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Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Mercredi 7 septembre 2011

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Armand Jung, Président

Table ronde, ouverte à la presse, sur le contrôle sanction automatisé

– M. Aurélien Wattez, chef du département du contrôle automatisé à la délégation à la sécurité et à la circulation routière du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement 

– M. Thierry Pocquet du Haut-Jussé, procureur de la République de Rennes, responsable du volet judiciaire du contrôle sanction automatisé, et M. Emmanuel Grandsire, 1er substitut, adjoint au chef du bureau de la politique d'action publique générale de la direction des affaires criminelles et des grâces 

– M. Jean-Jacques Debacq, préfet, directeur de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) et Mme Isabelle Gally, adjointe au préfet 

– M. Sylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), et M. Laurent Carnis, économiste, chargé de recherche à l’IFSTTAR 

– M. Éric de Caumont, secrétaire général de l'Association des avocats de l'automobile 

– M. Sébastien Roux et M. Philippe Zamora, chercheurs au Centre de recherches en économie et statistiques (CREST).

Table ronde, ouverte à la presse, sur la formation à la conduite réunissant :

- M. Aurélien Wattez, chef du département du contrôle automatisé à la délégation à la sécurité et à la circulation routière du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement ;

- M. Thierry Pocquet du Haut-Jussé, procureur de la République de Rennes, responsable du volet judiciaire du contrôle sanction automatisé, et M. Emmanuel Grandsire, 1er substitut, adjoint au chef du bureau de la politique d'action publique générale de la direction des affaires criminelles et des grâces ;

- M. Jean-Jacques Debacq, préfet, directeur de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) et Mme Isabelle Gally, adjointe au préfet ;

- M. Sylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), et M. Laurent Carnis, économiste, chargé de recherche à l’IFSTTAR ; 

- M. Éric de Caumont, secrétaire général de l'Association des avocats de l'automobile ;

- M. Sébastien Roux et M. Philippe Zamora, chercheurs au Centre de recherches en économie et statistiques (CREST).

La table ronde débute à quatorze heures trente.

Présidence de M. Armand Jung, président.

M. le president Armand Jung. Cette table ronde sur le contrôle sanction automatisé – c’est-à-dire, en clair, sur les radars automatiques – est particulièrement importante à nos yeux, dans la mesure où la création de cette mission d’information par la Conférence des présidents a justement fait suite aux remous accompagnant la décision du Comité interministériel de sécurité routière de supprimer les panneaux prévenant de l’existence des radars. Votre audition sera donc déterminante pour l’élaboration des propositions que nous allons transmettre au ministre de l’intérieur vers le milieu du mois d’octobre.

De nombreux députés sont retenus par les votes très importants qui ont lieu cet après-midi, mais dès qu’ils le pourront, d’autres membres de la Mission vont nous rejoindre, dont son rapporteur, M. Philippe Houillon. Par ailleurs cette réunion, ouverte à la presse, est enregistrée et diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

M. Aurélien Wattez, chef du département du contrôle automatisé au sein de la Délégation à la sécurité et à la circulation routière (DSCR). Le département du contrôle automatisé, dont je suis le responsable, est rattaché à la Délégation à la sécurité et à la circulation routière – DSCR –, elle-même placée sous la double autorité du ministère de l’intérieur et du ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Ce département, créé l’année dernière après la séparation en deux entités de l’ancienne Direction du projet interministériel de contrôle automatisé – DPICA –, a pour mission le déploiement et la maintenance des radars automatiques en France.

En ce qui concerne le déploiement, l’objectif fixé par le ministre de l’intérieur est d’installer, en 2011 et en 2012, 1 000 nouveaux radars-sanctions. Parallèlement, le contrôle sanction automatisé aborde une nouvelle phase de son existence, marquée par une grande diversification des systèmes de contrôles, qui seront désormais de sept types différents.

Aujourd’hui, environ 3 500 radars sont déployés sur le territoire, dont 2 000 radars « vitesse » fixes – ces cabines blindées disposées sur l’accotement. La plus grande part est installée sur les routes départementales, le plus grand réseau, mais il en existe aussi sur les routes nationales et sur les autoroutes. Par ailleurs, les unités de police et de gendarmerie sont dotées de 933 radars mobiles. Depuis 2009, des équipements sont également placés sur les feux tricolores afin de contrôler le respect des feux rouges. Ils sont aujourd’hui plus de 600.

M. le président Armand Jung. Disposez-vous d’un premier bilan des équipements « feux rouges » ?

M. Aurélien Wattez. La DSCR a demandé l’année dernière au réseau scientifique et technique du ministère des transports une évaluation de la politique de contrôle automatisé des feux rouges. Le rapport définitif n’est pas encore disponible, mais les premières constatations font état d’une chute du nombre d’infractions relevé par le dispositif plus importante qu’avec les radars « vitesse » fixes : alors que dans le second cas, cette chute est de 10 à 15 % par an, le rythme est sans doute deux fois plus élevé pour ce qui concerne les feux tricolores. Cela montre un apprentissage des usagers et une évolution de leur comportement lorsqu’ils abordent les carrefours équipés. Ces dispositifs sont d’ailleurs bien acceptés par la population dans la mesure où ils ont vocation à pacifier le milieu urbain et à réguler de façon plus intelligente les échanges en zones denses entre automobilistes, cyclistes et piétons. Nous tendons à les installer plus particulièrement devant les écoles ou les centres hospitaliers, c’est-à-dire dans des lieux fréquentés par des usagers vulnérables où, plus qu’ailleurs, nous devons porter attention au respect de la signalisation.

M. le président Armand Jung. Si je vous ai posé la question, c’est qu’au cours des auditions, beaucoup ont déclaré trouver logique d’installer des radars sur les routes départementales, où l’accidentologie ou la mortalité sont les plus importants, mais moins aux carrefours dotés de feux tricolores, où le nombre d’accidents mortels est bien moindre. En filigrane, certains reprochaient à l’État d’installer ces équipements pour « faire du chiffre ». Il est vrai que c’est en dehors des villes que le problème crucial se pose : il serait donc préférable que vous mettiez l’accent sur les radars « vitesse ».

M. Aurélien Wattez. Jusqu’en 2009, le déploiement concernait surtout les radars « vitesse », mais depuis, comme je l’ai dit, nous avons entrepris une politique de diversification des équipements, d’une part pour lutter contre d’autres sources d’insécurité routière, et de l’autre pour éduquer les usagers et leur montrer qu’il faut respecter l’ensemble des règles, partout et tout le temps. Après le respect de la vitesse autorisée, celui des feux tricolores est un nouveau pas vers une diminution du nombre de morts sur les routes.

Parmi les nouveaux dispositifs, on peut citer les radars discriminants. Cette nouvelle génération de radar « vitesse » va permettre de distinguer les véhicules légers des poids lourds, et donc de sanctionner le chauffeur en tenant compte des limitations propres à la catégorie à laquelle appartient son véhicule, mais aussi d’identifier avec certitude la voie sur laquelle circule le conducteur en infraction. La présence de plusieurs véhicules sur un même cliché est en effet, à l’heure actuelle, une des causes de rejet des messages d’infractions relevés par les radars traditionnels. Une quinzaine de ces équipements est d’ores et déjà installée, et leur nombre atteindra plus d’une centaine l’année prochaine.

La diversification ne s’arrête pas là : d’ici à la fin de l’année, nous allons déployer des radars « vitesse moyenne », dits aussi radars « tronçons », qui permettront de mesurer la vitesse moyenne d’un véhicule entre deux points de façon à inciter les usagers à maîtriser leur vitesse sur une distance plus longue, et aussi des radars destinés à contrôler le franchissement des passages à niveaux. Certes, le contrôle des passages à niveaux ne constitue pas le plus gros gisement de sécurité routière mais, une fois de plus, il est important de faire respecter toutes les signalisations et toutes les règles du code de la route.

Par ailleurs, sont en cours d’expérimentation des radars « mobiles mobiles », c’est-à-dire des radars embarqués, à même de contrôler les automobilistes dans le flux de la circulation. Les résultats étant plutôt prometteurs, il n’est pas exclu de voir ces systèmes fleurir sur nos routes l’année prochaine.

Enfin, une expérimentation doit être lancée concernant les routes en travaux. Dans ces zones particulièrement dangereuses, où la vitesse maximale autorisée est abaissée pour assurer la sécurité des personnes évoluant sur le chantier, la limitation n’est en effet presque jamais respectée.

En résumé, la politique de déploiement des radars vise à étendre les lieux d’implantation des dispositifs et le type d’infraction susceptible d’être contrôlé, de façon à inciter les usagers à respecter l’ensemble des règles, partout et tout le temps.

