouver entre les effets du traitement et ceux de la maladie. L’arrêté de 2005, révisé en 2010, qui établit la liste des affections médicales incompatibles avec la conduite, est une véritable liste à la Prévert, alors que les pathologies sont responsables d’une faible part des accidents, en raison des stratégies de compensation et d’adaptation qui viennent d’être évoquées, et qui peuvent aller jusqu’à l’arrêt volontaire de la conduite.

Cet arrêté intégrant également l’addiction, notamment au cannabis et à l’alcool, je tiens à rappeler que, en ce qui concerne l’alcool, il faut distinguer son caractère festif, qui ne peut pas être considéré comme une pathologie, de l’alcoolisme chronique qui relève de notre table ronde.

M. Alain Dômont. Il faut dénoncer la médicalisation abusive de problèmes de santé environnementale, dont relève avant tout la sécurité routière, et davantage prêter attention à l’individu lui-même, à son état, à l’environnement dans lequel il vit et aux processus de compensation qu’il mettra éventuellement en œuvre. C’est uniquement dans des situations évidentes d’inaptitude qu’on peut confier au seul médecin la responsabilité d’autoriser ou d’interdire la conduite.

Dans tous les autres cas, il convient de réfléchir en termes de promotion des capacités du conducteur : en effet, si certaines capacités relèvent du médical et du psychologique, d’autres relèvent de ses habitudes ou de son expérience.

Dans la notion d’aptitude à la conduite il faut donc distinguer deux aspects : l’aspect médico-psychologique et celui qui relève du comportement social. On peut avoir des problèmes de santé et être apte à la conduite comme on peut n’avoir aucun problème de santé et être inapte à la conduite. Tous ceux qui se tuent sur la route n’ont pas des problèmes de santé. Il faut rompre avec les clichés pour avancer sur la question des relations entre pathologie et aptitude à la conduite.

La réglementation prévoit, à l’heure actuelle, des contrôles médicaux qu’on croit prédictifs de l’avenir médical de la personne. C’est à tort. Ils ne sont pas pour autant inutiles. En effet, en niant l’impact médical, on laisse évoluer des pathologies vers l’inaptitude alors que l’évaluation devrait viser à prévenir les différentes incapacités en agissant sur elles le plus en amont possible pour permettre aux personnes concernées de conserver leur capacité à conduire. À cette fin, il faut, à un moment ou à un autre, évaluer les compensations médico-psychologiques et fonctionnelles évoquées par M. Marin-Lamellet.

Or, ce n’est pas dans un cabinet médical qu’on peut déterminer l’aptitude à la conduite : c’est au volant. Nous nous trouvons aujourd'hui en France dans une logique d’inversion des dispositifs : tout passe par la médicalisation, en dehors de toute réflexion sur la problématique de fond. N’oublions pas que la société vieillit, ce qui entraînera, à plus ou moins long terme, le développement de pathologies liées à l’âge : il faut donc se préparer à accompagner les personnes âgées à conduire le plus longtemps possible. Des actions préventives de suivi médical sont nécessaires.

En ce qui concerne l’addiction, notamment à l’alcool, les médecins des commissions médicales accompagnent depuis plusieurs années, en vue de les mettre sur la voie de la maîtrise de leur consommation d’alcool, voire de l’abstinence, des conducteurs contrôlés positifs par les forces de l’ordre.

J’ai transmis à votre secrétariat une synthèse praticienne sur cet aspect de la question.

Il convient, enfin, de réfléchir à la notion de responsabilité du conducteur. Tout conducteur est responsable de son état de santé quand il prend le volant, ce qui implique de se poser les questions suivantes : mon médecin m’a-t-il informé de mon état de santé et des effets des médicaments que je prends ? Ainsi, un anesthésiste réanimateur en chirurgie ambulatoire conseille à chacun de ses patients en consultation préopératoire de ne pas prendre son véhicule pour venir ou pour repartir. L’approche situationnelle pose un problème majeur car elle renvoie à la responsabilité des individus. Le corps médical peut aider les conducteurs à prendre conscience de leurs éventuels problèmes afin qu’ils modifient leurs comportements, voire réduisent leur conduite.

Il est nécessaire que le médecin et le psychologue fassent, à la demande des personnes qui s’interrogent sur leur aptitude à conduire, un bilan de leurs capacités. Or, trop souvent, les médecins refusent de peur d’engager leur responsabilité, ce qui laisse ces personnes dans l’angoisse de devoir entrer dans le dispositif mis en place en 1998 et qui prévoit, pour tout conducteur ayant un problème de santé, l’obligation de passer devant une commission médicale de permis de conduire, laquelle peut retirer le permis.

J’ai déjà été sollicité en 1993 sur la question : nous avions proposé des éléments d’évaluation médicale mais nos propositions n’ont pas été reprises. Il en a été de même en 2003, où nous avions amorcé une réflexion approfondie sur l’aptitude à la conduite. Il existe évidemment des contre-indications médicales que les praticiens et les patients doivent connaître.

Docteur Xavier Zanlonghi. Nous ne disposons, en France, d’aucune donnée chiffrée concernant les relations entre les accidents automobiles et les différentes affections. Notamment, nous n’avons pas de statistiques en ce qui concerne les accidents liés à des problèmes de vision. Rien ne corrobore les chiffres qui sont habituellement donnés. Nous ignorons également le nombre de personnes qui conduisent, en France, en infraction à l’arrêté de 2005 révisé en 2010. Une étude américaine ainsi qu’une grande étude française Handicap – Incapacités – Dépendances donnent à penser que quelque 300 000 personnes conduisent en France en infraction à la réglementation – ce chiffre comprend les personnes conduisant avec des lunettes inadaptées. Des études épidémiologiques approfondies restent donc à mener pour connaître le lien entre vision et accidentologie.

Quelques articles, traitant d’une pathologie précise, étudient un surrisque éventuel ou un taux élevé d’accidents. En ce qui concerne la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), qui est un problème majeur de santé publique dans les pays industrialisés, une seule étude au monde concerne dix patients alors que, probablement, 500 000 personnes en France sont atteintes de DMLA avec baisse de vision.

Notre approche est pragmatique : depuis quinze ans nous effectuons, dans un laboratoire, des bilans de conduite. Nous menons également des activités de recherche, notamment avec l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS). Lorsqu’il fut envisagé de réaliser tous les dix ans un bilan médical de tous les conducteurs, nous avons cherché à savoir si les médecins généralistes pouvaient, avec des instruments de mesure très simples, vérifier, dans leur cabinet, que la vision de leurs patients correspondait aux normes exigées pour la conduite. La conclusion fut positive.

