Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques de la session > Compte rendu analytique de la séance

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire

Assemblée nationale

Compte rendu
analytique officiel

Séance du mardi 18 septembre 2007

2ème séance
Séance de 21 heures 30
2ème séance de la session
Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse, Vice-Président

Consulter le sommaire

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

MAÎTRISE DE L’IMMIGRATION (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

M. François Loncle – En votre qualité de ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et de que sais-je encore (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), vous êtes, Monsieur le ministre, « à l’intérieur », comme on disait autrefois. Autrement dit, vos objectifs sont de politique intérieure, à visée strictement électorale, pour une clientèle que vous ne cessez de flatter (Mêmes mouvements). Mais l’image de notre pays est, elle, compromise, ternie et menacée. Aux yeux de très nombreux peuples, la France des droits de l’homme, la République française à la noble devise est devenue progressivement un pays où l’on suspecte celui que Prévert qualifiait – mais avec tendresse, pour ce qui le concernait – d’« étrange étranger », où l’on rejette l’immigré parce qu’il est étranger. C’est navrant, mais c’est bien ce dont on se rend compte lorsqu’on est en visite dans les pays du Sud de la Méditerranée, et je ne doute pas que vous vous y soyez rendu aussi, Monsieur le ministre, vous qui nous demandez de nous barricader contre les plus faibles, les réfugiés victimes des guerres et du sous-développement.

Cette approche n’est pas la nôtre. La maîtrise des flux migratoires n’est pas une simple affaire de police et de nostalgie coloniale ! L’époque des colonies n’est plus et, pour réussir, une telle politique ne peut être que concertée. La mondialisation, qui repose sur le respect de la dignité et de la souveraineté des États, est porteuse de retombées profitables pour notre pays, mais aussi de dangers redoutables. Le déplacement des peuples est de ceux-là. Ayons donc le courage d’affronter ces difficultés en concertation avec les autres pays, sur un pied d’égalité, au sein des institutions internationales. Vous avez, certes, fait état de projets de codéveloppement, mais ce ne sont, pour l’heure, que des coquilles vides.

L’insolite création d’un ministère de l’identité française, identité prétendument menacée par « l’étranger », ou plutôt par les étrangers, conduit à une approche dommageable à la France et à ses intérêts. Si vous n’y prenez garde, chers collègues, vous allez, en votant ce projet, conduire notre pays à une rupture morale et politique. L’application des conventions internationales ratifiées par la France sur le droit de l’enfant à une famille est menacée de graves distorsions car, sous couvert de la recherche d’une intégration réussie, ce projet multiplie en fait les obstacles au regroupement familial, droit élémentaire internationalement reconnu.

Le droit d’asile, droit fondamental jusqu’à présent scrupuleusement respecté par notre pays, ressortit désormais de la politique d’immigration et le demandeur d’asile fait l’objet d’une suspicion a priori. Il s’agit, nous explique le rapporteur, d’« éviter des détournements de procédure »… Afin, sans doute, que ce nouvel esprit des lois soit plus sûrement respecté, le ministère des affaires étrangères se voit enlever la responsabilité de l’OFPRA, qui était sienne depuis la création de l’Office, en 1952. Le Quai d’Orsay a-t-il démérité ? Ou s’agit-il encore d’un détournement de principe, la défense du droit étant subordonnée à la nécessité de refouler le maximum d’étrangers au prix éventuel de contorsions juridiques ? Le ministère des affaires étrangères ainsi diminué a subi dès la constitution du premier gouvernement de M. Sarkozy une autre amputation révélatrice de la régression politique en cours. La politique de coopération, à présent dite « de codéveloppement », relevant désormais du ministère de l’identité nationale, est conçue comme l’un des instruments permettant de contenir ceux que la droite désigne comme des boucs émissaires. En évoquant à Dakar un « homme africain » qui serait, comme par essence, différent des autres, le Président de la République a repris à son compte une conception poussiéreuse, paternaliste et raciale des relations entre les peuples. On ne sache pas qu’il ait trouvé bon d’évoquer l’« homme américain » lors de ses vacances aux États-Unis… Il est regrettable que cette rupture idéologique et l’abandon des traditions républicaines d’ouverture, de dialogue et de respect aient été le fait de celui qui en est pour cinq ans le gardien suprême.

Le rejet de l’autre que reflète la nouvelle politique extérieure de la France a sans doute offert quelques avantages électoraux, jugés très attrayants, mais ce choix est, à terme, intenable sur le plan international. La politique du chiffre entraîne inévitablement des intimidations, des rafles, des méthodes inhumaines très éloignées du droit. J’ai d’ailleurs été récemment témoin, à l’aéroport de Roissy, de l’application de la nouvelle mesure de double contrôle à la sortie d’un avion dans des conditions lamentables qui donne de notre pays une image consternante (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois, et M. Philippe Cochet, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangèresC’est faux !

M. François Loncle – Dans ce contexte, comment s’étonner de la place croissante prises par d’autres sur le continent africain où nous ne comptions jusque là que des amis fidèles ? Le groupe socialiste, radical et citoyen souhaite vous alerter : non, ce projet n’est pas bon pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Étienne Pinte – Lorsqu'il est question d'immigration, j'ai l'impression d'assister à une bataille de chiffres quotidienne. Les objectifs ne sont que quantitatifs, et il serait même question de légiférer bientôt sur des quotas, terme que je n’aime pas, même si je ne suis pas assez naïf pour croire que notre pays peut accueillir toute la misère du monde. N'oublions jamais que derrière des nombres jetés en pagaille il y a des hommes, des femmes et des enfants, très nombreux et en grande souffrance, et pour lesquels « émigrer » rime avec « nécessité ».

Le texte qui nous est présenté aujourd'hui ne s'attaque pas à l'essentiel car il se focalise sur le regroupement familial, qui n'est pas la première source d'immigration, au lieu de traiter les vrais problèmes, concentrant nos moyens pour limiter l’afflux d'étrangers dans toute l’Europe et augmenter substantiellement l'aide au développement.

Il est question des conditions d'accueil de l’émigrant, mais je m'interroge : les dispositions prévues visent-elles réellement à intégrer l'étranger, ou plutôt à sélectionner les candidats à l'immigration ? L'objectif affiché ne dissimule-t-il pas le sempiternel enjeu des chiffres ?

Au nombre des outils d’intégration proposés figure l’évaluation du degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Je ne conteste pas l'idée d'un contrôle et d'un contrat à respecter, avec les droits et devoirs inhérents. Cependant, l’évaluation m’apparaît imprécise ; par ailleurs, selon moi, une intégration ne peut être réussie qu'une fois le titre de séjour accordé – c'est d'ailleurs la logique du contrat d'accueil et d'intégration. N'inversons donc pas les termes de la proposition (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Je crains d’autre part que le droit de mener une vie familiale, garantie constitutionnelle, soit mis à rude épreuve, et je rejoins les associations de lutte contre l'exclusion lorsqu'elles se demandent, non sans ironie, si le seuil de dignité des conditions de vie d'une famille en France est, pour tous, d’un peu plus que le SMIC, puisque c'est là le niveau de ressources exigé pour qu'une famille étrangère ait droit au regroupement.

Et puis, Monsieur le ministre, puisque vous avez évoqué l'amendement proposé par notre collègue Mariani sur les tests ADN, permettez-moi de rappeler qu’en France le recours aux tests génétiques est très strictement encadré et que, lorsqu'il est question de filiation, il est placé sous le contrôle des juges et, en aucun cas, confié à une administration, quelle qu’elle soit.

M. Serge Blisko – Très juste !

M. Étienne Pinte – Certains pays pratiquent ces recherches sans aucun dispositif législatif. D’autres les admettent, mais pour les ressortissants du pays comme pour les candidats à l’immigration. Nous ne pouvons donc accepter cette remise en question de l’esprit et de la lettre de notre droit, à l’occasion d’un amendement à une loi sur l’immigration, car elle ne se conçoit que dans le cadre d’une réflexion sur les règles régissant la filiation. Comme vous l’avez proposé, Monsieur le ministre, prenons le temps d’approfondir un sujet aussi grave. Il aurait d’ailleurs été opportun, et depuis longtemps, d’aider certains pays amis à créer un état-civil digne de ce nom (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Représentant l’Assemblée nationale à l’OFPRA, je me réjouis que le recours s’agissant de l’asile aux frontières soit désormais suspensif. Je regrette en revanche que la France n’ait modifié son droit qu’après avoir été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. J’apprécie par ailleurs que la commission de recours des réfugiés devienne Cour nationale du droit d’asile, c’est-à-dire une juridiction. Mais notre pays s’honorerait de reconnaître à celui auquel elle accorde le statut de réfugié le droit effectif de faire venir sa famille (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Les méandres administratifs sont tels qu’un grand nombre d’entre eux n’y parviendront que très tardivement ou jamais. C’est inacceptable.

Mme Françoise Hostalier – Très bien !

M. Étienne Pinte – Je déplore que nous ayons manqué l’occasion d’encadrer strictement cette procédure notamment en fixant des délais d’examen des demandes.

La France présidera l’Union européenne à partir de juillet 2008. Le Président de la République souhaite que l’immigration soit un thème essentiel de cette présidence. Je m’en félicite, car on ne relèvera pas les défis que pose l’immigration au niveau national, mais européen. Les pays du pourtour méditerranéen réclament d’ailleurs une véritable politique européenne sur cette question.

Enfin, le codéveloppement prend une nouvelle dimension, grâce au chef de l’État. Il était grand temps que cette idée fasse enfin l’objet d’une politique d’envergure dans le pays des droits de l’homme et du citoyen (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Mme Christiane Taubira – Après dix-sept textes, dont quatorze ces cinq dernières années, relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers, au droit d’asile, au code de la nationalité, à la validation des mariages, à l’emploi de certaines catégories d’étrangers – autant d’obsessions qui produisent des lois aussi bavardes qu’inefficaces – que pourrait-il nous rester à vous dire, Monsieur le ministre – si du moins l’on débattait de bonne foi ?

Cette majorité, fascinée par les tests scientifiques, les manipule comme le feraient des auteurs de bandes dessinées, ou des apprentis sorciers ignorants de la bioéthique. Il faut dire que le Président de la République, lorsqu’il était candidat, avait provoqué une première secousse par ses déclarations sur la prédestination au suicide et à la pédocriminalité !

Sous prétexte d’encadrer, en fait d’enserrer, le regroupement familial et malgré de pathétiques déclarations de bienveillance, vous ajoutez de nouvelles mesures de police en lieu et place des mesures de cohésion culturelle et sociale qui ramèneraient la présence de quelques dizaines de milliers d’immigrés à sa juste mesure.

Ce gouvernement a conservé l’habileté d’habillage du précédent, qui présentait le CPE dans une loi pour l’égalité des chances, la violation du secret médical, et dans une loi sur la prévention, une tentative d’enrôler les travailleurs sociaux comme auxiliaires des policiers et délateurs ! Nous avons eu aussi la loi contre la récidive, avec des peines plancher, concept antidémocratique emprunté à un pays qui avait criminalisé la pauvreté, la couleur et l’engagement militant, et en était revenu. Vous pratiquez ainsi le « haut travesti » sémantique comme d‘autres la haute couture (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous essayez de faire croire que la souveraineté de la France est en jeu pour banaliser l’hérésie politique et l’indigence éthique que représente ce ministère de confusion, d’imposture et d’inhospitalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ; exclamations sur les bancs du groupe UMP). Quant aux mesures honorables que comporte ce texte, elles sont imposées par la Cour européenne des droits de l’homme.

Il serait facile d’ironiser si le texte s’y prêtait. S’il suffisait d’un stage de deux mois sur les valeurs de la République pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, nous serions débarrassés depuis longtemps des violences conjugales qui frappent des femmes dont le conjoint a parfois fréquenté vingt ans les écoles de la République, voire les grandes écoles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Et il n’y aurait pas besoin de ces lois qui ne réussissent pas à supprimer l’écart de 27 % entre les salaires des hommes et des femmes…

Il faut avoir bien peu de considération pour les leçons de l’histoire pour croire comme vous en la force des murs. Les hommes partiront tant que n’auront pas disparu les causes qui les mettent en mouvement : la pauvreté, les inégalités, la fragmentation des territoires en fiefs que les transnationales préfèrent à des États souverains.

Croyez-vous faire peur à certains ? Vous vous trompez. La détresse, la nécessité de survivre, l’amour tout simplement leur donneront toujours une ruse d’avance sur vous. En revanche, vous créez des périls pour la France, en laquelle vous semblez avoir une confiance très modérée.

Dans les outremers, la situation est très différente, et nous avons d’autant plus de mérite de ne piétiner ni nos principes ni notre éthique. Nous gardons en mémoire la diversité de nos origines, amérindiennes, africaines, européennes, asiatiques, et nous savons que c’est la confiance en la vie et la sagesse des hommes qui ont produit nos société créoles qui concilient des identités diverses, des traits sociaux caribéens, ou amazoniens dans mon cas, une éducation et des institutions françaises, une relation privilégiée à l’Europe.

En Guyane, l’esbroufe n’est plus de mise. Dites-nous donc combien d’adolescents, scolarisés depuis plusieurs années, ne peuvent se présenter aux examens. Combien d’expulsés le sont deux fois, trois fois la même année ? Combien pèsent sur les budgets publics des mises en scène comme les descentes sur les chantiers d’orpaillage après que les trois quarts des clandestins se sont évanouis dans la nature ? Qui évalue les effets dévastateurs des contrôles en mer au cours desquels la marine nationale finit par être intimidée par des bateaux de pêche fraudeurs ? Ces démonstrations musclées sont en contradiction avec la construction d’un pont sur le fleuve Oyapok. Qui en paiera le prix ?

Renoncez à ces meurs tapageuses et ridicules. Une question de cette ampleur ne relève pas de vous, Monsieur le ministre. Il faut la confier au ministère des affaires étrangères. Ce dont le monde a besoin, c’est de dialogue et de coopération, non de ces déclarations récurrentes d’hostilité qui sèment le ressentiment. « L’univers rétréci, tel est la menace », écrivait Victor Segalen, et Léopold Sedar Senghor implorait : « Seigneur, pardonne à la France qui dit la voie droite, mais chemine par des sentiers obliques » (Applaudissements prolongés bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Mme Françoise Hostalier – Élue de la Flandre, je connais sur l'autoroute, entre Lille et Dunkerque, une grande pancarte, qui proclame : « Terre d'accueil et de travail ». Oui, terre d'accueil, mais aussi voie de passage vers l'Angleterre. Aussi, de l'immigration, connaissons-nous le meilleur et le pire. Le meilleur, c'est le partage des cultures, la découverte des autres, la tolérance, la solidarité, la fraternité ; le pire, c'était récemment les grévistes de la faim, victimes de trafiquants mais prêts à aller jusqu'à la mort pour ne pas rentrer dans leur pays. Le pire, c'était, c'est toujours, Sangatte où des jeunes hommes venus du bout du monde vous disent simplement, en vous regardant droit dans les yeux : « Je passerai ou je mourrai, mais je ne reculerai pas ».

