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Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 31 juillet 2007

2ème séance
Séance de 21 heures 30
29ème séance de la session
Présidence de M. Marc Le Fur

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

CONTINUITÉ DU SERVICE PUBLIC (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

ART. 2 (suite)

M. Alain Vidalies – La réécriture de l’article que nous proposons par l’amendement 158 tend à rendre à la négociation collective la place prépondérante qui lui revient dans le dialogue social et la prévention des conflits. À la SNCF et à la RATP, des accords existaient qui, même s’ils étaient perfectibles, avaient fait la preuve de leur efficacité et lorsque, en mai 2006, le Gouvernement, en la personne de M. Perben, alors ministre des transports, avait choisi de privilégier la négociation, il avait été décidé que la charte de prévisibilité du service public de transport s’appuierait sur un accord de branche. Certes, cet accord n’a pas été conclu – mais c’est que vous aviez annoncé la loi ! Les représentants de l’Union des transports publics et ferroviaires ont en effet expliqué en termes choisis à la commission spéciale que la négociation n’était pas leur choix prioritaire et, surtout, qu’à partir du moment où, fin 2006 et début 2007, la perspective d’une loi leur a été donnée, leur investissement, déjà faible, dans la conclusion d’un accord s’est complètement évaporé – ils ont tranquillement attendu la promulgation de la loi. La suite de l’histoire est donc déjà écrite : pourquoi ceux qui ont refusé de négocier en attendant la loi accepteraient-ils de négocier à l’avenir puisque vous leur promettez maintenant un décret ? Il fallait donner à la négociation, fondée sur le principe majoritaire et sur la réhabilitation du principe de faveur, une chance de prospérer en réactivant l’accord de branche. C’est ce que nous proposons par cet amendement et par ceux qui le suivent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Jacques Kossowski, rapporteur de la commission spécialeLa commission a repoussé l’amendement, qui témoigne d’un malentendu sur le sens de l’article. Il n’est pas exact de dire que la négociation n‘a pas sa place dans ce projet, qui lui laisse le soin d’organiser la procédure de prévention des conflits. Le souci d’efficacité conduit le Gouvernement, pour respecter l’engagement du président de la République, à fixer au 1er janvier 2008 la date limite de signature d’un accord en ce sens, mais il faut prévoir l’hypothèse – que nous ne souhaitons pas – où la négociation n’aurait pas abouti à cette date. Dans ce cas, un décret en Conseil d’État serait pris mais, même alors, si un accord était signé ultérieurement, ses dispositions prévaudraient. Vous le voyez, à toutes les étapes, la négociation primera. Pour ce qui est de la hiérarchie des normes, ce n’est pas l’objet du texte.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité – Le Gouvernement exprime un avis défavorable. Si les négociations entre la SNCF et les régions n’ont pas abouti en cinq mois…

M. Roland Muzeau – Quatre !

M. le Ministre – Je tiens pour commencer à préciser que, contrairement à ce qui a été dit cet après-midi, ce n’est pas moi que la commission spéciale a interrogé « par trois fois » sur le décret en Conseil d’État. Peut-être était-ce M. Bussereau…

M. Alain Néri – Les absents ont toujours tort…

M. le Ministre – Du tout ! Que faites-vous de la solidarité gouvernementale ? J’ajoute que le décret que vous décriez n’est pas un décret classique mais un décret supplétif : ce n’est qu’à défaut d’accord qu’il serait recouru à la voie réglementaire. De plus, à supposer que le décret doive être pris, son application s’effacerait si un accord de branche ou un accord-cadre était conclu après le 1er janvier 2008. Comme la souligné votre rapporteur, nous privilégions dans tous les cas la négociation collective.

M. Roland Muzeau – À nouveau, le ministre a éludé la question qui fâche…

M. le Ministre – La question, ou la réponse ?

M. Roland Muzeau – Les deux fâchent ! (Sourires) Vous avez soigneusement omis de répondre à nos remarques relatives à l’inversion de la hiérarchie des normes à laquelle la loi Fillon a procédé. Or, l’UTP ne voulant pas d’accord de branche, vous mettez en péril des dizaines de milliers de salariés de petites entreprises de transport qui subiront de plein fouet la volonté patronale.

M. Alain Vidalies – Nous sommes d’accord sur l’interprétation qu’il convient de donner à cet article. Ce que nous disons, c’est qu’en annonçant un décret vous allez faire bégayer l’histoire et qu’aucun accord-cadre n’aura été négocié à la date butoir. Je vous remercie par ailleurs, Monsieur le ministre, d’avoir précisé que le décret n’est pas un décret d’application mais un décret supplétif. Le Conseil constitutionnel appréciera cette précision à sa juste valeur, puisque seul le législateur a compétence pour encadrer l’exercice du droit de grève.

Si c’est un décret d’application, la question pouvait se poser ; si ce n’en est pas un, je vous remercie de l’avoir précisé car cela permettra au Conseil constitutionnel de se prononcer en toute cohérence.

M. le Ministre – J’ai bien compris que vous envisagiez déjà de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel, mais je ne désespère pas de vous faire évoluer. Je vois que ma réponse vous a interpellés : sait-on jamais ? S’agissant de la question de la hiérarchie des normes, soulevée à l’instant par Roland Muzeau, nous reprenons la position commune des organisations syndicales de juillet 2001. Ensuite, cela reste encadré par l’accord de branche, et par la loi, pour des points qui ne sont pas mineurs comme les salaires, la prévoyance et la classification.

M. Roland Muzeau – Mais non ! La position commune n’est pas un document contractuel et vous le savez pertinemment : c’est un relevé de conclusions.

M. le Ministre – Libre à vous de considérer que la parole des organisations syndicales n’a pas de valeur. Moi, je leur fais confiance.

L'amendement 158, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Nous proposons, par l’amendement 159, que le texte ne s’applique qu’aux entreprises de 50 salariés et plus, et je ne reviens pas sur les arguments que j’ai déjà présentés, concernant notamment la position de l’UPA. Cela soulève une difficulté d’interprétation du texte. La notion d’accord-cadre, dont nous débattons depuis quelques heures, constitue une novation juridique dont la définition n’est pas très précise. Au reste, à la page 159 de son rapport, notre rapporteur ne manque pas de s’interroger sur ce point : « La notion d’accord-cadre n’est pas juridiquement très définie. » Nous sommes donc en train de légiférer sur la base d’un concept dont le rapporteur relève lui-même qu’il n’est pas très bien défini… C’est quand même une circonstance un peu étonnante. Je vous laisse à penser les difficultés d’interprétation que cela peut soulever pour ce qui concerne l’insertion de cette nouveauté dans la hiérarchie des normes, à côté des concepts mieux maîtrisés d’accords de branche, de conventions interprofessionnelles, etc. Vous avez sans doute vos raisons pour imaginer cette notion sui generis, mais cela mériterait d’être précisé. En tout cas, voilà un motif de plus pour écarter les petites entreprises, comme elles l’ont du reste demandé devant notre commission.

M. le Rapporteur – Je comprends votre souci de prévoir des modalités d’application de l’article dans les petites entreprises, et je m’en félicite d’autant plus qu’après avoir proposé de supprimer le dispositif, le groupe socialiste s’efforce à présent de l’améliorer…

M. Alain Vidalies – Allons, vous devez savoir que c’est la règle du jeu.

M. le Rapporteur – Cependant, la solution que vous proposez aboutit à un résultat inverse à celui recherché. En effet, pourquoi empêcher les entreprises qui le souhaiteraient de négocier et de conclure un accord-cadre ? S’il est exact de dire que la négociation collective est parfois plus difficile dans les petites entreprises, il semble abusif de considérer qu’il ne faut pas laisser sa chance au dialogue social dans les PME. Et je rappelle que, depuis la loi de mai 2004, un accord collectif de branche peut prévoir, en l’absence de délégués syndicaux, la possibilité de négocier avec les représentants élus du personnel ou, s’il n’y en a pas, avec des salariés mandatés. Et quand bien même la négociation n’aurait pas lieu, ce qui peut arriver, le texte du projet de loi prévoit d’ores et déjà qu’un accord de branche peut intervenir, et qu’il s’appliquera aux entreprises dépourvues d’accords-cadres. Votre amendement est donc au mieux inutile, et, plus certainement, contre-productif.

Enfin, la notion d’accord-cadre permet de rendre compte de ce que l’accord d’entreprise donne les règles du jeu de la négociation préalable. Il ne fait pas de doute qu’il s’agit, aux termes de l’article deux, d’un accord d’entreprise de droit commun.

M. le Ministre – Même avis défavorable.

L'amendement 159, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Je remercie le rapporteur car nos travaux servent aussi à l’interprétation de la loi. S’agissant de l’accord-cadre, sur lequel on pouvait s’interroger, M. le rapporteur vient de dire qu’il s’agissait en réalité d’un accord d’entreprise de droit commun. Dès lors, on se demande bien pourquoi on a inventé cette notion ! Quoi qu’il en soit, votre interprétation sera utile pour la suite du débat. Il reste qu’il vaudrait mieux faire des lois lisibles en se référant à des notions de droit commun, mais cela relève de votre responsabilité. Si l’accord-cadre ne présente aucune particularité, autant utiliser le terme bien connu d’accord d’entreprise.

L’amendement 160 est constructif, puisqu’il vise à utiliser le mandatement. Cela n’a aucun arrière-plan idéologique et vous pourriez d’autant plus facilement l’accepter que vous souhaitez que la négociation ait lieu partout, y compris dans les petites entreprises. Il faut donc faire référence au mandatement, procédure qui apparaît sous deux majorités différentes, aussi bien dans la loi du 13 juin 1998 que dans celle du 4 mai 2004. Cela complèterait utilement le dispositif et permettrait de reconnaître l’action des syndicats.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé cet amendement. Sa rédaction est ambiguë : soit il crée une procédure de mandatement spécifique pour la signature des accords-cadres, et il est alors très lacunaire quant au régime juridique du mandatement ; soit il ne crée pas une nouvelle procédure. Dans les deux cas, il est inutile. La procédure de droit commun du mandatement est retracée dans l’article L. 132-26 du code du travail, introduit par la loi du 4 mai 2004. Elle trouve à s’appliquer dans l’ensemble des entreprises, dès lors qu’un accord de branche le prévoit, sans qu’il soit besoin de le préciser expressément.

M. le Ministre – L’amendement est en effet satisfait, puisque ce sont bien les dispositions de la loi de 2004 qui s’appliquent.

M. Alain Néri – Monsieur le ministre, nous espérions un geste de votre part après la cascade d’avis défavorables qu’ont essuyée nos amendements ! Vous aviez annoncé une bonne surprise…

M. le Ministre – Ne soyez pas impatient !

M. Alain Néri – Quand viendra-t-elle ? Si votre objectif est vraiment de donner un nouvel élan à la démocratie sociale – en particulier dans les petites entreprises dépourvues de représentants syndicaux –, il faut accepter l’amendement 160 !

M. Jean-Claude Viollet – Selon la loi de 2004, les conventions de branche ou accords professionnels étendus prévoient que, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, et lorsqu’un procès-verbal de carence a établi l’absence de représentants élus du personnel, des accords d’entreprise ou d’établissement sont conclus par un ou plusieurs salariés expressément mandatés. Il s’agit bien, Monsieur le rapporteur, d’accords d’entreprise, pas d’accords-cadres. Si « vos » accords-cadres sont de simples accords d’entreprise, indiquez-le dans le texte. S’il s’agit d’accords spécifiques, la loi de 2004 ne s’applique pas.

Par ailleurs, vous dites que nos amendements sont superflus parce que la loi de 2004 existe. Cependant, dans la loi du 31 mars 2005 – la vôtre ! – portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise, je lis à l’article trois que « dans les entreprises de 20 salariés au plus, l’accord d’entreprise peut être conclu en l’absence de délégué syndical ou de délégué du personnel (…) par un salarié expressément mandaté ». Vous dites, en 2007, que nos amendements sont inutiles à cause de l’existence de la loi de 2004 ; dans ce cas, comment expliquez-vous qu’il ait été jugé nécessaire de mentionner à nouveau la possibilité de mandater dans une loi de 2005 ? Soit vous voulez encourager le dialogue social et il faut en donner des signes ; soit vous ne le souhaitez pas, parce que le seul but de ce texte serait de réduire le droit de grève…

M. Guy Geoffroy – Mais non !

M. Jean-Claude Viollet – Alors, argumentez, ne vociférez pas ! En 2005, vous avez jugé bon de faire une référence expresse au mandatement. Pourquoi cela n’est-il plus à l’ordre du jour en 2007 ?

M. Roland Muzeau – Parce que Nicolas ne le veut pas !

L'amendement 160, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Marc Dolez – L’amendement 161 vise à repousser le délai de signature des accords cadre organisant une procédure de prévention des conflits dans les entreprises de transport du 1er janvier 2008 au 1er janvier 2009. Le délai proposé est en effet totalement irréaliste.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé cet amendement. Il est important que les procédures de prévention des conflits dans les entreprises puissent être mises en œuvre rapidement. Si aucun accord ne le permet au 1er janvier 2008, un décret en Conseil d’État fixera ces règles après consultation des organisations syndicales, comme j’ai tenu à le préciser par voie d’amendement. Les entreprises ont donc plusieurs mois pour négocier. Celles qui souhaiteraient conclure après le 1er janvier 2008 pourront le faire. Dès lors qu’elles auront conclu un accord, ce sont ses dispositions qui s’appliqueront, et non plus celles du décret. La dernière phrase de l’alinéa 3 est très claire à cet égard : « L’accord de branche ou l’accord-cadre régulièrement négocié après cette date s’applique, dès sa signature, en lieu et place de ce décret. »

M. le Ministre – Même avis.

M. Alain Néri – Je ne comprends pas bien. Vous ne cessez de nous dire qu’il faut donner du temps au temps. Ainsi le préavis de grève ne devrait plus être de cinq jours, mais de seize ! Et là, vous fixez le délai de signature des accord cadre au 1er janvier 2008. Cela fait donc cinq mois pour négocier… Sauf que rien ne se passera en août, à moins que vous ne vouliez justement que la négociation se déroule en pleine période de vacances – les masques tombent ! Si vous voulez être cohérent, Monsieur le ministre, donnez donc du temps à la négociation : repoussez le délai ! Vous aurez ainsi l’occasion de tenir votre promesse de nous faire une heureuse surprise ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Michel Destot – Il ne s’agit pas tant de rallonger le délai que de tenir compte des conditions de la négociation. Un grand nombre de réseaux, notamment urbains – environ 33 selon le GART – verront leurs contrats arriver à échéance en 2008. Le renouvellement de ces conventions sera pour les autorités organisatrices le moment opportun pour introduire les clauses découlant de ce texte. S’il faut amender préalablement les conventions qui lient les autorités organisatrices aux transporteurs, le risque est celui de la précipitation. Si on veut respecter les compétences des collectivités locales et avoir le souci de la bonne gestion des politiques publiques et de l’argent public, une année supplémentaire n’est pas un luxe !

L'amendement 161, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Roland Muzeau – Comme l’a rappelé le Conseil économique et social dans son rapport sur la consolidation du dialogue social, la question du dialogue social et celle de la représentativité syndicale sont étroitement liées.

Le gouvernement précédent, qui défendait alors son projet de modernisation du dialogue social, a choisi le statu quo en maintenant en l'état les règles de représentativité et de validité des accords : une présomption de représentativité datant de 1966, inadaptée à l'évolution du paysage syndical, et la possibilité pour des syndicats minoritaires d'engager la majorité des salariés – rendue intenable par la loi Fillon de 2004, qui a encouragé l'autonomie de la négociation au niveau de l'entreprise et permis à l’accord d'entreprise de déroger à l’accord de branche dans un sens défavorable aux salariés.