M. le président Armand Jung. La mission d’information s’interroge sur le coût de tous ces dispositifs et sur ce qu’ils rapportent, car certains les accusent de constituer une « pompe à fric ».

M. Thierry Pocquet du Haut-Jussé, procureur de la République de Rennes. Le décret du 29 mars 2011 portant création de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions – ANTAI – a levé certaines ambiguïtés relatives à la répartition des responsabilités en matière de contrôle sanction automatisé. En tant que procureur de la République de Rennes, j’assure ès qualités la tutelle judiciaire sur le Centre national de traitement des infractions routières – CNT – et sur les deux unités qui le composent.

La première est le CACIR – Centre automatisé de constatation des infractions routières – composé d’agents ou d’officiers de police judiciaires appartenant à la police nationale ou à la gendarmerie. Grâce aux moyens que leur donne la technologie automatisée élaborée par l’ANTAI, ils peuvent constater les infractions à partir des images apparaissant sur leurs écrans. Ils jouent donc un rôle similaire à celui des gendarmes et policiers présents sur le terrain, mais de façon centralisée.

La deuxième est l’Officier du ministère public, chargé de traiter les réclamations. Ce service est dirigé par un commissaire agissant sur délégation de l’officier du ministère public de Rennes, c’est-à-dire du directeur départemental de la sécurité publique, sous l’autorité et le contrôle du procureur.

Nos missions sont donc de l’ordre de la garantie et du recours. Je participe également au comité de pilotage qui se tient tous les mois à Rennes, afin de contribuer à la détermination des règles d’action en matière de contrôle automatisé, qu’il s’agisse de la constatation de l’infraction ou de sa contestation, et de faire en sorte que ces règles soient conformes aux textes et préservent les libertés et l’individualisation du système.

M. Emmanuel Grandsire, premier substitut, adjoint au chef du bureau de la politique d’action publique générale de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG). La DACG a été associée à la conception du contrôle sanction automatisé dès la mise en place de ce dernier en 2003. Elle poursuit aujourd’hui cette mission en participant au comité de pilotage et à des réunions interministérielles destinées à résoudre certaines difficultés tant juridiques que techniques, liées notamment au développement des nouveaux dispositifs qui ont été évoqués. Nous donnons un éclairage sur les conséquences juridiques de certains choix techniques – par exemple en matière de constatation des infractions ou de recevabilité des preuves – afin de garantir au mieux les droits des différentes parties.

Le cœur de métier de la DACG est la définition de la politique pénale, en concertation avec le garde des sceaux. À ce titre, nous avons diffusé un certain nombre de circulaires sur le contrôle sanction automatisé. L’une d’elle, publiée en 2006, a permis de présenter aux parquets l’architecture juridique du système, caractérisée par la centralisation à Rennes des dispositifs de contrôle et d’examen de la recevabilité des recours, l’examen au fond des dossiers étant réparti entre les différents ressorts des juridictions françaises.

La DACG a été amenée à se pencher, fin 2010, sur une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur l’article 529-10 du code de procédure pénale – car le dispositif tout entier repose sur l’amende forfaitaire. L’argument présenté était la prétendue impossibilité de contester la décision par laquelle l’Officier du ministère public écarte la recevabilité du recours.

Enfin, du fait de sa tutelle sur le casier judiciaire national, la DACG est destinataire des condamnations prononcées par les juridictions. Elle dispose donc de certaines statistiques. Elle est aussi informée, à la suite de requêtes de particuliers ou de parlementaires, d’éventuels dysfonctionnements affectant le CSA, et peut être amenée à réclamer des explications au procureur de la République de Rennes. Ce qui guide son action, c’est bien entendu le respect des règles fixées par le code de procédure pénale, la garantie des droits de la défense et, d’une façon générale, la recherche d’un équilibre entre la nécessaire répression des infractions routières et le respect des droits des différentes parties.

M. Jean-Jacques Debacq, préfet, directeur de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions. Avant de diriger l’ANTAI, née en mars de cette année, j’étais, depuis octobre 2006, directeur du projet interministériel de contrôle automatisé. Je connais donc bien l’histoire du système.

Au même titre que le Département du contrôle automatisé, l’Agence est un enfant de la DPICA. Sa principale mission est l’organisation du traitement automatisé des infractions. Elle fait en sorte que le CNT puisse disposer des moyens informatiques nécessaires en vue de lire les messages d’infractions qui lui parviennent, d’interroger le fichier d’immatriculation des véhicules, celui des véhicules volés et celui des loueurs de véhicules, de façon à identifier le titulaire du certificat d’immatriculation. Une fois validées par le CACIR, ces données sont imprimées, affranchies et adressées aux contrevenants.

La vocation de l’Agence est également de tirer les leçons du contrôle automatisé, et notamment de la dématérialisation de la chaîne pénale. C’est à ce titre que nous avons été chargés de développer le PVE, c’est-à-dire la verbalisation électronique des infractions aux règles de stationnement.

Bien que très moderne, le système de contrôle sanction n’est pas intégralement automatisé, et la part humaine reste importante : nous laissons en effet aux agents et officiers de police judiciaire du CACIR le soin de constater individuellement chacune des infractions. Il en est de même pour les retours de courrier : l’Officier du ministère public a connaissance de chaque lettre visant à contester l’infraction ou à désigner un autre conducteur. Dans ce dernier cas – par exemple si le titulaire de la carte grise avait prêté son véhicule à quelqu’un d’autre –, un deuxième avis de contravention est envoyé à la personne concernée.

La modernisation s’étend également au paiement, puisqu’un tiers des contraventions sont réglées par télépaiement – téléphone ou Internet.

J’en viens à votre question sur les coûts et bénéfices du système. À la question de savoir combien ça rapporte, je réponds très sérieusement : 3 500 vies par an. C’est le plus important. Cela évite que 2 000 enfants deviennent orphelins, et aussi 12 000 blessés plus ou moins graves chaque année.

D’un point de vue économique, des études ont montré que l’insécurité routière coûtait à la nation plusieurs milliards d’euros par an. Dans ces conditions, il est indispensable de lutter contre ce fléau, ce qui requiert un effort important.

M. le président Armand Jung. Le problème est de l’expliquer à nos concitoyens. Avec le rapporteur, nous essayons de trouver les meilleurs arguments, mais ce n’est pas toujours facile.

M. Jean-Jacques Debacq. Absolument : nous savons combien il est difficile de faire passer certains messages. Ainsi, nous ne parvenons pas à faire comprendre que le système ne sert pas à renflouer les caisses de l’État, parce que pour les gens peu informés, l’État est une grande maison dans laquelle on peut inclure toutes les institutions publiques, y compris les collectivités locales. Or le produit des amendes – et pas seulement celui du contrôle automatisé – va principalement à ces dernières, notamment pour le financement des aménagements de sécurité routière, le reste étant consacré aux transports publics.

Le coût du déploiement et de la maintenance des radars, anciens et nouveaux, représente entre 80 et 100 millions d’euros par an. Celui du traitement est du même ordre, y compris l’affranchissement des avis de contravention et les frais liés aux retours de courrier.

Quant au produit des amendes, leur montant atteint 550 millions d’euros par an : 450 millions pour les avis de contraventions et 100 millions pour les amendes forfaitaires majorées. Le taux de paiement est d’ailleurs de 80 %, ce qui en fait un des plus élevés après l’impôt sur le revenu.

Ainsi, sur 450 millions d’euros, environ 200 millions servent à l’entretien du système et au traitement des contraventions ; à peu près 100 millions sont affectés à l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France ; le reste est attribué aux collectivités locales. Toutefois, depuis le 1er janvier 2011, l’ensemble du produit des amendes, qu’elles soient classiques ou automatisées, est regroupé dans un compte d’affectation spéciale. Les fonds recueillis, qui s’élèvent à environ 1,3 milliard d’euros, sont désormais ainsi répartis : à peu près 200 millions servent à l’entretien du système, 640 millions d’euros sont attribués aux collectivités locales et 440 millions au désendettement de l’État. Enfin, une petite partie de cet argent sert également à financer l’information des usagers sur le nombre de points que compte leur permis.