M. Patrick Roy – À Sangatte, rien n’est réglé !

Mme Françoise Hostalier – Alors oui, il faut mettre en place des mesures dissuasives contre l'immigration clandestine, mieux réguler l'ensemble des flux migratoires, et surtout dissuader ces pauvres gens souvent abusés par les réseaux de passeurs, de se lancer dans cette aventure sans avenir pour eux.

M. Serge Blisko – C’est vrai.

Mme Françoise Hostalier – Pour lutter contre cette immigration de la misère, la clé est le co-développement. Car ce n'est pas par plaisir que ces pauvres gens viennent dans les pays riches, où très souvent ils sont malheureux. Il faut les aider chez eux. Je sais que c'est l'une de vos priorités, et j'espère des mesures fortes dans ce domaine.

Vous avez demandé aux préfets de respecter un quota de reconduites à la frontière. La loi doit être appliquée, j'en conviens. Mais derrière les chiffres, Monsieur le Ministre, il y a des êtres humains, et autant qu’aux clandestins, je pense aux forces de l’ordre. Récemment, après une interpellation de clandestins pendant laquelle tout s’était «bien» passé, sans révolte, avec seulement des larmes, – mais l’un de ces hommes avait femme et enfants – les gendarmes m'ont dit leur désarroi, ils m'ont dit avoir espéré que le juge saurait trouver la solution humaine. Et c'est bien là toute la difficulté de lois comme celle que vous nous proposez : Protéger notre pays des risques de flux migratoires incontrôlés, mais traiter les personnes avec humanité et dignité.

Dans le texte fortement amendé par le Rapporteur, je m'inquiète du caractère réaliste de certaines mesures, comme l'apprentissage du français ou des valeurs de la République.

D’autres mesures m’inquiètent, qui risquent d'être dénoncées par des instances supérieures, tel le Conseil constitutionnel, ou, par la suite, attaquées devant la Cour européenne des droits de l'homme. J'y reviendrai au cours de l'examen des articles.

Enfin, même si, pour la plupart, vous avez oublié de les saisir pour avis en amont, vous avez cependant, ainsi que le rapporteur, tenu compte des remarques, propositions ou inquiétudes de commissions ou organismes dont le rôle est de vous alerter ou de vous éclairer. Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la Défenseure des enfants ont été, fût-ce partiellement, entendus ; je m'en réjouis.

Permettez-moi cependant d’exprimer pour conclure une crainte et une demande. Plusieurs articles renvoient à des décrets d'application. S’agissant d’un texte aussi sensible, et dans le cadre plus général de la modernisation de nos institutions, je souhaiterais que le Parlement, ainsi que des organismes spécialisés, soient associés à leur rédaction. En effet, trop souvent – l'affaire du droit au logement opposable nous en fournit un triste exemple –, les décrets complexifient la loi, voire en dénaturent l'esprit.

S’agissant d’une loi comme celle que vous nous proposez – simple quant à son esprit, mais si complexe quant à sa mise en œuvre –, il me semble nécessaire que l'action parlementaire puisse aller aussi loin que l’exige la responsabilité qui lui incombe, c'est-à-dire jusqu'au contrôle de l'application de la loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Philippe Vuilque – Quel silence sur les bancs de l’UMP !

M. Bernard Cazeneuve – Je profite de ce débat pour aborder une question évoquée par un précédent orateur et absente du texte : celle des immigrés en situation irrégulière non expulsables du fait des conventions internationales qui lient la France – notamment la convention de Genève de 1951 : ces réfugiés en provenance de pays en guerre, parvenus sur le territoire national après un long exode au cours duquel ils ont traversé de nombreux pays d’Europe.

Monsieur le ministre, votre politique d’immigration s’inscrit, à l’imitation du Président de la République, dans une démarche de rupture avec les politiques passées, souvent taxées de laxisme ; ainsi prétendez-vous, par des mesures dont vous n’hésitez pas à revendiquer la fermeté, modifier la politique d’immigration en France en la rendant plus efficace. J’aimerais donc évaluer à l’aune de cette ambition d’efficacité les résultats des mesures adoptées à la fermeture du camp de Sangatte, en dressant le bilan de la situation réelle des ports trans-Manche cinq ans après cette décision de l’actuel Président de la République, alors ministre de l’intérieur. Cette fermeture était adossée à un accord avec la Grande-Bretagne, par lequel la France s’engageait à renforcer le contrôle de l’immigration sur son territoire ainsi, semble-t-il, qu’à un autre accord stipulant que la France reprendrait sur son sol les réfugiés ayant clandestinement rejoint la Grande-Bretagne en échappant à la police française de l’air et des frontières. Quelle est la situation réelle, cinq ans après la mise en œuvre de cette politique, forte de nombreux effets d’annonce ?

Quatre constats s’imposent. En premier lieu, si cette décision a bien fait disparaître Sangatte, elle n’en a pas fait disparaître les réfugiés, qui demeurent sur le territoire national, livrés à eux-mêmes, errant dans les villes, confrontés à une extrême précarité qui fait parfois d’eux, et bien malgré eux, des sources d’insécurité urbaine, exposés à des problèmes d’hygiène, de santé, de nutrition. Ils ne peuvent plus compter que sur les municipalités – dont ce n’est pas là, vous le savez, la compétence légale – et sur les associations humanitaires, auxquelles les municipalités apportent du reste parfois leur concours. Car ces réfugiés n’existent pas aux yeux de l’État, d’abord parce qu’ils sont en situation irrégulière, si bien que l’État estime ne pas avoir à connaître de leur sort ; ensuite parce que, voulant passer en Grande-Bretagne, ils ne relèvent pas du droit d’asile en France. Ainsi, ces réfugiés inexpulsables, lorsqu’ils sont placés en centre de rétention, sont renvoyés quelques jours plus tard à leur errance urbaine par les administrations soumises à votre tutelle. Est-ce là, Monsieur le ministre, l’efficacité de votre politique ?

Deuxième constat : lorsque, laissés à eux-mêmes, confrontés à l’extrême souffrance de l’isolement, de l’abandon, livrés sans rien à manger aux grands froids de l’hiver, ils sont secourus par les villes et par les associations humanitaires, l’État nous reproche de les encourager à venir en France, alors même que nous n’avons pas d’autre choix, face à cette misère visible à nos portes, que de nous substituer à ses prérogatives pour empêcher que cette misère n’aboutisse à l’irréparable, c’est-à-dire à leur disparition ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Troisièmement, lorsque, confrontés à une situation sanitaire que nous ne pouvons plus maîtriser, et voyant que l’État reste sourd à nos appels, pourtant maintes fois réitérés, nous décidons, parfois la mort dans l’âme, et sans être compris des associations humanitaires, d’évacuer les terrains occupés – comme à Cherbourg en juillet dernier –, l’État, incapable de procéder à l’évacuation, disperse en sept endroits différents ceux qui étaient réunis en un seul lieu, multipliant ainsi par sept les problèmes que nous devons affronter et rendant inextricable une situation qui était déjà humainement très douloureuse.

Enfin, lorsque, conformément aux accords conclus par MM. Sarkozy et Blunkett, nous demandons des forces supplémentaires de police et de maintien de l’ordre afin de rendre ces ports étanches et de ne pas se voir reprocher d’avoir donné aux réfugiés le feu vert pour la Grande-Bretagne, lorsque, donc, nous saisissons les ministres compétents, nous n’obtenons aucune réponse. Ainsi, dans des ports où ne règne aucune sécurité, réfugiés et population locale ou passagers trans-Manche en viennent parfois à échanger des coups de feu !

Si une politique doit être jugée à son efficacité, et puisqu’en matière d’immigration on prétend être d’autant plus efficace que l’on a été ferme dans ses déclarations, permettez-moi, Monsieur le ministre, de vous interroger, à propos de Sangatte, sur l’efficacité de la politique menée depuis cinq ans. Permettez-moi également de vous poser trois questions : quelles décisions entendez-vous prendre afin de renforcer la sécurité des ports trans-Manche ? Ne pensez-vous pas qu’il soit temps d’évaluer les conditions de mise en œuvre de cet accord avec la Grande-Bretagne afin, le cas échéant, d’en réviser les termes pour rendre notre politique plus efficace ? Enfin, à l’échelle de l’Union européenne, que la France présidera dans quelques mois, quelle politique concertée de l’asile entendez-vous mettre en place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Frédéric Lefebvre – Ce texte, Monsieur le ministre, est – notre excellent rapporteur a eu l'occasion de le souligner – celui des engagements tenus. Permettez-moi de vous dire que vous êtes vous-même le premier de ces engagements : votre nomination à un poste dont, depuis trois mois, vous dessinez les contours, est une preuve de la réalité de la volonté de rupture dans la manière de faire de la politique, et, pour ce qui nous occupe aujourd'hui, le signe que la politique de l'autruche en matière d'immigration n'est plus de mise. C'est une bonne nouvelle pour notre pays.

Ce texte serait, selon certains, inutile ; il est au contraire essentiel, tant il est essentiel, dans une démocratie, que les engagements pris devant les électeurs soient tenus. Ce n'est pas là une petite affaire : il y va de la crédibilité même de la politique dans notre pays.

Sur le fond, je partage la vision pragmatique de ce projet, qui vient, après la loi de juillet 2006, et dans sa droite ligne…

M. Manuel Valls – En effet !

M. Frédéric Lefebvre – Oui, Monsieur Valls : dans sa droite ligne, ce projet vient renforcer les moyens de contrôle de l'immigration familiale.

Je tiens à rendre ici hommage au président Pelletier, qui nous a quittés il y a peu, et qui était à l’origine d'un dispositif très important : le compte épargne codéveloppement, voté dans un texte défendu par le Président de la République lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, s’est traduit par la signature d'une première convention, le 11 septembre dernier, entre l'État et les caisses d'épargne. Voilà une bonne nouvelle pour les étrangers qui, sur notre territoire, souhaitent investir dans leur pays d'origine, comme pour les habitants de ces pays qui, trop souvent, ne voient pas se traduire concrètement les aides d'État à État. Basile Boli, avec lequel j’ai travaillé sur ce texte, ne me démentira pas…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche – Alibi !

M. Frédéric Lefebvre – …si je rappelle à chacun et à chacune d'entre vous que ce n'est jamais par plaisir que l’on quitte sa terre d'origine et que, lorsque l'on réussit loin de chez soi, on a envie de rendre ce que l’on a reçu à sa famille et à sa patrie. Actuellement, 80 % des sommes transférées par les étrangers dans leur pays d'origine sont consacrés à la consommation courante. Or, une utilisation, même partielle, à des fins d'investissements productifs deviendrait un levier essentiel du développement des pays source. Cette démarche de citoyen à citoyen peut faire de nous un exemple en Europe.

C'est le sens de l'amendement que j'aurais le plaisir de défendre dans cette assemblée, et auquel vous avez annoncé que le Gouvernement entendait réserver un accueil positif. C'est une preuve de votre volonté d'avancer sur vos deux jambes : de manière équilibrée, avec humanité et fermeté (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Aller plus loin que le dispositif de 2006, en permettant aussi aux étrangers qui ne paient pas l'impôt sur le revenu, et qui sont une majorité dans notre pays, de ne pas être exclus de cette action en faveur du développement.

Le projet est ambitieux, mais réalisable, à condition de permettre à des étrangers régulièrement installés sur notre territoire d'aider au financement de projets aussi divers que des entreprises d'élevage, des exploitations agricoles, des commerces de gros ou de détail, des organismes de formation, des sociétés d'hôtellerie ou de restauration, des pharmacies. C'est également leur permettre d'aller plus loin en aidant à créer des emplois sur la terre qu'ils ont quittée, faute d'en trouver un eux-mêmes. Il faudra mobiliser les banques ; je ne doute pas que le Gouvernement saura s’y employer, sous votre impulsion, Monsieur le ministre.

Je ne doute pas non plus que tous, sur tous les bancs, auront à cœur d'aider à la concrétisation du livret d'épargne codéveloppement que je vous propose, si j’en crois Faouzi Lamdaoui, secrétaire national du parti socialiste à l'égalité, qui termine la longue analyse de ce projet de loi en appelant son parti à adopter une approche positive de la politique migratoire et à prendre en compte « la dimension internationale, grâce à la relance du codéveloppement ».

Avant de conclure, Monsieur le ministre, je voudrais vous demander d'accepter de sous-amender l'amendement que je présenterai, afin de prévoir, après la période de trois ans pendant laquelle l'épargne sera bloquée, une prime de l'État, suffisamment attractive pour faire de ce dispositif une réussite. J’espère que vous pourrez aller jusqu'à l'équivalent de 2,5, voire de 3 % par an, ce que l’article 40 ne m’a pas permis de faire. Vous avez, cet été, publié une tribune très commentée sur cette question du codéveloppement : je sais que nous pouvons compter sur vous pour que le Gouvernement nous aide à traduire cette volonté au cours de nos discussions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Philippe Meunier – Le 11 novembre, le 8 mai et le 5 décembre, nous nous retrouvons unis devant nos monuments aux morts pour saluer la mémoire de nos compatriotes morts au champ d'honneur pour la France (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Patrick Roy – Non ! Pas le 5 décembre ! C’est une mauvaise date !

M. Philippe Meunier – Au côté de Vercingétorix et de Charles Martel, du maréchal Foch et du général de Gaulle (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), des millions de Français sont morts au combat pour que nous puissions avoir le droit de vivre libres, dans le respect de nos racines et de notre identité nationale. Ne l’oublions pas ! Un peuple libre doit pouvoir choisir qui il accueille sur son territoire.

M. Patrick Braouezec – Incroyable !

M. Philippe Meunier – Pour ce faire, il doit maîtriser ses frontières et contrôler ses flux migratoires. C’est à nous, députés de la nation, qu’il appartient de légiférer pour protéger l’intégrité de notre territoire.

Demander aux candidats à l’immigration de connaître notre langue et nos valeurs et de pouvoir subvenir aux revenus de sa famille, ce sont là des exigences de bon sens, que les députés de la majorité soutiennent. Quant au test ADN, nous sommes un certain nombre ici à regretter qu’il ne soit pas imposé aux ressortissants des pays ne possédant pas d’état civil. Songez en effet que quelques dollars seulement suffisent dans certains pays à se procurer une reconnaissance de filiation !

