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Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Mardi 20 septembre 2011

Séance de 14 heures 40

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Armand Jung, Président

Auditions, ouvertes à la presse, de :

– M. Claude Got, professeur honoraire de médecine 2

– M. Jean Bardet, député, co-président du groupe d’études sur la route et la sécurité routière 15

– MM. Didier Joubert, direction centrale des compagnies républicaines de sécurité, Jean-Cyrille Reymond, commissaire divisionnaire, Didier Perroudon, contrôleur général « DCSP » 22

– MM. Bernard Darniche, fondateur de l’association Citoyens de la route et Rémy Julienne, consultant spécialiste en sécurité 32

La séance est ouverte à 14 heures 40.

Présidence de M. Armand Jung, président.

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Claude Got, professeur honoraire de médecine.

M. le président Armand Jung. Nous poursuivons nos auditions relatives aux causes des accidents de la circulation et à la prévention routière en accueillant M. le professeur Claude Got.

Monsieur le professeur, vous faites autorité en matière de prévention routière. Selon vous, les accidents de la circulation ont-ils des causes multifactorielles ? Êtes-vous favorable au bridage des moteurs ? Quelle est votre position sur les panneaux avertisseurs de radars ? Comment pourrait-on faire baisser le nombre des accidents des deux roues motorisés ? Que pensez-vous des campagnes de communication de la sécurité routière ? Que nous suggérez-vous dans le domaine de la gouvernance ? Comment jugez-vous la politique de lutte contre l’alcool au volant ? La semaine dernière, nous avons rencontré les constructeurs d’automobiles français. Quelles suggestions conviendrait-il de leur faire ? Tels sont certains des thèmes que nous aimerions vous voir aborder.

M. Claude Got. Messieurs les députés, votre mission est impossible et je vais tenter de vous expliquer pourquoi.

Depuis une quarantaine d’années, dans le cadre de mes fonctions, j’ai tenté d’articuler des expertises très différentes :

Premièrement, l’expertise des personnes. Chacun est à même d’exprimer des idées personnelles sur les accidents. Tout le monde conduit, tout le monde est conduit. Les Français se considèrent comme des spécialistes de l’accident. Certains même se rassemblent dans des associations. Et cela nous amène à entendre des discours souvent très différents : les uns très rationnels, les autres passionnels et bien éloignés de la réalité.

Deuxièmement, l’expertise scientifique, qui, selon moi, ne pose pas de problème particulier. Sans doute peut-on la perfectionner dans certains domaines mais, dans l’ensemble, elle fournit aux politiques tous les éléments dont ils ont besoin pour définir et appliquer des politiques de sécurité routière. Les succès obtenus en 1973-1974 et 2002-2003 en témoignent.

Troisièmement, l’expertise décisionnelle, qui me passionne, et que j’ai pratiquée à plusieurs reprises. Dans un tel cadre, les experts répondent aux décideurs en fonction de l’objectif qu’ils ont fixé.

Pour ma part, je m’intéresse à la sécurité routière depuis que les chercheurs de chez Renault sont venus me voir à Garches en octobre 1970. J’ai participé au Comité d’études sur l’alcoolisme et pratiqué un autre type d’expertise transversale sur des problèmes de sécurité sanitaire liés au sida, à l’alcool, à l’amiante ou au tabac. Je me suis alors rendu compte comme il pouvait être difficile d’accorder le désir profond des politiques de rendre service à la population en améliorant sa sécurité et certains intérêts économiques et sociaux. Vous en avez entendu un grand nombre s’exprimer.

Quatrièmement, l’expertise opérationnelle, où nous sommes les plus défaillants : une fois les évaluations effectuées par les universitaires et les décisions prises par les politiques, il faut mettre en œuvre ces décisions. C’est là où le bât blesse : les politiques ne se donnent pas les moyens de réussir, alors qu’on connaît parfaitement les conditions de cette réussite.

Quelles sont ces conditions ? On peut se demander sur quels leviers il faut agir et ce qui, en matière de sécurité routière, a fait preuve de son efficacité. Tout dépend des niveaux d’intervention.

Au niveau des véhicules, notre intervention est limitée. En effet, toutes les normes obligatoires relatives aux véhicules sont actuellement fixées au niveau européen, et l’initiative nationale est faible.

La Commission européenne avait conclu à la nécessité d’installer un dispositif limitant la vitesse lors de la construction des véhicules. En effet, pourquoi laisser construire des véhicules qui roulent à 200 km/h si l’on doit ensuite prendre des textes limitant leur vitesse à 130 km/h sur autoroute ? Mais l’Allemagne s’oppose à toute décision de cette nature – pourtant recommandée dans le Livre blanc de sécurité routière, un des rapports auquel j’ai participé – tout comme elle s’oppose à la documentation du risque sur ses autoroutes.

Autre exemple : le WP 29 est une commission de l’ONU qui définit les normes en matière de sécurité routière. La France avait proposé une boîte noire, avec un limiteur de vitesse manuel : il s’agit d’un dispositif extrêmement simple qui enregistre en permanence la vitesse et qu’un policier ou un gendarme peut contrôler à tout moment en branchant un lecteur sur le véhicule concerné. Trois mois après avoir déposé le texte devant le WP 29, la France l’a retiré sous la pression de l’Allemagne ; nous n’avions pas voulu en faire un sujet de conflit avec notre voisin.

Au niveau des infrastructures, il est possible d’agir. Depuis longtemps, nous demandons une expertise indépendante de la sécurité des infrastructures mais, jusqu’à présent, nous n’avons pas pu l’obtenir.

C’est au niveau du dispositif de contrôle et de sanction que nous avons remporté des succès. À partir du moment où des décisions ont été adoptées concernant les vitesses, celui-ci s’est avéré rapidement efficace – à la différence de ce qui se passe avec les infrastructures, dont l’amélioration met plusieurs années à se traduire concrètement sur le terrain.

En 1972 et 1973, nos succès furent extraordinaires.

En mars, avril, mai, juin 1972, fut atteint le pic de 18 000 tués par an sur les routes. En juillet fut créé le Comité interministériel de sécurité routière initié par Michel Ternier. Ce dernier, depuis 1969, travaillait avec des ingénieurs et des techniciens pour tenter d’enrayer cette progression du nombre des tués, qui semblait inéluctable. Il leur fallut deux ou trois ans pour discuter et rationaliser des choix budgétaires portant sur les infrastructures, et s’apercevoir qu’il fallait prendre des décisions concernant les vitesses. À la suite de plusieurs essais peu concluants portant sur une partie du réseau, il fut décidé, en juillet 1972, de limiter la vitesse sur l’ensemble du réseau, à l’exclusion des autoroutes.

En octobre 1973, la guerre du Kippour, qui fit craindre une pénurie en pétrole, accéléra le processus Le délégué interministériel de l’époque, Christian Gérondeau, parvint à convaincre M. Messmer de limiter à 90 km/h la vitesse sur le réseau à voies non séparées, et à 120 km/h sur autoroute. Ce fut un vrai miracle : la mortalité fut divisée par plus de 2 !

Les constructeurs étant intervenus en mars 1974 auprès du Président de la République au motif qu’ils ne vendaient plus de voitures puissantes, la vitesse sur autoroute fut portée à 140 km/h sur autoroute, ce qui fit remonter la mortalité. En novembre, M. Gérondeau obtint que l’on redescende à 130 km/h la vitesse sur autoroute et, surtout, que l’on maintienne à 90 km/h la vitesse sur route. À partir de cette date, la mortalité routière baissa à nouveau rapidement, jusqu’à 15 000 tués. Il s’agit là d’un succès politique exceptionnel.

S’ensuivit une longue période de descente régulière du nombre des tués – jusqu’à 8 000. Cette descente fut favorisée par des dizaines, voire des centaines de petites décisions très ponctuelles. On doit malgré tout déplorer le peu d’impact des contrôles préventifs d’alcoolémie – dont le taux limite était alors de 0,80 gramme par litre – instaurés par la loi de 1978, et l’échec essuyé par le gouvernement de M. Jospin en matière de sécurité routière : M. Gayssot avait annoncé imprudemment que son objectif était de faire baisser la mortalité de 50 % en cinq ans ; or cette baisse ne fut que de 2,2 % !

M. Ternier reprit en main la commission d’évaluation du système de contrôle et de sanction. Cette commission, à laquelle j’ai participé, travailla pendant deux ans sur 5 000 procédures et arriva à la conclusion que la moitié des contraventions n’aboutissaient pas. Dans cette maison, mais aussi dans des commissariats ou des brigades, faire « sauter » les contraventions était devenu un moyen de rendre des services, de renvoyer l’ascenseur, de plaire. Il était difficile aux policiers ou aux gendarmes d’échapper aux demandes qui leur étaient faites, ainsi qu’à un système qui s’était instauré progressivement. Néanmoins, ce système s’arrêta en 2002 quand M. Jacques Chirac décida de faire de la sécurité routière une priorité – je rappellerai pour mémoire le discours du 14 juillet, la tenue des États généraux de la sécurité routière de septembre et l’élaboration d’un plan gouvernemental. Le jour même de la tenue du Comité interministériel, en décembre 2002, M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, signa une circulaire interdisant les indulgences. En un mois, la mortalité s’effondra de 30 % !

Toute une série de lois et de textes réglementaires furent alors pris : début février, loi sur la pénalisation de l’usage des stupéfiants ; fin mars, textes augmentant la perte de points pour l’usage du téléphone au volant ou pour le non respect du port de la ceinture de sécurité ; en juin, loi Perben.

L’amélioration de la situation s’explique non seulement par le fait que le Comité interministériel avait accepté les conclusions de la commission Ternier, mais aussi par l’installation de radars automatiques – véritable révolution inspirée par le succès des expériences, menées notamment en Angleterre et aux Pays-Bas, pour automatiser les contrôles de vitesse : l’installation de caméras numériques, la transmission d’images à distance et l’analyse de celles-ci permettant la mise au point d’un système centralisé extraordinairement efficace. Cela signait l’abandon par les gendarmes et les policiers des saisies manuelles des données, saisies qui induisaient, pour que les forces de l’ordre ne croulent pas sous la paperasserie, une tolérance d’une vitesse de 20 à 30 km/h supérieure à la vitesse autorisée

Le Conseil interministériel avait décidé de ne plus tolérer les faibles excès de vitesse. Chacun avait compris que pour être efficace, il ne fallait pas seulement désigner les chauffards commettant de grands excès de vitesse, mais faire en sorte que toute la population respecte les règles. C’était rejoindre les exigences de l’épidémiologie, laquelle implique de s’occuper non seulement des malades très exposés à une maladie, mais aussi des dizaines de milliers d’individus qui le sont moins – je pense notamment à tous ceux qui ont été exposés à l’amiante.

Le succès de 2002 s’explique donc par un retour à l’égalité devant la loi, dans la mesure où il n’était plus possible de faire sauter les contraventions – en particulier celles des notables ; par une faible tolérance sur les excès de vitesse ; par l’automatisation du système de contrôle, qui devient ainsi plus efficace. La chute de la mortalité s’est alors poursuivie jusqu’en 2006.

La stagnation actuelle est due, selon moi, à un manque de volonté politique de maintenir le système en l’état, et donc de le développer pour en conserver l’efficacité. Ce qui s’est passé avec les radars est significatif à cet égard : le rapport d’évaluation des radars automatiques de mars 2006 recommandait que l’on installe des radars dans le flux de circulation pour porter la dissuasion partout. Nous sommes en 2011, et ces radars ne sont toujours pas au point ! Dans le même temps, les avertisseurs de radars se sont développés, et la neutralisation du radar fixe est devenue opérationnelle, sans que le Gouvernement n’y fasse rien. Aujourd’hui, la situation est bloquée.

Le dernier épisode est celui de la LOPPSI 2. Le projet initial comportait des mesures favorables à la sécurité routière, mais un amendement a divisé par deux la valeur d’un point de permis. Maintenant, on peut en effet récupérer 4 points par an au lieu de 2 points. On ne peut que déplorer cette dévalorisation de la dissuasion par le permis à points, qui avait été un des éléments fondamentaux du succès de 2002.

Telle est l’expérience que je retire de ces quarante dernières années. Je tiens à préciser qu’en 2002, aucun chercheur en sécurité routière n’imaginait que la décision de M. Jacques Chirac aboutirait à un tel succès.

Il me faut maintenant aborder un problème important, lié à un déficit de communication.

Il y a des sujets dont on ne s’occupe pas. Par exemple, je n’ai jamais vu présenter de façon valorisante pour l’action gouvernementale les sommes qui ont été épargnées par les usagers à la suite des décisions de 2002 – notamment grâce à la diminution des tarifs d’assurance, lesquels vont repartir fortement à la hausse au début de l’année prochaine. De même, les services de l’État répugnent à dénoncer les manipulations ou les mensonges proférés en matière de sécurité routière. Quand je le fais, je me sens extrêmement seul.

M. le président Armand Jung. Monsieur le professeur, soyez plus précis !

M. Claude Got. C’est très facile.

Vous avez dit un jour, et votre rapporteur vous avait alors approuvé, que l’accidentologie n’était pas une science exacte. Expliquez-moi ce qu’est une science inexacte ! La science suppose la volonté de se rapprocher d’une réalité, avec des méthodes scientifiques. On met les chiffres sur la table et on en discute avec sincérité ; or ce n’est pas toujours le cas.

À cet égard, j’ai écrit un ouvrage intitulé La violence routière : des mensonges qui tuent. Un journaliste a cru bon de porter plainte et je me suis retrouvé devant la 17e chambre correctionnelle. Cela m’a amené à présenter un CD-ROM contenant une centaine de documents prouvant qu’Airy Routier, journaliste connu, avait bien menti dans son ouvrage intitulé La France sans permis, dans lequel il avançait que notre pays comptait deux millions de conducteurs sans permis. J’ai obtenu gain de cause, comme cela ressort des attendus du jugement : « Le prévenu pouvait affirmer, comme il l’a fait, que les erreurs factuelles et de raisonnement qu’il dénonçait relevaient d’une volonté délibérée de l’auteur de travestir la vérité et de tromper le lecteur. » Ayant perdu son permis de conduire et ayant été placé deux fois en garde à vue, ce journaliste n’avait pas supporté cette « violence » faite, selon lui, à un individu estimable – il ne l’était pas à mes yeux. Reste qu’il est difficile d’être confronté à ce type de mensonges.

Voilà pourquoi je m’inquiète de votre mission et de ce que vous pourrez écrire. Soyez notamment attentifs à ce que vous ont dit les intervenants de l’association « 40 millions d’automobilistes ». Ainsi, un monsieur à l’air très respectable a abordé devant vous la règle de Nilsson – équation mondialement connue, selon laquelle une diminution de 1 % de la vitesse moyenne s’accompagne d’une diminution de 4 % de la mortalité. Mais ce que vous a dit ce monsieur à propos de cette équation s’apparente, selon moi, à un mensonge caractérisé dans la mesure où il pratique un amalgame entre du linéaire et de l’exponentiel. Et je me demande si vous ferez remarquer, dans votre rapport, que ses affirmations étaient totalement fausses.