Permettez-moi de vous donner quelques chiffres-clés concernant le Centre national de traitement. Nous recevons chaque année 19 millions de messages d’infraction – en incluant le procès-verbal électronique – et nous expédions 10 millions d’avis de contravention. Si l’on s’en tient au seul contrôle automatisé, les chiffres sont respectivement de 18 et 9 millions. Le décalage s’explique pour moitié par la présence de conducteurs de véhicules immatriculés à l’étranger sur nos routes, l’autre moitié étant constituée des « rebuts techniques » liés aux difficultés de lecture des plaques minéralogiques, notamment celles des motos. Au total, nous expédions 15 millions de courriers par an et nous en recevons 3 millions. Nous traitons 50 000 messages d’infraction par jour, un chiffre à mettre en balance avec certains incidents relevés par la presse, comme ce matin, à propos d’une femme ne parvenant pas à régler un problème d’immatriculation usurpée.

M. Sylvain Lassarre, directeur de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR). J’ai cherché à évaluer l’impact du contrôle sanction automatisé sur la sécurité routière, et je peux d’ores et déjà vous donner quelques résultats.

Tout d’abord, la mise en place du CSA a eu, dès 2003, un effet massif sur le nombre de tués. Un tel phénomène est très rare : la dernière fois que nous sommes parvenus à changer le système de sécurité routière, c’était en 1973, lorsqu’ont été décidés la généralisation des limitations de vitesse et le port de la ceinture obligatoire. Avec des modèles simples, on a pu estimer que le nombre de tués avait baissé de 19 % entre 2003 et 2010. L’estimation du nombre de vies épargnées fait l’objet d’une petite querelle ; il est, selon moi, d’environ 2 000 sur la période considérée. Quoi qu’il en soit, il ne fait pas de doute que ce résultat est à mettre dans la balance des coûts et des bénéfices.

Cet effet massif est d’autant plus remarquable que, dans les premiers temps, le nombre de radars automatiques était peu élevé : entre 200 et 250 jusqu’en 2005. On a pourtant observé une chute importante des vitesses moyennes, ainsi que des dépassements de vitesse maximale autorisée. Auparavant, on pouvait parler de délinquance de masse, puisqu’environ 50 % des conducteurs ne respectaient pas les limitations, quel que soit le réseau. Les gendarmes et les policiers faisaient le maximum avec les moyens dont ils disposaient, mais la tolérance restait importante, certains chercheurs ayant mis en évidence un phénomène d’indulgence.

La mise en place d’un réseau automatique a, au contraire, été l’occasion d’établir une égalité devant la sanction. En outre, avec ces radars, même en faible nombre, on a commencé à prendre dans les filets non seulement le « super-délinquant » qui dépasse systématiquement les vitesses autorisées, mais aussi le Français moyen. Les conducteurs ont été très surpris, et l’information selon laquelle la vitesse était désormais étroitement contrôlée s’est rapidement diffusée dans la société. Il faut dire que la probabilité d’être contrôlé était multipliée par cent ! Tout cela explique l’ampleur de l’effet obtenu.

J’en viens à l’acceptabilité du système. Dans un premier temps, elle a été forte – les réponses à nos questionnaires le montrent –, parce que la population a compris qu’il ne servait pas à alimenter les caisses de l’État, mais à lutter contre l’insécurité routière. Grâce aux résultats qui ont rapidement été obtenus, les gens ont adhéré à ce qui apparaissait comme une bonne mesure. Ils ont par ailleurs commencé à modifier leur attitude vis-à-vis de la vitesse.

Nos études font apparaître l’existence de quatre catégories de conducteurs : les conducteurs prudents, pour lesquels la vitesse représente un danger – environ 50 % du total – ; les pragmatiques – 23 % –, qui estiment maîtriser la vitesse, et pour qui celle-ci constitue un gain de temps ; les hédonistes, pour qui la vitesse est un plaisir ; et les « défieurs » – 12 % du total –, qui aiment jouer avec la vitesse et avec le risque. On peut donc dire qu’environ 70 % des conducteurs acceptent, voire soutiennent, les efforts consentis en faveur du contrôle sanction automatisé, ou de la mise au point du LAVIA, c’est-à-dire d’un limiteur s’adaptant à la vitesse autorisée. Mais il subsiste toujours 25 à 30 % de réfractaires. Or, plus on augmente le nombre de radars, et plus ces réfractaires vont se manifester. C’est ainsi qu’apparaissent sur le marché des systèmes de type Coyote destinés à éviter de se faire prendre.

Il existe probablement un optimum à trouver en matière de déploiement des radars, car, pour l’essentiel, nous avons atteint l’effet recherché.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Un de nos interlocuteurs nous a dit qu’il faudrait implanter un total de 5 000 radars sur le territoire national. Cela vous paraît-il une bonne chose ?

M. Sylvain Lassarre. L’efficacité marginale de ces nouveaux radars risque d’être réduite, et nous risquons de connaître des difficultés en termes d’acceptabilité. En tout état de cause, nous n’obtiendrons plus les baisses que nous avons connues au début. On pourra améliorer à la marge la situation dans certains points dangereux, mais il sera plus difficile de faire baisser la vitesse générale.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Selon vous, le parc actuel est suffisant, et toute augmentation n’aurait qu’une efficacité marginale. Celle-ci peut-elle être quantifiée ? Qu’en est-il des radars pédagogiques ?

M. Sylvain Lassarre. Je ne vois pas, en effet, la nécessité d’augmenter le nombre de radars automatiques. Il est vrai que l’on peut toujours en transformer certains en radars pédagogiques. Cela étant, j’attends aussi l’avis de mes collègues ayant travaillé sur cette question.

Bien entendu, d’autres types de radars peuvent s’avérer efficaces. Les radars « tronçon », par exemple, pourraient permettre de sauvegarder de nouvelles vies.

M. le président Armand Jung. Pensez-vous également, monsieur Carnis, que l’on a atteint un palier en matière d’acceptabilité des radars ?

M. Laurent Carnis, chargé de recherche à l’IFSTTAR. Si l’on observe les courbes de l’évolution de la vitesse moyenne, on peut en effet considérer que l’on a atteint un palier avec la stratégie actuelle – pour ne pas dire un plafond. C’est assez normal : la forte réduction des vitesses montre que le système a relativement bien fonctionné, mais qu’il finit par s’épuiser, ce qui est dans la logique de son fonctionnement.

Par ailleurs, il n’est pas impossible de franchir ce plafond. On peut explorer d’autres stratégies, comme la diversification évoquée par M. Wattez, ou l’évolution de la signalisation. En outre, parler d’effet marginal ne signifie pas nécessairement que cet effet est réduit. Simplement, il se produit à la marge. Quand M. Lassarre parle d’un équilibre, il fait référence au rapport entre les gains et les coûts additionnels du dispositif.

Je suis économiste, et je travaille à l’IFSTTAR au sein du département consacré à l’économie et à la sociologie des transports. Je m’intéresse au développement de l’économie de la sécurité routière, et plus précisément, depuis plus de dix ans, aux questions de dissuasion des infractions et de vitesses excessives.

Je conçois le CSA comme un outil de politique publique, bien sûr, mais plus particulièrement comme un instrument de production de dissuasion, lui-même inséré dans un système de gouvernance spécifique.

En tant qu’instrument de production de dissuasion, un dispositif de contrôle automatisé est, selon les savoirs criminologiques, susceptible de produire deux effets distincts. Le premier est la dissuasion générale, qui consiste à prévenir la réalisation de l’infraction, et donc à jouer sur le registre de la prévention. Le deuxième est la dissuasion spécifique, consistant à prévenir la réalisation, mais surtout la récidive, en faisant intervenir une dimension répressive. Les deux phénomènes sont liés.

Ces effets de dissuasion peuvent être d’ordre local, lorsqu’il s’agit de gérer un problème d’accidentalité circonscrit, ou d’ordre global lorsqu’ils portent sur une portion plus large du réseau. Dans la pratique, le système français est mixte, puisqu’il présente un équilibre entre ces dimensions préventive et répressive. Il associe en effet des appareils mobiles et fixes, signalés et non signalés, ainsi que, désormais, des radars pédagogiques. En outre, il permet de prendre en compte les enjeux locaux d’accidentalité tout en recherchant l’obtention d’effets de réseau, avec le déploiement massif d’appareils selon une logique d’itinéraire. Il en a résulté un maillage relativement fin du territoire.

Si nous mettons en regard les efforts consentis en matière de déploiement et les effets en termes de réduction des vitesses moyennes, les résultats sont remarquables. Ils le sont d’autant plus s’agissant des vitesses excessives les plus importantes, en quasi-disparition. Ce relatif succès est également renforcé par l’évolution de l’accidentalité. Même si on pouvait en partie les anticiper, de tels résultats n’étaient absolument pas garantis. Ils sont le fruit d’un véritable pari politique.

