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Compte rendu

Mission d’information sur les questions mémorielles

Mardi 28 octobre 2008

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 14

Présidence de Catherine Coutelle, Vice-Présidente,

– Audition de M. Xavier Darcos, Ministre de l’Éducation 2

– Audition de M. Jean-Marie Bockel, Secrétaire d’Etat chargé de la Défense et des Anciens Combattants auprès de la ministre de la Défense

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq

Mme Catherine Coutelle, présidente. Mes chers collègues, je vous prie d’excuser M. le président Bernard Accoyer qui a dû renoncer à présider cette séance et m’a demandé de le remplacer.

Monsieur le ministre, cette mission d’information, mise en place par le président Accoyer, a pour objet de réfléchir à la place et au devenir des lois mémorielles et aux commémorations.

Elle s’intéresse aussi au rôle de l’Éducation dans les questions mémorielles et ce thème a déjà été abordé le 22 juillet, notamment avec M. Jean-Louis Nembrini, directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’éducation nationale. Vous pouvez nous éclairer sur deux questions principales.

La première porte sur l’enseignement de l’histoire à l’école. Les textes issus de votre ministère qui proposent des commémorations associent d’ailleurs souvent histoire et mémoire. Quelle est la place de l’histoire à l’école du point de vue, d’une part, des nouveaux programmes de l’école primaire et, d’autre part, de la réforme du lycée ?

D’autre part, comme vos prédécesseurs, votre ministère envoie des directives aux rectorats pour que soient organisés dans les établissements scolaires des commémorations, des manifestations ou des concours – comme le concours national de la Résistance et de la Déportation. Comment voyez-vous le rôle de l’école sur le sujet fort important de la transmission de la mémoire, qui a donné lieu ici à des débats passionnants et passionnés ? Débats dont mes collègues et moi-même savons qu’ils sont très suivis par nos concitoyens, car la chaîne parlementaire LCP les rediffuse souvent en différé.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale. Cette occasion qui m’est donnée de vous rencontrer sur le thème de la transmission de la mémoire, mais aussi sur celui de l’enseignement de l’histoire, car l’un ne va pas sans l’autre, me permettra de rappeler comment s’organise notre réflexion sur l’enseignement de l’histoire à l’école, et comment nous concevons sa place tout au long de la scolarité, dans les programmes et les grilles horaires. Cette mission parlementaire est tout à fait utile car certains débats assez vifs ont eu lieu ces derniers mois au sein même de la communauté éducative, précisément à propos de la manière dont l’histoire devait être enseignée et dont certains événements historiques devaient devenir des moments d’éducation et de réflexion partagée. Je vous parlerai donc de ces deux aspects.

Sur les programmes, je peux être bref, bien que la conception que nous en avons ait un rapport avec la question mémorielle.

S’agissant de l’école primaire, nous avons souhaité que l’histoire y fasse l’objet d’un véritable enseignement et qu’elle soit réinstallée dans une dimension chronologique, permettant à l’enfant de se repérer dans le temps grâce à une bonne connaissance des grandes dates et des personnages de l’histoire. Ce n’est pas là – comme on l’a souvent dit – une manière de revenir au passé : il nous paraît essentiel que, même petits, les enfants se situent dans l’histoire, que leur soit proposés quelques jalons – des personnalités, des figures –, ce qui nous ramène évidemment à la question mémorielle. Évoquer Clovis, Clemenceau, la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, celle du vaccin contre la rage par Pasteur, c’est organiser un système de jalons qui permet à l’élève de se repérer très tôt dans la chronologie. C’est dans ce cadre aussi que les nouveaux programmes à l’école primaire font une place explicite à la question de la traite des Noirs et de l’esclavage, ainsi qu’à l’extermination des Juifs et des Tsiganes par les Nazis, alors qu’à mon arrivée, l’enseignement de la Shoah ne figurait plus, à ma grande surprise, dans les enseignements du CM2.

L’instruction civique et morale s’ajoute à l’histoire et à la géographie, ce qui représente beaucoup de temps. De fait nous ne distinguons pas vraiment les questions civiques et morales des questions historiques dans nos programmes. Lire l’histoire, c’est comprendre le sens des choses, et donc former le citoyen, et c’est évidemment porter un jugement sur ce qui s’est passé. Pas plus que les historiens de tous les temps, nous n’imaginons de séparer morale et histoire. Cet enseignement se prolonge au collège avec 81 heures d’enseignement par an, trois heures par semaine de la sixième à la quatrième et trois heures et demi en classe de troisième. Pour tenir compte des exigences du socle commun des connaissances défini par la loi de 2005, les programmes ont été adaptés et entrent progressivement en vigueur. Ainsi, les nouveaux programmes seront définitivement mis en place à la rentrée 2009.

Au lycée, l’histoire sera évidemment maintenue. J’ai été très étonné – encore que je connaisse bien la capacité de la maison Éducation nationale à produire des rumeurs infondées – d’entendre que je souhaitais supprimer l’histoire au lycée. Non seulement je ne le souhaite pas, mais je continue à penser – par rapport à mon passé personnel, mais aussi à mes missions actuelles – que l’enseignement de l’histoire est central dans la formation, que l’histoire est la maîtresse des sciences. Nous voulons qu’elle retrouve toute sa place dans les enseignements fondamentaux au lycée et n’entendons nullement revenir sur cette évidence.

Fonder les relations entre les citoyens, rendre claires les valeurs de la République qui nous soudent suppose de connaître l’histoire, mais aussi les méthodes historiques, en particulier l’esprit critique, l’examen des sources, de manière à ne pas se laisser prendre par les préjugés, les idées reçues, la force de l’opinion.

Enfin nous affirmons de plus en plus la dimension européenne dans l’enseignement de l’histoire. Cet enseignement est désormais présent dès l’école primaire jusqu’au lycée. Les nouveaux programmes du collège permettent de comprendre la civilisation européenne, par exemple. Je sais que vous avez évoqué avec M. Bronislaw Geremek au mois de juin, peu avant sa brutale disparition, la question de la mémoire collective européenne. Nous encourageons les opérations qui permettent de partager avec nos partenaires européens une conception de l’histoire, d’où l’édition d’un manuel d’histoire franco-allemand pour les classes de lycée – dont Jean-Louis Nembrini, et je tiens à l’en féliciter, est l’un des coauteurs. C’est ainsi qu’en première et en terminale, les Allemands et les Français apprennent l’histoire avec le même livre, y compris sur des périodes dont la lecture commune est difficile, en particulier la Seconde guerre mondiale. Le projet européen se construit aussi très tôt dans nos enseignements.

Cette expérience commune avec les Allemands en intéresse d’ailleurs d’autres, les Tchèques notamment, et certains de mes homologues européens, dans le cadre de la conférence des ministres de l’éducation des Vingt-sept que je préside, ont exprimé leur souhait de la prolonger. Beaucoup d’États d’Europe centrale sont très attachés à reconstituer leurs origines, leur passé, au travers des symboles qui rappellent leur gloire d’antan. Bien évidemment, nous avons intérêt, en commun, à faire en sorte que le retour de l’histoire dans ces pays ne traduise pas seulement une histoire nationale, voire nationaliste, mais qu’elle soit aussi réinscrite dans le contexte européen.

L’école n’est pas seulement un lieu de transmission de l’histoire, elle est aussi un lieu de transmission de la mémoire – c’est l’objet du travail que vous conduisez. De ce point de vue, sa mission est essentielle, surtout dans une société très évolutive comme la nôtre et plus composite qu’elle ne l’était naguère. Il faut que ce qui fait notre mémoire partagée, notre identité commune, si complexe soit-elle s’agissant de grands événements, soit connu ; je pense par exemple aux journées organisées le 2 décembre et le 10 mai en mémoire de la traite des Noirs et de l’esclavage, moments très importants de réflexion et d’échange sur ces questions centrales.

Dans quelques jours, nous commémorerons le 11 Novembre, le quatre-vingt-dixième anniversaire de l’armistice coïncidant avec la disparition du dernier poilu, Lazare Ponticelli. Quand il n’y a plus de témoin, nous nous sentons encore plus de responsabilité. Et lorsque l’histoire s’éloigne, le rôle de l’école devient encore plus nécessaire.

Certains sujets ont fait débat. Je pense à la volonté du Président de la République que soit évoquée la mémoire des jeunes résistants morts pour leurs convictions et leur engagement, à travers la lecture de la lettre de Guy Môquet. Jean-Louis Nembrini et moi-même avons rédigé en commun des textes, édités l’an dernier et cette année, indiquant comment les choses devaient être traitées : cette intuition du Président de la République qu’il y a là quelque chose d’essentiel pour les jeunes d’aujourd’hui doit s’inscrire dans un projet pédagogique, faisant appel à d’autres textes, d’autres témoignages, des exemples de résistance pris dans d’autres pays. Progressivement, nous sommes arrivés à intégrer dans un enseignement global ce qui aurait pu avoir un caractère seulement émotionnel.

