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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 17 juillet 2007

1ère séance
Séance de 15 heures
16ème séance de la session
Présidence de M. Bernard Accoyer

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La séance est ouverte à quinze heures.

LUTTE CONTRE LA RÉCIDIVE

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice - C’est un immense honneur pour moi de vous présenter aujourd’hui ce projet de loi et de m’exprimer pour la première fois à la tribune de l’Assemblée nationale. Vous êtes l’expression du suffrage universel, l’émanation et le dépositaire de la volonté populaire. Vous connaissez les sentiments et les aspirations de nos concitoyens, et vous en déduisez l’intérêt général. Vous faites la loi au nom du peuple français, avec lui et pour lui. À travers vous, c’est donc aux Français que je m’adresse. Je comprends leurs interrogations, leurs attentes, parfois leur détresse, face à une justice qui donne trop souvent le sentiment d’avoir cessé d’être la leur.

Vous qui êtes au contact permanent de nos concitoyens, vous savez combien ils sont inquiets, parfois exaspérés de ne plus comprendre une justice qui leur paraît trop lente, inefficace pour prévenir les délits et les crimes ou impuissante à les sanctionner. Cela peut être injuste pour les femmes et les hommes qui la servent, qui ont fait ce choix du service public et l'assument le plus souvent avec courage et talent. Je veux ici rendre hommage aux magistrats, mais aussi aux greffiers, aux avocats et à tous les auxiliaires de justice, aux personnels pénitentiaires, aux gendarmes, aux policiers, aux acteurs associatifs et aux élus de terrain, et à tous ceux qui jouent un rôle dans cette action capitale pour la défense et la protection du lien social.

Mais la réalité exprime un malaise. On peut bien sûr nier cette réalité. Pour sa part, le Gouvernement entend la regarder en face. Il a fait ce choix de la transparence, parce que cette défiance repose sur des expériences réelles, dont le poids transparaît dans les chiffres.

Face à ces traumatismes, ma mission est de faire en sorte que les Français retrouvent confiance en la justice, de restaurer le lien qui unit les premiers à la seconde, qui seul donne leur légitimité aux acteurs de la chaîne judiciaire, de remettre du sens là où il y a parfois de la confusion et du doute.

Notre devoir commun est d'assurer à tous une justice claire, sereine, efficace, une justice légitime dans son action comme dans ses décisions, en un mot une justice qui fasse sens.

L'honneur qui m'est fait de m'adresser aujourd'hui à vous est donc une vraie responsabilité. Mais c'est notre responsabilité.

La Justice est un idéal concret, à visage humain, qui doit s'adapter aux évolutions du monde, parce que sa vérité n'est pas de tracer des contours immuables, mais de garantir, dans une société changeante, la pérennité de la paix sociale.

Cet idéal est précieux : sur lui repose la possibilité de vivre en commun. C'est un idéal fragile, trop souvent meurtri, mais dont nous devons relever le défi. Ce devoir de restaurer la confiance entre les Français et la justice, nos concitoyens nous l’ont en effet clairement assigné, lors de l'élection présidentielle puis lors des élections législatives. Ils nous ont dit leur volonté de proximité, de clarté, d'efficacité, et celle d'en finir avec les faux débats, les vieilles querelles et les solutions toutes faites soufflées par des réflexes idéologiques dépassés.

Cette volonté qui s'est exprimée, c'est notre feuille de route. Elle est pour nous une ardente obligation. Obligation de moyens, mais aussi de résultat.

Emblématique de cette vision et de cette volonté, la réforme de la justice est un symbole des engagements du Président de la République. Le Gouvernement mènera une politique pénale claire, qui prendra en considération ces attentes.

Je veux pour notre pays une justice sereine, claire, compréhensible par tous et d'égal accès à tous. Ce texte en porte la marque, tout comme la loi pénitentiaire qui sera présentée à l'automne.

Je veux enfin pour notre pays une justice délivrée des débats stériles où l’on a trop souvent cantonné les réflexions sur son avenir. Je refuse les faux débats : il n'y a pas à choisir entre une justice humaine et pas assez efficace et une justice efficace, qui devrait pour cela s'arranger avec les principes qui la fondent. Pour prévenir efficacement, la justice doit être efficacement répressive et efficacement dissuasive. Il ne peut y avoir de prévention sans une répression juste et digne, adaptée à la réalité de la délinquance et à son évolution.

C'est pourquoi il est si important de donner à la justice les moyens de s'adapter aux changements de notre société, en particulier aux nouvelles formes de délinquance. Les juges ont à cet égard le grand mérite d’avoir anticipé ces évolutions avec des outils parfois inadaptés. Nous ne devons pas les abandonner, mais leur permettre de restaurer leur autorité.

Le présent texte poursuit cet objectif. Ce texte non partisan est attendu par les Français parce qu'il s'attaque à un sujet qui les inquiète : le traitement de la récidive.

La récidive est une réalité d'une ampleur et d'une gravité exceptionnelles. Entre 2002 et 2005, le nombre des condamnations en récidive pour les crimes et délits a augmenté de plus de 70 %, et même de 153 % pour les crimes et délits les plus violents.

Plusieurs députés SRC - Quel bilan !

Mme la Garde des Sceaux - C’est le nombre des condamnations.

M. Christian Bataille - C’est le bilan de la droite ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Je vous en prie ! Chacun aura l’occasion de s’exprimer ensuite. Seule Mme la Garde des Sceaux a la parole.

Mme la Garde des Sceaux - La délinquance a baissé. Cela signifie bien que le nombre d’interpellations – donc de condamnations – a augmenté. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Cette évolution est d'autant plus saisissante que, dans le même temps, l'action de l'ancien ministre de l'intérieur a permis de faire baisser la délinquance de plus de 9 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ce texte répond à cette évolution préoccupante par des dispositions adaptées et équilibrées.

Je tiens à remercier le président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, et Guy Geoffroy, son rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), ainsi que l'ensemble de ses membres. L'audition à laquelle vous m'avez conviée a été un temps de débat très riche, ouvert et républicain. Votre contribution à l'examen du texte s'avérera sans nul doute précieuse, d’autant que la commission des lois a toujours porté un grand intérêt à la question de la récidive – en témoignent le rapport de la mission d'information sur le traitement de la récidive qu'avait présidée Pascal Clément, ou celui sur l'exécution des peines et la préparation des détenus à la libération dont vous êtes l'auteur, Monsieur le Président de la commission.

C'est de tous ces travaux et des débats de la campagne présidentielle qu'est né ce projet de loi pour lutter contre la récidive et favoriser la réinsertion. Il s'attaque à la récidive des mineurs, des majeurs et des délinquants sexuels.

Nous ne ferons pas reculer la récidive sans lisibilité de la sanction, sans un régime pénal adapté. C'est le premier objectif de ce texte. Nos concitoyens attendent de nous une réponse plus claire et plus ferme. Notre responsabilité est de les protéger et de penser aux victimes. La délinquance répétitive, et spécialement la récidive, portent une grave atteinte à la sûreté des Français.

Ce texte apporte des outils adaptés à la récidive des majeurs, mais aussi à celle des mineurs. Nous ne pouvons en effet laisser des mineurs s'ancrer dans la délinquance : n’attendons pas qu'il soit trop tard pour réagir ou sanctionner.

La délinquance des mineurs est de plus en plus importante et de plus en plus violente. Elle concerne des mineurs de plus en plus jeunes.

Entre 2000 et 2005, le nombre des mineurs condamnés pour des violences volontaires a augmenté de 47 %, le nombre de mineurs condamnés pour des délits de nature sexuelle a crû de 30 %, et 30 % des mineurs condamnés récidivent dans les cinq ans qui suivent. Ces chiffres sont terribles, pour ces jeunes, leurs familles et les victimes, et ils sont inquiétants pour l'avenir de notre pays.

Les mineurs ont besoin de repères et de limites. Il existe une éducation à la limite et une pédagogie de la sanction. À nous de leur transmettre, en sachant que la sanction n'implique pas forcément l'incarcération. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Elle nécessite par contre une prise en charge aussi rapide que possible. Pour un mineur, la notion du temps est différente. Il faut donc une réaction immédiate pour stopper l'engrenage de la délinquance. Et parce que c'est aussi ce qu'attendent de nous les parents de ces mineurs, il faut poser sans détour la question de la responsabilité des mineurs.

Enfin, il est une autre forme de délinquance, particulièrement grave et insoutenable : c’est la délinquance sexuelle, qui s'attaque le plus souvent à des femmes, des mineurs ou de très jeunes enfants. En dix ans, le nombre de personnes condamnées pour viols et agressions sexuelles a augmenté de 58 %, et il est malheureusement très rare que les délinquants sexuels ne récidivent pas. Au reste, une majorité d'entre eux sont demandeurs de soins.

C'est aussi une délinquance plus insidieuse, car elle intervient souvent dans la sphère privée, au sein de la famille. Il est indispensable que le condamné puisse être soigné. Car que répondre aux proches d'une victime agressée, violée ou assassinée par un récidiviste qui n'a pas été soigné pendant son incarcération ? Récemment encore, plusieurs associations de victimes m'ont interpellée à ce sujet. Lorsqu'une personne déclare elle-même qu’elle a des pulsions dangereuses pour autrui, notre responsabilité est de l'obliger à se soigner. C'est comme cela que nous épargnerons des vies, protégerons les mineurs et aiderons les victimes.

M. Philippe Houillon - Très bien.

Mme la Garde des Sceaux - Soigner, c'est éviter le passage à l'acte ; c'est aussi empêcher la récidive pour éviter de nouvelles victimes. Il ne faut renoncer à aucun outil et ne se priver d'aucun moyen si cela peut sauver une vie. Conscients de cette exigence, les Français attendent de nous autre chose que des querelles partisanes. Ils attendent de la responsabilité, de l'engagement, ainsi qu’une capacité à innover et à rompre avec les habitudes. Il ne s’agit pas simplement d’aménager les outils existants, mais bien plutôt d’inventer les nouvelles réponses qu'appellent les nouvelles menaces auxquelles nous sommes confrontés.

Ce texte donnera aux magistrats des moyens efficaces pour lutter contre la récidive. À cette fin, il instaure des peines minimales en cas de récidive, exclut de plein droit l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs de plus de 16 ans en cas de multirécidive, et systématise les injonctions de soins, notamment pour les délinquants sexuels.

D’abord, le projet instaure des peines minimales, applicables aux majeurs aussi bien qu'aux mineurs. Ce nouveau régime adresse un signal fort aux Français qui en ont assez de l'insécurité, aux victimes et à leurs familles, ainsi qu’ aux personnes déjà condamnées, qui sauront désormais ce qu'elles encourent ; quant aux magistrats, ils vont enfin pouvoir disposer d'un dispositif adapté et gradué.

Le projet de loi instaure deux régimes : un régime simple pour la première récidive et un régime spécial, à partir de la deuxième récidive.

Dès la première récidive, une personne déjà condamnée une première fois, si elle commet à nouveau des faits de même nature ou assimilés, encourra une peine minimale. Le régime est clair et la sanction le sera aussi. Bien entendu, les magistrats pourront tenir compte des situations humaines ou de circonstances particulières, en conservant l’entier de leur pouvoir d'appréciation, lequel sera fondé sur trois critères : les circonstances de l'infraction, la personnalité de l'auteur, les garanties d'insertion ou de réinsertion qu'il présente. C'est seulement en fonction de ces critères que le tribunal pourra rester en deçà des peines minimales.

À partir de la deuxième récidive, pour les crimes et pour les délits les plus graves – soit des vols avec violence commis pour la troisième fois, des séquestrations pratiquées pour la troisième fois ou des actes de torture et de barbarie perpétrés pour la troisième fois –, c'est un régime plus sévère qui s'appliquera, avec un pouvoir du juge plus encadré.

Dans ce régime de la récidive aggravée, le principe devient la peine d'emprisonnement. On n'a en effet pas affaire à de petits délinquants, mais à des personnes déjà condamnées au moins deux fois, qui passent en jugement une nouvelle fois. Le juge ne pourra déroger à la peine minimale que si le récidiviste présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion : il lui faudra alors démontrer qu'il est réellement dans une logique de rupture avec son passé judiciaire et son ancrage dans la délinquance. C'est alors seulement que des garanties suffisantes pour l'ordre social pourront, le cas échéant, justifier l'indulgence de la juridiction de jugement.

Vous le voyez, le dispositif gradué qui vous est soumis respecte les principes constitutionnels de proportionnalité et d'individualisation des peines. La mission du juge demeure entière : il garde sa liberté dans toutes les hypothèses, à condition de motiver ses décisions et de s'appuyer sur des critères qui protègent la société.

Mesdames et messieurs les députés, ce texte est équilibré. On peut être ferme, mais aussi, dans le même temps, juste et humain. On est même d'autant plus juste et humain que l'on sait être ferme.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois - Absolument !

Mme la Garde des Sceaux - Instaurer des peines minimales, c'est donner plus de crédit à la prévention, en faisant qu’elle puisse désormais s'appuyer sur la menace d'une sanction claire et connue d’avance. La certitude de la sanction, c'est le premier outil de la prévention. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Les peines minimales, c'est aussi plus de garantie de durée – et partant d'efficacité – pour le travail d'aide à la réinsertion. Enfin, les peines minimales ne sont pas des peines automatiques, car de telles sanctions ne seraient conformes ni à notre tradition, ni à notre droit. Nous sommes donc très loin des caricatures qui ont été faites ici ou là.

La deuxième innovation marquante du projet de loi tient à l’objectif prioritaire de lutter spécifiquement contre la récidive des mineurs.

Je vous ai rappelé les chiffres et les attentes des Français. Pour y répondre, le texte exclut de plein droit l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs de plus de 16 ans en cas de récidive multiple de crimes ou de délits d'une particulière gravité. Concrètement, un mineur de 16 à 18 ans, déjà condamné pour deux viols ou deux vols avec violence, et qui en commet un troisième, encourra désormais les mêmes peines qu'un majeur.

M. Jacques Myard - Très bien ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Mme la Garde des Sceaux - Voilà une réponse claire à cette violence de plus en plus dure, qui est le fait de mineurs persuadés de leur impunité ! Là encore, les juges pour enfants pourront rétablir l'atténuation de responsabilité, pour peu qu’ils motivent spécialement leur décision.

Vous le voyez, il ne s'agit pas de porter atteinte aux principes de l'ordonnance de 1945 : nous n'abaissons pas la majorité pénale des mineurs ; nous ne remettons pas en cause les juridictions spécialisées et nous ne renonçons pas davantage aux mesures éducatives. Simplement, nous entendons marquer un coup d'arrêt à l'inquiétante progression de la récidive des mineurs.

Enfin, le troisième volet du texte concerne les infractions de nature sexuelle et les injonctions de soins.

Le recours à une injonction de soins devient le principe, dès lors qu'une expertise aura conclu à une possibilité de traitement. Les détenus seront fermement incités à s'y soumettre : le refus de soins empêchera les réductions de peine supplémentaires et la libération conditionnelle. Car refuser des soins, c'est signifier son refus de faire des efforts pour se réadapter à la vie en société.

En ce domaine, le Sénat a apporté une précision tout à fait justifiée, en voulant que le juge de l'application des peines conserve un pouvoir d'appréciation. En effet, l'injonction de soins ne saurait être automatique, puisqu’elle ne sert à rien si le délinquant est déjà hospitalisé ou sous traitement. Le texte initial a donc été amélioré par vos collègues sénateurs, et croyez bien que je suis très attentive à tous les enrichissements qu’apporte le débat parlementaire.

M. Arnaud Montebourg - On verra bien !

Mme la Garde des Sceaux - Les dispositions relatives à l'injonction de soins prolongent la législation sur le suivi socio-judiciaire introduite par Élisabeth Guigou, qui avait marqué une réelle avancée. Nous la complétons aujourd’hui pour prévenir plus efficacement la récidive. Cependant, chacun s'accorde pour admettre que le suivi socio-judiciaire demeure insuffisant, faute de moyens. J’entends y remédier pour ce qui concerne le suivi médical et psychiatrique.

M. le Président de la commission - Bravo !

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - C’est indispensable !

Mme la Garde des Sceaux - Avec la ministre de la santé, nous élaborons un plan d'accompagnement, d’ores en déjà en cours de discussion. Le nombre de médecins coordonnateurs – chargés d’assurer l'interface entre les médecins traitants et l'autorité judiciaire dans le cadre de l'injonction de soins – est passé de 145 en 2005, à 202 inscrits à ce jour sur les listes des tribunaux. Leur effectif continuera de progresser ; je souhaite aussi que leur mission soit revalorisée et leur formation améliorée. Parallèlement, le Gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour recruter les psychiatres supplémentaires que nécessitera la bonne application du présent texte.

Mesdames et Messieurs les députés, pour répondre aux attentes des Français, il faut aller vite et s'inscrire dans la durée. Parce qu’elle représente une priorité pour nos concitoyens, la lutte contre la récidive sera une priorité du Gouvernement. Il faut que cela soit clair pour tous. Il était devenu urgent de créer un régime pénal adapté à la récidive. Le projet de loi qui vous est soumis respecte les principes de notre Constitution et les engagements internationaux de la France. La justice continuera de reposer sur l'examen approfondi des cas particuliers qui lui sont soumis.

En outre, le projet ne remet pas en cause les dispositions en faveur de l'aménagement des peines, auxquelles je suis tout particulièrement attachée. Je veux tout faire pour éviter les sorties « sèches », car elles portent en elles le risque de récidive.

M. le Président de la commission - Absolument.

Mme la Garde des Sceaux - À cette fin, j'ai, dès le 27 juin dernier, adressé une circulaire pour préconiser le recours aux aménagements de peines. Et c’est aussi l'objet des conférences qui se tiennent d'ici au 30 juillet dans le ressort de chaque cour d'appel. Ces rencontres seront désormais semestrielles. Permettez-moi de profiter de cette occasion pour rendre hommage au travail exceptionnel – souvent accompli dans des conditions difficiles et, parfois, dans l'urgence – de tous les juges d'application des peines, dont la mission remarquable est si peu connue.

Nous sommes mobilisés et je ne doute pas de votre soutien. D'autres réformes viendront. J'ai déjà évoqué la loi destinée à rénover notre système pénitentiaire et qui mettra en valeur l'action des personnels. Je pense aussi à l'institution d'un contrôleur général des lieux privatifs de liberté, conformément à une idée chère à votre collègue Michel Hunault. Ces importants chantiers s'imposent d’évidence, parce que la fermeté n'exclut pas l'humanité !

Qu’il me soit également permis de rendre hommage, devant la représentation nationale, à tous les personnels de l'administration pénitentiaire. Leur tâche est lourde et difficile : il y a, bien sûr, la surveillance des personnes incarcérées ; mais leur mission est tout aussi essentielle pour préparer la réinsertion et lutter contre la récidive, en lien très étroit avec les juges d'application des peines. Je veux les remercier pour leur professionnalisme et leur dévouement.

La réforme de la justice est engagée. Je m'y consacre de toutes mes forces, avec cœur et détermination, et je vais sur le terrain pour lancer nos chantiers. Je veillerai à leur bon avancement et vous en rendrai compte régulièrement. Pour l'heure, nous allons débattre et nous le ferons devant les Français. Je souhaite que ce débat soit utile et je tiens à souligner encore l'excellent travail de votre commission des lois. La richesse et la clarté du rapport en témoignent, de même que vos propositions d'amendement. Notre volonté commune est d'aboutir à un texte court, clair, cohérent et assimilable par tous. Il doit aussi conserver un caractère équilibré, comme il sied à la justice.

Au nom du Gouvernement, des Français et de la justice, je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

M. le Rapporteur - Vivre dans une société d’harmonie et d’équilibre, telle est la volonté que manifeste de façon récurrente auprès de nous et qu’a témoignée lors des deux grands rendez-vous démocratiques du printemps dernier l’ensemble de nos concitoyens. Pour cela, il faut une justice à la fois protectrice et garante que les infractions seront les moins nombreuses possible et que lorsqu’elles sont malgré tout commises, y sera apportée une réponse la plus juste possible.

Nos concitoyens souffrent lorsqu’ils s’aperçoivent, constat qu’ont pu faire également les membres de la commission d’enquête sur la malheureuse affaire d’Outreau, que la justice peut broyer, créer des injustices, et quelquefois aller à l’encontre de ses principes fondateurs, alors même que tous ses rouages semblent avoir fonctionné. Ils souffrent lorsqu’ils constatent que dans leur quartier, leur environnement proche, leur pays, des actes de plus en plus nombreux, de plus en plus violents, sont perpétrés, dont eux ou leurs proches sont la victime directe ou qui leur font subir la pire des injustices, la peur de ne pas vivre dans la sécurité et la tranquillité.

C’est bien pourquoi, depuis de nombreuses années, la sécurité et la justice sont au cœur de nos préoccupations. Sous la précédente législature, les ministres de l’intérieur et de la justice, chacun pour ce qui les concernait, ont fait adopter d’importantes modifications de notre système de répression, d’éducation et de prévention, pour, comme le résume fort pertinemment l’intitulé d’une loi adoptée alors, « mieux adapter en permanence notre outil judiciaire aux évolutions de la criminalité ».

La délinquance globale a diminué de près de 10 % ces cinq dernières années, alors qu’elle avait augmenté de 18 % les cinq années précédentes. Nous en sommes heureux. Pour autant, nous restons lucides car, en dépit des réponses apportées, une nouvelle forme de délinquance de plus en plus violente à l’encontre tant des personnes que des biens se développe, qui nous oblige à remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier.

La question de la récidive est passée au premier plan de nos préoccupations il y a déjà plusieurs années. Sous la houlette du président de la commission des lois de l’époque, Pascal Clément, avec le concours, ô combien efficace, de notre regretté collègue et ami Gérard Léonard, une mission d’information avait été créée sur ce sujet qui avait, à la quasi-unanimité, adopté des propositions débouchant sur la loi de décembre 2005, laquelle commence de porter ses fruits

M. Bernard Roman - La mission avait refusé les peines plancher.

M. le Rapporteur - Si, comme l’a souligné la garde des sceaux, plus de condamnations sont aujourd’hui prononcées alors que le justiciable est en situation de récidive, c’est certes que celle-ci n’a pas disparu, mais aussi parce que de plus en plus d’affaires sont élucidées. Les condamnations sont par ailleurs de mieux en mieux appropriées aux actes commis et à celui qui les a commis.