M. le président Armand Jung. L’idée que les intervenants voulaient faire passer était que si la vitesse moyenne diminue, le nombre d’accidents et de tués diminue également, dans une proportion plus grande, et ce par effet mathématique. Le contestez-vous ?

M. Claude Got. J’ai dit que ce qu’ils avaient affirmé était faux.

Je peux vous donner un autre exemple, qui concerne les contrôles d’alcoolémie. Il a été dit que les 13 millions de contrôles d’alcoolémie qui avaient été effectués à une certaine époque avaient permis de diminuer de façon importante la mortalité liée à l’alcool, mais que cet effort n’avait pas été poursuivi, ce qui s’était traduit par une aggravation de la situation. Or c’est totalement faux. Il n’y a pas eu d’effondrement des contrôles d’alcoolémie en 2005-2006, comme en témoignent les chiffres des policiers et des gendarmes, qui ont été repris par le ministère de l’intérieur.

En revanche, à un moment donné, du fait de la méconnaissance technique des problèmes, l’association « 40 millions d’automobilistes » a commis un erreur majeure en écrivant : « Des chiffres encourageants, des interprétations non concordantes : en ce qui concerne la lutte contre l’alcoolémie, les chiffres officiels sont les suivants : 2005 : 28,8 % des tués sont dus à l’alcool (rapport ENISR, page 153), soit 1 532 victimes ; 2006 : la sécurité routière annonce 21,1 % des tués dus à l’alcool, soit 992 victimes. L’écart de 540 des victimes de la route dues à l’alcool entre 2005 et 2006 représente 88 % du gain total des 615 vies sauvées en 2006 ». Il était donc fait état, dans ce communiqué, de l’énorme succès remporté en 2006 dans la lutte contre l’alcoolémie au volant. Devant de tels chiffres, qui étaient ceux du rapport provisoire de 2006, je me suis adressé au responsable de l’Observatoire interministériel de l’époque, qui confirma ce que je pensais : les chiffres étaient faux. Le malentendu était dû à une erreur de gestion informatique des résultats collectés à partir des bulletins d’analyse d’accidents corporels. Ces résultats provisoires ont été immédiatement corrigés, publiés dans des communiqués, confortés dans le résultat définitif. Pourtant, cinq ans plus tard, on vous « ressort » les mêmes chiffres erronés.

J’ai oublié précédemment de vous préciser que l’équation de Nilsson n’était pas applicable sur autoroute. Selon vos interlocuteurs, la diminution du nombre de morts y aurait été beaucoup plus importante que ce qu’aurait pu laisser prévoir la diminution de la vitesse moyenne. Mais c’est simplement parce qu’ils avaient pris comme référence non pas les autoroutes de liaison où la vitesse peut s’exprimer, mais les autoroutes de dégagement, qui sont encombrées et où, bien entendu, la notion de circulation à vitesse libre n’existe pas. C’est la densité de circulation qui fixe la vitesse et on ne peut pas appliquer l’équation de Nilsson dans ce contexte-là.

De la même façon, M. de Caumont a repris devant vous l’argument des autoroutes allemandes. Mais il répète sans cesse les mêmes mensonges, avec une mauvaise foi absolue, car il sait parfaitement que ce qu’il dit est inexact. Il a oublié de vous préciser que les Allemands refusent de communiquer séparément les chiffres des kilomètres parcourus sur le réseau non limité et sur le réseau limité. Une étude comparative, que s’apprêtaient à faire les ingénieurs allemands et français, a même été bloquée au dernier moment par un ukase fédéral ! Il ne vous dit pas non plus qu’un an après que la vitesse a été limitée sur l’autoroute Berlin-Hambourg, la mortalité y a baissé de moitié.

La vitesse est un facteur commun à tous les accidents. Et remarquez que je parle ici de vitesse, et non d’excès de vitesse. Certes, les véhicules qui ne se déplacent pas n’ont pas d’accidents… Quoi qu’il en soit, avant même que je m’intéresse à l’accidentologie, certains chercheurs, comme Bolin en Suède ou Solomon aux États-Unis, ont montré que lorsque la vitesse augmente, l’accidentalité augmente plus que la proportion linéaire.

Que peut-on faire actuellement, devant la stagnation de la mortalité ?

Les troubles de l’attention sont des facteurs d’accidents. Seulement, nous n’avons pas de moyens commodes pour agir sur eux. On ne peut pas les pénaliser ! Les constructeurs ont fait des essais assez élaborés, pour étudier, par exemple, le mouvement des yeux afin de repérer si les conducteurs s’endormaient. Mais ces essais n’ont abouti qu’à quelques applications pratiques, qui n’ont jamais été généralisées. Les sociétés d’autoroutes ont consacré cette année une campagne sur le sujet. Malheureusement, si les accidents liés à un trouble de la vigilance sont nombreux, leur proportion ne bouge pas : il y a dix ans, 32 à 38 % des accidents mortels sur autoroute s’expliquaient déjà de cette façon. Et pourtant, la vitesse a diminué sur les autoroutes et, en nombre absolu, le nombre de morts a été divisé à peu près par deux.

Avec l’alcool, le phénomène est exactement le même. Avant les réformes de 2002, quand on dénombrait 8 000 tués par an sur les routes, 30 % des accidents mortels étaient liés à l’alcool. Maintenant, il n’y a plus que 4 000 tués par an sur les routes, mais le pourcentage des accidents mortels liés à l’alcool n’a pas baissé pour autant. Et si l’on se réfère aux contrôles préventifs d’alcoolémie effectués par les policiers et les gendarmes, le nombre de gens qui conduisent sous l’influence de l’alcool n’a pas chuté. Seulement, comme les autres conducteurs et eux-mêmes ont ralenti, ils se tuent moins. Ainsi, la division par deux du nombre d’accidents mortels liés à l’alcool n’est pas due à la modification de la conduite sous l’influence de l’alcool, mais à la modification de la vitesse.

Voilà pourquoi il me semble pouvoir affirmer que seule la réduction de la vitesse a fait la preuve de son efficacité. Je reconnais que la ceinture, dont le port a été rendu obligatoire à l’été 1973, réduit par 2 ou 3 le risque de trouver la mort en voiture. Plus généralement, tous les progrès qui ont été faits sur les véhicules – airbags, coque résistante qui ne s’écrase pas, avant déformable, etc. – ont contribué à réduire les risques. L’efficacité de ces équipements est d’autant plus grande que la vitesse diminue. On peut parler d’un système où tous les éléments se combinent, mais où la vitesse reste le facteur commun.

Maintenant, qu’est-ce qu’un conseiller technique qui s’intéresse au fonctionnement politique pourrait proposer à un décideur qui voudrait relancer la politique de sécurité routière ?

Selon moi, il faut se pencher de nouveau sur la question de la réduction des vitesses de circulation. On a de nombreuses raisons de le faire : l’équilibre de la balance des paiements, la réduction de la consommation, la sécurité routière.

S’agissant de la sécurité routière, je vous suggèrerais trois méthodes.

La première s’apparenterait à celle adoptée en 1972 : diminuer les vitesses de circulation – par exemple 80 km/h sur route, 110 ou 120 km/h sur autoroute. Et la courbe de la mortalité redescendrait.

La deuxième méthode serait la plus conflictuelle, comme on peut l’imaginer après le débat sur la LOPPSI 2. Elle consisterait à augmenter le poids et l’efficacité du système de contrôle-sanction, en prenant trois mesures.

Premièrement, développer – c’est en cours – les fameux radars « mobiles mobiles », pour que les conducteurs se disent qu’ils peuvent être contrôlés n’importe où.

Deuxièmement, interdire les avertisseurs de radars. Les conducteurs ne doivent pas pouvoir compter sur le système Coyote ou sur tout autre système pour les prévenir qu’un radar déplaçable opère à tel ou tel endroit. Pour cela, une loi est nécessaire. Je ne crois pas un seul instant au protocole qui a été signé avec l’Association française des fournisseurs et utilisateurs des technologies d’aide à la conduite (AFFTAC). L’efficacité de ce protocole sera nulle, parce que tous ceux qui le souhaitent pourront continuer à signaler aux autres conducteurs les radars et les contrôles de police. Il faut être d’une naïveté incroyable pour passer un accord avec ceux qui travaillent et gagnent de l’argent à empêcher les policiers et les gendarmes de faire leur travail, et d’exercer la dissuasion par les contrôles…

M. le président Armand Jung. Votre troisième mesure ?

M. Claude Got. Vous la connaissez : revaloriser les points du permis en instituant des stages de rattrapage dès que l’on en perd deux. Une telle mesure permettrait de neutraliser la décision prise par la LOPPSI 2, qui a réduit la capacité de dissuasion du permis à points. Elle redonnerait du sens et de la force au système de contrôle-sanction.

Troisième méthode : développer le système Lavia (Limiteur s’adaptant à la vitesse autorisée). Nous avions exprimé, dans le Livre blanc de 1988-1989, l’idée qu’il ne fallait pas mettre entre les mains des usagers des véhicules qui sont faits pour transgresser les règles. Mais nous savons que l’Allemagne s’opposera…

M. le président Armand Jung. Monsieur le professeur, nous avons largement débattu du système Lavia…

M. Claude Got. Mais vous n’avez pas envisagé les deux conditions de son utilisation.

Il pourrait constituer une peine complémentaire, pour des personnes ayant été sanctionnées pour excès de vitesse. Celles-ci seraient autorisées à conduire avec un Lavia – à l’instar des personnes sanctionnées pour alcoolémie, qui sont obligées d’utiliser un véhicule muni d’un éthylotest antidémarrage.

Il pourrait aussi être installé volontairement. Les personnes qui décideraient de s’en équiper auraient la faculté de négocier une ristourne avec leurs assureurs. Il me semble évident qu’avec ce système, leur accidentalité évoluerait favorablement.

Cela nous dispenserait de devoir nous adresser aux instances européennes, et d’attendre une directive… qui ne serait pas prise.

M. le président Armand Jung. Merci, monsieur le professeur, pour votre témoignage, votre expertise et vos propositions.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Monsieur le professeur, vous avez déjà répondu par avance à un certain nombre de mes questions. Je me bornerai donc à quelques unes. Je désire rebondir sur ce que vous venez de dire, car la vitesse est en permanence au cœur de nos débats.

Vous nous dites que si nous voulons faire des progrès, il faut abaisser la vitesse de circulation, donc revenir à la baisse sur les vitesses maximales actuellement applicables sur les différents types de routes. Mais ne pensez-vous pas qu’un tel raisonnement peut avoir des limites ? Il est bien évident qu’un véhicule qui ne se déplace pas ne risque pas d’avoir d’accident, comme vous l’avez fait remarquer. Or, il est également évident qu’un véhicule est fait pour se déplacer. Il faut donc fixer une vitesse acceptable, raisonnable : l’utilité de la voiture doit être conforme aux attentes des conducteurs. On ne saurait réduire la vitesse à 50 km/h sur autoroute.

La limitation de vitesse est-elle la seule solution possible pour faire baisser le nombre des blessés et des morts sur nos routes ? Les vitesses règlementaires ont déjà été réduites de façon importante. Je pense que nous avons besoin de faire preuve d’inventivité. Auriez-vous quelque chose de plus original à nous proposer ?

Par ailleurs, comment expliquez-vous les réactions de nos concitoyens suite au CISR du 11 mai dernier ? En d’autres termes, la solution première que vous nous proposez ne risque-t-elle pas d’être rejetée par nos concitoyens ? Une politique qui n’est pas acceptée et qui entraîne ce type de réaction est-elle pertinente ?

M. Claude Got. Je vous ai fait trois propositions qui ne sont pas à prendre en bloc. Elles peuvent se combiner ou être exploitées séparément.

Selon moi, le risque d’inacceptabilité sociale est plus grand s’agissant de la poursuite d’un renforcement du système de contrôle et de sanction que des deux autres méthodes que je vous ai proposées.

Aux États-Unis, quand Reagan a transféré du niveau fédéral à celui des États le choix des limites de vitesse sur autoroutes, certains d’entre eux ont opté pour des vitesses basses. Or, 60 ou 65 miles est une vitesse très inférieure aux vitesses autorisées en France, qui est un pays beaucoup plus petit.

Quand on s’habitue à conduire doucement, ce qui paraît anormal, c’est de rouler vite. Ma première 2 CV ne dépassait pas 75 km/h, ce qui n’empêchait pas de parcourir l’Europe. Il ne s’agit pas de ne plus utiliser la voiture, mais de l’utiliser avec une vitesse plus faible, plus calmement. J’ai fait moi-même l’essai d’aller à Toulouse puis à Montpellier et de revenir à Paris en roulant à 100 km/h sur les autoroutes, soit à une vitesse un peu plus élevée que celle des poids lourds – ce qui m’a permis, en outre, de consommer 1,5 litre de carburant en moins aux 100 km –, et j’ai vite retrouvé les habitudes qui étaient les miennes quand je conduisais aux Etats-Unis, où les vitesses limites sont inférieures à celles retenues en France et n’empêchent en aucune façon de se déplacer. On peut donc imaginer des limites de vitesse de 10 km/h plus basses. À mon avis, l’acceptabilité sociale d’une telle mesure est peut-être plus grande que celle qui consisterait à multiplier les radars fixes.

Selon moi, le radar fixe, qui a été l’instrument pédagogique des années 2002-2005, a atteint son efficacité maximale. La raison en est simple : les emplacements sont connus et signalés. Au mois de mai dernier, le ministre de l’intérieur a eu la velléité de faire passer deux mesures : ne plus les signaler par des panneaux et interdire les avertisseurs de radars. La première de ces mesures constituait une provocation inutile, dans la mesure où de nombreux systèmes permettent de repérer les radars. Bien sûr, on pourrait décider de multiplier ces radars et d’en faire passer le nombre à 3 000, 4 000 ou 6 000…

M. le président Armand Jung. Alors, que préconisez-vous ?

M. Claude Got. D’abord, l’utilisation de radars déplaçables combinés avec une interdiction stricte des avertisseurs de radars – comme l’avait décidé ce CISR. Il est possible de procéder à des contrôles – car tout passe par un serveur central qui permet d’identifier les utilisateurs – et de faire respecter le protocole signé avec l’AFFTAC. Mais il faut prévoir une pénalisation. Sinon, cette interdiction ne sera pas efficace. Je préconise également l’utilisation des radars « mobiles mobiles », comme on l’avait recommandé en mars 2006.