Une autre polémique, injuste selon moi, s’est focalisée sur la manière de parler de la Shoah à des enfants de dix ans. A juste titre, le Président a pensé qu’on ne pouvait passer que par la mémoire des enfants disparus, comme le font le cinéma et la plupart des témoignages. Il nous incombait ensuite de transformer cette intuition en acte pédagogique, grâce à une commission présidée par Mme Hélène Waysbord-Loing, présidente de l’Association de la Maison d’Izieu et elle-même rescapée, et d’organiser un travail avec les associations mémorielles et la communauté juive, avec Serge Klarsfeld et Simone Veil, pour construire un savoir historique.

Parmi les commandes sur les événements mémoriels, j’ai en cité deux du Président de la République, mais nous en recevons assez souvent, y compris localement. Des événements locaux sont traités par l’école quand une mémoire existe dans telle région, tel département, dans telle ville ou dans certains territoires, en particulier les DOM. L’école prend en charge ces commandes, mais sa mission est d’en faire des actes pédagogiques qui s’inscrivent dans un enseignement, et pas simplement des cérémonies.

Ces commandes sont désormais plus pressantes, le travail de mémoire semblant s’être réactivé depuis quelques années pour diverses raisons, dont certainement la nécessité de souder nos jeunes autour de souvenirs et de valeurs. L’Éducation nationale sait répondre à ces commandes et dans une certaine mesure est satisfaite de les recevoir, étant conduite à se poser la question du sens de ce qu’elle enseigne et de la façon d’intégrer le souvenir, y compris dans son écho affectif, dans un acte pédagogique raisonné.

Saluons le travail accompli par nos professeurs d’histoire, certainement davantage mobilisés que d’autres sur ces questions. Certes, tous les professeurs enseignent les valeurs républicaines, mais les professeurs d’histoire sont très soucieux de ces approches historiographiques et de l’inscription – sans dérives – de leur enseignement dans des préoccupations contemporaines. Voilà pourquoi l’Éducation nationale est partenaire des rencontres entre historiens, comme les Rendez-vous de l’histoire à Blois, où certains historiens se sont d’ailleurs montrés assez sceptiques sur l’utilisation de la mémoire dans la politique. Mais nous encourageons et finançons pour une part ces rencontres car elles permettent à tous de débattre et de faire en sorte que l’enseignement de l’histoire soit évolutif et non figé.

L’Éducation nationale a parfaitement intégré les lois mémorielles : la loi Gayssot de 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe – j’ajouterai homophobe, ma circulaire de rentrée de cette année pour le lycée mentionnant explicitement cette discrimination car la difficulté de certains jeunes à faire accepter leur orientation sexuelle m’est insupportable –, la loi de janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, la loi Taubira de mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, et la loi de février 2005 portant reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés aux termes de laquelle – mais le Conseil constitutionnel est intervenu depuis – les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. 

Quelles que soient les opinions émises sur ces lois, j’y suis favorable à titre personnel. L’école les intègre, ayant toujours le souci que la loi votée par la représentation nationale se traduise dans les circulaires et les textes publiés sous notre autorité.

M. Christian Vanneste. Je ne comprends pas pourquoi vous citez cet alinéa de l’article 4 de la loi de 2005 car il a été supprimé. En somme, vous le regrettez, vous étiez favorable à cette idée.

M. le ministre. J’ai constaté que le Conseil constitutionnel avait supprimé la phrase en question, mais que le reste de la loi me convenait.

M. Christian Vanneste. Je reviens sur les deux aspects que vous avez soulignés. L’histoire est un objet de connaissance dans les programmes scolaires. Mais elle a un contenu qui la distingue des autres formes de connaissance : un contenu moral, qui nous ramène au thème de la mémoire.

L’histoire est une connaissance spécifique. La plupart des sciences enseignées en classe correspondent à des lois fondées, par exemple, sur des expérimentations ; ce n’est pas le cas de l’histoire qui repose essentiellement, vous l’avez rappelé, sur l’enseignement d’événements datés. D’où un obstacle souligné naguère par Paul Ricœur : ces événements étant innombrables, l’enseignement est obligé de les sélectionner. Mais cette sélection introduit une dimension qui n’a plus rien de scientifique puisqu’il y a un choix de valeurs, pour ne pas dire un choix idéologique. Vous avez cité l’article 4 de la loi de 2005. Dans un livre comme celui-ci, publié aux Éditions Nathan, il est frappant que l’histoire de la colonisation soit traitée sur à peine quelques pages, dans lesquelles le moindre événement positif est très difficile à trouver, alors que deux pages y sont consacrées au « zoo humain », la présentation de personnes issues des colonies dans le cadre d’expositions universelles.

Je suis frappé que ces ouvrages ne fassent jamais la moindre mention du rôle positif de notre pays sur le plan médical. Alexandre Yersin est pourtant encore célébré à Hanoï pour le rôle qu’il a joué en délivrant l’Indochine de la peste, André Thiroux a délivré Madagascar de la rage, Alphonse Laveran, prix Nobel de médecine, a délivré l’Algérie de la malaria. Or je pense qu’aucun petit Français, y compris ceux qui ont l’Algérie pour origine, ne les connaît car on n’en parle pas et on a tendance à présenter le rôle de notre pays sous son aspect négatif.

Le film « Entre les murs » comporte un dialogue assez édifiant. Une élève dit : « moi, je ne suis pas fière de ce pays ». Et le professeur lui répond : « moi non plus, je ne suis pas fier de mon pays ». Ils parlent de la France, tout de même ! Devons-nous accepter ce type de dialogue en classe, devons-nous accepter qu’un professeur dise qu’il n’y a pas de raison d’être fier de la France ?

A côté de la connaissance – qui, pour moi, n’est pas scientifique dans la mesure où elle sélectionne trop –, il y a aussi l’enseignement des valeurs. Mme Chandernagor a fort justement noté ici notre tendance à faire une commémoration négative, répulsive, tournée vers les minorités en deuil : il ne serait pas moins intéressant d’enseigner l’histoire à travers des héros, des exemples à proposer aux jeunes comme des modèles positifs. C’est ce qu’a voulu mettre en lumière le Président de la République en parlant des personnes qui ont donné leur vie pour la France durant la dernière guerre.

Dans quelle mesure l’histoire peut-elle être considérée comme une connaissance scientifique ou qui pourrait tendre à l’être ? Comment aller dans cette direction ?

Comment enseigner non une image négative, mais les valeurs positives de notre pays à nos jeunes, y compris ceux qui n’en sont pas originaires ? Comment apprendre aux jeunes que l’histoire est avant tout l’histoire d’une nation, devenue une République, dont ils sont les citoyens et dont ils doivent apprendre, aussi, les valeurs à travers les sacrifices de ceux qui ont servi cette histoire ? C’était d’ailleurs le sens de l’article voté à quatre reprises par les parlementaires reconnaissant que la France avait eu, aussi, un rôle positif outre-mer et qu’un certain nombre de personnes venues d’outre-mer s’étaient battues pour elle et lui avaient sacrifié leur vie.

M. Hervé Mariton. Je voudrais poser la question de la neutralité de l’école au regard des questions de mémoire. Je ne parle pas de la rédaction des manuels, mais de la manière dont on peut apprécier le message livré.

Chacun comprend la responsabilité et la liberté pédagogique des enseignants, auxquels nous devons a priori faire confiance. En même temps, la République a posé certaines règles, dont celle, essentielle, de la neutralité du service public. La question de la neutralité se pose naturellement sur les sujets de mémoire.

Des difficultés particulières sont-elles parfois portées à votre connaissance, monsieur le ministre ? Comment les traitez-vous ? Hors même des difficultés avérées, comment évaluez-vous la situation dans les différents degrés d’enseignement ?

Mme George Pau-Langevin. Monsieur le ministre, j’ai noté avec intérêt que vous vous efforcez d’appliquer un certain nombre de lois, rassemblées peut-être un peu rapidement sous le nom de « lois mémorielles ».

Je voudrais, moi aussi, vous interroger sur la manière dont les choses se passent dans les écoles. Une loi du gouvernement Pierre Mauroy demandait en 1983 que soient évoquées le 27 avril dans les écoles ou dans des lieux publics, la question de l’esclavage, elle est, pour ainsi dire, restée lettre morte. La loi Taubira, votée en 2001, allait dans le même sens. Pourtant, en 2004, les instructions données aux professeurs de la ville de Paris étaient encore peu précises, amenant la mairie à éditer une petite brochure afin d’aider les enseignants désirant aborder ces questions.