Notre débat sur le sujet a été vif, ne le cachons pas. Mais, de grâce, na caricaturons pas les peines minimales, hâtivement assimilées à des peines automatiques et systématiques, lesquelles enfreindraient les principes mêmes de notre justice et de notre loi fondamentale. En dépit des résultats positifs des lois de 2005 et de 2006, nous cherchons à répondre toujours plus efficacement aux actes de délinquance, dans le respect de la double exigence constitutionnelle de l’individualisation des peines et de la répression effective des infractions.

Le texte proposé, pesé au trébuchet si je puis me permettre l’expression (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) respecte ces deux exigences. Il accroît la lisibilité, et quand cela est nécessaire, la fermeté de la peine, mais aussi les garanties accordées au justiciable, car les deux doivent impérativement aller de pair. Cela vaut pour le dispositif des peines minimales comme pour l’atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs et l’injonction de soins.

Il nous faut avoir le courage de parler vrai à nos concitoyens et de leur dire que ces propositions ne constituent pas la panacée. Ils confondent souvent, et nous ne pouvons leur en faire grief, réitération, concours d’infractions et récidive légale. Or, ce texte ne traite que de celle-ci, et c’est uniquement dans ce cadre-là que des peines minimales sont appelées à être prononcées. Une gradation a été recherchée dans ces peines, dont je me félicite. Elle est en effet indispensable pour montrer au délinquant qui s’enfonce sur la voie funeste de la récidive qu’à chaque étape, il y aura une réponse pénale, certes équilibrée et respectueuse de ses droits fondamentaux, mais de plus en plus forte. Nous n’avons pas à en rougir face à d’autres législations. Sans même parler de celle en vigueur outre-Atlantique, plus sévère et moins équilibrée, qui comporte des peines automatiques, la législation espagnole prévoit des peines minimales et maximales, étant entendu qu’en cas de récidive, considérée comme une circonstance aggravante, le juge fixe une peine se situant dans la partie haute entre le minimum et le maximum…

M. Bernard Roman - N’est-ce pas ce qui se passe aujourd’hui en France ?

M. le Rapporteur - Avec le dispositif proposé, la peine plancher se situera au tiers environ de la peine encourue hors récidive, soit environ le sixième de la peine encourue en situation de récidive. Et en aucun cas, la peine minimale ne sera automatique. Le juge gardera en toutes circonstances la main : seul lui est imposé de justifier sa décision. Il nous faut avoir ce courage. Il faut de la clarté et de la lisibilité, tant pour le justiciable que pour la victime.

S’agissant de l’excuse de minorité, les dispositions prévues respectent scrupuleusement les principes fondateurs de l’ordonnance de 1945 tout en prenant en compte la réalité de la délinquance des mineurs aujourd’hui, en particulier celle d’un nombre trop important de mineurs de 16 à 18 ans, auxquels il convient d’adresser un message clair, de même qu’à ceux, majeurs, qui se servent d’eux pour mener à bien de funestes desseins dans la mesure où, actuellement, les mineurs agissent en moindre impunité.

Je ne pense pas, et beaucoup avec moi sur ces bancs, qu’il faille d’abord réprimer, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs. Nous souhaitons avant tout éduquer, prévenir…

M. Bernard Roman - Mais il n’y a rien dans le texte en ce sens.

M. le Rapporteur - Pour nous, la sanction doit permettre de comprendre la faute commise. C’est le premier élément de la prévention.

Atténuer l’excuse de minorité pour certains mineurs, seulement dans des circonstances extrêmement graves, c’est aider ces jeunes, par une intervention de la justice la plus éclairée possible, à comprendre quelles sont leurs responsabilités.

La même volonté de prévention prévaut dans les dispositions relatives à l’injonction de soins – auxquelles le Sénat n’a pratiquement apporté aucune modification. À quoi servirait de décider, sous l’avis éclairé d’experts, une injonction de soins si ce n’est pour que celui qui a été condamné et pour que celui qui, dans certaines conditions, aura déjà purgé sa peine, bénéficie des soins qui éviteront qu’il ne récidive ?

Responsabilité, vérité, dignité, tels sont les maîtres-mots de ce texte. Nos concitoyens ont voulu la vérité. Ils veulent que chacun assume sa responsabilité et que la dignité de chacun soit respectée. Dignité bien sûr des victimes dont on ne parle pas assez, et dont il faut garantir qu’elles seront à la fois moins nombreuses et mieux protégées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), mais dignité également du justiciable – la future loi pénitentiaire permettra d’atteindre ce bel équilibre, grâce auquel notre société pourra regarder ses évolutions en face, affronter les crimes et délits de manière unie et responsable.

Notre commission, s’inspirant des remarques positives des sénateurs, a adopté quelques modifications qui ne trahissent en rien ni l’esprit, ni la lettre du texte mais visent à le conforter.

Nous n’en aurons pas fini avec cet immense travail de réforme de la justice. Comme le disait l’un de vos prédécesseurs, c’est sans cesse qu’il faut l’adapter aux évolutions de la société, et de ce qui la trouble. Avec ce projet nous allons dans ce sens, mais dans l’équilibre. La commission des lois lui a donc donné un avis favorable. Nous voulons, au service de la France, faire que la récidive soit mieux prévenue, mieux traitée et mieux punie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

M. le Président de la commission des lois - Madame la ministre, je veux témoigner du soutien clair de la commission des lois à ce projet. Il s’attaque à la récidive. Or, si au cours des cinq dernières années nous sommes parvenus à faire diminuer la délinquance, est apparu un noyau dur de délinquants. Il est donc tout à fait légitime de faire évoluer le droit pour s’y attaquer. De plus, la commission a déjà beaucoup travaillé sur ce problème. Je rends hommage à la mission qu’avait animée Pascal Clément, avec pour rapporteur notre regretté collègue Gérard Léonard. Ils avaient déposé une proposition qui devint la loi du 12 décembre 2005. Nous avons aussi voté en mars dernier la loi relative à la prévention de la délinquance.

Ce projet équilibré répond à trois questions.

D’abord, comment mieux sanctionner les majeurs récidivistes ? Pour cela, vous proposez d’aggraver les peines pour une deuxième récidive, pour les actes les plus violents, les délits dont les auteurs encourent plus de dix ans de détention. La mesure est forte mais équilibrée, car vous respectez le principe d’individualisation des peines et ne cherchez pas à sortir de la tradition juridique française pour instaurer des peines automatiques.

La question suivante est des plus difficiles, c’est celle de la délinquance des mineurs. Que de fois un mineur interpellé s’imagine qu’il ne risque rien ! Vous proposez donc d’atténuer l’excuse de minorité. Oui, un mineur de plus de 16 ans qui est multirécidiviste peut être jugé comme un majeur.

La dernière question est tout aussi difficile : comment protéger le mieux possible nos concitoyens ? Nous avons le devoir d’adapter les lois à mesure que la technique, la médecine et la science progressent. Votre lettre rectificative sur l’injonction de soins est donc très importante. À partir du moment où un expert constate qu’un condamné est accessible à un traitement médical, il est de notre devoir de mettre en place ce traitement pour qu’il y ait le moins de chances possible que le détenu, une fois libéré, récidive. Un débat à ce sujet avait eu lieu en 1998 et déjà nous défendions cette idée.

Nous voterons cette loi. Mais nous serons très attentifs à son application. Nous avons trop souvent l’impression de voter des lois pénales virtuelles, tant il est difficile dans notre pays d’exécuter les décisions de justice. Beaucoup de sanctions y perdent leur sens. Ainsi, des personnes condamnées avec sursis et mise à l’épreuve considèrent qu’elles n’ont « rien eu », tant les délais de prise en charge de ces sanctions sont longs. Actuellement, des centaines de milliers de jugement sont en attente. Comment admettre qu’une victime rencontre au pied de son immeuble celui qui l’a agressée, qui a été condamné, mais dont le jugement n’est pas appliqué ? En ce domaine, nous avons tous une obligation de résultat. Demain matin, la commission des lois va créer, pour la durée de la législature, une mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pour les mineurs et les majeurs. Nous relaierons vos efforts pour faire un état précis de la situation.

Nous devons, au cours de cette législature, parvenir à faire exécuter les décisions de justice. À ce propos, je rends hommage à la décision du Président de la République de ne pas accorder de grâce collective, comme c’était le cas depuis 1980, ce qui aboutissait à accorder des remises de peine à des détenus au seul motif qu’ils se trouvaient en prison le jour du 14 juillet. Nous devons affirmer une autre logique, celle de l’exécution de toutes les décisions de justice avec tous les aménagements nécessaires pour développer les peines alternatives, la semi-liberté, la surveillance électronique.

Ce projet est une première étape dans ce travail destiné à améliorer la sécurité de nos concitoyens. Nous le voterons avec détermination, et nous souhaitons continuer à agir ensemble, durant toute la législature, pour appliquer réellement les lois que nous votons, et pour restaurer l’autorité de l’État et la force de la justice rendue au nom du peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe Nouveau centre)

EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Manuel Valls - En défendant cette motion, notre groupe veut autant souligner l'inefficacité du projet que les motifs d'inconstitutionnalité. Ces derniers sont réels. Mais surtout, ce texte souffre de la totale inadaptation des moyens.

Le fléau qu'il prétend combattre a pris des proportions très inquiétantes. Selon les statistiques de la Chancellerie, les condamnations en récidive pour les crimes et délits ont augmenté de près de 70 % entre 2000 et 2005 et sont passées de 20 000 à 33 700. Plus préoccupant encore, le nombre de récidivistes condamnés pour des délits violents a augmenté de 145 % en cinq ans et en 2006, 46 % des personnes mises en cause pour vols avec violence avaient moins de 18 ans.

Ces réalités, chacun de nous les vit sur le terrain. À Évry comme ailleurs, des bandes d'une dizaine de voyous peuvent pourrir la vie de tout un quartier et, par leurs actes répétés, miner la confiance des habitants en la puissance publique et propager un insidieux sentiment d'abandon. Aucun d'entre nous, ici, n'entend donc nier ou minorer la gravité de ces évidences.

M. Jacques-Alain Bénisti - Enfin !

M. Manuel Valls - Si la récidive progresse, c’est que la délinquance a changé de nature. Selon le chercheur Hugues Lagrange, depuis une vingtaine d’années dans l’ensemble des démocraties occidentales s’affirme une délinquance plus violente, plus jeune et plus étroitement liée aux trafics de drogue, car à une délinquance d'opportunité caractéristique des sociétés prospères a succédé une délinquance d'exclusion.

Mais cette « lame de fond » ne dédouane pas les politiques de leur responsabilité. Si la violence et la récidive progressent, c’est aussi que vous êtes incapables de les maîtriser.

Entre 2002 et 2007, sept lois ont durci la répression pénale. Et si la délinquance générale a diminué, sur la même période, les violences faites aux personnes ont augmenté de 27 %. En dépit de cet évident revers, à peine élus, nous sommes invités à débattre d'un huitième replâtrage de l'arsenal juridique et d'une cinquième modification de l'ordonnance de 1945 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

L'existence même de ce nouveau projet de loi souligne l'échec des précédents. Et le choix du « tout répressif » le condamne à la même faillite. Une telle inflation législative prouve, selon le criminologue Denis Salas, que « la loi pénale est devenue un instrument de régulation des peurs collectives et non une codification réfléchie des sanctions ».

M. Arnaud Montebourg - Bien parlé.

M. Manuel Valls - Elle est le symptôme d'une fuite en avant.

Nous espérons que la discussion sera l'occasion de réfléchir ensemble, avec pragmatisme et sans tabou, aux moyens de lutter contre l'endurcissement des récidivistes. Lors de la précédente législature, sur tous les bancs de cet hémicycle, il s'est trouvé des députés pour contester la pertinence des peines plancher. L'actuel président de la commission des lois, déclarait en décembre 2004 qu'instaurer les peines plancher…

M. le Président de la commission - Automatiques !

M. Manuel Valls - …reviendrait à bouleverser la philosophie du droit français. Et, ajoutait-il, « nous ne le souhaitons à aucun prix ». Nous en appelons donc à l'honnêteté intellectuelle de chacun pour reconnaître que le présent projet relève, en grande partie, de l’affichage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

En effet, les conditions critiquables de rédaction du projet ont rejailli sur son contenu. D’une constitutionnalité fort douteuse, les dispositions qu’il comporte seront au mieux insuffisantes, au pire dangereuses. La hâte avec laquelle le Gouvernement l’a rédigé suscite des interrogations : s’il est légitime de vouloir honorer des promesses électorales, pourquoi le faire en un mois alors qu’elles mettent en jeu la liberté d’individus pour des années ? En outre, n’oublions pas que la dernière loi pénale date du 5 mars 2007 et que plusieurs de ses décrets d’application n’ont toujours pas été publiés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Arnaud Montebourg - C’est incroyable !

M. Manuel Valls - La copie a été à ce point bâclée qu’il a fallu lui ajouter, par lettre rectificative, une série de dispositions relatives à l’injonction de soins. Interrogé par le Figaro, le premier ministre a invoqué à l’appui de cette correction « la multiplication d'affaires dramatiques, [qui] nous pousse à agir plus vite ». Plus vite, toujours plus vite : la hâte devient compulsive en matière pénale.

Ne nous étonnons donc pas que policiers, avocats et magistrats de tous bords s’accordent pour désapprouver le projet. Tous déplorent qu’on ne les ait pas écoutés. Mais la qualité d'un texte n’est-elle pas mieux assurée si l'on prend le temps de consulter celles et ceux qui seront chargés de l'appliquer ?

Il est tout aussi regrettable, et plus étonnant encore, que la Commission d'analyse et de suivi de la récidive – mise en place par la majorité lors de la précédente législature – n'ait pas été associée à la rédaction du projet. En décembre 2005, le garde des sceaux la présentait pourtant comme la réunion des meilleurs spécialistes en la matière. Hélas, son rapport n'a pu être transmis à la Chancellerie qu'après la présentation du projet de loi aux médias. Comme le déclarait, avec une amertume compréhensible, Jacques-Henri Robert, président de cette commission, ce rapport « a été élaboré par des gens qui ont les mains dans le cambouis et dont les réactions n'étaient pas aussi vives et instinctives que celles que commande le bon sens ».

Le présent projet de loi comporte en outre plusieurs dispositions propres à encourir la sanction du Conseil constitutionnel – moins nombreuses, certes, que certains ne l’affirment : avant de le présenter en Conseil des ministres, la Chancellerie a habilement pris soin d'éviter les motifs d'inconstitutionnalité les plus criants. Ainsi, si l’esprit de l’article 3 revient à remettre en cause la spécificité de la justice des mineurs, la lettre en est suffisamment prudente pour paraître la respecter. Ces précautions juridiques, qui suffiront sans doute au juge constitutionnel, n'ont nullement convaincu Dominique Versini, défenseure des enfants, qui s’inquiétait le 27 juin dernier du fait que le « projet de loi renforce la répression de la récidive pour les mineurs, par parallélisme avec le droit des majeurs, sans réellement tenir compte de la spécificité de la justice des mineurs ». Nous partageons cette inquiétude et nous défendrons donc un amendement de suppression de cet article. Lors de l'examen du texte au Sénat, plusieurs amendements allant dans le même sens ont du reste déjà été adoptés.

Le groupe socialiste espère de même que les députés auront la sagesse de rejeter l'amendement de suppression de l'article 2 bis adopté par la commission des lois, car l'absence d'enquête sociale rendrait purement virtuelle la capacité laissée aux magistrats de déroger à la peine minimale en cas de nouvelle récidive, portant ainsi gravement atteinte au principe de l'individualisation des peines. L’on ne saurait ajouter foi à l’affirmation de la Chancellerie selon laquelle la personnalité serait en quelque sorte intégrée à la répétition de l'infraction elle-même. Le rapport du sénateur Zocchetto précise au demeurant que le juge ne dispose pas toujours des éléments d'information nécessaires sur la personnalité du prévenu.

Le principe de l'individualisation des peines est également gravement remis en cause par les conditions très restrictives auxquelles les articles 1er et 2 soumettent la possibilité de déroger aux peines plancher en cas de deuxième récidive. De l'avis unanime des magistrats, les « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » seront ainsi impossibles à réunir s'agissant de délinquants multirécidivistes. Le rapport de la Commission d'analyse et de suivi de la récidive confirme que ces conditions restreindront considérablement la liberté d'appréciation du juge. Les dispositions contenues dans ces articles reviennent donc à instaurer des peines automatiques, fatales à l'individualisation des peines, et contre lesquelles s’étaient élevés en leur temps MM. Guy Geoffroy et Pascal Clément, s’opposant ainsi aux propositions de M. Christian Estrosi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Le projet de loi méconnaît un second principe constitutionnel : celui de la proportionnalité des peines, affirmé dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le niveau trop élevé des peines plancher prévues à l'article 2 pourrait, en effet, aboutir à des condamnations incohérentes. Ainsi, selon Philippe Chaillou, président de la chambre de la cour d'appel de Paris, le système de sanctions retenu pourrait conduire les juges à réprimer beaucoup plus sévèrement un vol commis en troisième infraction qu'un meurtre commis en première infraction !

Ces motifs d'inconstitutionnalité justifient, à eux seuls, le rejet du texte ; mais d’autres défauts, tout aussi graves, en altèrent l’efficacité.

À en croire la Chancellerie, l'instauration de peines plancher dissuaderait les récidivistes de commettre de nouvelles infractions en rendant certaine leur punition. À l'occasion du débat au Sénat, vous avez vous-même expliqué, Madame la Garde des Sceaux, que « les peines minimales sont indispensables pour que le travail de prévention puisse s'appuyer sur la menace d'une sanction claire et précise ». C’est là tout l’enjeu de notre débat, qui n’oppose pas laxistes et répressifs, « anti » et « pro » carcéral : tous ceux qui se préoccupent d’abord d’efficacité savent qu'il faut à la fois prévenir et punir, comprendre et rappeler la règle, et que, dans de nombreux cas, la prison est effectivement la seule bonne solution. Je partage ainsi le constat de Didier Peyrat, vice procureur de la République au TGI de Pontoise : certains faits particulièrement graves justifient la prison même lorsque leurs auteurs sont mineurs. Mais magistrats, éducateurs, avocats – saluons la présence de M. le bâtonnier Frank Natali, que vous connaissez bien, Madame la Ministre –, psychologues ou criminologues s’accordent pour affirmer que les peines plancher n'auront aucun effet positif en matière de récidive. Ainsi, dans une tribune publiée par le Figaro, Jean-Yves Le Borgne, président de l'Association des avocats pénalistes, rappelle-t-il qu’« il n'y a guère que l'honnête homme dont la vertu soit raffermie par la peur de la sanction. Le délinquant, surtout le délinquant d'habitude, parie toujours sur la chance et l'impunité ».

M. Arnaud Montebourg - Très juste !

M. Manuel Valls - Cela vaut encore davantage pour les mineurs, sur lesquels, affirme l'Union syndicale des magistrats, « l'effet dissuasif des peines plancher est nul. Les mineurs condamnés ne sont pas réellement conscients de la peine qu'ils encourent lorsqu’ils commettent des faits délictueux : pris dans l'immédiateté de l'acte, ils sont incapables de se projeter dans l’avenir et de se représenter la peine qui pourrait être prononcée contre eux des mois, voire des années plus tard ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

À l’appui de ces affirmations, le rapport rédigé par le sénateur Zocchetto précise que, « selon les observations de M. Alain Bauer, président de l'Observatoire national de la délinquance (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) le système américain, défini par une répression rigoureuse et un taux important d'incarcération, n’en connaît pas moins un niveau de criminalité et de délinquance très supérieur à la moyenne européenne » : « il n'existe pas de lien évident entre le quantum de peine prononcé et le risque de commission d'une nouvelle infraction ».

Devant un tel faisceau de preuves, mes chers collègues, il faut porter un grand respect à l'autorité présidentielle pour voter en 2007 des mesures que l'honnêteté de tous avait conduit à rejeter en 2005 ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Le second défaut de ce projet, qui en mine encore davantage l’efficacité, est l’absence de prise en compte de la réitération, qui constitue pourtant l'essentiel de la délinquance des mineurs – parmi lesquels le taux de récidive légale est en effet inférieur à 0,6 % alors que le taux de réitération dépasse 55 %.

Pour Bruno Beschizza, secrétaire général du syndicat de police Synergie, il s’agit d’une « escroquerie » : « on cherche à faire croire au téléspectateur du 20 heures que cette loi va régler tous les problèmes de récidive, alors qu’elle ne changera rien pour la mamie qui en a assez du gamin de 15 ans qui zone au pied de son immeuble, l'enquiquine le soir, et lui volera peut-être demain son sac à main ». Si les solutions qu’envisage M. Beschizza pour résoudre le problème ne suscitent pas l’assentiment de tous, son constat n’en est pas moins tout à fait juste. Faute d'aménager la moindre sanction – de nature éducative, cela va sans dire – à l'égard des réitérants, l'application du projet de loi risque de provoquer de vives déceptions au sein de l'opinion publique.

Mais l’inutilité du projet ne signifie pas qu'il demeurera sans conséquences ; nous craignons au contraire de voir se mettre en place une machine infernale dont les effets pervers pourraient s’avérer dangereusement contre-productifs.

De nombreux articles de presse ont récemment alerté l’opinion publique sur la surpopulation dramatique des prisons françaises : alors que le parc pénitentiaire compte à peine plus de 50 000 places, le nombre de personnes mises sous écrou dépasse 63 000. Après avoir augmenté de 20 % au cours des cinq dernières années, la population carcérale atteint des seuils jamais égalés depuis 1945. Dans certaines maisons d'arrêt – que vous avez visitées, Madame la ministre –, le taux d'occupation dépasse désormais les 200 % ! Or le projet de loi dont nous débattons risque d'aggraver sensiblement le problème. Selon les estimations de Pierre-Victor Tournier, chercheur au CNRS, l'application des peines plancher devrait conduire, dès la première année, 10 000 personnes de plus en prison !

M. le Rapporteur - Il existe d’autres hypothèses.

M. Manuel Valls - Je sais, Madame la Ministre, que vous contestez – pour des motifs qui restent à démontrer – l'exactitude de ces chiffres. Permettez-moi donc de faire référence aux évaluations de l'administration pénitentiaire elle-même. Selon des informations divulguées par Le Monde, celle-ci considère que le nombre de détenus devrait atteindre 67 000 dès le printemps 2008 et 80 000 à l'horizon 2017.

Pour parer au risque d'explosion carcérale, vous avez chargé, le 11 juillet dernier, un comité d'orientation de préparer une grande loi pénitentiaire.

Plusieurs députés SRC - Avec quels moyens ?