Parmi ces trois méthodes, les moins brutales et les plus acceptables socialement sont, selon moi, la diminution des vitesses sur le réseau et l’installation du système Lavia.

Qui peut être opposé au système Lavia ? Une fois réglé, vous ne vous apercevrez même pas de son existence. Grâce au positionnement GPS couplé à une cartographie certifiée par l’Etat, vous n’aurez plus à guetter les panneaux ou les radars, car vous saurez que vous ne pouvez pas dépasser la vitesse autorisée localement.

M. le président Armand Jung. Nous avons fait l’essai du système Lavia la semaine dernière.

M. le rapporteur. Je voudrais vous poser une question plus originale. Il a été constaté que les femmes au volant avaient beaucoup moins d’accidents que les hommes. Quel parti pourrions-nous tirer de cet état de fait ?

M. Claude Got. Si les femmes en France vivent plus longtemps que les hommes, ce n’est pas uniquement en raison de leur façon de conduire. C’est parce qu’elles ont un comportement plus sécuritaire que les hommes. Les discussions qui ont lieu à ce propos entre médecins de santé publique sont absolument passionnantes.

Il est beaucoup question de l’alcoolisme féminin. Or, en France, l’alcoolisation des femmes demeure moindre que celle des hommes. C’est ainsi que le décès par cirrhose du foie continue à toucher à peu près trois ou quatre hommes pour une femme.

Les accidents liés à l’alcool sont beaucoup plus fréquents chez les hommes que chez les femmes. Une partie de la différence dans l’accidentalité est donc liée à cette différence de comportement vis-à-vis de l’alcool.

On observe le même phénomène dans des pays de culture différente de la nôtre. Une étude menée aux États-Unis a par exemple montré que, dans la classe des 16-18 ans, pour des niveaux d’alcoolémie identique, les jeunes gens présentaient un risque d’accident plus élevé que les filles. Ce qui prouve bien qu’il n’y a pas que le niveau d’alcoolémie qui joue, mais aussi la façon dont on se comporte avec un même niveau d’alcoolémie.

Cette différence caractérise tous les comportements féminins, comme le révèlent les indicateurs de sécurité sanitaire. Comment l’expliquer ? Par des raisons physiques, hormonales ? Ce qui est sûr, c’est que si vous consultez les statistiques sur les rixes et les bagarres, que l’alcool soit ou non présent, vous y verrez un nombre incroyablement faible de femmes et beaucoup d’hommes. Mais je ne vous apprends rien…

M. le président Armand Jung. Est-ce que nous pouvons le prendre en compte dans notre politique de sécurité routière ?

M. Claude Got. Oui, en expliquant aux femmes de se méfier des hommes qui les raccompagnent chez elles alors qu’ils sont sous l’influence de l’alcool. J’ai autopsié beaucoup de victimes d’accidents dans lesquels l’homme et la femme qui s’étaient tués présentaient un taux d’alcoolisation élevée.

Au cours des six mois qui suivirent la loi de juillet 1978 autorisant les contrôles préventifs d’alcoolémie, on constata que les accidents liés à l’alcool avaient diminué chez les hommes et légèrement augmenté chez les femmes : par crainte des contrôles, certains hommes qui s’étaient alcoolisés préféraient confier le volant à leur compagne. Quand les conducteurs réalisèrent que le risque de contrôles n’était pas élevé, tout redevint comme avant. Cet épisode révèle le caractère déterminant de la crédibilité d’une sanction.

Le risque d’accident n’est pas perçu par les conducteurs comme un risque permanent, à l’inverse du risque de sanction. Cela signifie que le succès des politiques de sécurité routière ne réside pas dans le fait de modifier la perception du risque d’accident, mais de modifier la perception du risque de perdre, un, deux ou trois points de permis.

Le Délégué interministériel à la sécurité routière a fait remarquer que les périodes de contrôle pour alcoolémie sont de plus en plus pertinentes. Ce sont surtout les personnes qui sortent le soir qui se font dépister, ce qui explique que celles qui ne sortent pas le soir peuvent conduire dix ou quinze ans sans souffler dans un éthylotest. Malgré tout, on ne compte que 10 ou 11 millions de contrôle pour alcoolémie pour 40 ou 45 millions de conducteurs, ce qui ne fait qu’un contrôle tous les trois ou quatre ans. C’est très peu.

Il en va différemment avec les radars. Il arrive souvent de passer devant des radars plusieurs fois par jour. J’ai moi-même eu le privilège d’être flashé en excès de vitesse, pour la première fois de ma vie, il y a huit mois : je roulais à 61 km/h – retenus, donc probablement à 66 km/h réels – dans une zone à 50 km/kh.

J’observe que le système du permis à points est un système de sursis : le conducteur perd un point, puis un deuxième, puis trois, etc. À la fin, s’il n’a pas toujours pas compris, il finit par devoir repasser son permis. À ce stade, on ne peut pas prétendre que le conducteur a été piégé : il a fait n’importe quoi. Une telle sanction est normale.

M. le président Armand Jung. Nous ferons remonter le message…

M. Christian Vanneste. Monsieur le professeur, pour parodier Molière, on pourrait vous faire dire : « La vitesse, la vitesse, vous dis-je… ». Pour ma part, je m’attendais à que vous traitiez plus longuement de certains problèmes qui nous préoccupent tout particulièrement, comme la mortalité des conducteurs de deux-roues motorisés ou celle des jeunes conducteurs de 18 à 24 ans. Ces problèmes nous obligent à multiplier les solutions, et nous ne pouvons pas nous focaliser sur la vitesse.

Par ailleurs, ne faudrait-il pas rendre plus lisibles les limites de vitesse ? L’annonce de la suppression des panneaux indiquant la présence de radars a été ressentie par les automobilistes comme un facteur supplémentaire de stress. Ces derniers ont toujours plus ou moins l’impression d’être en faute. Les panneaux de limitation de vitesse se multiplient sur certaines portions de route, au point qu’on ne sait plus où l’on en est. Il conviendrait au moins de simplifier les règles pour que l’on sache qu’en ville, la vitesse est limitée à 50 km/h, sur route à 90 km/h et sur autoroute à 110 ou 130 km/h.

Enfin, que penseriez-vous de l’institution d’un contrôle médical périodique de l’aptitude à la conduite, comme il en existe dans certains pays, par exemple l’Espagne ou les Pays-Bas ? J’ai déposé une proposition de loi en ce sens il y a quelque temps.

M. Jacques Myard. Je ne peux pas admettre que nous ne fassions pas un travail scientifique, ni que tout soit scientifique. On ne peut pas négliger certains aspects qui relèvent de l’irrationnel, et la science humaine n’est pas toujours une science exacte. Sur ce point précis, je vous trouve un peu dur et un peu excessif.

Cela étant, tout le monde nous a dit que les accidents étaient le résultat de multiples facteurs. Vous insistez sur les problèmes de vitesse. Pourtant, les accidents graves dont nous avons entendu parler dernièrement mettaient en cause des personnes qui ne roulaient pas vite, mais qui étaient très alcoolisées et avaient pris l’autoroute à contresens.

Dans ma ville de Maisons-Laffitte, nous avons fait baisser par dix les accidents corporels simplement en travaillant sur les infrastructures. On voit bien que la vitesse n’est pas le seul facteur à prendre en considération. Vos discours sont fort bien documentés, mais je me demande si, en insistant trop sur la vitesse, vous ne passez pas à côté d’autres causes.

Enfin, vous nous avez reproché de nous être conduits comme des irresponsables lorsque nous avons permis aux conducteurs de récupérer un point de permis au bout de six mois, au lieu d’un an. Vous nous avez dit que nous avions donné un mauvais signal. Certes, à ce moment-là, la mortalité a augmenté en France de 10 %. Mais, à la même période, elle a augmenté de 13 % en Allemagne, de 17 % en Finlande et de 26 % en Suède. Je ne pense pas que le débat parlementaire français ait eu des effets extraterritoriaux !

M. Claude Got. Je parle en effet de la vitesse, de la vitesse et encore de la vitesse. Mais, à court terme, la limitation de la vitesse est la seule solution efficace que je connaisse. Et, en disant cela, je m’appuie sur un constat.

Le taux d’accidentalité des jeunes conducteurs – ceux qui détiennent leur permis depuis moins de cinq ans – est en effet plus élevé que celui des conducteurs expérimentés, et ce dans tous les pays du monde. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce rapport entre les jeunes conducteurs et les conducteurs expérimentés est à peu près le même partout. Cela signifie que si un pays a une accidentalité par habitant très élevée, elle est extrêmement élevée pour les jeunes conducteurs, mais élevée aussi pour les autres conducteurs. L’école de la conduite, c’est la banquette arrière, et donc le comportement des parents. Certes, les conducteurs inexpérimentés ont davantage d’accidents que les autres, mais, les concernant, il n’y a pas de solution miracle.

En France, le problème posé par les motocyclistes est évident. Au kilomètre parcouru, ils ont plus d’accidents que les motocyclistes allemands et leur vitesse de circulation est plus élevée. Et si l’on voulait installer un système Lavia sur les motos, les « Motards en colère » s’y opposeraient. Il y a peu, revenant d’un centre de réadaptation, alors que je roulais à 90 km/h, j’ai été doublé par cinq motards qui roulaient, eux, à 180 ou 200 km/h ! Certes, il s’agit là de comportements extrêmes. Mais, sur une autoroute urbaine complètement pacifiée comme le périphérique parisien, on a dénombré trois tués en 2009 : parmi eux, il n’y avait pas un automobiliste. Nous sommes donc confrontés à un problème grave.

La puissance maximale d’une moto est de 100 CV. Quand j’ai obtenu mon permis moto, ma moto ne faisait 12,5 CV, et, à mon avis, elle était suffisamment rapide pour la façon dont je conduisais à l’époque.

Il ne faut pas laisser conduire et laisser mettre en circulation des véhicules trop puissants : c’est une question de responsabilité politique. Et cela nous renvoie à la question du bridage. Cela étant, le système Lavia constitue, à mon avis, une solution efficace.

Plusieurs pays ont mis en place des systèmes d’expertise pour déterminer s’il était possible de réduire les risques encourus par les seniors. Toutefois, ce n’est pas concluant. On peut retirer de la circulation un certain nombre de personnes sans que cela ait une action probante sur la diminution de l’accidentalité des seniors. On risque même de tomber dans l’excès en empêchant tous les seniors de conduire. Pourquoi leur faire perdre leur autonomie et leur liberté de se déplacer, et ce pour un bénéfice dont les assureurs nous disent bien qu’il est inexistant, puisque la suraccidentalité des seniors n’existe pas ?

Les seniors ont des accidents particuliers – notamment aux intersections. Mais ils ont moins d’accidents dus à la consommation d’alcool ou à la conduite de nuit – ils circulent moins aux heures dangereuses. Leur formation pourrait néanmoins être améliorée pour éviter, justement, les accidents dont ils sont coutumiers : on avait déjà montré, il y a trente ans, que c’était surtout aux intersections que les personnes âgées avaient des accidents, mais rien n’a été fait en ce domaine.

Monsieur Myard, sur une période longue, les courbes d’évolution de la mortalité dans le monde ressemblent à des montagnes russes. Dans certains pays comme ceux que vous avez cités, la mortalité augmente, mais dans d’autres, elle continue de baisser.

M. le président Armand Jung. On a dit que l’augmentation de la mortalité au début de l’année – notamment en janvier, février et mars – était due à la réforme du permis à points du mois de décembre. M. Myard considère que c’est faux puisque, à la même période, la mortalité a également progressé dans tous les pays européens, et parfois davantage qu’en France. Cela mérite une réponse.

M. Claude Got. Il est légitime de s’interroger.

En janvier dernier, la mortalité a augmenté brutalement de plus de 20 %. Depuis que je m’occupais d’accidents de la route, j’avais assisté à cinq augmentations aussi brutales, et, à chaque fois, il avait été possible d’expliquer le phénomène.

Le mois de janvier 2011 est apparu d’autant plus mauvais que le mois de janvier 2010 avait été anormalement bon par rapport à la contribution à la mortalité annuelle d’un mois de janvier, qui est de 7 %.

À l’inverse, le mois de juillet 2011 a semblé bon, comparé à celui de 2010, qui avait été calamiteux. En outre, cet été, le temps a été mauvais et la mortalité motocycliste s’est effondrée. Mais, par rapport à la contribution à la mortalité annuelle d’un mois de juillet, qui est de 10 %, ce fut un mois quasiment ordinaire.

Le mois de janvier présentait une double caractéristique : on pouvait expliquer une partie de l’augmentation de la mortalité par la comparaison avec le même mois de l’année précédente ; mais on pouvait aussi prendre en compte la contribution moyenne d’un mois de janvier, et, suivant les types de calcul, on obtenait une progression de la mortalité de 12 à 14 %.

S’agissant de la mesure permettant de récupérer des points plus rapidement, nombre de parlementaires ont indiqué que, si elle était présentée comme un affaiblissement du permis à points, la mortalité repartirait à la hausse. Cela dit, pour moi, l’élément le plus destructeur n’est pas la possibilité de récupérer un point en un an, mais celle de pouvoir en récupérer quatre tous les ans, contre quatre tous les deux ans, comme c’était le cas auparavant.

On savait déjà que les conducteurs pouvaient modifier leur comportement d’un mois sur l’autre, comme en témoignent les anticipations des mesures d’amnistie. J’avais été le premier à dire que l’amnistie de 1988 avait fait 500 morts. Les analystes et les statisticiens de Dauphine, ainsi que des experts, ont confirmé que les mois de janvier, février, mars et avril 1988 avaient été calamiteux.

Au reste, en raison des conditions météorologiques, janvier 2011 peut être comparé à janvier 1988, la hausse de la mortalité se poursuivant dans les deux cas en février, mars et avril.

Curieusement, alors que l’amnistie a été abandonnée, on a encore observé un petit effet « amnistie » au moment des deux dernières élections présidentielles. Sera-ce encore le cas l’année prochaine ? J’observe qu’en 2007, Ségolène Royal avait commis une maladresse en déclarant au mois de novembre, dans une émission de radio, que son opinion n’était pas faite sur l’amnistie des fautes de conduite. Et elle l’a répété en janvier à un journaliste de Poitiers. Cela s’est traduit par une petite augmentation du nombre des tués à la fin de l’année 2006 et au début de l’année 2007.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie pour votre contribution et votre expertise, qui nous seront très utiles.

M. Claude Got. Je vous disais que votre tâche était difficile.

M. le président Armand Jung. Vous avez même dit « impossible ». Mais telle n’est pas notre position.

M. Claude Got. Vous allez devoir valider tout ce que vous avez entendu. C’est en ce sens que j’ai dit que votre mission était impossible. Mais pourquoi ne demandez-vous pas à l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques de vous donner son avis, en aval de votre rapport ? Ses travaux sont remarquables. Je m’étonne d’ailleurs que l’Office ne se soit jamais penché sur les accidents de la circulation, qui constituent la première cause de mortalité chez les jeunes.