Deux catégories de patients ayant une pathologie visuelle viennent nous voir. Outre ceux qui ont déjà le permis, tous ceux qui ne l’ont pas encore et qui veulent savoir s’ils peuvent le passer compte tenu de leurs problèmes de vue. Pour les jeunes qui sont à la limite de la réglementation, nous montons des dossiers avec les auto-écoles, dossiers que nous présentons à la commission médicale départementale. Nous sommes très satisfaits de la directive européenne de 2009 et de sa transposition française puisqu’elle permet désormais à des cas exceptionnels d’obtenir des dérogations, ce qui améliore la place de la personne handicapée dans la société. Nous ne sommes toutefois que deux laboratoires capables de répondre à la question suivante : un déficient visuel qui, en raison d’un nystagmus, n’a que trois-dixièmes, peut-il compenser totalement ou partiellement sa déficience en vision de loin ? La France est sous-équipée en la matière.

La Belgique, avec le CARA (Centre d’aptitude à la conduite et d’adaptation des véhicules), a quinze ans d’avance sur nous. En effet, tous ces cas limites peuvent y obtenir un permis à la carte comportant des interdictions ciblées, inscrites sur le permis : conduite sur autoroute, de nuit ou à plus de cinquante kilomètres de chez soi. Ce permis à la carte permet de remettre sur la route des déficients visuels qui, en France, sont totalement interdits de conduite.

La Société française d’ophtalmologie élabore une recommandation pour aider les professionnels de santé à transcrire dans leur pratique quotidienne l’arrêté de 2010, lequel ne donne aucune précision technique. Nous testons actuellement pour le ministère de la santé les appareils disponibles en France pour savoir s’ils permettent de réaliser les mesures nécessaires.

Mme Sylvie Bonin-Guillaume. J’adhère à la majeure partie de ce qui a été dit concernant les personnes âgées.

Je donnerai également quelques chiffres : si les personnes âgées représentent une part croissante des conducteurs, sur 8 millions de conducteurs ayant plus de soixante-cinq ans, 700 sont mortes en 2010 sur la route.

La conduite est un vecteur de maintien de l’autonomie. C’est un moyen d’éviter la dépendance. Des enquêtes effectuées en France ont montré que conduire permet de réaliser les activités de la vie quotidienne, comme faire ses courses, ou de préserver le lien social – rendre visite à la famille ou à ses amis. Il faut en prendre conscience avant d’envisager des mesures relatives à la conduite des personnes âgées.

M. Marin-Lamellet a eu raison de noter que l’aptitude physique et physiologique ne suffit pas à évaluer la capacité à conduire : c’est particulièrement vrai pour les personnes âgées. Il faut prendre en considération les habitudes antérieures et le comportement routier. Des enquêtes ont du reste montré que les personnes âgées avaient un comportement routier différent de celui des conducteurs plus jeunes : elles commettent moins d’infractions mais plus d’erreurs dues à un défaut de jugement ou d’attention ou à des oublis, certaines de ces erreurs, liées au vieillissement normal de leurs facultés, pouvant représenter un facteur de risque surajouté d’accidents. Toutefois, on ne saurait attribuer à un type d’erreur un surrisque défini. On manque en la matière d’outils d’évaluation.

Il ne faut pas confondre l’âge avec l’aptitude à la conduite. D’ailleurs, certaines des maladies qui sont les plus fréquentes chez les sujets âgés peuvent également toucher des sujets plus jeunes. Il est vrai toutefois qu’on recense plus fréquemment des troubles visuels chez les personnes âgées, du fait, notamment, que, trop souvent, elles ne changent de lunettes que lorsqu’elles les ont cassées : elles portent donc souvent des lunettes inadaptées à l’évolution de leur vue. Les troubles de la mémoire doivent également être pris en considération.

De plus, les médecins généralistes, voire les gériatres, connaissent très peu le cadre législatif et les pathologies à risques en matière de conduite, en dehors des pathologies les plus sévères. Aussi se trouvent-ils souvent démunis pour répondre aux questions qui leur sont posées. Il convient donc de les informer mais également d’informer les personnes âgées elles-mêmes qui, le plus souvent, ignorent qu’elles sont responsables de leur conduite. Nous subissons parfois des pressions de la famille, ce qui rend encore plus complexes les relations, d’autant que nous devons respecter le secret médical. Le rôle du médecin doit être redéfini en termes d’information, de prévention et de stabilisation des pathologies, afin d’améliorer les aptitudes physiques et psychologiques à la conduite.

En ce qui concerne les comportements, nous avons mené, avec l’INRETS, durant cinq ans, une recherche longitudinale sur les conducteurs âgés de soixante-quinze ans et plus, en bonne santé ou dont les maladies étaient stabilisées. Cette étude a permis de dégager trois facteurs prédictifs d’accidents : avoir déjà eu un accident ; avoir commis antérieurement des infractions ; la prise de médicaments. Le conducteur âgé est en revanche moins concerné par les risques dus à l’alcool ou à l’utilisation du téléphone portable au volant.

Bernard Delorme. À l’heure actuelle, en France, 16 000 médicaments sont autorisés dont 9 000 sont commercialisés : un tiers d’entre eux, soit 3 000, ont été identifiés comme ayant des effets potentiels sur la conduite.

Depuis le début des années 2000, nous avons cherché à quantifier cet impact : certains médicaments ont de simples effets transitoires de somnolence – c’est le cas des antihistaminiques ou des antiallergiques – quand d’autres ont des effets très incapacitants – hypnotiques, sédatifs puissants. Nous avons donc mis en place une stratégie de gradation du risque comportant trois niveaux, illustrés, chacun, par un pictogramme, l’objectif étant de cibler les médicaments les plus dangereux – 2 % d’entre eux ont obtenu un pictogramme de niveau 3. Ce travail a tout d’abord été mené à partir des données pharmacologiques issues des essais cliniques, que nous avons ensuite confrontées aux données de la pharmacovigilance : nous nous sommes ainsi aperçus que les traitements antiparkinsoniens, notamment les agonistes dopaminergiques, qui agissent sur le système nerveux central et sont susceptibles d’entraîner des somnolences, peuvent également induire des somnolences brutales. Nous avons alors décidé de prendre également en considération l’impact épidémiologique de ces médicaments en confrontant les bases de données de la sécurité sociale relatives à la consommation de ces médicaments avec les données accidentologiques contenues dans les procès-verbaux de la police. L’étude, très importante puisqu’elle a porté sur 20 % des accidents survenus en trois ans, vient d’être prolongée pour trois nouvelles années. Elle a permis non seulement de connaître le nombre de personnes accidentées prenant tel ou tel médicament mais également d’évaluer la responsabilité des conducteurs accidentés. C’est une première mondiale, puisqu’elle a permis de récolter 75 000 dossiers documentés de conducteurs, qui se partagent pour moitié entre responsables et non responsables.

Nous disposons donc désormais de données objectives permettant de valider notre classification initiale. Aucun médicament nouveau n’a été impliqué et seuls un petit nombre de médicaments, appartenant aux classes 2 et 3, notamment les benzodiazépines – sédatifs puissants –, peuvent être considérés comme dangereux pour la conduite.