M. Manuel Valls - Les députés attendent tous cette loi avec impatience. Et c’est par elle qu’il aurait fallu entamer le chantier législatif, en vous inspirant notamment de la proposition de loi du 25 juin 2003 rédigée notamment par Marylise Lebranchu. (Approbation sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Le second effet pervers du texte, qui découle mécaniquement de la surpopulation carcérale, tient au caractère criminogène de l'incarcération. La prison peut générer la récidive – vous l’avez vous-même reconnu, Madame la Garde des Sceaux, lors de l’examen du texte au Sénat ; sans doute y reviendrez-vous devant notre Assemblée. Loin de sortir de prison édifiée, une forte proportion de condamnés n’en est qu’endurcie, davantage enracinée dans la délinquance. Le taux de récidivistes chez les mineurs incarcérés atteint ainsi les 70 %. Loin d'améliorer la lutte contre la récidive, le projet de loi provoquera une multiplication des infractions.

De notre côté, nous vous proposons des solutions originales et équilibrées propres à la fois à mieux prévenir et à mieux punir. La première des priorités – toujours invoquée, jamais honorée – est d'accorder à la justice les crédits nécessaires à son bon fonctionnement. Comme l'explique Bruno Thouzellier, président de l'Union syndicale des magistrats, « plus que des lois, il faut des moyens permettant de répondre avec rapidité à tous les faits élucidés ».

En premier lieu, il est indispensable de raccourcir les délais de jugement en augmentant les moyens mis au service des greffes et des magistrats. Selon les chiffres de la Chancellerie, pour l'année 2006, il s'est écoulé en moyenne 11 mois entre la commission d'un délit et le jugement en première instance.

La mission parlementaire d'information sur la récidive soulignait pourtant dès 2004 qu’il était préférable de prononcer des sanctions immédiatement plutôt que de recourir ultérieurement à des peines alourdies .

Ensuite, il est essentiel de garantir une exécution rapide et effective des peines. Or actuellement, 32 % des condamnations ne font l'objet d'aucune application !

Enfin, il est urgent d’affecter davantage de moyens à la réinsertion sociale et professionnelle. Laissant à Serge Blisko le soin d'expliquer pourquoi les dispositions relatives à l'injonction de soins ne satisfont pas cette exigence, je rappellerai seulement que l'administration pénitentiaire consacre moins de 10 % de son budget aux actions de réinsertion. À supposer que la prochaine loi pénitentiaire prévoie bien des dispositions à ce sujet, les marges financières, comme Arnaud Montebourg le démontrera, seront absorbées par l'aggravation de la surpopulation carcérale.

M. Hervé de Charette – Qu’avait fait votre majorité dans ce domaine ?

M. Manuel Valls - Si l'augmentation des moyens de la justice est la condition préalable de toute lutte efficace contre la récidive, elle n’en constitue pas le seul vecteur.

Tout d’abord, il est important de relancer les condamnations à des travaux d'intérêt général, en particulier pour les mineurs. Leur nombre est passé de 24 000 en 1997 à 18 000 en 2004 ; il convient d'inverser cette tendance, en sollicitant davantage les collectivités locales.

Pour les mineurs les plus endurcis, l'expérience des centres éducatifs fermés – CEF – doit être développée. À l'occasion d'une récente visite au CEF de Savigny-sur-Orge – le seul de la région Île-de-France, j'ai pu vérifier la qualité des équipes de la protection judiciaire de la jeunesse – PJJ – et la valeur des projets qu'elles conduisent. Les statistiques prouvent que les mineurs issus des CEF récidivent beaucoup moins que ceux qui sortent de prison : la diminution du taux de récidive varie entre 50 % et 70 %. C’est dire combien il est regrettable que seuls 29 CEF soient aujourd'hui ouverts sur les 47 programmés en septembre 2002. Il faudra avoir le courage d’affirmer que le coût considérable de ces structures est pleinement justifié par leur efficacité.

M. le Président de la commission - Vous les avez combattues quand nous les avons créées…

M. Manuel Valls - Pour les délinquants condamnés à moins d'un an de prison ferme, nous réfléchissons à une généralisation de l’aménagement de la peine – dont en 2006 seulement 10 % des courtes peines ont fait l'objet : il faut développer le recours à la semi-liberté, au placement à l'extérieur ou au placement sous surveillance électronique ; nous pourrions ainsi éviter l'effet déstructurant de la prison pour les petits délinquants, purger le problème de la surpopulation carcérale et consacrer les marges financières nouvelles aux actions de réinsertion. Mais la volonté affichée par la Chancellerie dans ce domaine risque de se heurter au problème récurrent des moyens.

Enfin, nous vous proposons d’agir dans un domaine totalement ignoré par ce projet, le traitement des primo-délinquants. Avant de punir la récidive, il faut en effet se demander comment on peut l’éviter.

M. Bernard Roman - Tout à fait !

M. Manuel Valls - Il est donc nécessaire de recourir davantage à la procédure des contrôles judiciaires socio-éducatifs : on en dénombre seulement 10 000 par an.

Le traitement de la primo-délinquance s'impose tout particulièrement pour les mineurs les plus jeunes : entre 10 et 13 ans, la prison ne signifie rien ; il faut une palette de solutions pour apporter une réponse graduée. C'est par du « sur-mesure » et non par des « peines plancher » que nous écarterons ces jeunes des chemins de la délinquance ; Julien Dray, Delphine Batho et Dominique Raimbourg ont préparé des amendements à ce sujet, et j'espère que nous pourrons en débattre dans un esprit d'ouverture.

Madame la Garde des Sceaux, chacun ici sait que votre tâche est difficile. À la tête d'un ministère exposé sur le plan médiatique, vous avez la charge d'une institution qui est au cœur du pacte républicain et qui fait l’objet de débats passionnés. Je veux vous dire notre respect pour votre personne et pour le symbole que vous représentez, qui honore la République. Vous nous trouverez à vos côtés face à des attaques déplacées. Mais ce respect nous oblige aussi à la franchise, et c'est pourquoi le groupe socialiste tient à vous dire que votre projet sera au mieux inefficace, au pire dangereux.

Dans une récente tribune publiée dans Libération, vous avez déclaré qu’il fallait en finir avec les attitudes outrées et rechercher un équilibre entre éducation et sanction. Si votre projet avait atteint cet objectif, soyez certaine que nous aurions su le reconnaître ; malheureusement, ses dispositions conservent le simplisme des slogans entendus pendant la campagne électorale et traduisent une approche dogmatique de la délinquance.

Comme en outre il menace certains principes constitutionnels, j’appelle mes collègues à voter l'exception d'irrecevabilité. Mais le groupe socialiste entend bien profiter de ce débat pour aller au-delà d'une simple opposition au Gouvernement et défendre ses propres solutions ; en effet l'efficacité n'est pas seulement la condition de notre crédibilité, elle est également le sens de notre engagement. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. le Rapporteur – D’autres que moi feront sans doute observer que cette motion s’appuie sur bien peu d’arguments d’ordre constitutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Concernant l’effet des peines plancher sur la population carcérale, il faut avoir l’honnêteté de citer les gens jusqu’au bout. M. Tournier, directeur de recherche au CNRS, s’est montré très surpris qu’un seul des scenarii qu’il avait présentés ait été retenu. Son travail scientifique l’avait en effet conduit à présenter trois hypothèses, entre lesquelles il ne se sentait pas capable de choisir : un scenario déflationniste – traduisant un effet dissuasif de la loi –, le statu quo – au cas où les juges utiliseraient toutes les facultés de dérogation aux peines minimales –, enfin – mais ce n’est que la troisième hypothèse –, un scenario inflationniste, par application trop systématique des peines minimales. Aucune de ces hypothèses ne peut être privilégiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg - Évaluez les précédentes lois, avant d’en adopter une !

M. le Rapporteur - Par ailleurs, en juillet 2002, lorsque nous avons décidé la création de centres éducatifs fermés, j’avais fait observer qu’ils figuraient tant dans le programme de M. Jospin que dans celui de M. Chirac. M. Vallini m’avait expliqué que ce n’était pas la même chose, et donc qu’il ne fallait pas accepter ceux de M. Chirac… (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Et l’an passé, M. Vallini, comme vient de le faire M. Valls, a reconnu que nous avions eu raison de créer ces centres. De la même façon, nous avons raison d’instaurer aujourd’hui les peines minimales, et j’espère que vous n’attendrez pas cinq ans pour le reconnaître ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg - Sophisme !

Mme la Garde des Sceaux - Faute d’argumentation sur l’inconstitutionnalité de ce texte, je me contenterai de répondre à l’issue de la discussion générale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité.

M. Dominique Raimbourg - Nous voterons cette motion d’irrecevabilité pour plusieurs raisons.

Le Conseil constitutionnel a affirmé dans une décision de 2005 que l’individualisation des peines était un principe constitutionnel. Or ce texte y porte atteinte, puisqu’il fait de la peine plancher la règle, à laquelle on ne peut déroger que par exception.C’est donc une atteinte à ce principe d’individualisation.

L’article 2 va encore plus loin, en disposant qu’en cas de nouvelle récidive, le tribunal ne peut prononcer qu’une peine d’emprisonnement. Il est possible, par dérogation, de prononcer une peine inférieure au minimum prévu, mais une dérogation à l’emprisonnement ferme semble exclue. C’est une nouvelle atteinte, plus grave encore, au même principe.

Par ailleurs, la spécificité de la justice des mineurs, principe constitutionnel depuis 2002, est également méconnue, puisqu’en en cas de récidive, le régime des mineurs est automatiquement assimilé à celui des majeurs.

Il y a donc là deux motifs d’inconstitutionnalité. Ce texte est en outre aveugle à toute distinction alors que la récidive est un phénomène complexe : récidive criminelle, récidive correctionnelle, récidive contraventionnelle… Le rapport de la commission montre par ailleurs que la récidive concerne surtout le vol et la conduite en état d’ivresse, donc des comportements particuliers, qui appelaient une réflexion et des traitements particuliers. On ne connaît pas non plus l’impact des mesures proposées.

Enfin, le Gouvernement est resté sourd à toutes les critiques formulées contre les peines plancher, aussi bien par la Commission sur la récidive, qui les avait écartées, que par la Commission d’analyse et de suivi de la récidive, et il a ignoré les avis plus que mitigés des organisations professionnelles. D’où ce texte idéologique, hâtif, qui va susciter des espoirs qu’il ne pourra satisfaire. C’est pourquoi nous appelons à voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Michel Vaxès - Le 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a rappelé que les principes de « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge » et de « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées prononcées par une juridiction spécialisée », étaient constamment reconnus par les lois de la République depuis le début du XXe siècle. Dès lors, je crois que les articles 1er, 2 et 3 du présent projet ne respectent pas les lois de la République !

Ce statut spécifique de la justice des mineurs tient à un constat simple, qui est que l’adolescent, même au-delà de seize ans, est un individu en construction, dont la personnalité est en cours de formation. C’est une évidence ; et un nombre toujours plus grand de pays européens maintiennent même un régime pénal plus protecteur au-delà de la majorité légale, suivant en cela la recommandation du Conseil de l’Europe qui, en 2003, a invité à adapter les procédures à l’allongement de la période de transition vers l’âge adulte. Vous allez à contre-courant de ce mouvement : alors que le moment de l’autonomie personnelle intervient de plus en plus tard, du fait de la crise dans laquelle votre logique enfonce notre pays, vous appliquez la majorité pénale aux mineurs délinquants.

Il est d’autres textes internationaux avec lesquels votre projet est en contradiction : par exemple la Convention internationale des droits de l’enfant, qui dispose, en son article 40, que les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou reconnu coupable d’infraction pénale le droit à un traitement qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société, et qu’à cette fin ils favorisent l’adoption de lois et de mesures spécialement conçues pour ces enfants.

Je vous invite par conséquent à voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Georges Fenech - Après avoir écouté M. Valls avec beaucoup d’attention, je ne peux manquer de relever les confusions qu’il commet. Il est vrai que notre collègue a occupé des fonctions de conseiller auprès d’un Premier ministre qui avait fait l’aveu de son angélisme par rapport à la délinquance. On en revient toujours au même point ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

J’avais cru pourtant déceler une évolution, lorsque vous disiez qu’il ne fallait pas opposer prévention et répression, Monsieur Valls. C’est ce que nous disons, nous, depuis longtemps.

M. Julien Dray - Zéro prévention pendant cinq ans !

M. Georges Fenech - En ce qui concerne le problème d’inconstitutionnalité qui a été soulevé, je crois que vous confondez peine minimale et peine automatique. Vous avez reproché au président de la commission et au rapporteur d’avoir, sous la précédente législature, repoussé une proposition de loi du même type. Ce n’est pas exact, car le texte en question contenait un germe d’inconstitutionnalité du fait de l’automaticité prévue. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Le présent projet en revient au code pénal en vigueur avant 1994, dans lequel des peines minimales existaient bel et bien, avec la possibilité de circonstances atténuantes. Le projet conserve le principe d’individualisation de la peine, car nous faisons confiance aux juges, qui sauront motiver les circonstances justifiant de prononcer des sanctions inférieures aux peines plancher. Il n’y a aucune inconstitutionnalité. Tel que vous l’avez présenté, le débat est tronqué et caricaturé. Le groupe UMP s’opposera à cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Michel Hunault - Madame la Garde des Sceaux, je voudrais, au nom du Nouveau Centre, vous apporter notre soutien sur ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Valls a terminé sa plaidoirie en disant qu’il fallait davantage de moyens pour la justice. Pourquoi donc nos collègues socialistes ont-ils refusé, pendant cinq ans, de voter le budget de ce ministère ? (Même mouvement)

Plusieurs députés SRC - Parce que ce n’était pas assez !

M. Michel Hunault - Vous avez refusé d’augmenter les crédits. Je croyais pourtant que, sur des sujets comme la lutte contre la délinquance, il pouvait y avoir consensus.

Je rejoins les propos de M. Fenech. En quoi, chers collègues, avez-vous démontré que ce texte mettait à mal l’individualisation de la peine et le pouvoir d’appréciation des juges ? Vous affirmez sans prouver. Au contraire, nous pensons que ce projet est équilibré et qu’il préserve les principes dont le législateur doit se faire le défenseur vigilant.

Vous avez évoqué dans votre exception d’irrecevabilité la situation préoccupante des prisons françaises. Au lieu de combattre la Garde des Sceaux, nous devons lui apporter notre aide sur deux projets de loi en cours : celui qui institue un contrôleur général des prisons et le projet de loi pénitentiaire. Depuis des années, les uns et les autres, nous dénonçons la situation de nos prisons ; je crois donc que nous devrions nous rassembler autour de la Garde des Sceaux pour apporter des réponses.

Nous ne voterons pas cette exception d’irrecevabilité. Tout au long de la discussion, nous aurons l’occasion d’enrichir ce texte, qui avait été annoncé par le Président de la République lors de la campagne et qui est attendu. Il faudrait que l’opposition s’habitue à ce que nous tenions nos engagements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

L'exception d’irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J’ai reçu de M. Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une question préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Michel Vaxès - Convoqués en session extraordinaire, nous abordons donc au cœur du mois de juillet et en urgence, Madame la Garde des Sceaux, votre premier projet de loi. Les projets de réforme intéressant votre ministère et méritant d’être examinés rapidement sont nombreux. Je pense par exemple à la grande loi pénitentiaire que vous nous promettez pour l’automne – mais si elle s’inspire de la même logique que ce texte, je crains le pire ! Je pense aussi à la nécessité de réformer de fond en comble notre système d’aide judiciaire, ou de simplifier notre droit pénal et notre procédure pénale. Je pense, enfin, à notre institution judiciaire qui ne parvient toujours pas à faire appliquer ses décisions dans des délais raisonnables. Je m’étonne donc que le texte le plus urgent à vos yeux puisse concerner un sujet maintes fois abordé sous la précédente législature. Pas moins de quatre textes sur la récidive ont en effet été adoptés par votre majorité d’hier : les lois Perben I en 2002 et Perben II en 2004, la loi Clément sur le traitement de la récidive des infractions pénales en 2005 et, cette année, la loi sur la prévention de la délinquance présentée par le ministre de l’intérieur, aujourd’hui président de la République.

Aucun élément nouveau ne justifie qu’on légifère à nouveau sur cette question. Dix-huit mois seulement ont passé depuis la dernière loi qui lui a été consacrée, et les décrets d'application de la loi sur la prévention de la délinquance ne sont pas encore tous publiés. Rien ne nous permet donc de dire si ces textes ont ou non fait la preuve de leur efficacité. Les conclusions de la Commission d'analyse et de suivi de la récidive, qui devaient être connues le 15 janvier 2006, ne l'ont été que très partiellement la semaine dernière, malgré l’engagement que vous aviez pris devant la commission des lois, Madame la ministre. Ce rapport reste sous embargo : vous ne rendez public que le « recueil des préconisations essentielles », soit quatre pages sur une centaine. Mais peut-être, en insistant, la nouvelle informatique me livrera-t-elle le reste…

Le temps nécessaire à l'évaluation des lois précédentes n'ayant pas été pris, ce n’est donc pas leur bilan qui motive le dépôt d'un nouveau texte ayant notamment pour objet d’instaurer des peines plancher. Si l'on en croit la presse, manifestement mieux informée que la représentation nationale, la Commission d'analyse et de suivi de la récidive se montrerait d’ailleurs très critique à l'égard de ce projet. Par parenthèse, n’est-il pas paradoxal que les parlementaires soient informés par un journal du soir de la teneur d'un avis qui devrait les éclairer sur l'opportunité de ce texte ?

Selon cette commission, ce projet aura « nécessairement comme conséquence l'augmentation de la population carcérale des majeurs et des mineurs ». La commission rappelle par ailleurs que « les peines minimales ont existé, mais qu'elles ont été abandonnées sous la pression de la pratique ».

Les peines plancher, refusées par nombre de représentants de votre majorité, se justifieraient-elles alors au regard des exemples étrangers ? Contrairement aux pays de tradition romano-germanique, les pays anglo-saxons connaissent des peines minimales obligatoires dans des cas strictement limités. Les chiffres de la délinquance et de la récidive en Angleterre et aux États-Unis devraient nous dissuader de les imiter. La Commission d'analyse et de suivi de la récidive constate d’ailleurs, toujours d’après Le Monde, qu'il « n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu, c'est-à-dire la diminution de la récidive » aux États-Unis et au Canada. Plusieurs études enregistreraient même une augmentation, en particulier chez les mineurs auteurs de violences graves.

En 1997, les autorités du Territoire du Nord de l'Australie avaient institué des peines minimales obligatoires. Elles les ont abrogées dès 2001, à la suite de plusieurs suicides en détention. En 2003, un rapport a conclu que ces mesures avaient notamment abouti à une augmentation de la population carcérale sans pour autant représenter un moyen efficace de dissuasion.

Enfin, des membres éminents de votre majorité se sont montrés hostiles aux peines plancher. M. Warsmann, président de notre commission, déclarait ainsi le 14 décembre 2004 devant cet hémicycle : « Un débat très fort s'est déroulé en commission sur le bien-fondé des peines plancher automatiques que certains de nos collègues souhaiteraient voir instaurer. Le débat a été tranché par les deux tiers des membres de la commission. Un tel dispositif est totalement étranger à la culture juridique française – je tiens à le rappeler. Il s'inspire d'une tradition américaine que, pour ma part, je ne souhaite pas voir adopter par mon pays. Une politique pénale efficace ne consiste pas à multiplier par sept le nombre de détenus, mais à garantir l'exécution de la peine et à assurer le suivi de ceux qui sortent de prison.

La question qu'il convient de poser clairement devant nos concitoyens est la suivante : comment mieux lutter contre la récidive d'une personne condamnée à huit mois de prison ? Pensez-vous que ce soit en instillant l'idée que le délinquant aurait dû être condamné non pas à huit, mais à neuf ou dix mois de prison ? Que gagnerait-on à augmenter d'un ou deux mois sa peine, à accroître dans les mêmes proportions pour les finances publiques le coût de son incarcération ? Un détenu coûtant 60 euros par jour, une augmentation de peine de deux mois conduirait à un surcoût de 3 600 euros, sans effet sur la lutte contre la récidive. Qu'il sorte au mois de mars ou au mois de mai, l'important est que le condamné soit suivi, c'est-à-dire suffisamment accompagné ou contrôlé, afin que les risques de récidive diminuent. » Je partage cette appréciation. (M. le rapporteur proteste) Relisez donc la citation de votre collègue, Monsieur le rapporteur !

La mission d'information de juillet 2004 sur le traitement de la récidive des infractions pénales, présidée par l'ancien garde des sceaux, M. Pascal Clément, insistait elle aussi sur la nécessité de « prévenir les effets désocialisants de la prison favorables à la récidive ». Que s'est-il donc passé en à peine trois ans pour que les deux tiers d'entre vous changent d'avis ?

Je crois plutôt que vous n'avez pas changé d'avis, mais affichage présidentiel oblige, vous voilà bien malgré vous contraints de vous déjuger ! Ne me répondez pas que le peuple a tranché : le peuple attend, c'est vrai, de vivre en sécurité, mais ce texte conduira exactement au contraire, et le bras de fer que vous poursuivez avec une jeunesse déboussolée et laissée pour compte – ce qui ne justifie bien sûr ni les comportements déviants ni la violence – débouchera, hélas, sur plus de violence et d'insécurité. La privation de liberté et l'enfermement sont certes nécessaires dans certains cas, mais ne perdons pas de vue que ce ne sera jamais l'essentiel, sauf à choisir la facilité. Non, la faiblesse et le laxisme ne sont pas de notre côté, mais du vôtre ! Car dans ce texte « renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs », il n'est question que d'emprisonnement. Pas un mot sur les peines alternatives, les aménagements de peine, les mesures d'accompagnement à la réinsertion, ou le relèvement éducatif des jeunes. Les experts et les auteurs de rapports sont pourtant d'accord pour dire que ce sont là les véritables mesures pour lutter contre la récidive.

Pourquoi donc persister à ne combattre que les effets, sans jamais vous préoccuper des causes de l'évolution de la délinquance dans notre pays ? Pourquoi instaurer des peines minimales de privation de liberté en cas de récidive ? Les juges seraient-ils particulièrement indulgents avec les récidivistes ? Les statistiques du ministère prouvent le contraire.

M. le Rapporteur - Pas pour les délits.

M. Michel Vaxès - En 2004, l'emprisonnement ferme a été prononcé contre 57 % des récidivistes, et contre seulement 11 % des autres délinquants. Il est vrai qu'en matière délictuelle, les magistrats prononcent des peines moins lourdes que les peines plancher prévues par le texte. Celui-ci aura donc pour premier effet d'accroître la population carcérale.