Vous êtes restés sourds aux deux principales recommandations du CES, partagées par la CFDT et la CGT : la refondation de la légitimité syndicale sur un vote de tous les salariés et l'affirmation du principe majoritaire comme condition de validité des accords. J’avais défendu ces propositions au Sénat. Je me souviens du refus de la majorité, désireuse comme le Medef de ne pas perdre l’acquis de la loi Fillon : la possibilité de négocier au plus près du terrain avec des partenaires dociles. Cela me semblait paradoxal de la part de ceux qui s'inquiétaient dans le même temps de la faiblesse des protagonistes sociaux. Je comprends à présent votre logique : c'est le moyen le plus sûr de régler son compte au syndicalisme et de les discréditer !

Monsieur le Ministre, je vous offre une occasion de prouver que le Gouvernement est décidé à donner tout son sens à la négociation. En présentant l'article 2, vous nous avez dit vouloir un dialogue maximal. Je vous ai déjà fait part de mes doutes quant aux chances de réussite de cette négociation à marche forcée. Je vous propose pour ma part un dialogue social de qualité, qui mette les organisations syndicales et les entreprises de transport face à leurs responsabilités.

L’amendement 56 n'exclut aucun syndicat représentatif de la négociation, mais il subordonne la validité de l'accord-cadre d'entreprise à sa signature par la ou les organisations majoritaires en voix. Et pour mesurer l'audience des organisations syndicales, nous envisageons, comme nous y invite le CES, la tenue d'une élection de représentativité.

Vous allez m'objecter que notre proposition est prématurée, que les partenaires sociaux sont saisis de cette question et qu'il faut leur faire confiance. Ce n’est qu’argutie : le Gouvernement sait brusquer les négociations lorsque cela l'arrange. Les vraies raisons sont donc à rechercher ailleurs : la majorité d'engagement prend à rebours la loi Fillon de 2004.

M. Alain Vidalies – Notre amendement 162 a le même objet. Je suis heureux de le défendre, car je ne doute pas qu’il sera voté à l’unanimité. Pour expliquer le revirement de la majorité entre 2006 et 2007, vous invoquez en effet l’élection présidentielle et la rupture. Je vais donc utiliser le seul argument qui soit susceptible de vous convaincre, en vous donnant lecture de la réponse adressée au président de l’Observatoire de la démocratie sociale par le candidat Nicolas Sarkozy sur cette question : « Comme vous, je pense que le dialogue social fonctionne mal, qu’il est conflictuel et qu’il a besoin d’un nouveau souffle. Pour ce faire, il nous faut rendre les syndicats plus représentatifs, et que la loi ne prenne plus trop de place par rapport à la négociation sociale. » (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) « Je crois en effet qu’il est indispensable d’assurer une plus grande représentativité des partenaires sociaux. Par conséquent, j’entends également adopter le principe de l’accord majoritaire, qui prévoit qu’un accord collectif ne serait valable que s’il était signé par les syndicats majoritaires dans l’entreprise ou dans la branche concernée. » C’est mot pour mot le texte de mon amendement ! Je poursuis : « Le dialogue social doit être un préalable obligatoire. Aussi, je propose de consacrer ce principe avec une règle simple que j’inscrirai dans une loi organique, à savoir que le Gouvernement devra proposer aux partenaires sociaux de négocier avant toute intervention d’un nouveau texte concernant le droit du travail. » (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) « Ce n’est que si la négociation échoue ou est refusée que l’État sera autorisé à intervenir. » Appliquez donc les propositions du Président de la République : sur cette question, nous sommes prêts à vous suivre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. le Rapporteur – La démarche de ces amendements est paradoxale. Ils visent en effet à modifier les règles de la représentativité syndicale alors même que ce sujet fait actuellement l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP). Pourquoi donc court-circuiter le dialogue social ? Je rappelle qu’à la suite de l’avis du Conseil économique et social de l’automne dernier, un premier document d’orientation a été adressé aux partenaires sociaux par Gérard Larcher, alors ministre du travail, pour proposer des pistes d’évolution sur la représentativité syndicale.

Le Président de la République a par ailleurs rappelé lors du conseil des ministres du 30 mai que la démocratie sociale est l’un des thèmes sur lesquels doivent s’ouvrir prochainement des négociations, à l’initiative des partenaires sociaux.

La lecture attentive des deux amendements est riche d’enseignements. Là où le groupe communiste propose que pour être valable, l’accord cadre soit signé « par une ou des organisations syndicales de salariés ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés lors de la dernière élection professionnelle de représentativité organisée nationalement tous les cinq ans », le groupe socialiste propose, lui, qu’il le soit « par une ou des organisations syndicales ayant recueilli plus de la moitié des suffrages au premier tour des dernières élections professionnelles. » Ces divergences montrent qu’il n’existe pas de consensus sur cette question complexe et que des expertises complémentaires sont assurément nécessaires. Quel pourcentage minimal de suffrages fixer ? Sur quelles élections se fonder et quelle périodicité d’élection retenir ?

M. Daniel Paul – Que faites-vous des promesses du Président de la République ?

M. le Ministre – J’ai vu avec quel intérêt, Monsieur Vidalies, vous lisiez la lettre de M. Sarkozy…

M. Alain Vidalies – Il n’y a que cela qui vous intéresse !

M. le Ministre – Non, je porte un intérêt à tout ce que vous dites. Votre amendement traduit seulement votre impatience – je ne dis pas votre manque de confiance dans les partenaires sociaux.

Quant à vous, Monsieur Muzeau, moi qui vous ai connu sénateur serein et patient, je vous retrouve député bouillonnant et impatient.

M. Roland Muzeau – Question de maison sans doute ! (Sourires)

M. le Ministre – Vous proposez d’aller plus vite que la négociation en cours entre les partenaires sociaux.

Tous les grands discours du monde ne sont que de peu de poids face aux faits. Les partenaires sociaux pourront constater ce soir que si certains parlent de leur faire confiance, d’autres leur font authentiquement confiance – et c’est nous, pas vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

M. Roland Muzeau – Je sais, Monsieur le ministre, le talent qui est le vôtre pour ne pas répondre aux questions, mais franchement, cela va-t-il durer encore longtemps ainsi ?

Le bouleversement de la hiérarchie des normes a conduit à ce que des accords soient conclus par des syndicats minoritaires. Des recours s’en sont suivis – d’ailleurs difficiles à former car le droit d’opposition n’est pas si simple que cela à faire valoir –, quand les accords n’ont tout simplement pas été cassés par les tribunaux. Bien que vous ne soyez ministre du travail que depuis peu, vous ne pouvez pas l’ignorer. J’imagine que vous avez étudié les dossiers avant de prendre vos nouvelles fonctions, tout comme vous l’aviez fait lorsque vous étiez chargé de la sécurité sociale – assez mal d’ailleurs puisque vous avez laissé filer le déficit de quatre milliards supplémentaires alors que vous aviez promis le retour des comptes à l’équilibre. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai du mal à vous croire aujourd’hui.

La question des accords majoritaires se pose incontestablement. Certains grands patrons ont éludé la question en consultant directement le personnel pour savoir par exemple s’il était d’accord pour travailler 39 heures payées 35 ou pour faire des heures supplémentaires. S’en est d’ailleurs suivie une multiplication des conflits sociaux.

J’en viens à la lettre, que dis-je, l’ordre, de M. Sarkozy puisqu’il n’est plus depuis un mois qu’un motif de légiférer, à savoir honorer les engagements pris par Nicolas Sarkozy, le Parlement n’ayant plus qu’à se coucher et la majorité à voter les textes proposés (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).

Un député UMP – C’est le peuple qui a parlé !

M. Roland Muzeau – À force de se courber, la majorité va finir par avoir des lumbagos et cela n’empêchera pas les choses de tourner vinaigre. Revenez donc au bon sens populaire, celui que vous aimez tant invoquer, et surtout au code du travail. Reconnaissez que les accords majoritaires sont la seule solution pour parvenir à un véritable dialogue social (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Alain Vidalies – Je rappelle les trois principaux points de la lettre dont j’ai donné lecture. « J’entends faire adopter le principe de l’accord majoritaire », écrivait M. Sarkozy. « Le dialogue social doit être un préalable obligatoire. Ce principe sera consacré par une règle simple que j’inscrirai dans une loi organique qui obligera le Gouvernement à proposer aux partenaires sociaux de négocier avant toute présentation d’un texte modifiant le droit du travail », poursuivait-il, avant de conclure : « Ce n’est que si la négociation échoue ou est refusée que l’État sera autorisé à intervenir. » Or, vous faites tout l’inverse, jetant d’ailleurs le trouble dans les esprits.

Pour que nous puissions y voir plus clair, je demande une suspension de séance de quinze minutes.

M. le Président – La suspension est de droit. La séance est suspendue pour dix minutes.

La séance, suspendue à 22 heures 20, est reprise à 22 heures 30.

M. François Brottes – Rappel au Règlement, fondé sur l’article 58, alinéa 1.

Nous voulions vérifier que les propos graves prononcés par Alain Vidalies reprenaient bien une déclaration écrite de Nicolas Sarkozy : pendant cette suspension de séance, nous n’avons reçu aucun démenti de l’Élysée (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP). Forts de cette nouvelle certitude, nous constatons avec un certain désarroi que, malgré notre désir d’arriver à un vote unanime sur un amendement de consensus, la majorité et le Gouvernement rompent avec le Président de la République. Nous, opposition, n’avons pas vocation à être les gardiens du temple, mais nous exprimons dans le cas présent les engagements de Nicolas Sarkozy, que la majorité ne cesse de se dire déterminée à tenir !

Il faut, disait-il, que la loi ne prenne pas trop de place par rapport à la négociation sociale. Or que nous propose le ministre ? Un décret au lieu des négociations ! N’est-ce pas une trahison de la parole du Président de la République ?

Nous proposons que l’accord majoritaire devienne la règle, dans un amendement de la même veine que les écrits de Nicolas Sarkozy, et le ministre nous répond qu’il n’en est pas question pour le moment ! Nous notons cette mauvaise volonté mise par le Gouvernement à exécuter la pensée présidentielle…

Enfin, le candidat Sarkozy concluait en disant : « Ce n’est que si la négociation échoue ou est refusée que l’État sera autorisé à intervenir. » Or que faisons-nous ? Nous légiférons au milieu de l’été pour que la loi s’impose à toutes les négociations, avec une date butoir très rapprochée !

Vraiment, Monsieur le Président, pour la suite de nos travaux, il est important que la majorité reprenne ses esprits, et que le Gouvernement nous dise s’il compte continuer à trahir la parole présidentielle – ce qui pourrait nous conduire à un débat à fronts renversés… (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

L'amendement 56, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l’amendement 162.

M. Roland Muzeau – Cet article rend obligatoire, avant tout dépôt d’un préavis de grève, une négociation préalable. Notre amendement 57 vise à limiter cette disposition aux préavis déposés pour des motifs liés au fonctionnement de l’entreprise. Comment en effet contraindre l’employeur et les organisations syndicales à discuter de sujets sur lesquels ils n’ont pas le pouvoir d’agir directement ? Ce n’est pas du pragmatisme, c’est de la schizophrénie ! Si les griefs notifiés à l’employeur sont extérieurs à l’entreprise, rien ne justifie d’imposer une négociation préalable.

À moins que, comme semblent le révéler les débats au Sénat, le Gouvernement ne veuille éviter que les salariés du secteur public des transports s’engagent dans une grève pour des motifs qui ne les concerneraient pas directement… Votre ambition serait-elle d’empêcher la participation des salariés du secteur public aux conflits nationaux interprofessionnels ? Décidément, les grèves de 1995 et celles, plus récentes, contre le CPE vous ont marqués ! Mais en enserrant ainsi l’exercice du droit de grève, vous allez conduire les travailleurs à faire entendre leurs désaccords et les aspirations par des actions plus radicales. Auriez-vous oublié Metaleurop ?

M. le Rapporteur – Il n’est pas possible d’adopter un tel amendement car comment, en pratique, déterminer ce qui relève, directement ou indirectement, du fonctionnement de l’entreprise ?

M. le Ministre – Même position.

L'amendement 57, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Notre amendement 163 va dans le même sens. Vous instituez en effet une procédure qui impose un délai de quinze jours entre la naissance du conflit et la grève, et cela, pour tous les mouvements sociaux, même lorsque la direction de l’entreprise n’a pas le pouvoir de satisfaire la revendication. Comment votre mécanisme va-t-il fonctionner en cas, par exemple, de mouvement national à l’automne sur la franchise des soins, ou un peu plus tard sur la réforme des retraites ? De quoi les partenaires pourront-t-ils discuter ? C’est une question que nous soumettrons au Conseil constitutionnel, mais nous aimerions, Monsieur le ministre, que vous nous donniez un peu plus d’explications, d’autant que les employeurs ont là-dessus la même interrogation que les organisations syndicales. Pour notre part, nous proposons d’insérer, après les mots : « préavis de grève », les mots : « pour des revendications dont la satisfaction relève d’une décision de la direction de l’entreprise ». Cela apporterait au moins un peu de clarté à votre dispositif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Ministre – Permettez-moi, Monsieur Vidalies, de vous poser une question.

M. Alain Néri – D’habitude, c’est le contraire...

M. le Ministre – Voilà pourquoi je demande l’autorisation ! Qui déterminera si le conflit est lié au fonctionnement de l’entreprise, et selon quels critères ?

M. Roland Muzeau – Qu’en pensez-vous ?

M. le Ministre – Ce n’est pas moi qui ai déposé l’amendement !

M. Alain Vidalies – Encore un effort : il y a quelques instants, nous rappelions au Gouvernement les engagements du Président de la République ; désormais, c’est M. le ministre qui m’interroge ; peut-être, dans quelques heures, en viendrons-nous à échanger nos places, ce qui serait plus agréable pour moi ! (Sourires)

Afin de faire preuve d’efficacité au service des salariés et des entreprises, notre amendement – que vous êtes libre de sous-amender – tend à préciser que les revendications de nature interprofessionnelle échappent au champ d’application de la loi. Si les organisations syndicales à l’origine du préavis estiment que la revendication est interprofessionnelle, et concerne donc plusieurs entreprises, la décision n’appartient par conséquent plus à la direction de l’entreprise ; dans le cas où cette interprétation de la revendication serait contestée, prévoyez une procédure d’arbitrage ou arbitrez vous-même – telle est alors la fonction du ministre. Les acteurs concernés sont suffisamment responsables pour que cela ne pose pas de grandes difficultés ; ne vous abritez donc pas derrière ce prétexte, au lieu d’aller jusqu’au bout de votre démarche, pour éluder un problème qui, lui, risque de s’aggraver (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Rapporteur – Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles opposées à M. Muzeau.