L’étude a donc permis de confirmer que les médicaments sont bien responsables de 3 % des accidents mortels, qui sont à comparer aux 4 % des accidents dus à l’usage du cannabis. Le chiffre n’est pas énorme, sans être négligeable. Nous avons également constaté que le facteur accidentogène de ces médicaments était indépendant de la consommation d’alcool : les deux facteurs sont donc susceptibles de s’additionner.

Cette étude n’avait pas pour objectif de stigmatiser le médicament ou le patient qui le consomme en respectant la posologie et dans des conditions normales. En revanche, l’étude épidémiologique a montré qu’une consommation trop élevée ou anormale de médicaments induit des situations à risque, ce qui pose alors la question de la responsabilité de son utilisateur. C’est pourquoi il faudrait peut-être envisager, dans certains cas, le dépistage des drogues licites.

C’est parce que nous souhaitions envoyer des messages didactiques aux professionnels de santé et aux patients, que nous avons eu recours aux pictogrammes. Des efforts sont encore à fournir pour que le médecin qui prescrit un traitement sédatif informe systématiquement son patient des effets de celui-ci sur la conduite. L’observatoire que nous avons mis en place doit être pérennisé pour surveiller l’évolution de la situation et élargi à d’autres données de la sécurité sociale, comme les affections de longue durée. Par ailleurs, si nous avions pu directement récupérer, dans les PV de la police, le numéro de sécurité sociale de la personne accidentée, nous aurions triplé la puissance de notre étude.

Joël Valmain. L’aptitude médicale à la conduite, qui a évidemment une dimension européenne et internationale, est traitée dans le cadre de la directive européenne sur l’harmonisation de la délivrance du permis de conduire au sein de l’Union européenne. Voilà trente ans qu’on en parle. En 2013, il n’y aura plus qu’un seul modèle de permis de conduire. Les examens de code et de pratique sont également en voie d’harmonisation.

Il y a eu trois directives en matière de permis de conduire : en 1980, en 1991 et en 2006 – cette dernière s’appliquera au début de 2013.

La directive prévoit une visite médicale obligatoire et préalable pour la conduite des véhicules lourds, visite qui doit être reconduite de manière périodique. À l’heure actuelle, cette périodicité est à la discrétion des États membres. C’est ainsi qu’en France, le conducteur de véhicules lourds passe une visite tous les cinq ans, tandis qu’en Allemagne, il la passe juste avant le permis, puis à cinquante ans.

Au sein de l’Union européenne, la visite médicale est facultative pour les conducteurs de véhicules légers. Les seuils minimaux d’aptitude à la conduite sont définis par la directive, les États membres pouvant toujours les rendre plus sévères – c’est un principe de base du fonctionnement de l’Union.

Sur le plan médical, les normes de la directive de 1991 sont devenues évidemment obsolètes compte tenu de l’évolution de la médecine et des traitements. C’est pourquoi la Commission européenne, sous l’impulsion de certains États membres, dont la France, a décidé d’actualiser ces normes au plan européen, le permis d’un État membre étant valable dans le reste de l’Union. Cette actualisation a concerné, notamment, les normes en matière d’épilepsie, de diabète et de troubles de la vision ; par ailleurs, des travaux sont en cours pour les maladies cardio-vasculaires, comme du reste en matière d’usage abusif d’alcool ou de drogue ou de dépendance à ces substances. Des groupes de spécialistes et de médecins travaillent sur tous ces sujets au niveau européen.

En France, l’arrêté de 2010, qui a modifié celui de 2005, a pris en compte cette actualisation qui, depuis le début des années 2000, ne vise plus tant à déterminer les catégories de personnes susceptibles de tomber sous le couperet d’une interdiction que de chercher à accompagner les personnes concernées dans leurs capacités de conduite. Cette évolution est partagée par l’ensemble de nos partenaires européens. Il s’agit de trouver un équilibre entre le souci d’assurer une nécessaire mobilité pour tous – y compris les handicapés moteurs et les personnes âgées – et les impératifs liés à la sécurité routière.

L’Europe, en revanche, ne s’occupe pas de l’organisation du contrôle médical qui revient à chaque État membre.

(M. Philippe Houillon, rapporteur, remplace M. Armand Jung au fauteuil de la présidence.)

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. À quel l’âge ce contrôle est-il effectué ?

Joël Valmain. Les situations sont très différentes selon les pays. Certains limitent le permis de conduire à l’âge de soixante-dix ans.Treize États membres sur vingt-sept font passer un examen médical préalable, puis périodique. Parmi les quatorze autres, huit n’en font passer aucun et six se contentent d’un examen médical si la personne déclare sur l’honneur être atteinte d’une affection susceptible d’avoir une influence sur la conduite – c’est le cas de la France. Cette déclaration entraîne souvent un test de la vue, qui peut mener la personne à passer un examen médical plus approfondi.

En ce qui concerne les pays qui font passer un examen préalable puis périodique, les situations diffèrent. L’Espagne fait passer un examen tous les dix ans puis, à partir de quarante-cinq ans, tous les cinq ans. Il en est de même de l’Italie. Certains pays, je l’ai dit, limitent le permis de conduire à soixante-dix ans. Quant à la Norvège, qui ne fait pas partie de l’Union européenne mais qui applique la directive, elle limite le permis à l’âge de cent ans – c’est une exception. Toutefois, à partir de soixante-dix ans, elle exige que le conducteur soit muni d’un certificat médical rédigé par le médecin de famille assurant qu’il ne fait l’objet d’aucune contre-indication.

Selon les pays, le certificat est rédigé soit par un médecin agréé, soit par un médecin administratif, soit par un médecin du contrôle médical. Il peut s’agir également d’une simple recommandation rédigée par le médecin de famille.

Dans les mois à venir, les États membres vont approfondir leurs discussions en vue de tirer les meilleurs enseignements des meilleures pratiques au sein de l’Union.

La France a mis en place, il y a deux ans, une concertation sur l’aptitude médicale à la conduite, qui a très vite modifié son intitulé pour se pencher sur la promotion des capacités de conduite. L’objectif, en effet, n’est pas de fixer une date couperet au droit de conduire mais de déterminer à partir de quel moment il convient d’accompagner un conducteur atteint de certaines pathologies ou de certains handicaps. Quant à la question de l’âge, il faut rappeler que la vieillesse n’est pas une maladie.

Quatre groupes se réunissent : un premier, dédié aux addictions (alcool et drogue), est sur le point de prendre connaissance des résultats d’une étude européenne, qui sera close en octobre 2011, sur tous les aspects de la question – des contrôles routiers à la réhabilitation du conducteur dépendant ; un autre groupe, qui étudie toutes les autres affections, se penche notamment sur la question du permis à la carte ; le troisième traite du contrôle médical en vue d’améliorer son efficacité ; le dernier examine en profondeur la question des distractions auxquelles le conducteur peut être sujet.