Je sais que vous contestez les chiffres avancés par Pierre Tournier, directeur de recherche au CNRS, lorsqu’il annonce que votre texte conduira 10 000 personnes de plus dans nos prisons déjà surpeuplées…

M. le Rapporteur – Ce que nous contestons, ce sont les approches partielles… et partiales !

M. Michel Vaxès – Nous attendons toujours l’étude d’impact qui pourrait infirmer cette thèse. Au reste, quel que soit le chiffre auquel nous aboutirons demain, la France compte déjà aujourd’hui 12 000 détenus de plus qu’il n’y a de places disponibles.

La semaine dernière, lors de votre audition en commission, vous avez défendu votre texte en indiquant qu'il ne visait pas à instaurer des peines automatiques, mais des peines plancher : c’est, Madame la Garde des Sceaux, jouer sur les mots ! Certes, « vos » peines plancher ne sont pas techniquement automatiques, puisque le juge pourra prononcer une sanction inférieure aux peines minimales prévues par la loi, à raison des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou de ses garanties de réinsertion.

Il devra alors prendre seul la responsabilité de ce qui sera considéré comme une dérogation à vos préconisations. Peut-être en prendra-t-il courageusement le risque, mais en sachant que, dans certains cas, il pourra être livré à la vindicte d'un populisme pénal dont les effets sur notre justice sont déplorables.

En cas de deuxième récidive, cela se complique, car l'accusé devra présenter des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. Dans les faits – comme nous l’ont dit tous les juges que nous avons rencontrés -, la peine minimale sera une peine automatique, fût-ce au mépris du principe de l'individualisation des peines. Comme l'explique une présidente de chambre correctionnelle : « Les tribunaux garderont la possibilité de prononcer une peine inférieure aux planchers, c'est vrai. Mais au prix d'une motivation spéciale. Que va-t-il se passer ? Au début, nous résisterons un peu. Et puis, les peines plancher finiront par l'emporter ».

En outre, les moyens dont disposent les magistrats seront déterminants. En effet, pour apprécier la personnalité de l'auteur et ses garanties d'insertion ou de réinsertion, il faut que le juge dispose d'une enquête sociale approfondie, voire d'une expertise psychologique. La justice d'abattage, en comparution immédiate, qui sanctionne la petite et moyenne délinquance, ne dispose pas des moyens ni du temps nécessaires. L'équation est donc simple à établir : pas de renseignement sur l'auteur égale pas de motivation spéciale égale prison automatique !

Comment, dans les conditions de travail qui sont aujourd'hui les siennes, un juge trouvera-t-il le temps de motiver spécialement chacune de ces décisions ? Comment ce magistrat pourra-t-il, en cas de procédure rapide, apprécier la personnalité de l'auteur ou ses garanties de réinsertion ?

Et encore est-ce sans compter qu’en cas de seconde récidive, il sera quasiment impossible d'établir les garanties exceptionnelles de réinsertion. En effet, comment les qualifier ? Le fait de travailler et d’avoir une vie de famille constitue-t-il une garantie exceptionnelle d’insertion ou de réinsertion ? À titre personnel, je ne le crois pas. Dès lors, que pourront retenir les magistrats en guise de garanties exceptionnelles ? La Commission de la récidive estime que « cette disposition risque, en pratique, d'être très difficile à appliquer, ce qui restreindra considérablement la liberté d'appréciation du juge ».

C'est pourquoi la Conférence des premiers présidents a rappelé, dans une délibération de juin dernier relative aux peines plancher, « l'attachement des juges à l'individualisation des peines, principe confirmé par l'expérience et partagé par la plupart des pays démocratiques ; et d’ajouter que « toute limitation du pouvoir d'appréciation du juge crée un risque d'inadéquation de la décision judiciaire, sans pour autant garantir une meilleure efficacité de la politique pénale ».

Madame la Garde des Sceaux, si ce projet de loi parvient à contourner la difficulté constitutionnelle, personne n'est dupe : dans les faits il aboutira à la mise en place de peines automatiques. Et cela est plus incontestable encore pour les mineurs concernés par les peines plancher.

Dans le cadre de cette motion de procédure, je traiterai à part la question des mineurs. Avec les 7 000 personnes qui ont déjà signé la pétition en ligne du Nouvel observateur, je suis en effet de ceux qui croient que les adolescents ne sont pas des adultes.

S’agissant de l'application des peines plancher, les juges des enfants que nous avons rencontrés sont unanimes à considérer que l'automaticité des peines sera quasiment inévitable. S'il paraît déjà difficile de motiver les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion d’un majeur, qu'en sera-t-il pour un mineur ? Quelles pourront être ces fameuses garanties pour un adolescent, à l'âge de tous les possibles ? Dans un article du 5 juillet dernier, des magistrats, aguerris par plusieurs années d'expérience et pour la plupart président des tribunaux pour enfants, décrivent très justement la période de l'adolescence comme « l'âge de la recherche tâtonnante de l'indépendance, des révoltes, de l'inquiétude, des interrogations sur soi, de la prise de risque, et, bien sûr, des faux pas,… »

M. le Rapporteur - Allons, nous parlons de la récidive multiple, pas de la crise d’adolescence !

M. Michel Vaxès - « …un âge où la solidité de l'entourage adulte, la stabilité des conditions de vie sont déterminantes. Un âge où le désarroi des adultes entraîne, chez les jeunes, des transgressions ».

Pour ces raisons, plutôt que de mettre en prison davantage d’adolescents, ne faudrait-il pas avoir le courage de prendre en compte la dure réalité vécue par des jeunes en rupture avec une société qui ne les a jamais épargnés ? Toutes les études scientifiques récentes établissent que les adolescents récidivistes ont été exclus de notre société avant même d'avoir commis leur premier délit. Permettez-moi, là encore, de citer des juges pour enfants : « Nombre de ces 16-18 ans récidivistes sont déscolarisés et sans activité. Du fait de la ségrégation liée au logement, ils habitent souvent les mêmes quartiers. Inactifs, découragés par des années d'échec scolaire, persuadés de leur inutilité, ils traînent au bas des immeubles, se livrent à des petits trafics, chapardent, se plaisent à provoquer les adultes, cherchent l'excitation dans les jeux violents, se mettent en scène en se filmant sur leurs portables. Souvent, ils sont eux-mêmes victimes de violences physiques ou sexuelles, et exposés plus que d'autres à la consommation d'alcool ou de drogue ».

Très sincèrement, Madame la Garde des sceaux, mes chers collègues, croyez-vous ces jeunes sortiront de prison meilleurs qu'ils n’y étaient entrés ? Pour ma part, je suis convaincu qu’allonger la durée de détention de jeunes présentant des personnalités aussi déstructurées ne les empêchera pas de récidiver. C'est pourquoi je refuse cette solution de facilité, car la prison en est une. Elle exige en effet un moindre investissement humain, de la société comme de nos institutions. Nous ne lutterons efficacement contre la récidive que si nous nous en donnons les moyens. L’investissement à prévoir est lourd, mais l’efficacité est à ce prix. Il en va de la sécurité de tous et de l'avenir de tous les enfants de la République.

Investissons dans des programmes éducatifs, des internats éducatifs, des classes relais, des centres de jour, des maisons des adolescents, du personnel d’encadrement… Et puisque le temps scolaire ne suffit plus pour éduquer les jeunes issus des familles les plus fragiles, investissons en vue d’étendre la prise en charge éducative hors du temps scolaire ; investissons dans la protection judiciaire de la jeunesse ; investissons en donnant des moyens aux juges des enfants, car ils doivent aujourd'hui attendre pendant des mois les crédits nécessaires aux mesures éducatives ! C’est en prévenant le premier passage à l’acte qu’on éloigne le risque de récidive.

M. Bernard Roman - Évidemment !

M. Michel Vaxès - Bref, donnons-nous les moyens de lutter contre la récidive, pas de l'aggraver. Malheureusement, plutôt que de dégager ces moyens, le Gouvernement a choisi de supprimer entre 10 000 et 17 000 postes d'enseignants dans l'éducation nationale…

M. Alain Bocquet - Eh oui !

M. Michel Vaxès - Plutôt que de concentrer des moyens sur les priorités du pays, vous décidez de ne compenser qu'un départ à la retraite sur deux et vous sommez votre majorité d’adopter un paquet fiscal qui privilégiera ceux qui en ont le moins besoin au détriment du plus grand nombre ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Plusieurs députés UMP - Quel rapport ?

Mme Michèle Delaunay – Mais enfin, ce qui est dépensé pour baisser les impôts des privilégiés n’est plus disponible pour la justice !

M. Michel Vaxès – J’habite une commune qui compte 50 % de logements sociaux et je pense connaître mieux que vous ces jeunes en rupture de ban ! (Même mouvement)

Savez-vous que, du fait de vos choix, il y aura dès septembre 25 % d'éducateurs de moins en Seine-Saint-Denis ? Et vous dites vouloir lutter contre la récidive ?

M. Bernard Roman - Commencez par augmenter le budget de la justice !

M. Michel Vaxès - Faire croire, Madame la Garde des sceaux, que l'enfermement est le moyen de renforcer la lutte contre la récidive est dangereux. Vous allez créer des illusions !

M. Jean Marsaudon - Et voilà ! Vous, vous considérez, comme d’habitude, qu’il est urgent de ne rien faire !

M. Michel Vaxès - Regardons les exemples étrangers, tant pour ce qui concerne les peines plancher que pour le renversement du principe de l'excuse de minorité. Ils nous confortent dans la conviction que vous faites fausse route. Prenons les exemples canadien, américain et britannique. (Même mouvement)

M. Jean Marsaudon - Quelles références ! Vous voulez imiter Bush, que vous vomissez tant ?

M. Michel Vaxès – Je comprends que cela vous gêne ! Vous n’avez que la répression à la bouche, mais en augmentant la répression, c’est la violence qu’on favorise !

Au Canada, l'assimilation des plus de 16 ans aux majeurs a conduit à un allongement des peines infligées aux mineurs. Aujourd'hui, ce pays connaît le taux d'incarcération des adolescents le plus élevé des pays occidentaux. Aux États-Unis, une étude d’un groupe d'experts indépendants a établi que le jugement des mineurs qui se voient appliquer des peines pour adultes a des effets contre-productifs car les mineurs sont, à la sortie, plus violents que ceux qui se sont vu appliquer un droit spécial des mineurs.

M. Bernard Roman - La prison, c’est aussi l’école du crime.

M. Michel Vaxès – Au reste, plusieurs États américains ont décidé d’en revenir à un droit spécial des mineurs appliqué par des juridictions spécialisées. En Grande-Bretagne, la situation n'est guère plus encourageante. Ce pays, qui a fait le choix d'une justice très dure envers les mineurs délinquants, est aujourd’hui confronté à un constat accablant : l'emprisonnement des mineurs est inefficace, puisque 80 % récidivent dans les deux ans qui suivent leur libération. (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Ces exemples étrangers ne devraient-ils pas nous convaincre de rejeter toutes les mesures qui tendent à faire juger les adolescents comme des majeurs, même en état de récidive ?

Je le disais à l’instant, la prison est une solution de facilité, car elle permet à la société d'écarter pour un temps les individus qu'elle estime indésirables, sans donner les moyens de les redresser. Et c’est aussi une solution de facilité pour les mineurs. Un juge pour enfants m’a confié qu’il avait été trop souvent confronté à des adolescents qui lui avouaient préférer la prison aux contraintes des mesures éducatives. En effet, celles-ci exigent d’eux de longs et persévérants efforts – y compris le travail sur soi pour reconstruire sa personnalité -, qu’ils n’auraient pas à fournir en détention. N’y a-t-il pas là une preuve supplémentaire que la détention n’est pas le meilleur moyen pour réinsérer les jeunes délinquants ?

Tous ces arguments justifieraient que nous décidions de ne pas débattre de ce texte, aujourd'hui et aussi longtemps que ne seront pas évalués les effets des réformes qui se sont succédé à un rythme effréné ces cinq dernières années. (« Immobiliste ! » sur les bancs du groupe UMP) En effet, sous la précédente législature, c’est un texte par an qui a été voté sur le sujet et aucun n’a eu d’effets avérés. (Même mouvement)

Avant de conclure, je voudrais, au moment où notre Assemblée s’apprête à revoir ses règles de fonctionnement, formuler le souhait que, comme cela se fait au Sénat, les députés membres de la commission des lois puissent être invités aux auditions d’experts organisées par les rapporteurs des projets de loi soumis à notre examen.

M. le Rapporteur - Cela a été le cas.

M. Michel Vaxès - Pour conclure, (« Enfin ! » sur les bancs du groupe UMP) j’emprunterai à Denis Salas, magistrat reconnu, mon ultime argument.

M. le Rapporteur - Le seul ?

M. Michel Vaxès - Quelle peut être la crédibilité de la justice quand des peines prononcées ne sont pas exécutées, faute de moyens ?

M. Bernard Roman - Mais bien sûr, c’est le premier problème.

M. Michel Vaxès - On ne peut défendre l’idée selon laquelle le délinquant, seul responsable de ses actes, doit seul payer. L’État doit prendre sa part de responsabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Ce projet répressif doit s’accompagner d’une politique publique sociale et éducative, ajoute ce magistrat. La dissuasion carcérale ne réduira pas la criminalité. S’il faut bien évidemment réprimer les actes de délinquance, il faut également prendre toute une série d’initiatives pour s’attaquer à leurs causes, conclut-il. (« Amen ! » sur les bancs du groupe UMP) Confondriez-vous cet hémicycle avec d’autres chapelles ? Ce que j’observe en tout cas est que cela vous gêne qu’on parle d’éducation. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Prenez garde, car d’autres, en d’autres temps, entendant parler de culture, ont sorti les armes lourdes. La pente sur laquelle vous vous aventurez est dangereuse. (Mêmes mouvements)

Le temps qui m’était imparti ne m’a pas permis d’aborder les articles relatifs à l’injonction de soins. Mes collègues et moi-même y reviendrons lors de la discussion des articles, si cette question préalable n’était pas adoptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Daubresse remplace M. Accoyer au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Marc-Philippe DAUBRESSE
Vice-président

M. Étienne Blanc - Il est bien difficile après cet exposé de discerner sur quels arguments s’appuie cette question préalable.

M. Patrick Braouezec - M. Vaxès peut recommencer si vous le souhaitez !

M. Étienne Blanc - Notre collège a fustigé de manière systématique les dispositions qui permettent déjà à un magistrat de placer un mineur en détention, défendu la priorité à donner à l’éducation, évoqué les problèmes particuliers de la Seine-Saint-Denis, dénoncé le fait que le rapport de l’Observatoire de la délinquance n’aurait pas été communiqué à tous… alors qu’il est en ligne. Pour notre part, restons-en au texte. Contrairement à ce qui vient d’être allégué, celui-ci ne privilégie pas la détention. Il ne touche ni aux principes fondamentaux du droit pénal applicable aux mineurs, ni à l’âge de la majorité pénale, ni aux juridictions spécifiques prévues pour eux, en matière de crimes comme de délits. Il ne modifie en rien le principe de l’atténuation de leur responsabilité pénale.

En réalité, notre collègue a fait dire à ce texte ce qu’il ne dit pas. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP souhaite le rejet de cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Noël Mamère - Si, comme vient de l’expliquer avec une certaine naïveté notre collègue Étienne Blanc, ce texte ne change rien, pourquoi le présenter ? C’est le dixième texte sur la sécurité dont nous débattons depuis 2002. Idéologique, d’inspiration 100 % de droite, ce projet, qui affaiblira notre démocratie, marque sans ambiguïté les choix de ce Gouvernement. Cette nuit même, a été voté un texte accordant treize milliards d’euros de cadeaux fiscaux à 1 % de la population, (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) alors que le budget de la justice se limite à six milliards.

Prétextant la faillite des dispositifs éducatifs de notre justice, qui manque cruellement de moyens, notamment en matière de prévention, vous renforcez la répression, quitte à amoindrir la protection de nos libertés et à menacer notre démocratie. Les juges seront ainsi désormais poussés à appliquer des peines plancher automatiques. Dois-je rappeler au rapporteur et au président de la commission des lois, qui vantent aujourd’hui les mérites de telles peines, qu’ils s’étaient battus, à juste titre, en décembre 2004, contre une proposition de loi présentée à l’issue d’une mission d’information présidée par Pascal Clément, par l’homme-lige du ministre de l’intérieur, Christian Estrosi, visant à instituer ces peines plancher. Dois-je, Monsieur Geoffroy et Monsieur Warsmann, vous relire les propos que vous teniez alors sur le sujet ? Schizophrénie ? Amnésie ? À moins que vous ne fassiez partie d’une Assemblée de godillots, soumise à un Président de la République soucieux d’abord de communication politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; protestations sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur Geoffroy, on peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres et aux experts. Je peux vous présenter, moi, trois études réalisées par M. Pierre-Victor Tournier (M. Mamère brandit un document) qui toutes concluent que cette loi aboutira à dix mille détenus de plus dans les prisons françaises.

M. Bernard Roman - Où les mettra-t-on ?

M. Noël Mamère - Comme nous qui sommes ici plusieurs à avoir fait partie, sous l’avant-dernière législature, de la commission d’enquête sur les prisons, Mme la Garde des Sceaux qui a, depuis sa nomination, visité plusieurs prisons, a pu constater que la surpopulation qui y règne est inacceptable dans une démocratie comme la nôtre, et contrevient à la convention européenne des droits de l’homme et aux prescriptions du Conseil de l’Europe. Alors même que jamais la situation n’y a été aussi dramatique depuis 1945, vous renforcez la répression, sans vous préoccuper de prévention ni de réinsertion.

Savez-vous les difficultés des juges pour organiser les sanctions éducatives prononcées à l’encontre des jeunes ? Or, un mineur n’est pas un adulte en miniature, mais une personne en devenir. Si nous ne voulons pas connaître de nouveau les révoltes de l’automne 2005, nées d’un sentiment d’injustice et d’humiliation, il faut mettre l’accent sur la prévention, l’accompagnement et la réinsertion…

Un député UMP - Cela ne marche pas !

M. Noël Mamère - …et non pas, comme l’ont fait tous les gouvernements précédents, réduire les crédits qui y sont consacrés.

Pour toutes ces raisons, je souhaite que cette question préalable soit adoptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Jérôme Lambert - Voilà un texte de plus, sans doute un texte de trop, après l’inflation législative constatée sous la précédente législature, qui a désorienté les magistrats sans avoir aucun effet sur la récidive. Vous conservez les mêmes recettes, au premier rang desquelles une sévérité accrue, sans rien pour la prévention.

Nos concitoyens ne demandent pas d’abord que les délinquants soient plus sévèrement punis, mais que la délinquance dont ils sont victimes, à savoir en premier lieu les violences aux personnes et les vols avec violences, diminue. Or, cette délinquance-là a augmenté ces cinq dernières années.

Ce texte, d’inspiration purement médiatique, mal préparé, n’est pas à la hauteur des besoins : aucune étude d’impact sérieuse ne l’a d’ailleurs précédé, contrairement au dernier texte sur le sujet qui l’avait été d’une mission d’information parlementaire. C’est préoccupant pour notre justice, pour la sécurité de nos concitoyens, mais aussi pour le respect dû à la représentation nationale, car, pour des raisons purement démagogiques, des députés de l’actuelle majorité sont contraints de se déjuger.

D’autres réponses sont nécessaires. C’est en prévenant le premier passage à l’acte qu’on évitera la récidive, et certainement pas en recourant davantage à la prison, puisque l’emprisonnement, on le sait, est le principal facteur de récidive. Hélas, il n’y a rien dans la politique de ce Gouvernement pour la jeunesse, seulement des cadeaux fiscaux aux plus puissants. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche votera cette question préalable.

La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.

M. le Président - Nous abordons la discussion générale.

M. Alfred Marie-Jeanne - Ce projet reprend le principe des peines plancher. Nulle nouveauté là ! ces peines existaient dans l’ancien code pénal. Le code en vigueur depuis 1994 les avait supprimées, faute de résultats probants. Y revenir est une régression. Cela me fait penser à certains États américains, où, à la troisième infraction, l’accusé est automatiquement incarcéré à vie.

Pourtant, le tout répressif n’a jamais permis de faire reculer la délinquance. Au contraire, une vision punitive de l’incarcération et des conditions inhumaines de détention favorisent la récidive. D’ailleurs, les prisons sont bondées, au point que les nouveaux condamnés sont laissés en liberté, les détenus sont entassés, et la promiscuité fait des ravages. C’est aussi le cas en Martinique et de ce fait, la loi portant obligation d’emprisonnement cellulaire n’est pas appliquée. Et bien sûr, il est impossible de consacrer du temps à la réhabilitation des prisonniers.

Dès lors, le durcissement que vous préconisez est inopportun et inadapté. Certes, il y aura toujours des criminels dangereux, mais tous les condamnés ne sont pas dangereux. La privation de liberté vise à punir, mais aussi à éduquer le détenu pour l’aider à s’en sortir. Ce deuxième objectif est abandonné ici.

Ce projet présente d’autres inconvénients. D’abord, il restreint le pouvoir d’appréciation du juge et menace le principe d’individualisation de la peine. En effet le juge doit tenir compte des faits reprochés à l’individu, mais également des éléments de sa personnalité. C’est là un principe constitutionnel issu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et des textes internationaux qui affirment la stricte nécessité de la proportionnalité des peines. Il ne peut donc y avoir d’automaticité de la sanction.

Par contrecoup, le projet restreint le rôle de l’avocat, puisque la peine plancher revêt un caractère obligatoire. Mais le caractère dissuasif des peines plancher n’est pas démontré. Pour éviter le recours systématique à l’emprisonnement, mieux vaudrait renforcer les moyens alternatifs, comme le travail d’intérêt général et l’accompagnement en milieu ouvert.

Ce projet fait de l’enfermement l’unique réponse pénale à la récidive au lieu de privilégier la prévention et le soutien éducatif. Or la prison, dans son mode de fonctionnement actuel, est criminogène. Ce projet risque donc d’aggraver la situation, de créer de nouvelles injustices, d’encombrer encore plus les prisons, de limiter le pouvoir d’appréciation des magistrats.

Et nos inquiétudes seraient encore renforcées, en Martinique, si l’on ne menait pas une lutte efficace contre les trafics illicites d’armes et de stupéfiants pour combattre une culture de la violence qui gangrène jusqu’aux plus jeunes.

