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N° 615

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 2008.

DÉCLARATION

du Gouvernement sur le Grenelle de l’insertion,

PRÉSENTÉE

PAR M. Martin HIRSCH,

haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.

Monsieur le président de l’Assemblée nationale,

J’ignore si l’usage le permet, mais laissez-moi vous remercier de présider vous-même une séance consacrée à l’insertion et de marquer ainsi l’intérêt que vous portez à ce sujet. De même, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre présence qui témoigne de votre implication personnelle.

Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est parce que nous pensons que les politiques d’insertion ont besoin de nouvelles perspectives. Le Grenelle de l’insertion, qui regroupe l’ensemble des acteurs, est l’occasion de les fonder sur d’autres bases. Il nous a semblé opportun d’en débattre en amont avec vous et non pas de venir vous demander seulement de ratifier ce qui aurait été élaboré par d’autres dans d’autres enceintes.

Trop souvent, les questions d’insertion sont abordées à partir d’éléments techniques parmi lesquels seuls quelques rares spécialistes se retrouvent. Or nous avons aujourd’hui la possibilité de discuter des grandes lignes des réformes nécessaires, de répondre à des questions de principe, de confronter des visions différentes, de dégager des enjeux prioritaires.

Nous nous trouvons à la fin d’un cycle d’une vingtaine d’années. Notre pays a, par touches successives, forgé une politique d’insertion dont on ne doit pas oublier ni nier certains résultats positifs. J’en rappellerai quelques étapes.

Avant 1988, on pouvait, dans ce pays, se retrouver sans aucune ressource et ne dépendre que de la charité publique ou privée. La loi du 1er décembre 1988 a créé le revenu minimum d’insertion qui constitue une incontestable avancée sociale. C’est même désormais une caractéristique de l’Europe sociale que d’avoir un revenu minimum.

Avant 2000, on pouvait, dans ce pays, n’avoir aucune assurance maladie et se voir refuser l’accès aux soins, faute de ressources. La loi du 27 juillet 1999 a créé la couverture maladie universelle.

Des centaines de milliers de personnes ont bénéficié d’emplois aidés ou sont passées par des entreprises d’insertion ou encore par les différentes structures d’insertion. Or elles n’auraient pas travaillé ou pas retravaillé sans ces dispositifs spécifiques. Certains parcours d’insertion individuelle sont des réussites formidables qui justifieraient, à eux seuls, l’invention de l’insertion.

Pourtant, nous sommes obligés de constater un échec collectif. Sans attribuer aux politiques d’insertion les échecs d’autres politiques – éducation, formation et emploi –, notre pays n’a pas obtenu des résultats à la hauteur de sa richesse économique ni de son ambition sociale. Il ne devrait pas compter tant de personnes exclues du monde du travail, tant de personnes ne gagnant pas plus que le revenu minimum, tant de personnes dont la majorité des ressources proviennent de la solidarité et si peu de leur travail, tant de personnes qui, après avoir remis un pied à l’étrier, sont renvoyées à la case départ, tant de personnes, enfin, qui se débattent en vain dans une foultitude de difficultés où s’entremêlent l’isolement, les problèmes de santé, de logement, de surendettement...

Ce n’est pas faire injure aux constructions d’un passé récent, encore moins à leurs inventeurs, à leurs promoteurs, à leurs soutiens, à ceux qui les ont mis en œuvre, que de dire qu’il faut bâtir autre chose. C’est plutôt leur rendre hommage d’affirmer que, malgré des difficultés, les acteurs de l’insertion, qu’il s’agisse des travailleurs sociaux, des responsables d’entreprises d’insertion, des élus, se battent pour essayer de trouver des solutions concrètes.

Mais quand tant de personnes perdent de l’argent en retrouvant un travail, c’est qu’il faut changer le système.

Quand on vous écrit – j’ignore si c’est votre cas, mais c’est le mien – pour vous proposer de rembourser une partie de son salaire pour pouvoir à nouveau bénéficier de la couverture maladie universelle, il faut changer de système.