Je me réjouis que l’ensemble des personnes qui ont pris la parole avant moi fasse partie de l’un de ces quatre groupes. Nous ferons des propositions concrètes dans les tout prochains mois.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. L’objet de cette mission d’information est, notamment, de savoir si, s’agissant des conducteurs âgés de soixante-quinze ans et plus, nous devons, oui ou non, modifier la législation. Cette question a des implications politiques au sens large du terme que nous ne saurions négliger : d’autres tables rondes ont en effet mis en lumière la notion d’acceptabilité sociale, d’autant que le nombre de personnes âgées ne cessera de croître et que, comme vous l’avez noté, madame le professeur, il est nécessaire qu’elles conservent le plus longtemps possible leur autonomie, la conduite étant un élément primordial en la matière.

Le phénomène des conducteurs vieillissants a-t-il pris une importance telle qu’il justifie l’adoption d’une disposition législative ? Si oui, ne conviendrait-il pas de prévoir une phase pédagogique et de s’orienter non vers une disposition couperet à un certain âge mais plutôt vers un permis à la carte, en fonction des résultats de l’examen médical ?

Certaines personnes auditionnées nous ont dit que, finalement, le conducteur le plus dangereux était le plus apte : c’est le jeune conducteur d’une voiture performante, en pleine possession de ses moyens et qui, se sentant sûr de lui, ne ressent pas le besoin de compenser de quelconques faiblesses.

Cela dit, les personnes âgées de plus de soixante-quinze ans représentent une part très importante des piétons victimes d’accidents.

Mme Sylvie Bonin-Guillaume. Déterminer un âge pour passer une visite médicale risque de stigmatiser une catégorie de la population. Quel âge choisir du reste ? Celui du départ à la retraite, à savoir le vieillissement social ? Soixante-dix ans ? Soixante-quinze ans, l’âge auquel on entre le plus souvent dans des institutions médicalisées ? Quatre-vingts ? Déterminer un tel âge, vous le voyez, serait très difficile.

De plus, comme je l’ai déjà précisé, ce n’est pas l’âge qui détermine les capacités à la conduite mais plutôt les aptitudes médicales et psychologiques, les habitudes antérieures et le comportement routier. Or, le plus souvent, l’âge n’intervient pas dans ces facteurs.

De plus, d’autres chiffres montrent que des conducteurs vieillissants arrêtent volontairement de conduire lorsqu’ils se sentent en difficulté physique, attentionnelle ou d’organisation, si bien que seuls 20 % des personnes âgées de plus de quatre-vingts ans continuent de conduire. Toutes les autres se sont arrêtées toutes seules, les femmes s’arrêtant avant les hommes, et les urbains avant les ruraux, du fait qu’en ville les transports en commun prennent le relais de la voiture particulière.

Il faut absolument prendre en considération la notion de situation de conduite. Encore une fois, en tant que gériatre, fixer un âge me paraît dangereux. Il serait préférable de repérer les profils les plus à risques, mais cela reste difficile parce que nous manquons de données scientifiques précises. Nous disposons toutefois de pistes.

Comme vous l’avez rappelé, ce sont les conducteurs les plus aptes, et donc les plus difficilement repérables, qui sont les plus dangereux.

Par ailleurs, comme vous l’avez également noté, à quatre-vingt-cinq ans, on meurt moins d’un accident de la circulation comme conducteur que comme piéton.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Que faudrait-il faire pour endiguer ce phénomène ?

Mme Sylvie Bonin-Guillaume. Nous avons créé à Marseille un atelier piéton qui a permis notamment de se rendre compte que la durée du feu rouge pour traverser la grande avenue du Prado était insuffisante, une personne âgée se déplaçant à environ un mètre à la seconde. Cet atelier vise également à apprendre aux personnes âgées à adopter un comportement adapté, notamment lorsqu’elles traversent une rue. Les élus locaux peuvent réfléchir aux différents moyens à mettre en œuvre dans les villes pour, au moins, diminuer les risques d’accidents touchant les piétons âgés.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Il est vrai que la détermination d’un âge fixe représente un déchirement. Je le vois en tant que maire : la première fois que des personnes reçoivent une invitation pour le banquet des seniors, elles ressentent un vrai traumatisme !

Toutefois, comment repérer celles qui ont besoin d’un accompagnement ? D’autant que les médecins refusent de s’en occuper alors, pourtant, que le médecin de famille paraît le mieux placé pour détecter un risque éventuel.

M. Alain Dômont. L’intervention du médecin est nécessaire, mais insuffisante parce qu’il examine son patient dans son cabinet. Or l’examen clinique ne permet pas d’analyser les démarches de compensation du conducteur au volant.

La société actuelle fait jouer au médecin un rôle problématique puisqu’on lui demande d’assumer le fait d’interdire à une personne de continuer à conduire pour une raison médicale alors même que la société récuse cette notion d’interdiction.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Il pourrait être simplement à l’origine d’une visite plus approfondie.

M. Alain Dômont. Cette éventualité a été étudiée en 2003 avec l’académie de médecine : elle pose un problème – jusqu’à ce jour insurmontable – de secret médical. Il est aujourd'hui impossible à un médecin de soins de contacter directement la commission médicale des permis de conduire.

Sur le plan pratique, un médecin évalue une maladie ou des incapacités en se référant à des normes qu’on a qualifiées précédemment de normes « à la Prévert » et dont on doute de la cohérence, compte tenu des évolutions de la médecine.

La réglementation française, depuis 2005, a pris en compte les évolutions médicales. C’est ainsi qu’un conducteur de poids lourds ayant eu un infarctus du myocarde n’est plus déclaré définitivement inapte à la conduite d’un poids lourd.

Le médical, je le répète, évalue une dimension clinique – risque de perte de connaissance ou d’accident aigu, vision ou audition insuffisante – sans pouvoir prendre en considération les démarches de compensation que seule la situation de conduite permet d’évaluer. La Belgique qui, comme cela a déjà été dit, est particulièrement en avance sur le sujet, a mis en place un réseau national d’évaluation des conducteurs en situation. Sauf évidence clinique, on ne devrait jamais déclarer une personne inapte à la conduite avant de l’avoir évaluée au volant. Nous avions prévu cette disposition dans notre rapport de 2003 : elle reste d’actualité.

Ce rapport avait également mis en exergue la notion de nécessité essentielle de la vie courante. Dans le cas où une personne inapte à la conduite est en situation de perdre son autonomie, la société peut souhaiter mettre en place, au nom de cette nécessité, un dispositif pour lui permettre de conduire.

Cependant, quand on s’interroge sur le maintien de l’autonomie, cela veut dire que la prise en compte de l’inaptitude a été trop tardive. Car la question de l’âge à partir duquel doivent commencer les contrôles médicaux pose aussi celle de l’impact du diagnostic médical sur le devenir du conducteur. Si l’on attend l’âge de 80 ans, il n’y aura plus aucun espoir de pouvoir accompagner la personne afin de lui permettre de conduire plus longtemps. Il faut donc commencer suffisamment tôt.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Vous seriez donc favorable à l’idée de fixer un âge à partir duquel chaque personne devrait se soumettre automatiquement à une vérification médicale ?