Si les questions de l’esclavage, de la colonisation et de la Shoah sont désormais abordées dans les livres d’histoire, quel schéma pédagogique est donné aux enseignants ? La plupart d’entre eux n’ont en effet pas beaucoup étudié ces questions, du moins certaines d’entre elles, et la difficulté pour eux sera non seulement d’aborder le sujet, parce qu’il faut le faire dans le cadre des valeurs de notre République, mais de le faire avec neutralité et d’une manière utile à la formation des citoyens.

M. Vanneste se demande si le fait d’enseigner un certain nombre de pans de notre histoire n’est pas de nature à saper la fierté des enfants d’être français.

M. Hervé Mariton. Nous n’avons pas compris cela !

M. Christian Vanneste. J’ai dit que l’on cachait ce qui pourrait les rendre fiers, ce qui est différent !

Mme George Pau-Langevin. Je ne vois pas en quoi le respect des lois mémorielles peut conduire à cacher des personnages dont ils ont à être fiers. Quand on parle d’esclavage, il faut évoquer Condorcet, l’abbé Grégoire, Schœlcher, autant de personnages dont, me semble-t-il, tout le monde ne peut qu’être fier. Selon moi, il n’y a aucune opposition entre l’évocation de certains thèmes et le fait de mentionner de grands Français.

M. Christian Vanneste. Ce n’est pas le problème !

M. Lionnel Luca. Monsieur le ministre, des rumeurs et des incertitudes s’étant répandues dans le cadre de la réforme des lycées, il était utile, et je vous en remercie, de rappeler l’importance de l’enseignement de l’histoire. Comme l’a dit Christian Vanneste,  l’histoire n’est pas une science exacte, mais son enseignement est important car il forme le citoyen à la démocratie et aux débats et, surtout, à la connaissance de son passé. Plutôt que des commémorations permanentes, il est important d’avoir une réflexion globale sur ce que l’on veut enseigner et donner comme exemple aux jeunes, mais pas simplement en fonction de tel ou tel personnage, dont l’intérêt, certes indiscutable, risque d’être oublié aussi vite qu’il était apparu. Je pense à la lettre de Guy Môquet dont je ne connais pas le sort cette année, même si les ordres sont venus d’en haut…

L’enseignement doit, c’est vrai, comporter des motifs d’attachement à la Nation et à son histoire pour tous les jeunes de France, quelle que soit leur origine, ce qui n’est pas forcément le cas. En feuilletant les pages sur la colonisation de la dernière édition du livre qu’a cité Christian Vanneste, l’aspect positif n’apparaît pas, Victor Schœlcher n’est pas cité. Le livre a plutôt un côté dénonciateur, repentant, il n’exalte rien, ni des figures qui ont pu être belles, ni une vision globalement positive de notre histoire. Certes, le ministre n’a pas de pouvoir sur les éditeurs et les enseignants qui rédigent les livres, mais cette propension à l’excuse permanente devrait être corrigée pour faire apparaître une vision globalement positive, sans occulter les jugements susceptibles d’être portés – même si l’enseignement de l’histoire n’a rien à avoir avec les tribunaux.

M. le ministre. Beaucoup des questions posées ont trouvé leur origine en partie dans celles de Christian Vanneste, Hervé Mariton ayant aussi évoqué celle de la neutralité pédagogique et Lionnel Lucas ayant repris des préoccupations comparables.

Il faut avoir une vision plus globale de notre enseignement de l’histoire. Or cet enseignement ne parle que des héros de la République : de ceux qui l’ont constituée, des personnalités fortes de l’histoire ancienne, des révolutionnaires, des figures héroïques !

Vous semblez particulièrement préoccupés par la présentation, par exemple, du colonialisme, qui fait apparaître un temps de repentance marqué, oubliant l’œuvre médicale et éducatrice, en laquelle je crois aussi. Mais il serait faux de dire que notre enseignement de l’histoire passe en revue des objets de repentance. Il passe en revue des héros : je ne sais pas si l’on peut citer Clovis et Charlemagne comme des héros pour notre temps, mais j’ai cité Pasteur.

Depuis l’école primaire jusqu’au collège, il y a donc une sorte de vue cavalière des grands événements de l’histoire, qui met successivement en lumière des personnages qui sont au fond des héros, des modèles, des références. Nous y avons même ajouté une remise en valeur des symboles de la République, qui n’étaient plus explicitement présentés dans nos programmes d’histoire du premier degré, consistant à réexpliquer la signification de la devise républicaine et les fondements de la Nation.

Pour être clair, je crois que votre crainte n’est pas fondée. Aujourd’hui, l’histoire dans les enseignements n’est pas une leçon morale négative, un travail d’excuse.

Quant à la question beaucoup plus complexe posée par Christian Vanneste, qui a enseigné la philosophie, de savoir comment enseigner l’histoire sans qu’elle soit un objet moral, elle a déjà été traitée par Thucydide, sans qu’il aboutisse, par Tite-Live, Tacite et d’autres, et est absolument fondamentale. Quiconque enseigne l’histoire tient un propos moral sur l’histoire. Les Allemands ont distingué Historie et Geschichte pour éviter cette difficulté. En France, nous faisons les deux : nous enseignons l’histoire et la commentons, la faisons exister et la renouvelons.

Vous vous plaignez des livres d’histoire d’aujourd’hui, mais lisez ceux d’il y a vingt, trente ou cent ans ! Tous les livres d’histoire sont dans une certaine mesure le reflet de leur temps.

Je ne me sens pas en mesure d’établir une distinction claire entre les professeurs qui donnent des dates, des événements historiques et ceux qui amènent à construire des valeurs, du sens et de la citoyenneté ; disons que j’observe cette difficulté avec vous.

Hervé Mariton est allé plus loin en posant la question de la neutralité de l’enseignement. Comme vous le savez, le fondement de l’école républicaine est le principe de la liberté pédagogique. Les enseignants décident des moyens qu’ils considèrent devoir mettre en œuvre, sachant qu’il y a un encadrement puisqu’ils sont inspectés. Ce n’est pas au ministre de leur dire ce qu’ils ont ou non le droit de dire, mais à ceux qui sont compétents pour le vérifier.

Autant les professeurs sont facilement militants hors de leur classe, autant – et je parle sous le contrôle du directeur général de l’enseignement scolaire – nous avons très peu de plaintes sur ce qui se passe dans la classe. Je reçois énormément de lettres de gens parlant de professeurs protestataires, mais très peu se plaignant que l’enseignant s’est mal conduit, a dit des choses qu’il n’aurait pas dû dire, a oublié son rôle d’éducateur. Selon moi, l’immense majorité des enseignants a gardé l’état d’esprit de la lettre de Jules Ferry aux instituteurs, les conviant à se demander si un père de famille présent dans leur classe donnerait son assentiment à ce qu’ils enseignent. De toute façon, je suis bien obligé de faire confiance à l’encadrement pédagogique, et on n’imagine pas que le ministre puisse édicter des principes valables dans chaque discipline sur la manière dont les choses doivent être dites. Je n’ai pas du tout l’intention de le faire.

Mme Pau-Langevin s’est posé la question de l’existence de moyens pédagogiques pour enseigner les sujets dont il est question ici. Nous organisons très régulièrement des kits pédagogiques, des centres de ressources, des documentaires spéciaux, qui se trouvent sur les sites de notre portail de ressources pédagogiques. Nous faisons des textes et documents pour la classe – TDC – dont un sur la question de l’esclavage est sorti récemment. Dans la collection Ressources pour faire la classe, il y a toutes sortes de documents, dont un sur la Shoah. Des choses existent, aux professeurs ensuite de s’y intéresser.

M. Vanneste et M. Lucas ont évoqué un sujet intéressant : le moyen par lequel l’institution vérifie ce qui est dans les livres scolaires et comment ils sont choisis. Je serais heureux de traiter ce sujet avec vous à une autre occasion, sachant que nous avons eu ce débat récemment avec la commission Guesnerie, chargée d’examiner les manuels de sciences économiques et sociales au lycée.

M. Maxime Gremetz. La question de l’histoire et de la manière dont elle est enseignée est très importante pour l’avenir de notre peuple. Savez-vous qui a dit « un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » ? (Sourires.) Les grands intellectuels ne répondent pas !

M. Lionnel Luca. Tribunal populaire !

M. Maxime Gremetz. Je sais que vous voudriez bien mettre l’histoire à votre main, mais heureusement, il n’en est rien chez nous, et j’espère que cela durera.