Quand on veut travailler, quand on donne satisfaction au sein d’une entreprise d’insertion, mais que la loi prévoit que vous ne pouvez pas rester plus de deux ans sous contrat d’insertion et que vous allez donc vous retrouver, en application des textes – et non à cause de problèmes personnels –, au chômage à cinquante-huit ans, il faut changer de système.

Quand vous voulez travailler à plein-temps, que votre employeur y est favorable, mais que le contrat de travail que vous avez signé dans le cadre des politiques d’insertion ne vous permet pas de travailler plus de 26 heures par semaine et de gagner plus de 750 euros par mois, il faut changer de système.

Quand un pays compte, parmi ses adultes actifs pauvres, autant d’exclus du travail que de gens qui travaillent – et n’en sont donc pas moins pauvres pour autant –, il faut changer de système.

C’est un réquisitoire contre des politiques d’insertion qu’il ne faut plus poursuivre.

Pourtant, chaque mesure a été prise avec de louables intentions et non dans le but de nuire ou d’exclure. Seulement, mises bout à bout, elles produisent un système de relégation. Ce n’est pas l’une d’entre elles qu’il faut modifier, ce sont les politiques d’insertion dans leur ensemble qu’il faut repenser, rebâtir.

Parfois, face à des constats si désolants, on recherche des boucs émissaires. Ici, aucun des acteurs pris isolément n’est en lui-même coupable. Ce n’est pas tel ou tel qu’il faut montrer du doigt. La responsabilité est collective ; il s’agit même, plutôt, d’une irresponsabilité collective qu’il faut dénoncer, l’objectif de ce débat étant d’y mettre fin.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Les causes en sont nombreuses. Je vous proposerai pour ma part un diagnostic de ce problème très français. C’est ce que j’appelle l’effet « centrifugeuse », à savoir un système qui tourne de plus en plus vite sans se préoccuper de ceux qui, pourvus d’une capacité un peu plus faible que le niveau exigé, sont peu à peu renvoyés à la périphérie. On juge qu’il ne sont pas assez performants parce que trop jeunes : n’oublions pas le taux de chômage dans cette catégorie de la population. Pas assez performants parce que trop vieux, et dans le monde du travail on est vieux de plus en plus tôt. Pas assez performants parce que insuffisamment qualifiés, mal qualifiés ou trop qualifiés. Parce que toujours disqualifiés. Parce que discriminés.

Ainsi, une enquête récente montre que les annonces d’emplois en France comportent, dans 20 % des cas, un critère d’âge, contre 1 % en Grande-Bretagne ; dans 73 % des cas, un critère de formation, contre 63 % en Espagne et 27 % en Grande-Bretagne ; dans 9 % des cas, une demande de photographie, contre 3 % en Espagne et jamais en Grande-Bretagne.

Notre société a cru que son moteur gagnait en efficacité parce qu’il donnait l’impression de s’alléger, mais il s’est privé de carburant et a rejeté directement dans l’assistance une proportion de plus en plus importante de la population. Oh, certes, pour que l’éviction ne soit pas trop douloureuse, des mécanismes de compensation ont été mis en place. Ainsi a-t-on compensé l’éviction au lieu de la combattre, mais la douleur n’en est pas moins sensible.

Après l’effet centrifugeuse, la deuxième cause des difficultés dans lesquelles nous essayons de surnager, c’est que les réponses se sont révélées chaque fois très spécifiques, très cloisonnées, trop déconnectées du travail, trop déconnectées de la formation, trop déconnectées de l’économie, trop déconnectées des aspirations individuelles. Nous avons mis en place des systèmes de plus en plus sophistiqués, de plus en plus complexes, de plus en plus coûteux, de moins en moins compréhensibles, de moins en moins efficaces.

Le résultat, nous le connaissons : nos politiques d’insertion sont à bout de souffle. Mais l’énergie n’est pas morte. Nous l’avons vu au moment du lancement du Grenelle de l’insertion, à Grenoble, il y a un mois et demi, avec la participation de l’ensemble des acteurs : associations, élus, entreprises d’insertion, présidente du MEDEF, secrétaires généraux des syndicats, pionniers et inventeurs de l’insertion d’il y a vingt ou trente ans. Tous sont prêts à mettre leur énergie au service de nouvelles politiques.