M. le président Armand Jung. Nous disposons du rapport de l’Institut français des sciences et techniques des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFFSTAR), qui a été rédigé à l’attention de cette mission, et qui est précis et documenté.

Monsieur le professeur, nous aurions pu parler encore de la gouvernance de la sécurité routière. Mais nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir. Quoi qu’il en soit, je vous renouvelle mes remerciements.

*

* *

Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean Bardet, député, co-président du groupe d’études sur la route et la sécurité routière.

M. le président Armand Jung. Je souhaite la bienvenue à M. Jean Bardet, député du Val d’Oise, avec lequel j’ai l’honneur de co-présider le groupe d’études sur la route et la sécurité routière.

Avec M. le rapporteur Houillon, nous avons tenu à vous auditionner, monsieur Bardet, non seulement parce que nous savons combien ces questions vous préoccupent, mais également en raison de l’entretien que vous avez accordé au journal L’Hémicycle dans lequel vous avez tenu des propos assez durs, évoquant, par exemple, la « démagogie électorale » dont il est parfois question dans les sujets qui nous intéressent, tout en insistant sur la nécessité de lier prévention et sanction.

M. Jean Bardet, député, co-président du groupe d’études sur la route et la sécurité routière. Si j’ai refusé de faire partie de la mission que vous présidez, monsieur Jung, c’est, certes, pour des raisons personnelles, mais, surtout, parce que je vous fais entièrement confiance, ainsi qu’à M. le rapporteur, d’une part, pour formuler des propositions raisonnables s’inscrivant dans le cadre de la politique menée par l’ensemble des gouvernements qui, depuis plus de 25 ans, se sont attaqués à ce fléau qu’est l’insécurité routière, et, d’autre part, pour répondre aux questions légitimes que se posent les usagers sur un certain nombre de dispositions, dont ils ne comprennent pas toujours l’utilité.

En effet, entre les différentes thèses en présence, il semble qu’une incompréhension réciproque empêche toute discussion, tant à l'Assemblée nationale – où une part de démagogie, comme je l’ai dit, n'est pas exclue –, que dans certains endroits où se tiennent ce que je pourrais appeler des propos de « café du commerce », qui consistent souvent à contester pour contester – depuis Jules César, nous savons combien les Gaulois sont frondeurs. En fait, au même titre que nous croyons que notre équipe de foot est la meilleure du monde, nous pensons que nous sommes d’excellents conducteurs. De la même façon que nous estimons que, lorsque notre équipe préférée perd un match, c'est la faute de l'arbitre, nous considérons que, quand nous avons un accident, c'est la faute des autres ; c’est d’ailleurs le cas aussi pour ceux qui ont bu un « petit coup » – ils connaissent leurs limites, disent-ils.

Je suis plutôt favorable à la politique menée par les différents gouvernements depuis 25 ans en matière de sécurité routière car, grâce à elle, le nombre de tués sur les routes est passé de 17 000 en 1971 à moins de 5 000 en 2005 et à moins de 4 000 en 2010. Je note, de plus, que, même si la vie humaine est sans prix, le coût des accidents de la route a été évalué en 2009 à 24,7 milliards d’euros, ce qui représente plus de deux fois le déficit de la sécurité sociale pour la même année.

L'augmentation de la mortalité routière constatée en ce début d'année – qui constitue d’ailleurs l’une des raisons de la création de cette mission – a coïncidé avec l'assouplissement des règles de récupération des points de permis tandis que l'amélioration qui a suivi a coïncidé, quant à elle, avec l'affirmation du Gouvernement qu'il n'avait pas l'intention de baisser la garde.

Les raisons de cette évolution ne sont pas univoques, et la nécessaire répression que certains considèrent actuellement comme une atteinte à leur liberté n'est qu'un élément de la politique de sécurité routière. Rappelons, cependant, que le port de la ceinture de sécurité, qui a été rendu obligatoire en 1973 et qui, à l’époque, avait soulevé des tollés – cette mesure était considérée comme liberticide –, a entraîné une inflexion significative de la courbe de mortalité, laquelle est passée en un an de 17 000 a 15 000 tués.

La sécurité routière dépend de trois facteurs : la qualité du réseau routier, la sécurité passive des véhicules et le comportement des conducteurs. Les pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer sur ces trois plans. C'est en effet à eux qu'il appartient de créer et d'entretenir les routes, même si, en ce qui concerne les autoroutes, ce rôle peut être concédé à des sociétés privées. C'est à eux qu'il appartient d'imposer aux industriels des normes de sécurité en fonction des progrès techniques – j’ai déjà parlé de la ceinture de sécurité mais je pourrais ajouter, par exemple, les limiteurs de vitesse, lesquels pourraient être obligatoires, les éthylotests au démarrage, ou encore le bridage de la vitesse par satellite selon le type de route utilisé.

S’agissant du comportement des conducteurs, les pouvoirs publics ont deux obligations : la prévention et la répression. En ce qui concerne le second point, un réel effort de pédagogie doit être accompli pour que nos concitoyens comprennent que les mesures prises ne sont pas faites pour les embêter – en général, ils emploient un autre terme – mais pour sauver des vies. Ce n’est qu’ainsi qu'un véritable dialogue pourra s'engager entre les uns et les autres, pour que l'objectif du Président de la République de faire passer le nombre de morts à moins de 3 000 soit atteint en 2012.

Pour nos concitoyens, les limitations de vitesse sont souvent incohérentes, inadaptées et mal signalées, à tel point qu’ils se révoltent parfois lorsqu’ils les jugent aberrantes, tandis que les radars fixes ou mobiles semblent être déployés uniquement pour les piéger et « faire du fric », comme ils disent. Il m'arrive d'être sur une route et de me poser en toute bonne foi la question de savoir quelle est la vitesse autorisée, surtout quand celle-ci change sans raison apparente. Je prendrai comme exemple la route nationale 13 entre Saint-Germain-en-Laye et La Défense qui est à quatre voies et qui comporte un terre-plein central : la vitesse passe successivement de 90 à 70 puis à 50 km/h selon les communes traversées, des radars ayant été déployés pour avertir ou punir les contrevenants. Or, la réglementation doit être simple : 130 km/h sur les autoroutes, 110 km/h sur les autoroutes peri-urbaines, 90 km/h sur les routes nationales à quatre voies – je suis favorable à un abaissement à 70 km/h sur celles qui n’en ont que deux –, 50 km/h en ville, voire, pourquoi pas, 30 km/h : ces vitesses ne doivent pas changer constamment ! Je conçois que, si le profil de la route change – virage serré par exemple –, l’automobiliste soit invité à réduire sa vitesse mais je ne comprends pas pourquoi, en revanche, il y aurait un radar. Je me suis fait moi-même « piéger » il y a quelques années, dans le Morvan, sur l'autoroute du sud. Je croyais que la vitesse était limitée à 130 km/h ; or, sur un tronçon, la vitesse autorisée n’était que de 110 km/h en raison de la présence d’un virage serré. Je n'avais pas vu le panneau indiquant cette limitation, encore moins le radar, mais j'avais spontanément réduit ma vitesse par prudence. Pour autant, cela ne m’a pas empêché d’être flashé à 117 km/h, lesquels ont été ramenés à 112. Je comprends la colère de l'usager vigilant qui se fait « piéger » et qui se dit : « Ils veulent se faire du fric », alors que la police peut toujours verbaliser pour conduite dangereuse un automobiliste qui, malgré les indications de prudence, ne lèverait pas le pied.

Les associations d'usagers devraient être davantage impliquées dans les décisions d’implantation des radars fixes, lesquelles devraient être accompagnées d'une large publicité. De surcroît, l’utilisation de l'argent des radars devrait faire l'objet d'une large diffusion – je reviendrai sur certaines utilisations possibles. En début d’année, la suppression de la signalisation des radars fixes a fait l'objet de polémiques. Toutefois, la mise en place de « radars pédagogiques » me semble une décision mi-figue mi-raisin, qui vise surtout à ne pas donner l'impression de faire machine arrière. Outre que je perçois mal la différence avec le dispositif précédent, l’implantation de ces « radars pédagogiques » coûtera cher ; or cet argent pourrait être mieux utilisé.

Lorsque les premiers radars fixes ont été mis en place au mois de novembre 2003, l'idée de les signaler m'avait semblé un peu saugrenue même s’il s’agissait déjà de faire preuve de pédagogie. Connaissant nos concitoyens, je me doutais de ce qui allait se produire : les automobilistes freineraient avant le radar et re-accéléreraient après. Compte tenu de la mentalité de nombreux conducteurs, il me semble difficile de revenir en arrière. En l’occurrence, je crois beaucoup plus à l’efficacité de radars dits « de tronçon » qui calculeraient la vitesse moyenne entre deux points et qui auraient le double intérêt d'éviter l'attitude que nous connaissons et de répondre à l’objection souvent faite par les automobilistes évoquant « le moment d'inattention » : sur 50 kilomètres, l'argument ne tiendrait plus.

Je suggère également que les véhicules d’automobilistes volontaires – peut-être les professionnels de la route – soient équipés d'une boite noire enregistrant leur vitesse chaque fois qu'ils passent devant un radar. S’ils passent cinq fois sur six sans commettre un excès de vitesse, la sixième fois – à condition que l’infraction soit « mineure » – pourrait être considérée comme un moment d'inattention n’entraînant qu’une contravention sans retrait de points. Les professionnels de la route roulent beaucoup, puisque tel est leur métier, mais c’est une raison supplémentaire pour qu'ils soient plus vigilants. Les règles de sécurité routière étant faites pour sauver des vies, est-ce moins grave d'être écrasé à 70 km/h par un professionnel de la route que par un autre conducteur quand la vitesse est limitée à 50 km/h ?

Les radars de feu rouge récemment installés font aussi l’objet de polémiques, certains automobilistes arguant – de bonne ou de mauvaise foi – qu'ils ont vu le feu orange et qu'ils croyaient avoir le temps de passer – comme le code de la route le leur permet – mais qu’en raison d'un ralentissement, le feu est passé au rouge alors qu'ils étaient engagés. Je propose que ces radars comportent un système de compte à rebours indiquant combien de secondes il reste avant que le feu ne passe au rouge et qu’un tel système soit généralisé comme cela existe déjà dans d'autres pays.

M. Jacques Myard. D’accord !

M. Jean Bardet. Les limiteurs de vitesse – et non les régulateurs – devraient être quant à eux obligatoires sur tous les véhicules sortant d'usine, une aide de l'État pouvant être accordée aux conducteurs qui veulent faire équiper un véhicule ancien. L’argent nécessaire pourrait être prélevé sur le produit des contraventions liées aux radars. Une telle mesure, je le crois, serait comprise des usagers.

La polémique a également fait rage s’agissant des indicateurs de radars – et non des détecteurs, qui, eux, sont et resteront interdits. Or, les assureurs ont constaté que ceux qui en font usage avaient plutôt moins d'accidents que les autres. Il me semble, en effet, que ces appareils servent de « piqûre de rappel » pour faire respecter la vitesse et que, en outre, ils donnent tellement de fausses alertes que l'automobiliste qui ne lèverait le pied qu'en cas d'avertissement se montrerait tout de même plus prudent qu’un autre.

Par ailleurs, les contrôles systématiques d’alcoolémie ou de drogue ne sont pas assez nombreux. Depuis qu’ils existent, je crois avoir été contrôlé quatre fois pour la consommation d’alcool et je ne l’ai pas été une seule fois s’agissant de celle de drogue : cela n'est donc en rien dissuasif, même s’il faut bien avouer que je ne fréquente pas les boites de nuit le samedi soir !

Sur le plan de la prévention, je défends depuis très longtemps l'idée de faire passer le permis de conduire au lycée. Outre que son obtention est aussi importante pour entrer dans la vie professionnelle que le fait de parler anglais ou de pianoter sur un ordinateur, plus tôt on apprend les règles de bonne conduite, plus on est enclin à les respecter. Là encore l'argent issu des contraventions des radars pourrait être consacré à ce projet. Je crois que cette mesure serait particulièrement appréciée des jeunes et des parents.

De plus, le permis de conduire – comme d'ailleurs le préconise la récente reforme – doit être davantage orienté vers une pédagogie de la bonne conduite que sur la pratique de certaines manœuvres comme la réalisation d’un créneau ou d’un démarrage en côte.

Faut-il augmenter ou diminuer les vitesses autorisées ? Je ne suis pas un ayatollah, et l'argument qui consiste à dire que les voitures actuelles ont des dispositifs de sécurité passive qui n'existaient pas en 1973 – lorsque la vitesse a été limitée à 130 km/h sur les autoroutes – ne m'est pas indifférent. Mais jusqu’où pourrait-on l’augmenter ? Et, surtout, quel devrait être le degré de tolérance ? Si la vitesse sur autoroute passait à 140 ou à 150 km/h – hypothèse d'école – que diraient les automobilistes flashés à 145 ou à 155 km/h, sachant que ceux qui sont verbalisés pour un dépassement de 5 km/h protestent déjà. Quoi qu’il en soit, s’il y a une règle, il faut la respecter.

Au reste, cette notion de vitesse est toute relative. J’ai une voiture qui a 33 000 kilomètres au compteur, dont environ un tiers a été effectué sur autoroute en respectant les vitesses autorisées. Eh bien, ma vitesse moyenne globale s’élève à 39 km/h ! Alors, que la vitesse soit limitée à 120, à 130 ou à 140 km/h, cela ne changera pas grand-chose quant aux déplacements.

La vitesse en ville, elle aussi, est relative. Une étude récente, réalisée dans une ville de moyenne importance, à une heure d'affluence normale, a montré que si la vitesse est limitée à 50 km/h, la vitesse moyenne pour traverser la ville est de 19 km/h. Si elle était limitée à 30 km/h, la vitesse moyenne serait de 17 km/h, ce qui représente une perte de temps négligeable. En revanche, d'autres études ont montré que l'abaissement de la vitesse en ville réduirait significativement la mortalité des plus vulnérables : les piétons et les deux roues.

Il y a quelques années, des lampadaires d'éclairage ont été installés à grands frais sur les autoroutes péri-urbaines. À la suite de vol de câbles en cuivre, ils ne fonctionnent plus.