M. Patrick Braouezec – Quelle accusation !

M. le Rapporteur et M. le Rapporteur pour avis – C’est pourtant la vérité !

M. Philippe Meunier – De même, nous regrettons que la formation linguistique ne soit pas sanctionnée par un examen. Il est vrai que notre bloc constitutionnel, qui date du temps où la France possédait un empire colonial, ne permet pas d’aller plus loin en la matière.

Hélas, ceux qui se plaisent à déformer l’objet du texte font le jeu des polygames et autres individus qui considèrent qu’une femme est née pour être voilée, voire lapidée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). Ces esprits manipulés préfèrent cacher des clandestins condamnés par la justice plutôt que respecter les lois votées ici même, dans le temple de la démocratie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Patrick Braouezec – Vous le sortez d’où, celui-là ?

M. Philippe Meunier – Pire encore : ils se croient fidèles à l’esprit de la Résistance, alors qu’ils ne sont que les collaborateurs de ceux qui entendent détruire notre modèle républicain (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

Cette loi permettra au contraire à tous les candidats à l’immigration d’apprendre les valeurs qui fondent notre République. Le monde nous regarde…

M. Patrick Braouezec – J’espère qu’il ne vous entend pas !

M. Philippe Meunier – Soyons dignes de ces millions de Français morts en martyrs au champ d’honneur. Loin d’être partisane, cette loi répond à l’attente du peuple de France qui est ouvert au monde, pourvu que l’on respecte ses convictions profondes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement Je remercie les parlementaires que la création du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement a réjouis. Une fois de plus, la parole présidentielle a été respectée. Certains, dans l’opposition, ont fait mine de s’interroger sur le lien entre immigration et identité nationale.

Mme Laurence Dumont – Non, c’est une vraie question !

M. le Ministre – Je vous le confirme donc : ce lien existe ! Une immigration mal maîtrisée provoque l’échec de l’intégration : telle est la leçon des années de pouvoir socialiste, Madame Dumont. Pourtant, vous persistez à croire que tout va bien et qu’il ne faut rien changer…

M. François Loncle – Qui gouverne depuis cinq ans ?

Mme Laurence Dumont – Et quel effet ont donc eu toutes les lois que vous avez déjà votées ?

M. le Ministre – Notre identité nationale se fonde sur l’équilibre entre Paris et province, entre villes et campagnes, entre catégories sociales, ou encore entre Français et étrangers. L’absence de maîtrise des flux la met en péril. Nier ce lien comme vous le faites, Madame Dumont, par un angélisme béat et stérile, nous conduirait à l’impuissance.

Je n’ai rien contre les mariages mixtes, dont l’augmentation correspond à une évolution réelle de la société. Pour autant, je sais que la fraude existe et qu’il faut la combattre : voilà ce qui, semble-t-il, vous a échappé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) !

Je souhaiterais que chacun ici respecte les règles élémentaires de la courtoisie, et vous les avez dépassées.

Mme Laurence Dumont – En quoi ?

M. le Ministre – Ainsi, par excès de passion, M. Mamère nous reproche injustement de multiplier les lois sans en mesurer les résultats. Quel mépris pour le travail parlementaire ! Bien au contraire, rendons hommage à la vigilance de M. le rapporteur, qui a procédé à trois reprises à l’évaluation des lois votées en 2003 et 2006. Je vous rappelle aussi qu’à l’initiative de M. Goasguen, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport annuel et chiffré sur la politique d’immigration.

M. Perruchot a trouvé les mots justes pour nous apporter le soutien du Nouveau centre et pour rappeler combien la volonté de vivre ensemble doit être partagée par tous. Je reviendrai au cours de la discussion des articles sur le financement de la formation linguistique.

Merci, Monsieur Mallié, d’avoir souligné l’importance du travail comme facteur d’intégration. À ce titre, le Gouvernement présentera un amendement rendant obligatoire le bilan de compétences pour tous les signataires du contrat d’accueil et d’intégration. Vous avez justement ajouté qu’il ne fallait pas avoir honte d’être Français, bien au contraire.

M. Kossowski a remarqué avec raison que toute politique d’immigration doit tenir compte des capacités d’accueil. Parce que nous l’avons trop souvent oublié, nous avons connu il y a deux ans un réveil difficile dans certaines banlieues.

Certains se sont réjouis des nouvelles garanties que nous offrons aux véritables réfugiés politiques en tenant compte des directives européennes. Je partage notamment avec MM. Ciotti et Joyandet le souci de bien distinguer entre immigration et asile. C’est pourquoi je veillerai à ce que mon ministère comporte un service de l’asile et des réfugiés – une première en France.

Je suis sensible à la question, soulevée par Mme Crozon, des femmes dont le statut juridique est précaire, notamment parce que, arrivées en France au titre du regroupement familial, elles sont contraintes de quitter le domicile conjugal avant même l’obtention de leur carte de séjour. J’espère que ce vide juridique sera comblé par amendement.

Je rappellerai à M. Cazeneuve que la fermeture du centre de Sangatte, décidée conjointement par MM. Sarkozy et Blair, a permis l’effondrement de la pression migratoire sur le Calaisis.

M. Patrick Roy – Pas du tout, elle n’a rien réduit !

M. le Ministre – À l’époque de la fermeture, Sangatte accueillait trois mille candidats à l’émigration au Royaume-Uni. Aujourd’hui, cent personnes à peine se présentent aux distributions de vivres organisées par les associations calaisiennes. Les filières clandestines ont compris le message, notamment parce que les interpellations ont été multipliées. Quant à Cherbourg, Monsieur Cazeneuve, plusieurs dizaines de migrants y cherchent toujours à gagner l’Angleterre. Il nous faut donc renforcer les contrôles policiers, comme je l’ai demandé au préfet de la Manche. La ministre de l’intérieur a d’ailleurs accepté ce matin ma demande d’y affecter une demi-compagnie républicaine de sécurité supplémentaire. J’ai également demandé aux préfets un usage plus fréquent de la borne Eurodac. Enfin, le dialogue se poursuit avec les autorités britanniques sur la situation dans le Calaisis et à Cherbourg où, le cas échéant, elles participeront aux éventuels travaux de sécurisation. Que les choses soient claires : Cherbourg, pas plus que Calais, n’est une porte ouverte vers l’Angleterre.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la situation outre-mer. J’ai été surpris de vos propos, Messieurs Letchimy et Marie-Jeanne : votre vision est très idéologique. Or ce n’est pas l’idéologie qui permettra de résoudre les problèmes concrets de l’immigration en Guadeloupe, en Guyane ou à Mayotte. Vous avez jugé affligeante la philosophie de ce projet. Mais je ne me pique pas de philosophie ! Mon récent voyage en Guyane…

Mme Christiane Taubira – Un voyage éclair !

M. le Ministre – J’aurais préféré rester plus longtemps : cela m’aurait donné l’occasion de vous voir.

Mme Christiane Taubira – J’y étais ! Vous le savez !

M. le Ministre – Ce voyage a achevé de me convaincre que la population des départements et collectivités d’outre-mer attend des mesures concrètes pour faire face à une pression migratoire qui menace directement la cohésion sociale.

M. Lurel lui-même m’a invité à plus de fermeté. Je lui rappelle tout de même qu’une antenne de l’OFPRA a été créée en Guadeloupe début 2006. En mars de cette même année a été signé avec la Dominique un accord de réadmission dont le protocole d’application a été ratifié en novembre. Le centre de rétention administrative a été étendu et modernisé, et les effectifs de la police aux frontières ont été augmentés. Je lui rappelle aussi qu’en 2006, le nombre des éloignements opérés depuis ces territoires a été aussi important que celui des éloignements opérés depuis l’ensemble de la métropole.

Je remercie d’ailleurs Mme Louis-Carabin pour sa vision très lucide des problèmes de maîtrise de l’immigration outre-mer. Je suis sensible à son souhait de voir compléter l’action de la police et de la gendarmerie par un effort de co-développement avec les pays de la Caraïbe. Je pense en particulier à Haïti, pays francophone dont la détresse ne peut laisser indifférent et avec lequel je négocierai en 2008 un accord de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement.

Je remercie Nicolas Perruchot, Richard Mallié et Jacques Kossowski d’avoir insisté sur la nécessité d’inscrire notre politique d’immigration et d’intégration dans une perspective européenne. La France saisira l’occasion de sa présidence de l’Union pour faire aboutir le pacte européen de l’immigration que le Président de la République a évoqué avec nos partenaires.

Je connais et respecte l’approche humaniste qui a inspiré votre intervention, Monsieur Pinte (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Je veux vous dire que nous la partageons. Il y a bien sûr des chiffres dans la politique de l’immigration, mais je ne considère pas pour autant les personnes comme des numéros. J’observe aussi que vous approuvez les dispositions du projet relatives à l’asile, et je pense que la discussion des articles permettra de lever tous les malentendus.

Monsieur Loncle, les accords de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement ne sont pas des coquilles vides. Ils portent notamment sur la délivrance des visas de circulation, l’organisation de l’immigration étudiante, la réadmission, la coopération policière ou les projets concrets de codéveloppement. Nous avons déjà signé ces accords avec le Sénégal et le Gabon.

Votre témoignage, Madame Hostalier, était touchant et mobilisateur. La lutte contre l’immigration irrégulière n’est pas chose facile. Les policiers, les gendarmes, les préfets sont bien sûr sensibles aux situations humaines difficiles. Mais la politique de l’immigration repose sur un équilibre fragile. Je suis le ministre de la loi : ma mission est de la faire appliquer. Cela suppose la reconduite des clandestins – même si certaines situations peuvent appeler un examen particulier. J’entends en revanche protéger les immigrés en situation régulière.

Mme Taubira a fait une belle rime : hérésie politique, indigence éthique.

Mme Christiane Taubira – Que je confirme !

M. le Ministre – Je ne vous demandais pas de vous renier tout de suite… (Sourires) Mais je ne puis laisser sans réponse ce qui m’apparaît comme une singulière défiance à l’égard du suffrage universel. Le ministère dont j’assume la charge a été créé parce que le Président de la République a pris l’engagement de le faire, et ce message a été fort bien reçu en Guyane. Le procès en sorcellerie que vous instruisez n’est donc rien d’autre qu’une inculpation du suffrage universel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

Mme Christiane Taubira – C’est sommaire !

M. le Ministre – Du reste, la situation de la Guyane est loin de la poésie.

Mme Christiane Taubira – Respectez le contenu de mon intervention !

M. le Ministre – On compte près de 35 000 étrangers en situation irrégulière pour une population de 210 000 habitants. Les opérations de lutte contre l’orpaillage illégal doivent donc être poursuivies, et l’État en prend les moyens. Les effectifs de la PAF sont passés de 178 à 250 entre 2002 et 2007.

Mme Christiane Taubira – Mais ceux des douanes ont baissé ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. le Ministre – Merci, Monsieur Lefebvre, d’avoir proposé un dispositif novateur, dans la continuité du compte épargne co-développement créé en 2006. Le livret épargne co-développement, ouvert aux travailleurs étrangers qui résident en France, leur permettra d’investir dans leur pays d’origine. Le Gouvernement soutient votre initiative et déposera un sous-amendement créant une prime d’épargne versée par l’État. J’ai l’accord de Bercy sur ce point, et j’espère que cette initiative fera l’unanimité sur ces bancs.

M. Philippe Vuilque – Vous avez oublié de répondre à M. Meunier !

M. le Ministre – J’ai écouté avec intérêt la première intervention de M. Meunier. Il s’est exprimé avec sincérité et conviction, et sans doute avec une candeur que vous n’avez plus – hélas – depuis longtemps (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président – J’ai reçu de M. Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du Règlement.

M. Patrick Braouezec – C’est la quinzième fois depuis 1981 que le Parlement légifère sur l’immigration – la quatrième fois en cinq ans. Je ne suis pas sûr que ce texte réponde à une impérieuse nécessité, ni qu’il permette de construire une politique d'intérêt partagé entre les pays d'où viennent les migrants et les pays d'accueil : il répond simplement à des objectifs de politique intérieure.

Intéressons-nous d’abord à la reconnaissance du droit des migrants. Dans la lettre de mission qui vous a été adressée le 9 juillet, un objectif a retenu mon attention : l'engagement de concertations pour l'élaboration d'un traité multilatéral définissant les droits et devoirs des Etats en matière de gestion des flux migratoires. Or il existe déjà une Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, adopté par l’ONU le 18 décembre 1990 et entrée en vigueur le 1er juillet 2003, que 37 États – dont l'Algérie, le Sénégal, le Maroc ou la Turquie – ont ratifiée à ce jour. Aucun État membre de l’UE n'a cependant mis son paraphe au bas de ce traité.

Cette Convention, dont l'objectif premier est de protéger les travailleurs migrants de l'exploitation et de la violation de leurs droits humains, institue un cadre propre à garantir des conditions équitables en ce qui concerne les migrations internationales. Le seul argument avancé par la France à l’appui de cette absence de ratification par l'intermédiaire de son ministre des affaires étrangères, en août 2005, dans une réponse à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, porte sur des dispositions fiscales contraires à notre droit.

Aujourd'hui, les pays de l'OCDE fournissent l'équivalent de 100 milliards de dollars – 73 milliards d'euros – d'aide annuelle. Ce chiffre est à rapprocher des 360 milliards de dollars d'intérêts de la dette que les pays en développement remboursent chaque année. En outre, la France devrait consacrer à cette aide 0,7 % de son PIB, ce qu’elle ne fait pas. Si le Gouvernement veut vraiment parler du codéveloppement, qu’il commence par cesser de soutenir les politiques d’ajustement structurel imposées par les institutions financières internationales et par contrôler l’activité des sociétés transnationales !

La France devrait aussi faire preuve de plus de transparence, en renonçant aux artifices comptables qui consistent à élargir l’assiette de l’aide au développement en incluant certaines dépenses relatives aux DOM-TOM, au développement de la francophonie ou à l’accueil des demandeurs d’asile.

Le codéveloppement ne saurait se résumer à ce qui a été présenté dans l’article premier de la loi relative à l’immigration et à l’intégration, soit les investissements dans des entreprises privées réalisés par des migrants. Est-ce le secteur privé qui va permettre de développer les pays pauvres ? Va-t-il assurer l’éducation et la santé ? Permettre à chacun de recevoir de l’eau à un prix supportable ? Pour l’heure, heureusement que les migrants sont là pour éviter que les leurs meurent de faim ! Oui, aujourd’hui, c’est l’argent des migrants – et non celui de l’aide – qui procure le soutien le plus significatif.