Nous le voyons dans les départements, pourvus depuis quelques années de nouvelles responsabilités qui les ont amenés à concevoir de nouvelles politiques. Nous le voyons au sein des réseaux associatifs, qui ont inventé des solutions originales, devant parfois se débrouiller aux marges de la légalité. Nous le voyons dans le dynamisme de l’insertion par l’activité économique, déjà à la pointe du développement durable quand le concept n’intéressait personne.

Dans ce contexte, nous voyons quelques raisons d’être optimistes et qui poussent à agir, à commencer par les aspirations des personnes en insertion. Un sondage réalisé récemment montre leur appétence à travailler, à être formées, leurs demandes pour que les systèmes évoluent – ce qui confirme tous les témoignages dont nous pouvons disposer – mais aussi leur implication dans les groupes de travail : je pense à certains d’entre-vous qui président des groupes de travail du Grenelle avec un collège des usagers, composé notamment d’allocataires du RMI et de jeunes en insertion, tout à fait représentatifs de la très grande majorité d’entre eux.

Nous voyons une autre raison d’espérer dans ce que nous montrent les acteurs de l’insertion qui, souvent avec des bouts de ficelle, parviennent à sortir de l’ornière les personnes les plus « cassées », et interpellent les pouvoirs publics en faisant valoir qu’avec les moyens considérables dont ils disposent, ils devraient parvenir à intégrer une plus grande partie de la population, d’autant qu’elle est moins fragile que les publics prioritaires.

Enfin, changement considérable par rapport aux dix dernières années : les entreprises prennent aujourd’hui conscience qu’on ne peut plus continuer ainsi. Elles ont besoin de main-d’œuvre, et donc de recruter des personnes sans attendre d’elles qu’elles arrivent déjà entièrement formées et dotées d’une expérience professionnelle. Dans les métiers traditionnellement en tension mais aussi dans de nombreux autres secteurs de notre économie, on nous reproche de ne jamais proposer des allocataires du RMI ou des personnes en insertion lorsqu’il y a des emplois à pourvoir. C’est le cas notamment des pôles de compétitivité. L’intérêt et l’implication des entreprises viennent aujourd’hui de ce qu’elles pensent que des politiques d’insertion réussies sont indispensables à leur développement.

Tous ces enjeux nécessitent de réunir autour de la table les différents acteurs. Il s’agit de discuter avec l’ensemble des partenaires sociaux, avec les associations, les spécialistes de l’insertion, les collectivités territoriales.

Nous avons préparé ce débat en vous soumettant une dizaine de questions centrales retenues par les trois groupes de travail mis en place mi-décembre : gouvernance et objectifs de la politique d’insertion, engagements des employeurs privés et publics, parcours d’insertion. Nous vous proposons maintenant une dizaine de principes.

Le premier consiste à simplifier de manière drastique les dispositifs existants, aussi bien les minima sociaux et les aides de retour à l’emploi que les contrats aidés. Là encore, personne n’a souhaité, au départ, établir un système compliqué, tant il est vrai qu’on ne recherche pas a priori la complexité. Il faut donc se demander pourquoi personne ne s’y retrouve. C’est parce que, selon moi, phénomène bien connu, non seulement on ajoute une couche sans effacer la précédente, mais encore parce que tout repose sur le régime de la défiance.

L’État n’a pas confiance dans les collectivités territoriales ; ceux qui disposent des financements n’ont pas confiance dans les travailleurs sociaux ; les acteurs de terrain eux-mêmes n’ont pas forcément confiance dans les populations en difficulté. Aussi, pour éviter une sorte de fuite en avant, on définit des critères d’une précision diabolique : les moins de vingt-six ans doivent bénéficier de mesures spécifiques, de même ceux qui sont au RMI depuis plus d’un an… Ainsi, à chaque cas correspondent des critères extrêmement restrictifs. C’est un mécanisme qui prend un temps fou, qui induit des passages d’un acteur à l’autre, et surtout qui exclut ! Le parcours d’insertion, c’est d’abord un parcours du combattant entre les différents acteurs, qui aboutit inévitablement à des refus.