L’évolution du dispositif se traduit par une diversification et une multiplication des modes d’intervention qui auront certainement des conséquences sur le niveau de l’accidentalité, sur son rythme et sur la perception qu’en ont les usagers.

Quant à l’évolution des vitesses excessives, elle met en évidence une décélération des gains en termes de réduction de vitesse : les gains futurs seront donc de plus en plus difficiles à obtenir. Autrement dit, une réduction donnée de la vitesse moyenne de circulation nécessitera des efforts de contrôle de plus en plus importants.

M. le président Armand Jung. Si vous estimez que nous sommes parvenus à un palier, non seulement en termes de réduction de la vitesse, mais aussi de résultats – si l’on peut parler ainsi pour désigner des vies humaines –, où se situe le seuil, et comment faire pour le dépasser ?

M. Laurent Carnis. Franchir ce palier nécessite une redéfinition de la stratégie adoptée.

M. le président Armand Jung. C’est un point qui nous intéresse particulièrement.

M. Laurent Carnis. Au regard des expériences étrangères, une piste intéressante réside dans la multiplication des interventions des appareils de contrôle mobiles, alors que le niveau d’équipement des forces de police et de gendarmerie qui avait été fixé est désormais atteint. Une telle stratégie aurait sans doute un aspect plus répressif.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Pensez-vous que les radars mobiles seraient mieux acceptés, dans la mesure où l’on aurait atteint un seuil de saturation s’agissant des radars fixes ?

M. Laurent Carnis. Je ne dis pas cela, car tout est une question de dosage. Le système a été développé pour atteindre une forme d’équilibre entre une dimension préventive – assurée plutôt par les radars fixes – et une dimension répressive – associée aux radars mobiles. Mais les gens apprennent. À force de circuler sur le réseau, ils finissent par savoir où se situent les radars, d’autant qu’ils disposent de dispositifs technologiques spécifiques. Or, l’avantage d’un dispositif mobile, c’est qu’il est beaucoup moins prévisible : on crée de l’aléatoire, de l’incertitude.

Je ne m’aventurerai pas sur le terrain de l’acceptabilité, car je ne suis pas spécialiste de ces questions. Mais j’observe que les radars mobiles demandent des policiers ou des gendarmes pour fonctionner. Comme toute politique publique, la sécurité routière implique donc de faire des choix, économiques et politiques. Il existe, certes, des forces spécialisées, comme les escadrons départementaux de sécurité routière, mais il leur faut à la fois faire tourner les radars mobiles et assumer d’autres missions de contrôle plus traditionnelles : interception des conducteurs en excès de vitesse et lutte contre l’alcoolémie ou la conduite sous l’emprise de la drogue. La question est donc de savoir quelles priorités sont assignées à ces forces présentes sur le terrain, en matière de dissuasion, mais aussi de prévention – car elles interviennent aussi dans les écoles. Les moyens mobilisés doivent donc être mis en rapport avec les bénéfices attendus pour la société.

C’est tout l’enjeu de la mise en œuvre opérationnelle, qui exige, selon moi, une attention particulière, qu’il s’agisse du choix des sites de contrôle, des modalités de déploiement ou des contraintes organisationnelles. Je le répète, les effets d’une politique publique ne sont jamais automatiques : il ne suffit pas de déployer des moyens pour obtenir des résultats.

J’en viens au mode de gouvernance qui, dans le cas du système de contrôle sanction automatisé, a un caractère spécifique, impliquant des acteurs publics – autorités, collectivités locales – ou privés – usagers, fabricants, avocats, chercheurs. Tous ces acteurs entretiennent des relations plus ou moins intenses, collaboratives ou d’opposition. Ces interactions forment un système en évolution où des dynamiques d’action publique sont à l’œuvre.

Le système français me semble pouvoir être qualifié de « technocentré ». Il repose en effet sur des choix technologiques particuliers, comme l’automatisation presque totale de la chaîne pénale, et sur une centralisation de la décision au sein des deux organismes ayant succédé à la DPICA. Ces choix ont évidemment déterminé la stratégie mise en œuvre, consistant à déployer 3 500 appareils dans des délais relativement courts et à organiser un traitement de masse des infractions, en réponse au contentieux de masse généré par un système antérieur défaillant.

Il faut souligner que le déploiement et l’entretien du dispositif sont autofinancés – même si une telle notion, d’ordre économique, est impropre en matière de finances publiques –, ce qui a permis son extension progressive. Cette caractéristique n’avait rien d’évident, comme le montre l’exemple britannique.

Il reste que la diversification des appareils et des modalités d’intervention implique de prêter désormais une attention plus grande aux intérêts des autres parties prenantes, voire d’intégrer leurs contraintes et leurs objectifs. Les maires, par exemple, n’ont pas nécessairement les mêmes objectifs que l’administration centrale, ni les forces de l’ordre, en raison des différentes missions qu’elles doivent assumer. Des arbitrages doivent donc être rendus. Enfin, la prise en compte de l’avis des associations d’usagers permettrait de s’assurer que les sites de contrôle sont choisis de façon adéquate.

Le déploiement massif des appareils sur le réseau pose également la question de leur évaluation. Dans un rapport d’information déposé au nom de votre commission des finances, M. Hervé Mariton s’était ainsi interrogé sur la soutenabilité financière de cette politique. Il convient de prendre en compte la rentabilité socio-économique du dispositif de contrôle sanction automatisé, dont le coût est à mettre en relation avec les gains en termes de vies sauvegardées ou de blessés évités – en tenant compte du fait que les effets des blessures durent de longues années et entraînent des problèmes sociaux et familiaux. La décision a été prise de déployer 4 500 appareils. Est-ce un horizon ultime ? Faut-il rester en deçà de ce seuil ? Une réponse précise à cette question requiert une étude scientifique rigoureuse sur les gains et les coûts du dispositif.

M. Philippe Houillon, rapporteur. À ma connaissance, une telle étude n’a pas été effectuée.

M. Laurent Carnis. Le Commissariat général au développement durable s’est penché sur les bénéfices de la politique de contrôle sanction automatisé, mais pas sur la taille optimale du dispositif. Dans ce domaine, quiconque avancerait un chiffre devrait en justifier les raisons.

Je terminerai sur l’évolution institutionnelle. Les expériences étrangères montrent qu’il existe différentes manières de faire, associant différents acteurs et différents niveaux de gouvernement. Or le choix du schéma institutionnel a des effets sur la mise en œuvre d’une politique sur le terrain. Ainsi, il existe des dispositifs centralisés, comme en France, des organisations associant échelon local et coordination nationale, comme en Grande-Bretagne, des politiques élaborées au niveau municipal comme à Edmonton, ou cantonal, comme en Suisse. La centralisation n’est donc pas le seul schéma institutionnel possible – ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas adapté à la situation française. La diversification des modes d’automatisation du suivi des infractions doit conduire à s’interroger sur le niveau institutionnel de traitement, et donc sur la forme institutionnelle la plus appropriée du dispositif de contrôle sanction automatisé.

M. le président Armand Jung. L’intervention de M. de Caumont éclairera sans doute sous un autre angle le thème qui nous occupe.

M. Éric de Caumont. Sur ce point, je pense pouvoir satisfaire vos désirs, monsieur le président.

En tant que secrétaire général de l’Association des avocats de l’automobile, je serais enclin à ne parler que de droit puisque notre intervention se fait en aval, lors du traitement de l’infraction. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir un avis personnel sur le sujet.

En premier lieu, je ne partage pas l’enthousiasme général concernant la mise en place et la persistance d’un système de contrôle sanction automatisé, notamment – et c’est moins l’avocat que le citoyen qui s’exprime – parce que je cherche encore quels en sont les bénéfices. Je ne parle pas de bénéfices en termes budgétaires, car ceux-là ne font pas de doute – même si vous avez eu du mal, monsieur le président, à obtenir des chiffres précis en la matière –, mais en termes de sécurité routière. On ne peut pas aller contre ce qu’affirmait M. le préfet : par définition, les vies sauvées n’ont pas de prix. Mais je m’interroge justement sur l’utilité du CSA dans ce domaine.