En tant que parlementaires, notre travail consiste à œuvrer pour que les voies d’échanges soient maintenues et à organiser la péréquation entre des espaces socio-économiques foncièrement inégalitaires. C’est assurément avec les migrants – et certainement pas contre eux ! – qu’il convient d’agir, en les considérant comme des acteurs à part entière de la coopération.

Las, notre pays ne fait pas ce qu’il faut en matière d’aide au codéveloppement, et nous avons tout à craindre, Monsieur le ministre, du fait que celui-ci soit tombé dans votre escarcelle ! Ce Gouvernement s’attache à rehausser les murs entre les plus fragiles et ceux qui possèdent tout. Écoutez plutôt les voix d’Édouard Glissant et de Patrick Chamoiseau : « Les murs qui se construisent aujourd’hui au prétexte de terrorisme, d’immigration sauvage ou de dieu préférable ne se dressent pas entre des civilisations, des cultures ou des identités, mais entre des pauvretés et des surabondances, entre des ivresses opulentes – mais inquiètes – et des asphyxies sèches. » Donc, entre des réalités qu’une politique mondiale dotée des institutions adéquates saurait atténuer, voire résoudre. Ce ne sont pas les immigrations qui menacent les identités nationales, mais bien plutôt l’hégémonie sans partage des États-Unis, la standardisation insidieuse de la consommation, la marchandise divinisée précipitée sur toutes les innocences ou l’idée d’une civilisation occidentale déshumanisée parce que fermée à tout apport extérieur. En bref, c’est le mur identitaire opposé à la diversité humaine.

Alors, ne nous trompons pas d’ennemis. Le Gouvernement ne respecte pas les valeurs de la République (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) et met en grand danger l’équilibre démocratique en faisant la chasse aux sans-papiers, en jetant le soupçon sur tous les mariages avec un étranger, en refusant le droit à l’amour aux couples mixtes, en encourageant les employeurs à aller se renseigner en préfecture avant d’employer un étranger, en suggérant que les parents étrangers ne sont pas de bons parents, en fustigeant les élus qui organisent des parrainages ou en exhortant les maires à contrôler la population en vue d’augmenter le nombre d’expulsions… Ou bien, et cela est plus grave encore, en renvoyant chez eux, au prétexte que leurs témoignages ne sont pas vérifiables, des femmes et des hommes entrés chez nous pour échapper à la torture et à la mort. Nombre de ceux qui ont été contraints de retourner dans le pays qu’ils avaient fui l’ont payé de leur vie ou y ont subi de sauvages agressions.

Je pense à la famille de M. Isufi, qui, devant le mur de refus dressé par la France alors qu’elle demandait asile, a fini par rentrer au Kosovo. À peine arrivée, la fille a subi trois agressions, le fils a été roué de coups et le père a été laissé pour mort. Aujourd'hui revenus, ils se heurtent au même mur de refus. Leur témoignage doit-il toujours être considéré comme suspect ?

Il y a aussi la famille Popov, que l'on tente par tous les moyens d'expulser en ce moment même. Beaucoup d'éléments plaident pourtant en leur faveur : famille intégrée, qui maîtrise le français, enfants nés en France et qui n'ont plus d'attaches au Kazakhstan, promesse d'embauche pour le père ; surtout, perte de la nationalité kazakh, attestée par un document de l'ambassade du Kazakhstan, et risque avéré pour leur intégrité physique en cas de retour dans leur pays natal. Depuis 2002, ils essaient de se faire entendre mais personne ne les écoute ; heureusement que des associations comme RESF mettent en avant le droit à la solidarité et résistent de façon à ce que les Popov bénéficient d’un examen sans suspicion de leur dossier.

Je pourrais donner bien d'autres exemples de femmes et d'hommes dans la même situation. Chaque cas laisse un sentiment de révolte et de honte. Comment en est on arrivé là ? Comment un député peut-il préconiser de recourir à un test génétique pour vérifier la réalité du lien de filiation lors d'une demande de visa de long séjour ? Il n'est pas exagéré de dire que ce type de fichage génétique est attentatoire aux libertés individuelles.

M. le Rapporteur – Il n’y aura aucun fichage !

M. Patrick Braouezec – Il représente une intrusion disproportionnée dans la vie privée et l'intimité des individus comme des familles. Qui peut croire que le lien de filiation se limite au lien biologique? Que je sache, il n'est pas interdit de reconnaître un enfant qui n'est pas le sien ni de l’adopter ! Et il arrive aussi qu'un père croie en toute honnêteté être le géniteur alors que tel n’est pas le cas. Mesurez-vous les conséquences d’une telle proposition? Même si l'administration n'oblige pas le demandeur à passer le test, dans les faits cela reviendra au même : la personne qui ne s’y soumettra pas sera suspectée de fraude à l'état-civil, et sa demande de visa sera rejetée ou traitée après les autres. Cette « proposition » faite aux étrangers s’apparente en fait à un chantage. Il revient à l'administration de prouver que les documents d'état civil présentés sont des faux, et non pas au demandeur de justifier le lien de parenté en produisant des documents supplémentaires. Au plan diplomatique, de quel droit la France remet-elle en cause de façon systématique l'authenticité d'actes d'état-civil établis par des autorités étrangères? Et ne serait-il pas plus constructif d’aider les éventuels pays défaillants à se doter de services d’état civil fiables ? S'il faut passer un test pour obtenir des droits, à quand le test ADN pour les familles françaises avant de prétendre à bénéficier des allocations familiales?

M. le Rapporteur – Caricature ! En France, l’état civil est fiable !

M. Patrick Braouezec – De telles propositions d'amendements rappellent des heures sombres que nul n’a envie de revivre (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Je voudrais m'arrêter sur ces immigrés qui, prétend-on, nous envahissent, prennent des conjoints français, veulent travailler, s'éduquer et se soigner au détriment des citoyens français. Le dernier rapport de l'INSEE en recense 4,5 millions. Parmi eux, 2 millions ont acquis la nationalité française et un quart vient d'un pays européen. En 2006, au titre du regroupement familial, 9 000 enfants sont entrés en France. Ces chiffres sont à rapprocher des 1,2 million de Français vivant à l'étranger : sont-ils accueillis comme nous traitons les migrants ou les demandeurs d'asile ? Bien sûr que non ! Et si tel était le cas, l’accepterions nous ?

En moins de quatre ans, la procédure du regroupement familial a été modifiée par deux réformes législatives, deux décrets, trois circulaires et un arrêté. S'ajoutant aux restrictions précédentes, le présent texte durcit encore le regroupement familial, symbole, à vos yeux, de l’immigration « subie ».

Soyons sérieux ! Selon le rapport au Parlement du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, le regroupement familial n’a représenté, en 2005, que 23 717 premiers titres de séjour, alors qu'en 2002, il y en avait 30 118. Sur les près de 200 000 titres de séjour délivrés en 2005, toutes catégories confondues, le regroupement familial ne représente que 11 % des titres délivrés. Le Comité précise aussi que le regroupement familial « est appelé à diminuer au cours des prochaines années, en raison de l'attrition progressive de ses sources. Les demandeurs de regroupement sont en effet des personnes entrées en France de longue date. »

Que veut-on donc nous faire croire? Ce qui est sûr, c'est que ces mesures sont inspirées par une politique d'immigration répressive, dont la logique est incompatible avec les normes internationales relatives au respect des droits humains. Non content d’avoir fait voter, en juillet dernier, le traité multilatéral visant à approfondir la coopération transfrontalière en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, le Gouvernement veut « criminaliser » encore un peu plus les migrants et leurs familles. L'amalgame est toujours de mise : ce texte suit la même logique et s'ancre dans le processus « d'institutionnalisation de la xénophobie », décrit par Jérôme Valuy, professeur de sociologique politique à Paris I.

À l'article premier, la mesure visant à évaluer le degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République ne présente aucun intérêt au regard de la finalité d'intégration ; elle apporte seulement une réponse idéologique à la question de l'immigration présentée comme subie, et constituant donc un problème, voire un fléau menaçant pour l'identité nationale. Le projet prévoit de tester les connaissances relatives à la langue et aux principes de la République en amont, dans le pays de résidence des membres de la famille pour lesquels est sollicité un regroupement familial, sans que l'évaluation de ces connaissances, ni la formation éventuelle, conditionnent le regroupement familial. Le rapporteur insiste sur l'importance de cet article et précise, sans doute pour se donner bonne conscience, qu'un dispositif plus contraignant est déjà appliqué aux Pays-Bas et, depuis peu, en Allemagne : sont-ce de bonnes raisons ? Cela garantit-il que ces mesures respectent le droit fondamental de vivre en famille? Je signale que cette disposition s'appuie sur des affirmations erronées, car les « rejoignants » et les conjoints de Français bénéficient déjà d'une formation linguistique et sur les valeurs de la République, à leur arrivée, dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration.

Enfin, cette disposition constitue une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale et peut valoir à la France une nouvelle condamnation de la part de la Cour européenne des droits de l'homme.

D'autres dispositions relatives à l'immigration familiale vont encore compliquer la vie des bénéficiaires du regroupement familial et des conjoints de Français. Ainsi, la condition de ressources requises pour bénéficier du regroupement familial est renforcée et doit être modulée selon la taille de la famille. Une disposition similaire avait été introduite par l'Assemblée nationale en 2003, puis rejetée par le Sénat. La commission des lois avait alors estimé que « dans la mesure où le montant du SMIC mensuel est considéré comme assurant un niveau de vie suffisant pour les Français, il semble raisonnable de considérer que les étrangers atteignant ce niveau ont des ressources suffisantes. »

En 2006, nouvelle tentative : le Sénat la rejette à l'unanimité, en estimant qu'il « n'y a pas lieu d'établir de distinction, s'agissant des ressources, entre la situation des familles étrangères et celle des familles françaises. Par conséquent, s'il est considéré qu'un revenu égal au SMIC permet à une famille française de vivre dans des conditions acceptables, il en va de même pour une famille étrangère ». Pourquoi y revenir et même proposer d’en élargir le champ d'application, puisque la commission a adopté l'amendement 25 qui vise à préciser que cette exigence de revenus modulable est aussi valable pour les titulaires d'une carte de résidant longue durée-CE qui souhaiteraient vivre avec leur famille ?

J’ajoute, et cela est assez consternant de la part d’un gouvernement qui parle sans cesse d'égalité, de respect de la diversité, que cette condition de ressources touche aussi les personnes handicapées. Le texte ne tient aucun compte d'une recommandation émise par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations en décembre 2006. La HALDE avait alors estimé que la condition de ressources appliquée à des personnes handicapées constituait non seulement une atteinte au droit de ces personnes à mener une vie familiale normale, mais encore une discrimination indirecte et que « si la règle posée par l'article L. 411-5 répond à un objectif légitime [...] elle s'avère en revanche injustifiable dans le cas des travailleurs handicapés bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé ». Le collège de la Haute Autorité recommandait donc au ministre de l'intérieur d’envisager une réforme du regroupement familial et d'adresser des instructions aux préfectures, afin qu'il soit procédé, sans attendre, à un examen particulier des demandes faites par des personnes handicapées.

Il ne faut pas non plus oublier les populations particulièrement vulnérables – retraités, malades, invalides... –, dont le niveau de ressources est bien souvent inférieur au SMIC et qui, plus encore que les autres, ont besoin d'être entourées de leurs proches. La France va-t-elle accepter plus longtemps d'être montrée du doigt pour traitement discriminatoire?

Votre projet instaure aussi un contrat d'accueil et d'intégration pour la famille, comportant une formation sur les droits et les devoirs des parents en France et dont le non-respect sera sanctionné par la mise sous tutelle des prestations familiales. Les dispositions contenues dans cet article sont contraires au principe de non-discrimination largement consacré par la jurisprudence de la CEDH et reconnu par le droit international. Avec cet article 3, le travail de dénigrement entamé depuis plusieurs années se poursuit : il consiste à jeter le soupçon sur les ressortissants étrangers, présentés comme de mauvais parents dont les modes d'éducation ne sont pas adaptés à la vie sur le territoire français.

Si l’objectif recherché avec ce contrat d’accueil et d’intégration est de favoriser la sacro-sainte intégration des familles étrangères dans la société française, la distinction établie entre les parents étrangers, selon qu’ils respecteraient ou non ce contrat, est sans lien avec l’objectif prétendument fixé et viole le principe d’égalité. Saisie de cette question, la HALDE a qualifié de discriminatoire cette distinction qui contrevient aux articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La Défenseure des enfants a, quant à elle, souligné que cette disposition était contraire à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ces deux autorités administratives indépendantes ont par ailleurs rappelé que le comité de suivi des droits de l’enfant des Nations unies avait, en juin 2004, recommandé que les prestations familiales soient attribuées de plein droit pour les enfants étrangers dont les parents séjournent régulièrement en France.

Ce projet de loi viole de fait l’article 3–1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. En effet, les prestations familiales sont versées pour l’éducation de l’enfant. Qu’elles puissent être suspendues au seul motif que les parents ne respecteraient pas un contrat d’accueil et d’intégration contrevient indéniablement à l’intérêt supérieur de l’enfant. J’avais opposé les mêmes arguments lors de l’examen de la loi du 31 mars 2006 relative à l’égalité des chances et qui prévoit une sanction identique pour les parents ne respectant pas l’obligation d’assiduité scolaire ou donnant à leurs enfants une éducation défaillante. Le rapporteur se réfère à cette loi, mais on ne peut mettre sur le même plan la carence éducative et le refus de signer un contrat d’accueil et d’intégration. Cette sanction du non-respect du contrat d'accueil et d'intégration, qui contrevient à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, révèle seulement votre approche répressive, inquisitoriale et discriminatoire.