Simplifier, cela ne consiste pas à passer de cinquante lettres à quarante, puis à trente l’année suivante, puis à vingt l’année d’après. Simplifier, cela signifie que l’on accepte un système plus souple, dans lequel le législateur définit des principes généraux, des objectifs, une répartition des moyens, des publics prioritaires, et où chaque acteur, qu’il s’agisse des collectivités ayant la responsabilité d’un secteur ou de la personne qui est en contact direct avec l’allocataire du RMI, ne soit plus dans la situation de devoir dire oui ou non en fonction d’un paragraphe d’une circulaire expliquant un arrêté qui résulte d’un décret pris en application d’une loi.

Chaque acteur doit pouvoir dire oui non en fonction des besoins de la personne concernée, et, éventuellement, des engagements qu’elle prend.

Le RSA, c’est déjà une simplification puisqu’il consiste à remplacer un certain nombre de minima sociaux, d’aides et de prestations par un mécanisme unique.

Le contrat unique d’insertion, c’est aussi une simplification par rapport au maquis des contrats.

Le bouclier sanitaire, s’il est accepté, c’est potentiellement une simplification considérable par rapport aux différents mécanismes de l’assurance maladie.

La connexion entre un service public de l’emploi rénové et l’insertion professionnelle, c’est également une simplification, avec la suppression de critères d’accès en fonction des statuts.

Simplifier impose de donner de la souplesse et de faire confiance. C’est, me semble-t-il, la première question de principe que l’on doit se poser : peut-on mettre en place des prestations moins normées réglementairement, en améliorant l’équité et sans laisser filer les dépenses ?

Le deuxième principe, c’est de garantir que les revenus du travail soient supérieurs à ceux de la solidarité. C’est le but de la création du revenu de solidarité active, qui a trois objectifs : supprimer les effets de seuil pour les allocataires de minima sociaux qui retrouvent du travail ; lutter contre la pauvreté au travail ; rendre lisible et prévisible un système qui ne l’est plus. Il est expérimenté, sous une forme incomplète, dans des départements volontaires. À terme, il a l’ambition de se substituer à de nombreux dispositifs, en garantissant que toute augmentation du revenu du travail se traduise par un accroissement des ressources du ménage. Il est aussi destiné, bien évidemment, à soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs à bas salaire, et ce de façon plus lisible que la prime pour l’emploi.

Pour que le RSA soit juste, il faut qu’il soit complet. Nous le concevons comme un système qui donne, à travail égal et à composition familiale équivalente, les mêmes revenus à tous, que l’on soit passé par les minima sociaux ou que l’on soit simplement un travailleur aux revenus modestes.

Il faut insister sur ce point. J’entends parfois exprimer la crainte qu’avec le revenu de solidarité active, une personne qui ne serait pas passée par les minima sociaux, qui serait à mi-temps, ou qui serait même au SMIC avec des charges de famille, aurait des revenus inférieurs à ceux d’une personne qui sortirait du RMI pour occuper un emploi du même type. Cette crainte n’est pas fondée.

J’entends aussi parfois dire que le RSA va pousser dans le sens du temps partiel. Or, quand on analyse le barème du revenu de solidarité active sur lequel nous travaillons et qu’on le compare au barème actuel fixé par la loi pour le retour à l’emploi, on constate que le gain de revenu, quand on passe d’un mi-temps à un trois-quarts de temps ou d’un trois-quarts de temps à un plein temps, serait supérieur avec le barème du RSA.

Faire en sorte que les revenus du travail soient supérieurs à ceux de la solidarité, par le biais du RSA, cela impose de revoir un certain nombre de mécanismes, et notamment celui des aides au logement, sujet que connaît bien M. Pinte. Il convient d’éviter les effets de trappe.

Il faudra également se pencher sur les effets de seuil liés à la couverture maladie universelle. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé le bouclier sanitaire. Dès lors que le reste à charge est fonction du revenu, il n’y a plus d’effort pesant sur ceux qui sont juste au-dessus du seuil d’exonération de la participation de l’assuré. Cet effet de seuil devrait disparaître, pour laisser place à un continuum.