M. le Ministre – Vous ne m’avez pas convaincu, Monsieur Vidalies. Afin d’éviter de vous mettre dans l’embarras puisque vous ne m’avez pas répondu, le gouvernement se déclare défavorable à l’amendement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Claude Viollet – Monsieur le ministre, votre texte répond de lui-même à la question que vous avez posée. Lorsqu’il évoque « les informations qui doivent être transmises par l’employeur aux organisations syndicales représentatives qui ont procédé à la notification en vue de favoriser la réussite de la négociation », c’est bien de difficultés internes à l’entreprise qu’il s’agit, et de revendications qui peuvent être satisfaites dans ce cadre. Ce n’est pas là une interprétation, mais la lettre même de votre texte. Faites donc preuve de cohérence : acceptez l’amendement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

L'amendement 163, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – De deux choses l’une : ou le texte comporte une véritable erreur, et vous ne pourrez qu’être favorable à l’amendement 164 ; ou il apporte au code du travail une modification considérable dont je dois avouer qu’elle nous a d’abord échappé. En effet, le texte évoque « les organisations syndicales » qui déposent un préavis ; mais, en vertu du droit actuel, chaque organisation syndicale est libre de déposer un préavis et responsable des suites qui en découlent, si bien que le pluriel introduirait une véritable révolution en supposant la nécessité d’un accord entre les différents syndicats avant tout préavis. S’il s’agit d’une erreur – comme je le crois –, le texte doit être précisé pour être conforme au code du travail ; dans le cas contraire, nous devons débattre de cette modification, qui serait l’une des plus importantes du projet.

M. le Rapporteur – Avis favorable : cette précision correspond tout à fait à la démarche du projet ; ainsi, l’alinéa 5 de l’article 2 montre bien que l’accord-cadre prévoit « les conditions dans lesquelles une organisation syndicale représentative procède à la notification à l’employeur des motifs pour lesquels elle envisage de déposer le préavis de grève ».

M. le Ministre – Avis favorable à ce très bon amendement de précision.

L'amendement 164, mis aux voix, est adopté.

M. Alain Néri – Voilà la bonne surprise ! Continuez ainsi !

M. le Ministre – Vous de même !

M. Jean-Paul Lecoq – Selon l'article 2, le dépôt d'un préavis de grève ne pourra désormais intervenir qu'après une phase de négociation préalable entre l'employeur et les organisations syndicales. Le texte concernait à l’origine l'ensemble des organisations syndicales représentatives au sein de l'entreprise, mais, à la suite des auditions auxquelles la commission spéciale sénatoriale a procédé, et en particulier à celle de la présidente de la SNCF, qui a souhaité que soient améliorées les modalités du système de prévention des conflits, le rapporteur a proposé que la procédure de négociation soit réservée aux organisations ou à l'organisation ayant initialement soulevé le problème.

Prenant l'exemple des syndicats de représentants des conducteurs, qui ne partagent pas nécessairement les revendications sur les conditions de travail des commerciaux, Mme Procaccia a ainsi fait valoir en séance publique au Sénat que cette modification, qui se « contentait » de prendre en considération une pratique en vigueur à la SNCF et à la RATP, permettrait « d'alléger la procédure de négociation et éviterait d'avoir à débattre avec certains syndicats de revendications qui ne les concernent pas, s'il s'agit de syndicats catégoriels ». Mais la souplesse ainsi recherchée va à l'encontre de l'objectif de renforcement du dialogue social interne à l'entreprise qu’affiche le texte. Nous craignons également qu'une telle exclusive ne conduise à segmenter les questions auxquelles les directions d'entreprises peuvent être confrontées, multipliant ainsi les sources de conflits.

Vous connaissez trop bien le monde de l'entreprise pour ignorer que des dispositions destinées à une catégorie de salariés doivent être conçues de manière globale, dans la mesure où elles ont un effet direct sur le quotidien professionnel de l'ensemble des salariés de l'entreprise, fussent-ils d'une autre catégorie. Par exemple, les cadres intermédiaires seront directement touchés par les contraintes supplémentaires imposées aux salariés que le plan transport juge indispensables.

En outre, la solution restrictive retenue par le Sénat, sur laquelle, Monsieur le ministre, vous avez du reste émis un avis de sagesse, est ambiguë, car – vous l'avez noté – « chaque négociation, et non pas seulement celle qui porte sur le préavis de grève, implique la convocation de l'ensemble des organisations syndicales représentatives ». La négociation préalable à tout dépôt de préavis restreint déjà largement l'exercice individuel du droit de grève ; ne permettez pas qu'elle déroge en outre aux règles de droit commun en matière de négociation, ou admettez explicitement qu’elle n’a pas pour fonction de favoriser le dialogue.

D’autre part, dans la mesure où vous acceptez les accords minoritaires et où l'article 3 rend par ailleurs impossible le dépôt d'un nouveau préavis sur le même sujet, cette disposition prive les organisations syndicales non consultées préalablement d'un moyen d'interpeller la direction de l'entreprise, donc de la possibilité d’échanges portant sur leurs revendications, ce qui annonce une déresponsabilisation collective des acteurs sociaux, socialement explosive et économiquement contre-productive.

Nous souhaitons donc, par l’amendement 58, que les employeurs soient tenus d'associer à la consultation l'ensemble des organisations syndicales présentes dans l'entreprise, et non pas seulement l’organisation ou les organisations ayant notifié leur intention de déposer un préavis de grève (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Nous ne souhaitons pas voir remis en cause cet ajout du Sénat : la concertation préalable avec les organisations envisageant de déposer un préavis est un facteur de souplesse ; en outre, rien n’empêche toutes celles qui le souhaitent de participer à la négociation. L’exemple de la RATP témoigne du reste du succès de ce dispositif, mis en pratique depuis plus de dix ans.

M. le Ministre – Soyons précis. Dans un souci opérationnel, il nous semble nécessaire d’imposer – comme le font les dispositifs d’alarme sociale en vigueur, notamment à la RATP – un dialogue préalable entre l’entreprise et les seules organisations syndicales qui envisagent de faire grève. Mais – cela va sans dire –, si cette consultation débouche sur la négociation d’un accord collectif – ce qui est souhaitable –, c’est l’ensemble des organisations syndicales représentatives qui devront y être invitées, conformément à la jurisprudence. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. Roland Muzeau – J’ignore la jurisprudence à laquelle vous vous référez ; en revanche, il existe une pratique selon laquelle les accords signés au sein de l’entreprise, notamment les accords salariaux, souvent minoritaires, signés pour deux ou trois ans – il s’agit en règle générale de la durée maximale –, font l’objet de révisions annuelles en vertu de « clauses de revoyure ».

M. le Ministre – Vous voulez parler d’un relevé de conclusions.

M. Roland Muzeau – Non, ce n’est pas la même chose. Vous avez bien suivi, mais vous voulez me taquiner ! Cette procédure de révision annuelle une fois l’accord signé permet par exemple de prendre en considération l’inflation ou les augmentations individuelles. Or seuls les signataires des accords y sont aujourd’hui invités. Le texte prolonge ces dispositions défavorables au dialogue social, divisant ainsi les organisations syndicales et empêchant un dialogue collectif sur des questions pourtant indissociables, comme l’a rappelé mon collègue Jean-Paul Lecoq, car la portée d’un problème catégoriel excède la catégorie professionnelle concernée par le préavis de grève, voire rejaillit sur l’ensemble de l’entreprise.

L'amendement 58, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – L’amendement 165, dans le droit fil de l’amendement 164, tend à remédier à ce qui constitue – nous le savons désormais – une erreur dans la rédaction du texte : il faut mentionner non pas « le » préavis – ce qui supposerait que celui-ci a été déposé par l’ensemble des organisations syndicales –, mais « un » préavis.

M. le Rapporteur – Il est parfaitement clair dans le code du travail que chaque organisation syndicale peut déposer un préavis. Cet amendement s’inscrit donc parfaitement dans la démarche du présent projet, dont on ne peut que se féliciter que le groupe socialiste l’ait ainsi enrichi. Avis favorable (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Ministre – En toute cohérence, avis favorable (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

L'amendement 165, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur – L’article 2 dispose que des accords d’entreprise ou de branche, voire, à titre supplétif, à compter du 1er janvier 2008, un décret en Conseil d’État, organiseront la nouvelle procédure de négociation préalable, qui vise à prévenir les conflits. Naturellement, nous préférons tous la voie des accords et le décret ne sera en quelque sorte qu’un dernier recours. Il ne vaudra qu’autant qu’un autre accord ne sera pas signé, même après le 1er janvier. Mais, pour des raisons évidentes de cohérence juridique et afin que les garanties soient les mêmes dans toutes les entreprises, il faut prévoir un contenu minimal, concernant par exemple le délai pour les négociations, les informations à transmettre aux organisations syndicales ou l’élaboration du relevé de conclusions de la négociation. L’amendement 18 vise donc à harmoniser ces règles pour les accords cadre, comme un amendement à venir le fera pour les accords de branche.

M. François Brottes – Il est un fait que vous portez atteinte au droit de grève, mais le sous-amendement 183 voudrait éviter que vous ne portiez aussi atteinte au droit de négocier. En l’état actuel du texte, après les huit jours de discussion, et si le désaccord persiste, on entre dans les cinq jours de préavis – ce serait cinq jours pour rien, cinq jours de tension, cinq jours pendant lesquels on ne se parle plus. Ce serait préjudiciable au dialogue social, mais aussi au service rendu et à la vie de l’entreprise. Le sous-amendement 183 vise donc à préciser – il ne fait que reprendre l’article L. 521-3 du code du travail – qu’il faut profiter du préavis pour continuer à négocier. Si vous refusez cette précision, c’est bien que dans votre esprit, ces cinq jours ne servent qu’à décourager tout le monde et à semer le trouble dans l‘entreprise, tout en coûtant très cher. Si vous acceptez, la négociation pourra continuer et peut-être éviter la grève.

M. le Rapporteur – Ce sous-amendement n’a pas été examiné par la commission. À titre personnel, je lui donne un avis défavorable car la commission a accepté un amendement 59 de M. Muzeau qui satisfait ces préoccupations.

M. le Ministre – J’aurais été tenté de donner un avis favorable à ce sous-amendement, mais je ne peux pas car l’amendement de M. Muzeau qui va venir en discussion me paraît tout à fait digne d’intérêt. Avis favorable à l’amendement 18.

M. François Brottes – Peut-être ces amendements auraient-ils dû être en discussion commune, mais ce n’est pas de notre ressort. Ils semblent signifier exactement la même chose, mais le ministre préfère l’un à l’autre… Pourquoi pas ? Ce qui m’ennuie, c’est de ne pas avoir de réponse sur le fond, ni de sa part ni de celle du rapporteur. Pour le reste, que cette précision figure à cet endroit ou à un autre du texte nous importe peu.

M. le Rapporteur – Sur le fond, nous sommes d’accord.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche – Donc, vous nous donnez un avis favorable !

M. le Rapporteur – Non, parce que la commission a adopté l’amendement 59 de M. Muzeau.

Mme Marylise Lebranchu – Mais le 59 va tomber !

M. le Président – Il est vrai que l’adoption de l’amendement 18 le ferait tomber et que le débat ne pourrait donc pas avoir lieu. Je propose donc aux auteurs de l’amendement 59 de le transformer en sous-amendement 189 à l’amendement 18.

M. Jacques Desallangre – Ce nouveau sous-amendement, donc, tend à compléter le texte par « sans préjudice des dispositions de l'article L. 521-3 du code du travail ». En effet, en son état actuel, le texte vide de son sens le préavis de grève prévu par la loi du 19 octobre 1982. Il laisse à penser que le préavis se réduit à une formalité et se conclut systématiquement par la grève, alors qu’il doit être mis à profit pour continuer à négocier, en vue précisément d’éviter la grève. Les auditions ont montré que le préavis, loin d’être une véritable phase de négociation, reste souvent un « moment de silence avant l'orage ». Il faut qu’il devienne utile : ce n’est pas parce que la législation actuelle n’est pas respectée qu’elle n’est pas essentielle.

M. le Rapporteur – Avis favorable.

M. le Ministre – Même avis.

M. François Brottes – Ces deux sous-amendements disent la même chose, en des termes différents. Nous sommes disposés à retirer le nôtre au bénéfice de celui du groupe communiste, à condition d’être assurés qu’il sera adopté.

M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale – Le sous-amendement communiste est parfaitement cohérent avec l’esprit d’ensemble du projet de loi et répond à ce que nous souhaitons tous : ces cinq jours doivent être une période de négociation.

Le sous-amendement 183 est retiré.

Le sous-amendement 189, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 18, ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Les amendement 51 et 166 tombent.

M. Jean Mallot – Nous continuons à nous interroger sur les véritables intentions du Gouvernement, qui prétend faire confiance à la négociation sociale mais prévoit qu’un décret s’y substitue dès le 1er janvier 2008 pour ce qui concerne les accords d’entreprise. Avec l’amendement 167, nous en arrivons aux accords de branche. Les petites entreprises ont fait savoir leur opposition au texte, et surtout leurs grandes inquiétudes concernant les effets qu’il aura sur les appels d’offres, notamment. Elles craignent en effet d’en être exclues si elles ne sont pas en mesure de remplir les obligations du présent texte.

Par ailleurs, la négociation d’un accord de branche est beaucoup plus longue que celle d’un accord d’entreprise, ce pour quoi nous proposons de repousser la date butoir au 1er janvier 2009. Cela ne signifie pas que la négociation doit traîner ne longueur : il s’agit d’exprimer notre confiance dans le dialogue social et de lui laisser le temps de produire ses effets.

M. le Rapporteur – Je me suis déjà longuement exprimé sur cette question. Je rappelle que la date du 1er janvier 2008 est un objectif souhaitable, mais que ce n’est pas une date butoir puisque les dispositions d’un éventuel accord postérieur primeront celles du décret.

M. le Ministre – Même avis.

L'amendement 167, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – L’amendement 168 est en quelque sorte une session de rattrapage offerte à la majorité, à laquelle nous proposons de respecter un des engagements pris par le Président de la République. Je vous en ai rappelé oralement la teneur et je tiens le texte écrit à votre disposition. Il est difficilement compréhensible que, quelques semaines à peine après l’élection présidentielle et au cours d’une session parlementaire extraordinaire dont le fil rouge est précisément le respect des engagements pris par M. Sarkozy, celui-là, entre tous, soit bafoué, alors qu’il rétablirait un peu de démocratie sociale !

M. Roland Muzeau – Preuve de la précipitation qui a prévalu, de l'absence de consultation digne de ce nom des partenaires sociaux, et de la préférence du Gouvernement pour les accords « donnant-perdant » au niveau de l'entreprise, l'article 2, dans sa version initiale, se limitait à évoquer la possibilité d'un accord-cadre de branche alors qu'il obligeait à négocier des accords de prévention des conflits dans chaque entreprise. Dubitatifs, surtout depuis la remise en cause du principe de faveur opérée par la loi Fillon de 2004, les syndicats auditionnés se sont inquiétés du déséquilibre résultant de la primauté donnée à la négociation d'entreprise. Ils ont alerté la représentation nationale sur les risques de dumping social et sur le fait qu'en l'absence d'accord de branche les salariés du secteur des transports ne pourraient plus exercer leur droit de grève dans des conditions égales. Ils ont été, en partie seulement, entendus par les sénateurs et, après l'adoption d'un amendement du rapporteur de la commission spéciale, le texte prévoit désormais que les partenaires sociaux devront engager, au niveau de la branche comme de l'entreprise, des négociations en vue de la signature d'un accord cadre de prévention des conflits.

Il reste que l'accord d'entreprise continue de prévaloir sur l'accord de branche, qui ne s'appliquera donc qu'à défaut d'accord d'entreprise, et qui cessera de s'appliquer dès que l'entreprise aura conclu un accord, même si l'accord d'entreprise est moins complet, moins-disant socialement, et même s'il a été signé par une minorité de syndicats. Jusqu'à présent, conformément aux articles L. 132-13 et L. 132-23 du code du travail, ce sont les signataires des accords interprofessionnels ou de branche qui déterminaient la portée exacte qu'ils entendaient conférer au contenu des accords qu'ils négocient. Par le présent texte, le législateur intervient, pose autoritairement et d'une façon générale que les accords de branche ne pourront être que supplétifs. Avez-vous pris la mesure d'un tel glissement ?