M. Alain Dômont. Parler de « se soumettre automatiquement » à une telle vérification, c’est déjà adopter une approche fondée sur le contrôle et la sanction.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Il ne s’agirait que de vérifier l’aptitude à la conduite.

M. Alain Dômont. La vraie question est la suivante : comment accompagner nos concitoyens afin de leur permettre de conduire le plus longtemps possible ? La réponse ne réside donc pas dans une stratégie d’interdiction ou de contre-indication médicale, mais dans une stratégie d’évitement des contre-indications. Si l’on attend trop longtemps, les gens vont devenir inaptes à la conduite, car plus on vieillit, plus on a de risques de développer un certain nombre de pathologies. L’âge étant responsable d’un certain nombre de dégradations, la notion d’espérance de vie sans incapacité ou sans pathologie est un élément à verser au débat.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Je suis plutôt d’accord avec vous. Mais comment repérer les personnes concernées ? On peut prévoir que tout le monde se soumette à un contrôle – quitte à lui donner un autre nom – à partir d’un certain âge, à l’image de ce qui se passe dans certains pays. Le résultat de l’examen médical indiquerait alors si on est apte à la conduite, inapte, ou apte seulement dans certaines conditions – c’est la « conduite à la carte » qui se pratique en Belgique. Mais si l’on y renonce, par exemple pour éviter de provoquer le traumatisme que vous avez évoqué, il faudra trouver un autre moyen d’effectuer un repérage, et le faire suffisamment tôt pour permettre, à un moment où c’est encore efficace, l’accompagnement des personnes concernées.

Vous formulez des propositions séduisantes, mais il reste à les traduire par des mesures concrètes – en supposant que la réglementation européenne nous permette de faire preuve de souplesse, ce dont nous ne sommes pas encore certains.

M. Xavier Zanlonghi. Plutôt que d’instituer un contrôle médical, pourquoi ne pas prévoir, à partir de 65 ou de 70 ans, une évaluation de la conduite en auto-école, effectuée par un professionnel de la route, à partir d’une mise en situation réelle ? La difficulté, toutefois, serait de disposer de connaissances sur la pathologie du patient. Par exemple, faute d’une formation adaptée, un moniteur d’auto-école ne pourrait même pas se rendre compte qu’il manque à certaines personnes la moitié de la vision sur le côté.

En tout état de cause, le plus important est de mettre le patient en situation de conduire – sur un rond-point par exemple.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Sans la présence d’un médecin ?

M. Xavier Zanlonghi. Les bilans de conduite que je pratique comportent trois séries de conclusions, issues de l’examen médical, des examens complémentaires et de l’évaluation en auto-école. En général, ce sont ces dernières qui priment – du moins en ce qui concerne la vision.

M. Joël Valmain. À un moment donné, il faut certainement prévoir un dépistage ou un repérage.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. On peut aussi choisir de ne rien faire.

M. Joël Valmain. La concertation en cours a d’ailleurs été l’occasion de formuler des propositions concrètes sur ce sujet.

Il faudrait sans doute donner un vrai rôle au médecin de famille, qui connaît bien ses patients, mais cela ne signifie pas nécessairement lui demander de prendre une décision définitive. Certaines personnes, à 65 ans, peuvent être considérées comme déjà trop âgées pour la conduite automobile, tandis que pour d’autres, à 80 ans, cela ne présente aucune difficulté. Pour autant, on peut faire jouer au médecin un autre rôle que celui de censeur.

On a parlé de la mise en situation de conduire. Certaines associations de prévention routière et des grandes mutuelles d’assurance organisent de plus en plus fréquemment des journées destinées à rafraîchir les connaissances des personnes âgées en matière de conduite automobile. C’est l’occasion de rappeler les dernières évolutions du code de la route, de procéder à une évaluation de la conduite, de prodiguer des conseils… Plutôt que de parler de repérage, d’interdiction, de réglementation, il serait peut-être préférable d’insister sur ce travail d’accompagnement, même s’il est plus compliqué.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Et plus coûteux !

M. Joël Valmain. Pas nécessairement, si les médecins acceptent de relayer l’information auprès des patients.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Les stages organisés par les associations sont payants.

M. Joël Valmain. C’est vrai, mais ils ne sont pas d’un coût très élevé au regard de l’avantage qu’ils procurent de pouvoir continuer à conduire en toute sécurité.

Une préoccupation soulevée maintes fois lors de la concertation en cours est de faire en sorte que la liste des pathologies pouvant poser problème par rapport à la conduite automobile, cet « inventaire à la Prévert » dont on a déjà parlé plusieurs fois, soit rendue plus compréhensible – par exemple grâce à l’édition d’un fascicule à destination du grand public. On demande à certaines personnes de déclarer s’ils souffrent d’une maladie incompatible avec la conduite, mais encore faudrait-il qu’ils sachent quelles pathologies sont concernées !

Le même travail devrait être effectué à l’intention de tous les médecins de France, même si on renonce à leur demander de porter un jugement sur l’aptitude à la conduite.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Une solution très libérale serait que toute personne ayant atteint un âge déterminé soit obligée de consulter son médecin et de se rendre dans une auto-école. Chacun étant responsable de son aptitude à la conduite, les deux avis recueillis permettraient aux conducteurs de prendre une décision en connaissance de cause.

M. Joël Valmain. Peut-être ne serait-il même pas nécessaire de prévoir une obligation. Un médecin de famille peut jouer ce rôle.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Il suffirait de justifier d’avoir été consulter.

M. Joël Valmain. Nous ne devons pas stigmatiser cette population – d’autant que, on l’a dit, elle est loin de regrouper les conducteurs les plus dangereux – mais au contraire l’aider à continuer à pratiquer la conduite, de façon intelligente, si nécessaire en imposant certaines contraintes.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. La question n’est pas de stigmatiser, mais de savoir si, oui ou non, il faut prendre des mesures spécifiques.

M. Bernard Laumon. Quand on dresse le bilan des accidents qui impliquent des personnes âgées, on s’aperçoit qu’elles sont surtout dangereuses pour elles-mêmes. La victime est souvent le conducteur ou son épouse – sachant que plus de la moitié des victimes d’accidents sont les conducteurs eux-mêmes. Par ailleurs, il vaut mieux être percuté par un conducteur âgé – qui, statistiquement, circule à une vitesse moins élevée – que par un conducteur jeune, le nombre d’années de vie perdues étant inférieur dans le premier cas…

Je regrette de voir ce débat, qui devrait concerner l’ensemble des pathologies en lien avec la conduite, se focaliser sur celles liées au vieillissement, et sur la question de savoir à partir de quel âge l’aptitude à la conduite devrait faire l’objet d’attentions particulières. On propose une amniocentèse aux femmes enceintes de plus de 38 ans, mais la trisomie 21 peut survenir avant cet âge. Inversement, lorsque l’on a commencé à proposer un dépistage du cancer du sein à partir de 50 ans, on a renoncé à le faire au-delà de 70 ans – c’est-à-dire à un âge où, pourtant, le risque de le développer est le plus élevé. Cela s’expliquait par un calcul coûts/bénéfices : il semblait inutile, au moins au début, de convoquer des femmes plus âgées, parce qu’elles ne se rendraient pas au dépistage.