Il faudra également que les aides connexes, celles des collectivités locales ou celles de l’État, puissent être revues afin d’éviter les effets de seuil.

Le troisième principe, c’est une conception plus souple, plus large et plus réaliste de la notion d’employabilité. Bien évidemment, tout le monde n’a pas les mêmes besoins. Mais certains évoquent, au sujet de personnes qui seraient, à un instant « t », dans l’incapacité d’être immédiatement recrutées par une entreprise dans le cadre d’un contrat de travail classique, la notion de « handicap social » ou de « COTOREP sociale ». Ils sous-entendent qu’il vaut mieux prendre acte d’une difficulté à travailler, plutôt que de s’acharner vers une insertion impossible. Permettez-moi de pointer les risques d’une telle approche, même adoptée avec les meilleures intentions du monde, et ses possibles dérives.

Certes, on peut reconnaître que certaines personnes ont des besoins qui relèvent d’abord de l’accompagnement social. Mais les classer comme « inemployables », et prévoir à ce titre un système qui leur serait spécifiquement destiné, ce serait faire une croix sur elles. Je pense à certaines associations, dont l’une m’est particulièrement chère, qui font travailler dans les métiers de la récupération des personnes cataloguées comme « inemployables » par le reste de la société alors qu’elles vivent dignement de leur travail. Il serait dramatique de les renvoyer à une notion d’« inemployabilité ».

Cela veut dire qu’il faut élargir la définition de ce qu’on appelle l’employabilité. Il me semble que quelqu’un qui travaille dans une entreprise d’insertion, c’est quelqu’un qui est employé et dont les revenus sont liés à l’activité qu’il fournit. Le traiter d’« inemployable », c’est lui faire injure.

Tout notre effort vise à donner à ces personnes une place digne, liée à l’utilité qu’elles peuvent avoir, avec une exigence qui soit à la hauteur de ce qu’elles peuvent supporter. Et l’expérience montre que quand cette exigence est proportionnée, ces personnes reprennent progressivement confiance et peuvent à nouveau entrer dans le système.

J’entends évoquer depuis quelque temps cette notion d’« inemployabilité ». Je souhaiterais qu’on en débatte, et mon vœu est qu’on puisse l’écarter.

Le quatrième principe, c’est de passer d’un système de contrats aidés à une logique de contrats aidants, fondée sur la notion de parcours.

Depuis 25 ans qu’existent les contrats aidés, les sigles ont changé, mais la logique est restée la même, les insuffisances n’ont été corrigées qu’à la marge. Les contrats aidés, c’est un instrument ambigu, pour lequel la pression quantitative l’a trop souvent emporté sur la pression qualitative. C’est un instrument décrié quand il baisse et décrié quand il augmente. C’est aujourd’hui un instrument indispensable. Il n’y à qu’à voir les difficultés provoquées par les périodes de freinage des contrats aidés, comme celle que nous vivons actuellement, et cela ne nous a pas échappé.

Quels reproches peut-on faire aux différents contrats aidés ?

Le premier est un lien trop distant avec un parcours d’insertion débouchant sur un emploi pérenne. D’après la dernière enquête disponible, un an après avoir bénéficié d’un contrat aidé dans le secteur non-marchand, 80 % des personnes concernées n’ont pas d’emploi.

Le deuxième est une limite dans le temps qui ne correspond pas aux besoins. Je vous rappelle qu’une limite est fixée par la loi. Or on ne peut pas décréter a priori qu’après dix-huit mois ou deux ans, tout le monde doit être en mesure de se passer de soutien. Sur ce point, les textes et les pratiques sont impitoyables. On peut être ainsi relégué à la case départ. Vous recevez sans doute les mêmes courriers que moi, vous avez les mêmes contacts, et les mêmes expériences vous sont rapportées, celles de personnes qui nous disent : « Je ne comprends pas. J’avais repris du travail. Quand je demande à mon employeur s’il est content de moi, il me répond oui. Quand je lui demande s’il a besoin de moi, il me répond oui. Quand je lui demande s’il va me garder, il me répond non. » Ces personnes, on leur fait ça une fois, on leur fait ça deux fois, ensuite ce n’est plus la peine de leur parler de droits et de devoirs, d’emploi, de formation, de quoi que ce soit.