Ce système complexe est de surcroît source d'insécurité pour les salariés des plus petites entreprises. C'est pourquoi nous avons choisi de réécrire, par l’amendement 60, la partie de l'article consacrée aux accords-cadres de branche en précisant que les modalités d'organisation et de déroulement de la procédure de prévention des conflits définies au niveau de la branche s'appliquent de plein droit et sans restriction aux entreprises relevant du champ couvert. Par ailleurs, l’amendement renforce la légitimité à conclure des acteurs sociaux en exigeant que ces accords fassent l'objet d'une majorité d'engagement.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé les deux amendements pour les raisons déjà dites.

M. le Ministre – Avis également défavorable.

L'amendement 168, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 60.

M. le Rapporteur – L’amendement 19 précise le texte.

L'amendement 19, accepté par le Gouvernement , mis aux voix, est adopté.

M. Alain Vidalies – Vous définissez une procédure nouvelle, dans laquelle on se limite à constater l’existence d’un accord d’entreprise sans s‘intéresser en rien à son contenu. Par l’amendement 169, nous proposons de réintroduire le principe de faveur. Nous souhaitons que les dispositions de l’accord de branche s’appliquent dans tous les cas, et qu’un accord-cadre négocié dans une entreprise de transport ne puisse être en retrait sur lui. Vous le savez, nous avons, sur ces questions, des avis fondamentalement divergents depuis que la loi Fillon du 4 mai 2004 a mis à néant la hiérarchie des normes par le biais subreptice d’un amendement. Cette disposition litigieuse refait surface dans ce texte, alors même que l’atomisation des règles à laquelle la majorité s’est livrée pose des problèmes de concurrence aux entreprises du secteur. Le risque de dumping social explique la position de l’UPA, pour laquelle la cohérence commande que l’accord de branche s’applique à tous.

M. le Rapporteur – Il n’y a pas lieu de rouvrir, à l’occasion de l’examen de ce texte, le débat sur la hiérarchie des normes, puisqu’il est acquis que l’accord interprofessionnel ne s’applique pas à l’entreprise quand existe un accord d’entreprise portant sur le même objet et que, par ailleurs, la loi du 4 mai 2004 a fixé un rendez-vous au 31 décembre 2007 pour dresser le bilan de ces dispositions. Nous en reparlerons donc à ce moment-là.

M. le Ministre – Il me paraît que plus l’accord est proche des salariés, plus grande est son efficacité. C’est ce qui explique l’importance des accords d’entreprise, particulièrement lorsqu’il s’agit de prévenir des conflits. D’autre part, les dispositions de l’accord priment celles du décret quelque soit le contenu de l’accord, certes, mais à condition, bien sûr, qu’elles soient conformes à la loi. Avis, donc défavorable.

M. Alain Vidalies – Sur l’application du principe de faveur, notre désaccord est total. Le réalisme devrait pourtant s’imposer, car la question ne trouble pas seulement le groupe socialiste et les organisations syndicales. La référence à l’accord de branche est revendiquée comme un élément central de la politique sociale par les petites entreprises.

Quand vous dites « au plus près du terrain », vous voyez bien que cela n’emporte pas les mêmes conséquences selon qu’on parle d’une entreprise de dix ou de mille salariés ! Pour les petites entreprises, que l’on se place du point de vue du salarié ou du chef d’entreprise, la seule façon pour que la démocratie sociale fonctionne, c’est d’avoir une référence commune au niveau de la branche professionnelle. D’où la difficulté que crée l’atomisation du droit du travail via les exceptions prévues dans des accords d’entreprise. Si nous voulons faire vivre la démocratie sociale, nous avons intérêt à placer la notion d’accord de branche au cœur de notre réflexion. C’est du reste sur elle que s’est construit le droit collectif du travail, le droit de l’entreprise n’étant venu que plus tard, sous forme, dérogatoire, d’assouplissements qui ne sont pas toujours justes ni cohérents.

Je veux aussi dire au rapporteur que nous n’allons pas refaire ici tout le débat de la loi de 2004. J’ai bien compris que vous aviez ressorti vos fiches de l’époque, mais les meilleurs exégètes de la position commune de 2001 sont encore ses signataires : or, les organisations syndicales ont été unanimes à considérer que la loi de 2004 constituait un détournement des intentions de 2001, et même qu’elle avait trahi la pensée et la parole des signataires du relevé. Si vous souhaitez que l’on y revienne plus en détail, j’y suis prêt, car cet épisode a posé un problème de confiance, les organisations syndicales ayant le sentiment d’avoir été flouées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Roland Muzeau – M. Bertrand use et abuse des références à la position commune de 2001 alors que je doute que ce soit son livre de chevet ! Peut-être était-ce le cas pour MM. Fillon et Larcher, mais vous, vous êtes trop neuf pour vous rappeler précisément ce qu’a été la position commune. Si vous vous penchez un peu plus sur le dossier, vous constaterez que ce relevé de conclusions a été l’objet d’un détournement politicien proprement scandaleux. Toutes les organisations syndicales signataires auditionnées par les sénateurs ont dénoncé l’utilisation malhonnête qu’en a faite le Gouvernement. Convoquez-les à nouveau et vous verrez qu’elles n’ont pas varié : toutes considèrent que le principe de faveur doit continuer à s’appliquer, de sorte que les accords d’entreprise ne puissent déroger aux accords de branche qu’au bénéfice des salariés.

L'amendement 169, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – L’amendement 170 fait une référence expresse à la hiérarchie des normes et au principe de faveur. Sans doute n’avons-nous pas toujours été assez vigilants lorsqu’il aurait fallu accompagner l’évolution de notre droit social. Au départ, nous avions un système cohérent, fondé sur les deux principes que rappelle notre amendement – hiérarchie des normes et principe de faveur. À partir du moment où l’on a introduit, au nom de la souplesse ou de la nécessité de se rapprocher du terrain, la possibilité de déroger à la loi via de simples accords d’entreprise, le degré de protection collective a sensiblement baissé.

Dans les faits, la confusion entre accord de branche et accord d’entreprise est presque devenue une clause de style, alors que ce sont deux notions complètement différentes. La construction ancienne, qui représente un acquis collectif hérité d’autres Républiques, s’en trouve affaiblie. On est entré dans un régime d’atomisation du droit du travail qui aboutit à faire de la question sociale un élément de concurrence entre les entreprises. Dans l’ancien système, avec une convention collective prévoyant le versement d’un treizième mois, la seule chose que pouvait faire l’accord d’entreprise, c’était d’accorder un quatorzième mois, mais il fallait de toute façon respecter le treizième mois. Aujourd’hui, une entreprise du même secteur, régie par un accord de branche qui prévoit un treizième mois, peut très bien essayer de passer un accord pour le supprimer, en arguant de ses difficultés. Si elle y parvient, les entreprises concurrentes voudront l’imiter, enclenchant une logique d’alignement par le bas. Nous sommes entrés dans un très mauvais système, que nous combattons depuis des années avec l’objectif de rétablir la conception traditionnelle du droit normatif de la convention collective (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Julien Dray – Il y avait le Vidal pour les médicaments, il y aura le Vidalies pour le droit social ! (Sourires)

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre – Même avis.

Mme Marylise Lebranchu – Nous attendons une réponse plus explicite. Ce que vient d’exposer Alain Vidalies, notamment au sujet de l’incidence des dérogations à la norme sociale sur la concurrence entre les entreprises, devrait vous intéresser. Je n’ose imaginer que votre dessein soit d’utiliser les accords d’entreprise pour affaiblir les garanties que procurent aux salariés les accords de branche. Mais il faut penser aux petites entreprises de transport…

M. Philippe Pemezec – Vous ne vous êtes pas posé toutes ces questions quand vous avez voté les 35 heures !

Mme Marylise Lebranchu – Si Monsieur, et je m’en pose encore car, à la différence de vous, j’ai tous les matins des doutes et c’est pour cela que je fais de la politique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Imaginez un dumping social à l’intérieur de l’hexagone sur un certain nombre de cotraitances en matière de transports… Nous avons beaucoup d’exemples de ce type et de contentieux ouverts à ce sujet. Ce que nous avons fait en repoussant une certaine directive, vous êtes en train de le mettre à mal en permettant qu’il y ait du dumping social. Prenez aussi les compagnies à bas coûts – qui vont intervenir bientôt dans le monde ferroviaire : croyez-vous que nos entreprises résisteront si vous ouvrez la voie au dumping social dans notre pays ? Abordez le sujet avec les PME et vous verrez ce qu’elles vous répondront ! Ce sont les accords de branche qui les protègent aujourd’hui. Il est donc indispensable de les préserver. Si vous ne voulez pas le faire pour les salariés, pensez au moins aux petits entrepreneurs que fragilise la concurrence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

L'amendement 170, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Rappel au Règlement ! Nous avions jusqu’à présent un débat constructif, dans lequel nous ne faisons aucune obstruction. Las, depuis quelques minutes, on sent bien que le Gouvernement a décidé de ne pas nous répondre de manière approfondie, y compris sur des questions de fond. Je demande donc, au nom de mon groupe, une suspension de séance de quelques minutes.

La séance, suspendue à 0 heure 40 le mercredi 1er août 2007, est reprise à 0 heure 50.

M. Jean-Paul Lecoq – L’amendement 61 vise à supprimer l’alinéa 3 de l'article 2. Il n'appartient pas au pouvoir réglementaire de fixer les règles d'organisation et de déroulement de la négociation préalable, cette négociation étant un élément substantiel des modalités d'exercice du droit de grève.

Dans sa décision du 22 juillet 1980, le Conseil constitutionnel a rappelé qu'il appartient au législateur de déterminer les limites du droit de grève. Ce droit ayant valeur constitutionnelle, la loi ne saurait déléguer au Gouvernement, à l'administration ou à l'exploitant du service le soin de le réglementer. L'intervention du législateur est donc indispensable pour aménager son exercice. Ce principe est d’ailleurs posé par le Préambule de la Constitution de 1946, qui énonce que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », et par l’article 34 de la Constitution, qui réserve à la loi le soin de déterminer « les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale » et de fixer « les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

Or, en renvoyant à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les règles d'organisation et de déroulement de la négociation préalable, l'article 2 laisse le Gouvernement édicter des normes relatives à cette négociation préalable qui constituent un élément substantiel des modalités d'exercice du droit de grève. En se déclarant incompétent au profit du pouvoir réglementaire, le législateur viole donc l'article 34 de la Constitution.

Enfin, il serait pertinent, au regard de l'objectif d'amélioration du dialogue social, de renoncer à ce que des actes unilatéraux s'imposent aux partenaires sociaux.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – L’amendement 171 est identique. L’exception d’irrecevabilité défendue hier par Alain Vidalies a identifié parmi les motifs d’inconstitutionnalité du texte le non-respect des domaines respectifs de la loi et du règlement. Le Conseil constitutionnel a toujours considéré que l’exercice des modalités du droit de grève relevait exclusivement de la loi. Cela a fait l’objet – comme l’a rappelé notre collègue Vidalies – d’une décision de juillet 1980 et d’une autre de juillet 1979, dans laquelle il donne compétence au seul législateur pour assurer la compatibilité de deux droits à valeur constitutionnelle : le droit de grève et la continuité de services publics.

L’alinéa 3 de cet article renvoie au décret l’organisation d’un dispositif qui réglemente l’exercice du droit de grève. Les règles à fixer par le décret portent en effet sur les conditions dans lesquelles une organisation syndicale représentative procède à la notification à l’employeur des motifs pour lesquels elle envisage de déposer un préavis de grève ; sur les délais dans lesquels, à compter de cette notification, l’employeur est tenu de réunir les organisations syndicales représentatives qui ont procédé à la notification ; sur la durée dont ils disposent pour conduire la négociation préalable ; sur les informations qui doivent être transmises par l’employeur aux organisations syndicales en vue de favoriser la réussite du processus de négociation ; sur les conditions dans lesquelles la négociation préalable se déroule ; sur les modalités d’élaboration de relevé de conclusions de la négociation préalable et les informations qui doivent y figurer ; enfin, et ce n’est pas le moins important, sur les conditions dans lesquelles les salariés sont informés des motifs du conflit, de la position de l’employeur et des organisations syndicales et reçoivent communication du relevé de conclusions de la négociation préalable. Il s’agit bien de réglementer l’exercice du droit de grève !

Ou c’est le législateur qui fixe les modalités d’exercice du droit de grève, ou ce sont les partenaires sociaux, mais en aucun cas ce ne peut être le pouvoir réglementaire, d’autant que vous exercez par ailleurs avec cet article une véritable pression sur le dialogue social (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. le Rapporteur – La commission a repoussé cet amendement. Cet article laisse une place majeure à la négociation collective. Un amendement à venir viendra en outre garantir la consultation des partenaires sociaux avant la publication du décret en Conseil d’État.

M. Roland Muzeau – Et la Constitution ?

M. le Président de la commission spéciale – Vous n’en êtes pas à une contradiction près ! En vérité, toute votre argumentation illustre la nécessité d’une intervention de la loi dans l’organisation de la grève…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Dans la détermination des modalités d’exercice du droit de grève !

M. le Président de la commission spéciale – Tous vos arguments contre le recours au décret justifient en vérité le texte qui vous est soumis (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Ministre – Je ne répondrai pas dans le détail à certains arguments, considérant que le débat a déjà eu lieu. En vérité, vous êtes tous d’accord au sujet du dialogue social, mais vous cherchez par tous moyens à vous opposer sur un point qui fait pourtant l’unanimité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Notre souci dans ce texte le souci a été d’éviter le péril de l’incompétence négative et de faire endosser toute sa responsabilité au législateur. C’est d’ailleurs pourquoi le contenu, tant de l’accord-cadre que du décret, sont très précisément définis dans la loi. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

Mme Marylise Lebranchu – Vous bottez en touche !

M. Alain Vidalies – Il y a une contradiction majeure entre l’intervention du président de la commission et celle du ministre. Votre argumentation, Monsieur le président de la commission, selon laquelle notre souci de faire référence à la loi démontrerait que nous ne sommes pas favorables au dialogue social, est pour le moins hasardeuse. Car ce n’est rien moins que de constitutionnalité qu’il s’agit, comme nous l’avons démontré dans la défense de notre exception d’irrecevabilité. Seule la loi peut aménager le droit de grève, selon les termes mêmes du Conseil constitutionnel. Quant à vous, Monsieur le ministre, vous venez de lire l’argumentaire qui sera opposé à nos considérations sur l’incompétence négative du législateur. Et sur ce point, je suis d’accord avec vous contre le président de la commission spéciale : un décret ne peut organiser l’exercice du droit de grève, sauf à ce que la loi soit suffisamment précise et qu’il ne s’agisse que d’un décret d’application. J’ai trouvé très intéressant tout à l’heure que le rapporteur parle de décret « supplétif ». Le débat ne manquera pas d’intérêt devant le Conseil constitutionnel !