Or, parmi les raisons évoquées pour justifier qu’ils ne soient pas réparés, on trouve, à côté de celle tenant au coût prohibitif du remplacement, en raison de l’augmentation du prix des métaux non-ferreux, ou encore de celle liée à la nécessité d’économiser de l’énergie et de respecter des critères écologiques, la raison selon laquelle une autoroute non éclairée est moins « accidentogène » ! L’argument n'est pas partagé par tout le monde car la diminution globale du nombre de tués n'est pas prise en compte dans les statistiques. Pour le moins, des études expérimentales auraient pu être réalisées avant d'engager les collectivités territoriales dans des dépenses faramineuses ! Mais, si une route non éclairée est moins accidentogène, poussons le raisonnement à l'extrême : pourquoi les tunnels sont-ils éclairés alors que l’absence de lumière obligerait les automobilistes à ralentir ? L'absence d'éclairage sur les autoroutes peut provoquer des accidents pour des raisons physiologiques : lorsque l'on passe dans un tunnel éclairé, la pupille se rétrécit ; lorsque l'on en sort et que l'on est plongé dans le noir, elle se dilate pour laisser entrer le maximum de lumière. Ce mécanisme d'adaptation met quelques secondes pendant lesquelles la vision est mauvaise et, donc, la conduite dangereuse.

À cet égard, je souhaite formuler trois propositions : premièrement, éclairer les autoroutes en allumant un lampadaire sur deux ou sur trois, ce qui permettrait d'avoir une vision du tracé de la route tout en réalisant des économies ; deuxièmement, autoalimenter les lampadaires par des piles photovoltaïques qui restitueraient l'énergie emmagasinée le jour ; troisièmement, diminuer la vitesse autorisée la nuit sur tous les axes, qu'ils soient éclairés ou non.

Je terminerai par une boutade – ou presque. En temps que médecin, je suis un adepte de la théorie dite de « la preuve par l'expérimentation ». Dès lors que les thèses des uns et des autres semblent parfois si éloignées et si inconciliables, je propose de faire l’expérience suivante : pendant six mois ou un an, supprimons tous les radars fixes ou mobiles, les radars de feux rouges, les contrôles d'alcoolémie et de toxiques, autorisons à téléphoner au volant et voyons ce que cela donne ! Si la mortalité sur la route ne change pas, c'est que toutes ces mesures ne servent à rien ; si elle change – ce que je crois –, cela fera peut-être réfléchir certains.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie, cher collègue, pour cette intervention ainsi que pour la précision de vos propositions.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Je vous remercie moi aussi pour cet exposé passionné et précis.

Les causes des accidents, nous a-t-on souvent expliqué au cours de ces auditions, sont multifactorielles. Le pensez-vous également ? Si oui, ne convient-il pas tout de même de s’attaquer à ces facteurs principaux que sont la vitesse ou l’alcool ? Dans le cas contraire, conviendrait-il de promouvoir une approche différente ?

M. Jean Bardet. Les facteurs d’accidents sont bien évidemment multiples, même si l’alcool est aujourd’hui le premier d’entre eux – avant même la vitesse. En l’occurrence, l’alcool inhibe les réflexes et la conscience du danger. Sous son emprise, un conducteur considèrera qu’il peut fort bien passer sous la barrière d’un passage à niveau alors qu’elle est en train de se baisser, de la même manière qu’il accélèrera pour passer à l’orange. Cela dit, un conducteur qui roule vite, qui a bu et qui téléphone multiplie bien évidemment les risques encourus !

M. le rapporteur. Les personnes âgées qui continuent de conduire doivent-elles être soumises à un examen médical d’aptitude ? La presque totalité des différents acteurs que nous avons auditionnés à ce propos ont considéré que cela était inutile.

M. Jean Bardet. Par principe, je n’y suis pas, quant à moi, opposé : les chauffeurs de poids lourds subissent de tels examens, de même que les conducteurs qui tractent des caravanes, lesquels passent un examen tous les cinq ans et, à partir d’un certain âge, tous les deux ans. Et puis, cela peut faire plaisir à certaines personnes qui sont scandalisées quand elles apprennent aux informations qu’un octogénaire a fait une embardée, même si tout le monde sait que les seniors ne sont pas les plus grands fauteurs d’accidents !

M. le rapporteur. Quid du bridage des véhicules et du système Lavia ?

M. Jean Bardet. J’y suis favorable, tant à la construction que par satellite en fonction de la route et de la vitesse autorisée. De surcroît, il conviendrait d’interdire dans les publicités la promotion de la vitesse pouvant être atteinte par tel ou tel véhicule.

M. le rapporteur. Parce que tel est déjà le cas, les constructeurs précisent que la vitesse en question est calculée sur circuit.

M. Jean Bardet. Ce qui revient quasiment au même.

M. le rapporteur. En effet.

M. Jérôme Lambert. Il semble que la politique de sécurité routière soit élaborée au coup par coup en fonction des statistiques. Or, toute augmentation, si importante qu’elle paraisse en valeur absolue, doit être interprétée dans le cadre de la baisse considérable des chiffres que nous avons connue, puisqu’en quelques décennies nous sommes passés de 18 000 tués sur la route à presque 3 000 tués. À cela s’ajoute le fait qu’une telle augmentation peut être compensée par une baisse identique le mois suivant. Une politique de sécurité routière digne de ce nom ne doit-elle donc pas se garder de toute sur-réaction afin de maintenir un cap précis ?

M. Gilbert Le Bris. En la matière, une approche spécifique concernant les motards vous paraît-elle souhaitable ?

Vous êtes favorable à une limitation de vitesse par itinéraire afin d’éviter des variations erratiques, mais, dans ce cas-là, comment régler le problème juridique de leur établissement par les mairies, les départements, les régions ou l’État ? Est-ce à ce dernier d’en prendre la seule responsabilité ?

M. Christian Vanneste. Considérez-vous que la politique de sécurité routière tienne suffisamment compte de l’interaction de ces trois éléments que sont le conducteur, le véhicule et l’infrastructure, de manière à ce que le premier puisse circuler dans des conditions optimales ? Je note que vous avez évoqué, à ce propos, les problèmes liés, en particulier, à la vision nocturne ou à la multiplication des signalisations.

M. Jean Bardet. Il est vrai, monsieur Lambert, que les pouvoirs publics réagissent parfois au coup par coup, mais cela me semble globalement symptomatique d’une époque où l’émotion prend le pas sur la raison. Ce n’est pas, en effet – si terrible cela soit-il –, parce que 30 personnes de plus ont perdu la vie, tel ou tel mois, qu’il faut bouleverser l’ensemble des règles en vigueur.

M. Jérôme Lambert. Cela favorise en effet la confusion alors que la politique de sécurité routière doit s’inscrire dans la durée sans varier au gré des statistiques.

M. Jean Bardet. Si les deux roues, monsieur Le Bris, ne représentent que 3 à 4 % des véhicules en circulation, 17 % des accidents mortels touchent leurs conducteurs. Il faut donc faire preuve de pédagogie tout en sachant que ce public, en raison de sa jeunesse, n’y est guère réceptif – de la même manière qu’avertir un jeune qui commence à fumer en lui disant qu’il mourra dans trente ans ne le dissuade en rien. Il importe aussi de savoir écouter ce public particulier, par exemple lorsque les motards se battent pour la suppression des glissières de sécurité et leur remplacement par des murs. Outre le port obligatoire du casque, il serait peut-être bienvenu d’envisager le port d’une combinaison protectrice ou de gilets fluorescents, comme cela est déjà le cas dans d’autres pays.

Les maires, quant à eux, ont en effet le droit d’abaisser la vitesse de circulation autorisée sur le territoire de leur commune, mais il serait bon que cela prenne fin, de manière à éviter ou à limiter des variations dont tout le monde se plaint et qui impliquent de surcroît de regarder en permanence le compteur de vitesse, ce qui n’est pas le meilleur moyen de se montrer vigilant. Une décision s’impose donc au plus haut niveau afin d’uniformiser les vitesses en vigueur.

La signalisation, monsieur Vanneste, est en effet insuffisante et mal faite, à tel point que cela peut conduire certaines personnes à prendre les autoroutes à contresens.

L’amélioration de notre réseau routier – qui est d’ailleurs l’un des plus performants du monde – est également nécessaire, et nous savons, de ce point de vue, que les ronds-points jouent un rôle essentiel, de même que la limitation du nombre des virages – même si les accidents surviennent souvent sur des lignes droites, par temps sec et lorsque la circulation est faible.

D’énormes progrès ont également été réalisés pour améliorer la sécurité passive des véhicules, mais les pouvoirs publics doivent encore encourager les constructeurs à aller plus loin. Ainsi, je ne serais pas vraiment choqué à l’idée d’une augmentation de la vitesse autorisée sur les autoroutes, car les conditions de circulation ont considérablement évolué depuis 40 ans.

M. Christian Vanneste. Existe-t-il un organisme spécifiquement chargé de réfléchir à ces questions ?

M. Jean Bardet. Avant de répondre à votre question, je précise que, si je n’ai pas voulu faire partie de votre mission, c’est en fait parce que, comme j’ai eu l’occasion de le dire au Président Accoyer, le groupe d’études sur la route et la sécurité routière, que je co-préside avec M. Jung, n’a été ni consulté ni averti, lorsque le Gouvernement a annoncé un certain nombre de décisions en matière de sécurité routière, en réponse aux mauvaises statistiques du début de l’année.

Ce dont vous parlez, monsieur Vanneste, doit relever du Délégué interministériel à la sécurité routière. Sinon à quoi servirait-il ?

M. Christian Vanneste. Le professeur Got a évoqué la possibilité que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques puisse mener une mission scientifique sur l’adaptation du conducteur à la route.

M. Jacques Myard. On est dans l’irrationnel !

M. le président Armand Jung. La « gouvernance de la sécurité routière », dans ses versants technique, d’orientation et de conseil, sur un plan local ou national, constitue en tout cas un de nos axes de réflexion.

Nous vous remercions, monsieur Bardet, pour votre contribution et votre expertise.

*

* *

Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de MM. Didier Joubert, direction centrale des compagnies républicaines de sécurité, Jean-Cyrille Reymond, commissaire divisionnaire, Didier Perroudon, contrôleur général « DCSP »

M. le président Armand Jung.  Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons déjà entendu vos collègues de la gendarmerie. Et, avec le rapporteur, nous avons rencontré, à l’occasion d’une réunion décentralisée, la police nationale et la gendarmerie à Strasbourg. Votre expertise et vos propositions nous seront très précieuses, d’autant que nous sommes à la veille de présenter nos conclusions au Gouvernement et que des incertitudes demeurent.

J’évoquerai, de manière cursive, quelques questions restant en suspens. Quelle crédibilité donner aux statistiques ? Faut-il créer une police de la route ? À combien s’élève le nombre de contrôles d’alcoolémie ? Peut-on contrôler sans piéger ? Qu’en est-il de la détection de consommation de stupéfiants ? Comment annoncer aux familles la mort d’un proche ? Que penser de l’autorisation accordée aux vélos de rouler à contresens ? Nous souhaitons que vos réponses reflètent le plus possible votre expérience du terrain.

M. Didier Perroudon, contrôleur général « DCSP ». La Direction centrale de la sécurité publique est une branche de la DGPN – Direction générale de la police nationale. La Police nationale comprend des services spécialisés, dont les CRS font partie, et un service généraliste, la sécurité publique, comprenant 66 000 fonctionnaires. Ces hommes et ces femmes assurent la sécurité dans 1 594 villes, ce qui représente à peu près la moitié de la population française. La sécurité publique, c’est encore 62 % du traitement de la délinquance en France. En 2010, cela s’est traduit par 6 800 interventions par jour, soit une intervention toutes les treize secondes.

En termes de sécurité routière, les caractéristiques des zones urbaines sont déterminantes. La ville, c’est la rencontre d’usagers divers : voitures, véhicules utilitaires, camions, deux roues, engins de trottoirs – trottinettes, patins à roulettes, etc. – piétons, les personnes âgées et les très jeunes enfants étant plus particulièrement fragiles. En ville, en outre, l’espace est moins bien défini que sur l’autoroute. Il est surtout moins bien respecté, chacun des usagers ayant tendance à empiéter sur l’espace des autres. Cela va engendrer certains types d’accidents, moins graves cependant que ceux qui surviennent sur la route.

De par son organisation, la ville a un impact très fort sur nos stratégies et tactiques d’intervention. Il faut prendre en compte les grands axes pénétrant dans la ville – rocades, autoroutes urbaines – et qui ont quasiment la même configuration que la route hors la ville. Nous pouvons mettre en place des contrôles puis prévoir des interceptions sur ces flux dont les automobilistes sont un peu prisonniers.

En zone urbaine, en revanche, de par le réseau des voies, nous ne sommes jamais sûrs de la permanence des flux, même s’ils sont à peu près fixes à certaines heures. La ville permet donc aux automobilistes les plus récalcitrants de mieux nous repérer et de nous éviter. La stratégie consistant à mettre en place des points de contrôle lourds et durables en zones très urbanisées est donc vouée à l’échec. Il faut mettre en place des mini voire des micro-contrôles, extrêmement légers, souples et faciles à déplacer. Surtout, il faut faire de la sécurité routière une mission transversale : chacun des 66 000 policiers de la sécurité publique doit se sentir investi de cette mission et doit être à même, en permanence, de contrôler et de relever une infraction. Cela explique notre volonté d’équiper un maximum de patrouilles d’éthylotests.

S’agissant de la circulation des cyclistes à contresens, on peut se demander si cette mesure n’est pas de nature à compliquer encore la lecture de l’espace urbain pour les uns et pour les autres. Je pense notamment aux piétons, surtout lorsqu’ils sont âgés.

Les effectifs consacrés par la sécurité publique à la sécurité routière sont relativement limités concernant les services spécialisés. Nous disposons au niveau national de 250 unités pour les brigades des accidents et des délits routiers, chargées de travailler sur le plan judiciaire. Rappelons que, depuis le début de l’année, nous avons enregistré 105 697 délits routiers, ce qui n’est pas insignifiant.

M. le president Armand Jung. Est-ce plus ou moins par rapport à 2010 ?

M. Didier Perroudon. Je ne dispose pas des éléments de comparaison qui me permettraient de répondre à cette question.

Je préciserai encore que 1 085 agents sont chargés des procédures, que 118 unités représentant 1 058 motocyclistes sont affectées aux zones urbaines. Les motocyclistes sont les spécialistes de certaines verbalisations concernant notamment les infractions à la coordination des transports, procédures relativement lourdes et très techniques. Enfin, nous avons quelques unités de sécurité routière dans les grandes villes – 360 agents dans 46 villes –, quelques brigades de contrôle technique et quelques unités de prévention. Notez que tous ces chiffres ne tiennent pas compte du reste de l’activité effectuée par l’ensemble de la sécurité publique. En gros, 3,2 millions d’heures ont été consacrées à la sécurité routière, 250 000 heures pour le seul mois d’août dernier.