Le troisième reproche que l’on peut faire aux contrats aidés est une durée du travail contingentée, comme la limite des 26 heures que j’évoquais tout à l’heure.

Quatrième reproche, un contenu en formation à la qualification souvent trop faible, parfois totalement inexistant.

Cinquième reproche, des effets d’aubaine mal maîtrisés.

Sixième reproche, une complexité administrative indéniable. Si l’on faisait un quiz sur le fonctionnement du contrat d’avenir ou du contrat d’accompagnement dans l’emploi, je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais moi je n’aurais pas la moyenne !

Quelles peuvent être les axes d’évolution ?

D’abord, remplacer les contrats existants par un contrat plus souple : c’est ce que l’on appelle le « contrat unique d’insertion », demandé par de nombreux acteurs associatifs et par les entreprises d’insertion. Que ce contrat soit dit unique ne signifie pas qu’il est uniforme, mais qu’il est modulable en fonction des besoins du couple employeur-employé.

D’où la deuxième proposition que l’on peut faire, et qui justifie que l’on passe de la notion de contrat aidé à celle de contrat aidant. Un contrat aidé, c’est souvent un contrat uniquement caractérisé par une subvention versée à l’employeur. Dans un contrat aidant, on demande à la personne ce dont elle a besoin, et on demande à l’employeur ce qui pourrait le conduire à embaucher une personne en insertion. Et que répondent-ils ? Ils répondent : accompagnement social pris en charge, tutorat pris en charge, formation prise en charge. Le montant de la subvention que l’on verse pour le contrat aidé serait peut-être plus utile, et éviterait les effets d’aubaine, s’il était consacré au financement du tutorat, de l’accompagnement social et professionnel, toutes prestations qui facilitent le retour à l’emploi.

Troisièmement, le contrat unique d’insertion doit pouvoir être modulé. Certains ont d’abord et avant tout besoin d’une formation, d’autres d’un tutorat dans l’entreprise, d’autres encore d’un accompagnement social à l’extérieur durant la première année où ils reprennent un travail. Pourquoi proposer un menu uniforme quand les besoins sont différents ?

En outre, cela supprime les effets d’aubaine. Si, au lieu d’abaisser le coût du travail pour des emplois non qualifiés pour lesquels des allégements de charges existent déjà, on dit aux entreprises que si elles prennent des personnes en insertion, on leur paie les heures de tutorat et tout le suraccompagnement nécessaire, cela ne créée plus d’effet d’aubaine. Cela sécurise également les entreprises d’insertion par l’activité économique, lesquelles préfèrent bénéficier d’aides de ce type plutôt que de dépendre des contrats aidés tels qu’ils sont conçus aujourd’hui, avec les coups de frein et d’accélérateur que l’on connaît, ainsi que les couperets à l’issue d’une période définie de manière purement administrative.

Une autre évolution que l’on peut proposer est celle qui consiste à réorienter les contrats aidés vers des contrats qualifiants, reposant sur le principe de l’alternance, en accélérant la montée en charge des contrats de professionnalisation et des contrats d’apprentissage. Il y a beaucoup de gens que l’on envoie vers des contrats aidés avec retour à la case de départ au bout d’un an ou de deux ans, et pour lesquels serait beaucoup plus adapté un contrat de professionnalisation, avec un temps de travail dans l’entreprise, un temps de formation, et la possibilité de déboucher sur un emploi pérenne.

Cela ne devrait pas être extrêmement compliqué à financer. Il me semble que les contrats de professionnalisation sont notamment financés par les organismes chargés de la collecte des contributions des entreprises au financement de la formation professionnelle. Rien n’empêche une montée en charge dans ce domaine.

Et puis, si une aide doit être donnée à l’entreprise, donnons-la au moment où elle transforme le contrat de professionnalisation en contrat à durée indéterminée. Alors, vous n’aurez plus d’effet d’aubaine, mais un lien entre le parcours d’insertion et l’embauche pérenne.

C’est possible avec le budget tel qu’il existe.

Tout est prévu, effectivement.