Je me suis pour l’instant borné à lire les engagements du candidat à la présidence de la République mais après tout, les promesses de campagne n’engageant que ceux qui les écoutent… (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Ne criez pas, chers collègues : la formule est de M. Pasqua… Mais lorsqu’il a rencontré le 25 mai l’ensemble des organisations syndicales – les mêmes qui aujourd’hui manifestaient toutes –, le Président de la République avait pris devant elles des engagements qui les avaient rassérénées. À l’issue de cette réunion, à laquelle vous avez participé, Monsieur le ministre, elles se félicitaient que le Président de la République semble « moins pressé » et que les négociations ne débutent pas « avant l’automne ». Jean-Claude Mailly, de Force ouvrière, s’exprimait en ces termes : « M. Sarkozy est prêt à laisser les partenaires sociaux négocier et ne recourra à la loi que si la négociation traîne trop ». Le même satisfecit prévalait chez Jacques Voisin, de la CFTC, qui déclarait : « Le Président de la République est d’accord pour reconnaître que l’alarme sociale est un dispositif utile à même de répondre aux préoccupations. » Le communiqué de l’Elysée indiquait, pour sa part, que le Président de la République avait clairement exprimé son souhait de privilégier systématiquement la négociation, de laisser la main aux partenaires sociaux, concluant « Dès qu’une négociation sera ouverte, il n’y aura pas d’interférence de la part du Gouvernement. »

Or, moins de deux mois plus tard, le Parlement est convoqué en session extraordinaire pour légiférer sur le dialogue social et la continuité du service dans les transports. Quelle est dans ces conditions la valeur de la parole politique, qui devrait pourtant être encore plus précieuse lorsqu’elle s’adresse aux partenaires sociaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. le Ministre – Pour que la parole politique soit respectée, encore faut-il qu’elle soit relayée par de bons porte-parole ! Or, en l’espèce, puisque vous semblez vouloir vous faire le porte-parole de M. Sarkozy, soyez fidèle. À l’issue de la réunion du 25 mai dernier, les responsables des organisations syndicales ont évoqué, non pas le seul sujet du service minimum, mais l’ensemble des négociations conduites sous l’égide du patronat, avec l’ensemble des syndicats de salariés, ainsi que l’UPA et la CG-PME (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). J’y étais, je sais de quoi je parle.

Vous avez choisi de peaufiner vos arguments juridiques pour saisir directement le Conseil constitutionnel, car vous êtes conscients de n’avoir pas d’arguments politiques. Vous savez que sur le sujet du service minimum, vous avez déjà perdu la bataille de l’opinion. Vous n’avez aucun argument de fond à développer et vous en apportez encore aujourd’hui la preuve (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Alain Vidalies – À la manière dont vous venez de perdre votre sang-froid, Monsieur le ministre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), chacun aura compris que nous avons fait mouche.

Il est de l’honneur du législateur de dire le droit en élaborant la loi. L’idéologie n’a rien à voir là-dedans et l’opposition que vous venez de faire entre le champ juridique et le champ politique est totalement artificielle.

Lorsque vous êtes pris en défaut, Monsieur le ministre, vous utilisez décidément d’étranges arguments ! Le communiqué publié à l’issue de la réunion du 25 mai dernier n’avait rien à voir avec le texte dont nous débattons aujourd’hui, nous dites-vous. Jacques Voisin y mentionnait pourtant expressément l’alarme sociale. Pensez-vous qu’un autre sujet que celui dont nous traitons aujourd’hui aurait pu l’amener à en parler ? Quoi que vous puissiez en dire a posteriori, le Gouvernement et le Président de la République ont bel et bien changé de position, et ce ne sont pas vos réactions qui empêcheront l’opposition de le dire haut et fort (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Les amendements 61 et 171, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. le Rapporteur – L’amendement 20 précise que le décret en Conseil d’État sera pris « après consultation des organisations syndicales représentatives des employeurs et des salariés des secteurs d’activité concernés ».

M. le Ministre – Avis favorable.

M. François Brottes – Cet amendement tombe sous le sens, mais je m’interroge sur un autre point. Il a été dit que le décret ne serait pas « obligatoire ». Qu’est-ce que cela signifie ? Monsieur le ministre, cette question est politique, pas juridique…

M. le Rapporteur – Un amendement 21 à venir rédigera ainsi l’alinéa 4 : « L’accord-cadre, l’accord de branche et, le cas échéant, le décret en Conseil d’État (…) »

L'amendement 20, mis aux voix, est adopté.

M. Alain Vidalies – L’amendement 172 est défendu.

L'amendement 172, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 21 est défendu.

L'amendement 21, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Marc Dolez – Pour renforcer le dialogue social, encore faut-il s’en donner les moyens. Aussi proposons-nous par notre amendement 173 que l’accord-cadre détermine notamment « les conditions de mise en œuvre du droit syndical et d’exercice des fonctions syndicales dans l’entreprise » – par exemple le nombre et le rôle des délégués, les heures de délégation, les règles d’affichage…

M. le Rapporteur – Avis défavorable car ce sujet relève non pas de l’accord-cadre, qui concerne les motifs pour lesquels la grève est envisagée, mais, bien plus, de la grande concertation lancée par le Gouvernement avec les organisations syndicales.

M. le Ministre – Ce n’est pas un sujet tabou, et je pense que les partenaires sont capables de faire converger leurs points de vue ; mais on ne saurait régler cela dans ce texte alors que la négociation va s’engager à l’automne.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Monsieur le ministre, nous aimerions savoir, en l’absence d’accords, ce que prévoira le décret…

M. le Ministre – Nous en avons déjà parlé.

M. Jean-Claude Viollet – Cet amendement vise simplement à se donner les moyens du dialogue social. Dans l’accord RATP, la première partie porte sur le droit syndical et l’exercice des fonctions syndicales – et la deuxième sur le code de déontologie pour améliorer le dialogue social. La présence syndicale dans l’entreprise permet à la négociation de réussir, les chiffres figurant dans le rapport de la commission spéciale le montrent ; si vous n’en voulez pas, c’est sans doute que le seul but de cette loi est de restreindre les droits des salariés !

M. le Président de la commission spéciale – À l’occasion d’une audition, la commission spéciale a appris que les discussions entre l’UTP et les organisations syndicales avaient achoppé en raison notamment de la revendication, particulièrement excessive, de la CGT d’avoir 100 permanents.

M. Daniel Paul – Avez-vous eu confirmation de ces chiffres ?

M. le Président de la commission spéciale – Je répète ce que quelqu’un nous a dit, qui n’a pas été contesté depuis, et qui est déraisonnable !

M. Jean-Claude Viollet – Qu’est-ce qui serait raisonnable ?

M. François Brottes – Et les employeurs, qu’ont-ils proposé ?

M. Alain Vidalies – Présent lors de cette audition, je confirme que l’UTP et le MEDEF, qui ont exigé d’être entendus ensemble, ont dit cela, et c’est pourquoi cela figure dans le rapport.

M. le Président de la commission spéciale – Page 137 !

M. Alain Vidalies – Mais je regrette qu’ils aient annoncé ces chiffres, et je regrette que vous en tiriez ces conséquences car nous n’avons pas interrogé les organisations syndicales pour savoir s’ils disaient vrai. Quoi qu’il en soit, dans un dialogue social, le mieux que le politique ait à faire est de se taire. C’est si vrai que certains n’ont pas voulu parvenir à un accord parce qu’on leur avait promis une loi !

Votre interprétation donne le sentiment que vous ne cherchez pas à assurer l’équilibre entre les partenaires sociaux, mais à être au service de l’une des parties – ce qui n’est pas acceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Daniel Paul – L’audition nous a aussi appris que l’UTP et le MEDEF ne voulaient pas d’un accord ; c’est la raison pour laquelle ils ont utilisé cet argument. Quand on a envie qu’une négociation aboutisse, on cherche à rapprocher les points de vue ! J’avais d’ailleurs cru comprendre qu’une prise de position du Gouvernement aurait été bienvenue.

Présenter les choses de cette façon, ce n’est donc pas honnête, Monsieur Mariton ; c’est prendre position pour un camp contre l’autre. Il est vrai que depuis hier, vous ne faites que cela, votre seul objectif étant de servir les patrons (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

M. Roland Muzeau – Le président de l’UTP avait également été auditionné par la commission du Sénat, devant laquelle il avait – je lis le rapport sénatorial – « indiqué que l’UTP avait participé activement aux travaux de la commission Mandelkern en 2004 et qu’elle avait ensuite engagé avec plusieurs organisations syndicales une négociation qui n’a pas abouti, sur la question de la continuité du service public ».

En l’absence des intéressés – puisque les discussions ont été sectorisées, en lieu et place d’une table ronde réunissant patrons et organisations syndicales –, c’est sur cette question de la continuité du service public que l’accord a achoppé. Par la suite, en 2006, l’UTP a été associée à l’élaboration d’une charte sur la prévisibilité du service public de transport en période de perturbation initiée par le ministre des transports, Dominique Perben – dont je rappelle qu’il était hostile à cette loi. « L’UTP », conclut Michel Cornil, « a enfin été consultée pour l’élaboration de ce projet de loi ». La boucle est bouclée : l’UTP est ravie, car elle a torpillé la négociation avec les organisations syndicales ; c’est le rapport du Sénat qui l’affirme !

M. le Président de la commission spéciale – Je n’ai pas à attribuer de responsabilités et je ne prends parti pour aucune des organisations que nous avons auditionnées (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). J’ai simplement jugé utile, afin d’éclairer notre assemblée au moment de l’examen de cet amendement relatif aux conditions de mise en œuvre du droit syndical et d’exercice des fonctions syndicales, de rappeler ce que certaines d’entre elles nous avaient indiqué. Dans le rapport que vous citez, M. Gazeau précise, au nom de l’UTP, que le projet d’accord soumis en 2005 aux organisations syndicales abordait, au titre premier, l’alarme sociale, reprenant presque intégralement le texte voté par certains syndicats de la RATP ; au titre II, les bonnes pratiques en matière de grève ; enfin, au titre III, la question des moyens.

La CFDT – vous souhaitiez tout à l’heure cette précision – demandait l’équivalent de 36 postes et la CGT en demandait plus de 100, alors que l’UTP ne se compose au niveau national que de trois personnes (Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Bien que je n’aie pas à me prononcer sur le contenu du propos, il est de mon devoir, en tant que président de la commission spéciale, de le rapporter à nos collègues (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 173, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – L’amendement 175 s’inscrit dans la logique de la modification rédactionnelle que j’ai précédemment proposée et qui a été acceptée.

L'amendement 175, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Roland Muzeau – L’amendement 62 est défendu.

M. Alain Vidalies – L’amendement 174, identique, est défendu.

Les amendements 62 et 174, repoussés par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Daniel Paul – L’amendement 63 rectifié vise à éviter toute ambiguïté quant à l'addition des délais que le texte introduit. Alors que la grève demeure l'un des derniers moyens pour les salariés de défendre les revendications qui n'ont pas été entendues par leur direction, et que le dépôt de préavis leur permet de signaler à cette dernière leur détermination, le texte reste muet sur la possibilité d’un dépôt de préavis en cas d'échec de la négociation. Voilà pourquoi nous avons souhaité préciser qu’« en cas de carence ou d'échec de la négociation acté par l'inspection du travail ou de constat de désaccord, le préavis peut être déposé avant l'expiration de cette durée ». Sans cet amendement de précision, la durée qui sépare l'annonce de la volonté de faire grève du déclenchement effectif de la grève pourrait atteindre 13 jours, ce qui constituerait une entrave injustifiée aux capacités d'action des syndicats, alors que les salariés n'ont pourtant pas pour habitude d'abuser de la pratique du dépôt de préavis.

Notre amendement permettrait donc, au lieu de sombrer dans l'attente, de faire du dépôt du préavis un avertissement adressé à la direction pour faire évoluer une situation enlisée et de relancer la négociation pendant la durée du préavis. Car, en accélérant le dépôt de préavis, il anticipe la deuxième négociation obligatoire, permettant ainsi de parvenir plus rapidement à un accord entre salariés et direction.

M. le Rapporteur – Avis défavorable, car le curieux dispositif qui est proposé témoigne d’une véritable défiance à l’égard des partenaires sociaux : il ne laisse pas toutes ses chances à la négociation préalable, puisque celle-ci n’irait pas jusqu’au délai maximum de huit jours. En somme, on en reviendrait aux pratiques existantes en matière de préavis, ce que cet article visait précisément à empêcher.

M. le Ministre – Même avis, pour les mêmes raisons. Pourquoi ne pas s’en remettre aux partenaires sociaux ?

L'amendement 63 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Blanc – L’amendement 98 est de précision : nous proposons de remplacer, dans l’alinéa 7, la mention « huit jours » par la formule « huit jours francs ».

M. le Rapporteur – Avis favorable.

M. le Ministre – Même avis, car l’amendement permet non seulement de bénéficier d’un délai suffisant pour négocier au sein de l’entreprise, mais aussi d’aligner les règles de calcul sur celles qui s’appliquent au dépôt du préavis : il s’agit donc d’un véritable amendement de cohérence.

M. Alain Vidalies – Mais il faut expliquer que cet amendement neutralise les samedis, les dimanches et les jours fériés : ainsi, un délai de 5 jours deviendrait un délai de 7 jours et une période de 16 jours pourrait être portée à 18, voire à 20 jours. Cette interprétation inédite du texte, peut-être justifiée à vos yeux par certains aspects de la vie de l’entreprise, est d’autant plus délicate qu’il s’agit, du fait de l’examen en deuxième lecture, d’une ultime version – avant la CMP. Or elle introduit, me semble-t-il, des règles de calcul entièrement nouvelles qui s’écarteraient du code. Ne votons donc pas dans la précipitation !

M. le Président – Il me semble que la mention des « jours francs » n’exclut pas les samedis, dimanches et jours fériés, mais seulement le premier jour de la période considérée.

M. le Ministre – En effet : si le préavis est déposé un lundi, la période de délai débutera le mardi. Vous voyez que nous pouvons nous compléter !

L'amendement 98, mis aux voix, est adopté.

M. Alain Vidalies – L’amendement 176 fournit l’occasion d’un rattrapage ; je ne reprends pas l’argumentation déjà développée, car je commence à désespérer de votre solidarité avec les engagements du Président de la République !

M. le Rapporteur – Avis défavorable.

M. le Ministre – Même avis.

M. François Brottes – Vous êtes donc défavorables aux engagements du Président de la République !

L'amendement 176, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – L’amendement 177 rectifié est défendu. Vous m’avez fourni tout à l’heure, Monsieur le ministre, une réponse amusée…

M. le Ministre – Non, interrogative !

M. Alain Vidalies – …mais ce projet relève de votre responsabilité : vous ne pouvez laisser planer l’incertitude sur des questions qui semblent porteuses d’immenses difficultés ! Il eût été simple de proposer un dispositif – dussions-nous être opposés à ses modalités – propre aux conflits internes à l’entreprise. Que feront en effet les organisations syndicales et les chefs d’entreprise en cas de revendications interprofessionnelles ? Car celles-ci ne sont pas une invention de l’opposition ! Cette question est d’autant plus importante que le non-respect des dispositions du texte est passible de sanctions, notamment pour les salariés : nous nous exposons ainsi à un accroissement du nombre de conflits, faute d’avoir rendu la loi compréhensible – abstraction faite de tout jugement de valeur sur son contenu. Vous êtes responsable de la cohérence du texte, donc de la détermination d’une procédure d’arbitrage permettant de distinguer les revendications propres à l’entreprise – soumises au dispositif que vous proposez – des revendications interprofessionnelles, lesquelles ne disparaîtront pas du jour au lendemain ! Souvenons-nous de la crise du CPE : il n’était pas question de mettre en place un tel système au niveau de chaque entreprise. Mais un cadre législatif unique n’exposera-t-il pas à des sanctions les salariés ayant participé au mouvement ?

Comment le chef d’entreprise va-t-il organiser tout cela ? Vous qui invoquez souvent les réalités, il est temps de prendre cette distinction en considération. C’est ce que permet cet amendement. Si vous ne l’adoptez pas, vous serez vite confrontés à des problèmes insolubles, et pour les salariés, et pour les employeurs, faute d’avoir fait le travail à l’Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. le Rapporteur – Avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà exposées.