En effet, il convient d’analyser les chiffres en élargissant le point de vue, c’est-à-dire en incluant la période précédant la mise en place des radars et en tenant compte de la situation chez nos voisins européens. Certes, on ne peut que se réjouir d’observer, depuis 2003, une diminution sensible du nombre des morts sur nos routes et nos autoroutes. Et si cette diminution est supérieure à celle observée dans les pays où l’on n’a pas adopté le contrôle sanction automatisé ni, a fortiori, donné à un tel système la puissance qu’on lui connaît en France, cela prouve son efficacité. Mais il n’en est pas de même si cette diminution est comparable, voire inférieure à celle qu’ont connue les autres pays. Or, les chiffres de l’INSEE montrent qu’entre 2003 et 2008, le nombre de tués par million d’habitants a baissé de 23 % dans l’Union européenne. Bien sûr, il existe des bons et des mauvais élèves, et nous figurons parmi les premiers, ce qui est une bonne nouvelle. En France, en effet, cette baisse atteint 33 %, contre 4 % dans d’autres pays. Mais d’autres font bien mieux : au Portugal, un État qui ne s’est pourtant pas doté d’une multitude de radars automatiques, la baisse est de 44 %. Par ailleurs, en Allemagne, pays dans lequel on peut rouler, sur une portion majoritaire du réseau autoroutier, à la vitesse de son choix, l’évolution du nombre de décès était la même qu’en France en 2009 et 2010.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Savez-vous quel est le nombre d’accidents constatés sur les portions à vitesse libre des autoroutes allemandes ? Personne n’est en mesure de me l’indiquer.

M. Éric de Caumont. Je ne connais pas ce chiffre, et je le regrette. Mais dès lors que la comparaison entre deux réseaux routiers, l’un entièrement limité et l’autre qui ne l’est que partiellement – avec une majorité de tronçons à vitesse libre –, laisse apparaître des meilleurs résultats dans le second réseau, et sauf à démontrer que les Allemands se tuent beaucoup plus sur les portions à vitesse libre et beaucoup moins que nous sur les portions à vitesse limitée, on peut en déduire que la limitation de vitesse sur autoroute n’est pas vraiment utile. Bien sûr, je ne dirais pas la même chose à propos de la circulation en agglomération.

Tout à l’heure, j’ai entendu parler de vitesse excessive : cette notion nécessite un effort d’explication, de même d’ailleurs que la différence entre radars mobiles et fixes. Tout le monde croit qu’un radar mobile est un dispositif transportable – radar laser, jumelles-radar, etc. –, par opposition aux radars fixes boulonnés sur le bord de la route. Mais c’est faux : ne sont dits « mobiles » – avec les conséquences juridiques que nous connaissons – que les radars embarqués dans des véhicules se déplaçant au moment du contrôle, d’où la déduction plus importante – 10 % contre 5 % dans le cas des radars fixes –, qui est appliquée pour tenir compte de la marge d’erreur.

M. Aurélien Wattez. Les définitions que vous donnez sont fausses.

M. Éric de Caumont. Je persiste, et je signe : ne sont mobiles que les radars utilisés dans des véhicules en déplacement au moment du contrôle.

De même, il ne faut pas perdre de vue la différence juridique entre vitesse excessive et excès de vitesse, deux notions trop souvent confondues alors qu’elles renvoient à deux articles différents du code de la route. L’excès de vitesse est le dépassement d’une limitation fixe appliquée à un endroit donné ; il est quantifié en kilomètres/heure, in concreto, que le dépassement soit dangereux ou non. La vitesse excessive consiste à circuler trop vite eu égard aux conditions de circulation : c’est, selon moi, la vraie cause de l’insécurité routière et celle qu’il faudrait sanctionner en premier. Or, elle ne l’est pratiquement pas, parce qu’il faut pour cela des effectifs suffisants et parce que la notion doit être définie in abstracto.

Il se trouve ainsi qu’aucun point ne sera retiré au permis de conduire de celui qui roule à 49 km/h devant une école au moment de la sortie des classes, mais qu’il en ira tout autrement pour le conducteur qui roule à 132 km/h sur une autoroute déserte. Tel est le choix répressif qui a été fait.

D’autre part, apprécier l’évolution de la situation en prenant comme point de départ l’année 2003 conduit à des conclusions relativement inexactes. Comment tenir compte du déploiement des radars automatiques fixes dans les chiffres de la sécurité routière pour cette année-là, alors que le premier radar a été inauguré en octobre et qu’en décembre on en dénombrait entre 15 et 20 pour la France entière ? Poser que 2003 est la première année de fonctionnement du contrôle sanction automatisé me paraît exagéré. Or, même si depuis 2004, première année pleine pendant laquelle le dispositif a été opérationnel, la courbe de la mortalité routière a affiché un mouvement descendant significatif, la baisse était bien meilleure en 2002 et en 2003, non pas parce que des radars automatiques avaient été installés, mais parce que le Président de la République de l’époque avait su faire adhérer les automobilistes à une nouvelle conception des rapports sur la route.

Dans un premier temps, ces appareils ont été considérés comme aidant la sécurité routière à traquer les chauffards qui ignoraient sciemment la réglementation sur la limitation de vitesse. Mais, il y a un peu plus d’un an, pour la première fois, les sondages ont montré que l’adhésion populaire était perdue, le système étant à présent perçu comme servant à remplir les caisses publiques. Comment s’en étonner, quand des conducteurs se font verbaliser pour avoir roulé à 51ou à 131 km/h ?

M. Aurélien Wattez. C’est faux.

M. le président Armand Jung. Personne, monsieur, n’est verbalisé en ce cas.

M. Éric de Caumont. Je reçois pourtant tous les jours des procès-verbaux qui l’attestent.

M. Aurélien Wattez. Ils font état de la vitesse retenue et non de la vitesse relevée.

M. Éric de Caumont. J’y viens. Si l’on sanctionne la vitesse retenue et non la vitesse relevée, c’est que les pouvoirs publics admettent que les mesures prises par les radars peuvent être affectées d’un coefficient d’erreur – il est de 3 % pour les nouveaux appareils présentés à l’homologation mais il était précédemment de 5 %. Pour ne pas risquer une verbalisation injuste, on déduit la marge d’erreur possible. Il en résulte que le conducteur sanctionné pour avoir roulé à une vitesse relevée de 56 km/h roulait peut-être à 61 km/h, mais peut-être aussi à 51 km/h. A cela s’ajoutent les erreurs d’installation et de fonctionnement des cinémomètres signalées par une étude de la police nationale ; elles sont très choquantes car elles conduisent à verbaliser des automobilistes qui n’ont pas commis d’infraction.

En admettant même que l’on ne tienne pas compte de ces observations parce que l’on considère le contrôle sanction automatisé comme une panacée aux effets largement positifs, je ne puis manquer de vous dire qu’en ma qualité d’avocat, défenseur des libertés individuelles, qui ne méprise pas pour autant l’intérêt collectif…

M. Philippe Houillon, rapporteur. … et qui est aussi auxiliaire de justice…

M. Éric de Caumont. Bien sûr, même si je préfère le terme de « partenaire ». Parce que je suis de ceux pour lesquels « mieux vaut dix coupables en liberté qu’un innocent en prison », je considère qu’une mesure, quelle que soit son utilité, ne doit jamais être appliquée en risquant de faire punir une personne qui n’a pas enfreint la loi. Or, parce que le contrôle sanction automatisé a été mis au point pour traiter un nombre considérable d’infractions le plus facilement possible, il n’est pas prévu que l’on puisse se défendre dans ce cadre aussi facilement qu’on le peut en cas de contrôle non automatique. En matière contraventionnelle, tout procès-verbal rédigé par un agent assermenté fait foi jusqu’à preuve contraire. Je comprends que cette disposition exorbitante du droit commun soit nécessaire pour traiter un contentieux de masse, mais un problème se pose quand on coupe les ailes de ceux à qui l’on a dit qu’ils n’ont pour se défendre que les écrits ou les témoins – et encore, les témoins à la barre. On a instauré un mécanisme dans lequel les rejets de contestations sont également automatisés, et certaines dispositions de ce système sont scandaleuses.

Ainsi, si l’on conteste une sanction découlant du contrôle sanction automatisé, on doit joindre, selon les cas, 90 ou 135 euros au courrier de contestation puisque, depuis 2003, pour avoir le droit de montrer que l’on est innocent, on est contraint de prêter de l’argent à l'État, qui le rendra à condition que l’on n’oublie pas de le demander. Et c’est ainsi que la malheureuse dont le cas a été évoqué précédemment, non sans une certaine condescendance, s’est retrouvée sans permis parce qu’elle avait omis de consigner une somme dans ses courriers de contestation successifs.