Le cinquième principe est celui de l’universalité effective de l’accès au service public de l’emploi, de l’insertion et de la formation.

Lorsque j’ai été auditionné par vos commissions, j’ai dit que la moitié des allocataires du RMI n’étaient pas inscrits à l’ANPE. Je m’étais trompé. En fait, seuls 35 % d’entre eux le sont. Si 65 % ne le sont pas, ce n’est pas en raison d’un choix personnel ou parce qu’ils ne veulent pas travailler ! Ils ne sont pas inscrits à l’ANPE parce que l’on a considéré qu’ils n’avaient pas à bénéficier du service public de l’emploi.

Au moment où l’on réorganise ce dernier en l’unifiant, il faut mettre ce problème sur la table. Des centaines de milliers de personnes, à cause de leur statut, ne bénéficient pas du service public de l’emploi alors que – injonction paradoxale ! – on leur reproche de ne pas suffisamment se tourner vers le travail. Traiter le problème sous ses aspects quantitatif et qualitatif implique de reconnecter les mécanismes du service public de l’emploi et ceux de l’insertion professionnelle pour que l’offre soit adaptée à l’ensemble de ces publics.

Il faut aussi faire en sorte que l’argent de la formation professionnelle bénéficie bien davantage à ceux qui en ont le plus besoin. Les chiffres effrayants nous font collectivement honte : les personnes les moins qualifiées, les bénéficiaires de minima sociaux, les chômeurs de longue durée sont ceux vers lesquels les actions de formation et l’argent de la formation professionnelle – qu’il provienne de l’État ou des entreprises –, sont le moins orientés. La branche professionnelle de la propreté s’est organisée pour que 10 % de ses ressources soient consacrés à des actions de lutte contre l’illettrisme, ayant constaté que nombre de ses salariés – pour beaucoup des travailleurs pauvres – en souffraient. De la même façon, on pourrait négocier que 10, 15 ou 20 % des fonds de la formation professionnelle aillent vers les publics prioritaires.

Sixième principe : donner une priorité à l’accès à la mobilité et à la garde d’enfants. Dans tous les groupes de travail auxquels participent des bénéficiaires potentiels des politiques d’insertion, ces deux problèmes sont désignés comme des freins puissants à l’insertion professionnelle, que ce soit en milieu urbain, en banlieue ou en zone rurale.

Septième principe : il faut que les pouvoirs publics entrent dans une logique de responsabilité, en laissant une large place à l'initiative locale. Au fondement des réformes à venir, la question est de savoir si l’État doit tout réglementer ou s’il doit faire confiance aux acteurs locaux pour adapter les politiques locales aux besoins. Dans son parcours d’insertion, une personne doit s’adresser aux services de la caisse d’allocations familiales, du conseil général, du centre communal d’action sociale, de la caisse primaire d’assurance maladie, de l’ANPE… près d’une dizaine au total. Est-ce à l’État de fixer l’ordre dans lequel ils doivent intervenir ? Quand un département s’est organisé pour que les mêmes équipes s’occupent de l’insertion professionnelle et de l’accompagnement social, la loi ou le décret n’ont pas à décider d’une organisation différente. Laisser aux collectivités locales une plus grande marge d’initiative permettrait d’éviter la complexité administrative qui fait obstacle à une réponse rapide aux besoins des publics et des entreprises, celles-ci réclamant qu’on leur propose à bref délai des solutions intégrées en matière de formation et d’accompagnement.

La définition de ce qui relèvera de la responsabilité des acteurs locaux pourrait sans doute faire l’objet d’accords territoriaux entre la région, le département, la commune et l’État. Ainsi, dans certain département, plutôt que de laisser les allocataires du RMI courir pendant trois mois de service en service, c’est l’ensemble des acteurs qui sont réunis dans un même lieu, le vendredi, pour les recevoir dès la première semaine où ils perçoivent le RMI.

Dans l’exemple que je viens de donner, il s’agit de la maison du département. Le bilan est spectaculaire : le nombre de RMistes couverts par un contrat d’insertion est passé de 25 % à 95 % dans un délai ramené de trois mois à trois jours, les bénéficiaires de la CMU sont passés de 80 % à 100 %, et la personne est systématiquement mise en contact avec le service public de l’emploi dans les premiers jours du RMI.