Pour moi, l’histoire ne doit pas être utilitaire et ne peut pas être traitée positivement ou négativement. Elle est l’histoire telle qu’elle est, faite par des hommes, des femmes, à des époques données, elle est tout ce qui a fondé notre nation et le monde. Je suis défavorable à l’idée de la traiter plus positivement, de mettre plus en avant ceux qui sont bien et plus en arrière ceux qui ne le sont pas ! L’histoire est un tout, une dialectique, un mouvement. C’est très important.

Par ailleurs, la neutralité n’existe pas.

M. Christian Kert. C’est sûr.

M. Maxime Gremetz. Comme la vérité, la neutralité est relative. Comment les enseignants peuvent-ils traiter les choses sans parti pris, sans utilisation quelconque ? Notre garantie est justement le débat, la confrontation, y compris chez les historiens. C’est ce qui nous permet d’avancer, me semble-t-il.

J’aurais pu être content du choix du jeune communiste Guy Môquet. Eh bien non, je ne le suis pas. Sa famille, que je connais, ne l’est pas non plus ! On n’a pas besoin d’utiliser Guy Môquet !

Mme Marie-Louise Fort. Cela a provoqué un beau tollé !

M. Maxime Gremetz. Par contre, et je tiens beaucoup à cette idée, des propositions de loi ont été déposées tendant à instituer une journée nationale de la Résistance. On m’a répondu qu’il y avait le 18 Juin, mais la Résistance n’est pas que cela ! Certes, le jour anniversaire de l’Appel du 18-Juin est très important, et je me rends aux commémorations chaque année, mais réduire la Résistance à cela, c’est être à côté de la plaque !

Donc, pas d’utilisation de l’histoire. Enseignement le plus large possible de l’histoire. On peut toujours faire mieux, et à cet égard, je réserve une question à M. Bockel.

Mme Marie-Louise Fort. Je suis de plus en plus convaincue de la nécessité de ne plus voter de loi mémorielle. Par ailleurs, je ne voudrais pas qu’on limite l’histoire enseignée à nos enfants à telle ou telle question, si importante soit-elle, comme l’esclavage et les génocides. Mon souhait est qu’on fasse de nos jeunes des citoyens les mieux à même d’aborder le monde actuel.

Monsieur le ministre, j’aimerais porter témoignage de ce que j’ai ressenti face à l’action de l’équipe éducative d’un collège de Sens, qui a pris en main la commémoration de personnes tuées dans un collège pendant la Première guerre mondiale. Je viens d’écouter avec intérêt, mais aussi un peu de tristesse, des échanges plutôt vifs entre nous pour savoir quelle est la vérité vraie sur tel ou tel événement. Cette équipe éducative, elle, a été capable de monter des événements, des témoignages, et cela malgré sa diversité. C’est la preuve qu’être de gauche ou de droite est moins important que d’essayer de trouver une vérité sur ce qu’a été ce conflit mondial.

Je souhaite – et je sais que c’est souvent le cas – que l’histoire permette aux jeunes de connaître l’événement, et peut-être de porter des jugements – y compris des jugements divergents, et j’ai écouté Maxime Gremetz avec beaucoup d’intérêt. Quant à Guy Môquet, je pense que le Président de la République a voulu évoquer sa mémoire comme celle d’un jeune qui, sans se poser de questions, et notamment pas sur son appartenance politique, a voulu jouer un rôle au sein d’une guerre. C’est très important selon moi.

Monsieur le ministre, l’enseignement de l’histoire est certainement l’un des plus exigeants. Il faut être attentif à la documentation donnée aux jeunes. Il faut, surtout, essayer d’en faire les citoyens de demain, or je ne suis pas certaine qu’arrêter tel ou tel événement à un moment donné soit de nature à le faire.

Mme George Pau-Langevin. Le film « Entre les murs » a été évoqué. Ne sommes-nous pas en train de mélanger deux problèmes, celui de savoir comment enseigner l’histoire – et notamment des pans de l’histoire plus ou moins agréables – et celui de savoir comment faire pour que nos jeunes, de quelque origine qu’ils soient, se sentent citoyens de la Nation ? Ne demande-t-on pas trop à l’histoire et aux lois mémorielles ? Il y a peut-être à l’école d’autres moments, d’autres manières, d’autres luttes contre les discriminations qui pourraient aider ces jeunes à se sentir citoyens.

Mme Catherine Coutelle, présidente. La mémoire renvoyant au subjectif et à l’affectif, ma crainte est qu’en insistant sur la mémoire, on risque d’aboutir à des conflits de mémoire et des conflits de groupes ou de communautés. L’histoire permet une démarche plus scientifique et son enseignement doit développer chez les jeunes cet esprit critique en les faisant travailler sur des documents et des témoignages contradictoires ; je pense que c’est ce que nous souhaitons à l’école. Comment plutôt insister sur cet enseignement de l’histoire et sur ce qu’il peut apporter ?

Vous n’avez pas répondu, me semble-t-il, monsieur le ministre, à la question sur la place des commémorations, à propos desquelles on sent une saturation et la difficulté d’y associer les écoles aujourd’hui. Je parle plutôt des commémorations à l’extérieur des écoles ; en leur sein un certain nombre de travaux sont réalisés. Ne faut-il imaginer aujourd’hui d’autres formes de participation des élèves, des collégiens et des lycéens aux commémorations ?

M. le ministre. La préoccupation de la représentation nationale dans cette mission est précisément liée à l’interrogation soulevée par Mme Pau-Langevin : comment trouver la frontière entre l’enseignement objectif, l’enseignement de l’histoire comme science dans ses données les plus froides et les plus nécessaires, et l’enseignement d’événements historiques qui éclairent des comportements présents et que nous considérons comme devant être réactivés parce que le présent le demande ? Peut-être ne sommes-nous pas arrivés à bien distinguer les deux sujets, mais il est extrêmement difficile de le faire car le travail mémoriel est une utilisation de l’histoire, une exploitation de l’histoire à des fins autres que des fins purement historiques ; c’est ce que nous reprochent un certain nombre d’historiens, parmi les plus éminents, qui ont fini par s’insurger. Le débat fondamental de votre mission est bien là, et je n’ai évidemment pas de réponse à cette question très compliquée.

Cette difficulté que, vous, parlementaires, ressentez, la communauté éducative la ressent plus encore, prise qu’elle est dans des mémoires soit collectives, soit locales – dont Mme Fort vient de donner un exemple – prise qu’elle est dans des prescriptions de plus en plus nombreuses, trop nombreuses, et je réponds là à la question posée par Mme Coutelle. Toutes les semaines en effet, quelqu’un a une nouvelle idée de prescription qu’il faudrait faire à l’école ! Je rêve d’une semaine de l’école à l’école, une semaine où l’on dirait aux enseignants : « vous n’avez rien à commémorer, rien à célébrer cette semaine, faites de l’école » ! Il y a eu trop de prescriptions, d’où une certaine lassitude des enseignants. C’est pourquoi aussi nous avons trouvé la communauté éducative un peu réticente lors des derniers événements créant des prescriptions nouvelles. Elle n’est pas contre, mais se dit « encore ? »

Notre difficulté n’est-elle pas de savoir qui prescrit ? Lorsque le Président de la République, élu au suffrage universel, souhaite la lecture de la lettre de Guy Môquet ou l’évocation de la Shoah, c’est une prescription qui émane de son autorité, et il a le droit de dire ce qu’il pense. Venant d’un ministre, une prescription est considérée comme normale. Est-ce le cas lorsque tel ou tel souvenir est évoqué par des communautés, des groupes d’intérêt, des associations ?

M. Christian Vanneste. Vous avez oublié les parlementaires ! (Sourires.)

M. le ministre. J’allais y venir, monsieur Vanneste !

Je me demande justement si la question ne renvoie pas à ce que j’ai souvent défendu : ne faudrait-il pas, une fois pour toutes, que ce que nous considérons comme devant être enseigné aux élèves soit prescrit par la représentation nationale ? Si vous lisiez mes vieux ouvrages sur l’école, monsieur Vanneste, vous verriez que je l’ai toujours souhaité. Ainsi, nous n’aurions pas ces questions.

M. Christian Vanneste. Très bien !

M. le ministre. Nous aurions le débat souhaité par M. Gremetz, et des grands sujets qui seraient reconnus une fois pour toutes. C’est peut-être moins important pour l’enseignement de disciplines qui ont un caractère scientifique et répétitif plus marqué, mais pour ce qui est de l’histoire en particulier, je me demande même si cela ne s’impose pas. Cette mission sur les questions mémorielles devrait peut-être aboutir à des recommandations qui déboucheraient sur cette idée. A ma connaissance, je suis le premier ministre de l’éducation nationale à avoir souhaité que les programmes soient examinés par les deux commissions compétentes de l’Assemblée et du Sénat. Cet examen a été un peu formel et rapide, mais c’est un premier pas.