Si l’on prend en compte l’activité globale de ces unités et celle de l’ensemble des autres services de la sécurité publique, on constate, s’agissant des infractions classiques – non-respect des stops, des feux rouges, de la vitesse autorisée, du port du casque, de celui de la ceinture de sécurité, usage du téléphone au volant –, une hausse sur les huit premiers mois de l’année 2011, plus 2,20 %. Nous en sommes à un peu plus de 350 000 infractions constatées. Notons toutefois qu’un léger fléchissement apparaît en matière de non-respect des feux rouges : baisse de 11,13 %. On peut l’attribuer soit à une prise de conscience des automobilistes, soit à l’impact de l’implantation en cours des contrôles automatisés. C’est un phénomène nouveau et nous n’avons pas assez de recul pour l’analyser avec précision.

Cela étant, les contrôles routiers sont également en hausse – plus 51 % –, avec notamment une très forte augmentation des opérations de dépistage des taux d’alcoolémie – progression de 17, 04 %, soit 3 % de plus qu’en 2010. C’est ainsi que 800 000 personnes ont soufflé dans le ballon en ville et que nous avons relevé 49 000 dépistages positifs. La conduite sous l’emprise de l’alcool reste donc un phénomène relativement important.

Les conséquences de la réforme de la garde à vue ont également entraîné une diminution assez significative des gardes à vue en matière de délit routier. Sur certains mois, elle peut être de moitié par rapport à l’année précédente.

En matière de prévention, nous agissons notamment auprès des très jeunes : 270 fonctionnaires sont affectés à cette tâche au niveau national, 240 000 élèves suivent les cours de code de la route, 18 000 enfants souhaitent passer leur Permis piéton.

En matière de dissuasion, nous développons avec les autres services chargés de la sécurité routière – gendarmerie et police municipale – des opérations combinées relativement importantes avec l’idée de contrôler tout un axe routier, par exemple de Reims jusqu’au Havre, à une heure de forte accidentologie. Il s’agit de maintenir une pression constante sur l’automobiliste en mettant en place des contrôles tous les cinquante kilomètres environ.

Enfin, nous lançons des actions en direction des piétons, en coopération avec les polices municipales. Ainsi, en Seine-Maritime, en 2010, 1 700 piétons s’étant rendus coupables d’une infraction ont été sensibilisés au danger que constituait leur comportement.

S’agissant de l’accidentalité dans les zones de sécurité publique, les statistiques relatives aux tués et aux blessés sont plutôt bonnes. Rapportée à l’année 2009, 2010 fait ainsi apparaître une baisse de 5,81 % du nombre des accidents, soit 2 088 accidents de moins, une baisse de 5,57 % du nombre des tués, soit 52 vies épargnées, et une baisse de 6,33 % du nombre des blessés, soit 2 840 blessés en moins.

Sur les huit premiers mois de 2011, la diminution du nombre des accidents est de l’ordre de 5,11 % pour la zone de police alors que la moyenne nationale est de 3,5 %. On constate donc une accentuation de la baisse dans les zones urbaines. Concernant le nombre des tués, la baisse est de 7,37 % alors qu’on note pour la moyenne nationale une hausse de 0,7 %. Pour le nombre des blessés, la diminution est de 5,10 % contre 3,8 % pour la moyenne nationale.

Depuis un an et demi, nous assistons donc à une baisse des accidents et des conséquences corporelles en zones urbaines. Précisons cependant que la sécurité publique ne couvre pas Paris et les trois départements de la petite couronne qui relèvent de la Préfecture de police, totalement indépendante.

S’agissant des causes des accidents, nous retrouvons, bien sûr, les « grands  classiques » : la vitesse et l’alcool, qui nous amènent à augmenter considérablement nos opérations de contrôle. D’autres causes apparaissent néanmoins, notamment en ville. Je citerai en premier lieu l’absence de port de la ceinture de sécurité. Si l’on en croit l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, 98 % des usagers utilisent, certes, leur ceinture de sécurité mais uniquement à l’avant. Or, selon les mêmes sources, 682 tués par an n’étaient pas ceinturés. Si l’on considère que le port de la ceinture sauve la vie une fois sur deux, nous pouvons gagner 300 vies. Aujourd’hui, si l’on s’attache à l’avant, on le fait un peu moins à l’arrière. Il faut en conséquence valoriser le port de la ceinture à l’arrière. L’arsenal législatif existe : il suffit de faire appliquer la loi fermement.

Le téléphone au volant est une deuxième cause importante d’accidents en ville. Toujours selon les sources de l’Observatoire, le téléphone portable est impliqué dans 6 % des accidents. Nous devons donc agir en termes de répression pour essayer de réduire le nombre de morts et de blessés.

M. Didier Joubert, Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité. Les services intervenant en matière de sécurité routière au titre de la Direction centrale des CRS sont constitués d’unités très spécialisées. Tout d’abord, neuf compagnies autoroutières ont en propre les autoroutes de dégagement, c’est-à-dire le réseau autour des grandes agglomérations, en deçà des péages. À ce titre, nous avons quatre compagnies autour de la région parisienne, une au niveau du contournement de Lyon, une sur l’ensemble du réseau autoroutier non concédé entre Marseille et Toulon, une gérant le réseau à la frontière belge sur l’ensemble de l’agglomération lilloise, une sur le périphérique autour de Bordeaux, et, enfin, une compagnie Alsace-Lorraine couvre l’agglomération Metz-Nancy et un linéaire lié à l’agglomération de Strasbourg.

Nous avons ensuite six unités motocyclistes zonales présentes sur l’ensemble du territoire national, avec vingt-deux détachements.

S’agissant des compagnies autoroutières, le kilométrage est relativement modeste – 4 500 kilomètres –, mais les contraintes sont très particulières. Ces linéaires ont en effet les flux de circulation les plus importants et requièrent un fonctionnement sur vingt-quatre heures. On n’intervient pas de la même façon sur le contournement de Lyon, l’A86, l’A3, l’A1 entre la Porte de la Chapelle et le péage de Chamant-Senlis, que sur les autres réseaux. Les dispositifs sont particuliers. Les contraintes sont liées par exemple à la multiplication des tunnels routiers. Les sujétions sont très précises. Des questions de sécurité se posent également sur les différentes aires d’autoroute. Au titre de cette spécificité autoroutière, nous formons les futurs officiers de sapeurs-pompiers, à Aix-les-Milles.

Les six unités motocyclistes interviennent sur le ressort de la zone et apportent la plus-value de leur culture de mobilité lors de grands événements. On les rassemblera ainsi à l’occasion du G20 en projetant 200 motocyclistes CRS afin de renforcer la direction départementale de la sécurité publique des Alpes-Maritimes et le SPHP – service de protection des hautes personnalités.

En termes d’effectifs, on compte 6 657 policiers dans les compagnies autoroutières. La force de projection des unités motocyclistes représente, quant à elle, 400 motards.

Les CRS assurent également la représentation de la police au sein de l’unité de coordination récemment créée. Ils sont également présents auprès de la sécurité publique dans les centres régionaux de coordination et d’information routières.

Au titre des actions de prévention et d’éducation routière, plusieurs dispositifs nationaux sont en cours. Avec les assureurs de Groupama, nous formons quelque 7 160 jeunes de 112 établissements scolaires. Avec Gema (groupement des entreprises mutuelles d’assurances), qui rassemble dix-huit mutuelles, nous menons une action spécifique en direction des deux-roues motorisés, responsables d’un grand nombre de morts. En 2010, 9 200 jeunes sont entrés dans le cadre de ces dispositifs. Enfin, nous participons, à Lyon, à un dispositif associatif intitulé Percigones (piste d’éducation routière et civique des gones) tendant à mobiliser les scolaires. À chaque fois que la ressource disponible le permet, nous animons des pistes d’éducation routière et délivrons les attestations scolaires de sécurité routière. Au titre de l’année 2010, plus de 200 000 jeunes sont passés par ces structures.

Nos orientations opérationnelles visent à renforcer les actions sur les créneaux soirée, nuit et fin de semaine, à cibler les lieux de contrôle, à renforcer également les actions en direction des deux roues et des conducteurs de deux-roues motorisés – je rappelle que ces derniers représentent 1 % du parc et 18 % des tués – et à réprimer ce qu’on appelle les infractions de contournement ou les comportements à risque.

La direction centrale des CRS s’est également inscrite dans le cadre d’une politique clé en main et d’opérations à la carte. Depuis le mois de juillet dernier, nous avons relancé la notion d’opération ciblée de sécurité routière. Nous avons ainsi écrit à l’ensemble des préfets de département pour leur proposer d’utiliser la capacité de projection des motocyclistes CRS, afin de mener des opérations de contrôle, sur un temps et un lieu donnés, avec un objectif déterminé. Dans le Jura, par exemple, où trois personnes sont mortes en trois jours à la suite d’accidents, nous pouvons, si le préfet le souhaite, projeter une équipe de motocycliste pour marquer les esprits.

Depuis le 1er juillet, nous avons monté 354 opérations à la suite de demandes précises et nous voulons poursuivre dans cette voie. Nous sommes en effet en mesure d’aller en tout lieu du territoire et de conduire nos actions pour la durée décidée par l’autorité d’emploi là où elle le souhaite. Dans de petits départements, l’Ardèche par exemple, nous pouvons envoyer des hommes pour des week-ends spécifiques, tel celui de la Toussaint.

Avant de conclure, je voudrais exprimer quelques convictions. Il faut, selon moi, préserver des unités spécialisées dédiées à la sécurité routière au sein de la police nationale. L’expérience a montré en effet – et cela répondra peut-être, messieurs, à votre question relative à la création d’une police de la route – que la superposition d’objectifs ou de contraintes dans les services généralistes conduit à une érosion des effectifs. Il faut également prendre en compte la spécificité des réseaux urbains et autoroutiers, qui ont des exigences propres. Nous avons tous à l’esprit ces photos d’abribus fauchés ou de comportements de délinquants de la route – queue de poisson, circulation sur les bandes d’arrêt d’urgence… Or, nous constatons précisément qu’en notre qualité d’unité très spécialisée, nous relevons davantage de circulation sur la BAU (bande d’arrêt d’urgence) ou d’infractions aux règles spécifiques de circulation sur l’autoroute que d’autres institutions déployées sur l’ensemble du territoire. Il y a des inconduites particulières sur le réseau de l’agglomération parisienne.

Je veux encore souligner l’impact de l’activité sur les besoins. Sur l’ensemble des données collectées en matière d’activité de verbalisation sur des délits ou des contraventions, 79 % des procès verbaux ont été effectués par la police nationale en 2010. De même, près de 75 % des accidents corporels nécessitent de la procédure et surviennent sur le territoire urbain ou autoroutier autour des grandes agglomérations. Il faut être attentif à l’endroit où l’on doit faire porter son action.

J’appelle également votre attention sur une forme de rejet du fétichisme technologique. S’il faut du matériel, il faut aussi des hommes et une action de l’homme. Si la sanction automatisée a eu, semble-t-il, un impact sur l’évolution de la mortalité, ce n’est pas tant l’outil que la certitude de la sanction qui a eu un effet.

Enfin, je veux souligner l’impact sans équivalent de l’image de fermeté du motard. Il est un vecteur de sagesse pour les automobilistes. C’est un formidable outil au profit de la sécurité routière.

M. Philippe Houillon, rapporteur. N’y a-t-il pas un problème d’effectifs, notamment la nuit et chez les CRS ?

M. Didier Joubert. Non. C’est plus un problème d’emploi et de répartition de ces effectifs.

M. le rapporteur. Je parle des effectifs de CRS consacrés à la police autouroutière. Certains CRS disent parfois préférer exercer le métier noble de maintien de l’ordre.

M. Didier Joubert. Ce n’est ni la position ni le ressenti de la direction centrale des CRS. Au regard des contraintes subies par différentes directions de la Police nationale, les gens ont peur de disparaître et insistent sur leur spécificité. C’est un comportement de repli.

En tout cas, les effectifs déployés le dimanche ont été doublés en trois ans. Les cycles de travail ont été modifiés afin précisément d’avoir une présence forte sur les routes le week-end. Les instructions données ont ainsi été mises en œuvre.

Je reviendrai d’un mot sur l’importance de l’éducation routière et, plus concrètement, sur le rôle des enfants à l’égard des adultes en matière de diffusion d’une culture de sécurité routière. Il faut participer à cette diffusion car, dès leur plus jeune âge, les enfants ont une influence sur leurs parents.

M. le rapporteur. Vous dites, monsieur Joubert, qu’il faut augmenter le nombre de motards sur les routes.

M. Didier Joubert. Il faut préserver l’outil motocycliste.

M. le rapporteur. Vous avez dit que le motard des forces de l’ordre était un vecteur de sagesse. Il faut donc veiller à ce que leur nombre ne baisse pas.

M. Didier Joubert. Tout dépend aussi de la façon dont sont utilisés les effectifs. Il nous appartient de les utiliser au mieux. Ce n’est pas qu’un problème de volume.

M. le rapporteur. Le volume baisse néanmoins dans quelques compagnies.

M. Didier Joubert. Dans le cadre de la RGPP, un effort a été demandé à la Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité au titre de la sécurité routière.

M. le rapporteur. Que les choses soient claires : effort signifie économie, n’est-ce pas ?

M. Didier Joubert. Oui. Cet effort a été gagé sur deux vecteurs d’économie : l’externalisation du guidage des transports exceptionnels et la généralisation du procès verbal électronique. Force est cependant de constater que l’application des directives et la baisse des effectifs ont été plus rapides que la mise en place de l’externalisation du guidage des transports exceptionnels et la généralisation des PVE. Je rappelle que le guidage des transports représente l’équivalent de cinquante emplois.

M. le rapporteur. Êtes-vous favorable à la création d’une police de la route ?

M. Didier Joubert. Je suis favorable à la persistance de l’existence d’unités spécialisées dédiées aux métiers de la sécurité routière.

M. le rapporteur. Vous souhaitez qu’au sein de la gendarmerie, des CRS et de la police nationale, soient préservées des unités spécialisées. Souhaitez-vous pour autant une seule et unique police routière ?

M. Didier Joubert. Cela ne me paraît pas possible aujourd’hui, en raison de la partition délicate qui interviendrait sur les zones de police et de gendarmerie, du fait notamment de l’activité judiciaire postérieure à l’activité contraventionnelle ou aux accidents. J’ai rappelé tout à l’heure que la police nationale assure le suivi de 75 % des accidents à l’origine de procédure.