Huitième principe : clarifier la notion de droits et devoirs pour les publics d'insertion. C’est une notion centrale ; encore faut-il que les droits soient effectifs et que les devoirs puissent être remplis. Ce qu’il faut demander en contrepartie de la solidarité nationale fait souvent l’objet de discussions. Il me semble que l’on pourrait, en première exigence, poser le principe que si la contrepartie est de travailler, ce travail doit donner lieu au versement d’un vrai salaire, avec tous les droits qui y sont attachés.

Si l’on ne veut pas développer un système dans lequel deux catégories de main-d’œuvre – travailleurs bénéficiaires de minima sociaux et travailleurs pauvres – se feraient concurrence, il faut créer un vrai statut de travail.

La deuxième exigence, c’est que les engagements soient pris dans la durée. Souvent, on rencontre des personnes qui acceptent de faire des efforts la première année pour peu que cela débouche sur quelque chose. Or, très souvent, au bout de la première année, on les renvoie à la case départ. Si l’on prend vis-à-vis des jeunes, qui bien souvent n’ont ni allocation, ni formation, ni travail, un engagement de continuité de revenus dans la durée, il est alors possible de leur demander en contrepartie l’engagement d'accepter emplois et formations proposées pendant la durée du contrat. Cette notion d’engagement réciproque dans la durée devrait être creusée.

La logique des droits et devoirs doit, de la même façon, s’appliquer aux employeurs. Je vous le disais, ceux-ci ont davantage conscience de leurs responsabilités qu’auparavant, mais il est normal de veiller à ce qu’ils tiennent leurs engagements. En matière de handicap, par exemple, un système de quota d’embauches a été mis en place ; certains préconisent de l’appliquer pour les personnes en insertion. Il me semble cependant que d’autres voies sont possibles. Une entreprise peut contribuer à la politique d’insertion en embauchant des personnes en difficulté, si tant est que celles-ci puissent contribuer à la bonne marche de l’entreprise. Elle peut aussi participer à la formation des personnes les plus éloignées de l’emploi. Elle peut enfin conclure des partenariats avec des entreprises d’insertion. De même qu’il existe des clauses de marché public, il peut y avoir dans le secteur privé la possibilité de réserver du travail aux publics en insertion. L’année dernière, vous avez voté à l’unanimité le principe de la « contribution textile », qui permet de financer des emplois d’insertion dans le recyclage. Je pense que des dizaines de milliers d’emplois pourraient être financés de cette manière.

Enfin, dixième et dernier principe, il faut savoir passer de la petite à la grande échelle et associer toute politique d’insertion à l’évaluation et à l’expérimentation. Tous les acteurs y sont prêts, y compris ceux de l’insertion par l’activité économique, s’ils ont en contrepartie une garantie sur la pérennité de leur financement. Encore faut-il que les critères d’évaluation soient adaptés à leur travail avec un public peu performant. Consacrer une partie de leur budget à l’évaluation, l’ingénierie ou l’expérimentation, est un moyen de faire gagner en efficacité ces politiques d’insertion.

À travers ces dix principes que nous versons au débat, nous avons l’ambition de mettre la politique d'insertion au service de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de notre pays, et de simplifier considérablement les dispositifs. Encore une fois, nous détenons le record d'Europe du nombre de minima sociaux et celui de ceux qui en vivent. Si les choses étaient plus simples, moins de personnes vivraient avec 447 euros par mois. Notre politique d’insertion doit également préférer le « sur mesure » à la logique des « petites cases » ; elle doit favoriser l’adaptation des personnes aux défis du monde du travail tout en adaptant les exigences du travail aux difficultés des personnes ; elle doit s’appuyer davantage sur les territoires et la responsabilité des acteurs locaux. Bref, ce doit être une politique de solidarité active.

Nous attendons beaucoup de ce débat pour alimenter notre réflexion. Forts de votre éclairage et de vos expériences, nous pourrons revenir avec des propositions de nature à améliorer une situation dramatique.


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