M. Jean-Jacques Debacq. C’est faux. Dans le cas cité, la consignation n’est pas requise.

M. Éric de Caumont. Ce que chacun a pu entendre aujourd’hui au sujet de cette dame dans une émission de télévision était pourtant clair…

M. le président Armand Jung. Pourriez-vous aller à l’essentiel sans vous attarder sur un cas particulier ?

M. Éric de Caumont. J’ajouterai simplement que quiconque aura procédé à la consignation requise, mais contesté l’infraction par courrier simple, recevra une réponse automatique l’avisant que, faute d’avoir été faite par courrier recommandé, la contestation n’est pas recevable et que la somme est donc conservée par l’État en reconnaissance de l’infraction et en paiement de l’amende. Étant donné cette manière de faire, je m’étonne que les réactions ne soient pas plus virulentes et je me demande ce que l’on gagne en sécurité routière à ne pas prendre une contestation en considération pour ce seul motif.

La deuxième dérive de ce système, c’est que, les photos étant désormais prises de dos dans un très grand nombre de cas, y compris aux feux tricolores, on a délibérément renoncé à identifier la personne à punir – dont vous m’accorderez que ce doit être l’auteur de l’infraction et non le propriétaire du véhicule. On a retourné les cinémomètres parce qu’il fallait pouvoir enregistrer aussi les infractions commises par les conducteurs de motos, lesquelles n’ont de plaques d’immatriculation qu’à l’arrière. Il en résulte qu’en l’état de notre droit, toute personne verbalisée, après avoir été photographiée de dos au volant, n’a plus qu’à nier qu’il se soit agi d’elle pour échapper au retrait de point ; la seule conséquence sera l’amende fiscale imposée au propriétaire du véhicule, et cela ne me paraît pas avoir une grande incidence en matière de sécurité routière.

On peut taxer de populisme ceux qui constatent que le contrôle sanction automatisé rapporte chaque année 500 millions aux collectivités territoriales et à l’État, mais l’on ne peut nier qu’étant donné les procédures et la manière dont sont maintenant utilisés les radars, ce n’est plus l’objectif initial – identifier et réprimer les conducteurs auteurs d’infractions, et de préférence d’infractions graves – qui est visé. Le système, tel qu’il a évolué, privilégie désormais la répression financière des propriétaires de véhicules, tout en permettant de manière scandaleuse à tous ceux qui veulent se libérer du respect des lois de le faire.

Les automobilistes ont compris que 80% des sanctions entraînées par le système dans sa version actuelle concernent les petits excès de vitesse, mais pas les auteurs de graves infractions, ce qui explique la perte de l’adhésion populaire au dispositif. Plus grave encore est le dévoiement politique du système, désormais ainsi organisé que, les clichés étant pour l’essentiel pris de l’arrière, toute personne qui s’affranchit des règles de limitation de vitesse, mais qui entend ne pas se dénoncer, demeure impunie.

M. Philippe Zamora, chercheur au Centre de recherches en économie et statistiques (CREST). Pour dire quelle réduction du nombre d’accidents on peut attendre de l’installation de mille radars fixes en un an, je soulignerai en premier lieu que ces appareils ont trois effets : un effet direct, un effet dit « de halo » et un effet politique. L’effet direct, c’est un impact immédiat dans la zone couverte par le radar, qui se traduit par la réduction de la vitesse et une conduite plus vigilante entre le panneau d’annonce de l’appareil et l’appareil lui-même ; c’est pourquoi les radars ont été installés dans les zones qui présentent le plus de risques. Cet impact est reflété dans les statistiques.

L’effet de halo, c’est qu’après avoir croisé un radar, l’automobiliste garde un comportement respectueux des règles de vitesse, et que, quand il connaît la présence d’un radar en un certain lieu, il anticipe ce comportement vertueux. Il en résulte une réduction des accidents sur quelques kilomètres autour des radars.

L’effet politique, enfin, est celui qu’évoquait M. Lassarre et qui a été observé dès 2002 : la diffusion de l’observation que la politique de sécurité routière allait être très sévère a fait que l’on est passé de quelque 105 000 accidents de la route par an jusqu’en 2002 à 85 000 en 2004. Cette baisse très brutale a eu lieu alors même que très peu de radars avaient été installés.

Selon l’étude que nous avons menée, le nombre d’accidents de la route chute de 50% pendant les six mois qui suivent l’installation d’un radar dans une commune donnée, comparée à une commune où aucun radar n’a été installé ; c’est une diminution remarquable du taux d’accidentalité. Toutefois, au-delà de six mois, la différence entre les communes considérées n’est plus que de 15 à 20 % : l’accoutumance fait que la vigilance des conducteurs ne s’exerce plus que là où se trouve le radar : l’effet direct persiste mais non l’effet de halo.

On conclura de cette étude que l’installation de mille radars fixes entraînera la diminution de moitié du nombre d’accidents dans les zones couvertes et que l’efficacité du dispositif, tout en demeurant, s’amoindrira avec le temps. L’installation de 1 000 nouveaux radars ne suffira donc pas à répéter le très fort impact constaté entre 2002 et 2004, sauf changement radical de technologie ou de politique. On peut penser, par exemple, que, si l’on cesse de signaler la présence des radars, les conducteurs exerceront une vigilance accrue, et que le taux d’accidentalité en sera fortement diminué sur l’ensemble du territoire.

M. le président Armand Jung. Monsieur Wattez, pourriez-vous nous donner des informations complémentaires sur les radars de nouvelle génération ?

M. Aurélien Wattez. Certainement, mais je souhaite auparavant rectifier plusieurs erreurs. Contrairement à ce qui a été dit, les radars dits « mobiles » sont, certes, embarqués dans les véhicules des forces de l’ordre, mais les contrôles sont faits ces véhicules étant arrêtés ; seules quatre expérimentations de contrôles en circulation ont lieu actuellement. Pour ce qui est de la précision de la mesure de la vitesse, les taux d’erreur maximale tolérés lors de l’homologation sont de 5 % pour les radars en service et de 3% pour les cinémomètres neufs, mais elle est en général limitée à 1 ou 2 %. Ce qui a été affirmé à ce propos est donc faux.

Par ailleurs, il est indéniable que la vitesse moyenne de déplacement sur les routes de France a diminué depuis 2003, dans la proportion considérable de 10 %, pour s’établir à quelque 80 km/h – mais elle serait à 76 km/h si chacun respectait les limitations de vitesse. Des progrès sont encore nécessaires, ce à quoi de nouveaux équipements devraient contribuer. On est ainsi fondé à penser que l’implantation de radars vitesse moyenne, dits aussi « radars tronçons », dont la zone d’influence est de 10 à 20 kilomètres - celle des radars fixes est d’environ 2 kilomètres - et qui permettent des contrôles sur une distance plus longue, devrait inciter les conducteurs à changer de comportement sur tout leur trajet. Nous savons aussi que l’efficacité des radars mobiles est de quelque 45 minutes ; au-delà, les automobilistes se sont alertés par appels de phare. C’est pourquoi, je vous l’ai dit, nous expérimentons des cinémomètres installés dans un véhicule en mouvement ou « radars mobiles mobiles » ; c’est pour ceux-là, et non pour les radars « mobiles », que l’erreur de mesure maximale tolérée sera de 10%. Avec ces dispositifs, on ne peut savoir où se fera le contrôle ; cela devrait inciter les conducteurs au respect permanent des règles de limitation de vitesse.

Avec ces deux nouvelles techniques de contrôle automatisé, nous voulons que les conducteurs sachent qu’à terme ils peuvent être contrôlés en tous temps et en tous lieux et qu’il est de leur intérêt de respecter les règles s’ils veulent conserver leur permis et ne pas être sanctionné par des amendes. Nous adaptons nos méthodes pour que l’effet dissuasif demeure.

M. Jean-Jacques Debacq. Même si nous reconnaissons tous que le contrôle sanction automatisé n’est pas une panacée, il faut être aveugle pour ne pas voir le bénéfice qu’il a apporté à la sécurité routière. En cette matière, trois facteurs se conjuguent : la route, le véhicule et le comportement des conducteurs. Pour ce qui est de la route, tous les points noirs ont été traités et les points gris sont en passe de l’être ; demeurent les risques associés aux passages à niveaux. Les véhicules sont de plus en plus « intelligents » et l’ABS, comme la généralisation du port de la ceinture, ont eu de grands effets.

M. Philippe Houillon, rapporteur. On pourrait aussi les brider, au lieu de continuer de fabriquer des véhicules pouvant rouler à 250 km/h, alors que l’on cherche par ailleurs à contrecarrer par tous les moyens les effets de la vitesse excessive de déplacement…

M. Jean-Jacques Debacq. Enfin, l’histoire de la sécurité routière montre qu’au début des années 2000 on s’est focalisé sur le comportement des conducteurs et que l’installation des radars a eu un impact considérable.