M. le Ministre – Même avis.

M. François Brottes – Je comprends qu’à cette heure avancée, le rapporteur et le ministre aient perdu un peu de cette vivacité d’esprit qui les caractérise. Je vais donc résumer la question : les conflits interprofessionnels entrent-ils dans le champ de l’article 2 ?

M. le Ministre – Oui.

L'amendement 177 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Roland Muzeau – L’article 9 du projet est unanimement considéré comme la provocation de trop. Si vous n'aviez pas mis tant d'acharnement à vouloir réaffirmer le principe de non-paiement des jours de grève, pour mieux accréditer dans l'opinion l'idée que les grévistes du public sont des privilégiés en ce domaine, je ne serais pas intervenu sur cette question dès l'article 2. Mais je profite de l'occasion pour clarifier la situation et rappeler à chacun, et en particulier aux partenaires qui négocieront l'accord-cadre, que des dérogations au principe de non-paiement existent.

Ainsi, la jurisprudence admet que l'employeur compense la perte de salaire lorsque les salariés se sont trouvés obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d'un manquement grave et délibéré de l'employeur, ou lorsqu’il a violé des dispositions d'ordre public social en ne respectant pas la procédure de licenciement, voire en faisant preuve de mauvaise foi – au cours de négociations par exemple. Un arrêt de la Cour de cassation du 21 mai 1997 a condamné l'employeur au paiement des heures d’une grève due à son refus de négocier la suppression d'une prime illicite incitant les salariés à dépasser la durée normale du travail et les temps de conduite autorisés – nous restons dans le domaine des transports !

L’amendement 64 permet d’opérer la transcription législative de ces dérogations et propose, afin que chacun soit pleinement informé des conséquences d'une grève, que l'accord-cadre expose les conditions de retenue sur les salaires et traitements.

M. le Rapporteur – Je ne vois pas pourquoi évoquer la question des retenues sur salaire au moment de la négociation préalable, dont le but est précisément d’éviter la grève. Avis défavorable.

L'amendement 64, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Alain Vidalies – Il existe des processus d’alarme sociale ou d’accord négocié à la RATP et à la SNCF qui donnent de bons résultats et auxquels la direction comme les organisations syndicales sont attachées. L’amendement 178 vise à les maintenir en l’état. La RATP, par exemple, en est à son troisième accord, et l’histoire de l’entreprise est désormais rythmée par ces avancées : depuis dix ans, ces accords ont forgé une expérience collective irremplaçable. Je trouve que vous prenez de grands risques en les bousculant. Dire à ces responsables et à ces organisations syndicales que leur travail est pris en compte, mais qu’ils vont réintégrer le droit commun – sans qu’on sache exactement ce que sera l’accord-cadre – aura pour effet de modifier la règle pour les partenaires sociaux, ce sera considéré comme une intrusion du pouvoir politique dans le mécanisme qui sert pourtant de référence à ce que nous voulons organiser. Il serait de bon sens de leur laisser leur autonomie, plutôt que de vouloir faire entrer du « cousu main » dans du « prêt-à-porter ». Des chefs d’entreprise et des syndicalistes ont réussi à faire quelque chose dont nous sommes tous d’accord pour dire que c’est bien. Voulez-vous vraiment introduire le grain de sable dans le rouage ?

Nous sommes en fait au cœur du problème. Si l’on décortique votre mécanique, ce ne sont pas vos attaques ponctuelles qui remettent le plus gravement en cause le droit de grève, mais l’assimilation des grèves interprofessionnelles aux conflits d’entreprise, le fait de vouloir que chaque entreprise suive une procédure y compris pour des revendications interprofessionnelles. Les grèves les plus longues et les plus difficiles ont souvent été des mouvements interprofessionnels en France, et ce sont eux que vous visez. L’attaque est très habile, mais elle ne réussira pas. Lorsqu’on arrive à un tel niveau de conflit, les règles de droit ne sont plus d’aucun secours : la solution est politique. Or, vous risquez d’encourager ces mouvements comme unique porte de sortie, parce que vous aurez non pas interdit la grève, mais dissuadé chacun de faire grève et rendu presque impossible l’expression d’un mouvement collectif interprofessionnel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. le Rapporteur – L’amendement 22 de la commission vise à ne pas obliger la SNCF et la RATP à renégocier l’ensemble de leurs accords, car ceux-ci portent sur le dialogue social en général, dont la prévention des conflits ne constitue qu’une petite partie, tout en leur imposant de se mettre en conformité avec l’article 2 dans les mêmes délais que les autres entreprises. Il n’y a pas de raison de décider un délai supplémentaire, comme le souhaitait le Sénat.

La solution proposée par la commission est approuvée par les directions des deux entreprises. Mme Idrac a déclaré que le dispositif devait s’appliquer à la SNCF dès le 1er janvier 2008, et certaines clauses ont d’ailleurs déjà été introduites dans les conventions négociées ces derniers mois. M. Mongin, quant à lui, s’est déclaré favorable à une mise en conformité de la convention signée à la RATP avant le 1er janvier, car un délai d’incertitude supplémentaire créerait des perturbations. La commission est donc défavorable à l’amendement 178.

M. le Président de la commission spéciale – Tout ne va pas si bien que ça à la RATP et à la SNCF : selon Mme Idrac, 84 % des préavis à la SNCF ne sont pas précédés de la « demande de concertation immédiate », c'est-à-dire l’équivalent de la négociation préalable. Il faut donc voter l’amendement 22.

M. le Ministre – L’amendement 22 vise à encourager de façon volontariste le dialogue social à la RATP et à la SNCF en prévoyant la modification des accords-cadres qui organisent les procédures de prévention des conflits d’ici au 1er janvier. Mais il ne s’agira pas d’une renégociation, mais d’une adaptation. La logique de l’alarme sociale nous intéresse en effet beaucoup. Cet amendement permet d’assurer la cohérence du dispositif en ne retenant qu’une seule et même date pour l’ensemble des entreprises. Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement 22 et défavorable à l’amendement 178.

M. François Brottes – L’amendement 22 constitue ni plus ni moins qu’une injonction : pour que les accords-cadres restent valides, il faut qu’il y ait un avenant. Or, il me semble qu’il faut être au moins deux pour signer, et le cas où l’un des deux refuserait de signer n’est pas prévu ! Le ministre qualifie pudiquement l’amendement de « volontariste », mais s’il n’y a pas d’accord, un décret s’y substituera. Et dans ce cas, la partie de l’accord déjà validée demeurera-t-elle valable ? La question est d’importance, car il ne suffit pas de décréter que l’avenant sera signé par tout le monde !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Ce n’est pas la peine de tourner autour du pot : dites que le décret se substituera à ce qui a été fait jusqu’à présent ! C’est précisément pourquoi nous contestons la teneur de l’alinéa 12 et que nous en proposons une autre rédaction établissant que les accords d’alerte sociale et de prévention des conflits signés à la RATP et à la SNCF continueront de s’appliquer. L’adoption de l’amendement 22 signifierait au contraire que la majorité décide que l’intégralité de ces accords sera modifiée d’autorité, par décret, le 1er janvier 2008. Voilà ce que nous venons d’apprendre ; autant que cela soit dit clairement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

L'amendement 178, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Brottes – Nous vivons un moment grave. La majorité en a décidé ainsi, qu’au moins elle assume ses choix ! Que dit en réalité l’amendement 22 ? Que si les procédure de prévention des conflits prévues dans les accords-cadres signés à la RATP et à la SNCF ne sont pas mises en conformité, par voie d’avenant, avec les dispositions du présent article le 1er janvier 2008 au plus tard, la totalité de ces accords tombera.

M. le Ministre – Seule la procédure de prévention des conflits est visée (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Roland Muzeau – Cela ne veut rien dire !

L'amendement 22, mis aux voix, est adopté.

M. le Président – Les amendements 65 et 88 tombent.

M. Alain Vidalies – Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 1 heure 5, est reprise à 1 heure 15.

M. le Président – Je mets aux voix l’article 2.

M. Roland Muzeau – Article scélérat !

M. le Ministre – Toujours le sens de la nuance…

L'article 2, modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 2

M.  Daniel Paul – L’amendement 75 rectifié vise à responsabiliser les groupes sur les conséquences des opérations de sous-traitance auxquelles ils se livrent après avoir obtenu la délégation de service public, car elles provoquent des situations conflictuelles parfaitement légitimes de la part des salariés. Il s'agit d'enrayer le processus de dumping social orchestré à l'intérieur des groupes. Chacun sait en effet que les pratiques en vigueur dans le secteur laissent à désirer. Ainsi, la commission des comptes des transports de la nation a relevé une progression de 15,2 % de l'intérim en 2006, après 9 % en 2004 et en 2005.

C'est désormais, avec celui de l'énergie, le secteur qui intensifie le plus son recours à l'intérim. Compte tenu les enjeux de sécurité dans ces activités, cela fait froid dans le dos ! Car on sait bien que les intérimaires présentent un niveau de qualification moins élevé que les salariés fonctionnaires ou en contrats stables, lesquels ont aussi plus d'expérience et de savoir-faire.

En outre, le recours au temps partiel imposé est abusif, puisque le bilan social du comité national des transports indique qu’il concerne 33,6 % des effectifs dans le transport routier de voyageurs. Si le transport scolaire influe beaucoup sur la réalité du phénomène, il n'explique pas tout. 37,7 % des contrats de travail du personnel de conduite dans le routier voyageurs sont à temps partiel.

En outre, dans l'ensemble des transports urbains et interurbains, la sous-traitance a progressé de 56 % entre 2002 et 2007, pour atteindre 950 millions d’euros. Dans le ferroviaire, la progression est de 8,5 % durant la même période. À nos yeux, le recours à la sous-traitance doit être strictement limité, car il entraîne presque systématiquement des contrats de travail et des conditions de travail défavorables à la qualité du service.

Enfin, par cet amendement, nous entendons donner aux représentants des salariés tous les éléments leur permettant de comprendre les mécanismes des contrats signés, afin de sortir de situations de fait accompli qui provoquent des conflits au règlement délicat. Bref, l'adoption de cet amendement contribuera à réduire la conflictualité dans les transports. Tous ceux qui partagent cet objectif sont donc forcés de l’adopter.

Je rappelle que lorsqu’il a été instauré, l’intérim n’avait pour objet que de permettre de remplacer rapidement les personnels absents. Aujourd’hui, il est devenu un mode de gestion permanent de la ressource humaine dans les entreprises. Les salariés employés sous ce mode sont les plus exposés, et nous n’avons eu de cesse, au cours la législature précédente, de limiter l’intérim à 5 % des effectifs. Las, la majorité l’a toujours refusé en prétendant que la vie des entreprises en serait rendue impossible. Bien entendu, cet argument n’est pas recevable et nous assistons aujourd’hui à une diffusion préoccupante des statuts les plus fragiles.

M. Alain Vidalies – Notre amendement 179 est identique et M. Paul a dit l’essentiel. J’ajoute simplement qu’il est un peu curieux de ne pas évoquer la sous-traitance dans un texte qui traite des transports terrestres, alors qu’elle est très présente dans ce secteur. C’est ce que mettent en évidence nos amendements.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé ces amendements. La question du sort réservé aux salariés des entreprises de sous-traitance est essentielle et elle est traitée au plus haut niveau, notamment par l’OIT. On sait bien en effet que l’externalisation entraîne souvent des conditions de travail dégradées, mais je serais tenté de dire que le sujet est trop important pour être traité au détour d’un amendement dans un texte qui parle d’autre chose ! En outre, l’approche sectorielle est trop restrictive. Il n’est reste pas moins qu’il faudra y réfléchir de manière approfondie.

M. le Ministre – Même avis. On voit bien que ces amendements nous éloignent un peu de l’objet central du texte.

Les amendements 75 rectifié et 179, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

ART. 3

M. Jean-Paul Lecoq – L'article 3 prétend interdire la pratique des préavis glissants, qui consiste, pour une même organisation syndicale, à déposer un nouveau préavis de grève pour les mêmes motifs avant l'échéance du préavis en cours. C’est donc encore un dispositif qui vise, selon la version officielle, à limiter les abus, et, en réalité, à mieux contraindre le droit de grève.

Il convient certes d'améliorer le dialogue social, puisque 55 % des entreprises de transport assujetties à la loi sur la négociation annuelle obligatoire ne la respectent pas. Mais l’interdiction du préavis glissant répond-elle à cette ambition ? Elle ne tend en effet qu’à restreindre l'exercice du droit de grève. Or il est difficile de considérer que les salariés abusent du droit de grève quand on considère le degré de conflictualité dans ce secteur : seulement 6,7 % des entreprises de transports ont connu une grève en 2005 et, en 2006, sur 6 043 incidents ayant donné lieu a des retards à la SNCF, seuls 140 étaient imputables à des mouvements sociaux.

Dès lors, on comprend que l'interdiction de préavis glissant vise surtout à limiter la mobilisation des salariés. En effet, comment participer à un conflit interprofessionnel qui se déclarerait dans le courant du premier préavis, si la pratique du préavis glissant est prohibée ? Or plusieurs grèves récentes ont vu des salariés participer à des mouvements sociaux portant sur des sujets d'intérêt général, excédant largement les revendications sectorielles.

C'est donc bien pour brider le mouvement social que ce petit article a été rédigé. Pratique, quand on sait que vous prévoyez de supprimer l'ensemble des régimes spéciaux et lorsqu’on connaît vos intentions rapaces vis à vis des dispositions protectrices du code du travail ! Avec ce dispositif, les salariés des entreprises de transport n'auront la possibilité de soutenir les revendications sociales de leurs collègues que s'ils ne sont pas eux-mêmes mobilisés pour défendre leurs propres conditions de travail dans leur secteur d'activité.

En voulant restreindre le droit de grève, droit constitutionnel individuel, le Gouvernement veut détourner l'attention des usagers et de l'opinion publique. Il entend surtout se protéger des capacités de réaction de salariés déterminés à s'opposer au démantèlement des services publics comme à toutes les autres mesures antisociales.

La question du préavis glissant n'a aucun rapport avec la garantie de la continuité du service public ! Ce qu’il est urgent d’améliorer, c’est la qualité et la fiabilité de nos transports collectifs, en mettant fin aux dysfonctionnements qui nourrissent l'écrasante majorité des conflits. Cela commande de mobiliser des moyens matériels et humains suffisants, au lieu de privilégier la rentabilité à tout prix ! S'attaquer aux salariés qui se battent pour l'amélioration des matériels, le maintien des dessertes menacées par des choix financiers et leurs conditions sociales ne résoudra rien. C’est pourquoi nous demanderons la suppression de cet article.

M. Roland Muzeau - Depuis le début de ce débat, vous n'avez eu de cesse de répéter, sûrement pour mieux vous en convaincre, qu'il fallait établir un vrai climat de confiance dans chaque entreprise et asseoir le dialogue social entre les acteurs syndicaux et les directions. Le problème, c'est que vous n'avez aucun respect ni aucune confiance envers les organisations syndicales. Vous réduisez leurs aspirations professionnelles, pourtant étroitement liées à la qualité du service public, à de simples revendications catégorielles.