Derrière tout cela, il y a des questions politiques et des débats profonds. Peut-être un vrai débat public devrait-il se tenir au Parlement. Ainsi, nous réglerions une partie de nos difficultés.

M. Christian Vanneste. Très bonne conclusion !

Mme Catherine Coutelle, présidente. Merci, monsieur le ministre.

La séance est suspendue à dix-huit heures quarante-cinq.

*

La séance est reprise à dix-huit heures cinquante

Puis la mission d’information à procéder à l’audition de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’état chargé de la défense et des anciens combattants auprès de la ministre de la défense.

Mme Catherine Coutelle remplaçant Bernard Accoyer, président. Nous accueillons maintenant M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État chargé de la défense et des anciens combattants.

Le 30 septembre dernier, la mission a organisé une table ronde qui avait pour titre «Jours de gloire, jours sombres : pourquoi et comment commémorer ? » ; nous avons donc déjà débattu de ce sujet notamment avec les associations. Le 10 juin dernier, nous avions entendu le professeur André Kaspi, qui prépare un rapport sur les commémorations en France en vue de simplifier et de « rationaliser » leur calendrier : la multiplication du nombre de commémorations et d’injonctions dans les écoles est telle que le ministre de l’éducation vient de nous dire qu’il aimerait parfois une semaine sans commémoration.

Nous souhaiterions que vous nous fassiez part de votre réflexion sur la relation entre mémoire et histoire, sur l’organisation de cette réflexion au sein de votre ministère, et sur la possibilité de sortir du contexte national et de conduire cette réflexion à l’échelon européen pour organiser des commémorations européennes.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État chargé de la défense et des anciens combattants. Les missions de l’État, et donc du secrétariat d’État, en matière mémorielle sont au nombre de quatre.

La première est de soutenir les associations d’anciens combattants dans leurs actions mémorielles, et de répondre à leur souci d’organiser la promotion, auprès des générations à venir, des valeurs qu’ils ont défendues et pour lesquelles ils ont combattu. C’est une action de tous les jours. Nous sommes les interlocuteurs des associations patriotiques. Je reviens du conseil d’administration de l’Office national des anciens combattants (ONAC) : ces associations sont très vivantes et très intéressées par les questions mémorielles. Au titre de cette mission figure également l’organisation, pour le compte de l’État, des grandes journées commémoratives nationales.

La deuxième mission consiste à développer des actions pédagogiques, notamment à l’attention du jeune public, permettant de faire mieux connaître ces valeurs et cette histoire. Je vais bientôt signer une convention avec le ministre de l’éducation nationale.

Dans le cadre de cette mission, nous oeuvrons à faciliter l’accès du plus grand nombre au patrimoine mémoriel. Cela passe par la réalisation de films, de documentaires, de spectacles vivants ; en cette année du quatre-vingt-dixième anniversaire de la fin de la Grande Guerre les initiatives se multiplient. C’est aussi une politique de publication en direction du grand public. Nous avons passé des accords avec des maisons d’édition. Nous possédons des trésors documentaires. Enfin, nous avons désormais recours à l’Internet.

Nous avons aussi lancé une politique de numérisation du patrimoine archivistique du ministère de la défense. Nous procédons par exemple à la mise en ligne de toutes les fiches individuelles des 1,4 million de morts pour la France de la Grande Guerre, et à celle des journaux de marche et d’opérations de tous les régiments ayant combattu, soit 3,3 millions de pages numérisées. Nous serons prêts le 11 novembre. Ces documents sont à la disposition des historiens et des chercheurs, mais aussi de tout un chacun, notamment des familles qui effectuent des recherches sur un grand-père ou arrière grand-père ayant combattu.

La troisième mission est la valorisation du patrimoine mémoriel, militaire et civil, dont dispose notre pays. Cette valorisation permet le développement du tourisme de mémoire : on vient du monde entier, et pas seulement de pays alliés ou ennemis d’hier, visiter les cimetières militaires et certaines nécropoles. De plus en plus, des départements, des collectivités locales, s’engagent dans cette démarche et y consacrent des moyens importants.

Cette mission inclut l’entretien des sépultures et nécropoles qui sont extrêmement nombreuses. Rien qu’à l’étranger, c’est 200 000 corps et 2000 cimetières militaires dans 77 pays. Nous nous efforçons d’augmenter chaque année les moyens pour l’entretien des tombes. Mais les comparaisons de dépenses par tombe avec d’autres pays, comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, montrent que nous pourrions faire mieux ; parfois, cela se voit.

Elle inclut aussi l’entretien de hauts lieux, comme le camp du Struthof, le seul camp de concentration installé sur notre territoire, ou le Mont-Valérien, et la requalification de ce patrimoine mémoriel. Un temps fort des commémorations du quatre-vingt-dixième anniversaire de la fin de la Grande Guerre sera ainsi une cérémonie à l’ossuaire de Douaumont, où le président de la République et plusieurs chefs d’État et de gouvernement étrangers seront présents ; cet ossuaire va bénéficier d’importants travaux. D’autres opérations sont conduites par les associations. Pour la réalisation de cette mission, la synergie avec les collectivités locales est de plus en plus importante : elles s’impliquent dans des travaux, des commémorations, la mise en valeur de circuits et dans la démarche mémorielle en général.

La quatrième mission est le développement de la mémoire partagée ; cette démarche a été engagée par Hamlaoui Mekachera, puis amplifiée par Alain Marleix.

Avec des pays hier belligérants, alliés ou ennemis, et avec qui nous avons des tragédies en partage, nous avons une mémoire à partager, des choses à nous dire et d’autres à dire ensemble. On voit l’importance de ce travail mémoriel dans nos relations d’aujourd’hui avec ces pays, avec lesquels il permet de renforcer les contacts sur ces questions. Le quatre-vingt-dixième anniversaire de l’armistice de 1918 est l’occasion de le faire. Une rencontre entre les responsables ministériels qui en sont chargés sera organisée dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. C’est l’occasion de mettre en exergue que l’Europe d’aujourd’hui, c’est d’abord l’Europe de la paix. Imaginait-on, lors des guerres terribles que furent la Première ou la Seconde Guerre mondiale, que nous irions aussi rapidement vers l’Europe de la paix ?

Le premier des défis auxquels nous sommes confrontés est la raréfaction des acteurs ou des témoins des grands conflits du XXe siècle. Nous entrons dans un temps de l’Histoire où les commémorations se feront sans les témoins ; le dernier Poilu n’est plus. Pour les associations d’anciens combattants de la deuxième guerre mondiale, la question va bientôt se poser de savoir qui veillera après eux à leur travail mémoriel.

Deuxième enjeu, la politique de la mémoire parvient-elle à toucher ses destinataires ? Je ne suis pas pessimiste, et je crois beaucoup au partenariat avec l’Éducation nationale. Mais, malgré nos efforts pour renouveler les cérémonies et le mode de commémoration – et beaucoup d’efforts sont faits, souvent avec succès – nous avons tous connu des moments où il est difficile d’attirer d’autres participants que ceux qui y viennent traditionnellement, et notamment d’attirer les jeunes générations. Il faut sans doute faire évoluer le cérémonial, les protocoles, remédier à l’insuffisance des prises de parole, qui pourraient impliquer davantages les jeunes, utiliser de nouveaux médias, des moyens modernes de communication pour donner une forme plus attractive à ces commémorations. Le souhait d’intéresser les jeunes générations passe aussi par un intérêt accru de la part d’un certain nombre de médias pour ces commémorations. Certains d’entre eux ont entrepris de les aborder de façon intéressante, à partir de documents d’archives, de films, d’émissions sur un événement. Nous devons encourager ce mouvement.

Y a-t-il un risque d’inflation mémorielle ? Entre 1878, année de création de la fête nationale du 14 juillet, et le début des années1980, lorsqu’a été rétabli le jour férié du 8 mai, les gouvernements ont créé six journées nationales de commémoration ; depuis, les gouvernements successifs en ont créé six autres, sans compter les commémorations ponctuelles.

Cela fait beaucoup de journées commémoratives, de thèmes, qui se sont ajoutés, comme celui de la repentance. Il y a des pressions pour que de nouveaux sujets soient évoqués. Aujourd’hui, la mémoire nationale unique, réconciliatrice, se trouve confrontée à la montée d’un certain nombre de mémoires parfois concurrentes. Comment faire vivre ces commémorations, sachant que la mémoire doit rassembler autant que possible et non pas diviser, tout en disant bien sûr la vérité ?