Le Gouvernement revient également sur un amendement voté par le Sénat l'année dernière permettant au conjoint de Français entré régulièrement sur notre territoire avec un visa court séjour et justifiant de six mois de vie commune de demander un visa long séjour. Si votre proposition est adoptée, ce conjoint devra retourner dans son pays d'origine pour y solliciter ce visa long séjour lui permettant d’obtenir par la suite un titre de séjour. Le rapporteur considère que le dispositif dérogatoire, en place jusqu'à maintenant, n'est pas compatible avec l'objectif du Gouvernement de faire commencer le parcours d'intégration dans le pays d'origine. Mais est-ce au Gouvernement de décider à quel moment un étranger va rejoindre son conjoint français, dès lors que l'acte est transcrit officiellement à l'état civil du consulat ? Au prétexte de simplifier un système trop complexe, vous allez rendre infernale la vie des couples et des familles et leur imposer un vrai parcours du combattant. Il aurait été plus respectueux du droit à vivre en famille de permettre aux étrangers mariés avec des Français de rejoindre leur conjoint et leur famille sans visa ni formation linguistique. C'est à croire que, pour vous, un étranger ne sait pas penser et que celui qui se marie avec lui n'a pas tous ses esprits. Ce serait ainsi pour éviter les erreurs que le Gouvernement, dans sa haute bienveillance, chercherait à protéger les 90 700 mariages mixtes célébrés en 2005 en France et à l'étranger ! Mais il n'avait pas spontanément pensé aux femmes violentées par leur conjoint avant la délivrance du premier titre de séjour ou avant son renouvellement. Parce que la vie commune a été rompue par le conjoint ou par elles-mêmes, leur vie étant en danger, certaines se sont vu refuser leur titre de séjour et se trouvent sous le coup d’une obligation de quitter le territoire – sans aucun recours. Là encore, il faut remercier les associations qui les prennent en charge et les aident à trouver des solutions. Combien de fois ne sommes-nous pas intervenus, les uns et les autres, dans de tels cas !

La seconde cible du projet de loi est le droit d'asile. Le transfert de la tutelle de l’OFPRA au ministère de l’immigration est hautement symbolique. C’est l'aboutissement d'une évolution engagée par le ministre de l'intérieur en 2003 et analogue, nous dit-on, à celle observée dans les autres pays européens. Les exemples de ministères de l'immigration responsables également de l'asile ne sont pourtant pas si nombreux. Dans la plupart des pays européens, l'asile est sous le contrôle du ministère de l'Intérieur, ce qui n'est d’ailleurs pas nécessairement préférable.

L'asile est un droit international largement reconnu par tous les États et régi par des normes internationales. Comme tel, il doit relever de la compétence du ministère des affaires étrangères. Lier le droit d’asile à la maîtrise de l'immigration et à l'intégration trahit une approche répressive, une obsession des chiffres et, au-delà, une dangereuse dérive identitaire et sécuritaire.

M. le rapporteur pour avis – Pas du tout.

M. Patrick Braouezec – Les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme font obligation aux États parties d’organiser un recours effectif, c'est-à-dire nécessairement suspensif, pour tous les étrangers demandeurs d'asile, y compris pour ceux dont l'état de santé exige des soins « dont le défaut aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité » et dont ils ne pourraient pas effectivement bénéficier dans le pays où ils sont refoulés. L’article 8 de la même convention dispose que le refoulement ne peut « porter une atteinte disproportionnée au droit de la vie privée et familiale ». De très nombreux référés-liberté sont aujourd’hui rejetés par simple ordonnance, sans avoir fait l'objet d'une audience, ce qui contrevient manifestement aux exigences de la CEDH. L'effectivité du recours devrait, en effet, prévaloir pendant toute la durée de la procédure, et non pas seulement en première instance.

Autre problème : pour saisir l’OFPRA, le demandeur d'asile doit remplir un formulaire spécifique dans un délai précis. La demande doit être rédigée en français dans un délai de vingt et un jours dans la procédure normale, de quinze jours dans la procédure prioritaire et de cinq jours si l'étranger est placé en rétention. Pour les demandeurs non francophones, cette double exigence conduit à de grandes difficultés, en particulier lorsque leur demande est formulée en rétention où, depuis 2003, le délai a été réduit à cinq jours. Par ailleurs, la prise en charge des frais d'interprétariat par l'État est limitée aux seules procédures d'éloignement. L’article 10 de la directive européenne sur les procédures d'asile dispose pourtant que les demandeurs d'asile « bénéficient, en tant que de besoin, des services d'un interprète pour présenter leurs arguments aux autorités compétentes ». On eût été bien inspiré de transposer cette disposition européenne afin que les frais d'interprétariat liés à la demande d'asile soient également pris en charge par l’État.

Le Gouvernement semble, hélas, se jouer des normes européennes et internationales. La France siège pourtant au Conseil de sécurité de l’ONU. Le nouveau Président de la République a, lui-même, appelé au maintien de la tradition française d'appui aux persécutés du monde entier. Que notre pays ne met-il donc tout en œuvre pour respecter ses obligations internationales !

Lors du débat sur le projet de loi relatif à l’immigration et l’intégration, je soulignais déjà les dangers de la politique gouvernementale, qui apparaissent encore plus nettement aujourd’hui. Je relevais les manquements au respect de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de la Convention européenne des droits humains et du pacte relatif aux droits économiques et sociaux et culturels. Il aurait été préférable de suivre les recommandations du Conseil européen de Tampere en faveur d’une législation européenne commune en matière de droit d'asile et d'immigration, d’une législation qui viserait à garantir un traitement équitable à tous les migrants, à définir une politique d'intégration et de lutte contre la discrimination, et à améliorer la coopération dans le cadre d'un codéveloppement équitable et durable avec les pays d’émigration.

Contrairement à ce que vous prétendez, Monsieur le ministre, votre projet manque d’ambition. L'immigration, légale ou non, est, la plupart du temps, l'ultime recours d'hommes et de femmes qui paient très cher l'ouverture de leur pays à un marché mondial qui enrichit les nations déjà riches riches. Au lieu d'être l'épouvantail que brandissent des politiciens occidentaux manquant de mémoire et de vision, les migrations offrent une chance de renouveler la réflexion sur l'état réel du monde, sur les rapports de force qui le sous-tendent, sur les enjeux et les exigences d'une autre manière de vivre tous ensemble.

Nous en sommes loin. En revanche, avec chacune de vos lois, nous sommes de plus en plus près de remporter l’Oscar des violations de conventions européennes et internationales. Il serait quand même préférable pour notre pays d’être distingué pour avoir été le premier pays de l’Union européenne à signer et ratifier la convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Ce projet n'est qu'une accumulation de faux-semblants qui n’apporteront aucune réponse au problème des migrations. Ce n'est pas grâce à lui que l’Europe pourra devenir un espace d'apprentissage de la paix et de la solidarité. Vous préparez au contraire un monde fermé sur lui-même, ceint des murs de l'identité nationale, obsédé par la maîtrise des flux migratoires et des chiffres. Vous nous enfermez dans une vieille Europe, alors que nos concitoyens aspirent à un monde ouvert d'échanges et de rencontres. Sans ignorer les problèmes sociaux que nous rencontrons, ils n'en sont pas moins responsables et solidaires.

Je demande que ce projet de loi qui contrevient aux normes européennes, dénie le droit et instaure des discriminations, soit renvoyé en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical et citoyen).

M. le Ministre – Vous avez été exhaustif, Monsieur Braouezec. Permettez-moi de vous répondre plus brièvement.

M. Patrick Braouezec – Je le regretterai.

M. le Ministre – Vous avez tout d’abord évoqué la convention sur les droits des migrants. Vous avez eu raison, sauf sur un point – lequel n’est pas mineur : aucun pays européen n’a ratifié cette convention, ce qui lui retire assurément de sa force.

M. Patrick Braouezec – En 1789, aucun pays n’avait encore fait la Révolution ! En toute chose, il faut un premier.

M. le Ministre – Une convention des droits et devoirs des migrants serait de fait un texte plus équilibré mais, quoi qu’il en soit, notre pays n’est pas isolé en Europe pour n’avoir pas ratifié cet instrument.

Vous avez ensuite évoqué le codéveloppement. Sur ce point, je m’étais jusqu’à présent retenu de réagir, mais, puisque vous m’y obligez, je vous rappelle que c’est précisément de 1997 à 2002, alors que vos amis étaient au pouvoir, que l’aide publique au développement a diminué, alors qu’elle est repartie à la hausse à partir de 2002.

Contrairement à ce que vous affirmez, ce projet de loi ne traite pas exclusivement du regroupement familial – lequel, soit dit au passage, représente encore un quart de l’immigration pour motifs familiaux. Il concerne également les conjoints de Français et les candidats à l’obtention d’une carte de séjour « vie privée et familiale ».

Vous avez prétendu enfin que ce projet violerait diverses conventions internationales. Soyez assuré que nous avons pris tous les conseils et tous les avis nécessaires. Le texte que nous présentons est strictement conforme à celui ressorti du Conseil d’État.

Pourquoi donc ces critiques systématiques ? Pas une ligne de ce projet de loi ne trouve grâce à vos yeux. Nous ne partageons certes pas les mêmes convictions, mais est-ce une raison pour rejeter absolument toutes les dispositions du texte, notamment celle prévoyant un apprentissage minimal du français par les étrangers avant leur venue sur le territoire national, afin de faciliter leur intégration ? Vous aurez bien du mal à expliquer pourquoi vous êtes contre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Mallot – La question de l’immigration est une question sensible et nos concitoyens sont tentés de croire ce que disent à ce sujet les médias, dont le Gouvernement a la maîtrise. C’est donc à nous, parlementaires, de poser les vrais problèmes, qui sont l’immigration clandestine, le trafic d’êtres humains, la concussion, en bref l’esclavage moderne, et non pas le regroupement familial. Étienne Pinte a noté à juste titre qu’en choisissant cette approche le Gouvernement ne réglerait rien sur le fond, car il ne s’attaque pas à l’essentiel. Du reste, le dispositif proposé ne peut être efficace. Dans certains pays d’Afrique, le délai de délivrance des visas excédait déjà trois ans et demi quand les dispositions relatives au mariage voulues par la majorité l’ont allongé d’un an. Les nouvelles mesures proposées l’étireront d’une année supplémentaire, puisque, dans le même temps, les moyens des consulats ne seront pas renforcés. En ne faisant rien pour remédier au malaise ainsi perpétué, on crée des problèmes au lieu de les résoudre. Cette fuite en avant doit cesser et il faut, pour cela, remettre cet ouvrage imparfait sur le métier car, d’évidence, le texte n’est pas prêt.

Aux dispositions relatives au mariage succèdent à présent d’autres dispositions relatives à la filiation sans que personne s’avise que celle-ci repose sur la possession d’état et non sur la génétique. Lisez donc, Messieurs les ministres et collègues de la majorité, ce que dit M. Huriet de l’amendement de M. Mariani ! Il y est catégoriquement opposé, et ne voudrait « en aucune façon » qu’il soit adopté. Cette disposition est de celles que la commission devrait absolument rediscuter.

Vous parlez encore de « responsabilité ». Mais ce texte n’est en rien responsable puisque, comme notre collègue Laurence Dumont l’a brillamment démontré, il aura pour effet d’accroître l’immigration clandestine…

M. le Président – Veuillez conclure.

M. Jean Mallot – En contraignant les candidats à l’immigration à deux mois de stage de français à un prix prohibitif pour eux, vous les pousserez à contourner l’obstacle en les mettant à la merci des passeurs. Le dispositif se caractérise enfin par son incohérence, dûment soulignée par M. Pinte : quelle logique y a-t-il à imposer la connaissance de la langue française avant l’entrée sur notre territoire ?

Au lieu de légiférer à la va-vite il faut, comme le propose M. Braouezec, renvoyer ce texte en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Noël Mamère – Vous avez feint, Monsieur le ministre, de ne pas comprendre comment M. Braouezec pouvait ne rien trouver de bon dans votre texte, le cinquième que votre majorité nous soumet pour restreindre le regroupement familial. Vous avez feint, Monsieur le ministre, de ne pas comprendre que M. Braouezec réprouve l’esprit même de ce texte populiste, démagogique et cynique (Exclamations et protestations sur les bancs du groupe UMP) qui assimile regroupement familial et immigration subie. C’est cet esprit que nous condamnons, cette doctrine mise en œuvre par le ministre de l’intérieur devenu Président de la République, cette instrumentalisation de l’immigration dans l’ombre portée du lepénisme finissant (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Bien sûr, il est plus facile d’agiter ce type d’épouvantail et de se faire une spécialité de l’occupation de l’espace médiatique, comme le fait M. Sarkozy (Protestations sur les bancs du groupe UMP), que de s’attaquer aux difficultés réelles du pays, problèmes dont on ne manquera pas de constater qu’ils ne sont pas résolus par les dispositions présentées. Comment le Gouvernement peut-il prétendre instituer l’apprentissage du français dans les pays d’émigration quand, dans le même temps, il réduit de 4 % les moyens de nos représentations diplomatiques en Afrique ? Qui ne sait, du reste, qu’apprendre correctement une langue suppose une immersion linguistique ? Prétendre que l’on parviendra à apprendre le français et les valeurs de la République en deux mois dans des villages africains reculés, ce n’est rien d’autre que de l’esbroufe, destinée à dissimuler vos intentions réelles (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Comment ne pas revenir sur l’amendement provocateur de M. Mariani, qui continuera de faire du bruit aussi longtemps que le Gouvernement n’aura pas décidé de le jeter aux orties…

Un député du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – Et Mariani avec…

M. Noël Mamère – …car il s’agit bel et bien d’un amendement crapuleux et nauséabond (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) – et encore mon propos est-il très modéré. (Exclamations sur les mêmes bancs). Cet amendement, Monsieur le ministre, est critiqué dans la presse, par des hommes politiques bien sûr, mais pas seulement, tant s’en faut. Le grand généticien Axel Kahn explique précisément en quoi cette disposition mettrait fin à des décennies de consensus national sur la notion de famille. En faisant croire qu’il n’existe, pour les étrangers, de famille que biologique, vous créeriez une ségrégation entre familles françaises et familles immigrées. Nous ne pouvons accepter une telle discrimination, ni le fait de ramener la famille à une entité biologique. Mais ceux qui ont exalté la famille au cours de la campagne électorale, ceux qui ont condamné l’héritage de 1968 et refusé certaines formes de mariage (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) nous expliquent maintenant que seul vaut le biologique ! Avec ce texte, vous portez atteinte au pacte social et au « vivre ensemble » en France. C’est pourquoi nous soutenons la proposition de renvoi en commission de notre collègue Braouezec (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Éric Ciotti – Ayant écouté M. Braouezec et M. Mamère, une forte envie me vient de citer l’Évangile… (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) et de dire, comme Mme Royal : « Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Rires sur les bancs du groupe UMP). Saisi d’un horrible doute, je m’interroge : savez-vous ce que vous faites, ou êtes-vous seulement animés d’un violent cynisme politique qui vous fait utiliser ce débat comme ciment démagogique d’une gauche en phase d’éclatement ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine). C’est bien du cynisme que d’instrumentaliser à des fins politiciennes la détresse de milliers d’étrangers en France (Huées sur les mêmes bancs), en proférant au passage des propos outranciers et insultants et des mensonges honteux. Ainsi, le Gouvernement ne respecterait pas les valeurs de la République ? Et c’est vous qui osez parler de « lepénisme finissant », alors que vous portez seuls la responsabilité de l’extension de ce parti, qui n’a reculé que grâce à l’action du Président de la République ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) On ne peut non plus accepter que vous compariez la France de 2007 au régime le plus sombre de notre histoire. De telles assimilations sont scandaleuses.