M. Didier Perroudon. Si l’on devait avoir une police de la route spécialisée, toutes les forces de police de sécurité publique seraient désengagées de cette mission au profit d’un groupe spécialisé. On peut imaginer une police de la route qui intervienne sur l’autoroute, par exemple : c’est quasiment ce qui se fait à Lyon où des autoroutes traversent l’agglomération ; elles ont été cédées par la sécurité publique aux CRS s’agissant de l’aspect autoroutier. Cependant, pour le tissu urbain, nous avons besoin d’une grande mobilité, d’une permanence des contrôles pour insécuriser le chauffard. L’individu qui va boire excessivement dans une boîte de nuit doit avoir le sentiment qu’il peut, à chaque coin de rue, faire l’objet d’un contrôle d’alcoolémie et qu’il vaut mieux qu’il rentre chez lui en taxi. Or ce sentiment, il ne peut l’avoir que si les services de police générale sont présents dans la ville. Par exemple, si l’officier de nuit note un creux dans l’activité, il pourra récupérer deux, trois véhicules de patrouille et organiser quelques contrôles. La richesse de la sécurité civile en zone urbaine, ce sont ses 66 000 fonctionnaires mobilisés. Il ne faudrait pas que leur action soit compromise par la spécialisation d’une unité de sécurité routière et qu’ils se trouvent en quelque sorte « désimpliqués » de cette mission.

M. le rapporteur. Comme on l’a souvent entendu dire, les automobilistes veulent bien être contrôlés mais pas piégés. Des instructions sont-elles données en la matière ? Si oui, lesquelles ? Verriez-vous un inconvénient à ce qu’une circulaire, si tant est que celle-ci puisse être appliquée, précise les conditions dans lesquelles doivent être effectués les contrôles ?

Concrètement, et tout le monde le dit, il y a un problème de lisibilité de la route. Ainsi, des vitesses différentes peuvent se succéder sur une route à quatre voies et les contrôles ont lieu souvent sur la portion de route où la vitesse autorisée est la plus faible : n’y a-t-il pas là une forme de piège ? Je n’imagine pas que des instructions soient données en ce sens. Mais n’y a-t-il pas une demande de résultats ?

M. Didier Perroudon. C’est un fantasme de penser que les policiers sont astreints à un nombre de PV précis. On leur demande d’avoir des résultats, notamment en termes d’accidentologie. L’indicateur de l’efficacité, c’est la baisse de la délinquance routière et de l’accidentologie. Les DDSP (directions départementales de la sécurité publique) doivent essayer de cibler leurs contrôles en se fondant sur les zones accidentogènes.

Je suis personnellement très attaché à la lisibilité de la route. La voie publique doit être lisible ; or, et cela fait le bonheur des bêtisiers, il faut parfois être à l’arrêt pour prendre connaissance de tous les panneaux de signalisation. Il importe donc d’homogénéiser les changements de vitesse, qui peuvent être très déstabilisants. N’oublions pas cependant que ceux-ci sont souvent intervenus du fait d’un fort risque d’accident sur la portion de route en question. Dès lors, il faut faire respecter cette limitation de vitesse en prévoyant des contrôles.

M. Didier Joubert. Voilà un peu plus de deux ans, à l’occasion d’une réunion de l’ensemble des commandants d’unité et des acteurs de la sécurité routière CRS, en présence de Mme Merli, Déléguée interministérielle à la sécurité routière, nous avions donné des consignes très précises. Elles visaient à faire remonter auprès des préfets les informations relatives aux failles de lisibilité et de dangerosité de la structure routière, Mme Merli s’étant engagée à agir si rien ne bougeait.

M. le rapporteur. Qu’en est-il aujourd’hui ?

M. Didier Joubert. Une dizaine de cas particuliers sont remontés du terrain avec des effets quasi immédiats. Récemment, nous avons signalé que le revêtement de la N 118 dans sa remontée vers Vélizy était devenu dangereux. Je ne sais si c’est dû cette intervention, mais ce revêtement a été refait.

En tout cas, il n’y a aucune volonté de piégeage, monsieur le rapporteur.

M. le rapporteur. Il n’en reste pas moins que l’exemple que j’ai donné n’est pas inventé. Le contrôle, lorsqu’on passe d’une limitation de vitesse à 110 à une limitation à 90, même s’il n’est pas systématique, n’est pas une vue de l’esprit.

M. Didier Joubert. La culture de sécurité routière ne vise pas à piéger l’automobiliste. Nos instructions sont très claires.

M. le rapporteur. Vous ne verriez donc aucun inconvénient à ce qu’une circulaire le précise en reprenant vos termes.

En ce qui concerne les deux roues, quelle est votre position s’agissant de la remontée de files, revendication importante des motards ? Dans les faits, en zone urbaine, ceux-ci remontent déjà par centaines les files de voitures dans les embouteillages.

M. Didier Perroudon. Cette situation, très parisienne, apparaît dorénavant dans toutes les grandes villes. Les deux roues prennent un risque considérable. Pour les législateurs que vous êtes, ne vaut-il pas mieux réglementer que de laisser l’anarchie actuelle ? Faut-il prévoir une voie pour les deux roues qui remontent les files ? S’ils sont tous, comme sur l’autoroute A4, entre la voie de gauche et celle du milieu, ça va. Mais lorsque, comme sur l’avenue de la Grande-Armée, ils se faufilent de tous les côtés, c’est extrêmement dangereux. Faut-il laisser les choses en l’état ? De toute façon, nous ne pourrons pas réglementer, sauf à déployer une énergie considérable et à demander aux motards de rester derrière les voitures. La solution n’est-elle pas de prévoir une voie spécifique ?

M. Gilbert Le Bris.  Je note que chez vous aussi les sacrifices sont payés au comptant alors que les contreparties sont souvent virtuelles ou tardives.

S’agissant de l’interface police/gendarmerie, vous avez dit, monsieur Joubert, que des contrôles se faisaient conjointement, sur un temps et un itinéraire donnés. Au-delà de ce type d’opérations, comment fonctionne la coopération entre la police et la gendarmerie nationale ? Nous, élus, sommes amenés à constater que, dans les zone rurales, périphériques des agglomérations urbaines, la police va fort peu, car c’est trop loin du centre, tandis que la gendarmerie n’intervient pas, puisque l’on est en zone police. Résultat : on ne voit pas beaucoup d’uniformes dans ces sortes de zones grises.

J’ai bien compris que vous étiez contre la spécialisation d’une unité routière, mais qu’en est-il du fonctionnement au quotidien ? Les volontés de coopération et de coordination entre vous sont-elles claires ?

Vous avez évoqué, monsieur Perroudon, des micro-contrôles. Ceux-ci peuvent effectivement être efficaces, je pense notamment à ceux effectués par les voitures banalisées. Souvent, cependant, ces contrôles sont mis en place là où il est le plus facile de les installer, où ils sont le plus rentable, et non dans les zones accidentogènes. Cette constatation participe de la difficulté à obtenir une bonne lisibilité de la route. Reconnaissons-le, l’incohérence des itinéraires est aussi provoquée par les élus locaux qui réclament, par exemple, une limitation de vitesse à 50 km/h dans la partie communale, pour donner satisfaction à des riverains. Ne faudrait-il donc pas qu’une décision, prise par le préfet – ou une autre autorité –, se substitue au patchwork actuel ?

M. Jérôme Lambert.  Existe-t-il une corrélation entre le nombre des infractions relevées et celui des accidents ?

Que pensez-vous de l’utilisation des motards en civil ? On se prive de la peur de l’uniforme mais ils peuvent prendre des chauffards en flagrant délit.

Je le dis en tant qu’utilisateur d’un deux-roues motorisé, tout l’intérêt de rouler à moto en agglomération repose sur le fait que l’on peut gagner du temps. Si, demain, on demande aux utilisateurs de deux-roues motorisés de se comporter comme des automobilistes, ne va-t-on pas les inciter à revenir à la voiture ? Que se passerait-il si le quart ou la moitié des utilisateurs de deux roues optaient à nouveau pour un véhicule à quatre roues en milieu urbain ?

M. Christian Vanneste.  Vous avez parlé de taux d’alcoolémie mais vous n’avez pas abordé les contrôles de drogue. Je crois savoir qu’en la matière, les moyens sont moins nombreux et plus coûteux. Or, l’usage du cannabis présente les mêmes dangers que ceux de l’alcool, lorsqu’on est automobiliste ou motard.

S’agissant des deux roues, on le sait, on trouve davantage de victimes parmi les motards : 2 % d’utilisateurs et 18 % des morts. Observe-t-on également un plus grand nombre de verbalisations les concernant ? Ou est-ce plutôt le contraire ? Les utilisateurs de deux-roues motorisés ne font-ils pas l’objet de sympathie, et donc d’une moins grande sévérité ? En outre, dans les villes, ils échappent plus facilement aux contrôles.

Enfin, la vidéoprotection peut-elle être utilisée – en collaboration, bien sûr, avec la police municipale – pour améliorer la sécurité routière ? Je pense au non-respect des feux rouges, au défaut de port de la ceinture ou encore à l’usage du téléphone portable au volant ?

M. Didier Perroudon. Sur les zones grises, le dispositif CORAT, coordination renforcée entre les services de police et de gendarmerie, est en train de se développer sous l’autorité du préfet. Il vise à permettre de mieux adapter les efforts des deux forces dans les territoires et répondra donc à vos observations.

S’agissant de la corrélation entre les infractions et les accidents, nous ne disposons pas d’éléments très probants. En outre, le nombre des contraventions est limité par notre capacité de travail.

M. Jérôme Lambert.  Si tous les automobilistes deviennent subitement moins respectueux des règles, cela doit se traduire dans les chiffres ? Avez-vous constaté le relâchement dont il a été beaucoup question ?

M. Didier Perroudon. Pas de manière scientifique. C’est une impression.

M. Didier Joubert. S’agissant du linéaire très particulier que j’ai évoqué tout à l’heure, je peux vous dire que, l’an dernier, nous avons constaté deux évolutions simultanées : une hausse de notre activité et une hausse de l’accidentalité et du nombre des tués. Sur ce linéaire de 4 500 kilomètres, nous avons au moins une indication de tendance.

M. Didier Perroudon. Les motards en civil constituent un outil extrêmement efficace notamment pour certains types d’infractions – défaut de port de la ceinture, utilisation du téléphone portable au volant… Cela étant, l’interpellation doit toujours être effectuée par des motards en uniforme pour ne pas prêter à confusion.

S’agissant de la moto comme moyen de gagner du temps, nous, chargés de l’exécution de la loi, n’avons pas à nous prononcer sur cet aspect des choses. Certains motards sont raisonnables et d’autres ne le sont pas. Cela étant, il y a de plus en plus de motards qui se mettent de plus en plus en danger. Voilà un vrai chantier, qui concerne aussi les vélos. En effet, le développement des Vélib, et autres dispositifs du même type, constitue un souci dans les villes car leurs utilisateurs s’exposent de manière inconsidérée. Utilisant un moyen de transport propre, ils ont le sentiment qu’ils peuvent s’affranchir d’un certain nombre de règles, se mettant ainsi en danger.

S’agissant des stupéfiants, les textes relatifs aux contrôles sont sortis il y a peu. La montée en puissance est donc relativement lente mais elle commence à se faire. Nous, police nationale,  avons rencontré un problème avec les kits de contrôle, non pas de nature budgétaire, mais de marché. Une difficulté s’est présentée au niveau de la procédure de marché public, laquelle a provoqué un retard en 2010. La situation est en train de se régulariser.

Pour ce qui est de la verbalisation des deux roues, on peut toujours imaginer que quelques motards feraient l’objet d’une certaine sympathie. Mais les gendarmes et les policiers ont le sens du service public et l’indulgence dont ils pourraient faire preuve à l’égard d’un motard ne serait pas différente de celle qu’ils pourraient manifester vis-à-vis d’un conducteur de quatre roues. La vraie difficulté, c’est de pouvoir interpeller un deux roues sans le mettre en danger.

M. Didier Joubert. Cela répond à votre question, monsieur le rapporteur, sur la capacité à mettre en œuvre le contrôle, pour ne pas décrédibiliser une réglementation supplémentaire.

Monsieur Vanneste, il est en effet compliqué d’intercepter des motards sans mettre en danger les autres usagers de la route.

M. Christian Vanneste.  Pourrait-on avoir des chiffres ?

M. le president Armand Jung. Je vous suggère, messieurs, de nous les faire parvenir par écrit.

Je vous remercie de nous avoir fait part de votre expertise.

*

* *

Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de MM Bernard Darniche, fondateur de l’Association Citoyens de la route et Rémy Julienne, consultant spécialiste en sécurité.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie, messieurs, d’avoir répondu à notre invitation. Au cours de nos auditions, nous avons entendu beaucoup de théories. La présente audition devrait nous permettre d’aborder d’autres aspects.

M. Bernard Darniche. Je suis très étonné que le sujet qui préoccupe votre mission parlementaire fasse encore l’objet de discussions aujourd’hui, dix ans après l’instauration de la tolérance zéro.

Il y a dix ans, au moment où j’avais créé l’association Citoyens de la route, j’avais alerté Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, que la tolérance zéro était nécessaire sous réserve que la réglementation soit accessible et compréhensible par les usagers ; que ce n’était qu’à cette condition que les punitions pouvaient être légitimes.

Depuis, les chiffres m’ont donné raison. En dix ans, dix millions de points ont été retirés. Or des enquêtes ont montré que ces retraits de points sont dûs à des infractions commises à des endroits du réseau routier où il n’y a pas de danger et où la réglementation est illisible. La multiplicité des intervenants – maires, présidents des conseils régionaux, présidents des conseils généraux et représentants de l’État – est en cause : l’effet est désastreux pour les citoyens.

La politique de la tolérance zéro est nécessaire ; des pays comme l’Allemagne et le Japon l’appliquent d’ailleurs avec une très grande sévérité. Mais une réglementation ne doit pas surprendre ; il faut qu’elle soit adaptée aux besoins de la conduite.

Les dialogues avec mes auditeurs, au cours d’une émission que j’anime chaque matin sur Radio bleu 107.1, me permettent de constater que les citoyens ne demandent qu’à respecter les règles mais qu’ils ne les comprennent pas. Et elles sont en effet incompréhensibles : il suffit de se déplacer sur une route qu’on ne connaît pas pour constater des incohérences dans les signalisations ; si un contrôle est effectué, on est alors mécaniquement pénalisé.

Si je suis favorable à des contrôles sévères, je suis absolument opposé à des punitions généralisées. Or tel est bien le cas aujourd’hui ; car qu’est-ce que le retrait de 10 millions de points en dix ans si ce n’est une punition généralisée ?

M. Philippe Houillon, rapporteur. Dix millions de points ont été retirés en dix ans mais le même nombre a été restitué.

M. Bernard Darniche. Oui, mais le sentiment d’injustice est légitime car trois peines se cumulent : le retrait de points, le paiement de l’amende et la nécessité de récupérer les points perdus. Tout cela pour des fautes commises, dans de nombreux cas, en raison d’une réglementation incompréhensible.

On sait que les parents échouent s’ils tentent de faire respecter à des enfants des règles qu’ils ne comprennent pas. Il en va de même avec les conducteurs : il faut garder un cadre logique et de bon sens.