Je rappelle ensuite que c’est le législateur qui nous a permis de poursuivre d’abord le titulaire de la carte grise, le conducteur venant en second rang. Il est exact que des clichés sont pris de dos pour éviter que les motards ne défient les contrôles. J’ai été l’artisan de cette mesure : quand les deux-roues motorisés représentent 1% du trafic et les motards 16% des morts sur la route, faut-il ne rien faire ? Pour autant, dire que tous les radars prennent les photos de dos est faux. Les 933 radars mobiles prennent les photos de face, et ils enregistrent plus de messages d’infraction que les radars fixes, dont un tiers prend aussi les photos de face. Il me revenait de rétablir les faits, qui sont que la majorité des clichés, dans la somme totale des photos, est prise de face.

Nous tenons pour essentiels l’accès au droit et la possibilité de contester et de se défendre. Sans cela, toute la chaîne pénale s’écroule ! Je ne puis donc laisser dire que nous considérerions quelque contestation que ce soit « avec condescendance » - c’est entièrement faux. Certes, tout dispositif est perfectible et nous pouvons toujours améliorer la qualité de nos réponses aux contestations, mais permettez-moi de souligner que nous recevons vingt mille courriers par jour.

La centralisation de notre système reflète le fonctionnement des institutions publiques d’un État unitaire. Il se trouve que ce dispositif est le plus performant du monde, parce que nos radars fonctionnent 92% du temps, parce que le mécanisme est bien accepté et qu’il améliore en permanence la sécurité routière.

Nul ne peut dire que la France, qui était la lanterne rouge de l’Europe il y a une dizaine d’années en matière de sécurité routière et qui est maintenant au 5ème ou au 6ème rang de l’ensemble européen, n’a pas fait des progrès considérables en ce domaine.

Je rappelle enfin que chaque kilomètre-heure supplémentaire de vitesse moyenne en France se traduit par 4% de morts en plus sur nos routes.

M. Philippe Houillon, rapporteur. A-t-on constaté l’augmentation des infractions là où les panneaux annonçant la proximité d’un radar ont été enlevés ?

M. Jean-Jacques Debacq. Oui. Elle a été de 50 % pendant les deux mois qui ont suivi l’enlèvement des panneaux puis elle a fortement chuté pour se stabiliser entre 5 et 10 %.

À ce jour, environ 3 500 appareils sont installés. Nous prévoyons d’en installer mille autres : 500 radars « vitesse » supplémentaires, de 350 à 400 dispositifs aux feux tricolores et une centaine de dispositifs de contrôle aux passages à niveaux. Nous avons pour objectif un parc de 4 500 appareils d’ici fin 2012 ou début 2013.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Retirer quatre points du permis pour un franchissement de feux au rouge ne vous paraît-il pas beaucoup ?

M. Jean-Jacques Debacq. Il s’agit d’éviter des morts, mais il s’agit aussi de civilité. Franchir un feu tricolore lorsqu’il est au rouge devrait être tabou, comme devraient l’être le non-respect d’un panneau « Stop » et la circulation dans un couloir réservé aux autobus. Veuillez considérer qu’installer mille de ces dispositifs en France signifie qu’il y en aura dix par départements. Il le faut, pour obtenir un effet dissuasif général.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Qui décide de l’implantation des radars et des dispositifs de contrôle des franchissements de feux tricolores ?

M. Jean-Jacques Debacq. Les préfets, après concertation et consultation locales.

M. le président Armand Jung. Si je vous ai bien entendu, il n’aurait pas fallu enlever les panneaux annonçant la présence d’un radar, car cela a été contre-productif.

M. Jean-Jacques Debacq. Je rappelle qu’aux débuts du contrôle sanction automatisé, un panneau signalait même les radars mobiles. Cette pratique, qui n’a jamais eu de base juridique, a été abandonnée car l’installation des panneaux mettait en danger la vie des agents affectés à cette tâche et aussi parce qu’il fallait ménager un effet de surprise. Il y a un an environ, il a été décidé d’adapter le dispositif en installant un panneau de signalisation de radar avant une zone de contrôle automatisé et non plus avant chaque radar fixe. Nous sommes maintenant dans une période où la recrudescence du nombre de morts sur les routes suscite l’inquiétude générale – c’est ce qui a motivé la constitution de votre mission d’information. L’État doit fixer des orientations, et la suppression des panneaux de signalisation des radars est un acte de gouvernement. L’implantation de radars pédagogiques est une mesure positive.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Avez-vous constaté la diminution du nombre des infractions là où des radars pédagogiques ont été installés ?

M. Jean-Jacques Debacq. Oui, et elle est notable.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Pourquoi la moitié des infractions signalées restent-elles sans suite ? Est-ce parce que les photos sont prises de dos ? Il est difficilement admissible que 50% des auteurs d’infractions soient sanctionnés et que les autres ne le soient pas.

M. Jean-Jacques Debacq. Cinquante pour cent des messages d’infraction ne peuvent être traités dont, pour moitié, les infractions commises par des conducteurs de véhicules immatriculés à l’étranger. Toutefois, depuis quelque mois, nous pouvons interroger directement le fichier helvétique des immatriculations, ce qui nous permet de poursuivre les automobilistes suisses. D’autre part, un accord a été passé avec le Luxembourg et, depuis le 1er septembre, avec la Belgique, si bien que nous pourrons utiliser les renseignements relatifs aux contrevenants belges en France, de même que seront utilisées les indications concernant les contrevenants français en Belgique. De plus, le Parlement européen ayant adopté la directive relative à l'échange d'informations sur les infractions routières transfrontalières, des progrès substantiels auront lieu et nous devrions pouvoir poursuivre, à terme, tous les véhicules immatriculés à l’étranger.

Soustraction faite des signalements d’infractions commises par les titulaires de plaques étrangères, 67% des messages donnent lieu à des avis de contravention. Les motos, parce qu’elles sont dépourvues de plaques d’immatriculation à l’avant, comptent pour beaucoup dans cette déperdition. Leurs conducteurs, qui commettent de sept à huit fois plus d’infractions que les conducteurs de voitures, savent parfaitement où sont installés les radars et s’arrangent souvent pour dissimuler leur immatriculation. Aussi avons-nous engagé une réflexion sur la manière d’améliorer la lisibilité des plaques.

Les autres facteurs de déperdition tiennent à des choix de politique pénale - ainsi, une photo sur laquelle apparaissent deux véhicules est presque systématiquement écartée, ce qui explique l’intérêt des nouveaux radars discriminants, qui permettent d’identifier la voie sur laquelle l’infraction a été commise -, mais aussi à la médiocre visibilité des plaques d’immatriculation, la nuit en particulier, ou à l’insuffisante définition des photos. Nous nous efforçons de manière permanente d’améliorer la qualité des radars.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Des arguments juridiques couramment employés permettent-ils de faire annuler l’invalidation d’un permis de conduire ?

M. Thierry Pocquet du Haut-Jussé. Il me paraît devoir être mis au crédit de ce système automatisé tant critiqué que le choix a été fait de maintenir une chaîne pénale, avec toutes les garanties que cela apporte. Cela n’est pas si fréquent, et beaucoup d’autres pays ont opté pour un traitement administratif. Même si le contrôle est pour partie automatique, chaque identification, en France, est réalisée par un officier du CACIR. De plus, la sanction appliquée aux infractions relatives aux limitations de vitesse, comparée à ce qu’elle est ailleurs, est relativement modérée.

M. de Caumont a estimé insuffisantes les possibilités de recours. Je tiens à préciser que, dans le cas cité, la consignation n’était pas requise ; la dame n’a consigné aucune somme mais cela ne lui a pas été reproché et n’a pas entraîné de conséquences.

Il est exact que la contestation doit être faite par courrier recommandé avec accusé de réception - et cela montre que contester est possible. Pour autant, avoir droit à recours ne signifie pas que l’on puisse exercer ce droit n’importe comment ; il est normal que la loi fixe des règles. Je puis ainsi citer le cas d’une dame qui nous pose de grands problèmes car elle ne cesse de contester des infractions tout en refusant de saisir le juge de proximité comme nous l’y invitons par des courriers individualisés répétés ; elle nous demande d’annuler les contraventions dont elle a fait l’objet, ce que nous ne pouvons évidemment pas faire.

Nous avons bien pour objectif de sanctionner les conducteurs qui échappent aujourd’hui à la verbalisation. Il s’agit en premier lieu des conducteurs de voitures immatriculées à l’étranger, auteurs de 25% des infractions signalées, une proportion largement supérieure à leur participation au trafic routier français. Des progrès ont lieu mais ils sont lents et l’on pourrait espérer une coopération accrue de la part de certains pays, dits vertueux en d’autres domaines, mais assez peu actifs en celui-ci.