Le renvoi en commission est évidemment inutile, car la commission a beaucoup travaillé et beaucoup écouté – et M. Blisko, en particulier, a entendu les personnalités auditionnées. Pour votre part, vous devriez écouter le peuple de France et, pourquoi pas, votre électorat, mais peut-être en avez-vous perdu l’habitude ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) En ce cas, la lecture des conclusions de certains sondages, publiés dans Le Figaro vous éclairerait. Bien entendu, le groupe UMP votera contre le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Nicolas Perruchot – Le groupe du Nouveau centre a le sentiment que M. Braouezec a, plus que toute autre chose, utilisé un artifice procédural pour imposer une demi-heure supplémentaire de discussion générale, et nous espérons que la modification de notre Règlement empêchera, à l’avenir, que les débats soient ainsi indûment allongés.

Sur le fond, Monsieur Braouezec, vous décrivez une situation apocalyptique, avec les gros méchants – nous – et les gentils – vous. Pour avoir échangé des idées avec vous dans des colloques, je me demande si vous ne pratiquez pas le double langage, selon que vous êtes ici ou en d’autres lieux. Je crois plutôt à la cohérence en politique. Peut-être la situation que vous décrivez vaut-elle pour Saint-Denis, mais je vous rassure, elle ne vaut pas pour tout le territoire. Sans doute y a-t-il des gens qui souffrent et faut-il améliorer un certain nombre de situations, mais il y a aussi des gens qui viennent profiter d’un vide juridique. Le groupe du Nouveau centre ne votera pas cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe du Nouveau centre).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président – J’appelle dans le texte du Gouvernement les articles du projet de loi.

ARTICLE PREMIER

Mme Françoise Hostalier – Maîtriser la langue du pays facilite certes l’intégration. Mais ce n’est pas l’élément premier. Nous connaissons tous des étrangers arrivés sans notion de français et qui, aujourd’hui, maîtrisent mieux notre langue que beaucoup de nos compatriotes. De plus, il sera plus facile pour l’étranger d’apprendre le français ici, par immersion. Il s’agit, nous dit-on, de protéger des femmes qui, faute de connaître la langue, ne connaîtraient pas leurs droits. Mais je peux vous assurer que les maris, ou futurs maris, qui veulent faire venir une femme sans lui reconnaître ses droits, procéderont autrement qu’en demandant un visa officiel qui leur sera automatiquement refusé. Pour ces femmes, tout se joue dans le contrat d’accueil et d’intégration, l’apprentissage de la langue, l’adhésion aux valeurs républicaines et l’accompagnement à l’intégration.

D’autre part, c’est la quatrième loi sur l’immigration en cinq ans, et à ma connaissance, aucune évaluation n’a été faite de leur application.

M. le Rapporteur – Si !

Mme Françoise Hostalier – Ne pourrions-nous, par exemple, évaluer ce qui a été fait en matière de contrats d’accueil et d’intégration et d’apprentissage du français et des valeurs républicaines en France, avant de les imposer à l’étranger où les choses seront de toute manière plus difficiles ?

M. Philippe Vuilque – Très bien.

Mme Françoise Hostalier – Superposer des dispositifs toujours plus complexes ne fera qu’alourdir la charge de nos consulats. À moins de bénéficier de moyens supplémentaires, nos établissements culturels à l’étranger, qui ont déjà du mal à survivre, ne pourront pas assurer cette mission supplémentaire. Qui va payer, qui va dispenser, qui va valider ces formations ?

Enfin, les ressortissants des pays francophones, essentiellement africains, passeront ces tests bien plus facilement. On instaure donc une forte inégalité entre demandeurs selon leur origine. Je crains qu’on ne puisse attaquer l’article pour ce non-respect de l’égalité des droits (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de la gauche démocrate et républicaine).

Mme Marietta Karamanli – Étant l’une des deux nouveaux élus de 2007 à être née ailleurs qu’en France et à ne pas être née Française, je me sens très concernée. Avec cet article, si je comprends bien, il faudra, pour venir rejoindre un conjoint en France, connaître non seulement la langue, mais nos valeurs républicaines. Sur le principe, personne ne sera en désaccord. Mais n’est-il pas aussi réaliste de vérifier que la personne sait quelle est la vie qui l’attend en France ? Une telle condition est exigée en Grande-Bretagne, mais… pour ceux qui veulent devenir citoyens.

Peut-être au fond, le Gouvernement veut-il plutôt freiner l’entrée légale sur le territoire des étrangers mariés avec des Français. C’est contradictoire avec la campagne de communication que mène en ce moment le ministère de l’Intérieur sur le thème « Parlez rugby ». Des joueurs de rugby nous expliquent justement que c’est en vivant ici qu’ils ont appris le français et compris les valeurs de la République.

En fait, ce projet me semble moins chercher à lutter contre l’immigration illégale qu’à rendre plus difficile l’immigration que le Gouvernement peut encore contrôler. Demain, celle-ci risque de devenir encore plus aléatoire et inhumaine. C’est pourtant aux réseaux illégaux qu’il faut s’attaquer. Mais à défaut de pouvoir attraper les gros requins, le Gouvernement s’apprête à assommer les petits poissons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Mme George Pau-Langevin – Nous voulons la suppression de cet article qui est une attaque en règle contre le regroupement familial. De façon pateline, on nous annonce que l’étranger pourra « bénéficier » d’une formation. Mais sous couvert d’améliorer son niveau de français, vous lui refusez le bénéfice de droits élémentaires. C’est une mauvaise action. Nous vous demandons de retirer cet article (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. Patrick Roy – D’abord, un orateur de la majorité nous a accusés de mensonge. Quand on avance ce genre de chose, il faut le prouver. Pour ma part, j’accuse le ministre qui a semblé dire que tout allait mieux à Sangatte. Or tous les observateurs savent que l’on a simplement déplacé le problème sans rien régler. Le Gouvernement s’honorerait à le reconnaître et à ne pas laisser les élus locaux dans le désarroi…

S’agissant de l’article, il est certes logique de dire que, pour vivre en France, mieux vaut parler français. Mais en l’inscrivant dans la loi, vous semblez soupçonner ceux qui viennent de ne pas vouloir faire cet effort. Ils le veulent, bien évidemment.

D’autre part, pour avoir été enseignant, je sais bien, et tout le monde sait, que le meilleur moyen d’apprendre une langue étrangère, c’est l’immersion. J’en ai fait l’expérience pour l’anglais. De toute façon, comment assurer un apprentissage préalable ? Par des cours particuliers ? Mais comment en bénéficieront ceux qui habitent loin des centres ? Là encore, vous n’avez pas de réponse. J’espère aussi qu’il est bien prévu un apprentissage de la langue de tous les jours, et non du français littéraire. Enfin, cette disposition concerne les enfants de plus de 16 ans. Mais dans une fratrie, certains ont plus de 16 ans, d’autres moins. Va–t–on laisser venir ces derniers et laisser les autres dans leur pays ? C’est une conception bizarre de la famille et des droits de l’homme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur les bancs du groupe de la gauche démocrate et républicaine)

Mme Aurélie Filippetti – Permettez-moi, Monsieur le ministre, de vous lire un bref texte. « L’immigration familiale s’impose tout à la fois pour des raisons humanitaires et par souci d’intégration […], car comment réussir l’intégration paisible d’un homme vivant à des milliers de kilomètres de sa femme et de ses enfants ? Les étrangers voulus et acceptés devront l’être avec leur famille, au moins au sens de l’épouse et des enfants, car on ne peut vouloir une intégration réussie et penser qu’elle le sera pour un homme privé de sa femme et de ses enfants. Le regroupement familial est l’un des droits de l’homme sur lesquels on ne peut transiger, sauf à se renier ! »

Qui a écrit ces lignes ? C’est Nicolas Sarkozy, en 2001, dans Libre. Pourtant, l’article premier du projet semble bien contraire à tous ces principes. Il est symptomatique de l’approche biaisée de ce gouvernement sur les questions d’immigration. Votre projet n’a en réalité d’autre but que de restreindre l’immigration légale des familles par tous les moyens, y compris les plus contestables. Cette mesure sur l’évaluation de la connaissance de la langue française porte ainsi directement atteinte au droit de vivre en famille, alors même que le nombre de personnes concernées est en baisse. C’est donc sans aucun motif rationnel que cette nouvelle condition porte un coup gratuit au droit à une vie familiale normale.

Votre argumentation se fonde sur un semblant de constat : l’immigration économique serait trop faible par rapport à l’immigration familiale. Or vous citez, à l’appui de cette affirmation, le chiffre brut de 6,6 % de titres de séjour accordés sur la base d’un contrat de travail, alors que l’honnêteté intellectuelle oblige à préciser que 70 % des personnes qui viennent en France au titre du regroupement familial travaillent. Il ne s’agit donc pas là, contrairement à ce que vous affirmez, d’immigration subie.

Si la France a inscrit le droit au respect de la vie familiale parmi ses principes fondamentaux, c’est afin que nul ne puisse, au gré de la conjoncture, de ses calculs politiques ou de ses intérêts électoraux, y porter atteinte. Mais le respect de la vie familiale, loin d’être seulement un droit, est également un gage essentiel d’intégration pour tous ceux qui aspirent à s’insérer dans la société d’accueil au-delà du cadre de leur travail. Ici encore, le texte va à l'encontre des objectifs mêmes qu'il est censé servir.

D’autre part, en durcissant les conditions du regroupement familial par un empilement de tracasseries administratives sans fondement, on s’expose véritablement au risque de favoriser l'immigration clandestine, tant il est impossible d’empêcher durablement les membres d’une famille de vivre ensemble.

En matière de politique d'immigration, il faut que les contrôles et les restrictions soient justes, sinon ils font exploser l'inégalité. Le risque d'arbitraire et de sélection économique – dont les femmes, le plus souvent, feront les frais – est d'autant plus grand que la nature, le contenu comme les effets du dispositif sont extrêmement vagues. Le flou semble en effet entretenu quant au niveau de connaissances exigible, aux conditions de la formation et au réseau qui la dispensera.

Ce texte peu réaliste n’a d’autre objectif que de retirer au plus grand nombre possible de personnes ce droit au regroupement familial, pourtant consacré principe général du droit par le Conseil d'État. Du reste, vous avez bien conscience de la complexité et de l’absurdité de cet article, discriminatoire envers les Français eux-mêmes, puisque, pour un Américain qui vient travailler en France et souhaite y faire venir sa femme, vous créez une exception – la carte « Talents et compétences » – la soustrayant à l’obligation de passer le test d’évaluation de la langue française, alors que l’épouse américaine d’un Français parti travailler aux États-Unis et qui désire revenir avec elle en France sera, elle, soumise à cette obligation. Vous instaurez une telle usine à gaz, faisant intrusion dans la vie de nos concitoyens, que vous devez immédiatement y introduire une exception ! Vous lésez donc les droits des étrangers tout en compliquant la vie des citoyens français qui ont le bonheur de vivre avec un étranger.

Pour toutes ces raisons, Monsieur le ministre, nous vous demandons de renoncer à l’article premier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Président – Sur l’article premier, je suis saisi de deux amendements, identiques, de suppression.

M. Jean-Paul Lecoq – Je défends l’amendement 145. En moins de quatre ans, la procédure de regroupement familial a été modifiée par deux réformes, des décrets, des circulaires et des arrêtés. S'ajoutant aux restrictions précédentes, le projet de loi organise un nouveau durcissement au détriment de ce qui symbolise aux yeux du Gouvernement une immigration « subie ». En réalité, selon le rapport au Parlement établi par le comité interministériel de contrôle de l'immigration, le regroupement familial ne représentait en 2005 que 11 % des titres délivrés. Quant aux mesures restrictives proposées, elles sont régies par une politique d'immigration répressive, dont la logique est incompatible avec les normes internationales en matière de droits humains.

Comme l’écrivent dans leur très beau texte Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, « chaque fois qu'une culture ou qu'une civilisation n'a pas réussi à penser l'autre, à se penser avec l'autre, à penser l'autre en soi, ces raides préservations de pierres, de fer, de barbelés, ou d'idéologies closes, se sont élevées. Ces refus apeurés de l'autre, ces tentatives de neutraliser son existence, même de la nier, peuvent prendre la forme d'un corset de textes législatifs, l'allure d'un indéfinissable ministère, ou le brouillard d'une croyance transmise par les médias qui, délaissant à leur tour l'esprit de liberté, ne souscrivent qu'à leur propre expansion à l'ombre des pouvoirs et des forces dominantes ».

La mesure que vous nous proposez, loin de servir en quoi que ce soit l’objectif d'intégration, n’apporte à la question de l'immigration qu’une réponse idéologique – alors même que vous nous accusez de mettre à profit les débats pour faire preuve d’idéologie, oubliant que ce n’est pas nous qui avons convoqué le Parlement en session extraordinaire et mis ce texte à l’ordre du jour ! L’amendement tend donc à supprimer cet article premier.

Mme George Pau-Langevin – L’amendement 161 est défendu. Je l’ai dit tout à l’heure : ce texte, dont la philosophie est tout à fait contraire aux valeurs que nous défendons, porte durement atteinte aux droits des femmes ; nous en demandons donc la pure et simple suppression.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. L’article premier est l’article essentiel du texte, car il respecte l’engagement, contracté par le Président de la République puis au cours de la campagne pour l’élection législative, d’imposer l’apprentissage du français. Rappelons à ce sujet quelques vérités : nous ne sommes pas le premier pays d’Europe à faire cette démarche, mais le troisième, après les Pays-Bas, en 2006, puis l’Allemagne, en août dernier.

M. Patrick Braouezec – Aux Pays-Bas, c’était sous la pression de l’extrême droite !

M. le Rapporteur – Mais, alors que les Pays-Bas et l’Allemagne imposent une obligation de réussite à l’examen, nous nous contentons, afin de respecter l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, d’une obligation de moyens, autrement dit d’une obligation de suivre les cours.