La commission Kaspi a achevé ses travaux. Elle prend un peu de temps pour les publier de façon à procéder en harmonie avec la mission de l’Assemblée nationale. Une concurrence entre les deux n’aurait aucun sens.

On a évoqué la création d’un Memorial Day à la française. Cela n’est pas adapté à notre histoire nationale, y compris celle de nos commémorations. J’ai eu ce dialogue avec le professeur Kaspi tout au long de ses travaux. Les propositions n’iront pas dans ce sens. Le professeur Kaspi devrait, je crois, préconiser des évolutions douces. Certaines commémorations pourraient être davantage régionalisées, et de manière heureuse. Ainsi, pour la journée du 6 juin 1944 l’association Normandie Mémoire fait un travail remarquable. Cela n’a pas empêché que le Président de la République se rende en Normandie pour la commémoration du 8 mai 1945.

Une autre piste sera peut-être d’instaurer une commémoration plus forte de certains événements sur un rythme pluriannuel, tous les cinq ans, les dix ans, les deux ans, et non de façon annuelle.

La commission Kaspi suggère aussi le renouvellement des rites, des synergies accrues avec l’Éducation nationale, un renforcement de la coproduction des politiques de mémoire avec les collectivités locales. J’y crois beaucoup. Nous avons déjà des exemples, comme le concours de l’Office national des anciens combattants « les petits artistes de la mémoire », où une classe part à la recherche d’un Poilu inscrit sur le monument aux morts de sa commune.

Il y a d’autres pistes intéressantes : la poursuite du développement des outils pédagogiques et des instruments de la politique de mémoire. On peut citer le site Internet « Mémoire des hommes », ou le projet de portail informatique « Enfants de la patrie », qui repose sur le concept de communauté virtuelle.

Nous avons bien conscience que ces questions sont importantes, car il y a là un élément de la cohésion nationale. Ont participé à la dernière guerre des soldats de toutes les origines, des colonies de l’époque, qui sont les pères ou les grands-pères de concitoyens qui vivent aujourd’hui en France et qui sont issus de ces différents pays. C’est une mémoire que nous avons en partage.

Or, la cohésion nationale est la base de l’esprit de défense. Le passage de l’histoire à la mémoire doit aussi être réussi : si l’Europe est aujourd’hui l’Europe de la paix, on a vu en d’autres temps et sur d’autres continents que l’oubli est à nouveau le point de départ de toutes les tensions, de tous les conflits. Rien n’est jamais acquis ni gagné.

M. Christian Vanneste. Lors de l’audition précédente, on a évoqué l’Histoire, qui peut tendre à être une connaissance objective. Ici, nous sommes dans la commémoration, c’est-à-dire dans l’affectif et le collectif. Je peux lire avec un certain recul un livre d’histoire relatant des événements qui ne me concernent pas. Lorsque je commémore, je participe ; les commémorations relèvent du sacré républicain, du rite. Pascal disait à propos de la religion : « pour croire, faites les gestes ». Les commémorations sont des gestes collectifs qui doivent nous aider à croire à la Nation, à la République, à leurs valeurs.

Encore faut-il qu’elles provoquent ce sentiment qui existe chez les jeunes, et qui est même souvent revendiqué par eux, le respect. Situation paradoxale, alors qu’on a multiplié les commémorations et les marques de respect, dans des stades des milliers de jeunes rassemblés sifflent la Marseillaise, dans une forme d’anti-commémoration.

Est-ce la marque d’un certain échec ? Quelles solutions peut-on préconiser ? Il faut peut-être que les cérémonies ne soient pas multipliées à l’infini, jusqu’à l’anecdote. Aujourd’hui, pour des commémorations peu connues, on peut voir le public passer, indifférent même à la Marseillaise, voire un coureur à pied continuer sa course entre les trois ou quatre élus présents et le monument. Multiplier les commémorations n’est-ce pas prendre le risque de les dévaloriser ? La Résistance est commémorée le 18 juin ; ce jour là symbolise car c’est là qu’elle a commencé. Multiplier les jours de commémoration ne pourrait qu’affaiblir le message de la Résistance.

Ne faut-il pas aussi que les cérémonies soient grandioses et remarquables pour entraîner le respect des jeunes générations, pour qu’elles reçoivent le message des générations précédentes qui ont fait le sacrifice, et qu’elles en comprennent le sens ?

Il faut également éviter les commémorations négatives : la repentance comporte un tel aspect négatif. Cet aspect peut être aussi objet d’enseignement. Mais à force de commémorations négatives, ne risque-t-on pas d’envoyer des messages contradictoires ? Notre mission a consacré beaucoup de temps à l’esclavage, qui est un épisode négatif, mais il est lointain aujourd’hui. Il faudrait veiller à ce que les aspects moins glorieux de notre pays soient vus à travers ceux qui les ont dénoncés. Dans la commémoration des camps de concentration, il faudrait mettre l’accent sur leur libération, la commémoration de la colonisation ne doit pas oublier les efforts réalisés envers les pays colonisés ; pour l’esclavage il faut rappeler que chaque fois que la République a été instaurée dans ce pays, elle a aboli l’esclavage. Peut-on tendre à faire peu de manifestations, de grandes manifestations, et à en tirer parti chaque fois que possible ?

Mme Françoise Hostalier. Je suis élue des Flandres, d’une circonscription qui inclut Ypres. On y trouve beaucoup de cimetières militaires étrangers, australiens, canadiens, britanniques, allemands. Lorsqu’on voit comment ils sont entretenus, on peut ressentir une certaine honte sur l’entretien des cimetières militaires français à l’étranger, comme au Vietnam.

De plus, ces cimetières militaires étrangers en France sont entretenus par des jeunes, qui viennent pour un temps, parrainés par des associations, par exemple. Ne pourrait-on pas procéder de même pour les cimetières militaires français ?

La multiplication des manifestations aboutit à relativiser leur importance et leur sens. Ne faudrait-il pas en regrouper certaines, mais aussi leur donner une certaine actualité ? Après que le Président de la République ait parlé de la lettre de Guy Môquet, je suis allée dans des établissements scolaires parler aux jeunes de Guy Môquet. Ils étaient tout à fait préparés à ces entretiens par leurs professeurs. Mais je leur ai parlé aussi d’autres lettres, de jeunes de Srebrenica par exemple. Ne faudrait-il pas profiter des manifestations mémorielles pour leur rappeler qu’il y a d’autres Guy Môquet dans le monde, et pas si loin de chez nous ? L’esclavage existe encore aujourd’hui dans le monde, au Darfour, et même en Europe : en Grande-Bretagne, on a trouvé des jeunes Indiens ou de jeunes Chinois réduits à un statut d’esclave. Ne faut-il pas sensibiliser les jeunes, lors des commémorations, à une réflexion sur le caractère toujours présent aujourd’hui, ici où là, du risque qui est à l’origine de la commémoration ?

Comment faire aussi pour que cet effort mémoriel puisse inclure les valeurs de la République, quand nos symboles sont foulés aux pieds ? Comment créer une adéquation intelligente entre le sens de nos valeurs et l’obligation mémorielle ? Faut-il persévérer dans ce mélange des genres entre un chant patriotique et un match de football ?

M. le secrétaire d’État. Je suis d’accord, Monsieur Vanneste, avec l’idée qu’on ne peut pas assumer toutes les commémorations en grandes et belles commémorations.

On peut d’ailleurs commémorer autrement des événements importants et qui ont marqué : je reviens de Beyrouth où je suis allé pour la commémoration de la tragédie du Drakkar, qui avait fait 58 morts au sein du détachement militaire français qui y était stationné. A cette occasion, il y avait des anciens, des frères d’armes, et mêmes des jeunes de la journée d’appel de préparation à la défense. On peut marquer des temps forts et faire passer des messages sans créer des obligations de commémorations nationales annuelles. Dire cela n’est pas atténuer l’importance de cette tragédie, qui nous rappelle des enjeux du monde d’aujourd’hui. Pour l’avenir, il faut réfléchir à deux fois avant de créer de nouvelles commémorations.

La commission Kaspi s’est demandée si la suppression de dates ne risquerait pas de créer des conflits et de heurter des personnes mobilisées en faveur de ces dates, ce qui n’aurait pas de sens. En revanche, faut-il donner plus d’importance à certaines de ces commémorations ? Le 11 novembre, le 14 juillet, la victoire sur le nazisme et la barbarie, l’exaltation des valeurs issues de la Révolution… Ce sont des questions que la commission Kaspi était en droit de se poser.