Le résultat est que les conduites alcoolisées et les mauvais comportements passent à travers les mailles du filet, la police se consacrant à lutter contre les excès de vitesse.

La sécurité routière constitue pourtant un champ d’action où un Président de la République peut facilement réussir. Car il ne s’agit pas de fournir des réponses à des préoccupations politiques mais de résoudre des problèmes techniques portant, par exemple, sur la protection individuelle – utilisation de la ceinture de sécurité, installation d’un air bag – ou les infrastructures… Au lieu de cela, l’Etat s’est préoccupé de montrer son autorité en installant des radars automatiques.

Une fois le seuil des 4000 morts annuels atteint, il aurait fallu créer une agence consacrée non pas à la sécurité routière mais à la mobilité ; gérée par des techniciens, son rôle aurait été de proposer des règles pérennes. Mais la promesse a été faite de réduire le nombre de tués à 3000, ce qui n’est techniquement pas possible.

La multiplication des entraves envers des véhicules qui sont pourtant de plus en plus sécurisés – des milliards ont été dépensés pour protéger l’automobiliste à l’intérieur de son véhicule – ainsi que les carences que connaît le développement des transports en commun ont, en outre, eu pour effet d’encourager « le système démerde ». De nombreux usagers préfèrent se déplacer sur des deux-roues motorisés. Mais que se passera-t-il quand la part des deux roues dans la circulation passera de 2 % à 4 % ? Une catastrophe de santé publique, car la moto ne protège pas son conducteur en cas d’accident. On subira alors toutes les conséquences d’un système incohérent consistant à culpabiliser les conducteurs et à ne pas construire de parkings.

M. le rapporteur. Quand on sait que deux heures sont parfois nécessaires en zone urbaine pour parcourir 30 kilomètres, n’est-il pas normal que certains cherchent d’autres solutions de transport ?

M. Bernard Darniche. Le dossier de la mobilité n’a jamais été un dossier politique alors que les gens sont obligés d’habiter de plus en plus loin de leur lieu de travail.

Les citoyens ont besoin d’une vision positive des règles qu’on leur demande de respecter. C’est pourquoi, j’ai suggéré la création d’une plate forme de gouvernance adaptée aux moyens modernes de mobilité ; celle-ci intégrerait les questions de mobilité dans un système acceptable au lieu de multiplier les entraves.

La sécurité routière manque en effet de lisibilité ; que quatre autorités différentes puissent intervenir garantit l’incohérence du système. Certains maires n’ont pas même l’idée de synchroniser les feux de signalisation installés sur les voies routières de leur commune !

La perte de temps causée par les centaines de kilomètres de bouchons quotidiens est dénoncée par tous. Il serait d’ailleurs intéressant d’en évaluer les conséquences sur le PIB.

M. le président Armand Jung. Quand il y a beaucoup de bouchons, on peut au moins se dire qu’il y aura moins de morts. Mon propos est peut être paradoxal mais il prend sens au vu de l’augmentation du nombre de morts constatée au début de cette année.

Ne pensez-vous pas que le choix de circuler en deux roues soit aussi motivé par la considération des avantages qu’on peut retirer de ce moyen de transport ?

M. Bernard Darniche. J’ai reçu des lettres de mères de famille qui s’inquiétaient que leur mari n’ait trouvé que cette seule solution. Mais que peut faire un jeune cadre qui habite à 40 kilomètres de son bureau et qui est réprimandé par son employeur à cause de ses retards ? En prenant un scooter, il fait vivre sa famille, et notre économie…

M. le président Armand Jung. L’étalement des villes pose en effet des problèmes ingérables. Il faut développer le transport multimodulaire.

M. le rapporteur. Pensez-vous que les transports en commun ne soient pas assez développés ? Car les solutions sont limitées : il y a la voiture, les moyens accessoires comme les motos, les cyclomoteurs et les vélos, et enfin les transports en commun, routiers ou ferroviaires. Ou auriez-vous autre chose à proposer ?

M. Bernard Darniche. Je pense à des solutions mixtes. Par exemple à Paris, le maire aurait mieux fait de créer des parkings et d’interdire le stationnement sur les voies de circulation, comme c’est le cas au Japon et dans la ville de New-York. Cela aurait permis de dégager des voies libres pour des cyclistes utilisant des vélos à assistance électrique et aurait amélioré de beaucoup la vitesse de circulation dans la capitale. Cette solution aurait été plus efficace et moins onéreuse que la création de lignes de tramway.

M. le rapporteur. Quel est le prix d’un vélo électrique ? Il me semble que cela coûte cher.

M. Bernard Darniche Un vélo électrique coûte moins cher qu’une voiture qui ne permet pas d’arriver à l’heure à son travail et dont l’usage entraîne des frais annexes comme le paiement des parkings.

C’est tout un environnement qu’il faut créer. Personnellement, je fais 14 000 kilomètres de vélo par an, mais jamais je ne prends le risque d’emprunter les voies de bus !

Dans le domaine de la conduite, une juste vision des dangers est indispensable. Malheureusement les jeunes ne sont sensibilisés qu’aux risques de répression et non pas aux vrais risques. Ils devraient être mieux informés sur les contraintes liées au partage de la route. En ce sens, le code de la route, qui a déjà 50 ans d’âge, est complètement obsolète.

Mes propos peuvent apparaître violents…

M. le président Armand Jung. Aucunement : c’est précisément la franchise que nous recherchons.

Je donne maintenant la parole à M. Rémy Julienne.

M. Rémy Julienne. Cela fait quarante-cinq ans que je parcours toutes les routes du monde et, en tant que citoyen responsable, je mets volontiers mon expérience au service de vos travaux.

Le premier constat dont je peux faire part est que les comportements sur la route sont très différents, différences particulièrement marquées entre les pays du nord et les pays latins. Une formation est donc nécessaire pour réguler ces attitudes car les routes ne s’élargissent pas avec l’augmentation du nombre des usagers !

La pédagogie est évidemment plus efficace envers les jeunes qu’envers les anciens qui ont acquis des mauvaises habitudes ; et elle le sera d’autant plus qu’elle sera simple dans son contenu et dispensée par des personnes crédibles. Ce qui se fait en Allemagne et au Japon en ce domaine peut servir de modèle.

En tant que spécialiste des accidents, j’ai ainsi été contacté par deux ministres – MM. Gayssot et Sarre – pour lancer des projets qui auraient pu connaître un grand succès mais qui n’ont pas abouti, malheureusement, car on était alors en fin de mandat.

M. le rapporteur. Nous serions intéressés de les connaître !

M. Rémy Julienne. Il s’agissait de faire des démonstrations en dynamique destinées à montrer quelles pouvaient être les causes d’un accident – et pas seulement ses conséquences. Pour le filmage, la production avait trouvé des financements de la part d’équipementiers et d’assureurs ; le film n’aurait donc entraîné aucun frais. Il devait même être inscrit dans la grille des programmes télévisés de l’époque, Alain Jérôme, le directeur des programmes des chaînes publiques, ayant donné son accord – même si au départ il avait été réticent car les messages consacrés à la sécurité routière, m’avait-il dit, « font baisser l’audience ».

Mon but n’était pas de remettre en cause la réglementation mais de l’illustrer sous la forme d’une présentation ludique et accessible à tous. Dans l’essai qui a été réalisé, je m’adressais à un public de Latins, a priori plus difficile à convaincre, et j’expliquais pourquoi, moi qui suis un cascadeur, je mettais ma ceinture de sécurité dans tous mes déplacements en voiture, même à faible allure. La confiance que j’inspire en raison de mes activités de cascadeur confortait la crédibilité du message.

J’ai été également sollicité par M. Michel Ledru, chargé alors de la sécurité routière, lorsqu’il a été décidé d’abaisser la vitesse en ville de 60 à 50 km/h. J’ai alors organisé une démonstration qui consistait à faire glisser sur 40 mètres une voiture lancée à 50 km/h sur la place des Invalides! Je voulais montrer qu’un conducteur très respectable pouvait, par l’addition de petites erreurs, commettre une faute de conduite aux conséquences spectaculaires. Mon film a intéressé les autorités du canton de Genève et a été multidiffusé, avec succès, à la télévision Suisse Romande.

M. Bernard Darniche En ce domaine, la sémantique est importante. Parler de sécurité routière n’intéresse personne ; car cela fait penser aux gendarmes, à des règles imposées et suscite des mouvements légitimes d’hostilité de la part de l’opinion. La notion de « sérénité routière » est de loin préférable.

Les outils existent : l’administration a conçu un plan national de formation qui constitue un cahier des charges définissant les paliers d’enseignement destinés à former des bons conducteurs. J’avais pris l’initiative, il y a déjà un certain temps, de faire rédiger à partir de ce document un livret pédagogique qui devait être distribué par les magasins Carrefour. Cette grande enseigne était en effet sensibilisée au problème car la création de magasins dotés de parkings à l’extérieur des villes liait l’acte d’achat à l’utilisation d’un véhicule. Ce livret d’apprentissage passait en revue toutes les phases de la conduite. Mon projet était de proposer une formation au permis de conduire via un contrat de confiance impliquant les familles et dont le prix serait réduit en raison de la mécanisation des actes pédagogiques. Par exemple, le problème de la perte d’adhérence de la voiture était traité sous la forme d’un canevas de questions destinées à identifier les incompétences de l’élève en mettant en évidence des situations dans lesquelles il serait incapable de maîtriser son véhicule.

Cependant un tel programme de formation aurait exigé une réforme du permis de conduire ; car, de fait, le plan national de formation se traduit par au minimum 60 heures d’apprentissage : les 20 heures d’enseignement actuelles restent très insuffisantes. Des initiatives prises en collaboration avec le privé sont seules susceptibles d’apporter des progrès dans la pédagogie de la formation à la conduite.

M. le rapporteur. Que pensez-vous alors de la formation des conducteurs au permis de conduire ? Seriez-vous favorables à l’instauration d’une formation post-permis ? Quel est votre avis sur les stages de récupération de points ?

M. Bernard Darniche. Il faudrait s’inspirer de ce qui se fait en Allemagne, au Japon et en Norvège. En France aussi on peut être novateur, mais il faut y mettre les moyens. Les sources de financement ne peuvent plus provenir de l’administration. Il faut donc impliquer des sociétés privées soucieuses de mettre en avant une image positive de leur activité. Malheureusement aucun projet de cette nature n’a été réalisé.

Il y a près de trente ans, j’avais tenté avec l’aide de Noël de Saint Pulgent, à l’époque où il s’occupait des financements public-privé au ministère des finances, de créer des centres d’enseignement à la conduite, dénommés « Auto Campus ». Quand je me suis rendu au Japon, il y a cinq ans, j’ai appris que 1400 écoles correspondant exactement à la formule de l’Auto campus y avaient été ouvertes. Financés par les constructeurs et les assureurs, ces centres permettent de juger les candidats en fonction de leurs résultats à la formation continue ; seules des personnes aux compétences vérifiées se présentent à l’examen d’obtention du permis de conduire. Qui plus est, il n’y a plus à attendre des mois avant l’examen.

Ce type de préparation répond aussi au problème de l’aptitude à la conduite. On sait que, pour différentes raisons, 5 % de la population ne doit pas être autorisée à prendre un véhicule. C’est un fait qu’il faut assumer. Tout le monde ne peut donc pas obtenir son permis de conduire, au risque sinon de le dévaloriser, comme il en est déjà du baccalauréat dont on réduit les exigences pour que tous les candidats puissent le réussir.

M. Christian Vanneste. A la différence d’autres intervenants, vous ne faites pas de la vitesse le coupable ni de la répression la solution.

Dans la mesure où l’on ne saurait tenir tout conducteur pour un coupable a priori, et entretenir ainsi chez les usagers un état de stress préjudiciable, que convient-il d’améliorer ? Est-ce un problème d’infrastructures ?

Un permis de conduire se gagne ; mais il se perd aussi, ce qui est source, là aussi, d’angoisse. J’ai rédigé ainsi une proposition de loi demandant l’instauration, sur le modèle de ce qui se fait aux Pays-Bas et en Espagne, d’un contrôle périodique des conducteurs qui porterait sur leur capacité physique et sur leur connaissance des règles en vigueur du code de la route. Seriez-vous partisan d’une telle procédure ?

M. Gérard Voisin. Je suis très convaincu par les propos qu’on vient d’entendre et par une approche de la problématique de la vitesse qui aborde le conducteur en tant que pilote responsable ; cette thèse se distingue de beaucoup de celle de M. Claude Got.

Pourriez-vous préciser, M. Bernard Darniche, ce que vous entendez par « plate forme de gouvernance de la mobilité ? » En matière de mobilité, je tiens à dire qu’en tant que maire j’ai remplacé dans ma commune les carrefours à feux par des ronds-points qui apportent une plus grande fluidité de circulation et sont plus sûrs.

M. Bernard Darniche. Vous aurez remarqué que je n’ai pas parlé de seuils de vitesse. Si l’on veut être crédible, il faut en effet considérer la vitesse comme un élément évolutif qui doit être adapté à la situation, par exemple à la fluidité du trafic et aux conditions météorologiques. Quel sens y a-t-il de limiter à 50 km/h le déplacement d’un véhicule qui roule seul sur une route ? En Allemagne, dans les cas où il n’y a pas de raison de limiter la vitesse, on parle de vitesse « conseillée » en fonction de la situation. Au Japon, il existe différents types de permis de conduire qui donnent plus ou moins de liberté au conducteur. Dans ce système, il est évidemment nécessaire que la sanction soit très sévère en cas de faute.

Concernant les retraits de points, de nombreux témoignages montrent que leur comptabilité est mal tenue par l’administration. Or il est inadmissible qu’on puisse retirer à une personne son droit à la mobilité – c'est-à-dire son droit à la vie – sans une décision judiciaire.

Quant à la plate forme de gouvernance que je propose, il s’agirait d’un système laissant toute sa place aux ingénieurs et aux techniciens ; les politiques y seraient évidemment présents à titre de gardiens du temple. Elle aurait pour fonction de mettre en place une réglementation crédible, uniforme et adaptée ; elle favoriserait une mobilité répondant aux besoins, n’hésitant pas à faire appel au marché privé, et serait notamment à même de s’opposer aux initiatives malheureuses de certains maires.

Le nombre de tués sur la route parait maintenant difficile à faire baisser ; comme toute activité humaine, conduire présentera toujours des risques. Il semblerait donc souhaitable de passer à un système de gouvernance déporté par rapport à l’administration. Un pareil mode de gestion existe en Allemagne où l’automobile club allemand (ADAC) se voit confier des fonctions de gestion de la sécurité routière.

M. le président Armand Jung. Messieurs, je vous remercie de vos interventions qui contribueront à enrichir notre réflexion.

La séance est levée à 19h00.