Réformer, en matière pénale, est difficile, j’en conviens. Mais en renforçant ainsi l’arsenal répressif, au risque d’excès, vous prenez le parti de ceux qui pensent que nos têtes sont plus dures que les murs des prisons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Michel Hunault - Madame la ministre, je vous apporte le soutien du groupe du Nouveau centre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen) dans votre volonté de lutter plus efficacement contre la récidive –volonté dont je ne doute pas que nos collègues de l’opposition la partagent. Mais il s’agit aussi d’un engagement du Président de la République et il faut tenir les engagements pris.

Ce texte vise à plus de fermeté contre la récidive et à une meilleure protection des victimes. C’est à celles-ci que je pense d’abord. Leur rendre justice est difficile, mais c’est le devoir du législateur.

Était-il nécessaire de légiférer ? Sans hésitation, je répondrai oui. En effet, entre 2000 et 2005, les condamnations en récidive pour les crimes et délits ont augmenté de 70 %, celles pour délits violents de 145 %. Selon une étude du ministère d’avril 2005, plus d’un condamné sur deux récidive dans les cinq ans qui suivent sa libération, taux qui atteint 70 % pour les cas de violences volontaires avec outrage, 72 % pour les vols avec violence, et plus de deux tiers pour les agressions ou atteintes sexuelles. Sur les 16 000 mineurs condamnés en 1999, plus de 55 % l’ont été de nouveau dans les cinq ans.

Ce projet se veut dissuasif et part de l’idée que la certitude de la sanction est le premier outil de la prévention. Il instaure donc des peines minimales pour les récidivistes et les sanctionne plus fermement, réduit l’usage de l’excuse de minorité et instaure des peines plancher dans certains cas.

Mais on ne luttera efficacement contre la récidive que si les décisions de justice sont exécutées, et le sont rapidement. Or cinq millions de crimes et délits sont commis chaque année pour une capacité de jugement de 600 000 affaires. Et sur les 100 000 peines de prison prononcées, plus d’un tiers ne sont jamais exécutées.

Au nom du Nouveau centre, je voudrais insister sur certains points.

Certains craignent que ce projet n’envoie 10 000 détenus supplémentaires dans les prisons où la situation est intolérable. Je salue donc votre volonté d’améliorer cette situation.

M. Philippe Plisson - Des incantations !

M. Michel Hunault - Le renforcement de la lutte contre la récidive doit s’accompagner d’efforts financiers pour assurer un meilleur suivi des prisonniers.

Plusieurs rapports parlementaires ont dressé un état tragique des conditions de détention – nous avons été unanimes à le reconnaître au cours des deux dernières législatures.

M. Philippe Plisson - Des actes !

M. Michel Hunault - Les établissements sont surpeuplés, les droits de l’homme bafoués, le contrôle inefficace et souvent la loi du plus fort règne.

Depuis 2002, la situation a évolué grâce au programme de modernisation du parc immobilier pénitentiaire, à la création d’établissements réservés aux mineurs et aux efforts en faveur de l’insertion. Cela va dans le bon sens, mais il faut aller plus loin. Le groupe du Nouveau centre a donc déposé des amendements, que je défendrai. Nous nous soucions en particulier des effets du projet sur la détention et de la situation dans les prisons. Je salue la volonté que vous affichez en annonçant l’institution d’un contrôleur indépendant doté de moyens et l’élaboration d’une loi pénitentiaire. Nous souhaitons que le Parlement soit associé aux travaux préparatoires de cette loi, s’appuyant sur les travaux des commissions d’enquête. Je vous demande aussi de vous référer aux textes des institutions européennes. Le Conseil de l’Europe en particulier s’est attaché à examiner la situation dans les centres de détention, pas seulement en France. Nous devons concilier l’exigence de fermeté dans la sanction et celle du respect de la dignité des personnes. La sanction doit résider dans la privation de liberté, non dans l’humiliation des personnes privées de liberté. Mais cela suppose de réfléchir au rôle et aux missions de la prison et d’envisager, lorsqu’il s’agit de petites peines, des mesures qui se substituent à l’emprisonnement – je songe par exemple au suivi éducatif ou aux travaux d’intérêt général. Je suis persuadé que vous pourrez, Madame la ministre, bénéficier à cet égard de la contribution de l’ensemble des parlementaires, quelle que soit leur couleur politique. C’est indispensable, car la situation dans les prisons est explosive. J’approuve le refus du Président de la République, le 14 juillet dernier, de faire, selon l’usage, de la fête nationale l’occasion de remettre en liberté 5 000 personnes, car le droit de grâce ne doit pas servir à gérer les prisons. Mais nous devons réfléchir aux moyens d’éviter que la prison ne soit une cause de récidive. Vous avez à juste titre insisté devant la commission des lois, Madame la Garde des Sceaux, sur les sorties sèches, affirmant qu’elles entraînaient souvent une récidive.

M. le Rapporteur - Absolument.

M. Michel Hunault - Je rappelle à l’opposition que c’est une majorité de droite qui, en 1994, a voté la loi relative à l’accès des prisonniers aux soins. Nous devons désormais nous attacher à l’accès à la formation et à un métier, qui seul permet aux condamnés de sortir de prison meilleurs qu’il n’y étaient entrés, et qui constitue donc l’arme la plus puissante contre la récidive. Le groupe Nouveau centre soutient votre détermination, Madame la ministre, car, contrairement à ce qu’on vous a dit, il ne s’agit pas là d’un vœu pieux. Nous entendons adresser un signal fort aux délinquants, en soulignant la priorité que constitue l’ordre public, mais également aux détenus, en montrant que cette fermeté est indissociable d’une exigence de respect de la dignité et d’humanité.

Nous devons également mettre l’accent sur le suivi médical et psychologique. Vous avez indiqué, Madame la ministre, que vous étudiiez avec votre collègue de la santé les moyens financiers et humains à déployer au service de votre projet ; j’insiste à ce titre sur l’obligation de suivi des délinquants sexuels, moyen privilégié de lutte contre la récidive.

Sur les objectifs, l’on ne peut qu’être d’accord avec vous. M. Valls l’a dit tout à l’heure – si bien que l’on aurait pu croire qu’il allait voter en faveur du texte ! C’est sur les moyens que l’on peut exprimer un désaccord.

M. Bernard Roman - Mais que faire sans moyens ?

M. Michel Hunault - Nulle haine, nul esprit de vengeance n’animaient les parents d’enfants violés et tués par des récidivistes que j’ai rencontrés, mais le seul souhait que l’on prévienne les récidives à l’avenir ; c’est un appel aux représentants de la nation. Voilà, Madame la ministre, l’ambition affichée de votre texte ; quant aux moyens, les députés de la majorité demanderont par voie d’amendement des garanties tant pour améliorer la situation dans les prisons que pour le suivi des délinquants et des criminels sexuels.

À en croire les critiques qui vous ont été adressées, la certitude de la sanction n’empêcherait pas la récidive. Or votre texte n'instaure pas de peines d'emprisonnement fixes et incompressibles ; il ne remet pas non plus en cause les possibilités d'aménagement des peines. Il préserve en outre la liberté d'appréciation du juge. Les déclarations contraires de l’opposition sont purement gratuites. Ce n’est pas pour rien que le Conseil constitutionnel a fait de l’individualisation de la peine et du pouvoir d’appréciation du juge des principes intangibles !

M. Bernard Roman - C’est bien pour cette raison que le texte est anticonstitutionnel !

M. Michel Hunault - Le projet de loi fait de l’injonction de soins la règle dès lors que l’expertise aura conclu à la possibilité d’un traitement ; le refus de se soigner empêchera toute réduction de peine supplémentaire et toute libération conditionnelle.

Au sein de la commission d’enquête dite d’Outreau, j’ai, ainsi que plusieurs de mes collègues, œuvré durant six mois en faveur d’une meilleure justice. Votre prédécesseur, M. Pascal Clément, a alors pu compter sur le soutien des représentants de la nation, attachés à l’amélioration de la situation des tribunaux, des prisons et de l’ensemble des lieux privatifs de liberté. En ce début de législature, je vous assure d’un soutien identique au nom du groupe Nouveau centre, espérant que nous retrouverons lors de cette session extraordinaire le consensus obtenu au sein de la commission d’Outreau. Pour toute mesure relative au contrôle des prisons, à la loi pénitentiaire, au suivi socio-médical et à l’obligation de soins, les élus du groupe vous assisteront dans la noble mission que vous a confiée le Président de la République (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP).

M. Jacques-Alain Bénisti - Je tiens en premier lieu à saluer la bravoure de madame la Garde des Sceaux (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Plusieurs députés SRC - Sa bravitude ?

M. Jacques-Alain Bénisti -…qui présente, pour son baptême du feu, un texte à la fois novateur, juste, humain, équilibré et, surtout, courageux. En effet, le sujet est de nature à susciter ire et outrances. J’ai essuyé des attaques semblables en 2005, à propos de mon rapport sur la prévention de la délinquance où j’osais évoquer la prévention de la primo-délinquance, donc une action précoce.

M. Bernard Roman - Il était modéré !

M. Jacques-Alain Bénisti - Vos détracteurs recourent à la caricature et à la dérision à défaut de formuler des contre-propositions ou d'accepter la réalité telle que la vivent nos concitoyens, en particulier les victimes. L'angélisme est souvent leur arme de prédilection, et les mineurs délinquants sont à leurs yeux des enfants de chœur. Est-ce dans la même société que nous vivons ? Comment occulter les statistiques, le quotidien des tribunaux, l'expérience des magistrats – dont vous faites partie, Madame la ministre, je tiens à le rappeler - et les faits eux-mêmes ? En effet, les actes de délinquance sont de plus en plus violents et sont commis par des mineurs de plus en plus jeunes.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon le ministère de la justice, au cours des cinq dernières années, l’augmentation du nombre de condamnations en récidive est supérieure à 70 % et celle du nombre des crimes et délits dépasse 153 %. Un délinquant sur trois récidive au cours des cinq années qui suivent sa sortie de prison, deux sur trois s’il s’agit de délinquants sexuels

M. Bernard Roman - Mais pourquoi ?

M. Jacques-Alain Bénisti - Il est indispensable d'offrir aux magistrats de nouvelles possibilités de sanctions répondant à l'évolution de la délinquance dans les cas de récidive légale. Comme M. Valls l’a très justement rappelé, les délinquants d’habitude font toujours le pari de l’impunité.

Faut-il rappeler que la récidive légale ne concerne que les personnes déjà condamnées pour les mêmes faits ou pour des faits similaires au cours des cinq années qui précèdent une nouvelle condamnation ? La définition des cas pour lesquels ce texte prévoit des peines plancher est donc bien limitative.

Malgré la diminution actuelle de la délinquance, la situation demeure inquiétante. Voilà pourquoi il importe d’adresser aux récidivistes un signal fort et assurément dissuasif, par la graduation des peines à chaque récidive. En effet, c’est avec la certitude de la sanction que commence la prévention ! Ce texte n’est donc pas seulement répressif ; il est également préventif.

M. Bernard Roman - Qu’a-t-il de préventif ?

M. Jacques-Alain Bénisti – En outre, il respecte les grands principes juridiques qui régissent le droit pénal et se contente de compléter l'arsenal juridique en vigueur.

Ainsi, le pouvoir d'appréciation des juges reste entier : il sera toujours possible de prononcer des peines inférieures, par décision spécialement motivée, ou de recourir au sursis. L'emprisonnement ferme ne sera pas la réponse systématique. L'individualisation de la peine reste la règle constitutionnelle. L'excuse de minorité est conservée si le tribunal se fonde sur une décision spécialement motivée et le droit pénal des mineurs reste fondé sur des mesures éducatives. Cela étant, lorsqu'un mineur se comporte comme un délinquant majeur, il doit savoir qu’il encourt une peine du même ordre ; comme le dit très bien Madame la Garde des Sceaux, « refuser de le comprendre, c'est refuser d’aider ces jeunes à devenir des adultes ».

Ce projet de loi est donc un texte proportionné, dans la lignée des mesures adoptées par de nombreux pays : Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne, États-Unis, Canada – s’il est vrai que, dans ce dernier pays, le nombre de détenus mineurs a augmenté, le nombre de délits y a en revanche considérablement diminué.

Je souhaite que nous n’en restions pas là. Une autre réforme importante devra être menée rapidement pour compléter les mesures comprises dans ce texte. Je songe au suivi et à l'accompagnement des condamnés tout au long de leur peine, jusqu’à leur libération et au-delà ; de nombreux parlementaires UMP, dont je fais partie, ont formulé des propositions en ce sens. Endiguer la récidive passe aussi par des mesures pédagogiques et éducatives qui aident les détenus ou les condamnés à s’arracher à la spirale de la délinquance.

S’agissant des mineurs, j'ai formulé plusieurs propositions concrètes substitutives à la prison ou aux centres éducatifs fermés et permettant de les aider à sortir de leur environnement en leur apprenant un métier – à l’exemple de ce qui se pratique avec succès au Canada, où ces jeunes sont envoyés chez des artisans ou chez des exploitants agricoles ou forestiers.

Une autre réforme importante qu'il conviendra de mener concerne l'exécution des peines : il est essentiel de trouver des solutions pour réduire les délais.

Je sais, Madame la Garde des Sceaux, que vous avez pleinement conscience de ces problèmes et que vous aurez à cœur de nous proposer très prochainement des projets complémentaires de celui-ci, que le groupe UMP invite l’Assemblée à voter afin qu'il puisse être promulgué rapidement – car il y a vraiment urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Christophe Caresche – Il faudra un jour retracer l'histoire politique de ce projet, afin de trouver ses véritables raisons d’être, au-delà de la volonté proclamée de lutter contre la récidive. Comment expliquer que le Président de la République et le Gouvernement décident de soumettre en urgence au Parlement un énième texte sur le sujet, alors que le dernier date d'à peine deux ans et n'a fait l'objet d'aucune évaluation, les décrets d'application étant à peine rédigés ?

En réalité, ce texte instaurant les peines plancher est l'épilogue d'une lutte sourde qui a opposé celui qui est devenu Président de la République aux ministres et à la majorité de la précédente législature, une forme de revanche pour celui qui voulait avoir raison contre tout le monde, et d’abord contre les siens.

Dominique Perben, alors Garde des Sceaux, déclarait le 4 décembre 2003 : « La justice n'est pas un questionnaire à choix multiples. Attention de ne pas s'enfermer dans un catalogue de peines ». Et le 29 janvier 2004 : « Dans un État démocratique, il faut laisser au juge indépendant la possibilité de tenir compte de la personnalité du délinquant et du contexte dans lequel le délit a été commis », sous peine d’inconstitutionnalité.

Dominique de Villepin affirmait le 22 avril 2004 : « Je suis contre l'automaticité de la peine et pour l'individualisation, ce qui supposerait une aggravation de la sanction pour les multirécidivistes. Personnalisation ne veut pas dire laxisme ».

M. le Rapporteur - Nous sommes d’accord !

M. Christophe Caresche - Jean-Luc Warsmann, le 8 décembre 2004, en faisant observer que les peines plancher sont d’inspiration anglo-saxonne, considérait que « les instaurer reviendrait à bouleverser la philosophie du droit français, remettrait en cause l'individualisation des peines » – ce qu’il ne souhaitait « à aucun prix ».

M. le Président de la commission - Je n’ai pas changé !

M. Christophe Caresche - Dominique de Villepin, encore : « Ce qui compte, ce n'est pas d'alourdir à l'excès les sanctions sur le papier, c'est de s'assurer que les sanctions soient effectivement appliquées sur le terrain ».

M. le Rapporteur - C’est l’objectif de ce texte !

M. Christophe Caresche - En ce qui nous concerne, les raisons de nous opposer aux peines plancher demeurent. Elles figurent pour l'essentiel dans l'excellent rapport de notre regretté collègue Gérard Léonard, rapporteur en 2004 de la mission sur la lutte contre la récidive, présidée par M. Clément.

En premier lieu, c’est un dispositif inefficace.

Il n'a pas, en effet, le caractère dissuasif que vous lui prêtez. Les délinquants endurcis ne sont guère sensibles à l'allongement de quelques mois de leur peine. Si c'était si simple, les pays anglo-saxons auraient réglé leurs problèmes depuis longtemps ; or les États-Unis, qui ont le système répressif le plus féroce, notamment en matière de récidive, ont aussi la délinquance la plus violente. Et en France, on constate depuis quelques années un allongement important des peines et une augmentation des condamnations pour faits de récidive.

Les magistrats, Madame la ministre, ne vous ont pas attendue pour faire preuve de plus de fermeté ; ils ont réagi au durcissement de la délinquance par l’allongement des peines. Celle–ci est d’ailleurs la seule explication de l’augmentation de la population carcérale, puisqu’en revanche, en termes de flux, les incarcérations sont moins nombreuses qu’il y a vingt ans.

Avec les peines plancher, vous nous proposez d'amplifier une démarche qui a échoué. Les professionnels de la justice n'approuvent pas votre projet car ils savent qu'il conduit à l'impasse ; c'était d'ailleurs la conclusion du rapport de M. Léonard, qui suggérait d'autres pistes de réflexion.

À l'allongement des peines, il faut préférer la certitude de la peine et l’accompagnement des détenus pendant et après leur incarcération. Chaque acte de délinquance doit être sanctionné de manière adaptée et proportionnée.

L’urgence, c'est d'améliorer le taux de réponse pénale, notamment pour les délits.

L'urgence, c'est de garantir l'application des peines prononcées.

L'urgence, c'est d'améliorer l'information des juges, c'est d'éviter les sorties sèches, c'est de débloquer des moyens pour les services d'application des peines et de probation.

En second lieu, ce dispositif est aveugle. L'individualisation de la peine, c'est d'abord la garantie d'une peine adaptée aux circonstances de l'infraction et à la personnalité de celui qui l'a commise ; ce n’est pas le laxisme, c'est l’application d’une peine juste. Ce principe doit donc s'exercer sans entrave.

C'est d'ailleurs ce qui avait décidé le législateur lors de l'élaboration du nouveau code pénal : il avait considéré que le système des circonstances atténuantes était devenu absurde. Et voilà à quoi vous proposez aujourd'hui de revenir : quel progrès !

Certes vous prévoyez la possibilité de déroger aux peines plancher – du moins dans le cas d’une première récidive. Mais sur quels dossiers, avec quels éléments d'appréciation le juge le pourra-t-il ? Que vaut la latitude dans la loi si, dans les faits, elle ne peut être exercée ?

Au Sénat, vous ont été proposés deux amendements tendant à desserrer la contrainte sur le juge : l'un prévoyait les mêmes conditions de dérogation en deuxième récidive qu'en première ; l'autre imposait qu'une enquête de personnalité soit systématiquement réalisée afin que le juge dispose des éléments d'information nécessaires. À ma grande surprise, vous les avez rejetés, alors qu’ils émanaient du rapporteur et de la majorité sénatoriale. Votre texte témoigne donc d’une véritable suspicion à l’égard des magistrats, sur lesquels vous faites peser une injonction de condamnation, comme l’a dit Robert Badinter au Sénat ; et votre but n'est pas de dissuader, mais d'incarcérer.

Enfin, nul ne sait quelles seront les conséquences de votre loi sur la population carcérale. Notre rapporteur évoque plusieurs scenarii, qui vont de « moins 8 000 » à « plus 10 000 »…

M. Jérôme Lambert – Ça, c’est de la prévision !

M. Christophe Caresche - L'important, pour vous, est de satisfaire une opinion publique qui demande toujours plus de fermeté. Mais l'intendance ne suit plus ! Les prisons françaises sont au bord de l'explosion.

Vous nous annoncez la création d'un contrôleur indépendant : les peines plancher sont sans doute le cadeau de bienvenue qui l’attend… Que pourra-t-il faire, sinon constater une situation catastrophique ?

La responsabilité que vous avez appelée de vos vœux dans votre intervention, Madame la ministre…

M. Jérôme Lambert - Elle n’est plus là !

M. Christophe Caresche - …serait de renoncer à un texte inefficace, qui aura des conséquences catastrophiques sur les prisons françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Patrick Braouezec - Avec ce texte, un adolescent de 16 ans, condamné deux fois pour un vol à l’arraché de téléphone portable, devra par principe, la troisième fois, être condamné à une peine minimale de deux ans d'emprisonnement.

La lutte contre la récidive est une nécessité, mais on ne peut accréditer l’idée qu'un jeune qui commet trois actes délictueux va s’inscrire durablement dans la délinquance et est devenu majeur avant l'âge.

À travers les peines plancher, le Gouvernement propose de ne juger que les faits, sans tenir compte de la personnalité de l’accusé ni des circonstances de ses actes. Ce projet rompt avec notre tradition.

On veut faire disparaître la spécificité de la justice des mineurs, qui pourtant ne date pas de l’ordonnance de 1945, puisqu’elle a été exprimée dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs et dans celle du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 2002, a souligné que « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, a toujours été reconnue par les lois de la République depuis le début du XXe siècle ».

Le présent projet est en totale contradiction avec ces principes.

Je n'accepte pas le renoncement à l'éducation de nos enfants, fussent-ils délinquants récidivistes. La prison comme seule réponse aux malaises de nos adolescents violents, c’est l’échec de notre société à les accompagner vers l’insertion sociale. Les moyens des secteurs social et éducatif fondent comme neige au soleil, dans une volonté politique délibérée d'affecter tous les crédits au secteur carcéral. Ainsi, lorsqu'un juge des enfants ordonne une mesure d'assistance éducative pour un enfant en danger, des mois se passent avant qu’elle soit mise en oeuvre. De même, les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires d'insertion et de probation n'ont pas été dotés de moyens à la hauteur. Dans ce contexte, « constater l'échec de l’éducatif pour durcir le système répressif relève de l’escroquerie et confine à la caricature », selon un communiqué du Syndicat de la magistrature.

Ce texte souhaite faire de l'emprisonnement le centre de la réponse pénale. La loi pourrait ainsi conduire à une augmentation de 10 000 du nombre des détenus. Or, chacun sait que la prison n'est pas un lieu de réinsertion, mais celui où l’exclusion et la violence s'aggravent.

Ce texte, en définitive, ne correspond pas à la réalité de la récidive. Un programme efficace devrait reposer sur quatre volets : meilleure élucidation des actes de délinquance par la police, prévention, meilleure application des peines, réforme du code pénal. Quand ce travail sera-t-il mené ? Lorsque les prisons exploseront ? Et comment notre société assume-t-elle le fait que les mineurs récidivistes se trouvent confrontés à un tel environnement ? Votre texte, qui restera inefficace, représente un danger pour l’avenir de nos jeunes de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Georges Fenech - Le niveau de récidive dans notre pays reste très élevé. Les professionnels de la justice peuvent le ressentir comme un échec, tandis que nos concitoyens s’interrogent sur l’efficacité de notre système répressif, aux allures de montre molle de Dalí. Entre 2000 et 2005, le nombre de condamnations en récidive a augmenté de 68,5 %. Il nous appartient de tout mettre en œuvre pour lutter contre ce fléau ; c’était d’ailleurs un engagement du Président de la République. Il s’agit ainsi de parachever la loi du 12 décembre 2005, qui a limité à deux le nombre de condamnations pouvant être assorties de sursis et réduit le crédit de réduction de peine pour les récidivistes.