Ces exemples montrent que, pour chaque pathologie, le pic d’incidence ne survient pas au même moment et que les conséquences ne sont pas les mêmes selon l’âge. Dès lors, comment pourrait-on fixer un seuil unique pour le dépistage des maladies susceptibles d’affecter l’aptitude à la conduite ? Les apnées du sommeil font partie de la liste dressée par l’arrêté du 31 août 2010, mais la moitié de ces apnées n’est pas diagnostiquée – alors que, quand elles le sont, on peut les traiter –, et, de plus, elles ne constituent pas des maladies propres aux personnes âgées. Cela n’aurait pas de sens de vouloir les dépister à partir de 70 ans ; c’est à 20 ans qu’il faut le faire. Certes, d’une façon générale, le risque augmente avec l’âge, mais il n’existe pas de valeur seuil à partir de laquelle un examen médical présenterait à coup sûr un intérêt. Pour certaines maladies, un tel examen devrait être effectué relativement jeune ; pour d’autres, il pourrait attendre 70 ou 75 ans. Il faudrait réaliser des études coûts/bénéfices pour chaque type de pathologie, ce qui aurait l’avantage d’éviter de stigmatiser les personnes âgées.

D’autres problèmes peuvent également se poser. Ainsi, dans le cadre d’un travail sur les troubles cognitifs chez les personnes âgées, effectué sur trois groupes différents – personnes démentes, prédémentes ou en bonne santé –, nous avons mis au point, en collaboration avec le laboratoire de Claude Marin-Lamellet, un test simple et peu coûteux, pouvant être pratiqué en médecine générale, et susceptible de dépister un trouble de l’attention en lien avec un état de prédémence. Imaginons cependant que l’on généralise ces tests afin de mesurer l’aptitude à la conduite : une personne venue consulter pourrait non seulement se voir retirer son permis, mais aussi, par la même occasion, apprendre qu’elle risque de souffrir de démence sénile ! Un tel diagnostic, dont les conséquences dépassent largement la question de l’aptitude à conduire, ne me semble pas pouvoir être établi lors d’une visite médicale destinée à vérifier cette aptitude.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Vaudrait-il mieux que la personne ignore son état ?

M. Bernard Laumon. Non, mais il serait préférable qu’elle l’apprenne dans un autre contexte.

Par ailleurs, je le répète, fixer un âge unique pour le dépistage des maladies figurant dans l’arrêté de 2010 serait une erreur. Prévoir des âges différents permettrait non seulement de ne pas stigmatiser les personnes âgées, mais aussi d’alléger le dispositif…

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Nous avons besoin de mesures simples, car notre société s’est déjà trop habituée à la complexité. Si nous devons prendre de nouvelles dispositions, elles doivent être compréhensibles pour les 40 millions d’automobilistes.

M. Bernard Laumon. L’examen médical d’aptitude à la conduite pourrait être orienté par le médecin généraliste en fonction des pathologies dont souffre le patient.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. À titre personnel, je ne suis pas favorable à la fixation d’un âge à partir duquel un tel examen serait nécessaire. Il reste que la question a été posée et que nous serons amenés à l’aborder en tant qu’élus.

M. Bernard Laumon. À mes yeux, la détermination de l’état de santé d’un individu relève plus d’un problème de santé publique que de la sécurité routière.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Pourtant, les institutions européennes réfléchissent à cette disposition, que des pays de l’Union appliquent déjà.

Mme Sylvie Bonin-Guillaume. Je suis plutôt d’accord avec les propos qui viennent d’être tenus. La première question que nous devons nous poser est celle du coût d’un dépistage. Dans le cas du cancer du sein, il a fallu arrêter après 70 ans parce que les coûts devenaient énormes. Il en serait de même pour le dépistage d’une incapacité à conduire. Qui va payer ? Dans la mesure où la problématique qui nous occupe relève de la vie quotidienne, et pas seulement de la maladie, cet élément doit être pris en compte.

Cela étant, il ne fait pas de doute qu’une action régulière procure un grand bénéfice, notamment en matière d’information. J’ai avec moi une plaquette appelée « conduire quand l’âge avance » et destinée à être consultée dans les salles d’attente des médecins. La question d’un âge limite pour la conduite y est notamment abordée. Par ailleurs, dans le cadre des journées de prévention routière à destination des conducteurs seniors, des compagnies d’assurance, des automobiles clubs, des mairies se mobilisent pour informer le public. Les règles du code de la route y sont rappelées, des conseils pratiques sont prodigués – par exemple au sujet des sièges pour bébés, qui intéressent les personnes s’occupant de leurs petits-enfants –, des essais sur simulateur, des tests de vision ou d’audition sont proposés à ceux qui le souhaitent. On est donc plus dans le registre de la responsabilisation du conducteur que dans celui de l’obligation ou de la répression, et c’est pourquoi ces journées ont un grand succès au niveau local. La question se pose donc de savoir s’il faut les développer, et avec quels financements.

D’un point de vue médical, une tentative a été faite d’organiser une visite obligatoire assortie d’une évaluation gériatrique complète pour toutes les personnes partant en retraite et jusqu’à l’âge de 70 ans, mais cela n’a eu aucun succès. En effet, la consultation aurait duré en moyenne une heure, ce qui est très long. En outre, les médecins étaient réticents à faire passer des tests spécifiques à des patients qu’ils connaissaient par ailleurs très bien. Ils n’ont pas adhéré à l’expérience, alors même qu’ils étaient rémunérés pour cela.

Il paraît difficile de prévoir une visite de cet ordre pour vérifier la capacité à conduire. En revanche, il serait possible d’inciter les médecins à avoir, avec leurs patients appartenant à une tranche d’âge déterminée, une discussion relative à la conduite automobile, et à renouveler cet entretien, par exemple une fois par an. Aujourd’hui, une telle démarche est encore rare, même si certains spécialistes commencent à aborder cette question lorsqu’ils procèdent à une évaluation gériatrique.

Par ailleurs, il existe des tests permettant d’évaluer les difficultés cognitives d’une personne. Malheureusement, aucun test n’est capable à lui seul de déterminer de façon certaine le risque d’accident. Il faut adopter une stratégie plus complexe, et non seulement réaliser des tests cognitifs pour évaluer l’autonomie du patient, mais aussi interroger son entourage sur sa façon de conduire. Cela étant, si, au sein d’un couple, une seule personne conduit, son conjoint sera réticent à donner l’alerte, car une incapacité à conduire les mettrait en difficulté tous les deux. Il faut parfois en tenir compte.

Les tests ne constituent pas une preuve, mais ils peuvent être complétés par une vérification devant un simulateur – même si cela n’est pas toujours facile pour les personnes âgées –, voire avec un moniteur d’auto-école. Des moniteurs, des orthoptistes ou des psychologues convenablement formés seraient en mesure de réaliser une véritable expertise. Pour autant, est-il possible de la proposer à tous les conducteurs de plus de 60 ans ?