De plus, la mémoire doit rassembler et non pas diviser, autour de quelques grands repères historiques communs, qui sont le socle de la nation. Sauf exception, on ne peut pas, chaque fois qu’il y a une demande de mémoire, aller vers une décision du Parlement ou une commémoration. Cela ne ferait que rendre plus difficile notre tâche.

Mme Hostalier a évoqué une question très concrète et visible de notre paysage, les tombes. Pour faire aussi bien que nos voisins qui font le mieux, il faudrait tripler le budget d’entretien. Je vais, à l’occasion du vote du budget, vous proposer un effort. Mon prédécesseur en avait déjà prévu un pour le quatre-vingt-dixième anniversaire de l’Armistice. Les montants ne sont pas considérables. On doit pouvoir continuer à progresser.

Il y a un travail d’actualisation de la démarche mémorielle à faire. Ainsi, avec Rama Yade, nous avons décidé de commémorer le 3 novembre prochain la Force noire à Reims. Cette démarche rencontre le succès dans les pays africains. Tous les ambassadeurs concernés seront là. Plusieurs ministres sont annoncés. Les présidents des grandes associations combattantes françaises viendront aussi.

Nous allons, à travers ce temps fort, allier la dimension mémorielle et les combats d’aujourd’hui autour des droits de l’Homme. C’est une démarche très positive, de respect de la vérité, avec une dimension de fierté, de mémoire partagée, et la conscience d’une réalité historique très contrastée. Mais on ne crée pas une commémoration nationale pour cela. J’approuve donc votre proposition d’avoir le souci, envers les jeunes générations, de lier le respect de l’Histoire et la dimension mémorielle, en relation avec ce qu’ils vivent aujourd’hui.

Il en est de même de votre proposition concrète de favoriser, avec les associations qui font ce travail, des déplacements de jeunes. Les jeunes sont friands de chantiers dans les pays du Sud, ont envie de se rendre utiles, de vivre des contacts fraternels avec les jeunesses des autres pays.

Dans le même esprit, nous allons avec votre collègue Patrick Beaudoin et des anciens du bataillon de Corée nous rendre dans les endroits où des soldats sont tombés, pour marquer leur mémoire.

Vous avez évoqué la Marseillaise. Certains disent que le Gouvernement a surréagi ; mais qu’aurait-on dit s’il n’avait pas réagi et s’était hâté d’oublier ? Il était inévitable qu’il se sente fortement interpellé. Certains ont proposé de dissocier l’exécution de la Marseillaise et la tenue des matchs de football. Mais ne serait-ce pas abandonner le travail que nous devons faire pour que disparaisse  ce type de réflexe chez une partie de nos jeunes?

M. Lionnel Luca. Il y avait dans mon département ce week-end une célébration pour l’affaire du Drakkar parce qu’une partie des soldats tués en était originaire. Il y avait beaucoup de monde, car les familles étaient là, vingt-cinq ans après. Mais cela veut dire que, tôt ou tard, lorsqu’il n’y a plus de témoins, les cérémonies sont condamnées.

On n’ose pas le dire aujourd’hui à propos du 11 novembre, qui est une grande date de notre histoire et qui a marqué les combattants, qui avaient raconté la guerre à leurs enfants et leurs petits-enfants. Mais tant qu’il y a eu des anciens combattants des batailles de Napoléon, il y a eu des commémorations de ces batailles ; aujourd’hui, on ne les commémore plus ; un jour, les célébrations tombent. Aujourd’hui, pour les jeunes, le 11 novembre, c’est l’Armistice et un jour férié. Si l’on n’avait pas la chance que, dans les familles, on s’en soit parlé, vous seriez surpris.

A propos de l’entretien des tombes, une association importante, le Souvenir Français n’est pas assez mise en valeur par votre ministère. Nous avons la chance de disposer partout en France d’associations d’anciens qui se rassemblent, font la quête, vendent le Bleuet de France, et s’occupent de l’entretien des tombes, en général grâce à des subventions des municipalités. Ils ne s’en tiennent pas là ; lorsque les établissements scolaires l’acceptent, ils prennent en main une ou plusieurs classes et l’emmènent sur un site historique. Pour des jeunes, aller sur les lieux du débarquement de Provence, comme c’est le cas dans mon département, est beaucoup plus concret que d’assister à une commémoration devant un monument aux morts. Votre ministère devrait donc conforter le Souvenir Français et lui donner une résonance médiatique, qu’il n’a pas aujourd’hui

La régionalisation de certaines commémorations est aussi une bonne piste. En revanche, l’organisation de commémorations pluriannuelles, à mon avis, ne l’est pas.

Imaginer des événements positifs est aussi une bonne idée. Pour la jeunesse européenne, une célébration européenne s’impose : le 9 mai, lendemain du 8. Elle devrait être, sur la base des jumelages, un moment festif européen. Il faut créer cette fête de l’Europe pour avoir une vision participative de l’ensemble des peuples d’Europe.

M. Maxime Gremetz. Combien y a-t-il de commémorations nationales ?

M. le secrétaire d’État. Douze.

M. Maxime Gremetz. Cela fait une par mois. Peut-on dire que c’est trop ? Bien sûr il y a aussi les commémorations locales. Mais douze, ce n’est pas trop. Ou alors supprimons toutes les commémorations !

Par ailleurs, combien ont été décidées par le Parlement français ? Certaines commémorations, comme la journée de commémoration des harkis, ne l’ont pas été par le Parlement. A partir de l’achèvement des travaux de la présente mission d’information, c’est le Parlement qui doit décider des grandes célébrations nationales. Sinon, elle n’aura servi à rien. C’est le Parlement qui doit déterminer quels sont les grands faits historiques qui ont jalonné l’histoire de France, qu’ils soient positifs ou négatifs.

Plus que les caractéristiques des commémorations, ce qui est intéressant est leur préparation : il faut les préparer avec les jeunes, en en discutant avec eux sur ce que représente la date choisie. Quand des enseignants viennent à une cérémonie avec des enfants, après l’avoir préparée avec eux, cela change la donne.

Lier le maintien d’une commémoration à l’existence de survivants, c’est tirer un trait sur l’Histoire. La guerre de 1914-1918 restera toujours un épisode marquant de l’Histoire de France.

Sur douze commémorations huit seulement ont été décidées par le Parlement. Des décisions de commémorations adoptées par le Parlement, par la majorité de l’Assemblée nationale, comme celle du 19 mars 1962, n’ont jamais vu le jour. Le texte n’est jamais revenu du Sénat.

Pour la Résistance, une date manque beaucoup, alors qu’elle est demandée par toutes les associations de résistants : ce n’est pas celle de l’appel du 18 juin 1940, mais celle de la création du Conseil national de la Résistance, c’est-à-dire le rassemblement de toutes les résistances, le moment historique où des gens qui ne pensaient pas la même chose se rassemblent contre l’ennemi et pour la liberté de la France. C’est un moment positif ! J’ai succédé à un député guillotiné par Vichy sur l’ordre des Nazis. Nous lui consacrons une commémoration tous les ans, avec tous les résistants.

Je suis content d’entendre le secrétaire d’Etat dire qu’il faut maintenir les grandes dates. Je ne suis pas favorable à ce qu’il y ait des dates à foison, il faut privilégier des moments historiques. Mais puisqu’on parle du quatre-vingt-dixième anniversaire de l’armistice de la guerre de 1914-1918, j’ai été très étonné que, dans la communication gouvernementale, on ait toujours cité Verdun, et – sauf Hamlaoui Mekachera – pas les batailles de la Somme, qui ont fait plus de morts. Pourquoi n’en parle t-on jamais ? En Picardie, il n’y a pas un mètre carré sans cadavre ; c’est l’effet des batailles de la Somme, qui ont été décisives ; peut-être ne souhaite-t-on pas se rappeler que des volontaires de 43 nationalités y sont venus défendre la France parce que c’était le pays des droits de l’Homme et de la liberté.

Mme George Pau-Langevin. A ce stade de nos travaux, les éléments s’éclaircissent. On voit que les grandes institutions officielles peuvent piloter les grandes dates, les grandes manifestations qui ont une valeur pour l’ensemble de la nation. Ce sont ces grandes dates qui doivent être définies par le Parlement.

Et puis il y a les autres moments, ceux qui ont une importance pour telle ou telle partie de la nation. Le travail gouvernemental est sans doute de soutenir ces manifestations, qui sont organisées par ces groupes.