Sur le niveau exigé, il s’agit, parmi les niveaux linguistiques – classés, comme le rappelle le rapport, de A1 à C2 –, du niveau A1. 1, c’est-à-dire d’un niveau inférieur au niveau 1 – exigence faible, car il y aurait lieu de se poser des questions sur une personne qui ne parviendrait pas à ce niveau au bout de 180 heures de cours !

Enfin, nous sommes le seul de ces trois pays à offrir ce dispositif gratuitement. Ainsi, quiconque veut apprendre le néerlandais pourra se rendre au consulat des Pays-Bas, qui lui fournira, contre 65 euros, un kit contenant un CD-Rom de cours de langue et un livre illustré portant sur les valeurs et proposant des photos à commenter – j’ajoute qu’il lui faudra en outre débourser 350 euros pour chaque examen. Par ailleurs, le réseau permettant d’apprendre le néerlandais est certainement moins développé que le réseau, que certains se permettent pourtant de critiquer, des Alliances françaises, des centres culturels et de l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations – ANAEM. Quant à l’Allemagne, le coût de l’examen y est de 50 euros, sans compter le prix de la formation.

Bref, il n’y a là ni nouveauté – la plupart des pays d’Europe en venant à cette même conclusion : pour s’intégrer, il faut apprendre la langue nationale –, ni exigences extraordinaires. Mais il y a bien, j’en conviens, une originalité française : aux Pays-Bas, comme en Allemagne, la gauche a voté ces propositions, ce qui montre bien, Monsieur Mamère – vous qui qualifiez mes amendements de crapuleux et de nauséabonds –, que nous avons la gauche la plus archaïque d’Europe, la plus sectaire et la plus inféodée à certains groupuscules d’extrême gauche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Voilà ce que vous prouvez en repoussant ce que vos amis européens ont accepté parce qu’ils ont compris que la maîtrise de la langue équivaut à la liberté et à la meilleure garantie d’émancipation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Ministre – Même avis. Il ne s’agit naturellement pas d’ajouter une contrainte supplémentaire, mais de permettre à l’étranger qui arrive en France de parler la langue usuelle, ce qui, contrairement à ce qui a été affirmé tout à l’heure de manière assez paradoxale – il s’agirait là d’un handicap –, est préférable.

S’agissant d’évaluation et de formation, je précise qu’aucun visa ne sera refusé à ceux qui se conformeront au dispositif ; autrement dit, il ne sera nullement porté atteinte au droit de vivre en famille.

M. Noël Mamère – M. le rapporteur a proféré plusieurs contrevérités. En effet, comparaison n’est pas raison ; mais, puisque vous ne cessez de citer en exemple les pays européens, pourquoi ne pas vous être inspirés de l’Italie ou de l’Espagne, qui ont procédé à des régularisations massives de sans-papiers ?

M. le Rapporteur – Parce que ces pays le regrettent aujourd’hui !

M. Noël Mamère – Non, et ces régularisations n’ont pas bouleversé l’ordre social !

D’autre part, comme l’a précisé mon collègue Braouezec, les mesures néerlandaises que vous évoquiez ont été prises sous la pression de l’extrême droite, qui est aujourd’hui très puissante aux Pays-Bas.

En outre, vous prétendez que les cours de langue proposés en France sont gratuits, oubliant que vous exigez des candidats au regroupement familial qu’ils apprennent le français dans leur pays, alors que, dans les pays européens que vous évoquez, c’est dans le pays d’arrivée que l’on apprend la langue nationale !

M. le Rapporteur – Vous n’avez rien compris !

M. Noël Mamère – Et que doit faire un Malien non francophone, vivant loin de Bamako ? Au fond, cette prétendue gratuité cache une véritable ségrégation par l’économie ! La Délégation générale à la langue française qui, reconnaissez-le, n’est pas un « groupuscule d’extrême gauche », fait elle-même remarquer que le lien entre niveau requis et besoins réels d’un candidat pose problème, et ajoute que le coût de la formation est facteur de discrimination.

M. le Rapporteur – C’est faux !

M. Noël Mamère – Elle met également en cause la pertinence de l’examen de langue.

M. le Rapporteur – Il n’y a pas d’examen !

M. Noël Mamère – Vos mesures lapidaires ne sont pas des réponses adaptées à ces questions de fond.

D’autre part, vous n’avez pas évalué les effets du contrat d’accueil et d’intégration et du dispositif de formation linguistique que vous avez créés il y a un an.

Quant aux valeurs de la République, chacun sait qu’elles peuvent être interprétées de diverses manières.

Rendez-vous compte des difficultés qu’éprouvera un Africain souhaitant venir en France, ne serait-ce que pour être reçu au consulat. Et quand bien même il aurait rassemblé tous les documents requis, on exigera de lui un test ADN sous prétexte d’une éventuelle falsification ! Vous prenez vraiment les Français pour des imbéciles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Serge Letchimy – Pouvez-vous nous rassurer, Monsieur le rapporteur, sur ce que vous entendez par un niveau « obtenu » ? D’autre part, vous évoquez la gratuité de la formation linguistique. Dans votre rapport, pourtant, vous envisagez de financer le coût de la formation par des recettes nouvelles telles que l’augmentation de la taxe sur l’attestation d’accueil ou encore celle des frais de dossier. Je vous le demande : qui va payer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

Frappés par la misère, de nombreux enfants africains ne pourront se procurer le test ADN – si par malheur cette funeste disposition est adoptée.

Ensuite, la République gagnerait à autoriser ces enfants à rejoindre leur famille d’abord, plutôt que d’exiger au préalable une connaissance de nos valeurs qui ne peut s’acquérir dans un simple cours.

En distribuant tout à l’heure vos bons et mauvais points, Monsieur le ministre, vous avez qualifié mon intervention d’idéologique – mais n’est-ce pas l’apanage du débat sur l’immigration depuis cinquante ans ? Je l’avoue d’ailleurs volontiers : je défends des idées et des valeurs. Voilà ce qui nous distingue : je les défends ouvertement, quand vous les dissimulez. Au fond, votre véritable objectif est de réduire l’immigration familiale par des moyens inavouables. Ce faisant, vous imposez à la République de se refermer sur elle-même (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).

M. Patrick Braouezec – Chacun sait qu’il vaut mieux parler la langue du pays où l’on s’installe ou, à défaut, l’apprendre rapidement.

M. le Rapporteur – C’est logique !

M. Patrick Braouezec – Sans doute, mais vous présentez cette exigence comme l’axe central de la loi. Songez donc à l’image désastreuse qu’auront dès lors tous ceux – et ils sont nombreux – qui sont parfaitement intégrés dans notre pays sans pour autant savoir lire ou écrire sa langue ! Ainsi, le tout jeune maire que je fus jadis récolta toutes les voix du conseil moins une ; je m’étonnai de cette défection.

M. le Rapporteur pour avis – Un socialiste, peut-être ? (Sourires)

M. Patrick Braouezec – Un an plus tard, une conseillère municipale m’en révélait la cause : elle n’avait pas su écrire mon nom. Peut-être, me direz-vous, qu’un nom breton justifie que l’on se soumette à un test ADN ? En effet, les Bretons qui arrivaient autrefois à Paris « baragouinaient »… Quoi qu’il en soit, vous bafouez la dignité de ces milliers de personnes pourtant bien intégrées à la République !

Les amendements identiques 145 et 161, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Patrick Braouezec – L’amendement 155, en remplaçant la « préparation à l’intégration » par « l’accueil », vise à permettre une acquisition rapide du français, plutôt que de l’exiger a priori.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Cet amendement a pour effet de supprimer l’expression « intégration républicaine », ce qui se passe de commentaire.

M. le Ministre – Même avis.

L'amendement 155, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Claude Bodin – L’assimilation implique la pleine adhésion des individus aux valeurs de la société d’accueil : tous partagent un projet commun. L’intégration, au contraire, repose sur le respect des valeurs de chacun et, in fine, le communautarisme. Les amendements 59 à 62 visent à substituer le premier terme au second. Je regrette que le rapporteur l’ait rejeté en commission, car le discours politiquement correct qui s’impose depuis trente ans en matière d’immigration ne doit pas masquer cette évidence : le regroupement familial est l’une des principales voies d’accès à la naturalisation.

M. Patrick Braouezec – Et alors ?

M. le Rapporteur – Avis défavorable – à regret. L’article 21-24 du code civil fait de l’assimilation une condition de la naturalisation. Nous parlons ici de l’immigration, non du droit de la nationalité !

M. le Ministre – Le code de l’entrée et du séjour des étrangers emploie toujours le mot « intégration ». On parle d’assimilation lorsqu’il y a accès à la nationalité française. Il y a donc une gradation. Avis défavorable donc, avec les mêmes regrets que le rapporteur.

M. Serge Blisko – Mon intervention vaudra pour tous les amendements de M. Bodin. Je remercie d’abord M. Mariani d’avoir réitéré son refus à M. Bodin. Cet amendement est intéressant en ce sens qu’il révèle toute une idéologie. En parlant d’assimilation, vous demandez tout bonnement à quelqu’un qui vient pour rejoindre son conjoint – et qui ne s’inscrit donc absolument pas dans une démarche de naturalisation – de renier ses origines et sa culture. Pourtant, vous vous félicitez que l’on continue à parler le français au Canada, voire aux États-Unis. Allez donc plus loin, Monsieur Bodin : déposez un amendement interdisant aux Québécois de continuer à parler le français et supprimant la Délégation générale à la langue française ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Claude Bodin – C’est le plus mauvais exemple que vous puissiez choisir !

M. Serge Blisko – Vous êtes en train de demander la fermeture de notre pays à toute diversité ! Au moment même où nous construisons l’Europe, vous vous retranchez dans la forteresse assiégée que décrivait tout à l’heure M. Meunier. Vous nous faites froid dans le dos ! Vous avez cinquante ans de retard : vous vous réclamez d’une idéologie complètement dépassée et combattue partout dans le monde ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Noël Mamère – Nous avons la chance de compter parmi nous un ancien champion qui a été ministre des sports. Il serait intéressant que M. Lamour nous dise si Mme Eunice Barber parlait vraiment le français lorsqu’elle a été naturalisée française, et qu’il nous explique comment on a naturalisé un certain nombre de sportifs de haut niveau, avant les Jeux olympiques, sans exiger qu’ils parlent le français !

Il y a dans l’amendement de notre collègue Bodin une équivoque philosophique. On ne peut en aucun cas confondre intégration et assimilation. Si je suis rassuré par la réponse du rapporteur, je ne le suis guère lorsque M. le ministre laisse entendre qu’il y aurait un lien entre la naturalisation et l’assimilation. Notre pays n’a jamais pratiqué l’assimilation : il a toujours préféré l’intégration. Naturalisation ne signifie donc pas assimilation ! Peut-être défendez-vous l’idée que tout individu qui vit sur notre territoire doit être assimilé. Nous défendons pour notre part l’idée que nous vivons dans une société multiculturelle, et que c’est cette diversité qui fait sa richesse. Il y a donc un vrai dérapage dans cet amendement, qui cache peut-être une volonté du Gouvernement. Je ne saurais accepter que l’on glisse ainsi subrepticement de l’intégration à l’assimilation. Le thème de l’immigration deviendrait alors une bombe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. le Président – Je vous propose de conclure cet échange en donnant la parole à l’amour (Sourires).

M. Jean-François Lamour – Merci pour ce trait d’esprit ! Eunice Barber, Monsieur Mamère, avait eu la chance de venir à plusieurs reprises suivre des stages en France – ce qui lui avait permis d’appréhender les notions de base du français.

M. Noël Mamère – En France !

M. Jean-François Lamour – Vous conviendrez qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être championne d’athlétisme… C’était d’ailleurs crucial pour avoir une chance d’intégration – j’y reviendrai. Eunice Barber a ensuite été naturalisée. Cela lui a permis de devenir championne du monde en 2003 et de participer plusieurs fois aux Jeux olympiques. Elle a appris à vivre en France, mais parce qu’elle a eu la chance de suivre des stages en France.

M. le Ministre – Je vous rappelle que le code civil dispose que la nationalité française peut être accordée, par dérogation, à une personnalité ayant rendu d’éminents services à notre pays ou contribué à son rayonnement. Et selon Patrick Weil, cher à plusieurs d’entre vous, l’assimilation est bien le critère normal de la naturalisation !

L'amendement 59, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Braouezec – L’amendement 156 vise à supprimer les mots « de plus de seize ans » dans la première phrase de l’alinéa 2 de cet article. La législation française fixant à dix-huit ans l’âge de la majorité civile, le traitement particulier fait aux jeunes étrangers de plus de seize ans pose problème.

M. le Rapporteur – Défavorable. Les seize-dix-huit ans qui arrivent en France ont beaucoup de difficultés à s’intégrer, puisqu’ils n’ont pas d’obligation scolaire. Certains pays comme l’Allemagne ou le Danemark ne leur ouvrent d’ailleurs pas le regroupement familial. Raison de plus pour maintenir à leur égard l’obligation d’apprendre le français.

M. le Ministre – Même avis. L’adoption de cet amendement tel qu’il est rédigé conduirait d’ailleurs à soumettre tous les enfants à une évaluation de leur connaissance de la langue française. Ce n’est sans doute pas ce que vous souhaitez...

M. Patrick Braouezec – Je retire l’amendement.

L’amendement 156 est retiré.

M. le Rapporteur – L’amendement 18 vise à dispenser les époux de plus de soixante-cinq ans rejoignant leur conjoint étranger en France de l’évaluation préalable de la connaissance de la langue et des valeurs de la République. Il est en effet plus difficile d’exiger une complète intégration dans la société française de ces personnes, qui sont déjà dispensées de la condition de connaissance de la langue pour l’obtention de la carte de résident. Cette disposition a par ailleurs été demandée par les associations, préoccupées par le cas de grand-mères désireuses de rejoindre le reste de la famille.

Mme George Pau-Langevin – Nous sommes très sensibles à ces cas… par exemple à celui de cette femme qu’on était venu arrêter dans son bain pour la renvoyer dans son pays d’origine ! En revanche, nous ne voyons pas pourquoi vous parlez des jeunes de plus de seize ans, puisque le mineur a droit au regroupement familial – d’où notre sous-amendement 265.

M. le Rapporteur – Défavorable.

M. le Ministre – Avis défavorable au sous-amendement et favorable à l’amendement.

Le sous-amendement 265, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 18, mis aux voix, est adopté.

M. Serge Blisko – L’amendement 164 est un amendement de repli. Essayons d’être réalistes. Les institutions culturelles françaises sont souvent implantées dans les capitales. Obligerez-vous les habitants de Mongolie à faire des centaines de kilomètres pour aller passer un test et suivre une formation à Oulan-Bator ? Cela n’a pas de sens. Au nom du simple bon sens, nous demandons que cette démarche devienne facultative.