A priori, leurs intentions seraient belliqueuses et leurs actes irresponsables. Vous voulez que la grève, qui n'est jamais que la lutte des travailleurs, fasse, à l’instar des autres mouvements sociaux, l'objet d'une sorte de criminalisation dans le prêt à penser du moment. Selon le philosophe Jean Salem, vous faites le jeu de la « grotesque et sempiternelle assimilation médiatique de la grève à une prise d'otage... pour bel et bien faire passer l'arrêt de travail pour l'horreur économique absolue, et, pourquoi pas, pour une forme de terrorisme. »

L'article 3 adopte cette posture idéologique de défiance vis-à-vis des organisations syndicales. Afin, dites-vous, de susciter un changement d'état d'esprit, vous semez de nouveaux obstacles sur le chemin du dépôt des préavis, en interdisant tout nouveau préavis avant l'échéance du préavis en cours et la mise en œuvre de la procédure particulière de négociation instituée à l'article 2.

Outre les questions juridiques et pratiques soulevées par cet article, il laisse à penser que les organisations syndicales font un tel usage des préavis glissants qu'ils abuseraient de façon systématique de leur droit de grève, et ce en toute impunité. C'est faux et vous le savez bien ! La jurisprudence fournit nombre d’exemples de sanction de ces pratiques constituant « un trouble manifestement illicite ».

Le fait que vous regrettiez, qu'en la matière, les tribunaux ne sanctionnent pas de manière plus ferme et systématique de telles pratiques ne saurait être suffisant pour justifier une nouvelle intervention du législateur. Vous vous décidez à intervenir parce que vous avez besoin de déterminer exactement le moment du déclenchement de la grève et besoin de temps avant son déclenchement, afin d'en limiter les conséquences en organisant la continuité du service public.

Vos intentions sont mauvaises et attentatoires au droit de grève, dans la mesure où le dépôt d'un préavis, déjà encadré, pourra désormais être interdit. Temporairement, direz-vous. Sauf que cette restriction doit être conjuguée avec celle introduite par l'article 2, qui subordonne le dépôt d'un préavis de grève à la conduite jusqu'à son terme du temps réservé à la négociation. Vingt et un jours devront séparer la notification du premier préavis de l'éventuel dépôt d'un second. Un tel délai est manifestement excessif et ne garantit nullement que soient menées des négociations sur les causes du conflit.

Enfin, la combinaison de ces dispositions favorisera la division syndicale et les pratiques de contournement de la législation. Les organisations syndicales n’auront aucun intérêt à s'entendre pour déposer ensemble un préavis sur le même sujet. En revanche, elles seront incitées à entreprendre des grèves illimitées. Autant de pratiques renforçant la conflictualité, donc censément contraires à vos objectifs.

Pour toutes ces raisons, notre amendement 66 vise à supprimer l'article 3.

M. François Brottes – L’amendement 105 tend également à supprimer cet article, qui est celui de tous les aveux. Les organisations syndicales que nous avons rencontrées cet après-midi, pensent que le Gouvernement souhaite brider le mouvement syndical avant les mauvaises nouvelles de la rentrée – franchise sur les soins, réduction des budgets et du nombre de fonctionnaires… Compte tenu des délais, cet article autorise à peine autant de préavis de grève qu’il restera de jours fériés dans l’année – comme vous voulez les supprimer les uns après les autres, c’est assez cohérent ! (Sourires) Je crains que nous n’en ayons pas fini avec l’allongement des délais et que de DMOS en DMOS, nous nous retrouvions avec des délais de 30 ou 40 jours ! Cela permet de réduire le nombre de préavis sur l’année…

M. le Ministre – Faites-nous confiance !

M. François Brottes – Non, nous ne vous faisons pas confiance, et les organisations syndicales non plus : elles ont été dupées, y compris après leur visite au Président de la République !

L’autre objectif de cet article est de réduire le périmètre des motifs de grève et le nombre d’initiatives possibles par organisation syndicale. Pour que le rapporteur ne me réponde pas seulement qu’il est défavorable à la suppression de l’article, je lui pose d’ailleurs une question simple : lorsque l’organisation syndicale A dépose un préavis de grève pour un motif 1, cela interdit-il à l’organisation syndicale B de déposer quelques jours plus tard un préavis pour le même motif 1 ? Autrement dit, un même motif peut-il justifier une série de dépôts de préavis de grève par des organisations différentes, sans attendre l’extinction des délais ?

M. le Rapporteur – La commission a repoussé ces deux amendements. Pour répondre à votre question, cet article n’empêche pas deux syndicats différents de déposer successivement, sans condition de délai, deux préavis différents, de même qu’un seul syndicat peut déposer successivement et sans condition de délai deux préavis pour des motifs distincts.

M. le Ministre – Avis défavorable. Ce que nous voulons éviter, Monsieur Brottes, c’est la succession de dépôts de préavis par la même organisation A pour un même motif 1.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Nous constatons que vous n’avez pas du tout confiance dans la représentation syndicale (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Si vous croyiez au dialogue social, comme vous le prétendez depuis deux jours, vous ne proposeriez pas ce genre de dispositions ! Pensez-vous vraiment que les travailleurs accepteront d’inscrire la défense de leurs droits dans le carcan de ce texte ? Vous rêvez ! Ils ne feront qu’utiliser – et c’est bien légitime – toutes les possibilités de contournement de la loi que vous mettez à leur disposition. Le dispositif qu’institue cet article marque une défiance envers les représentants syndicaux, puisque vous supposez qu’ils ont l’intention de prolonger le processus de dépôt des préavis de grève. Je ne comprends pas comment vous pouvez à la fois vous réclamer du dialogue social et exprimer une telle défiance à l’égard de ceux qui le conduisent. M. le ministre vient encore de nous dire qu’il s’agit d’éviter le dépôt de préavis glissants. Mais vous ne pourrez pas nier la pertinence de certains combats ! Vous prendrez simplement le risque que les instruments du dialogue social soient contournés. Le droit de grève a été conquis par la révolte avant d’être reconnu par la loi. Qui peut l’ignorer ? Comment construire une nouvelle étape du dialogue social sans reconnaissance de ses acteurs? Voilà pourquoi cet article est scélérat ! La réalité, c’est que vous n’avez pas confiance dans la représentation syndicale ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

Les amendements 66 et 105, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. François Brottes – Il y a l’organisation syndicale qui dépose le préavis, le motif de ce préavis et le périmètre d’application de ce préavis pour le motif en question. Une organisation syndicale peut fort bien déposer un préavis parce que les conditions d’hygiène dans lesquelles travaille telle catégorie de personnel sont déplorables depuis des mois. Est-il possible aux représentants d’une autre catégorie de personnel de déposer un préavis pour le même motif ? J’en doute. L’amendement 180 vise donc à préciser que la limitation du nombre de préavis déposé vaut pour une même catégorie de personnel ou pour la même unité de production du service de transport concerné. Je ne doute pas que le rapporteur aura à cœur d’éclairer le débat sur ce point.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé cet amendement dont l’adoption ouvrirait la porte à de nombreux abus. Il permettrait en effet le dépôt de multiples préavis pour des motifs identiques, ce qui reviendrait à autoriser les préavis glissants. Or nous voulons justement en finir avec ces pratiques dilatoires qui reviennent à empêcher la négociation préalable.

M. le Ministre – Cet amendement revient à vider l’article 3 de sa substance. Défavorable.

L'amendement 180, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur – L’amendement 23 est de précision.

L'amendement 23, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Philippe Vitel – L’amendement 86 a pour ambition de concilier le respect du droit de grève et la protection d’une liberté fondamentale, la liberté de circulation des citoyens, en précisant les très bonnes dispositions de l’article 3.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé cet amendement qui ne correspond pas à l’objet du projet de loi. Au demeurant, une telle limitation du droit de grève ne serait pas proportionnée à l’objectif recherché, ce qui risquerait de poser un problème de constitutionnalité.

M. le Ministre – Le Gouvernement a choisi de partir des besoins essentiels de la population pour voir comment les satisfaire au mieux. Si cet amendement était adopté, l’ordre des facteurs serait inversé. Par ailleurs, comme vient de l’indiquer le rapporteur, se poserait très certainement un problème juridique, du fait de la non-proportionnalité de la mesure envisagée avec l’objectif recherché. Sans compter que cet amendement ne permettrait pas de garantir par exemple qu’il y aura une desserte minimale les jours d’examens nationaux.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à retirer cet amendement. À défaut, le Gouvernement y sera défavorable.

M. Philippe Vitel – Vous m’avez convaincu, et je vais retirer l’amendement, mais gardons toujours présente à l’esprit l’impérieuse nécessité de protéger la liberté des citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

L'amendement 86 est retiré.

L'article 3 modifié, mis aux voix, est adopté.

AVANT L'ART. 4

M. le Rapporteur – L’amendement 24 rétablit le texte initial du projet de loi en rédigeant comme suit la fin de l’intitulé de son titre III : « en cas de grève ou autre perturbation prévisible du trafic ».

M. le Ministre – Avis favorable.

M. François Brottes – Le service public de la météorologie s’est donc fortement amélioré, puisque les aléas climatiques sont désormais prévisibles ! Pour habiter une région de montagne, je sais combien il est difficile de prévoir les phénomènes au-delà de quelques heures parfois. Évoquer les aléas climatiques au-delà d’un délai de 36 heures n’est pas sérieux. Vous êtes bien placé, Monsieur le ministre, qui avez été ministre de la santé même si ce n’est pas vous qui étiez en poste lors de la canicule de 2003, pour savoir combien les pouvoirs publics peuvent avoir du mal à gérer certaines situations, même lorsqu’elles sont prévisibles.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Afin que tous nos concitoyens qui suivent nos débats mais ne lisent pas le Journal officiel soient parfaitement informés, je tiens à donner lecture intégrale de l’amendement 86 qui a été retiré. Il visait à compléter l’article par le texte suivant : « La durée de la grève est limitée à quatre heures puis à vingt-quatre heures avec un intervalle de dix jours au moins entre deux mouvements de grève affectant le même secteur ou le même bassin d’usagers. » Nos concitoyens doivent savoir ce que certains élus UMP sont prêts à faire du respect du droit de grève.

L'amendement 24, mis aux voix, est adopté.

ART. 4

M. Daniel Paul – Cet article introduit la notion de dessertes prioritaires en cas de grève, établies par les autorités organisatrices de transport. Les besoins essentiels de la population sont une notion bien subjective.

M. le Ministre – Pas pour les usagers !

M. Daniel Paul – Est-il essentiel d’aller à un cours à la faculté ? Les horaires de la faculté étant particulièrement larges, comment garantir le service en cas de grève importante ? Cette idée de dessertes prioritaires fait courir le risque d’une balkanisation du respect, voire de la définition, de l'intérêt général dans les transports publics de voyageurs.

Il sera très difficile d’organiser ces dessertes, vous le savez pertinemment. C'est d'ailleurs pourquoi vous vous en êtes déchargés sur les collectivités, et ce n’est pas là, comme vous le prétendez, dans un souci de sur-mesure et d'adaptation aux réalités du terrain. Comment les autorités organisatrices expliqueront-elles aux usagers que tel site, où est implanté tel établissement d’enseignement ou telle entreprise, bénéficie d’une desserte prioritaire, et pas tel autre ? Vos dessertes prioritaires ne sont que de la poudre aux yeux, destinée à masquer que votre projet de loi sera inefficace. Le GART ne s'y est d'ailleurs pas trompé, ne cachant pas ses fortes réserves.

Cet article prévoit également que chaque entreprise élabore un plan de transports et un plan d'information des usagers, qui devront figurer dans les conventions d'exploitation. Qui pensez-vous satisfaire avec ces documents qui ne concerneront qu'un pourcentage infime des défections de service auxquels sont confrontés les usagers et qui ont bien d'autres causes que les grèves ?

Prenons un autre exemple que la Normandie, qui convaincra peut-être les députés franciliens. Les personnes qui, travaillant dans le nord de Paris, empruntent les lignes de train partant de la gare du Nord subissent presque chaque semaine des retards, très pénalisants pour les salariés ayant des horaires stricts, ce qui est le cas de la très grande majorité. Lorsqu'ils ont des réunions en début de matinée, nombre d’entre eux partent une heure plus tôt que prévu pour être sûrs d’être à l’heure. Et de se lever ainsi à 6 heures du matin, pour arriver à 9 heures ! Voilà des salariés qui travaillent plus... sans gagner un kopeck de plus ! (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Et que dire des demandeurs d'emploi qui ne sont finalement pas embauchés, victimes d’une discrimination opérée par l’employeur lorsqu’il prend conscience de la ligne de train qu'ils devront emprunter quotidiennement !

Quoi que vous en disiez, les associations de représentants des usagers ne s'y sont pas trompées. Toutes ont souligné, lors des auditions de la commission, que les vrais problèmes étaient ailleurs et que ce texte ne répondait pas aux préoccupations quotidiennes des usagers. Ne se rappeler l'existence du principe de continuité de service public que les jours, fort peu nombreux, de conflits est révélateur de l'état d'esprit du Gouvernement et de sa majorité.

M. Philippe Vitel – Que faites-vous du souhait des Français ?

M. Daniel Paul – Ouvrir un véritable débat sur la qualité des services publics de transport et les moyens que cela requiert risquerait de remettre en question toute votre politique faite de cadeaux fiscaux aux ménages les plus nantis et de redistribution des bénéfices aux actionnaires au détriment des investissements productifs.

En réalité, vous ne parlez de « dessertes prioritaires » et d’organisation du service en cas de grève que pour mieux taire les vrais problèmes et tenter de lier les autorités locales à votre politique.

M. Marc Dolez – Je me limiterai à deux remarques sur l’alinéa 7 de cet article. En prévoyant différents niveaux de service en fonction de l’importance des perturbations, cet alinéa démontre que, contrairement à ce que proclament le Gouvernement et sa majorité par souci d’affichage, il n’y aura pas de service minimum dans les faits. Si une grève est particulièrement suivie, il n’y aura pas de service du tout.

Cet article tente par ailleurs d’ériger des droits et libertés en principes constitutionnels qui seraient à concilier avec l’exercice du droit de grève. Si cet alinéa 7 était adopté, c’est toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel à ce sujet qui serait remise en cause. Ce ne seraient plus les principes de continuité et d’accès au service public de transport qui ne devraient pas porter une atteinte disproportionnée à l’exercice du droit de grève, mais l’inverse. Le juge constitutionnel tranchera mais il est incontestable que ce texte porte gravement atteinte au droit de grève.

M. Jean Mallot – Cet article pourrait opportunément s’intituler : « Usine à gaz deuxième phase ». Il propose notamment que l’autorité organisatrice de transport définisse les dessertes à assurer en priorité après consultation des représentants des usagers.

M. Philippe Vitel – Des otages !

M. Jean Mallot – Qu’entend-on exactement par « représentants des usagers » ?

Les alinéas 2 et suivants concernent les perturbations dites « prévisibles ». J’en ai évoqué hier qui sont très prévisibles, fréquentes dans les transports régionaux, celles qui sont dues à des ralentissements – liés à la mauvaise qualité de la voie ; mais pour celles-là, la solution passe par des crédits supplémentaires, que vous n’avez pas…

Dans la liste de ces perturbations réputées prévisibles, on trouve un alinéa fourre-tout, visant celles qui résultent « de tout événement dont l’existence a été portée à la connaissance de l’entreprise de transport (…) depuis trente-six heures » : c’est une mine à contentieux ! Tout le monde va se couvrir en transmettant une information…

L’alinéa 7 sur les dessertes prioritaires évoque « différents niveaux de service », mais combien y en aura-t-il – 2, 3, 25, 50 ? On ne sait pas… Tout cela est très formel, mais a-t-on fait des simulations ou même une expérimentation ?

Je ne reviens pas sur le risque d’inconstitutionnalité au regard du principe de libre administration des collectivités locales, auxquelles le dispositif impose des contraintes beaucoup trop précises.