Je ne peux, par ailleurs, passer sous silence l’attitude de certaines entreprises qui, en refusant de désigner les conducteurs fautifs, leur permettent de se soustraire à leurs responsabilités. Reste la sanction pécuniaire, dont l’assez modeste montant est peu dissuasif. Il y a là une défaillance choquante. Pourquoi ne pas imposer, comme une circulaire impérative y contraint les services judiciaires, que, dans chaque véhicule appartenant à une société ou à un organisme, soit affiché un tableau indiquant quel en est le conducteur à tout moment, de manière à pouvoir désigner l’auteur d’une infraction, lorsqu’on le recherche pour le sanctionner ?

Pour ce qui est, enfin, des 25% de conducteurs photographiés qui restent non identifiés, il ne faut pas se voiler la face : les progrès dépendront des moyens donnés au CACIR pour enquêter et rectifier les erreurs de saisie. En l’état, ses agents n’ont pas le temps de se livrer à des recherches individualisées. C’est choquant car des contrevenants échappent ainsi à toute sanction, mais la solution se trouvera dans les moyens donnés au service, pas dans les textes.

M. Éric de Caumont. Le manque de coopération de certaines entreprises déploré par M. le procureur de la République s’explique par leur souci de sauvegarder leurs forces vives et notamment de protéger leurs commerciaux. Une fois encore, que ne prend-on les photos de face ! L’identification du conducteur fautif prendrait alors très peu de temps aux enquêteurs. Par ailleurs, je suis incapable de vous dire qui conduisait ma voiture le 27 juin à 12 heures 53 : ce peut aussi bien être ma femme que l’un de mes fils, et même si, pétri de bonne volonté, je souhaitais donner le nom de celui ou de celle qui a commis une infraction à ce moment précis, j’en serais empêché, faute de pouvoir l’identifier. Même ceux qui souhaiteraient collaborer à l’établissement de la vérité ne le peuvent si le cliché a été pris de dos.

Oui, il existe des moyens efficaces de faire échec à l’annulation d’un permis, essentiellement en s’appuyant sur le défaut d’information préalable, prévue dans la loi de 1989, sur les conséquences du retrait de points. Il est choquant que les membres des forces de l’ordre, en proposant aux contrevenants, comme c’est leur rôle, de payer l’amende forfaitaire minorée, oublient parfois de leur dire qu’ils disposent de trois jours pour la régler. De ce fait, certains automobilistes payent immédiatement, en oubliant que ce paiement aura pour conséquence de leur faire perdre des points. Il se produit même qu’on leur dise - sans doute de bonne foi - que s’ils règlent immédiatement, aucun point ne leur sera retiré. Et c’est ainsi que des conducteurs se retrouvent sans permis de conduire, et par là sans emploi, alors qu’ils étaient convaincus de ne pas s’être mis dans cette situation. D’une manière générale, l’information sur le permis à points est très insuffisante. C’est un des principaux éléments qui permettent de faire aboutir les recours.

M. Jean-Jacques Debacq. Je ne contredis pas M. de Caumont sur cette faiblesse particulière, mais je précise que nous produisons beaucoup plus vite qu’auparavant les éléments relatifs aux retraits de points successifs. Nous avons aussi amélioré l’information des contrevenants, notamment sur le fait qu’accepter de régler l’amende vaut acceptation du retrait de points. D’ailleurs, depuis un an environ, en cas de recours devant le juge administratif, les avocats perdent plus souvent que l’État.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Chaque année, dix millions de points sont retirés, autant sont restitués, et soixante-dix pour cent des infractions concernent de petits excès de vitesse, ce qui fait débat. Ne pourrait-on trouver un moyen de rationaliser le dispositif ?

M. Jean-Jacques Debacq. Si votre question porte sur l’aspect mécanique du dispositif, je peux vous dire que le nombre de points retirés commence à diminuer. Si vous me demandez s’il faut retirer un point pour les petits excès de vitesse, ma réponse est un « oui » ferme, car c’est là la vraie sanction, qui vaut pour tous. S’en tenir à l’amende, ce serait pratiquer une forme de ségrégation financière puisque, pour certains conducteurs, 135 euros ne sont rien.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Le système actuel prévoyant et le retrait de points et la sanction pécuniaire, l’inégalité existe déjà : un bénéficiaire du RSA est sans conteste plus pénalisé par l’amende que ne l’est le patron d’un grand groupe.

M. Jean-Jacques Debacq. Aussi bien, si l’on supprimait le retrait de point pour les petits excès de vitesse, ne subsisterait qu’une amende identique pour tous les contrevenants, et l’inégalité serait plus criante encore.

M. Emmanuel Grandsire. Et si l’on s’en tenait au retrait de points, les conducteurs de voitures immatriculées à l’étranger ne pourraient plus être sanctionnés.

M. Éric de Caumont. Comme M. Debacq l’a souligné, l’effet du retrait de points est le même pour tous mais le paiement d’une amende d’un montant fixe n’emporte pas les mêmes conséquences pour tous les contrevenants. C’est une autre tare du système de contrôle sanction automatisé ; le juge, lui, a le devoir d’adapter l’amende aux revenus du justiciable.

M. Gérard Voisin. J’ai moi-même reçu la notification m’informant qu’il me reste trois points, et j’en ai récupéré un ; cela montre que les députés sont soumis à la règle commune, ce qui n’était pas le cas précédemment.

En février 2009, j’ai fait rapport, au nom de la commission chargée des affaires européennes, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil facilitant l’application transfrontalière de la législation dans le domaine de la sécurité routière. Je sais qu’un quart environ des 17 millions d’infractions enregistrées par les radars fixes est commis par des véhicules immatriculés à l’étranger - la proportion de conducteurs allemands dans l’effectif des auteurs d’excès de vitesse graves étant particulièrement élevée. Or, cette anomalie, qui traduit l’impunité condamnable dont bénéficient les non-résidents et qui prive de quelque 180 millions d’euros les caisses de l’État, perdure car les progrès de la coopération transnationale sont lents. Si les échanges d’informations sont désormais lancés avec la Belgique, une modification de la Constitution allemande serait nécessaire pour que l’accord bilatéral d’échange de renseignements sur les contrevenants signé avec l’Allemagne aboutisse ; pour l’instant, dans ce pays, ne peut en effet être sanctionné que le contrevenant, et non le propriétaire du véhicule. Un long délai sera donc nécessaire avant que la coopération transfrontalière progresse significativement en matière de sécurité routière.

M’étant rendu à Berlin lors de l’élaboration du rapport, j’ai pu y voir les clichés réalisés lors des relevés d’infraction. Il s’agit de photos frontales de qualité parfaite, et les passagers sont dissimulés. En France, outre que les photos prises sont de bien moindre qualité, elles sont, pour les deux tiers, prises de dos, pour que les motards n’échappent pas à la sanction, mais aussi, ai-je cru comprendre, par souci de protection de la vie privée. L’identification des fautifs en est singulièrement compliquée. Pourquoi ne pas en revenir à l’apposition d’une plaque d’immatriculation aussi à l’avant des motos, comme c’était la règle il y a quelques décennies ?

Enfin, je ne suis pas certain que le système français de contrôle sanction automatisé soit le meilleur ; il me semble que le dispositif néerlandais pourrait prétendre à cette qualification.

M. Jacques Myard. La difficulté que pose la sanction des petits dépassements de vitesse sans dommages et sans état d’ébriété, c’est que les contrevenants ont le sentiment d’être victimes d’une injustice ; de ce fait, le dispositif dans son entier provoque des réactions de rejet. D’ailleurs, le principe constitutionnel de la proportionnalité de la peine est-il bien respecté ? Enfin, la fréquente incohérence de la signalisation routière rend plus difficile le respect des limitations de vitesse.

M. Jean-Jacques Debacq. Je maintiens que notre système de contrôle sanction automatisé est de tous le plus performant en terme de disponibilité – elle est supérieure à 90% en France et n’est que de 40% en Allemagne, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Suisse. On vient nous visiter pour voir comment faire aussi bien. S’agissant de la proportionnalité des peines, le Conseil constitutionnel est saisi, mais je signale que le nombre de conducteurs à qui ont été retirés 12 points d’un coup ne représente que 0,74% de tous les conducteurs.

M. le président Armand Jung. Messieurs, je vous remercie pour vos contributions à nos travaux.

La table ronde s’achève à dix-sept heures cinquante.

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