M. le Rapporteur – Défavorable. Si l’on vous suivait, vous savez bien que ce sont souvent des femmes qui seraient privées de cette formation et cela ne nous semble pas souhaitable.

M. le Ministre – Même avis. Vous posez le problème des candidats à l’émigration qui habitent dans des régions reculées. Pour eux, la situation ne changera pas : c’est au moment où ils se déplaceront au consulat pour formuler leur demande qu’ils subiront le test…

M. Patrick Braouezec – Allons donc ! À qui allez-vous faire croire cela ? Ces personnes se présenteraient au consulat à n’importe quel moment et on leur ferait passer le test sur-le-champ ! Ce n’est pas sérieux.

M. le Ministre – Nous ferons en sorte que cela se passe ainsi. Si le test fait ressortir un besoin de formation, le réseau culturel est généralement suffisant pour que les sessions puissent avoir lieu. Si malgré tout cela n’était pas possible, rien n’interdit de recourir à des prestataires extérieurs. Quant au coût de ces formations, il ne nous a pas paru juste de le faire supporter par les bénéficiaires. Il sera donc couvert par une augmentation limitée de l’ensemble des droits de timbre acquittés par l’ensemble des candidats à l’immigration.

L'amendement 164, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Paul Lecoq – L’amendement 228 vise à supprimer l’obligation de suivre une formation dans le pays de résidence car il nous semble injuste que l’impossibilité de s’y conformer en raison du coût ou de la distance à parcourir entraîne un refus de délivrer le visa. Dans ce cas, il est du reste illusoire de penser que les personnes concernées accepteront une séparation familiale. Il y a par contre tout lieu de croire qu’elles viendront grossir les rangs des sans-papiers, exclus de tout dispositif d’insertion.

Mais cette obligation s’imposera-t-elle bien à tous ? Nous serions curieux, par exemple, de connaître le sort que vous entendez réserver aux dirigeants de grands groupes internationaux, tels Mme Russo, PDG d’Alcatel en France, qui a indiqué dans la presse qu’elle n’avait nullement l’intention d’apprendre la langue de son pays d’accueil : que se passera-t-il si cette dame demande à bénéficier du regroupement familial ?

Il faut tenir compte des difficultés rencontrées par les ressortissants des pays du tiers monde pour accéder à un niveau d’éducation suffisant et ne pas les soumettre à des obligations excessives qui ouvrent la voie à tous les risques d’arbitraire. Attention à cette nouvelle forme de colonialisme qui consiste à imposer à certains ce que l’on épargne au plus grand nombre et à ne pas créer des situations de stress inutiles dans des populations déjà très exposées. Enfin, je vous renvoie aux interrogations nombreuses soulevées par la Délégation à la langue française dans son rapport sur l’intégration linguistique des migrants.

M. le Rapporteur – Défavorable. Si l’on adoptait cet amendement, il n’y aurait plus aucune différence avec le régime actuel du contrat d’accueil et d’intégration.

Je me réjouis de constater que le groupe GDR s’inquiète pour le PDG d’Alcatel (Sourires). Qu’il se rassure ! En tant que salariée en mission, Mme Russo est exemptée de l’obligation de formation linguistique et elle peut faire venir sa famille sans passer par les procédures relatives au regroupement familial !

M. Patrick Braouezec – Puissent tous les salariés de la « Propreté de Paris » bénéficier des mêmes dérogations !

M. le Ministre – Avis défavorable.

L'amendement 228, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère – L’amendement 198 fait suite au précédent. Plutôt que de poser de nouvelles exigences, ne serait-il pas raisonnable d’évaluer les dispositifs existants, et, en particulier, l’action de l’ANAEM ou l’efficacité du contrat d’accueil et d’intégration ? L’obligation d’apprendre la langue française dans le pays de résidence attente à plusieurs droits fondamentaux, et, notamment, à l’article 8 de la charte de protection des droits humains et des libertés fondamentales. En acceptant notre amendement qui prône un apprentissage du français en immersion, après l’arrivée sur le territoire, vous donneriez enfin une preuve que votre texte n’est pas une loi de rejet mais bien un projet en faveur de l’intégration des migrants.

Nous connaissons tous, dans nos circonscriptions, des étrangers parfaitement intégrés – notamment des ressortissants de l’Union européenne qui votent aux élections locales – bien qu’ils parlent très mal le français – et ne le lisent ni ne l’écrivent – alors qu’ils sont présents sur notre sol depuis des décennies. Il faut tenir compte de ces situations et ne pas instaurer un système à plusieurs vitesses. Le problème, c’est que vous n’aimez pas les couleurs de l’immigration d’aujourd’hui ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Ceux qui fuient la misère ou la tyrannie, vous n’en voulez pas parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau ou la même religion que les immigrés de papa ! Ce qui vous dérange, c’est qu’ils ne nous ressemblent pas (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

M. le Rapporteur – M. Mamère procède une fois encore par amalgame en confondant asile et immigration : chacun sait que les demandeurs d’asile ne sont soumis à aucune obligation linguistique. Quant à cet amendement, il priverait le texte de toute utilité.

Enfin, je ne puis laisser dire à M. Mamère que les lois précédentes n’ont pas été évaluées : conformément à la doctrine Warsmann, j’ai moi-même rédigé deux rapports sur la loi de 2003, le premier pour déplorer son application partielle et le second pour constater sa bonne mise en œuvre. Quant au contrat d’accueil et d’intégration, j’indique dans mon rapport qu’il a bien été évalué, notamment dans votre département.

M. le Ministre – Avis défavorable.

M. Noël Mamère – Croyez bien, Monsieur Mariani, que je ne confonds pas asile et immigration. C’est vous qui entretenez la confusion entre les deux notions en proposant de placer l’OFPRA sous la tutelle de M. Hortefeux plutôt que de M. Kouchner ! Je me réjouis d’apprendre que vous faites des rapports…

M. le Rapporteur – Vous avez dit tout à l’heure que les lois n’étaient pas évaluées !

M. Noël Mamère – À dire vrai, je préférerais qu’elles soient évaluées par des experts indépendants plutôt que par des députés appartenant à la majorité qui les a soutenues…

M. le Rapporteur – Mais oui ! Je suis crapuleux ! (Sourires)

M. Noël Mamère – Disons que je préfère croire le Comité interministériel de contrôle de l’immigration lorsqu’il décrit l’immigration familiale comme un phénomène maîtrisé, alors que vous la présentez, vous, comme un péril majeur pour notre cohésion nationale ! Selon le rapport de ce comité, l’immigration au titre du regroupement familial n’a représenté que 23 717 premiers titres de séjour en 2005 contre 30 218 en 2002, et le regroupement familial ne représente que 11 % de l’ensemble des titres délivrés en 2005 toutes catégories confondues. Le comité souligne par ailleurs que le regroupement familial est appelé à diminuer au cours des prochaines années, du fait du tarissement progressif de ses sources. Les demandeurs de regroupement sont en effet des personnes entrées en France de longue date – depuis plus de trente ans pour certaines. Le vieillissement de ces générations de migrants s’accompagne d’une diminution du nombre des membres de leur famille qu’ils sont susceptibles de faire venir dans notre pays au titre du regroupement familial.

En dépit de ces faits avérés, vous cherchez à faire croire que l’immigration représente un danger – alors même qu’il s’agit ici d’immigrants légaux. En vérité, vous agitez cet épouvantail pour faire oublier les turpitudes de votre Gouvernement.

Mme George Pau-Langevin – Le rapporteur dit avoir évalué la loi, mais comment serait-ce possible, celle-ci ne datant que de juillet 2006 ?

M. le Rapporteur – J’ai parlé de la loi de 2003.

Mme George Pau-Langevin – La loi de juillet 2006 qui a institué et rendu obligatoire le contrat d’accueil et d’intégration n’a donc pas encore été évaluée, et déjà vous la modifiez ! Attendez l’évaluation à laquelle, je crois, nous procéderons ensemble, Monsieur Mariani (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).

L'amendement 198, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Paul Lecoq – Ce projet de loi évoque les « valeurs républicaines », mais celles-ci sont-elles quantifiables ? Les valeurs n’étant que des symboles, elles ne peuvent être déclarées universelles. Il y a dans ce concept revendiqué depuis un certain temps un relent identitaire sans réel contenu, si ce n’est une tentative d'imposer une vision dominatrice et hégémonique de la France et de l'Occident.

Qu’entendez-vous donc par « valeurs républicaines » ? Celles-ci renvoient-elles aux expulsions massives – je pense notamment à celles qui ont eu lieu cet été ? Aux chasses à l'enfant dans les écoles ou à leur sortie ? Aux contrôles policiers au faciès dans les banlieues – indispensables pour atteindre l’objectif de 25 000 expulsions ? Aux généreux cadeaux fiscaux et financiers dont bénéficient les riches au détriment des populations modestes ? Au démantèlement de notre système de santé et à la privatisation de l'assurance maladie ? Aux nombreux licenciements de salariés dans des entreprises réalisant des bénéfices exorbitants et que les patrons quittent en empochant des sommes colossales ? À l'institutionnalisation de la xénophobie, dont font état plusieurs rapports des Nations unies ? À la discrimination des migrants, des jeunes et, d’une manière générale, des pauvres ? Au choc des civilisations et à l'utilisation faite de la lutte contre le terrorisme ? Aux décisions d'un maire d'utiliser contre des sans-logis un produit répulsif ? À l'interdiction d'aimer un sans-papiers et aux menaces adressées par un préfet à toute personne prenant sous sa protection un enfant de sans-papiers ? Au non-respect du droit international et à la violation du principe d’autodétermination des peuples tel que rappelé par la Cour internationale de justice – je pense au tramway de Jérusalem dont le contrat a été signé entre l'État israélien, Alstom et la Connex, deux entreprises françaises qui contribuent ainsi à légitimer l'occupation du territoire du peuple palestinien ? Aux valeurs des entreprises françaises qui pillent les ressources naturelles de nombreux pays – je pense à Veolia pour l’eau en Bolivie, à Suez pour l'extraction de l'or au Niger ou pour l’eau en Argentine. Aux activités de Total en Birmanie qui ont conduit à des crimes aussi graves que l'esclavage, le travail forcé, les exécutions sommaires ou bien encore au déplacement forcé de populations et à la destruction de l'environnement ?

Vous comprendrez que nous demandions, par notre amendement 157, la suppression de ces termes : ces fameuses valeurs sont en effet bien opaques. Si ce sont là pour ce Gouvernement les valeurs de la République, alors nous n’en avons pas la même conception.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Nous tenons, nous, à l’apprentissage de ces valeurs, l’opposition non.

M. le Ministre – Même avis.

L'amendement 157, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Philippe Maurer – Mon amendement 138 vise à exiger des étrangers souhaitant rejoindre notre pays qu’ils apprennent le refrain et le premier couplet de notre hymne national. Ce serait la preuve qu’ils connaissent à la fois notre langue et les valeurs de notre République. N’oublions pas qu’il était demandé aux jeunes d’antan de chanter la Marseillaise lors du certificat d’études. Ce serait de surcroît une occasion unique de faire entendre notre hymne national partout dans le monde.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. Je comprends bien votre idée, mais le vocabulaire utilisé dans notre hymne national est trop compliqué par rapport au niveau linguistique demandé.

M. le Ministre – Même avis. Il serait prématuré de demander à des étrangers encore dans leur pays de connaître la Marseillaise.

Mme Michèle Delaunay – Chacun aura compris que le Gouvernement agite devant les Français le chiffon rouge de l’immigration pour leur faire oublier les échecs successifs de la politique sarkozyste depuis cinq mois. Mais on atteint avec cet amendement un niveau de ridicule inégalé. Faire apprendre à des enfants burkinabés qu’un « sang impur abreuve nos sillons » ou que « l’étendard sanglant est levé », sans qu’ils connaissent le contexte historique de ces paroles, comme d’ailleurs beaucoup de nos propres enfants, serait non seulement ridicule, mais insultant. Ne prenez ni la représentation nationale ni l’ensemble des Français pour des imbéciles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Patrick Braouezec – Monsieur Maurer, pouvez-vous nous dire ce que sont le refrain et le premier couplet de la Marseillaise ?

M. Jean-Philippe Maurer – Je ne vais pas, comme l’un de nos collègues des Pyrénées, me mettre à chanter dans cet hémicycle.

M. Patrick Braouezec – J’ai comme l’impression que vous nous feriez chanter l’hymne national à l’envers, avec d’abord le refrain puis le premier couplet…

L'amendement 138, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère – L’amendement 200 est défendu.

L'amendement 200, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Noël Mamère – Dans le cadre du contrat d‘accueil et d’intégration prévu à l’arrivée des bénéficiaires du regroupement familial à leur arrivée en France, c’est l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations qui évalue le degré de connaissance de la langue française. Il serait logique que ce soit elle qui procède également à cette évaluation dans les pays d’origine. Tel est l’objet de l’amendement 93.

M. le Rapporteur – C’est techniquement impossible, l’ANAEM n’étant présente que dans six pays.

M. le Ministre – L’évaluation sera effectuée par des prestataires agréés par l’ANAEM : centres culturels, Alliance française ou organismes privés.

M. Noël Mamère – On pourrait parfaitement réformer l’ANAEM. Rien n’est impossible, vous n’avez cessé de nous en apporter la preuve depuis que vous êtes au pouvoir ! L’ANAEM pourrait par exemple être dotée de davantage de moyens, pas nécessairement d’ailleurs diplomatiques et consulaires, les agents de ces autorités n’étant pas les mieux formés pour enseigner le français. On pourrait utiliser le réseau des Alliances françaises.

L'amendement 93, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Nicolas Perruchot – L’amendement 131 précise que l’évaluation de la connaissance du français pratiquée dans le pays de résidence doit faire l’objet d’un compte rendu établi selon les modalités définies pour l’accès à la nationalité française et reposer sur des critères d’appréciation définis dans l’annexe de l’arrêté du 22 février 2005.

M. le Rapporteur – Avis défavorable. D’une part, il n’est pas souhaitable de faire référence à un arrêté dans une loi. D’autre part, le niveau linguistique exigé pour la naturalisation est nécessairement supérieur à celui exigé en l’espèce.

M. le Ministre – Même avis.

L'amendement 131, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président – Les amendements 202 et 201 tombent.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, mercredi 19 septembre, à 9 heures 30.

La séance est levée à 1 heure.

La Directrice du service
du compte rendu analytique,

Marie-Christine CHESNAIS

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne deux heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr

© Assemblée nationale