Enfin, il y a le problème de la date butoir du 1er janvier 2008 : on fait en sorte qu’il ne soit pas possible d’aboutir dans les délais, afin que le préfet intervienne pour mettre en place autoritairement les plans de desserte prioritaire.

M. Alain Vidalies – Après les dispositions suscitant l’hostilité des organisations syndicales, voici celles qui provoquent l’opposition des collectivités locales, sur lesquelles vous vous défaussez, comme vous l’aviez déjà habilement fait en matière d’impôts. Comme il est écrit aujourd’hui dans une tribune libre de Libération, vous faites croire à l’opinion publique que nous débattons de l’instauration d’un service minimum, alors que nous débattons de la limitation de l’exercice du droit de grève et du transfert aux collectivités locales de la tenue d’un engagement du Président de la République ! Par rapport à ce que Jean-Pierre Raffarin présentait comme « la mère des réformes » en matière de décentralisation, cette majorité est revenue à une conception beaucoup plus restrictive des libertés des collectivités locales ! On retiendra la régression que constitue le deuxième alinéa du IV, selon lequel « En cas de carence de l’autorité organisatrice et après une mise en demeure, le représentant de l’État arrête les priorités de desserte ou approuve les plans » : c’est le préfet qui, in fine, va décider, contre les régions, les départements, voire les structures intercommunales. Et pensez à ce que signifie la définition de priorités en matière de transports scolaires, par exemple : va-t-on desservir tel canton plutôt que tel autre, encourant ainsi le risque d’un recours devant le tribunal administratif ? Il serait bon que vous nous donniez des exemples concrets (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Yanick Paternotte – Nous entrons avec cet article dans le cœur du projet, marqué par une volonté de rupture avec la culture du conflit, des menaces et de la prise en otage, pour passer à la culture du dialogue et du respect de tous les citoyens.

En effet la grève, c’est l’échec du dialogue. M. Dolez disait tout à l’heure que là où les syndicats sont forts, le dialogue est fort. Non ! Ce n’est pas la poule qui fait l’œuf, c’est l’œuf qui fait la poule.

M. Alain Vidalies – Merci d’avoir tranché ! (Rires)

M. Yanick Paternotte – Là où le dialogue social est fort et permet de prévenir les grèves, les syndicats sont plus crédibles et se renforcent.

D’autre part, cet article marque le respect pour tous nos concitoyens, en particulier les plus faibles, en assurant un équilibre entre le droit de grève et les libertés d’aller et venir et de travailler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Christian Eckert – Cet article est un concentré de toutes les incohérences de ce projet. Voici quelques exemples qui n’ont pas encore été évoqués.

L’alinéa 13 demande l’intégration des plans aux conventions d’exploitation. Ne croyez-vous pas que cela aura des conséquences financières, alors que M. Bussereau lui-même a évoqué la possibilité de faire appel à du personnel extérieur à l’entreprise ou à la région, s’apparentant aux « briseurs de grève » et qu’il faudra bien rémunérer ?

L’alinéa 4 évoque les perturbations qui résultent « d’incidents techniques, dès lors qu’un délai de trente-six heures s’est écoulé depuis leur survenance ». Comme si les entreprises de transport public, actuellement, ne faisaient rien dans ce cas-là !

Au premier alinéa, on parle des « déplacements quotidiens », et non de déplacements réguliers comme dans le texte d’origine. Mais certains de nos concitoyens utilisent tous les jours le TGV, par exemple entre Paris et Lille ; j’en déduis donc que ce texte concerne aussi l’État en tant qu’autorité organisatrice de transport.

M. le Président de la commission spéciale – Mais oui !

M. Christian Eckert – Enfin, l’opinion publique a cru que ce texte apporterait un service minimum, mais nombre de nos collègues, y compris de la majorité, sont convaincus qu’il n’en est rien. À preuve certains de leurs amendements courageusement retirés !

En fait, le projet n’évoque qu’un plan de transport adapté aux priorités de desserte – bien loin du service quasi intégral à certaines heures de pointe un temps évoqué, qui suppose de mobiliser 90 %, sinon 100 % du personnel.

Ce texte est donc à la fois inopérant et provocateur pour les collectivités territoriales, dont il entame la liberté d’administration. Mais méfiez-vous, Monsieur le ministre : les ballons d’essai, comme les usines à gaz, peuvent exploser ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. François Brottes – L’article 4 contient de nombreuses dispositions inapplicables et démontre l’absence de tout service minimum garanti. C’est l’article de la patate chaude ! En effet, il confère aux autorités organisatrices de transport – régions, départements, agglomérations –, qui n’ont pas demandé cette loi, car elles faisaient confiance à la négociation et au contrat entre partenaires sociaux, la responsabilité de régler des perturbations, notamment dues à des faits de grève, dont se défausse ainsi le Gouvernement. Or ces responsabilités, au nombre de quatre, sont impossibles à honorer.

En premier lieu, l’alinéa 7 requiert des autorités organisatrices de transport qu’elles définissent des dessertes prioritaires en fonction de certains principes dont l’énoncé constitue une redite par rapport à l’article premier – ce qui montre bien ce que le projet doit à l’improvisation. Le texte opère du reste ici une confusion entre la notion géographique de desserte et celle de catégorie d’usagers – ceux, par exemple, qui doivent se rendre à un examen.

En second lieu, les besoins essentiels qui doivent permettre aux autorités organisatrices de transport de définir les priorités de service ne sont pas caractérisés, ce qui prive ces autorités de tout repère et provoquera des contentieux.

Troisièmement, afin de charger la barque des autorités organisatrices de transport et de les faire accuser de tous les dysfonctionnements futurs, vous leur demandez, dans l’alinéa 12, d’approuver à l’aveugle les propositions du transporteur, elles-mêmes difficiles à honorer faute de connaître précisément le nombre de grévistes.

Quatrièmement – cerise sur le gâteau ! –, l’alinéa 15, qui constitue en quelque sorte l’article 16 du projet de loi, dispose que le préfet pourra, au « doigt mouillé », comme par le fait du prince, estimer qu’il y a carence – notion que le texte ne définit pas.

Tout cela coûtera cher aux contribuables locaux, aux entreprises et, finalement, aux usagers.

M. Alain Néri – Une lecture attentive de l’article 4, qui traite du cœur même de notre sujet, révèle une imprécision qui laisse la porte ouverte à toutes les manipulations et témoigne de votre volonté, malgré votre invocation répétée de la concertation, de mettre en difficulté les collectivités locales en vous défaussant sur elles des problèmes délicats. Vous aviez agi de même à propos de la suspension des allocations familiales, attribuant aux maires le rôle de shérif faute d’avoir le courage d’assumer vos responsabilités ! De manière analogue, vous passez désormais la patate chaude à ceux qui n’ont rien demandé.

À propos de l’imprécision des cas où il faudra effectivement assurer le service, notre collègue Jean Mallot a parlé à deux reprises d’« usine à gaz » ; la formule est tout à fait appropriée ! Que ferez-vous de la litanie de dispositions que vous avez intégrées à cet article 4 ? Je suis curieux et impatient de vous entendre nous expliquer comment seront déterminées les priorités dans nos régions de haute montagne ; cela laisse en tout cas augurer de belles journées, surtout lorsqu’il fera mauvais !

M. François Brottes – Quelle méconnaissance du terrain !

M. Alain Néri – Nul n’ignore en effet combien les conditions climatiques peuvent changer rapidement ; or, face aux risques d’accidents, la politique adoptée depuis plusieurs années est la politique du parapluie…

M. le Ministre – Parfaite pour les intempéries ! (Sourires)

M. Alain Néri – On s’aperçoit surtout que les administrations ont coutume d’ouvrir leur parapluie et de laisser arroser les collectivités locales ! Comment, dans les zones de montagne, ou même de demi-montagne, justifiera-t-on qu’un enfant ait le droit d’aller à l’école alors que son voisin ne le peut pas ? Parce que vous n’avez pas le courage de vous en expliquer, vous ferez supporter aux collectivités locales l’impopularité de ces mesures auprès des usagers.

En réalité, vous ne cherchez qu’à rendre impopulaires les mouvements de grève…

Plusieurs députés UMP - Ils le sont déjà !

M. Roland Muzeau – C’est l’UMP qui est impopulaire !

M. Alain Néri – …alors que la grève, que vous le vouliez ou non, constitue une conquête sociale des travailleurs…

M. Guy Geoffroy – …mais pas une fin en soi !

M. Alain Néri – C’est au contraire un plan de régression sociale que vous vous apprêtez à mettre en place (Protestations sur les bancs du groupe UMP). En outre, nous ne devrions pas débattre du transport alors même que, une fois de plus, la place de M. le secrétaire d’État aux transports est vacante. Nous comprenons fort bien qu’il ait dû se rendre à la commémoration d’un événement dramatique, mais j’espère que, à cette heure tardive, il est rentré de cette visite en province, à moins que des difficultés de transport n’affectent les voitures officielles ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Puisque nous abordons le cœur même de notre sujet, il n’est pas sérieux à l’égard de la représentation nationale, des usagers et des salariés de débattre en son absence. Je souhaite donc que nos travaux soient suspendus jusqu’à l’arrivée de M. Bussereau (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Maxime Bono – Les dispositions de cet article, dont on a souligné le caractère inefficace et provocateur alors même qu’elles sont au cœur du sujet, sont également d’une imprécision coupable qui ouvrira la voie à de nombreux recours, en créant une très grande insécurité juridique. Le tout début de l’article mentionne ainsi la consultation des représentants des usagers ; mais lesquels ? M. le ministre a évoqué l’éventualité d’un recours aux conseils économiques et sociaux régionaux ; mais pourquoi ne pas faire appel par exemple aux conseils locaux de développement des communautés d’agglomération, qui sont elles aussi autorités organisatrices de transport ? En effet, un plaideur pourra faire valoir que les usagers n’ont pas été consultés puisque ces conseils n’ont pas été saisis, ce qui provoquera des contentieux.

La suite de l’article – « dès lors qu’existent une ou plusieurs structures représentatives » – n’est guère plus convaincante : quels sont les critères juridiques de la représentativité de ces structures ?

Autre problème posé par les seuls aspects formels de l’article : l’alinéa 15 dispose qu’« en cas de carence de l’autorité organisatrice, et après une mise en demeure, le représentant de l’État arrête les priorités de desserte ou approuve les plans visés au II ». Mais la carence, mes chers collègues, ce n’est pas l’inaction ! La carence suppose que l’action de l’autorité organisatrice est jugée insuffisante, par exemple que les usagers n’ont pas été suffisamment consultés.

Il est du reste amusant que certains, au sein de notre assemblée, aient déclaré préférer au terme d’ « usagers » celui de « clients »…

M. François Brottes – De clientélisme !

M. Maxime Bono – …alors même que ce qui distingue le client de l’usager, c’est le droit de ce dernier à la continuité du service, par opposition au simple commerce ! Soyons donc cohérents.

Bref, ce projet n’est qu’un prétexte : il n’a d’autre but que de rendre plus difficile l’exercice d’un droit qui a justifié de longs combats, le droit de grève (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Mme Catherine Coutelle – L’on entend beaucoup parler de respect de l’usager : il faut garder cette exigence à l’esprit en lisant dans le journal les propos des usagers de la ligne 13 : pour eux, c’est le service minimum tous les jours ! Eux savent bien que cette loi n’est que l’arbre qui cache la forêt.

Ce texte n’est en effet pas celui du respect, mais de la méfiance. Vous vous méfiez des organisations syndicales pour négocier, vous ne faites pas confiance aux entreprises et vous imposez maintenant aux autorités organisatrices de transports des conditions impossibles à respecter dans les délais impartis et si précises qu’elles n’ont plus aucune autonomie. Je sais ce que c’est que d’être responsable des transports d’une agglomération de 120 000 habitants, de négocier avec des entreprises et de prêter attention aux besoins des usagers – dont les deux tiers sont des usagères. Votre dispositif portera gravement préjudice aux collectivités locales. L’alinéa 13 prévoit la renégociation des conventions avant le 1er janvier, mais une grande partie ne seront pas arrivées à échéance. La renégociation avant terme aura un coût élevé pour les collectivités. D’ailleurs, les entreprises ont déjà prévenu que la charge des indemnités qu’il faut prévoir sera intégrée dans les conventions. Ce ne sera donc pas l’usager qui paiera, mais le contribuable local. Quant à l’alinéa 15, franchement, je mets au défi le préfet de réaliser – avec quels services, et sur la base de quelles informations ? – ce que ni les élus ni les entreprise n’auront réussi à faire – à moins de penser que les uns et les autres soient complètement stupides !

M. le Ministre – Quand il y a une volonté…

Mme Catherine Coutelle – Cette loi est donc celle de la plus grande méfiance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Alain Vidalies – Avant d’aborder les amendements à l’article 4, qui sont tous suffisamment importants pour être votés par scrutin public je demande une suspension de séance pour préparer nos arguments.

La séance, suspendue à 2 h 35, est reprise à 2 h 45.

M. Roland Muzeau – Le titre III de ce projet regorge d'articles particulièrement importants. Ainsi l'article 4, qui charge les autorités organisatrices de transport de définir les dessertes prioritaires et d'intégrer le plan de transport et le plan d'information des usagers dans les conventions qui les lient aux entreprises – et qui porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales. Il est en effet prévu que le préfet pourra se substituer à l'autorité organisatrice des transports, en cas de carence, pour définir les priorités de dessertes. Mais la jurisprudence administrative retient une acception très large de la notion de carence et le représentant de l'État pourra donc intervenir non seulement si le plan fait défaut, mais aussi s’il est insuffisant – de son point de vue – et ne prend pas en compte les besoins essentiels de la population – notion tout aussi floue que celle de carence.

Or, et c’est notre deuxième point d’achoppement concernant cet article, les autorités organisatrices de transports devront assumer juridiquement et politiquement les obligations nées de la loi – prévoir la fréquence des dessertes prioritaires pour satisfaire les besoins essentiels de la population, donc décider de restrictions locales substantielles au droit de grève.

Selon les territoires, les niveaux minimaux de service varieront et avec eux les limites au droit de grève. À trop vouloir faire du sur-mesure pour les usagers, Monsieur le ministre, vous sacrifiez le principe de l'égalité de traitement. M. Mercier, sénateur centriste, s'est inquiété que l'Etat ne s'assure pas du respect, sur tout le territoire, de l'équilibre ou de la proportionnalité des limitations aux libertés publiques que devront décider les AOT – et nous avec lui. Nous sommes tout aussi inquiets de constater qu'après avoir élevé la desserte des usagers au rang d'impératif justifiant une limitation du droit de grève, vous ajoutez à la liste des droits et libertés auxquelles il ne doit pas être porté atteinte l'accès au service public de l'enseignement les jours d'examens nationaux. Mesure de bon sens, direz-vous, si ce n’est qu'elle conduit indirectement à prédéfinir un nombre de jours fixe pendant lesquels les personnels devront être présents et qu’elle constitue donc une interdiction frontale de l'exercice du droit de grève ces jours-là.

Les motifs d'inconstitutionnalité ne manquent pas dans cet article, autre usine à gaz dont nous demandons, par l’amendement 67, la suppression.

M. François Brottes – L’amendement 106 est identique.

M. le Rapporteur – La commission a repoussé ces amendements. La suppression d’un article qui forme, au coeur du projet, un ensemble cohérent, et qui consacre de nouveaux droits ne peut se concevoir.

M. le Ministre – L’article étant essentiel, il est essentiel de repousser ces amendements de suppression.

Les amendements 67 et 106, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 2 heures 50.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

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