Comme vous l’avez dit, Madame la Garde des Sceaux, le meilleur moyen de prévenir la récidive est de réserver un sort particulier aux récidivistes dans la pratique des magistrats et l’esprit du public. Votre projet comprend trois volets : il instaure des peines plancher applicables aux majeurs et mineurs récidivistes auteurs d’actes particulièrement graves ; il réduit l’application de l’excuse de minorité pour les mineurs récidivistes de plus de seize ans ; enfin, il généralise les injonctions de soins.

Sur les peines plancher, les quelques réactions négatives émanant de certains milieux judiciaires trop ancrés dans leur certitude que la répression ne sert à rien relèvent d’une idéologie dépassée.

M. Jacques-Alain Bénisti - Très bien !

M. Georges Fenech - Les peines minimales existaient dans le code pénal avant 1994, avec la possibilité de circonstances atténuantes. Elles sont connues également de nombreux autres États. Votre projet est équilibré et respectueux du principe constitutionnel d’individualisation de la peine.

Il est équilibré, car il comporte une graduation suivant la gravité de l’infraction et le nombre de récidives. Lors d’une première récidive, le juge peut descendre au-dessous du seuil minimum en raison de circonstances atténuantes, de la personnalité de l’auteur, de ses garanties d’insertion ou de réinsertion. En revanche, s’il s’agit d’une deuxième récidive, le juge ne pourra s’affranchir du plancher que si le prévenu présente des « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ». Encore faudra-t-il que, dans tous les cas, il motive sa décision de manière pertinente et argumentée lorsqu’il prononcera des peines inférieures à celles prévues par le législateur, seul détenteur légitime de la volonté générale. Si – comme je ne veux pas le croire – les juridictions n’appliquaient pas la loi dans toute sa rigueur, il vous appartiendrait, Madame la Garde des Sceaux, de faire relever appel des décisions non conformes à son esprit. Ainsi se bâtira une nouvelle jurisprudence de la récidive, qui s’imposera aux juges et enverra un signal fort à tous les délinquants.

Cela étant, cette sévérité accrue respecte le principe de l’individualisation de la peine, puisque la possibilité est laissée aux juges de descendre au-dessous de la peine plancher. Il est donc erroné d’assimiler celles-ci à des peines automatiques, prohibées par la Convention européenne des droits de l’homme. J’ai vu les peines automatiques fonctionner dans certains États des États-Unis, où le juge est parfois réduit à être un simple distributeur automatique de sanctions, se contentant d’additionner les années de prison selon le barème du « guide des sentences », et où prévaut également la terrible règle selon laquelle un récidiviste se voit, à la troisième infraction, aussi bénigne fût-elle, condamné à la prison à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle.

Ce projet est aux antipodes d’une justice distribuant aveuglément des sanctions. Soyons objectifs : le texte est conforme à nos principes, tout en tenant compte de l’évolution de la criminalité pour adapter notre système judiciaire aux nouvelles formes de délinquance. Il en va de même pour le deuxième volet, qui écarte l’excuse de minorité pour les mineurs de 16 à 18 ans. Il faudra, là encore, que la justice des mineurs applique la loi dans toute sa rigueur, concernant le noyau dur de la délinquance, qu’on a peine à qualifier encore de « juvénile », tant les infractions sont de plus en plus graves.

Enfin, vous prenez en compte, de manière très opportune, la caractéristique de certains auteurs d’infraction, qui sont à la fois délinquants et malades, et vous rendez obligatoire l’injonction de soins dès lors qu’une expertise psychiatrique conclura à la nécessité d’un traitement. En cas de refus, le condamné perdra le bénéfice de ses réductions de peine.

Je terminerai mon intervention en faisant le vœu, Madame la Garde des Sceaux, que vous promouviez le bracelet électronique comme moyen de lutte contre la récidive. Chargé d’une mission sur ce dispositif novateur, j’ai pu en mesurer l’efficacité, notamment aux États-Unis.

M. Éric Diard - Très bon exemple !

M. Georges Fenech - Depuis la loi du 12 décembre 2005, la France connaît ses premières expériences, pour des condamnés en libération conditionnelle. Les décrets sont actuellement en cours pour en étendre l’application à la surveillance judiciaire ainsi qu’au suivi socio-judiciaire. De même, votre ministère doit prendre des arrêtés pour créer des commissions psychiatriques ad hoc. Nous pouvons ainsi espérer pour 2008 la généralisation du bracelet électronique à toutes les juridictions. La fermeté n’exclut pas l’effort en direction des peines alternatives à la prison. Je souhaiterai recevoir confirmation sur ce point.

En tout cas, soyez assurée que je voterai ce texte sans état d’âme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Bernard Roman - Madame la Garde des Sceaux, je me pose deux questions. Pourquoi une nouvelle loi, la dixième sur la sécurité en cinq ans, la cinquième sur la récidive. Et croyez-vous vraiment résoudre le problème de la récidive avec ce texte ?

Vous évoquez une inquiétude ; celle-ci est justifiée et nous la partageons, donc pas de faux procès ! La récidive est un sujet grave, qui demande des réponses réfléchies. Or, il n’y a rien de plus irréfléchi que l’automaticité de la peine, dont votre texte fait la règle, sinon en droit, du moins de fait !

M. Éric Diard - Caricature !

M. Bernard Roman - Vous relevez vous-même les contradictions de votre démarche, en notant que la délinquance des mineurs a augmenté ces dernières années, qu’elle est de plus en plus violente. Ces chiffres témoignent de l’inefficacité de l’inflation législative : loi Perben 2002, loi Perben 2004, loi sur la récidive de 2005, loi sur la prévention de la délinquance de 2007. Votre texte est le cinquième à traiter de la récidive. S’appuyant sur la même logique que les précédents, pourquoi donnerait-il des résultats, là où ceux-ci ont échoué ? Cette superposition de dispositifs répressifs traduit en fait votre impuissance.

De même, entre 2000 et 2005, le nombre des condamnations en récidive ont considérablement augmenté. Aux critiques vous répondez que la justice a fait son travail et que les juges ont sévi, ce qui est d’autant plus vrai qu’il n’y a jamais eu autant de mises en prison que pendant ces cinq dernières années.

M. Arnaud Montebourg - C’est exact !

M. Bernard Roman - Mais si la justice a bien sévi, pourquoi demander aux magistrats de sanctionner plus lourdement et plus automatiquement avec des peines plancher ?

M. Arnaud Montebourg - Très bonne question !

M. Bernard Roman - Certaines interventions de nos collègues de la majorité montrent d’ailleurs qu’il peut être difficile de justifier ce texte au vu de la pratique des magistrats, sauf à faire de l’individualisation de la peine une exception. Les juges n’auront en effet pas toujours la possibilité de motiver leurs décisions sur les critères que vous exigez.

Vous nous présentez donc une cinquième loi sur la récidive, une loi de plus – et comme l’a dit notre collègue Mamère, une loi de trop – mais surtout une loi de renoncement. Car il s’agit moins de punir la récidive que de prévenir la récidive, et les peines plancher ne contribueront pas à cet objectif. Robert Badinter l’a remarquablement démontré au Sénat : la récidive est une faute du récidiviste, mais aussi un échec qui le dépasse – échec familial et social, échec de l’institution judiciaire elle-même. Les criminologues sont unanimes à dire que le durcissement des peines prononcées ne réduira pas le taux des récidives. Le plus important des facteurs de dissuasion, c’est que les peines prononcées soient exécutées. Or faute de moyens, moins de 42 % le sont. Cette défaillance de la première réponse pénale est l’une des causes majeures de la récidive. Dois-je rappeler qu’en dépit des promesses formulées dès 2002, la Protection judiciaire de la jeunesse manque chaque année de plus de 500 éducateurs pour appliquer en temps et en heure les décisions de la justice des mineurs ? (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Bien d’autres facteurs pourraient concourir à limiter la récidive, mais tous supposent une logique et des choix budgétaires auxquels votre texte tourne le dos. Pouvez-vous ainsi nous assurer, Madame la ministre, que la lettre de cadrage du Premier ministre vous permet ne serait-ce que d’espérer pouvoir répondre à un certain nombre de vos objectifs ?

M. Manuel Valls - Bonne question !

M. Bernard Roman - Nous avons voté hier 13 milliards d’euros de dépenses supplémentaires : c’est deux fois le budget de la justice. Pensez-vous obtenir dans les prochains budgets les quelques millions qui nous permettraient, ensemble, de redonner du sens à la prison ? Ce serait le meilleur moyen de lutter contre la récidive ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Manuel Valls - Démonstration implacable !

M. Daniel Mach - Hors sujet !

M. Arnaud Montebourg - Il nous faudra les réponses !

M. Bernard Roman - On peut toujours tenir de grands discours et faire comme si les faits de délinquance qui exaspèrent le plus les Français n’étaient pas le plus souvent imputables à des 13-14 ans, vis-à-vis desquels ce texte sera inopérant ; on peut toujours faire croire qu’il réglera tous les problèmes ; mais si les moyens ne suivent pas, vous le paierez – et très cher (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). L’échec de votre réforme est inscrit dans sa logique. Les dispositifs des lois précédentes n’ont pas encore été évalués que déjà vous nous demandez de voter dans l’urgence une loi qui n’améliorera en rien la sécurité. Vous obtiendrez l’inverse du résultat escompté : vous déstabiliserez une tradition pénale qui fait le pari de la réparation des fautes et de la réhabilitation des hommes. En tournant le dos à l’individualisation de la peine, en remplissant encore davantage des prisons déjà bondées, vous serez finalement responsable d’un recul de notre justice et de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Nicolas Dupont-Aignan - L'insécurité reste l'une des préoccupations majeures de nos concitoyens. Le bilan des cinq dernières années montre que, malgré le coup d’arrêt porté à la délinquance, la modernisation et l’amélioration des actions de la police et de la gendarmerie doivent s’accompagner d’une réforme en profondeur de notre justice.

La faiblesse de notre État régalien s'explique aujourd'hui – en dépit des réformes entreprises entre 2002 et 2007 – par la décrépitude de notre institution judiciaire. Élu de l'Essonne, département oublié par votre ministère, je pourrais témoigner de situations aussi abracadabrantes que scandaleuses. Je vous recommanderai plutôt la lecture du rapport édifiant que M. le Président de la commission a publié en son temps sur le fonctionnement du tribunal d'Évry.

Il est donc vital pour la paix civile de reconstruire l’institution judiciaire. Mais votre projet ne peut être qu'une étape. Je le voterai : il représente un premier pas contre cette culture de l'excuse permanente qui a décrédibilisé notre État de droit. Et soyons francs : contrairement à ce que dit la gauche, il n'est en rien synonyme du « tout-répressif ». Nous sommes loin de la proposition de loi Estrosi que nombre d’entre nous avaient signée : il n'y a pas de peine plancher automatique, les peines minimales possibles sont faibles, et enfin l'atténuation de l'excuse de minorité est très encadrée.

Si ce texte pouvait faire comprendre aux magistrats qu'il n'y a pas de prévention sans sanction et surtout que l'on ne peut plus, comme c'est encore le cas, laisser en liberté tant de délinquants, nous aurions fait un premier pas. Et si la gauche a tort de tant décrier un projet si modéré, que la majorité se garde de croire qu’il permettra de vaincre la récidive ! Nous savons tous - et les Français aussi - que rien ne pourra se faire sans une série de réformes. Pour que ce texte ne reste pas qu’un symbole, il faudra bien poser la question des moyens financiers, et doubler le budget du ministère si l’on veut atteindre le niveau par habitant de l'Allemagne ou de l'Angleterre. Nous aurions dû le faire entre 2002 et 2007. En aurez-vous les moyens ? Pour réduire les délais de justice, il faut des greffiers et des magistrats. Je vous invite à venir au tribunal d’Évry : les dossiers s’entassent dans les couloirs !

J’en viens à l'exécution des décisions de justice. Existe-t-il un autre pays démocratique où tant de peines ne sont jamais appliquées ? Je ne le crois pas. Je me réjouis à cet égard de la volonté du président de la commission de s’efforcer de suivre l’exécution des décisions de justice tribunal par tribunal. Il faudra aussi veiller à ce que les tribunaux qui ont à connaître de nombreuses affaires de délinquance soient enfin équipés correctement.

Autre question importante, que vous avez abordée en nous promettant une loi pénitentiaire : celle des prisons. Quand cessera-t-on de répéter en France que la prison ne sert à rien ? Elle n’est certes pas la solution à tout, mais nous avons besoin de 20 000 à 30 000 places de plus, notamment en maisons d'éducation.

J’évoquerai pour finir la réinsertion – comment parler de récidive sans parler des moyens nécessaires pour empêcher les primo-délinquants de sombrer à nouveau ? et enfin la question de la drogue - ses trafics, ses circuits financiers et les pays qui la produisent - qui me semble indissociable de celles de la récidive et de la délinquance.

M. Noël Mamère - Ce projet d'affichage, inutile et dangereux, en total décalage avec les réalités de la crise du système judiciaire français, est le fait d'un gouvernement 100 % à droite. Il n'y a en effet aucune différence entre la politique de vos prédécesseurs et celle que vous défendez aujourd'hui.

Ce texte est inutile et redondant. Présenté comme l'expression de l'engagement du Président de la République, il est le dixième, depuis 2002, à traiter de la sécurité ! Le rituel est désormais bien établi : la session extraordinaire est à peine commencée qu'on nous inflige une nouvelle réforme du code pénal et de l'ordonnance de 1945. En présentant ce texte, vous démontrez d'abord l'échec de la politique du « tout-sécuritaire » du ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy : l'insécurité n'a pas diminué, les prisons sont bondées, 300 voitures ont été brûlées le week-end dernier, rappelant que le feu couve toujours depuis les émeutes de novembre 2005.

Allez-vous enfin prendre le temps d’évaluer cette politique fondée sur la dictature de l'émotion et le traitement médiatique de l'insécurité ? Durant les trois dernières années, nous avons examiné pas moins de trois textes concernant la lutte contre la récidive : le projet Perben II en mars 2004, celui de votre prédécesseur, Pascal Clément, en décembre 2005, et, il y a quelques mois, celui du ministre candidat sur la prévention de la délinquance.Il n’est jamais procédé à l’évaluation d’aucun de ces textes : à peine sont-ils susceptibles d’être appliqués que vous en soumettez de nouveaux, en semblant ignorer que trop de lois tuent la Loi.

Votre projet témoigne aussi d’une certaine défiance à l’encontre de la magistrature. À vrai dire, il fait injure aux juges, déjà contraints d’exercer dans des conditions précaires. Suspectés de ne pas satisfaire assez docilement aux injonctions du Président de la République en refusant le principe des peines plancher, les magistrats sont stigmatisés : étrange conception de la séparation des pouvoirs !

Le Président de la République a déclaré une sorte de guérilla contre le monde judiciaire, qui consiste à dresser l’opinion contre les juges et les médias contre le droit. Prenant à témoin la nation, le président Sarkozy ne laisse aux magistrats qu’une alternative : s’aligner sur la politique qu’il préconise ou s’exposer à la vindicte populaire. En décidant, en son âme et conscience, de ne pas prononcer la peine plancher correspondant au cas qui lui est soumis, le juge prendra le risque de voir sa responsabilité engagée si le délinquant récidive. Chacune des dispositions de votre texte suggère qu’il est urgent de dépouiller de leurs prérogatives des juges assez laxistes pour remettre en liberté des individus dangereux. Tout doit être fait pour protéger la société d’une magistrature qui n’applique pas – ou mal – la loi.

M. Nicolas Dupont-Aignan - Caricature !

M. Noël Mamère - Votre texte, qui n’a été précédé d’aucune étude d’impact valable, va aggraver une surpopulation carcérale déjà indigne de notre pays. Alors que 63 500 détenus s’entassent dans des conditions infâmes et que des prévisions dignes de foi annoncent une hausse de 20 % de l’effectif carcéral dans les prochaines années, l’application des dispositions qui nous sont soumises risque d’envoyer 10 000 personnes de plus en prison chaque année !

Déjà presque ingérable du fait du refus des grâces présidentielles, la situation va devenir explosive. Et l’engorgement carcéral est inévitable, puisque les juges ne pourront appliquer les présentes dispositions en procédure de comparution immédiate, ordinairement privilégiée pour les cas de récidive. Le tribunal devra en effet renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir, sans juger l’affaire, cependant qu’une enquête de personnalité – confiée à un juge d’instruction ou reprise en préliminaire par le procureur – tentera d’établir s’il existe des garanties de réinsertion. Le texte va donc entraîner un allongement spectaculaire des délais de jugement en matière pénale et un encombrement insupportable des cabinets d’instruction.

Dangereux, ce projet l’est aussi en ce qu’il ne participe pas de l’évolution attendue vers une justice plus moderne et responsable. Le rapport de la Commission d’analyse et de suivi de la récidive rappelle que les peines plancher instaurées aux États-Unis et au Canada n’ont pas eu les effets escomptés. Après avoir démontré leur totale inefficacité en matière dissuasive, leur coût prohibitif pour les dépenses publiques et la source de désorganisation qu’elles constituaient pour les administrations pénitentiaires, elles sont partout en voie d’être démantelées. Le Royaume-Uni permet au juge d’y déroger très facilement, l’Australie les a supprimées, et plusieurs états américains y renoncent progressivement.

M. Daniel Mach - Et alors ?

M. Noël Mamère - Alors que le Président de la République n’a de cesse d’inciter à importer « ce qui marche », il vous engage dans une aventure qui a échoué partout ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Car le premier foyer de récidive, c’est la prison : ce sont ces cellules surpeuplées où cohabitent primo-délinquants et professionnels du crime. Selon l’adage, la prison est l’école du crime ; malheureusement, l’expérience le confirme. Sans même avoir pris le temps de concevoir une réforme pénitentiaire globale, vous initiez une démarche qui va produire des générations de délinquants. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Madame la Garde des Sceaux, votre texte porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels. D’abord, il inverse la logique judiciaire en sacrifiant la spécificité de la justice des mineurs sur l’autel de la surenchère médiatique. Demain, le juge devra motiver, non plus la privation de liberté, mais le maintien en liberté ! Ensuite, le principe de l’individualisation de la peine devient l’exception. Or, s’il est universel – et il doit le rester -, il vaut a fortiori pour les mineurs, qui doivent être appréhendés comme des êtres en devenir, dont l’évolution n’est jamais inéluctable. Appliquer des peines plancher à des mineurs, c’est admettre que notre société renonce à les intégrer. Cela revient à les priver de toute chance de sortir de l’exclusion. Enfin, au prétexte que l’ordonnance de 1945 serait désuète – alors qu’elle a été modifiée vingt fois ! -, on veut la réformer une nouvelle fois, pour tenir compte, nous dit-on, du fait que la délinquance serait toujours plus précoce et violente.

En présentant ce texte à la représentation nationale, vous jouez, Madame la Garde des Sceaux, avec le feu. La lutte contre la récidive est avant tout affaire de moyens et de volonté politique. L’urgence, c’est d’aider les équipes qui oeuvrent à la réinsertion des délinquants ; certainement pas de créer de nouveaux foyers de tensions ! Las, l’idéologie vous pousse à rajouter une nouvelle strate à la longue série des textes inapplicables.

Bien entendu, nous ne voterons pas ce mauvais texte de circonstance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Étienne Blanc - Le Gouvernement se soumet aujourd’hui à un exercice difficile, en raison de l’état de l’opinion qui, au cours des campagnes électorales du printemps, a exigé que tous les moyens juridiques soient déployés pour endiguer la montée de la récidive, en particulier lorsqu’elle est le fait de mineurs. Difficile, donc, car il faut concilier cette demande avec le respect des principes fondamentaux de notre droit et de nos engagements internationaux, lesquels commandent de ne pas attenter à l’individualisation des peines ni aux règles spécifiques qui régissent la justice des mineurs. Madame la ministre, j’estime pour ma part que vous avez triomphé de cette difficulté en nous présentant un texte équilibré, qui répond à la demande de sécurité des Français tout en respectant les principes fondamentaux de notre droit pénal.

À l’évidence, la récidive est toujours un échec. Pour les Français, elle traduit la faiblesse du système judiciaire, lorsqu’il ne peut faire comprendre au délinquant ce qu’est une sanction pénale et le risque que représentent une récidive ou une réitération. Pour le législateur, car elle met en évidence les insuffisances du dispositif législatif. Pour notre société, puisque le pacte social ne semble plus assez fort pour accompagner la réussite des politiques de prévention et de répression mises en œuvre par la puissance publique. Pour l’auteur des infractions, enfin, dont la répétition de l’acte délictueux ou criminel traduit l’impuissance à s’intégrer : l’échec de sa vie risque, bien souvent, d’entraîner toute sa famille dans des difficultés sans fin.

C’est l’honneur du Gouvernement de proposer un traitement nouveau pour ce fléau…

M. Alain Néri - Le septième du genre !

M. Étienne Blanc - …tout en respectant nos principes juridiques fondamentaux dans des domaines sensibles.

M. Jérôme Lambert - Après sept lois pour rien faire !

M. Étienne Blanc - La personnalisation – ou individualisation – de la peine s’inscrit dans la tradition personnaliste et humaniste de notre droit. Elle se doit donc d’être préservée. Or, contrairement aux commentaires mal intentionnés et trop souvent entendus de certains, le texte n’introduit aucune sanction mécanique… (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Le juge pourra prononcer une sanction inférieure à la peine plancher, sa seule obligation dans ce cas étant de motiver sa décision au regard de la nature de l’infraction, de personnalité de l’auteur et de sa capacité à s’insérer ou se réinsérer.

M. Jérôme Lambert - Mais que se passe-t-il à la seconde récidive ?

M. Étienne Blanc - Dans ce cas, comme pour les crimes et délits les plus graves, le champ de la motivation se réduit aux garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion. Le législateur est invité à faire respecter une gradation dans l’exigence de motivation, sans attenter au pouvoir d’appréciation du juge.

Plusieurs députés SRC - Mais si !