Je n’ai pas le sentiment que des commémorations demandées par tel ou tel groupe aient fait l’objet de contestations ou de perturbation par d’autres groupes. Le cimetière du Père-Lachaise relève de ma circonscription. Les commémorations s’y suivent chaque semaine: souvenir des anciens de Birkenau, combattants étrangers en France, sans oublier le mur des fédérés où se succèdent sans heurts anarchistes, communistes, socialistes.

Je me demande si notre crainte qu’en développant les commémorations, on développe les oppositions entre groupes est vraiment fondée. Mon impression est plutôt qu’il y a des groupes qui ont été oubliés. La cérémonie de Reims est une très bonne idée. Des Antillais, qu’on appelle les « dissidents », ont quitté les Antilles par bateau pour rejoindre le général de Gaulle ; ils ont combattu à Monte Cassino, où beaucoup ont été tués. Certains s’y sont rendus, individuellement, en pèlerinage. Ils ont pu constater qu’ils avaient été complètement oubliés.

Quand certains demandent qu’on se souvienne de leur sacrifice, ils ne demandent pas qu’on oublie d’autres personnes qui ont mené d’autres combats.

Une cérémonie comme celle de Reims, en évoquant ce type de combattants, sera peut être de nature à répondre à la préoccupation de notre collègue Vanneste. Certains jeunes ne trouvent peut-être pas leur place dans l’espace républicain parce qu’une partie de ce qu’ils représentent ou le sacrifice de leurs ancêtres ont été oubliés. Ce faisant on contribuera à ce que la Marseillaise soit davantage reprise parce que leur passé dans l’histoire de notre pays sera davantage connu.

Par ailleurs certaines associations d’anciens combattants ont trouvé que leur mémoire et le budget de votre ministère étaient particulièrement maltraités par rapport à leurs attentes et à l’importance de certains combats.

M. Jean-Pierre Dupont. Faut-il conserver les douze cérémonies commémoratives nationales ? Elles sont redondantes. Assister à certaines cérémonies peut être parfois triste : très peu de membres du conseil municipal, un ou deux porte-drapeaux seulement. Peut-être faut-il une certaine hiérarchie dans les commémorations. Lorsque le poids de l’affectif n’est plus là, et que les gens se démobilisent, faut-il maintenir ces cérémonies ?

Le maintien des grandes cérémonies commémoratives se justifie : tout le monde a été touché dans sa famille par la première ou la deuxième guerre mondiale. C’est un élément de cohésion nationale. En revanche, certaines commémorations perdent un peu de leur signification.

Le poids de l’affectif crée aussi des débats; les anciens combattants d’Algérie se divisent sur la date du 19 mars. Lors du débat parlementaire, du reste, le ministre considérait qu’il fallait une certaine unanimité, une majorité de 70 % des voix pour mettre en œuvre la création d’une journée commémorative de la fin de la Guerre d’Algérie. Ce poids de l’affectif a des conséquences sur la capacité à rassembler. Lorsque, dans une commune de 10 000 habitants, on réunit six ou sept personnes autour d’un monument, c’est pitoyable. Faut-il continuer ainsi ? Ne faut-il pas créer des journées du souvenir qui n’impliquent pas un tel cérémonial ?

Mme Catherine Coutelle, présidente. On oscille entre des situations où la mémoire va disparaître quand il n’y a plus de témoins vivants, et d’autres où, lorsqu’on a des témoins vivants, la mémoire est brûlante et divise. C’est toujours un débat entre mémoire et histoire. Le respect de l’ensemble de la mémoire des citoyens français est aussi très important.

M le secrétaire d’État. J’ai trouvé les dernières interventions fort intéressantes. M. Luca, vos propos ont bien illustré la question du temps. Il y a un temps pour tout. Aujourd’hui, si je n’étais pas en poste depuis sept mois, je ne ressentirais sans doute pas l’extrême sensibilité des associations, composées pourtant de membres éminemment respectables. La sensibilité n’est plus la même pour la guerre de 1870 que pour la guerre d’Algérie. Le temps n’efface pas la réalité historique, mais la dimension affective prend un autre tour.

Je suis clairement opposé à la création d’un Memorial Day. Il faut tenir compte de la sensibilité actuelle du monde combattant. Ne pas le faire serait une erreur politique grave, même au regard de nos objectifs de cohésion nationale. Les gens qui s’intéressent à ces questions partagent entre eux des valeurs beaucoup plus proches qu’avec ceux qui y sont indifférents et qui devraient pouvoir être intéressés.

Le Souvenir Français est une des pistes d’avenir. Pour l’essentiel, il s’autofinance. Les responsables se sont beaucoup renouvelés et ils ont une vision très moderne de leur rôle. La vente du Bleuet de France a vocation à perdurer et peut être fortement porteuse de sens. A nous de savoir le lui donner, avec les associations qui le font vivre, une dimension symbolique au-delà de la guerre de 1914-1918.

M. Gremetz, vous avez parlé de douze commémorations nationales. Et vous voudriez en créer deux de plus, celle du Conseil national de la Résistance (CNR) et celle du 19 mars ? Vous illustrez mon propos aux termes duquel on pourrait créer des temps forts de la geste de la République sans forcément rajouter des commémorations officielles.

J’ai assisté aux congrès de la Fédération nationale des anciens combattants (FNACA) et de l’Union nationale des combattants (UNC), qui défendent chacune une date différente. Je me suis mis dans les pas de mon prédécesseur, Alain Marleix, qui a envoyé des instructions pour que chaque date puisse, tant qu’elle est portée, vivre sa vie. En 2002, j’avais donné ma position lors du vote ; mais je pense qu’on a suivi la voie de la sagesse.

Je crois beaucoup à la dimension éducative. Une convention avec le ministre de l’éducation nationale va être signée le 6 novembre à Péronne, ville symbolique, pour renforcer encore l’action envers les scolaires.

Le 11 novembre prochain, nous n’oublierons pas la Somme.

Le quatre-vingt-dixième anniversaire de l’Armistice sera très international. Je suis allé sur le front d’Orient : à Thessalonique, à Belgrade, à Skopje. C’est faire de la politique que dialoguer ainsi avec des pays qui n’étaient pas, il y a peu, dans l’Europe de la paix.

J’ai aussi remis la Légion d’Honneur à Washington au dernier participant américain de la Première Guerre mondiale. Il était brancardier. Il avait 17 ans.

Mme Pau-Langevin a évoqué la bataille de Monte Cassino. C’est tout le corps expéditionnaire commandé par le Maréchal Juin qui a été injustement oublié. Un travail d’histoire, de mémoire, de commémoration doit être fait sur cet endroit terrible. Il y a encore beaucoup de survivants.

Il faut faire vivre le souvenir des dissidents, de la lutte contre Vichy aux Antilles. Allons sur place réparer cet oubli et renforcer la mémoire partagée ; mais il n’est pas besoin de grandes dates de commémorations nationales pour cela.

Le budget de 2009 n’est pas si mauvais. Des parlementaires se sont déjà mobilisés pour qu’il soit le meilleur possible, notamment sur des points symboliques comme la retraite du combattant.

J’ai répondu sur le poids de l’affectif, qui est apparu en filigrane dans l’ensemble de vos interventions. Je crois que vous avez tous intégré l’idée qui m’est chère sur ce qui fait lien dans notre pays, et nous permet de nous rassembler pour affronter un certain nombre de défis et de dangers. Ces questions ne sont pas « ringardes » et passéistes mais importantes. Pour les transmettre, nous disposons de moyens modernes et de la capacité de démultiplication de l’école. Quand on parle aujourd’hui aux jeunes adultes des combattants de la Grande Guerre, c’est-à-dire de jeunes gens de leur âge, qui se sont battus ou qui sont morts pour défendre des valeurs qui nous permettent aujourd’hui de vivre en liberté, cela ne les laisse pas indifférents.

Je recevrai les parlementaires membres de la mission d’information le 6 novembre pour présenter les conclusions du rapport de la commission Kaspi, en présence du professeur Kaspi. Nous pourrons échanger encore sur ces questions. Je suis attentif à ce que les travaux de votre mission et ceux de la commission Kaspi ne se téléscopent pas. Nous agirons de façon harmonieuse par rapport à votre travail, qui prime.

Si le président de l’Assemblée nationale et le groupe de travail en sont d’accord, une séance de l’Assemblée nationale, avant le 11 novembre, pourrait être organisée où tous les participants porteraient le Bleuet.

M. Maxime Gremetz. Le 6 novembre, vous allez à Péronne ; irez-vous aussi au cimetière chinois de Noyelles-en -Chaussée ?

M. le secrétaire d’État. L’an prochain à Noyelles !

Mme Catherine Coutelle, présidente. Monsieur le ministre, nous vous remercions.

La séance est levée à vingt heures dix.