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Des campagnes nationales de communication ont été organisées dans le passé avec un certain succès. Je pense par exemple à la campagne : « Au volant, la vue c’est la vie. » Peut-être serait-il nécessaire de les réactiver.

M. Xavier Zanlonghi. Cela existe toujours.

M. Joël Valmain. Les thèmes abordés changent au cours des années. Ainsi, une campagne consacrée à la somnolence au volant a été menée pendant l’été par la DSCR en collaboration avec les sociétés d’autoroute. L’objectif était de tordre le cou à certaines idées reçues et de montrer que boire du café, ouvrir la fenêtre ou augmenter le volume de la radio ne suffit pas à éviter l’endormissement. Dès que l’on ressent les premiers signes de fatigue, il faut s’arrêter et dormir pendant un quart d’heure.

Des campagnes ont donc lieu régulièrement et les sujets sont renouvelés : il s’agit d’alerter sur l’exposition aux risques, de rappeler les règles et d’expliquer qu’un petit manquement peut avoir des conséquences importantes. Au-delà de la réglementation, l’important est de faire comprendre qu’en conduisant, on met en jeu sa propre vie et la vie des autres. Dès lors, quel que soit son âge, une personne souffrant d’une pathologie doit se poser la question de sa capacité à conduire.

Je ne pense pas que l’édiction de nouvelles règles permettrait de régler tous les problèmes. Le meilleur moyen d’avancer de façon concrète serait d’aider les médecins à accompagner leurs patients pour permettre à ces derniers de surmonter les conséquences de leurs pathologies.

M. Claude Marin-Lamellet. En ce qui concerne l’institution d’une évaluation obligatoire à partir d’un certain âge, d’un point de vue scientifique, l’efficacité de ce type de mesure n’a jamais pu être démontrée. Certains pays organisés en fédération, comme l’Australie ou les États-Unis, laissent aux États une autonomie de décision et de gestion en matière de sécurité routière, ce qui a permis d’effectuer des comparaisons entre les États organisant un screening régulier à partir d’un âge déterminé et les autres. Or, les données d’accidentologie montrent que c’est plutôt dans les États qui n’ont pas prévu de contrôle que l’on observe le moins d’accidents au sein de la population concernée. Faute de justification scientifique, il est donc difficile d’apporter une réponse claire en ce domaine.

À propos du réseau belge du CARA, j’ai noté les différentes étapes des évaluations auxquelles il procède. Lorsqu’une personne se rend dans un de ces centres, elle remplit d’abord un questionnaire d’ordre général, puis elle a un entretien avec un psychologue. Elle se soumet ensuite à des tests neuropsychologiques, à des tests visuo-attentionnels et à des tests de vision, avant d’effectuer un test de conduite sur route, dont la première partie se déroule dans une zone fermée à la circulation. Dans certains cas – notamment lorsque l’on soupçonne que la personne ne serait pas en mesure de faire face à une situation extrême –, on procède à une évaluation devant un simulateur de conduite.

Toutes ces opérations prennent du temps, généralement une journée. L’évaluation est gratuite pour les personnes concernées, car elle est prise en charge par l’État belge. Mais cela représente un dispositif assez lourd.

La décision finale est prise de façon collégiale par le médecin, le psychologue, le neuropsychologue et le driving assessor. Ce dernier n’est pas un moniteur d’auto-école, mais quelqu’un dont le métier est de ne faire que ce type d’évaluation. Souvent, il s’agit d’anciens ergothérapeutes ou d’anciens moniteurs qui ont complété leur formation grâce à des modules universitaires. Notons que de telles passerelles n’existent pas en France.

M. Alain Dômont. La question est de savoir si tout le monde doit se soumettre à une évaluation ou s’il faut prévoir un seuil de déclenchement. Dans certains pays, ce sont les assureurs qui fixent les critères : l’assurance est renouvelée à la condition de pouvoir produire un certificat médical. Le problème est alors celui de la qualité d’un tel certificat, dans la mesure où l’évaluation de l’aptitude à la conduite nécessite des compétences que tous les médecins n’ont pas. Ils n’ont pas été formés en ce sens, alors même qu’ils ont la responsabilité, en vertu de la loi Kouchner, d’informer leurs patients des conséquences de leur maladie et de leur traitement.

On ne peut guère envisager de soumettre tout le monde à un screening. Dès lors, comment identifier les personnes concernées ? Le code de la route offre un début de réponse à cette question, puisque le permis (E)B, nécessaire pour tracter une remorque, doit, à l’instar de l’autorisation délivrée aux conducteurs professionnels, être renouvelé tous les cinq ans jusqu’à l’âge de 60 ans, puis tous les deux ans jusqu’à l’âge de 76 ans, et chaque année ensuite.

Votre question renvoie donc à celle de la validité administrative du permis de conduire, qu’il ne faut pas confondre avec la validité médicale. Lorsque l’on interroge le ministère de l’intérieur sur le nombre de permis en circulation, on obtient une réponse très imprécise – entre 40 et 45 millions –, parce que l’administration n’a pas nécessairement connaissance du décès des titulaires. Il faut donc bien distinguer la délivrance de l’autorisation de conduire, qui est une décision administrative, et le résultat d’une évaluation médicale de l’aptitude à la conduite. Or, aucun médecin, fut-il membre d’une commission médicale, ne peut promettre à son patient qu’il n’aura aucun problème de santé par la suite, ce qui peut poser un problème lorsque l’on cherche à associer une validité administrative à un avis médical. Ainsi, une disposition introduite subrepticement dans le code de la route en 1998 renvoie au conducteur la responsabilité de faire évaluer son aptitude à la conduite. Mais, si ce dernier n’a pas été informé par son médecin traitant, il n’a aucune raison de se présenter devant la commission médicale. C’est donc le médecin qui, in fine, endosse cette responsabilité.

À l’heure actuelle, le permis de conduire n’a pas une durée limitée de validité administrative. Mais la réglementation européenne pourrait imposer de le renouveler tous les dix ans jusqu’à un certain âge, et plus fréquemment ensuite. Le renouvellement serait assorti d’une visite médicale. Or, consulter un médecin n’implique pas que l’on va s’abstenir d’avoir un problème de santé dans les cinq ans ou les dix ans qui suivent.

Un problème de santé n’entraîne pas automatiquement un accident, et avoir un accident ne signifie pas que l’on a un problème de santé. Il existe un phénomène d’autorégulation comportementale : on sait parfaitement qu’un certain nombre de personnes s’arrêtent spontanément de conduire à partir d’un certain âge. Mais certaines le font à tort. Elles pourraient continuer ; toutefois, faute d’évaluation spécifique, elles ont peur de le faire. À l’inverse, certains ignorent complètement leurs problèmes de santé et continuent à conduire alors qu’ils ne le devraient pas. On les retrouve, par exemple, circulant en sens inverse sur l’autoroute.