M. Étienne Blanc - Le juge conservera également toute faculté de prononcer des sanctions alternatives à la prison : amendes, TIG, sanction réparation, sursis simple, sursis avec mise à l’épreuve, bracelet électronique…

Une autre question sensible concerne la justice des mineurs. Le projet de loi ne revient pas sur les principes spécifiques dont relèvent les mineurs délinquants : l’âge de la majorité pénale ne change pas, le principe d’atténuation de responsabilité pénale est maintenu et les juridictions pour mineurs restent spécifiques. Enfin, nonobstant le plancher fixé dans la loi, le juge pourra toujours, avec une motivation expresse, prononcer une peine inférieure à la peine minimale et faire bénéficier le jeune de l’excuse de minorité inscrite dans l’ordonnance de 1945.

Au regard de ces arguments objectifs, les critiques dirigées contre ce texte ne tiennent pas.

Le texte serait, selon certains, inutile. Est-ce à dire que l’arsenal législatif serait déjà suffisant ? Sauf à désespérer de notre utilité, pouvons-nous, nous législateurs, nous abstenir de répondre à la montée des récidives et à leur aggravation ? N’est-il pas indispensable de parachever l’œuvre entreprise en complétant les lois des 12 décembre 2005 et 5 mars 2007 ?

Toujours aux dires de certains, le texte serait vexatoire pour les magistrats. Mais, sauf à établir une autorité judiciaire supérieure au pouvoir législatif, la loi est votée pour fixer aux magistrats chargés de rendre la justice un cadre, des limites et des obligations spécifiques. Au surplus, l’exigence de motivation est présente dans le droit européen, et largement reprise dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

M. Jacques-Alain Bénisti - Absolument !

M. Étienne Blanc - Enfin, le texte serait dangereux, notamment parce qu’il aurait pour effet d’aggraver la surpopulation carcérale. Mais ne sommes-nous pas nombreux à considérer – et, je l’espère, sur tous les bancs de notre Assemblée – que l’incarcération plus fréquente des récidivistes concourt à la paix publique plutôt qu’elle ne la compromet ? S’y ajoutent le fait que les dispositions relatives à l’aménagement des peines n’ont pas été écartées et que les mesures de substitution à l’incarcération pourront toujours être mises en œuvre.

Madame la Garde, avec ce texte, vous nous permettez de tenir un engagement fort du Président de la République. Ceux qui s’en offusquent voudraient sans doute que se perpétue la tradition selon laquelle les engagements pris au cours des campagnes sont faits pour être oubliés sitôt l’élection gagnée ! Ils seront déçus par l’action de notre majorité. Quant au Gouvernement, il peut compter sur notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Dominique Raimbourg - S’il est louable de s’attaquer à la récidive, ce texte suscite nombre de critiques parfaitement justifiées car il procède d’une approche idéologique qui ne fait guère cas de la réalité. Ainsi, au mépris de toute analyse juridique valable, on mélange tous les types de récidives. En matière de récidive criminelle, les peines minimales qui sont envisagées demeurent largement inférieures à celles que prononcent la majorité des tribunaux. La récidive criminelle est une récidive générale et perpétuelle, et l’on tend à oublier qu’elle amène le prononcé de peines très sévères, même si elles sont peu nombreuses. Votre approche idéologique vous conduit à méconnaître qu’il existe plusieurs sortes de récidive, qui ne peuvent être assimilées les unes aux autres. Tout d’abord, celle des mineurs, ou plutôt celle d’une toute petite fraction de mineurs délinquants qui, ne craignant plus ni Dieu ni diable, sont capables, à quelques-uns seulement, de « pourrir » la vie d’un quartier : hélas, aucune politique spécifique n’est prévue pour empêcher cette récidive-là. Différente est celle des majeurs, au sein de laquelle vous ne distinguez non plus aucune catégorie, alors qu’elle est le fait essentiellement des auteurs de vols et des automobilistes en état d’ivresse. Loin de l’image que l’on peut se faire du violeur ou de l’assassin en série, les délinquants sexuels, auxquels on attribue une propension importante à la récidive et à la réitération, ne sont que peu récidivistes et réitérants. À défaut d’avoir bien défini quelle type de délinquance il vise, ce texte risque d’échouer à prévenir la récidive – objectif partagé par tous.

Aucune étude n’a non plus été réalisée sur les conséquences des nouvelles dispositions en matière de flux pénitentiaires. Le chercheur Pierre-Victor Tournier envisage trois scénarios…

M. le Rapporteur - Il est honnête de le dire !

M. Dominique Raimbourg - Vous n’en avez étudié aucun.

M. le Rapporteur - Pourquoi privilégier celui de dix mille détenus supplémentaires ?

M. Dominique Raimbourg - Parce que c’est celui mis en avant par M. Tournier et parce que c’est sa crainte. La précaution scientifique exigeait certainement qu’on fasse état de trois scénarios possibles, mais une étude d’impact était indispensable.

Enfin, ce texte a été sourd aux recommandations des commissions qui se sont penchées sur le sujet, comme aux critiques des magistrats et des policiers.

Au total, ce texte est dangereux, rouvrant de manière idéologique le débat sur la question de la délinquance qui occupe le débat public depuis des années. Le risque est d’ouvrir une boîte de Pandore, l’opinion publique ne comprenant pas les distinctions subtiles entre récidive et réitération, ne comprenant pas non plus que les peines quasi automatiques promises pendant la campagne présidentielle ne le soient pas ou que, si elles le sont, elles soient jugées inconstitutionnelles. Tout cela sera difficile à expliquer, ce qui est fort regrettable car c’est sur ces thèmes-là précisément que l’opinion ne comprend pas la politique menée, quels que soient les gouvernements.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Mme Marie-Louise Fort - M’adressant ici à vous, je m’appuie sur mon expérience de maire de Sens et de vice-présidente de l’Observatoire national de la délinquance, fonctions qui m’ont permis ces dernières années, Madame la ministre, de travailler avec vous et de prendre la mesure du vécu sur le terrain.

En dix ans, le nombre de ministres mis en cause… (Rires sur de nombreux bancs) Pardonnez ce lapsus, le nombre de mineurs mis en cause pour des atteintes aux personnes a augmenté de plus de 120 % – 17 % entre 2005 et 2006.

M. Jérôme Lambert - Quel bilan !

Mme Marie-Louise Fort - De plus en plus de mineurs sont impliqués dans des faits de violence gratuite, c’est-à-dire sans objectif de s’approprier le bien d’autrui. Et bien qu’heureusement les jeunes filles soient encore largement minoritaires parmi les mineurs interpellés, leur proportion ne cesse d’augmenter. De 2005 à 2006, plus de mille jeunes filles supplémentaires, soit une augmentation de 25 %, ont fait l’objet d’une procédure policière pour violences physiques non crapuleuses.

Certes, le nombre de faits de violence reste encore très limité au regard de la délinquance de masse que constituent les atteintes aux biens. Leur banalisation – de plus en plus souvent des jeunes recourent à la violence pour régler de petits différends – doit néanmoins appeler notre attention. Il n’est pas tolérable que notre pacte social soit remis en cause par le comportement de quelques individus qui utilisent tous les moyens pour imposer leurs lois sur un territoire. Aujourd’hui, ces violences sont encore trop souvent commises par des mineurs déjà connus pour de tels faits. Certes, tous ne sont pas nécessairement en état de récidive légale, mais seulement de réitération.

La définition de la récidive est si stricte que les études sur le sujet sont rares, ce qui rend le phénomène difficile à évaluer. Il est délicat en effet de distinguer récidive, réitération et concours d’infraction. C’est d’ailleurs pourquoi il est intéressant d’examiner les statistiques disponibles portant sur la notion plus large d’antécédent, criminel ou délictuel. Ainsi, parmi les 357 440 personnes condamnées en 2004 pour délit, 31 % avaient déjà été condamnées, le taux montant à 32 % pour les violences volontaires et à 43 % pour les outrages. Une étude conduite en 2005 par la direction départementale de la sécurité publique des Yvelines a dénombré 1 257 réitérants dans le département, parmi lesquels 195 mis en cause entre quatre et quinze fois, représentant à eux seuls plus de 30 % des faits de délinquance élucidés.

Par la loi du 12 décembre 2005, le législateur a étendu le champ d’application de la récidive et introduit dans le code pénal la notion de réitération. Le présent texte marque une étape importante. Il a le mérite de se placer du côté des victimes tout en adressant un signal fort aux délinquants. Après les nombreuses réformes intervenues au sein de la police et de la gendarmerie, et les résultats encourageants obtenus ces cinq dernières années dans la lutte contre la criminalité, il fallait permettre à la justice de mieux prendre en compte les évolutions de la délinquance. Le travail de la police n’aurait en effet qu’un impact limité si les autres acteurs de la lutte contre la délinquance ne suivaient pas et si les moyens n’étaient pas à la hauteur.

M. Claude Goasguen - C’est vrai !

Mme Marie-Louise Fort - Quelle est la logique d’une interpellation si elle n’est pas suivie de sanction ?

M. Manuel Valls - Très juste !

Ce texte réprimera plus sévèrement les infractions, ce qui est de nature à mieux les prévenir, la peine ayant un caractère dissuasif. Au vu de l’évolution de la délinquance des mineurs, et plus globalement de la criminalité, dans notre pays, il n’est ni incongru ni scandaleux de durcir notre réponse pénale. Car la peine a aussi un caractère éducatif.

Enfin, et là est peut-être l’essentiel, ce texte rompt courageusement avec la culture de l’excuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ce n’est pas la société qui génère la délinquance. Celle-ci est toujours le fait d’un individu qui décide, à un moment donné, souvent après réflexion, de passer à l’acte et agit en pleine conscience de l’illégalité de son acte, dont il est donc pleinement responsable. La culture de l’excuse est dangereuse en ce qu’elle déresponsabilise l’homme et lui dénie la faculté d’opérer des choix, comme s’il était dénué de raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen) Ce n’est ni en niant la responsabilité individuelle ni en rejetant la faute sur la société que l’on a une chance de faire prendre conscience aux délinquants, et à ceux qui pourraient être tentés de le devenir, de la gravité de leurs agissements. C’est au contraire en les plaçant devant leur responsabilité que la sanction aura vertu à la fois éducative et répressive.

La société a le devoir de fixer les limites à ne pas franchir. Ce n’est que si on considère les adolescents comme des êtres capables de comprendre la portée de leurs actes que la réponse de l’État peut avoir un sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Celui qui décide de transgresser la norme et se met ainsi de facto en marge de la société, doit être sanctionné, la sanction ayant une visée à la fois préventive, éducative et répressive. Elle signifie aussi, et ce n’est pas là le moindre de ses objectifs, que la société ne peut admettre les comportements prohibés, sauf à remettre en cause le pacte social. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Delphine Batho - Dans ce débat, et alors même que s'ouvre une nouvelle législature, majorité comme opposition devraient faire preuve d'humilité. Une réalité s'impose à nous, celle de la montée continue des violences. Tous, vous comme nous, avons pris la mesure de l'exaspération légitime de nos concitoyens face à ce phénomène. Mais, hélas, aucun gouvernement, ni de gauche avant-hier, ni de droite hier, n'est parvenu à stopper, encore moins à inverser, l’augmentation constante des violences à l’encontre les personnes. (« Faux ! » sur les bancs du groupe UMP) Des paliers supplémentaires dans les degrés de violence, avec des formes nouvelles d'hyper-violence, ont été franchis chaque année, sans qu’aucun des gouvernements successifs ne sachent apporter de réponse efficace. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP)

Cessons, de grâce, de nous jeter à la figure nos bilans chiffrés respectifs ! Malgré toutes les critiques que vous aviez formulées en 2002…

M. Yves Bur - À juste titre !

Mme Delphine Batho - …et les certitudes que vous affichiez à l'époque, le bilan en 2007 montre que vous n'avez pas réussi.

M. Claude Goasguen - On aura tout entendu ! Pourquoi vous avons-nous battus deux fois ?

Mme Delphine Batho - En dépit d’incessantes modifications législatives, d’innombrables nouveaux plans et dispositifs, les résultats ont été globalement médiocres. Et nos concitoyens sont fondés à penser que les pouvoirs publics sont impuissants, sentiment que le volontarisme du discours verbal ne suffit plus à tempérer.

M. Daniel Mach - Les électeurs apprécieront !

Mme Delphine Batho - Vous souhaitez, Madame la Ministre, compléter la loi afin de disposer des moyens appropriés pour lutter contre la récidive. Qui pourrait vous le reprocher ? Mais examinons les faits, rien que les faits, toujours les faits. Le 13 avril dernier, était retrouvé le corps sans vie de Sophie Gravaud, une jeune femme de 23 ans. Ce crime odieux nous a tous révoltés et le Président de la République s'est fait l'interprète de l'émotion partagée par l'ensemble de la communauté nationale en recevant la famille de la victime à l'Élysée le 1er juin dernier. Le geste ne pouvait certes qu’être symbolique, mais il était justifié. À cette occasion, le Président de la République a rappelé sa « détermination à ce que les peines applicables aux délinquants multirécidivistes soient à la hauteur des drames qu'ils causent. » Voilà qui mérite que l'on s'y arrête un instant, car en l'espèce, le nouveau dispositif proposé ne pourrait pas être appliqué à celui qui a avoué le meurtre inqualifiable de Sophie Gravaud. Récidiviste, il l'était au sens commun, mais, mis en examen pour viol sur une mineure de 17 ans en 2004 et placé sous contrôle judiciaire, il n’était pas état de récidive légale, tel que défini par le code pénal.

Certes, c'est la lenteur de la justice qui est en cause lorsque trois ans après une affaire, aucun jugement n'a été prononcé. Mais voilà justement la faille de ce projet : proclamer la fermeté devant l'opinion sans s'attaquer aux vrais problèmes.

Alors on pourra toujours multiplier les symboles, avoir un mot de sympathie pour les familles,…

M. Claude Goasguen - Bref, vous trouvez que le texte n’est pas assez répressif ?

Mme Delphine Batho - …inviter les victimes à la Garden Party du 14 juillet, rien ne sera réglé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Je voudrais surtout insister sur l'article 3 concernant les mineurs. Il aboutira à envoyer quelque 160 mineurs de plus par an en prison.

M. le Rapporteur - Ce n’est pas vrai !

Mme Delphine Batho - Cela figure page 39 du rapport du Sénat. En effet, en 2005, 317 mineurs ont été condamnés en état de récidive légale. Par le biais des peines plancher, il ne seront plus 49,8 % à être condamnés à l'emprisonnement mais 100 %. Ce n’est pas rien, mais je serai tentée de dire : « tout ça pour ça ? » Si l'épineux problème des mineurs récidivistes est à ce point circonscrit, n'auriez-vous pas pu donner vos instructions dans les directives de politique pénale dont vous avez annoncé la mise en place pour les mineurs ?

Ils sont des milliers, installés dans la violence, qui commettent délit sur délit. La police les a arrêtés des dizaines de fois. Les peines plancher ne les concernent pas, alors que ce sont ces situations qui provoquent l'exaspération légitime de nos concitoyens.

En réalité, vous jouez sur l’écart entre le sens commun des termes « récidive », « multirécidive », et leur sens juridique. Mais votre texte ne touche pas cette délinquance endurcie qui ne satisfait pas toujours aux critères juridiques de la récidive légale. Le rapporteur l’écrit d’ailleurs : « la récidive légale ne se confond pas avec la réitération », et Manuel Valls a souligné sans qu’on lui réponde, que le taux de récidive légale des mineurs est très faible, de l'ordre de 0,6 % , tandis que le taux de réitération est lui de 30,1 %, et de 55 % dans les cinq ans. Votre projet, Madame la Garde des Sceaux, ne traite pas les vrais problèmes. Ce n'est pas un coup d'arrêt, c'est un coup d'épée dans l'eau.

M. Claude Goasguen - Il n’est pas assez répressif !

Mme Delphine Batho - De plus, il vise les 16-18 ans, alors que les moins de 16 ans constituent plus de la moitié des mineurs mis en cause dans des actes de délinquance et que la part des moins de 13 ans ne cesse d'augmenter.

M. Jacques-Alain Bénisti - Vous voulez qu’on descende à 14 ans ?

Mme Delphine Batho - Ces mineurs qui s'installent dans un parcours de délinquant mériteraient en plus qu'un débat à la va-vite.

Vous ne traitez que d’une toute petite partie de la délinquance des mineurs, et vous le faites mal, parce que la prison, si elle est parfois incontournable, reste la meilleure école de la récidive et parce que les peines plancher n’auront aucun effet dissuasif sur des délinquants ultraviolents qui n'ont peur de rien ni de personne, et pour qui le passage en prison fait désormais partie intégrante d’une culture de la violence.

Qui peut croire qu'une peine plancher va dissuader ceux qui utilisent des armes, s'affrontent entre groupes rivaux, attaquent les commissariats, organisent des guet-apens contre les policiers ou les pompiers, s'en prennent aux agents des services publics ?

Pas plus que les quatre modifications de l'ordonnance de 1945 que cette majorité a approuvées au cours des cinq dernières années, ce projet ne freinera l'augmentation rapide de la délinquance des mineurs.

Le diagnostic est fait depuis longtemps : réponses illisibles, sanctions formelles et condamnations tardives, sentiment d'impunité d'un côté, impasse de l'enfermement de l'autre, indigence des moyens de la justice des mineurs et de la prévention, on ne compte plus les commissions d'enquête et autres missions qui ont dressé ces constats depuis vingt ans !

Parmi les mineurs mis en cause dans des actes de violences graves contre les personnes, les multiréitérants sont nombreux. S'en tenir à la peine à infliger après le énième délit, c’est poser le problème à l'envers. La fermeté précoce, la sanction rigoureuse dès le premier délit, voilà ce que nous proposons. Cela passe par la mise en place massive des centres éducatifs renforcés ou même les centres éducatifs fermés, avec des tuteurs référents capables de suivre ces mineurs. Cela passe aussi par une prévention précoce qui permet d’intervenir dès la première alerte .

M. Jacques-Alain Bénisti - Très bien ! Il fallait voter la loi que nous avons proposée..

Mme Delphine Batho - Vous me direz que la prévention précoce, qui n’a rien à voir avec une vision déterministe et prédictive des comportements délinquants, a été introduite dans la loi réformant la protection de l'enfance. La belle affaire, car où sont les éducateurs, les assistantes sociales, les pédo-psychiatres…

M. Jacques Alain Bénisti - Quatorze ans de formation !

Mme Delphine Batho - …capables d’intervenir dans des cellules de veille éducative autour de ces enfants ?

M. Claude Goasguen - Envoyez la Légion étrangère !

Mme Delphine Batho - Dans la circonscription rurale où j’ai été élue, les problèmes n’ont rien à voir avec ceux des quartiers. Mais dans toute la France, la cellule familiale et les repères éducatifs sont bouleversés, les adultes ont du mal à faire face à des adolescents difficiles. Un encadrement renforcé s’impose. Ce n’est pas en faisant des cadeaux aux plus aisés et en réduisant les services publics que vous en prenez le chemin. (vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Claude Goasguen - Après de tels excès, nous n’avons plus de complexe à avoir !

M. Julien Dray - M. Goasguen a besoin d’un encadrement militaire renforcé !

M. Manuel Aeschlimann - Ce texte était très attendu. C’était aussi l'un des engagements de campagne de Nicolas sarkozy car, en homme efficace et concret, il a constaté les très graves carences en la matière.

L'insécurité était le thème majeur de la campagne de 2002. En tant que ministre de l'intérieur, il a rapidement su apporter des réponses pragmatiques à ce fléau, il a su rendre confiance à la police en lui donnant les moyens d'agir, et elle a su les utiliser. Mais il est aussi apparu que le problème de l'insécurité avait de multiples facettes et que la lutte contre ce phénomène devait être permanente et devait évoluer.

La récidive en est l'une des causes les plus insupportables. Entre 2000 et 2005, les condamnations en récidive pour les crimes et délits ont augmenté de 70 %. Celles pour les délits violents de 145 % ! 30 % des mineurs condamnés récidivent dans les cinq années qui suivent ! Encore faudrait-il y ajouter toute cette délinquance des mineurs, qui reste ignorée de la police.

Il est grand temps de mettre un terme à ces noyaux « suractifs » de délinquance, au sein desquels 5 % des jeunes commettent plus de 50 % des infractions. Nous avons une obligation de résultat, une obligation de faire cesser cette banalisation de la violence.

Aujourd'hui, des citoyens sont assassinés pour avoir soutenu un regard, refusé de donner une cigarette ou simplement avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. La violence gratuite côtoie désormais le vol avec violence, la violence prédatrice dans les conflits entre bandes, ou la violence « protomafieuse » avec l’assassinat de dealers concurrents. La violence accompagne quasi systématiquement le vol a la dépouille, les comportements anti-institutionnels et les conflits entre bandes rivales. Sa gravité est totalement disproportionnée avec les faits qui la motivent. Selon Lucienne Bui-Trong, ancienne responsable de la section « ville et banlieues » à la DCRG, désormais des enfants, des personnes âgées ou des infirmes sont attaqués, des groupes agressent un individu seul. C'est le retour de la violence non régulée, de la cruauté.

Les récidivistes ont un véritable sentiment d'impunité, surtout dans les zones urbaines sensibles et les banlieues. La population est exaspérée par l'incapacité des autorités à apporter une réponse appropriée. Or, n'est-ce pas le devoir de la Justice que de protéger en priorité les plus faibles ? Les policiers aussi sont démoralisés : pourquoi arrêter aujourd'hui un délinquant qui sera relâché demain ? Et désormais, on parle d’incivilités pour qualifier les petits délits. Cette dévaluation des mots masque une réalité bien sombre : il n'y a pas de petite délinquance mais de l'insécurité tout court !

Ceux qui disent que cette « énième » réforme pénale ne produira pas les effets escomptés se trompent. Aucun des textes précédents ne s’est attaqué avec cette audace et cette ambition à la récidive. Cette fois, le délinquant sera amené à intérioriser la sanction pénale et le récidiviste saura précisément ce qu'il encourt.

Avec ce projet, vous avez su, Madame la Ministre, concilier la répression et la prévention, notamment à l'égard des mineurs. Vous êtes sortie de cette posture ubuesque qui a trop longtemps conduit certains à vouloir éduquer sans sanctionner et d’autres à sanctionner sans éduquer. Vous avez réaffirmé clairement le principe de l'emprisonnement et en même temps, vous avez respecté les grands principes de l'ordonnance de 1945.

Un autre enjeu important est l'effectivité des peines. Nos concitoyens y sont très attentifs, car une peine non exécutée contribue très largement à accroître le sentiment d'impunité. Je suis convaincu que vous saurez allier fermeté et justice pour que ce texte soit appliqué efficacement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Julien Dray - L’histoire se répète, mais souvent en farce, comme le faisait observer Hegel. Il y a un certain nombre d’années presque jour pour jour, nous étions convoqués par un nouveau Président de la République ; au banc du Gouvernement siégeait un ministre de l’intérieur flambant, et un ministre de la justice venait en complément. On nous annonça que, sur les décombres de la politique de la gauche, une ère nouvelle de lutte contre la violence allait commencer. Le Parlement vota un ensemble de lois, pendant cinq ans, régulièrement. Elles n’ont jamais été évaluées ; l’important n’était pas leur efficacité, mais que ce spectacle donne le sentiment qu’on s’occupait des vrais problèmes.

La réalité est toute autre. Depuis, la France a vécu l’insurrection des banlieues la plus importante qu’une majorité ait jamais dû affronter, et l’État de droit a régressé dans les quartiers. On nous a promis d’en reconquérir le territoire et d’y pourchasser les délinquants en montrant que la force était désormais du côté de la loi. Vaine promesse : en réalité, la situation des forces de police y est de plus en plus difficile ; plus grave encore, les habitants sont pris en otage par des groupes qui y font régner leur propre loi.

M. Jacques Alain Bénisti – Très bien !

M. Julien Dray – Tant que nous n’affronterons pas cette réalité, nous continuerons de multiplier les textes de loi, d’annoncer, comme de mauvais professeurs, que, la prochaine fois, on va voir ce qu’on va voir ! Les délinquants s’en moquent : ils ont établi leur loi sur leur territoire.

M. Jacques Alain Bénisti – Ils vont moins rire désormais !

M. Julien Dray - Monsieur Bénisti, vous n’avez cessé de parler ainsi au cours de ces dernières années.

M. Jacques Alain Bénisti – Parce que nous attendions ce texte !

M. Julien Dray - Mais vous n’avez cessé de dire la même chose d’autres textes, qu’il fallait voter en urgence pour compléter les textes précédents !

En réalité, comme l’a montré la confusion entre récidivistes et réitérants, votre projet n’a rien à voir avec ce que vivent les habitants des quartiers : une violence juvénile en hausse continue, que connaît bien tout parlementaire à qui un commissaire de police de banlieue a montré ce qu’il appelle l’« annuaire », c’est-à-dire les photos des leaders qui exercent leur tutelle sur les jeunes et en organisent la délinquance, forts de leur excellente connaissance des textes de loi et des moyens de les contourner.

M. le Rapporteur - Ce sera plus difficile !

M. Julien Dray - Mais non : comme Mme Batho l’a souligné, seules 300 personnes sont concernées par votre texte, puisque vous en avez exclu les réitérants ! Si nous ne construisons pas le système de détection provisoire et d’encadrement qu’évoquait M. Valls, et que nous avons défendu, au cours de la campagne pour l’élection présidentielle, en recourant à l’expression, choquante pour certains, d’encadrement renforcé…

M. Jacques Alain Bénisti - Très bien !

M. le Rapporteur - D’encadrement militaire !

M. Julien Dray - Je préfère un encadrement militaire à des places de prison supplémentaires ! Songeons au travail accompli par l’armée à Montlhéry grâce au dispositif « Défense deuxième chance », destiné non aux délinquants, mais à des jeunes en situation d’échec.

M. Manuel Valls - Travail remarquable !

M. le Rapporteur - Vous y étiez opposés lorsqu’il a été lancé !

M. Julien Dray - Non seulement nous n’y étions pas opposés, mais c’est Mme Guigou qui est à l’origine des centres d’éducation fermés que vous évoquiez tout à l’heure.

M. le Rapporteur - Non : il s’agissait des centres éducatifs renforcés, non des centres éducatifs fermés !

M. Julien Dray - Votre désaccord ne portait que sur les termes ! Quelle différence ?

M. le Rapporteur - La différence, c’est l’encadrement et le projet éducatif !

M. Julien Dray - En réalité, si ces structures sont efficaces, encore aurait-il fallu les construire ! Mais vous avez voté davantage de lois que vous n’avez construit de CEF. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - Nous avons créé 320 places !

M. Jacques Alain Bénisti - C’est suffisant !

M. Julien Dray - Il faut aussi venir en aide aux familles, au lieu de les désigner à la vindicte populaire. Mais votre projet ne leur apporte pas le soutien dont elles ont besoin. Je me rappelle la triste histoire d’une mère de famille condamnée parce que son fils avait brûlé des poubelles…

M. Jacques Alain Bénisti - Des voitures !

M. Julien Dray - …et qui disait « Mon fils est un délinquant, c’est vrai, mais pourquoi me condamner à des pénalités financières au lieu de m’aider à m’occuper de lui, moi qui pars au travail à sept heures et qui rentre à la maison à vingt heures ? »

Un député UMP - L’un n’empêche pas l’autre.

M. Julien Dray - À ce système de prévention précoce, vous avez préféré une fuite en avant législative. Mais votre texte restera sans effet, et vous nous affirmerez qu’il faut encore durcir la législation et inventer à cette fin de nouveaux concepts.

Pour l’heure, votre logique d’enfermement nous fait aller tout droit vers les 100 000 détenus. Ainsi que je l’ai dit en commission, je souhaite que nous débattions des chiffres : avant même de répondre à l’invitation de l’Observatoire international des prisons, qui propose à chaque parlementaire de visiter les établissements afin d’en dénombrer les effectifs, nous savons que ces derniers sont inflationnistes. Comme le disent les personnels de l’administration pénitentiaire, auxquels vous avez rendu hommage, ouvrez des écoles plutôt que des places en prison, et essayez de ne laisser en prison que ceux auxquels aucun autre traitement ne peut convenir !

M. Jacques Myard - Nous connaissons la délinquance aussi bien que vous !

M. Julien Dray - Non, Monsieur Myard : élu de quartiers tranquilles, vous ignorez la réalité de la violence et les taux de récidive des centres pour jeunes détenus – plus de 60 %. Je vous invite à venir visiter avec moi la prison de Fleury-Mérogis !

M. Jacques Myard - Défi relevé : je viendrai, et vous me rendrez aussi visite ! Vous n’avez pas le monopole de ces questions !

M. Julien Dray - Madame la ministre, M. Valls vous a exprimé la sympathie que nous inspire votre présence. Le Président de la République vous a confié une lourde responsabilité en affirmant que vous n’aviez pas le droit d’échouer ; nous sommes prêts à vous aider dans votre tâche. Mais que ne vous êtes-vous, à l’occasion de votre première action politique, émancipée de sa tutelle en lui indiquant que la voie sur laquelle il s’engageait n’était pas la bonne ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Émile Blessig - C’est l’ouverture à l’envers !

M. Julien Dray - Puisqu’il semble prêt à remettre en cause nombre de ses engagements de candidat, peut-être lui auriez-vous ainsi évité de commettre une erreur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Étienne Pinte - Madame la ministre, le projet de loi que vous nous proposez nous laisse perplexes. Les peines plancher, dans le contexte judiciaire et carcéral actuel, sont-elles la meilleure réponse aux maux dont nous souffrons ? En d'autres termes, l'instauration de peines minimales pour des délinquants multirécidivistes est-elle un instrument efficace de dissuasion ? Notre justice a-t-elle besoin de nouveaux textes alors qu'elle peine à appliquer ceux qui existent déjà ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) En réalité, elle ne dispose pas des moyens matériels et humains suffisants pour fonctionner dans de bonnes conditions, c'est-à-dire pour satisfaire les justiciables et, en particulier, les victimes. La multiplication des lois est inutile si elles restent lettre morte ! (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Pourquoi nos concitoyens se plaignent-ils de ne jamais voir les récidivistes emprisonnés ? Parce que, pour être récidiviste, il faut avoir été condamné ; or le délai qui sépare l’infraction du jugement est d’environ vingt mois, ce qui ôte tout son sens à la punition pour les victimes comme pour les policiers et les magistrats. Ainsi un délinquant peut-il commettre un deuxième délit avant même d'avoir été jugé pour le premier. En comparution immédiate, les magistrats, la plupart du temps, n'ont pas même connaissance d'une éventuelle récidive. En outre, au moins huit mois sont nécessaires pour que la première condamnation soit inscrite au casier judiciaire du délinquant.

Ne confondons pas la récidive des majeurs et celle des mineurs, dont les motivations diffèrent : les premiers hésiteront à récidiver s'ils possèdent des attaches familiales, alors que les mineurs, en situation de déshérence ou de souffrance, n’ont souvent rien à perdre.

L’application de la New York Juvenile Offender Law, qui, en 1978, a abaissé l'âge de jugement dans une juridiction pour adultes à 14 ans pour les cas de violences graves, a démontré combien la menace de sanctions échoue à dissuader. De surcroît, les jeunes auteurs de délits violents jugés de la même manière que les majeurs sont plus souvent et plus rapidement récidivistes. Ce dispositif ne pourra donc malheureusement qu’accroître la récidive des mineurs.

Les peines alternatives à la prison peuvent-elles en revanche servir à la réinsertion ? C’est assurément le cas s’agissant d’un placement en centre éducatif, d’un contrôle judiciaire, d’une enquête ou d’une expertise ; encore faut-il qu'un jeune n'attende pas deux ans avant de rencontrer un pédopsychiatre ou que, faute de psychiatres, un nombre suffisant de psychologues et de médecins coordinateurs accompagne le traitement prescrit par le thérapeute. Enfin, il faut que les magistrats disposent du temps nécessaire pour rédiger une motivation permettant d’éviter la peine plancher.

Donnons aux magistrats les moyens matériels et humains d’exercer leur métier, prouvant ainsi aux victimes qu’elles ont été entendues. À la suite de l'affaire dite d'Outreau, j’ai rencontré au tribunal de grande instance de Versailles, des hommes et des femmes admirables à qui nous ne pouvons pas demander l'impossible. Madame la ministre, à l’avant-veille de la préparation du budget 2008, ne les oubliez pas (Vifs applaudissements bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Jérôme Lambert - Le projet de loi que nous examinons s’inscrit dans la lignée de l’avant-projet de loi préparé en 2003 au ministère de l'intérieur et dont la mesure phare était la peine plancher, peine automatique en dessous de laquelle, en cas de culpabilité, le juge ne pouvait descendre, quelles que soient la personnalité du délinquant ou les circonstances de ses actes. Ses partisans, persuadés que la peur de la sanction suffit à mettre un terme à la délinquance et défenseurs d’une politique idéologique plutôt que raisonnée, reviennent aujourd'hui à la charge.

Pourtant, nous devrions tous reconnaître qu’il n’existe pas de corrélation entre le niveau des sanctions encourues ou prononcées et celui de la délinquance. On constate par exemple qu’aux États-Unis, où le taux d’incarcération est sept fois plus élevé que le nôtre, le taux de délinquance est également beaucoup plus élevé.

L’initiative prise fin 2003 par plus de 150 députés de l’UMP de déposer une proposition de loi prônant les peines plancher, qui était peu du goût du ministre de la justice de l’époque, M. Perben, fut suivie par la création d’une mission d’information consacrée à la lutte contre la récidive. Celle-ci publia son rapport, et quelques mois plus tard le Parlement examina un texte sur le sujet. Deux ans plus tard, et sans que la majorité parlementaire ait changé, on nous soumet un nouveau projet. Est-ce cela, « légiférer moins pour légiférer mieux » ?

On préfère la facilité de la communication à la réalité des faits. Peut-être n’est-ce pas un hasard, Madame la Garde des Sceaux, si avant d’occuper ces fonctions vous avez été responsable de la communication du candidat à la Présidence de la République… Au mépris des conclusions de la mission d’information, ce projet veut renforcer la peur du juge et la croyance en l’efficacité de la peine de prison. Pourtant, 31 % des personnes condamnées le sont à nouveau, alors que le niveau des peines encourues et prononcées n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années.

La mission avait démontré que l’arsenal juridique existe, mais que le problème se pose essentiellement en termes d’exécution des peines, et donc de moyens de la justice. À ce propos, rappelons qu’une fonction essentielle de l’administration pénitentiaire est de préparer les détenus à leur réintégration dans la société ; en l’oubliant, on favorise la récidive. Le suivi socio-judiciaire et le sursis avec mise à l’épreuve, instauré par Mme Guigou, sont des outils qu’il conviendrait de consolider. Il faudrait aussi réfléchir à la situation de ces prisonniers qui cumulent difficultés sociales, psychiques et éducatives. Au lieu de cela, on pratique la surenchère législative.

Inefficace pour lutter contre la récidive, ce texte risque en outre la censure constitutionnelle. Personne ne prétend que les problèmes sont simples ; c’est précisément pour cela que vous n’avez pas le droit de faire preuve de légèreté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Michel Diefenbacher - La difficulté principale que rencontrent les acteurs de la politique de sécurité – éducateurs, policiers, juges –, c'est le sentiment d'impunité qui prévaut chez nombre de délinquants.

Pour avoir longtemps travaillé avec les policiers et aux côtés des magistrats, je suis convaincu qu'il est le plus souvent sans fondement : la police fait bien son travail, et la justice aussi. Il reste que ce sentiment explique pour une large part le développement d'une délinquance répétitive, et qu'il est renforcé chez les plus jeunes par l'exception de minorité. En fixant des peines plancher, cette loi aura le grand mérite de faire passer un message clair aux délinquants.

Je ne partage pas le scepticisme de certains quant au rôle dissuasif de la sanction. Au demeurant, si une loi permet de sauver une seule vie ou d’épargner une seule victime, elle a déjà son utilité.

À travers ce texte, un message est également adressé à l'ensemble des Français : l'État est garant de la sécurité publique, il assume ses responsabilités et sait faire preuve de fermeté.

Mais par ailleurs – et c'est pourquoi le texte est équilibré – le principe fondamental qu'est l'individualisation des peines n’est pas remis en cause. Demain comme hier, le juge portera une appréciation à la fois sur les circonstances de l'infraction et sur la personnalité de l'auteur, et il pourra en conséquence déroger à la peine plancher fixée par le législateur.

Pourquoi, alors, fixer des peines plancher ? Parce que, si les individus sont différents, si chacun de nous, comme le disait Delphine Seyrig dans Baisers volés de Truffaut, est exceptionnel (Sourires), les règles de la vie collective doivent être les mêmes quelles que soient les personnes et quel que soit le lieu. Que l'individualisation des peines et l'homogénéité des règles de la vie collective soient des nécessités contradictoires, c'est une évidence ; mais l’équilibre de ce projet tient en trois points : il existe une norme, la peine plancher ; les situations particulières peuvent conduire le juge à admettre des exceptions ; toute exception à la norme fixée par la loi doit être motivée.

Ce texte est très loin des caricatures qui en ont été faites. Comme beaucoup, j'ai été profondément indigné par les attaques outrancières dont il a fait l'objet, et je souhaite à ce sujet, Madame la ministre, vous exprimer ma totale solidarité et vous féliciter pour la sérénité et la hauteur de vues dont témoignent toutes vos réactions.

Comme toute œuvre humaine, ce projet est bien sûr perfectible. S'il faut l'améliorer, faisons-le, mais dans le respect de la vérité et de la sensibilité de chacun. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Arnaud Montebourg - Madame la ministre, permettez-moi de vous dire que j'ai regardé votre entrée à la Chancellerie avec une certaine sympathie. J'ai aussi observé les attaques que vous avez pu subir non pour ce que vous faites, mais pour ce que vous êtes. Avec l’ensemble des socialistes, je récuse toute critique à votre égard qui ne s’appuierait pas sur votre action politique.

Le débat à cette tribune n’est pas entre les laxistes, les angéliques d'un côté, et les partisans de la répression de l’autre. Ce qui est en cause, c’est la réforme des méthodes de l'action publique en matière de lutte contre la violence quotidienne.

Il y a ceux qui font des lois pour la gloire, pour l'amour d'eux-mêmes parfois, s’attachant surtout à envoyer des messages à l’opinion, et il y a ceux qui s'attachent à l'efficience – il y en a dans votre camp, Madame la ministre, et nous appartenons à cette catégorie.

Tous les observateurs avisés vous disent en chœur : « Faites moins de lois, donnez-nous des moyens ». M. Pinte vous l’a répété à l’instant, le président de l’Union syndicale des magistrats le dit aussi, le secrétaire général du syndicat de police Synergie - pourtant plus proche de votre majorité -, déclarait lui-même il y a quatre jours : « Avant même de légiférer, il serait urgent d'augmenter les budgets des tribunaux, des greffes, des services du casier judiciaire pour juger plus vite ». C’est un policier qui dit cela, ce devrait être le président de la commission des lois ! Et il ajoute : « Dans la vie de tous les jours, des récidivistes, vous n'en avez pratiquement pas car les délais de jugement sont trop longs pour qu'il puisse y en avoir ».

Ces derniers temps, les témoignages se sont accumulés dans la presse sur la paralysie de l'appareil judiciaire. Au tribunal de Bobigny, au 31 août 2006, 191 décisions d'assistance éducative pour des mineurs en milieu ouvert étaient « en attente d'exécution ».

Au tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône, qui ne doit pas vous être indifférent, non plus qu’à moi, pour trois enfants de 15, 14 et 12 ans, « jeunes violents présentant des troubles du comportement », une assistance éducative en milieu ouvert a été ordonnée. Délai d'attente : trois mois. Pour trois enfants de 15 et 16 ans, le juge a décidé une mesure de réparation pénale et de remise en état des biens dégradés. Délai d'attente : cinq mois.

Un juge des enfants a dit son désarroi dans la presse : « À quoi sert-il de prendre des décisions, de rendre des ordonnances ou des jugements sévères ou bienveillants s'ils restent lettre morte ? » De hauts fonctionnaires de la Protection judiciaire de la jeunesse estiment que 3 000 mineurs seraient dans l'attente de l'exécution de décisions prises contre eux. Une jeune magistrate d’un tribunal de province raconte : « Quand j'ai été nommée juge des enfants, j'ai hérité d'un cabinet avec deux ans de décisions non exécutées. J'ai demandé au procureur de tout mettre à la poubelle pour recommencer à zéro, car une bonne partie était prescrite. » Voilà l’état concret de la situation dont vous avez la charge !

M. Jacques Myard - Démissionnez donc !

M. Arnaud Montebourg - Pendant que vous faites des lois qui ne servent à rien, Madame la Garde des Sceaux, que nous proposez-vous pour empêcher que ne s’aggrave la grande misère des tribunaux, qui est la cause même de la perte de crédibilité des politiques pénales aux yeux des citoyens ? Quand M. Valls évoque la nécessité du sur-mesure, du cousu main, du cas par cas, dans chaque tribunal, avec les moyens correspondants – c’est le travail à mener, sur les délais, le nombre de poste… Vous n’avez que cela à faire, c’est ce que nous attendons ! Mais, pendant ce temps-là, vous tricotez des lois avec les nuages !

M. le Président - Pouvez-vous, cher collègue, commencer à tricoter votre conclusion ? (Sourires)

M. Arnaud Montebourg - Dans six mois, dans un an, la population vous demandera des comptes, et nous savons que, malgré les six lois à l’élaboration desquelles vous aurez contribué depuis cinq ans, il y aura des déconvenues. Hier soir, dans cet hémicycle, votre gouvernement a distribué 13,6 milliards d’euros de baisses d'impôt. Qui en voulait en a eu ! Vous avez fait partir en fumée deux fois le budget de la justice en à peine trois jours !

Rendez-vous dans six mois pour l'heure des comptes, et vous verrez que cette loi dont nous attendons l'évaluation avant la suivante – parce que vous reviendrez immanquablement agiter l’opinion, en disant qu’il en faut encore une – n’aura été qu’une loi de plus, une loi pour la galerie, et non pour les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Jacques Myard - À l’évidence, la violence a toujours existé, en particulier la violence des mineurs. Au XIXe siècle, les Apaches des banlieues détroussaient les bourgeois au surin. Plus récemment, nous avons connu les blousons noirs, avec leurs chaînes de moto.

M. Serge Blisko - Johnny !

M. Jacques Myard - Si la violence est une donnée – certains ont même prétendu que c’était une donnée biologique –, la réponse de la société a évolué. Il y a longtemps que l’on n’envoie plus Jean Valjean au bagne pour avoir volé une miche de pain, et je m’en réjouis. Personne ne remet non plus en cause l’action de prévention menée par les maires sur le terrain. Mais il est non moins vrai que, depuis une trentaine d’années, la nécessaire sanction a été passée par pertes et profits, dans le droit fil d’une idéologie de soixante-huitards attardés, qui voient dans les délinquants des victimes de la société par nature excusables de leurs actes. Cette approche politique a conduit à la dérive de l’insécurité que nous connaissons. C’est la raison pour laquelle vous nous proposez d’être plus fermes, et j’approuve votre projet de loi.

Mais mon propos ne portera pas tant sur la sanction des récidivistes - nécessité salutaire non seulement pour la société, mais aussi pour les délinquants eux-mêmes, qui doivent comprendre la portée de leurs actes - que sur la nature de la sanction. Faut-il obligatoirement envoyer un prison les mineurs, au risque de les rendre pires au contact des vieux chevaux de retour ? (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Serge Blisko - Les chevaux de Maisons-Laffitte !

M. Jacques Myard - Sous la dernière législature, j’ai rédigé une proposition de loi pour créer des unités disciplinaires d’insertion. Il me paraît plus efficace d’intégrer les jeunes délinquants dans des structures où règne une discipline de type militaire, qui démontre depuis longtemps sa capacité d’intégration et de formation pour les jeunes les plus difficiles.

En 1986, l’amiral Brac de la Perrière avait lancé les Jeunes en équipe de travail, les JET, destinés à accueillir, pour des stages de quatre mois, les mineurs délinquants dans des structures encadrées par les militaires. Cette opération, qui a connu un franc succès, n’a cependant pas survécu à la professionnalisation des armées.

Plus récemment, le général de Richoufftz, adjoint au gouverneur de Paris, a monté une opération de réinsertion pour des jeunes en difficulté, « Un permis de conduire pour la banlieue », en associant des entreprises et des militaires, parfois réservistes, dans un cadre militaire. Là encore, l’opération a connu un grand succès.

Les jeunes sans repères qui sombrent dans la délinquance ont besoin de rigueur et de discipline. L’engagement individuel et collectif, le sens de l’action, la volonté de servir des militaires constituent des valeurs de nature à faire se ressaisir ces jeunes à la dérive. Je suis certain que vous le comprendrez, Madame la Garde des Sceaux, et je vous demande d’étudier la mise en place de ces unités d’insertion, capables de faire comprendre aux jeunes délinquants la chance qu’ils ont de vivre en citoyens libres dans un pays libre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 20 heures 5.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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