Il existe donc déjà une réponse à votre question dans la réglementation actuelle : c’est le permis (E)B, assujetti aux contre-indications médicales du groupe léger, et qui doit être renouvelé périodiquement – à un rythme d’ailleurs sans doute un peu trop élevé pour ce qui concerne les conducteurs les plus jeunes. Mais je ne pense pas qu’imposer une visite médicale à tous les conducteurs soit une solution opérationnelle. Il serait préférable d’évaluer les personnes devant leur volant, pour dépister celles qui rencontrent des difficultés à conduire. Une telle solution aurait l’avantage de démédicaliser le problème.

M. Joël Valmain. Le permis (E)B est requis pour conduire de très grosses remorques ; il ne concerne pas en général les simples vacanciers. Cela justifie la mise en place d’un régime similaire à celui du permis poids lourds.

S’agissant de la validité administrative du permis de conduire, elle n’est, pour l’instant, pas limitée en France. Mais, à partir du début de l’année 2013, une directive européenne imposera effectivement une durée de validité limitée pour tous les titres de conduite, comme c’est d’ailleurs déjà le cas dans la plupart des pays d’Europe, sauf en Allemagne, en Autriche et en Belgique. Les États membres auront le choix de fixer une durée de validité comprise entre dix et quinze ans. Cependant, la directive ne prévoit pas une visite médicale obligatoire. Elle précise simplement que, dans les pays de l’Union – treize, à l’heure actuelle – où un tel examen est effectué de façon périodique, il conviendra de le faire coïncider avec le moment du renouvellement administratif, afin de limiter les contraintes pesant sur le citoyen.

Quant aux conducteurs que l’on retrouve circulant à contresens sur l’autoroute, il ne s’agit pas nécessairement de personnes âgées : les exemples dramatiques que nous avons connus cet été impliquaient, dans les deux cas, des personnes très alcoolisées. En tout état de cause, nous mettons en place des signalisations expérimentales destinées à éviter de tels accidents.

M. Xavier Zanlonghi. Je précise qu’en matière de vision, les mesures qui doivent être faites pour vérifier l’aptitude à la conduite ne sont pas celles que réalisent habituellement les ophtalmologistes. En effet, ces derniers raisonnent œil par œil, alors qu’en matière de conduite on s’intéresse toujours à la vision binoculaire. De plus, il faudrait également mesurer la vision périphérique, ce qui nécessite des appareillages que les trois quarts des ophtalmologistes ne possèdent pas. La vérification de l’aptitude visuelle à la conduite impliquerait donc une consultation ophtalmologique particulière.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Les ophtalmologistes ne seraient tout de même pas les plus mal placés pour la réaliser !

M. Xavier Zanlonghi. Non, bien sûr, dès lors qu’ils disposent de l’équipement adéquat.

Par ailleurs, si l’on souhaite fixer un âge à partir duquel une consultation serait obligatoire, on pourrait choisir celui de la presbytie, dont souffrent 98 % des gens à partir de 50 ans. Lorsque ces personnes consultent un médecin ophtalmologiste, elles sont informées des conséquences de cette affection sur la conduite – comme la difficulté à lire un tableau de bord, ou les problèmes particuliers posés par les verres progressifs –, mais on ne va pas jusqu’à leur tenir un discours sur la sécurité. Quoi qu’il en soit, l’âge de 50 ans est important en termes de santé visuelle.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Monsieur Delorme, j’ai cru comprendre que les patients n’étaient pas nécessairement avisés – ou sinon verbalement – des éventuelles conséquences sur l’aptitude à la conduite des médicaments prescrits par leur médecin. Ne faudrait-il pas le préciser sur l’ordonnance ?

M. Alain Dômont. C’est ce qu’on conseille de faire à la faculté.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Mais les médecins ne semblent pas toujours le faire. Or, ce serait sans doute préférable, ne serait-ce que pour se dégager de sa responsabilité professionnelle.

M. Bernard Delorme. Inciter le médecin à préciser systématiquement le niveau de risque que le médicament fait peser sur la conduite serait en effet une mesure simple à mettre en œuvre. Mais il ne dispose pas nécessairement de cette information au moment de la prescription. Un pictogramme figure sur les boîtes ; mais dans le dictionnaire Vidal, par exemple, l’appartenance d’un médicament à telle ou telle catégorie n’est pas mentionnée – même si une liste des produits pouvant avoir un effet sur la conduite se trouve placée au début de l’ouvrage. Seuls certains logiciels de prescription comportent cette précision.

En revanche, le pharmacien peut jouer un rôle pédagogique important, ce que facilite la présence du pictogramme sur la boîte. Nombre de mes confrères, en officine, assument parfaitement cette démarche. Cela étant, la transmission de l’information pourrait probablement être améliorée au moment de la prescription.

M. Claude Marin-Lamellet. En ce qui concerne plus particulièrement les benzodiazépines, des études récentes ont bien montré l’importance des effets résiduels de ces molécules. Ainsi, même après une nuit de sommeil, on peut encore, si on conduit très tôt le matin, ressentir les effets atténués de ces médicaments. Cela peut se traduire par des perturbations de l’attention, par exemple. Il serait sans doute nécessaire de sensibiliser le public à ce phénomène, d’autant que ces molécules sont souvent l’objet d’automédication et que leur posologie n’est pas toujours respectée.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Il faudrait donc définir la durée d’effet des médicaments.

M. Bernard Delorme. Cette durée est très difficile à déterminer.

J’ai déjà souligné l’intérêt du système de classification des médicaments pour attirer l’attention des consommateurs sur un petit nombre de molécules parmi les plus dangereuses. Deux hypnotiques, en particulier, rencontrent un grand succès, parce que leur courte demi-vie – c’est-à-dire leur élimination rapide – a été mise en avant lors de leur lancement sur le marché. Or, il apparaît que cette élimination n’est pas si rapide que cela, puisque des effets résiduels persistent.

Par ailleurs, on observe parfois des comportements totalement inadaptés, comme le fait de prendre un somnifère au milieu de la nuit avant de reprendre la route le lendemain, d’en user de façon quasiment récréative, ou de multiplier par quatre ou cinq la dose prescrite. Les études épidémiologiques montrent ainsi que deux molécules sont cause d’une part non négligeable de l’accidentologie. C’est pourquoi certains médicaments – moins de 2 % des spécialités pharmaceutiques – sont accompagnés de la mention « Attention, danger : ne pas conduire ». Il est important que ce message soit transmis.

Mme Sylvie Bonin-Guillaume. La conduite automobile est un élément très important du nouveau plan « Bien vieillir » qui est sur le point d’être finalisé. Et les conclusions du rapport en cours d’élaboration devraient être très utiles pour la mise en place d’actions allant dans le sens du bien vieillir et du maintien de la mobilité.

M. Philippe Houillon, président et rapporteur. Je vous remercie de votre participation.

La séance est levée à 19 heures.

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